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LA N A T U R ALIS A TIO N
DE
LA DIAL E C TIQ U E
DU MÊME AUTEUR
Traduction :
Schelling, Introduction à l ’ E squisse d ’ un système de philosophie
de la nature, présenté, traduit et annoté en collaboration avec
F . F ischbach, Le livre de poche, 2001.
BIB LI O T H È Q U E D ’ HIS T OIR E D E L A P HIL O S O P HIE
N O U V E LL E S É RIE
F ondateur : H enri G o u h i e r Directeur : Je an-François C o u r t in e
HE G EL
LA N A* T U R ALIS A TIO N
DE
LA DIAL E C TIQ U E
par
E mmanuel R e n a u l t
P A RIS
LIB R AIRI E P HIL O S O P HIQ U E J. V RIN
6, Place de la Sorbonne, V e
2001
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courtes citations, sous réverve que soient indiqués clairement le nom de F auteur et la
source.
L ’ HIS T O IR E D ’ U N M A L E N T E N D U
\ . Ibid., p. 923.
2. O . Breidbach, Dos Organische in H egels D enken, Würzburg, Kônigshausen und
N eumann, 1982; A. Doz, Introduction et commentaire, in G . W. F . H egel, Zzz théorie de la
mesure, P aris, P U F , 1970; D. v. E ngelhardt, H egel und die C hemie, G uido Pressler,
Wiesbaden, 1976 ; M. J. P etry, Introduction et notes, in G . W. F . H egel, Philosophy of N ature,
Londres-N ew York, Allen and Unwin, 3 vol., 1970.
3. D ans la seule section que l ’ E ncyclopédie consacre au «procès chimique»,
D. v. E ngelhardt a compté 105 références au savoir de l ’ époque (on en trouvera la liste ainsi
que leurs sources dans H egel und die C hemie, p. 118-137). L ’ étendue du savoir positif de
H egel s ’ illustre également par le nombre et la variété des ouvrages scientifiques que
contenait sa bibliothèque (voir la liste établie par W. N euser «Die naturphilosophische und
wissenschaftliche Literatur aus H egels privater Bibliothek», in M. J. P etry, H egel und die
N aturwissenschaften, p. 479-499).
4. Ainsi qu ’ en témoignent les travaux récents de C . F errini, et P. Ziche. C . F errini a
consacré plusieurs travaux aux sources de la Dissertation sur les orbites des planètes. Leurs
résultats sont consignés dans C . F errini, G uida al " D e Orbitis Planetarum" di H egel ed aile
sue edizionie tradizioni, B erne, P aul H aupt, 1995. Sur les sources de H egel à léna, P. Ziche,
« N aturforschung in Iena zur Z eit H egels », in H egel-Studien 22,1999, p. 9-40.
5. O n trouvera une présentation des manuscrits conservés dans un article de
W. Bonsiepen (« H egels Vorlesungen über N aturphilosophie », in H egel-Studien 26, 1991,
p. 40-54). S eul un premier tome, consacré aux leçons de 1819/1820, est parut à ce jour
(G . W. F . H egel, N aturphilosophie, B and I : Die Vorlesung von 1819-1820, Bibliopolis,
N aples, 1982). G .Marmasse nous a permis de consulter le texte qu ’ il a établi (G . W.
F . H egel, Die Vorlesung über N aturphilosophie. B erlin 1823-1824 (manuscrit Griesheim),
édition G . Marmasse, Frankfurt am Main, P eter Lang, 2000). La question de savoir quels
services peuvent ré ellement apporter ces manuscrits est controversé e. W. Bonsiepen a
souligné les divergences que l’ on pouvait trouver che z deux auditeurs d ’ un même cours (voir
«H egels R aum-Z eit Lehre, dargestellt anhand zweier Vorlesung-N achschriften », in
H egel-Studien 20, 1985, p. 9-78). C es textes ne sont certes pas d ’ une fiabilité à toute épreuve,
mais les additions orales sont absolument nécessaires pour comprendre la Philosophie de la
nature de l ’ E ncyclopédie.
10 IN T R O D U C TIO N
ordre des textes réunis par Michelet. N é anmoins, M. J. P etry marqua lui-
même la fin d ’ une première génération de travaux lorsqu ’ il affirma que le
commentaire ne devait plus dorénavant se concentrer tant sur l ’ étude des
références positives de la philosophie hégélienne que sur la manière dont
elle les intégrait en elle 1 . Différentes options interprétatives répondent à
cette exigence.
Une première tendance du commentaire actuel consiste à se détourner du
rapport avec les sciences de l ’ époque en vue de rendre compte de la
dimension proprement philosophique de la Philosophie de la nature. Le
moyen employé à cette fin e stl’ étude de son insertion dans l ’ histoire de la
philosophie et du post-kantisme 21. Une seconde tendance part du principe
que la dimension philosophique de cette partie du système relève du type de
fondationdes sciences qu ’ elle propose. D ’ où une démarche s ’ attachant soit
au contenu de cette fondation, soit à sa forme. S ’ agissant du contenu, on
insiste notamment sur l ’ originalité d ’ un propos susceptible de rendre
compte des fondements de la physique relativiste et de la physique quan-
tique 3 . S ’ agissant de la forme, on étudie préférentiellement la lecture
spéculative des modèles mathématiques4 , et l ’ on tente d ’ inscrire la
Philosophie de la nature dans l ’ histoire des tentatives qui, tout au long du
xvm e siècle, s ’ efforcèrent d ’ apporter une réponse à la question des
fondements de la mécanique newtonienne 5 . La troisième tendance du
commentaire rapporte résolument la Philosophie de la nature à la culture
scientifique de son temps, sans pour autant en revenir au point de vue de
l ’ historien des sciences. Il s ’ agit de ressaisir la base empirique de la
spéculation hégélienne dans son insertion systématique, en interprétant la
1. M. J. P etry, « Scientific Method : Franc œ ur, H egel and Pohl », in M. J. P etry H egels
Philosophie derN atur, Stuttgart, Klett-C ota, 1986, p. 11-29, ici p. 11.
2. C ’ est la démarche de B. F alkenburg qui tente d ’ interpréter cette partie de l’ œ uvre
hégélienne comme une réponse aux Premiers principes métaphysiques de la science de la
nature de K ant B. F alkenburg, Die F ormderMaterie. Zur Metaphysik derN atur bei K ant und
H egel, Stuttgart, Athenaüm, 1987. C ’ est également la démarche de W. Bonsiepen, Die
B egründungeinerN aturphilosophiebei K ant, Schelling, Fries und H egel, Stuttgart, Vittorio
Klostermann, 1997.
3. D. W andschneider, R aum, Z eit, R elativitàt. Grundbestimmungen der Physik in der
P erspective der H egelschen N aturphilosophie, Francfort, Klosterman, 1982. A. Pitt, « Die
dialektische B egründung der quantenmechanischen Statistik durch die Metaphysik
H egels »,Philosophia N aturalis 13,1971, p. 371-393.
4. P. Ziche, Mathematische und N aturwissenschqftliche Modelle in der Philosophie
Schellings und H egels, Stuttgart-B ad C annstatt, Frommann-Holzboog, 1996.
5. W. N euser, N atur und B egriff. Zur Theorienkonstitution und B egriffsgeschichte von
N ewton bis H egel, Stuttgart-W eimar, J.-B. Metzler, 1995.
L ’ HIS T OIR E D ’ U N MAL E N T E N D U 11
1. Phénoménologie de l ’ esprit, (P aris, Aubier, 1991, trad. J.P. Lefebvre, cité Phéno),
p. 33, Phânomenologie des G eistes (H ambourg, Meiner, 1988, cité Ph.d. G .), p. 9.
2. Théorie de la mesure (trad. A. Doz, P aris, P U F , 1970, cité Mesure), p. 72, W erke, t. 5
(À l ’ exception de la Phénoménologie de l ’ esprit, de la première édition de la Logique, de la
première édition de l ’ E ncyclopédie, de la R e alphilosophie d ’Iéna, et des Leçons, les textes
de H egel sont toujours cités dans l ’ édition E . Moldenhauer, K. M. Mich el, Francfort,
Suhrkamp, 1969-1971,20 vol.; cité W. suivi d ’ un numéro de volume), p. 430. C ’ est ici
B erz élius qui est visé.
.3. E ncyclopédie (cité e E ue.), § 330, addenda.
P r e mi è r e p a r t ie
Schelling (Ide en) suit en effet la rédaction des Abhandlungen zur Erlauterung der
Wissenschaftlehre. qui exposent une version de la philosophie transcendantale plus proche
de celle de F ichte (sur ce dernier point, J.-F . Marquet, Liberté et existence, P aris, G allimard,
1973, p. 142).
1. O n doit à D. v. E ngelhardt d ’ a voir insisté à de nombreuses reprises sur la variété des
positions au sein de la N aturphilosophie. Il distingue une philosophie de la nature empirique
(scientifique), romantique (Steffens, Novalis); spéculative (Schelling, H egel), transcendan
tale (K ant), et il insiste sur l ’ impossibilité de ranger l ’ œ uvre scientifique de G oethe dans l ’ une
de ces catégories ; voir notamment, « Wissenschaft und Philosophie der N atur um 1800. Prin-
zipien, Dimensionen, P erspektiven », in K ai Torsten K anz, Philosophie des organischen in
d er G oetfte z eit, Stuttgart, Franz Steiner. 1994,p. 252-269; voir également E . R enault, article
« N aturphilosophie », in Dictionnaire d ’ histoire et de philosophie des sciences, P aris, P U F ,
1999.
2. Novalis, E ncyclopédie, fragment 453 (édition W asmuth), p. 139, frgt. 1668,
p. 363-364.
3. Pour une étude de ce dernier courant, voir A. F aivre, op. cit.
4. Ibid., frgt. 447, p. 137.
5. Sur le rapport de G oethe et des autres types de philosophies de la nature, voir, D. v.
E ngelhardt, « Q u elle n und Z eugnisse zur W echselwirkung zwischen G oethe und den
romantischen N aturforschen », in Acta historica Leopoldina, n° 20,1992, p. 31 -55.
6. Sur la N aturphilosophie de Fries, voir W. Bonsiepen, Die B egründung einer
N aturphilosophie bei K ant. Schelling, Fries undH egel, p. 325 sq.
U N E N A T U R P HIL O S O P HIE S CIE N TIFIQ U E 19
1. E n de nombreux endroits, H egel développe une critique sans merci des philosophies
de la nature romantiques et théosophisantes (W. 9, p. 9-10; C orrespondance, 02/08/1816,
t. II, p. 91-92; 30/07/1814, t. II, p. 34; voir aussi les Notes et Fragments d ’Iéna, Trad.
C . C olliot-Thélène et al., P aris, Aubier, 1991, frgt. 10, 71, 82). C es critiques ne visent que
certaines des formes de la N aturphilosophie, elles ne suffisent pas à fonder la thèse suivant
laquelle H egel « n ’ a jamais été un N aturphilosoph » (X. Tilliette , L ’ absolu et la philosophie,
P aris, P U F , 1987, p. 131), à moins qu ’ on en vienne à la curieuse conclusion que tirent les
auteurs du commentaire des Notes et Fragments : «l’ appellation [philosophes de la nature],
comme telle, n ’ était pas déshonorante, mais elle ne convenait ni à H egel ni à Schelling » (op.
cit. , p. 223).
2. Pour des critiques adressé es par Schelling aux N aturphilosophie romantiques et
théosophisantes. voir par exemple, « Sur la construction en philosophie », (in Minuit, n° 19,
1988, p. 6-29), p. 7, S âmintliche W erke, V (1856-1861, cité S. W.), p. 126, et les R echerches
sur la liberté humaine, trad. M. Richir, P aris, P ayot, 1977, p. 79-80, S. W. VIII, p. 334-335.
3. R. P. Horstmann, Les frontières de la raison. R echerches sur les objectifs et les motifs
de l'Idé alisme allemand, P aris, Vrin, 1998, p. 22 sq.
20 P R E MIÈ R E P A R TIE
Ï.Ibid.,p. 31 sq. Puisque l ’ on a pu dire que « l ’ étiquette ‘Idé alisme allemand’ (...) ne
veut strictement rien dire » (R. Lauth, H egel critique de la Doctrine de la science, P aris, Vrin,
1987, p. 9), quelques précisions s ’ imposent. Nous entendons ici la notion d ’ idé alisme
allemand en un sens plus restreint que R. P. Horstmann (op. cit.) ou B. Bourgeois
(L'Idé alisme allemand. Alternatives et progrès, P aris, Vrin. 2000, p. 7-10) puisque nous en
excluons la philosophie kantienne pour ne retenir que les systèmes de F ichte, Schelling et
H egel, qui reprennent tous trois la définition kantienne de la philosophie comme
reconstruction de la non-philosophie, tout en se référant, sous l ’ influence de R einhold, à une
définition de la scientificité philosophique plus haute que celle de K ant. Pris en ce sens, le
concept d ’ idé alisme allemand, ne suppose pas l ’ existence d ’ une unité logique ou dialectique
de ces trois philosophies (comme che z R. Kroner, Von K ant bis H egel, Tubingen, 1921 -1924,
pour qui chacun de ces philosophes résout les problèmes de son prédécesseur). IJ suppose
cependant l ’ existence d ’ une unité en un sens plus large que la simple inspiration par des
principes communs (ce à quoi elle est réduite che z A. Philonenko, « D e K ant aux post
kantiens. E xamen critique», in V. D elbos, D e K ant aux post-kantiens, P aris, Aubier, 1992,
p. 10.11 est difficile d ’ admettre que « l ’ apport de Schelling à la philosophie post-kantienne
(...) est presque nul, voire nuisible », p. 64, qu ’ « il paraît (...) difficile de conférer à H egel le
statut de post-kantien», p. 66, et que ces deux philosophes s ’ écartent de la philosophie
kantienne pour des raisons extra-philosophiques, le romantisme pour Schelling, p. 86-87, la
théologie pour H egel, p. 70-72). L ’ unité de l ’ idé alisme allemand n ’ est ici pas situé e dans son
contenu (la logique commune aux problématiques de ces différentes philosophies, comme
che z B. Bourgeois), mais dans sa forme. C elle-ci, n ’ est pas caractérisé e par le seul principe
de la reconstruction philosophique du savoir non-philosophique (R. P. Horstmann), ou par
celui de la scientificité philosophique (V. Hosle, H egels System, H ambourg, Meiner, 1988,
t. 1, p. 28), mais par la conjonction problématique de ces deux principes.
2. V oir la lettre à Jacobi du 30/08/1795.
U N E N A T U R P HIL O S O P HIE S CIE N TIFIQ U E 21
l. S . W .III, p. 283.
2. E nc. § 60, remarque (noté e par la suite rq.).
3. Notes et fragments d 'Iéna, frgt. 47.
4. Suivant la représentation classique, et né anmoins contestable, qui prévaut par
exemple che z G . Lukacs, Le jeune H egel. Sur les rapports de la dialectique et de l' économie
(trad. fr. G . H a arscher, R. Legros), P aris, G allimard, 2 vol., 1981.
C h a pi t r e p r e mi e r
L A S CIE N C E D E S S CIE N C E S
L’ a c c o m p l i s s e m e n t d e l a r a t i o n a l i t é s c i e n t i f i q u e
[. E ssais, p. 33, 1, 2, 1 15-116 : « la forme systématique n ’ est pas le but de la science, mais
c ’ est seulement le moyen éventuellement utilisable - uniquement à la condition que la
science doive se constituer de plusieurs propositions - pour atteindre ce but ».
2. E ssais, p. 32, 1, 2, p. 114.
3. Id. : « Une telle proposition, certaine avant la liaison, se nomme un principe. C haque
science doit nécessairement a voir un principe ».
26 U N E N A T U R P HIL O S O P HIE S CIE N TIFIQ U E
1. S. W. 3, p. 275, 276 : « Le concept de savoir est pris ici dans sa signification la plus
stricte, et il est alors facile de saisir qu el’ on ne peut savoir, en ce sens du mot, qu ’ à propos des
objets dont on peut saisir les principes de la possibilité » ; « Nous ne savons qu ’ à propos de c e
qui se produit soi-même, le savoir au sens le plus strict du mot est donc un pur savoir a priori ».
2. Ibid., p. 276.
LA S CIE N C E D E S.S CIE N C E S 27
1. S. W. 3, p. 276-277.
2. E nc. § 80-82. Sur ces questions, voir la deuxième partie.
3. Œ uvres choisies de philosophie première (dorénavant cit. O .c.p.p., p. 265-266,
1, 4, 209).
4. E ssais, p. 47,1,2, p. 129.
28 U N E N A T U R F H1L0S0P H1 E S CIE N TIFIQ U E
La f o n d a tio n t r anscendantale
différentes, ce qui n ’ est pas non plus possible puisque la Doctrine de la science doit donner
leur forme à toute les sciences ».
1. P ar exemple, O .c.p.p., p. 246, 1, 4, p. 187.
2. E ssais, p. 46, F . W. I,2,p. 128 : « à une proposition de la pure Doctrine de la science
doit s ’ ajouter encore quelque chose, qui assurément ne peut être emprunté nulle part ailleurs
que dans la Doctrine de la science, pour qu ’ elle devienne principe d ’ une science
particulière ».
3. E ssais, p. 51-55,1,2, p. 133-137.
LA S CIE N C E D E S S CIE N C E S 33
P H Y SIQ U E T R A N S C E N D A N T AL E
O U P H Y SIQ U E S P É C ULA TIV E ?
Le s id é e s p o u r u n e p hi l o s o p hie d e l a n a t u r e
p. 175-176), alors que la philosophie hégélienne de la nature conservera toujours une forte
orie ntation dynamique.
1. J. Schangler voit une « décision pour l ’ empirisme », à l ’ origin e de la philosophie de la
nature, (Schelling et la ré alité finie , P aris, P U F , 1966, p. 56). D ès les Articles du Journal de
Philosophie (1796-1797), il affirm e pourtant la nécessité proprement philosophique d ’ une
étude de la nature (S. W. I, p. 348, note). Si dans ces articles, il semble considérer que la philo
sophie de la nature, ne peut pas plus être interprété e comme une partie scie ntifiqu e de la
philosophie que la philosophie de l ’ histoire (op. cit., p. 464-473), il change d ’ avis quelques
mois plus tard, et considère la philosophie de la nature comme une science, comme en
témoigne le titre de l ’ ouvrage Idé es pour une philosophie de la nature. Introduction à l' étude
de cette science.
2. C ’ est là l ’ interprétation tra ditionn elle (V oir par exemple R. Kronn er, Von K ant bis
H egel, 1921-1924, 1. 1, p. 606). E lle est retenue tant par ceux qui considèrent que la
philosophie schellingienne est l’ expression d ’ une problématique origin ale , d ’ emblé e
distincte de c elle de F ichte (I. G orland, Die E ntwiklung der Frühphilosophie Schellings in der
Auseinandersetrung mit F ichte, Francfort, Kiosterman, 1973),que par ceux qui considèrent
qu ’ elle résulte d ’ une erreur d ’ interprétation de la philosophie fichté enne (R. Lauth, Die
E ntstehung von Schellings Identitiitsphilosophie in der Auseinandersetzung mit F ichtes
Wissenschaftslehre). J.-F . Marquet, qui adopte une attitud e plus nuancé e, parle d ’ une
« faiblesse » et d ’ une « ambiguïté » des Idé es dans la mesure où les considérations tra nsc e n
dantales et les considérations physiques y voisineraient (Liberté et existence, p. 118-119). Il
est cependant des commentateurs pour insister sur l ’ orie ntation résolument transcendantale
de la première philosophie schellingienne de la nature, voir à ce propos, W. Bonsiepen,
op. cit.,p. 186 w?. et W. S chmie d-K ow arzik, «Thesen z ur E ntstehung und B egründung der
N aturphilosophie », in K. G loy, P. Burger, Philosophie der N atur in der D eutschen
Ide alismus, Stuttgart-B ad C annstatt, Fromman-holzboog, 1993, p. 67-99.
P H Y SIQ U E T R A N S C E N D A N T AL E O U P H Y SIQ U E S P É C ULA TIV E ? 39
Moi. D ’ après K ant, les formes de l ’ entendement pur sont vides par
elles-mêmes et ne reçoivent de signification objective que par un
contenu indépendant d ’ elles donné dans l ’ intuition. F ichte juge cette
thèse solidaire de la croyance kantienne en des choses en soi, en une
ré alité indépendante de l ’ expérience. S elon lui, ces formes sont indisso
ciables de leurremplissement, puisqu ’ elles représentent ce par quoi l ’ esprit
produit la phénoménalité en son contenu propre. Les catégories ne sont que
la conscience réflexive que l ’ esprit prend des actes nécessaires par lesquels
il procède à cette production. E lles ne sont aucunement des formes séparé es
(ré ellement) d ’ un contenu, mais les formes d ’ un contenu dont elles
sont séparables (idé ellement) du seul fait de l ’ abstraction du philosophe,
lorsque ce dernier entreprend d ’ expliciter l ’ activité constitutive de la
phénoménalité 1.
E n démontrant que les idé es, les concepts et les formes de l ’ intuition
résultent d ’ une même activité du moi, F ichte pensait avoir démontré le
caractère indissociable de la forme et du contenu du savoir21. La Doctrine de
la science n ’ étudie cependant que [ es formes de l ’ activité du moi, et dans la
D éduction de la représentation, elle se contente de montrer que ces
différentes formes se prennent pour objet les unes des autres. E n se limita nt
à ces formes nécessaires de l ’ activité du moi, la Doctrine de la science ne
peut véritablement démontrer le caractère indissociable de ces formes
universelles et du contenu qui les remplit. F ichte déplore le préjugé suivant
lequel ces phénomènes constituent un contenu indépendant des formes
dans lesquelles ils apparaissent, et il regrette les ravages que la pensé e
formelle produit dans les sciences de la nature 3 , mais pour lutter contre ces
I.Ibid.,p. 214.
2. Ibid., p. 231.
3. D ans / ' Ame du Monde, Schelling écrit à propos de la conception dynamique : « E lle ne
sert absolument pas et surtout pas comme explication, mais seulement comme le concept
limite [ Grenzbegriffe ] de la théorie de la nature, par lequel non seulement la liberté de la
théorie de la nature n ’ est pas mise en danger, mais bien plutôt est assuré e; parce que le
concept des forces, du fait qu ’ elles admettent une infinité de degrés possibles dont aucun
n ’ est absolu (F absolument haut ou le plus bas), leur ouvre un espace de jeu infini, à l’intérieur
duquel elle peut expliquer tous les phénomènes empiriquement, c ’ est-à-dire à partir de
l ’ action réciproque de diverses matières » (S. W. Il, p. 386).
4. S. W. II, p. 242, voir R. Lauth, «L e deuxième conflit entre F ichte et Schelling»,
Archives de philosophie, 38,1975, p. 180.
44 U N E N A T U R P HIL O S O P HIE S CIE N TIFIQ U E
1. /è ïd.,p. 4-6,178.
2. Ibid., p. 191-193. N ewton n ’ est critiqué ici que pour sa tentative supposé e de donner
des fondements physiques à sa mécanique. S a théorie n ’ est pas critiqué e comme telle.
X. Tilliette note que Schelling se comporte encore avec respect envers N ewton, sous l ’ effet
des Premiers principes métaphysiques. Il n ’ en ira plus de même par la suite (Schelling, une
philosophie en devenir, P aris, Vrin, 1970, t. 1, p. 140).
3. Ibid., p. 207-219.
4. E ssais, p. 24, 1, 2, p. 160.
5. O .c.p.p., p. 245,246,1, 4, 186.
P H Y SIQ U E T R A N S C E N D A N T AL E O U P H Y SIQ U E S P É C ULA TIV E ? 45
La p h y siq u e s p é c u l a t iv e
1. Pour les hypothèses fichté ennes de philosophie de la nature, voir R. Lauth, op. cit.,
p. 357-363.
2. F ichte reprochera à Schelling le manque d ’ évidence de sa seconde philosophie de la
nature (C orrespondance, 31/05/1801, p. 116).
3. Alors que dans les Idé es la solution au problème de la ré alité du savoir était
recherché e dans les Premiers principes de K ant, dans l ’ introduction, elle est recherché e
dans la Critique de la faculté de juger. La philosophie de la nature de Schelling n ’ est pas
d ’ emblé e adéquate aux thèses organicistes des romantiques ; c ’ est l ’ une des raisons de leur
déception, séduits par l ’Introduction des Idé es, ils furent peu intéressés par les Idé es elles-
mêmes ; voir à ce propos R. Ayrault, La genèse du romantisme allemand, t. 4 : E n vue d ' une
philosophie de la nature, P aris, Aubier, 1976, p. 22.
P H Y SIQ U E T R A N S C E N D A N T AL E O U P H Y SIQ U E S P É C ULA TIV E ? 47
1. L ’ Âme du monde (1798) est un texte de tra nsition. Sch elling comm e nc e à y
appréhender la nature comm e une a ctivité indépendante du moi, mais il continu e à affirm er
que les princip e s de la philosophie de la n ature doiv e nt faire l ’ objet d ’ un e d é duction tra n
scendantale. L ’ E squisse d éfe nd au contraire un point de vue ré aliste sur la n ature .
2. S.W. II, p. 12-13. S ur c ette comp araison, voir notamment, C . C esa, «L a notion de
pratique dans l’id é alism e du je un e F ichte », in M. Bie n e nstock, M. Cramp e-C a sn a b et, D ans
quelle mesure la philosophie est pratique, É N S é ditions, 2000, p. 81 -100.
3. S . W . III, p. 12-13.
4. S. W . III, p. 272.
5. S. W . III, p. 273 : « Il en ré sulte que dans cette science n ’ a lieu a ucun typ e d ’ e xpli
c ation id é aliste , lesquelles p e uv e nt bien être donné es p ar la philosophie tra nsc e nd a ntale,
puisque pour elle , la nature ne p e ut être a utre m e nt que comm e organe de la conscience de
soi, et que pour cette raison tout dans la n ature est nécessaire, c ar c ’ est s e ule m e nt p ar une
telle nature que la conscience de soi peut être médiatisé e. M ais pour la physiqu e , et pour notre
science qui se tient au même point de vue qu ’ elle , ce type d ’ e xplic ation est aussi dénué de
48 U N E N A T U R P HIL O S O P HIE S CIE N TIFIQ U E
sens que les anciennes tonnes d ’ explications téléologiques et l ’ introduction d ’ une fin alité
universelle des causes dans la science ainsi défiguré e » (souligné par nous).
l.Id.: « L a première maxime de toute vraie science de la nature : tout expliquer à p artir
de forces naturelles ».
2. /t a/., p. 274-275.
3. Ibid., p. 284 : « La nature comme pur produit (natura naturata), nous l'appelons
nature comme objet (sur elle seule porte toute empirie). L a nature comme productivité
(natura naturans), nous l ’ appelons nature comme sujet (sur elle seule porte toute théorie) ».
4. Ibid., p. 278, 279 : « Il doit donc être possible de façon générale, de reconnaître en
chaque phénomène originaire de la nature un phénomène nécessaire » ; « Non seulement
nous connaissons la nature a priori, mais encore la nature est a priori, c ’ est-à-dire que tout en
elle est pré alablement déterminé par le tout ou par l ’ idé e d ’ une nature en général ».
P H Y SIQ U E T R A N S C E N D A N T AL E O U P H Y SIQ U E S P É C ULA TIV E ? 49
l.Ibid.,p. 275.
2. S. W. III, 93-127. Sur le sens de cette notion che z K ant, voir M. Lequan, La chimie
selon K ant, P aris, P U F , 2000, p. 66 sq.
3. Aphorismes sur la philosophie de la nature, in Œ uvres métaphysiques, p. 98, S. W. VII,
p. 224 : « C X XIV . Les modifications ou déterminations dont la matière ainsi considéré e
abstraitement est seule capable, et où n ’ estjamais contenu d ’ essentialité, sont par exemple la
diversité de lieu, de figure, de grandeur, etc. C X X V . C e sont ces diversités purement
passives de la matière dont l ’ ensemble est nommé mécanisme. La conception mécaniste de la
nature repose donc sur de pures abstractions, elle prend naissance lorsque l’ on fait abstrac
tion de toute ré alité et positivité de la matière pour prendre en considération ce qui est nul ».
50 U N E N A T U R P H1L O S O P H1 E S CIE N TIFIQ U E
l. S . W .III, p. 283.
2. É tudes académiques, p. 49, S. W. V, p. 217.
52 U N E N A T U R P HIL0S0P H1 E S CIE N TIFIQ U E
L ’ A LI É N A TI O N D E L ’ID É E
Une r é é v a l u a t i o n n a t u r a l is t e d e s s cie n c e s
1. A . Doz, op. cit., p. 155. C omme le note D. H enrich (op. cit., p. 160-161), dans les
premières anné es d ’Iéna, H egel semble concevoir le problème de l ’ existence de la contin
gence de la nature à la façon de Schelling. La modificaüon de la doctrine hégélienne de la
contingence est lié e à l ’ abandon du concept schellingien de nécessité absolue.
2. V oir à ce propos le paragraphe 149.
3. V oir à ce propos, A. Doz, op. cit., p. 152-153.
4. § 267, rq.
F L ’ ALIÉ N A TIO N D E L ’ID É E 59
1.1 W. G oethe, Die Métamorphosé der Pflanz en, in Schriften zur Botanik und
Wissenschaftslehre, G esammt Ausgabe 39, München, D eutscher T aschenbuch V erlag,
1963, p. 16 sq. et J. W. G oethe, La métamorphose des plantes et autres écrits botaniques, trad.
H. et G . Bide au, P aris, Triades, 1992.
2. E nc., § 329, et add.
3. Sur la chimie comme paradigme dans la culture scientifique et philosophique de
l ’ époque, voir D. von E ngelhardt, H egel und die C hemie, chap. 2, M a ï Lequan, K ant et la
chimie, et P. K erszberg, « The Mental C hemistry of Spéculative Philosophy », in Graduate
F aculty Philosophy Journal, vol. 22, n° 1,2000, p. 191-225.
4. Science de la Logique, trad. P.-J. Labarrière, G . Jarkzyk, P aris, Aubier, 1972-1981,
3 vol. (cité Log.), 1.1, p. 24, W. 5, p. 48.
L'ALIÉ N A TIO N D E L ’ID É E 63
sciences les unes aux autres s ’ en trouve justifié e . Prenant ici encore l ’ exact
contre-pied de Schelling, H egel récuse toutes les tentatives de réduction
nisme scientifique et toutes les tentatives d ’ identification philosophique
des différentes régions de la nature l . Alors que l ’ ambition de la philosophie
schelligienne est de décrire la production ré elle des différents nive aux de la
nature en décrivant les métamorphoses qui les font passer les unes dans les
autres, H egel soutient qu ’ il n ’ y a pas de métamorphose ré elle des nive aux,
que les nive aux constituent des ré alités distinctes et irréductibles les unes
aux autres, que le passage que décrit la spéculation n ’ appartient qu ’ à la
spéculation : « L a nature est a considérer comme un système de nive aux,
chacun procédant nécessairement d ’ un autre et constituant sa plus prochaine
vérité, mais pas au sens où il serait naturellement produit par cet autre [...].
La métamorphose n ’ appartient comme telle qu ’ au concept car son
changement seul est un développement » 21.
C ertes, l ’ entendement désigne une forme de rationalité inférieure à celle
de la philosophie, aussi est-il dénoncé lorsqu’ il s ’ agit de déterminer com
ment philosopher, toujours est-il que cette infériorité n ’ en fait aucunement
une forme de rationalité défectueuse. D ans les sciences de la nature, la
rationalité d ’ entendement apparaît au contraire comme une forme de
rationalité approprié e à son objet. C ette conformité est relevé e par H egel en
de nombreux endroits3 . Ainsi affirm e-t-il à propos des mathématiques que
le type de rapport d ’ entendement qu ’ elles thématisent est exigé par
1. C ette critiqu e concerne aussi bie n la physiqu e dynamiste, que la physiqu e mécaniste et
les différe nte s versions de l ’ éle ctro-chimism e . H e g el pousse l ’ ironie jusqu’ à attribu er le nom
de philosophie de F id e ntité , c elui de la philosophie de S ch elling, à ces différe nte s physiques :
« O n nomme la philosophie conte mporain e philosophie de l ’ id e ntité; ce nom s ’ a ppliqu era
bie n mie ux à la physiqu e qui se contente d ’ ignorer les d éterminité s, lorsqu e par e x e mple ,
dans l ’ éle ctro-chimico-m agn étism e a ctu el, elle considère éle ctricité et chimism e a bsolu
m e nt comme un. C ’ est le d éfa ut de la Physique qu ’ elle s ’ en tienne trop à ce qui est id e ntiqu e;
c ar l ’ id e ntité est la c até gorie fond a m e ntale de l ’ entendement » (§ 246, add., W . 9, p. 20); on
retrouv e un typ e de critiqu e analogue lorsque H e g el retourn e les critiqu e s adressé es à la
N aturphilosophie sch ellingie nn e contre B erz élius (§ 330, rq., W . 9, p. 307).
2. § 249. L a notion de métamorphose ne vise pas ici G oethe, mais bie n S ch elling qui
l ’ e mploie à de nombreuses reprises dans V E squisse pour d é crire le d é v elopp e m e nt de la
productivité origin aire , voir par exemple, S.W. III, p. 44 : « T oute n ature productiv e n ’ est
c e p e nd a nt origin elle m e nt rie n d ’ autre qu ’ une métamorphose alla nt à l ’ infini ».
3. § 247, add., W . 9, p. 21, 22: « C ette form e [l ’ id é e dans la p articularité] est la plus
supporta ble pour l ’ e nte nd e m e nt; la n ature est seulement le c a d a vre de l ’ e nte nd e m e nt».
L ’ entendement corre spond plus p articulière m e nt a ux form e s les plus finie s, inorg a niqu e s, de
la n ature : « L a vie est le conc e pt p arv e nu à sa m a nife station, le conc e pt exposé, d e v e nu
é vid e nt, aussi e st-elle pour l ’ entendement ce qu ’ il y a de plus dur à s aisir, c ar pour lui,
F a bstrait, le mort, en tant que le plus simple, est ce qu ’ il y a de plus fa cile à s aisir» (§251,
add., W . 9, p. 37).
L ’ ALIÉ N A TIO N D E L ’ID É E 65
1. Log. III, p. 341, W . 6, p. 525 : « la nature offre de soi une telle contingence dans les
principes de division (...) [que] l ’ acte de tenir fermement à un princip e de division devient
impossible. L ’ extériorité dans laquelle le concept est par excellence dans la nature introduit
l ’ indiffére nc e totale de la différe nc e; une division fréquente pour la division se trouve par
conséquent prise du nombre ».
2. Phéno, p. 48, Ph.d. G ., p. 25-26 : « Mais cet état de dissociation et d ’ in effe ctivité est
lui-même un moment essentiel; car c ’ est uniquement parce que le concret se scinde et fait de
soi un in effe ctif qu ’ il est ce qui se meut. L ’ activité de dissociation est la force propre et le
tra v ail de l' entendement, de la plus étonnante et de la plus grande puissance qui soit, ou pour
tout dire : de la puissance absolue (...). L a mort, pour donner ce nom à cette in effe ctivité , est
ce qu ’ il y a de plus terrible, et retenir ce qui est mort est ce qui exige la plus grande forc e ».
3. Nous suivons ici R. P. Horstmann (Les frontières de la raison, p. 131-138) tout en
arrivant à une conclusion opposé e à la sienne. C he z H egel, cette ontologisation de la raison
n ’ a pas ta nt pour résultat une critiqu e qu ’ une défense de l ’ entendement.
66 U N E N A T U R P HIL O S O P HIE S CIE N TIFIQ U E
Enco r e u n e p hi l o s o p hie d e l a n a t u r e
l.§259,r9 .
L ’ ALIÉ N A TIO N D E L ’ID É E 67
1. Lettre à Voss, 1805 (3 e rédaction) : « la philosophie est en vérité la reine des sciences
aussi bien par elle-même que par l ’ action réciproque qui s ’ exerce entre elle et les autres
sciences : de la philosophie, qui a pour essence l ’ idé e, émane la mobilité qui s ’ introduit dans
les autres sciences ; de ces autres sciences, elle reçoit l ’ image de la totalité du contenu ; et de
même qu ’ elle les pousse à acquérir ce qui leur manque du coté de l ’ idé e, de même est-elle
poussé e par elles à abandonner le défaut d ’ accomplissement de son abstraction ».
2. Lettre à Von R aumer, 02/08/1816 : « C e n ’ est pas seulement devenu un préjugé de
l ’ étude philosophique, mais aussi un préjugé de la pédagogie-et ici d ’ une façon encore plus
étendue - que lorsqu ’ on s ’ exerce à penser par soi-même, en premier lieu la matière n ’ a pas
d ’ importance, et en second lieu le fait d ' apprendre est opposé au fait de penser par soi-
même : alors qu ’ en ré alité la pensé e ne peut s ’ exercer que sur une matière qui n ’ est pas un
produit de l ’ imagination ou une représentation sensible ou intellectuelle, mais une pensé e ».
3. § 246.
4. H egel affirme que « la philosophie et les sciences doivent (...) travailler main dans la
main » (§ 246, add., W. 9, p. 20) et il prétend instaurer une paix solide : « Il y eu un état de
chose plus naïf, selon l ’ apparence plus heureux, qui n ’ est pas encore passé depuis très
longtemps, où la philosophie allait la main dans la main avec les sciences (...). Mais la paix
était superficielle (...). Il en est résulté alors la séparation, la contradiction s ’ est développé e ;
mais dans la philosophie l’ esprit a fêté la réconciliation de lui-Tnême avec lui-même, de telle
sorte que cette science n ’ est en contradiction qu ’ avec cette contradiction là et avec le fard
qui la recouvre. Il relève de mauvais préjugés de croire qu ’ elle se trouverait en contradiction
avec une connaissance d ’ expérience sensé e » (E nc., préf. éd. 1827).
5. À ce propos, E . R enault, « Système et historicité des sciences », in H egeljahrbuch,
1998, p. 132-137.
6. § 270, add., W. 9, p. 106.
68 U N E N A T U R P HIL O S O P HIE S CIE N TIFIQ U E
assurer par elle-même que le rationnel qu ’ elle énonce est bien celui de la
nature. E lle doit nécessairement s ’ en remettre à l ’ entendement scientifique,
dont la fonction est de « faire descendre l’ universel dans la singularité et
l ’ effectivité empirique»1 , de rechercher comment l ’ être rationnel de la
nature se donne à même la contingence dans l ’ empirie. C ’ est seulement
avec les théories scientifiques que la vérité de la conception philosophique
de la nature sera établie de façon satisfaisante 21. La philosophie de la nature
se rapporte donc à l ’ entendement scientifique dans un double mouvement
de confirmation du philosophique par le scientifique et de fondation du
scientifique par le philosophique, dans un double mouvement indiquant la
double complémentarité de la philosophie et des sciences qui « doivent
travailler main dans la majjt » 3 .
C onformément à la problématique fichté enne, l ’ objet de la fondation
philosophique est un savoir scientifique reconnu en son autonomie. O n a
cependant affaire ici à deux types de fondation irréductibles. L a fondation
hégélienne se distingue tout d ’ abord de la fondation fichté enne par son
contenu. La nature est en effet considéré e che z H egel suivant un point de
vue analogue à celui de la physique spéculative. E lle n ’ est pas considéré e
comme le résultat de l ’ activité de l ’ esprit, mais d ’ un point de vue ré aliste,
comme une ré alité existant hors de l’ esprit (c ’ est l ’ un des aspects de son
extériorité à elle-même). La philosophie de la nature ne recherchera pas dans
la nature la contrepartie du sujet transcendantal, dans les sciences la
simplicité d ’ un principe fondamental, mais elle s ’ engagera au contraire
dans l ’ étude des différentes forces, des différentes lois, des différents procès
qui font toute la diversité des phénomènes naturels. Le caractère irréducti
ble de cette diversité est formulé ontologiquement par la thèse suivant
laquelle la nature est un système de nive aux n ’ admettant pas de passage les
uns dans les autres, et constituant autant de régions qualitativement
distinctes 4 . Approchant la nature comme une ré alité indépendante de
l ’ esprit, animé e par des forces spécifiques, et comme une multiplicité
irréductible, la philosophie hégélienne de la nature adopte un point de vue
analogue à celui de la physique, d ’ où l ’ utilisation de termes quasi-schel-
lingiens: «Nous la trouvons tout d ’ abord dans une ré elle relation à la
1. § 16, rq.
2. V oir par exemple §254, add., W. 9, p. 42 : « Afin de prouver que l’ espace est
conforme à notre concept, nous devons comparer la représentation de l ’ espace avec notre
concept ». Nous reviendrons sur les problèmes posés par ce texte dans le chapitre 4.
3. §246, add., W. 9, p. 20.
4. § 249.
70 U N E N A T U R P HIL O S O P HIE S CIE N TIFIQ U E
1. Phéno.p. 35, Ph.d. G ., p. 11. D ans la lettre à Von R aumer (02/08/1816), après avoir
dénoncé les philosophies qui affirment « que la précision et la variété des connaissances » est
«superflue », H egel soutient « que l ’ enseignement de la philosophie dans les universités ne
peut effectuer c e qu ’ il doit effectuer - l' acquisition de connaissances déterminé es -qu e s ’ il
adopte une démarche méthodique déterminé e, embrassant le détail et instituant un ordre ».
2. Lettre à Von R aumer (02/08/1816).
3. Notons à ce propos que dans la Propédeutique, H egel abandonne la notion de « N atur
philosophie » pour lui substituer celle de « Wissenschaft der N atur », ce qui établit un
parallélisme avec la premièrepartiedu système (WissenschaftderLogik). H egel aurait éga
lement pu établir un parallélisme avec la troisième partie du système en intitulant la seconde
« Philosophie der N atur ». Mais il préféra revenir à « N aturphilosophie ».
4. X. Tilliette , souligne l ’ importance de ce changement de nom, Schelling, Une philo
sophie endevenir.t. l,p. 161, P aris, Vrin, 1992 2 . Q ue l ’ originalité du terme soit, dans l ’ esprit
de Schelling, lié e à l ’ originalité de son projet philosophique, c ’ est ce que l ’ on voit clairement
dans l'introduction de l' E ntwurf(S.Vf. III, p. 280).
5. C ’ est en ce sens qu ’ il loue K ant pour a voir ranimé l ’ idé e de philosophie de la nature
(§ 262, rq.).
72 U N E N A T U R P HIL O S O P HIE S CIE N TIFIQ U E
nouvelle science; certes c ’ est en un sens vrai, mais dans un autre non. C ar
elle est âgé e, aussi âgé e que la considération de la nature (elle ne s ’ en
différencie pas), bien plus âgé e que la physique, de même que par exemple,
la physique d ’ Aristote est largement plus N aturphilosophie que
physique » *. Mais il souligne aussi, dans la phrase qui suit le passage cité,
ce qui rend sa N aturphilosophie irréductible à la forme traditionnelle que
prenait le philosopher sur la nature ; c ’ est la séparation de la philosophie et
des sciences: « C ’ est seulement aux temps modernes qu ’ appartient la
séparation de l ’ une et de l ’ autre. O n constate déjà cette séparation dans cette
science que la métaphysique wolfienne veut distinguer comme cosmologie
de la physique, et qui doit être une métaphysique du monde ou de la nature,
mais qui se limite pourtant à des déterminations d ’ entendement tout à fait
abstraites. C ette métaphysique s ’ est assurément éloigné e bien plus de la
physique que ne l ’ est ce que nous entendons maintenant par N aturphilo
sophie » 21. La N aturphilosophie apparaît comme la réponse philosophique
approprié e à l ’ indépendance des sciences. Le fait de cette indépendance peut
inciter la philosophie à une position de repli dans l ’ abstraction, à un
abandon de la considération de la nature en sa diversité et sa ré alité. H egel
ne mentionne ici que la première forme de cet abandon, celle du repli de la
philosophie wolfienne dans l ’ abstraction métaphysique. Mais cet abandon
peut sans nul doute prendre d ’ autres formes, comme celle du repli dans
l ’ abstraction transcendantale ou celle du repli dans l ’ abstraction méthodo
logique. La philosophie de Schelling, et plus particulièrement la N atur
philosophie qu ’ il élabore, sont manifestement des ré actions contre cet
abandon. C es ré actions ne doivent pas conduire à tenter de supprimer
l ’ indépendance des sciences, mais seulement à inventer les formes du
philosopher concret sur la nature qui sont adéquates à la situation
épistémologique définie par l’ autonomie du savoir scientifique. T el est
l ’ objectif de la N aturphilosophie hégélienne.
U N S Y S T È M E N O N HI É R A R C HI Q U E
1. §16,rç.
2. H eidegger, Schelling, trad. J.-F . C ourtine, P aris, G allimard, 1977, p. 48 sq. D e même,
E . Meyerson compare-t-il les Principia II de D escartes et la Philosophie de la nature
hégélienne (op. cit. , p. 448-449,577 sq.).
74 UNE NATURPHU j O S O PHIE s cie n t i f iq u e
Q u ’ e s t - c e q u ’ u n s y s t è m e?
1. C ette critique de la pensé e hiérarchique est l ’ un des thèmes de la pensé e des Lumières
et elle conduisait à la dénonciation des méthodes de l ’ histoire naturelle conçues comme reflet
de l’ organisation de la société d ’ ancien régime (voir à ce propos l ’ article « C haîne des
êtres » du Dictionnaire philosophique de Voltaire, et les analyses de W. Lepenies, D as E nde
der N aturgeschichte. W andel kulturellerS elbstverstàndlichkeiten in der Wissenschaften des
18. und 19. Jahrhunderts, Munich, H anser V erlag, 1976, p. 47-48).
2. Diderot. Prospectus, in J. d ’ Alembert, Discours préliminaires de l ’ E ncyclopédie,
P aris, Vrin, 1989,p. 133-134,et d ’ Alembert, Discours préliminaires, ibid., p. 60-61, édition
corrigé e, introduite et annoté e par M. Malherbe, P aris, Vrin, 2000.
3. E ncyclopédie, Art. « Philosophie », (fin).
4. D. Diderot, article « E ncyclopédie », p. 43, Prospectus, p. 135.
76 U N E N A T U R P HIL0S0P H1 E S CIE N TIFIQ U E
1. Sur le rapport entre principe et système che z F . Schlegel, voir C . B erner, « Platon et
l ’ esprit de la vraie philosophie. R emarques sur l ’ idé alisme transcendantal de Friedrich
Schlegel vers 1800 », K airos, n° 16,2000, p. 85-106, tout particulièrement, p. 91-93.
2. F . Schlegel, Transcendantalphilosophie (1800-1801 ), H ambourg, Meiner, p. 92.
3. Fragments de l’ Athena eum, inP. Lacoue-Labarthe, J. L. N ancy, L ’ absolu littéraire.
Théorie de la littérature du romantisme allemand. S euil, 1978, p. 104.
4. Transcendantalphilosophie, p. 4 : « Il n ’ est pas ici question de l ’ unité d ’ un système;
car celui-ci n ’ est pas absolu. D ès que quelque chose est un système, il n ’ est pas absolu ».
5. Ibid., p. 94. V oir également p. 100 : « Système est le concept auquel le concept de
principe est opposé ».
6. Fragments de l’ Athena eum, p. 238-239. D ans sa Transcendantalphilosophie,
Schlegel fait d el’ époque de l’ entendement l ’ avenir et la vérité de l ’ époque de la raison, et il
l ’ identifie au nous (p. 13).
7. Transcendantalphilosophie, p. 93.
78 U N E N A T U R P HIL O S O P HIE S CIE N TIFIQ U E
L’ a r t i c u l a t i o n s y s t éma t iq u e
1. L ’ idé e d ’ une égale importance des deux sciences, qui sera affirm é e de façon
explicite dans l ’ introduction du Système de l ’ idé alisme transcendantal (1800), est acquise
dès/'Ê sçuisre(contrairementàceque soutient R. Lauth, op. cit., p. 185). Le premier para
graphe d el’ introductionde [' E squisse, renvoie certes la nature à l ’ activité inconsciente de
l ’ esprit, dans la logique de lafondation de la philosophie de la nature sur la philosophie tra n
scendantale (S. W. III, p. 271). Mais le second paragraphe indique la possibilité du mou
vement inverse, où la philosophie de la nature aurait le rôle de fondement : « was wir
V emunftnennen, ein bloss Spiel hôheren uns notwendig unbekannter N aturkrafte ist » (S.
W .III.p. 273-4).
2. Hist. Phi., t. 7, p. 2056-2057, W. 20, p. 435-436.
3. V. Hôsle, op. cit.,p. 47-49.
4. D. W andschneider, « Letztbegründung und Logik », in H. D. Klein, Letztbegründung
als System, Bouvier, Bonn, 1994, p. 84-103 ; V. Hôsle, op. cit., p. 73-74.
5. V. Hôsle, op. cit., p. 101-123. Le critère censé déterminer que cette entreprise est
effectué e serait, comme che z F ichte, la circularité du système. D. Souche-D agues défend
une interprétation analogue lorsqu’ elle renvoie la critique hégélienne des « principes » au
r U N S Y S T È M E N O N HIÉ R A R C HIQ U E
thème du cercle (voir Le cercle hégélien, P aris, P U F , 1986, p. 66-68). Mais la critique des
principes doit être référé e au terme du cercle de cercles plutôt qu ’ à la simple idé e de cercle.
1. E nc., § 15 (souligné par nous).
2. § 18, rq. : « les différences des sciences philosophiques particulières ne sont que des
déterminations de l ’ idé e elle-même, et c ’ est seulement celle-ci qui s ’ expose en ces éléments
divers ».
3. H. F . F ulda, « G . W. F . H egel », in Hôffe, Klassikerder Philosophie, t. Il, p. 80, et note
15. R epris et développé par B. F alkenburg, Die F orm der Materie,p. 133-139.
4. Principes de la philosophie du droit, § 360.
82 U N E N AT U R P HIL O S O P H1 E S CIE N TIFIQ U E
1. £nc., §213.
2. §215. H egel distingue les «pensé es» qui sont les pensé es d ’ entendement, et les
« déterminations de pensé e ». qui sont ce qui est pensé, que ce soit par l ’ entendement ou par
la spéculation.
3. § 243.
4. § 574-577.
5. § 237 : « C e contenu [de la Logique} est le système du logique. C omme forme, il ne
reste ici à l ’ idé e rien d ’ autre que la méthode de ce contenu, - le savoir déterminé de la valeur
de ses moments ». § 243 : « La science conclut de cette manière en saisissant le concept
d ’ elle-même comme de l ’ idé e pure pour laquelle est l ’ idé e ».
6. Sur le problème controversé du rapport de la Phénoménologie au système, voir les
contributions d ’ H. F . F ulda, D as Problem einer E inleitung in H egels Wissenschaft der Logik,
Francfort, Klosterman, 1965, et de F . F ischbach, Du commencement en philosophie.
p. 139-174.
r
U N S Y S T È M E N O N HIÉ R A R C HIQ U E 83
1. § 574 : Le concept de la philosophie est « l'idé e qui se pense, la vérité qui sait, le
logique avec cette signification qu ’ il est l ’ universalité vérifié e dans le contenu concret
comme dans son effectivité ».
2. Hist. Phi., t. 7, p. 2056-2057, W. 20,435.
3. S.W. III, p. 273-274.
84 U N E NATURPH1LO S O PH1E S CIE N TIFIQ U E
î.M.
2. Hist. Phi., t. 7, p. 2057, W. 2, p. 436. La reconstitution du cours de 1925-1926, donné e
par P. G amiron, est plus claire sur ce point : « C ette identité serait ainsi démontré e comme
étant le vrai, comme résultat, ou selon Jacobi posé e comme conditionné e, comme procédé e
[hervorgegangen]. Mais du fait qu ’ elle est résultat, son véritable sens est cela même, sup
primer l ’ unilatéralité - forme du résultat, être seulement du médiatisé - et par suite,
supprimer à son tour ce médiatiser lui-même, mais elle est tout aussi immédiate qu ’ elle est
médiatisé e » (op. cit., p. 2147).
3. V oirà propos de cette unité, T. F . G éra ets, op. cit., p. 249-230. T. F . G éra ets entend
ces points de vue comme des points de vue que peut adopter le lecteur (ibid., p. 241-242). Un
rapprochement avec la théorie des syllogismes de la Logique indique plutôt que les trois
syllogismes sont les moyens d ’ expliciter des différents types de relations, ou de médiations,
qui sont à l ’ œ uvre dans le système. Il s ’ agit de perspectives ouvertes sur l’intégralité du
système par certaines parties du système.
86 U N E N AT U R P HIL O S O P HIE S CIE N TIFIQ U E
interprété selon une logique qui lui est totalement étrangère, cette fondation
demeurerait radicalement extérieure au discours scientifique1 .
Le lien de la spéculation et de l ’ entendement est pourtant bien pl Us
intime. La philosophie de la nature est essentiellement fondation des
sciences de la nature et cette fondation est essentiellement respectueuse des
structures spécifiques du discours d ’ entendement. Q ue la spéculation et
l ’ entendement soient ainsi liés, c ’ est ce qu ’ implique la définition de la
philosophie comme « exposition du vrai », ou comme exposition du vrai
sous sa forme adéquate 2 . La définition de la philosophie comme expo-
sition provient de Schelling et de l ’ idé e que le philosophe doit se contenter
d ’ observer l ’ auto-construction de l ’ absolu3 . Mais ce thème schellingien est
considérablement modifié, car ce qu ’ il s ’ agit d ’ exposer, ce n ’ est plus une
ré alité absolue se produisant elle-même, mais un discours vrai déjà
constitué 4 . L ’ idé e schellingienne d ’ exposition provient d ’ une réinterpré-
tation métaphysique de la définition fichté enne de la philosophie comme
observation de ce qui est donné à la conscience, comme pure contemplation
de la vie de la conscience 5 . C ’ est avec ces thèmes fichté ens que H egel
renoue lorsqu’ il définit la philosophie comme une exposition. Insistons à
1. C ’ est ainsi que J. T . D esanti, tout en reconnaissant l ’ inform ation des analyses que
H egel consacre au c alcul infinité sim al, déplore que la philosophie tente de dégager p ar elle-
même Je sens des concepts qu ’ elle emprunte aux mathématiques, sans construire son
interprétation sur une théorie spécifique des mathématiques (« Sur le ra pport tra ditionn el des
sciences et de la philosophie », in La philosophie silencieuse, p. 22-69).
2. L a préface de la Phénoménologie fait un usage tout p articulière m e nt inte nsif de la
catégorie d ’ e xposition. Il y est question « de la façon adéquate d ’ exposer la v érité » (Phéno,
p. 27, Ph.d. G ., p. 3), de « l ’ e xposition de la philosophie » (p. 30, 31 ; p. 6, 7), de l ’ exposition
du savoir (p. 41 ; p. 18), de l ’ e xposition du système (p. 37 ; p. 14). L e mot « e xposition » ne
semble plus ensuite re mplir une telle fonction hégémonique, même si H egel en conserve
l ’ usage (voir p ar exemple, W . 5, p. 19). Mais le concept demeure, il est notamment présent
dans l ’ expression « traitement scie ntifiqu e » : « L e point de vue essentiel tie nt à ce qu ’ on
a affaire en général à un concept nouve au du traitement scie ntifiqu e » (Log. I, p. 6, W . 5,
p. 16).
3. Du vrai concept de la philosophie de la nature et de la bonne manière d ' en résoudre les
problèmes, in La liberté humaine, P aris, Vrin, 1988, p. 84: «J e ne regarde que l ’ auto-
construction du sujet-objet ».
4. M. Theunissen a entrepris dans S ein und Schein, Die kritische F unktion des
H egelschen Logik, d ’ interpréter la philosophie hégélienne à p artir du concept d ’ exposition
entendu en ce sens (voir tout p articulière m e nt, p. 13-15). L ’ interprétation que nous pro
posons se distingu e de la sienne dans la mesure où elle refuse la thèse suivant la qu elle F expo
sition de la v érité est distincte de l ’ exposition critiqu e (voir p ar exemple, p. 38-40). O n
trouv era une étude du concept hégélien d ’ exposition che z L. B.Puntel, D arstellung,
Méthode und Struktur. Untersuchungen zur E inheit der systematischen Philosophie
G . W. F . H egels, H egel-Studien, B e h eift 10, 1973, p. 29-47.
5. F ichte, O C P P, 265-266. A ce propos, F ichte parle p arfois lui-même d ’ « e xposition »
(E ssais, p. 65, F . V K, 1, 2, p. 76).
C RITIQ U E E T F O N D A TIO N DIAL E C TIQ U E 89
1. La philosophie prétend exposer « le vrai dans la forme du vrai », « le vrai qui est dans
la figure du vrai » (Phéno., p. 51, Ph.d. G . , p. 29). E t ainsi peut-elle espérer donner à la vérité
«son existence », « en posant la vraie figure de la vérité » (p. 30, p. 6). C es textes, par le
redoublement qu ’ ils font du concept de « vrai », et par la distinction qu ’ ils font entre vérité et
vrai, indiquent qu ’ il peut y avoir d ’ autres expositions du vrai et que la déduction de la vérité
n ’ est pas la genèse du vrai. Ils doivent être rapprochés des thèses suivant lesquelles la pensé e
philosophique ne peut s ’ exercer que sur une pensé e rationnelle (Lettre à Von R aumer,
02/08/1816) et qu ’ elle présuppose la décision de prendre la pensé e pour objet (E nc., § 17).
Notons par ailleurs qu ’ à l ’ occasion, H egel n ’ hésite pas à employer le vocabulaire fichté en
des deux séries (E nc., § 387, add., p. 401).
2. Phéno., p. 29, Ph.d. G ., p. 5.
C h a pi t r e p r e mi e r
S P É C UL E R D A N S E T P A R L ’ E N T E N D E M E N T
première apparition significative che z Schelling, dans les Leçons sur les études académiques
(voir F . F ischbach, « Dialogue et dialectique che z Schelling : Platonisme et a nti
hégélianisme », K airos, n° 16,2000,p. 129-152).
1. F . Schlegel, Transcendentalphilosophie, p. 92-93.
2. F . Schleiermacher, Dialectique (1814-1815), § 11,45,57-62.
3. Phéno., p. 52, Ph.d. G ., p. 30.
4. W. 11, p. 318.
5. E nc., § 82.
6. V oir sur ce point G . G érard, Critique et dialectique. L ’ itinéraire de H egel à léna,
Bruxelles, Publications des F acultés universitaires S aint-Louis, 1982, p. 319-327,333-337.
S P É C UL E R D A N S E T P A R L ’ E N T E N D E M E N T 93
Le s mo d è l e s d e l a spé c u l a tio n
1. E nc. § 8l,add.
2. Log. I,p. 15, W. 5,p. 40.
3. E nc„ § 2.
4. C ’ est Je point de vue défendu par exemple par G . Lebrun, dans La patience du
concept, P aris, G allimard, 1972.
5. Critique de la raison pure, A 247, B 303.
S P É C UL E R D A N S E T P A R L'E N T E N D E M E N T 97
1. Log. I, p. 2].
2.Ibid., p. 16.
3. E nc., § 24. Sur le rapport de la logique, de la logique transcendantale et de la
métaphysique, voir B. Bourgeois, « Présentation », m La Science de la Logique, p. 73 sq., voir
également A. Doz, La Logique de H egel et l' ontologie, p. 13-22, et B. Longuenesse, H egel et
la critique de la métaphysique, P aris, Vrin, 1981.
4. Phéno., p. 42,48 ; Ph.d. G ., p. 19,27.
5. C ’ est l ’ interprétation (fichté enne) que défend A. Lécrivain, « Le procès logique et la
signification du spéculatif », in P. V erstra eten, H egel aujourd ' hui, P aris, Vrin, 1995, p. 29-
52, voir en particulier, p. 33-34. V oir aussi A. Stanguennec, H egel critique de K ant, P aris,
P U F , 1985, p. 75-78. O n peut également voir dans la spéculation le mouvement de la genèse
de l ’ absolu lui-même, comme Schelling dans ses Leçons sur l ’ histoire de la philosophie.
6. V oir par exemple D. W andschneider, « N atur und N aturdialektik im objektiven
Ide alismus H egels », in K. G loy, P. Burger, Die N aturphilosophie im D eutschen Ide alismus,
Stuttgart-B ad C annstadt, Fromman-Holzboog, 1993, p. 267-297, tout particulièrement
98 C RITIQ U E E T F O N D A TIO N DIAL E C TIQ U E
p. 278-286. Toute tentative d ’ élaborer une logique dialectique ne conduit pas forcément à
cette interprétation génétique. Ainsi D, Dubarle distingue-t-il le dynamisme de la pensé e
spéculative du formalisme logique dans lequel on peut l ’ exprimer, voir « Logique form a
lisante et logique hégélienne », in J. D ’ Hondt, H egel et la pensé e moderne, P aris, P U F , 1970,
p. 113-159,ici p. 113-114; voir également T. K esserling, Die Produktivitàt der Antinomie.
H egels Dialektik im Lichte der G enetischen Erkenntnistlieorie und der formalen Logik,
Francfort, Suhrkamp, 1984.
1. O p. cit., p. 85-86.
2. Phéno.,p. 49, Ph.d. G ., p. 27.
3. W. 5, p. 20,25-27; voir aussi P/téno., p. 6b,Ph.d. G .,p. 43.
4. W. 5, p. 27.
5. Eric., § 246, add., W. 9, p. 20; Hist. Phi., Intro., W. 18, p. 77 - texte absent de la
traduction G ibelin.
6. W. 5, p. 27, voir également E nc., § 246, add. , W. 9, p. 20 : « toute conscience cultivé e
a sa métaphysique [i.e. ses déterminations de pensé e universelles], le penser instinctif, la
S P É C UL E R D A N S E T P A R L ’ E N T E N D E M E N T 99
puissance absolue en nous, dont nous ne pouvons devenir maîtres que si nous en faisons
l ’ objet même de notre connaissance ».
1. E nc., § 60, fin de la remarque.
2. Hist. Phi., t. 6, p. 1269, W . 20, p. 79 : « L ’ exigence de connaître a priori, qui veut que
la philosophie construise à p artir d ’ elle-même, cette exigence est reconstruction ».
3. V oir à ce propos B. Bourgeois, « La spéculation hégélienne », in É tudes hégéliennes,
raison et décision, P aris, P U F , 1991, p. 87-109.
4. Ibid.,p. 92,98.
5. W. 5, p. 21; §467.
6. W. 5, p. 20,22.
100 C RITIQ U E E T F O N D A TIO N DIAL E C TIQ U E
1. V oir par exemple E . E . H arris, « H egel and the N atural Science », in F . W eiss,
B eyond E pistemology, La H aye, M. Nijhoff, 1974, p. 129-153, et M. J. P etry, « H e g el’ s
Dialectic and the N atural Science», in H egeljahrbuch 1974, p. 462-465, qui, partant de
l ’ interprétation réflexive de la spéculation contestent qu ’ il y ait une dimension « épistémo
logique » dans la philosophie de la nature.
2. C ’ est à cette interprétation que conduisent les thèses soutenues par G . Lebrun (op.
cit.), qui fait consister la spéculation en une traduction du savoir d ’ entendement dans un autre
langage, où les significations seraient dégagé es de la finitude du penser représentatif.
3. C ’ est en d éfinitiv e cette interprétation que soutient M. Theunissen, qui affirme certes
que l ’ exposition critique de l ’ entendement dépend de son interprétation au moyen d ’ un idé al
gnoséologique (une conception de la vérité comme indifférenciation du relié et du reliant,
S ein undSchein, Zur kritischen F unktion der H eglschen Logik, Francfort, Suhrkamp. 1978,
op. cit., p. 45), mais qui fonde en fait cette conception de la vérité dans une métaphysique de
la liberté et une théologie de l ’ amour (p. 44). Lorsqu’ il rapproche la démarche spéculative
de la mise en œ uvre « d ’ une véritable ‘ conscience herméneutique’ », P.-J. Labarrière tente
de concilier ces deux interprétations, voir par exemple « H egel, ou la “logique en action” », in
P. V erstra eten, H egel aujourd’ hui, p. 53-62, p. 57.
S P É C UL E R D A N S E T P A R L ’ E N T E N D E M E N T 101
/ ' esprit, où H egel insiste sur l ’ insuffisance de tout jugement extérieur aux
différentes figures de la conscience, où il exige que leur vérité soit évalué e à
partir des règles qu ’ elles considèrent elles-mêmes comme des nonnes de la
vérité *. C ’ est pourquoi il nous semble préférable de privilégier à une telle
interprétation réflexive une interprétation de la spéculation comme auto
critique de l ’ entendement. Q ue la spéculation soit telle, c ’ est ce qu ’ incite à
penser les paragraphes 80, 81 et 82 de l ’ E ncyclopédie. O n proposera donc
un bref commentaire de ces textes.
A u seuil de la Logique, livrant une première explicitation de la
démarche qu ’ il suivra par la suite, H egel explique que le logique comporte
trois moments (§ 79), le moment de la pensé e d ’ entendement (§ 80), celui
du moment dialectique ou du négativement rationnel (§ 81), et celui du
spéculatif ou du positivement rationnel (§ 82). E n faisant de l ’ entendement
un moment du procès spéculatif, mais l ’ un des moments seulement, H egel
semble donner raison à l ’ interprétation réflexive. C es paragraphes témoi-
gnent pourtant des faiblesses de cette interprétation, carie savoir spéculatif
ne se contente pas de trouver dans l ’ entendement les concepts dont il
démontre la nécessité, il trouve aussi dans l ’ entendement les relations qui
unissent ces concepts les uns aux autres. Il importe de relever le fait : H egel
ne conçoit pas seulement l ’ entendement comme la faculté de fix er le ré el
sous des concepts. Si l ’ entendement est conceptualisant, il est aussi
juge ant et raisonnant21. Plus que par la simple position des concepts, H egel
d éfinit l ’ entendement comme l ’ activité de juger, c ’ est-à-dire comme un
pouvoir de liaison des concepts les uns aux autres associant sujet et prédicat
dans des propositions. Les rapports des concepts dans le jugement sont des
rapports d ’ universel à particulier, et c ’ est précisément ce type de rapports
que la spéculation reproduit en elle lorsqu ’ elle développe le mouvement
spéculatifqui conduit d ’ un concept universel à son contenu en tant qu ’ il se
donne sous la forme d ’ un concept particulier et d ’ un concept singulier. D e
ce fait, le mouvement du concept apparaît comme un mouvement déjà
produit par l ’ entendement. L ’ entendement met déjà en mouvement les
concepts lorsqu ’ il les met en relation les uns avec les autres, et si la
spéculation est auto-mouvement, ou auto-engendrement, c ’ est qu ’ elle
démontre la rationalité de ce mouvement. H egel l ’ indique en écrivant que
« laconformité à l' entendement [ V erstandigkeit] est un devenir, et [qu ’j en
tant que devenir, elle est la conformité à la raison [ V emunftigkeit] » 3 .
1. § 81 et rç.
2. § 81, rq.
3. Sur ce point, voir Log. I, p. 6,14, W. 5, p. 16-17,39; § 467, add.
4. O n ne peut donc suivre A . Léonard lorsqu’ il considère que ces trois paragraphes
correspondent à la pensé e d ’ entendement, à (a pensé e dialectique et à la pensé e rationnelle,
tout en affirmant qu ’ elles sont séparé es les unes des autres (C ommentaire littéral de la
Logiquede H egel, P aris, Vrin, 1974, p.24-31). Il ne s ’ agit pas de trois espèces de pensé e,
mais de trois moments de la pensé e spéculative.
5. E nc. § 238, rq.
104 C RITIQ U E E T F O N D A TIO N DIAL E C TIQ U E
1. W. 11, p. 248-249.
2. Hist. Phi., Intro., 1.1, p. 183-192, W. 18, p. 76-81 ; Sur l ’ idé e que la philosophie doit
être apprise, voir la lettre à von R aumer, 02/08/1816, et le texte de la Phénoménologie cité
dans les notes suivantes.
3. Phéno., p. 35, Ph.d. G . , p. 11.
106 C RITIQ U E E T F O N D A TIO N DIAL E C TIQ U E
R e p r é s e n t a t i o n, e n t e n d e m e n t, r a is o n, s p é c u l a t i o n
pensé e non spéculative, elles se recouvrent lorsqu ’ elles sont prises en leur
sens large, mais elles se distinguent suivant leur sens restreint.
S ’ agissant de l ’ entendement, la situation est particulièrement embrouil
lé e car la notion peut désigner soit une figure de la conscience, soit une
forme du penser. Lorsque H egel identifie sciences positives et savoir
d ’ entendement, c ’ est au sens de la forme de penser et non de la figure de la
conscience. Aussi est-ce à l ’ élucidation de cette seconde acception que nous
nous attacherons principalement. L ’ entendement se caractérise alors
comme un pouvoir d ’ abstraction et de séparation *. C ette abstraction et cette
séparation doivent elles-mêmes être entendues en deux sens. D ’ abord en un
sens génétique : l ’ entendement apparaît alors comme l ’ activité de l ’ esprit
subjectif qui produit le savoir par abstraction et par analyse d ’ un donné
intuitif et représentatif. Mais aussi au sens de la constitution du savoir :
l ’ entendement se caractérise alors par une certaine organisation du savoir,
marqué e par le rôle qu ’ y jouent la séparation des concepts et leur extériorité
aux liaisons qui les unissent.
Au sens génétique du terme, en tant qu ’ activité de l ’ esprit subjectif,
l ’ entendement est ce qui fait que «l ’ intérieur, l ’ universel, le vrai» est
« produit de mon esprit » 21. C e qu ’il y a d ’ essentiel dans le ré el ne se donne
pas immédiatement à la conscience, il ne peut au contraire apparaître que si
« quelque chose est changé dans la manière selon laquelle le contenu est
tout d ’ abord dans la sensation, l ’ intuition, la représentation»3 . 4 C ette
activité relève d ’ une pensé e réflexive (N achdenken)* qui s ’ applique aussi
bien à la production des concepts qu ’ à celle de leurs relations discursives.
C ’ est la production des concepts que désigne le plus expressément les
notions d ’ abstraction et de séparation. L ’ intuition et la sensation se rap
portent à un ré el toujours change ant, sans détermination fix e , et par là
même quasiment indifférencié. L ’ entendement procède au contraire à la
fix ation du ré el sous des concepts strictement distingués les uns des autres.
E n cela, l ’ entendement est différenciation ou séparation5 , et il est aussi ab
straction, car l ’ intuition ne portait que sur des singuliers : en fixant
l ’ empirie sous des concepts, l ’ entendement fait abstraction des caracté
ristiques contingentes de la ré alité pour n ’ en retenir que les aspects
essentiels et leur donner la forme de l ’ universalité 6 . C ette activité qui
produit l ’ universel par abstraction est productrice des concepts ’ , et elle est
également à l ’ origine des relations que l ’ entendement établit entre les
concepts. D ans l ’ intuition, les différents phénomènes apparaissent liés les
uns aux autres de multiples façons. L ’ entendement, après avoir séparé les
différents aspects du ré el unis les uns aux autres dans la ré alité perçue, les
réunit en établissant entre les concepts des relations universelles, celle de la
cause et de l ’ effet, celle de l ’ universel et du p articulier... 2 .
Lorsqu ’ elle est utilisé e au sens d ’ une forme de la pensé e et non plus
d ’ une genèse de la pensé e, la notion d ’ entendement désigne le savoir
structuré par la séparation et l ’ abstraction dont il vient d ’ être question. Le
savoir d ’ entendement se caractérise alors par sa finitud e et son caractère
formel. L ’ entendement, nous l ’ avons dit, ne se contente pas de maintenir
les différents concepts dans leur fixité et dans leur séparation. Il les relie
aussi par des relations universelles. Si l ’ entendement reste cependant
caractérisé par la séparation de ses déterminations de pensé e, c ’ est qu ’ il
interprète les relations comme extérieures aux déterminations de pensé e
qu ’ elles unissent3 . L ’ entendement unit les concepts les uns aux autres,
1. Le fait que la pensé e soit présenté e comme le troisième moment de l ’ esprit subjectif
(théorique) (§ 465-468) signifie bien qu ’ il y a une genèse psychologique de la pensé e. D ans
le deuxième additif du § 163, H egel semble rejeter la problématique de la genèse psycho
logique des concepts : «R elativement à la discussion - usuelle dans la Logique d ’ enten
dement - concernant la naissance et la formation des concepts, il y a encore à remarquer que
nous ne formons pas du tout des concepts et que le concept, en général, ne peut pas du tout être
considéré comme quelque chose qui est né ». C e que H egel dénonce ici n ’ est toutefois pas
l ’ idé e d ’ une genèse psychologique des concepts, mais l ’ idé e d ’ une production des concepts
à p artir de F infra-conceptuel, comme le contexte l’ indique : « 11 est absurde d ’ admettre qu ’ il
y aurait d ’ abord les objets qui forment le contenu de nos représentations, et qu ’ ensuite, après
coup, surviendrait notre activité subjective qui, moyennant l ’ opération (...) de l ’ abstraction
et du rassemblement de ce qu ’ il y a de commun aux objets, formeraient les concepts de ceux-
ci. Le concept est bien plutôt ce qui est véritablement premier ». H egel s ’ en prend ici au
modèle de la genèse empiriste de la pensé e. D ’ après lui, l ’ intuition est toujours déjà pénétré e
de pensé es (ne serait-ce que par l ’ intermédiaire de «l ’ instinct logique» qui structure le
langage, § 459, rq.), et elle est toujours prédéterminé e par le contenu logique des pensé es. Il y
a bien né anmoins une émergence de la pensé e à partir de l ’ intuitionné, émergence qui ne doit
pas être conçue suivant le modèle de la dérivation, mais de la transformation (sur ce point,
chap. 8, § 3), et qui doit né anmoins être comprise comme une explicitation (ainsi la re pré
sentation est elle définie comme un « se souvenir » dans le § 449, ainsi la pensé e est-elle
définie comme une « re-connaissance » dans le § 465). Il n ’ y a pas de production de la
pensé e au sens où la pensé e est déjà dans l’ empirie, mais il y a élaboration de la pensé e au
sens où elle n ’ est encore présente dans l’ empirie que sous la forme de son autre et qu ’ elle ne
peut devenir pensé e explicite qu ’ au terme d ’ un processus d ’ abstraction. L ’ esprit est bien
«élaboration» ici, et «l ’ esprit est essentiellement élaboration en tant qu ’ élaboration de
quelque chose d ’ autre » (Hist. Phi., t. 6, p. 1269, W. 20, p. 80).
2. § 20, rq.
3. §461,add.
S P É C UL E R D A N S E T P A R L ’ E N T E N D E M E N T 111
1. § 466 et add.
2. §25.
3. § 25 ; § 28, add. ; W. 5, p. 28-30.
4. § 28, add.
5. W. 5, p. 30 (H egel explique ce qu ’ il entend par une telle reconstruction dans la
remarque du paragraphe 162). Il ne semble pas que tel ait été le cas dans les premières
anné es d ’Iéna, où H egel semble envisager le passage de l ’ entendement à la raison comme un
processus exige ant l ’ abandon des déterminations finies d ’ entendement (G . G érard, op. cit.,
p. 319 sq.). C ette position, sur laquelle semblent s ’ accorder alors Schelling et H egel, est
l ’ objet d ’ une critique dans la Logique (Log. III, p. 153-155, W. 6, p. 351-353), lorsque H egel
dénonce l ’ idé e d ’ une raison qui décrirait l ’ absolu sans l ’ exprimer dans les rapports syllogis
tiques caractéristiques de ce qu ’ il appelle la «raison form elle » et qui relève de
l ’ entendement.
112 C RITIQ U E E T F O N D A TIO N DIAL E C TIQ U E
1. Eric., § 443-445.
2. §451.
3. § 464. rq. : « la mémoire, en tant que telle, est elle-même le mode seulement extérieur,
le moment unilatéral, de l ’ existence de la pensé e ».
4. § 20, rç.,§ 454.
5. §456.
6. §451 et 453 add.
7. § 455 et rq.
S P É C UL E R D A N S E T P A R L'E N T E N D E M E N T 117
au contraire dans ses concepts des formes grâce auxquelles il est possible de
saisir 1 ’ essence du ré el1.
La représentation et l ’ entendement diffèrent donc du point de vue des
rapports du sujet et de l ’ objet. Ils diffèrent en outre du point de vue de la
forme du savoir. Le contenu élaboré par la représentation reste dans la plus
grande séparation possible, et ses différentes déterminations restent isolé es
les unes des autres. C omparé à la représentation, l ’ entendement consiste en
une indéniable unification de ce contenu. Alors que les images de la
représentation, existant par elles-mêmes, ne sont lié es qu ’ extrinsèquement
les unes aux autres, les pensé es de l ’ entendement sont toujours prises dans
des rapports de subsomption et dans les jeux de renvois hors desquels elles
n ’ ont aucun sens 21. ,
La représentation se distingue enfin de l ’ entendement par son contenu.
H egel entend en effet par pensé e le savoir en sa dimension conceptuelle, et
il oppose cette dimension conceptuelle du savoir à la dimension sensible et
intuitiv e constitutive du contenu représentatif. F ixer les concepts en leur
dimension conceptuelle, purifier le contenu conceptuel mêlé à un contenu
intuitif p arla représentation, élever la représentation à la pensé e 3 , telles
sont précisément les tâches de l ’ entendement.
Il n ’ en demeure pas moins que, malgré son opposition à la pensé e, et
donc à l ’ entendement, la représentation peut parfois désigner le tout de la
pensé e non spéculative. Q uant à la forme, les défauts de l ’ entendement, ce
par quoi l ’ entendement s ’ oppose à la spéculation, sont aussi les défauts de
la représentation, celle-ci se caractérisant par une accentuation de la finitude
et du formalisme de l'entendement. Q uant au contenu, il convient certes de
distinguer plus rigoureusement ces deux modalités du connaître, puisque
che z Lune, il est strictement lié au donné sensible de l’ intuition, alors que
che z l ’ autre, il est formulé à partir de la dimension conceptuelle du savoir.
Mais si, en droit, cette distinction est d ’ une valeur absolue, H egel admet
qu ’ il est souvent difficile , en fait, de distinguer ce qui relève de la repré
sentation et ce qui relève de la pensé e 4 : le contenu conceptuel du savoir se
donne mélangé au contenu intuitif. A u demeurant, l ’ entendement ne
semble pas toujours parvenir à bout de son travail de fixation des concepts
en leur pure dimension conceptuelle. E n outre, l ’ intuition et la représen
tation voient toujours leur contenu déterminé par les formes de la pensé e.
H egel l ’ indique très clairement pour l ’ intuition : « La connaissance achevé e
n ’ appartient qu ’ à la pensé e pure delà raison qui conçoit' , et seul celui qui
s ’ est élevé à cette pensé e possède une intuition vraie complètement
déterminé e ; che z lui, l ’ intuition constitue seulement la forme massive en
laquelle la connaissance pleinement développé e se concentre à nouve au»1 .
Il s ’ agit d ’ ailleurs de l ’ illustration d ’ un principe général : dans la philo
sophie de l ’ esprit, « le supérieur se montre déjà empiriquement présent »
dans les moments inférieurs2 . C e qui est vrai de l ’ activité de l ’ esprit en
général est aussi vrai de ces activités particulières de l ’ esprit théorique que
sont l ’ intuition, la représentation et la pensé e. H egel y insiste, elles ne
constituent pas trois facultés, mais les différentes modalités de l ’ appro
priation de l ’ obje ctivité par l ’ esprit, ou les différents moments de l ’ activité
du connaître: «elles n ’ ont aucun autre sens immanent, leur but est
simplement le concept du connaître ». E n soutenant que ce que 1 ’ on prend à
tort pour différentes facultés de la connaissance ne sont en fait que les
différents moments d ’ une même activité cognitive, H egel soutient à la fois
que l ’ intuition, la représentation et la pensé e visent une même fin, et
qu ’ elles se présupposent réciproquement. Le supérieur suppose l ’ inférieur
dans la mesure où il connaît un contenu déjà élaboré dans les formes
inférieures : lapensé e d ’ entendement sera donc définie comme «reconnais
sance» 3 , 4 elle n ’ a de ré alité qu ’ en tant que connaissance d ’ un contenu
préparé à la pensé e par la représentation. L ’ inférieur présuppose le supérieur
dans la mesure où il ne peut atteindre sa fin que par l ’ action en retour du
supérieur sur lui. L ’ intuition vise déjà la connaissance, mais elle ne
parvient à l ’ atteindre sous la forme qui lui est propre qu ’ une fois structuré e
par les formes logiques de la pensé e : « la satisfaction vraie - on l ’ accorde-,
seules peuvent la procurer une intuition pénétré e d ’ entendement et d ’ esprit,
une représentation rationnelle, des productions de l ’ activité de l ’ imaginaire
qui sont pénétré es de raison, qui représentent des idé es, etc., c ’ est-à-dire
une intuition, une représentation, qui connaissent. L e vrai qui est attribué à
une telle satisfaction réside en ce que l ’ intuition, la représentation, etc.,
sont présentes, non pas isolément, mais seulement comme moments de la
totalité, du connaître lui-même » “.
Lorsque H egel exige une confrontation de la spéculation avec la
représentation, c ’ est qu ’ il prend la notion au sens large, lorsqu ’ il la juge
impossible, c ’ est qu ’ il prend la notion en son sens restreint. Si les notions
d ’ entendement et de représentation sont prises en leur acception la plus
2. § 380.
3. § 465 : « L ’ intelligence, en son être reconnaît' , elle connaît une intuition pour autant
que celle-ci est déjà la sienne [représenté e] ».
4. § 445, rq. (fin).
S P É C UL E R D A N S E T P A R L ’ E N T E N D E M E N T 119
générale, on peut tout aussi bien parler d ’ une confrontation avec l ’ enten
dement que d ’ une confrontation avec la représentation. Si elles sont prises
en leurs acceptions les plus restrictives, il n ’ est plus possible que de parler
d ’ une confrontation de la spéculation avec l ’ entendement. O n peut donc
conclure que la pensé e spéculative peut et doit se confronter à l ’ enten
dement et à la représentation, et qu ’ en d éfinitiv e , iln ’ y apas de solution de
continuité entre ces trois formes de connaissance. C ertes, dans le contenu
représentatif stricto sensu, le contenu conceptuel de l ’ entendement peut très
bien être présenté sous une forme défiguré e (il peut ne plus relever que
d ’ une « métaphore » 1 de pensé e et de concept), mais il est né anmoins bien
présent. C ertes, l ’ entendement ne parvient pas toujours à épurer asse z le
contenu logique de sa gangue représentative, et c ’ est pourquoi c ’ est parfois
à la spéculation elle-même qu ’ il revient de transformer la représentation en
pensé es 21, mais il parvient né anmoins à fix er le sens des concepts et à
structurer les propositions et les théories en fonction de leur contenu
logique. Il ne reste plus alors à la spéculation qu ’ à transformer les pensé es
d ’ entendement en pensé es spéculatives (en concepts) en explicitant la
dimension conceptuelle de la pensé e 3 . C ’ est donc bien essentiellement que
la spéculation est transformation de la représentation en pensé es, et des
pensé es en concepts, et c ’ est tout aussi essentiellement que la spéculation
est retour du concept aux pensé es et à la représentation. E n tant que forme
supérieure de la pensé e, elle est reconnaissance ; immédiatement : elle est
reconnaissance de l ’ entendement par la spéculation ; médiatement : elle est
reconnaissance de la représentation par l ’ entendement, de l ’ intuition p arla
représentation.
1. §3, rq.
2. H egel souligne la difficulté de la transformation des représentations en pensé es
{Log. III, p. 45, W . 6, p. 254), et il en fait l ’ une des difficulté s spécifiques des œ uvres philo
sophiques (§ 3, rq.).
3. E nc., § 465, add. : « au nive au de la représentation, l ’ unité du subje ctif et de l ’ obje ctif
(...) reste encore quelque chose de subjectif, - par contre, dans la pensé e, cette unité reçoit la
forme d ’ une unité aussi bien objective que subjective, puisque la pensé e se sait elle-même
comme la nature de la chose (...). Il faut pourtant bien distinguer si pensant nous le sommes
seulement, ou si nous nous savons aussi en tant que pensants. L e premier cas, nous le ré alisons
en toute circonstance; le dernier cas, par contre, ne se ré alise d ’ une manière achevé e que
lorsque nous nous sommes élevés à la pensé e pure (...). Assurément, la pensé e ne doit pas
demeurer une pensé e abstraite, formelle - car celle-ci déchire le contenu de la vérité -, mais
il lui fa ut se développer en pensé e concrète, en connaissance concevante ».
C h a pi t r e ii
U N C O N C E P T U A LIS M E
1. Eric., § 79 et rq.
2. G . B achelard a employé la notion de conceptualisme pour décrire sa position
philosophique, tout en étant conscient de la nouve auté de l ’ usage qu ’ il faisait de la notion {Le
rationalisme appliqué, P aris, P U F , 1949, p. 147). La notion est prise ici en un sens proche.
122 C RITIQ U E E T F O N D A TIO N DIAL E C TIQ U E
L o g i q u e, p s y c h o l o g ie e t é pis t ém o l o g ie d u c o n c e p t
1. Log. III, p. 44, W . 6, p. 252. O n trouv e che z G . B a ch elard une re m arqu e semblable, à
propos de la psychologie : « s ’ il est un traité n é glig é dans les traités de psychologie , c ’ est bie n
c elui qui traite du conc e pt » (op. cit., p. 145).
2. Log. III, p. 374, W . 6, p. 555 : « U n tel simple [l ’ interprétation du conc e pt comm e
qu elqu e chose de simple] est une simple opinion qui a son fond e m e nt seulement dans une
absence de conscience de ce qui est en f a it pré s e nt ».
3. C es thèses conc ern a nt la nature du conc e pt sont soutenues à propos du conc e pt
scie ntifiqu e p ar B a ch elard dans Le R ationalisme Appliqué, p. 144-150. B a ch elard consid ère
comm e H e g el que les concepts sont le lie u de l ’ émergence du s a voir. M ais il s ’ écarte de
H e g el lorsqu’ il f ait de l ’ émergence du s a voir une propriété du seul conc e pt scie ntifiqu e et
qu ’ il oppose le conc e pt scie ntifiqu e au conc e pt non scie ntifiqu e . L ’ é pisté mologie fra nç ais e
se ré cla m e d ’ une é pisté mologie du concept, depuis la d ernière page de Sur la logique et la
théorie de la science d e J. C a v aillè s, dont l ’ inspiration hégélienne est ind é nia ble (il y est
question d ’ «un progrè s [qui] ne soit pas a ugme ntation de volum e p ar juxta position,
l ’ a ntérie ur subsistant avec le nouve au, mais ré vision p erp étu elle p ar a pprofondiss e m e nt et
rature », il y est dit de la conscie nc e qu ’ elle « e st chaque fois dans l ’ imm é diat de l’idé e,
perdue en elle et se p erd a nt avec elle », et C a v aillè s conclut : « C e n ’ est pas une philosophie
de la conscience mais une philosophie du conc e pt qui p e ut donn er une doctrin e de la scie nc e .
L a nécessité g é n ératric e n ’ est pas c elle d ’ une a ctivité , mais d ’ une diale ctiqu e »). Il nous
semble peu conv ainc a nt de nier l ’ inspiration hégélienne de ces formulations sous préte xte
que C a v aillè s se d éfiait de H e g el (H . Sinac œ ur, Je an C availlès. Philosophie. M ath é
matiques, p. 118) - notons d ’ aille urs qu ’ il re court à lui dans sa critiqu e de K a nt (p. 5). O n
refus e é g aleme nt le ra pproch e m e nt de H e g el et de C a v aillè s che z les h é g élie ns
(J. H yppolite , Logique et existence, p. 64-65). C he z certains épistémologues, on semble
U N C O N C E P T U ALISM E 123
vouloir à tout prix refuser qu ’ il y ait un lien entre H egel et une épistémologie du concept de
C availlès : « la porté e de la proposition formulé e par C availlès reste liminaire. Q ue fa ut-il
entendre par « concept »? L a question reste entière. Les analyses qui précèdent montrent le
risque que courait l'épistémologie à prendre le mot en un sens strictement hégélien»
(J. T . D esanti, La philosophie silencieuse, p. 62-63). Sur la proximité de certains thèmes
hégéliens avec ceux de l ’ épistémologie française, voir E . R enault, article « Diale ctiqu e », in
D. Lecourt, Dictionnaire d ’ histoire et de philosophie des sciences.
1. C ette théorie traditionnelle du concept, qui se caractérise par le fait qu ’ elle d éfinit les
concepts par l ’ abstraction et par l ’ opposition de leur extension et de leur compréhension,
trouv e notamment son expression dans la Logique de Port-Royal (A m a uld et Nicole, La
Logique ou l ’ art de penser, P aris, Vrin, 1993, p. 55-59).
2. V oir à ce propos la remarque du chapitre consacré au concept p articulier, Log. III,
p. 84-91, W . 6, p. 288-296.
3. § 463.
4. § 458-459.
5. § 464.
6. D ans la P atience du C oncept, G . Lebrun voit dans la philosophie hégélienne le résultat
d ’ un refus des règles habituelles du partage du sens (voir par exemple, p. 301-303, 316-317).
C ’ est une interprétation semblable qui guide l ’ analyse que B. Q uelquejeu donne du para
graphe 464 : « Impossible de penser sans les mots disions-nous ; il nous faut dire maintenant :
impossible de penser avec les mots, des mots importés, ceux qui nous viennent d ’ une culture.
124 C RITIQ U E E T F O N D A TIO N DIAL E C TIQ U E
de notre passé. P arler en pensé es, c ’ est engager une lutte permanente, où il faut se servir des
mots sans s ’ y asservir, penser avec eux mais aussi contre eux. C ’ est tenter de refaire une
sémantique où l ’ intelligence pensante règne totalement confère aux mots leur sens et leur
signification » (La volonté dans la philosophie de H egel, P aris, S euil, 1973, p. 170).
1. V oir à ce propos l ’ étude d ’ A. Koyré, « Note sur la langue et la terminologie hégé
lienne », in É tudes d ’ histoire de la pensé e philosophique,P aris, G allimard, 1971, p. 191-224.
2. E nc., § 449, add.
3. V oir les « Méditations sur la connaissance, la vérité et les idé es » (in O puscules
philosophiques choisis, trad. P. Schrecker, P aris, Vrin, 1978, p. 9-16), où Leibniz s ’ en prend
à l ’ impossibilité de l ’ idé e de «mouvement le plus ra pid e » (p. 12-13), et le §33 de la
Monadologie, qui soutient que les vérités nécessaires sont analytiques.
U N C O N C E P T U ALISM E 125
1. W. 5, p. 21.
2. §261,r? .
3. § 16, rq.
U N C O N C E P T U ALISM E 129
Le c o n c ep t e t l es c oncept s
Tout concept est défini par l ’ articulation de deux contenus de pensé e qui
se rapportent l ’ un à l ’ autre comme l ’ universel au particulier et qui
entretiennent l ’ un avec l’ autre un rapport de négation. Si l ’ on se réfère au
concept d ’ espace en guise d ’ illustration, on dira que ces deux contenus de
pensé e correspondent d ’ une part au moment de l ’ homogénéité quantitative
(F «indifférence sans médiation», «purement continue»), d ’ autre part à
celui de la «différence» et de l ’ extériorité («l’ être extérieur à soi»)
naturelle 3 . L ’ homogénéité quantitative constitue le moment universel,
l ’ élément par lequel sont déterminé es la différence et l ’ extériorité; ce
moment universel est nié par la discontinuité que suppose l ’ extériorité des
différentes déterminations spatiales. H egel considère certes qu ’ il existe un
troisième moment du concept, le singulier, mais ce troisième moment vise
en fait la manière dont la contradiction du moment universel et du moment
particulier est supprimé e, la relation dans laquelle le concept trouve son
unité. C ette relation relève de la négation de la négation (nous y revenons
dans le prochain chapitre). Si la discontinuité nie la continuité de l ’ espace,
elle est nié e à son tour par l ’ idé alité de l ’ espace. C ’ est par l ’ idé e d ’ une
\ .Aph. d ’Iéna, frgl. 43; P.P.D., § 2rq. ;Log. I, p. 30, W. 5, p. 54; Phéno, p. 57-58, Ph.d.
G .,p. 35-36.
2. E nc., § 398, rq.
3. § 254.
130 C RITIQ U E E T F O N D A TIO N DIAL E C TIQ U E
extériorité réciproque purement idé elle, non encore posé e comme exté
riorité ré elle, que s ’ effectue la négation de la négation conférant au concept
d ’ espace son unité : l ’ espace «est run-à-côté-de-l’ autre totalement idé el
(...) et purement continu, parce que cette extériorité réciproque est encore
totalement abstraite, et n ’ a pas encore dans soi de différence déterminé e » 1 .
C ette articulation des contenus de pensé e, qui est tenue pour commune
à tous les concepts, d éfinit le sens spécifique que H egel attribue à la notion
de « concept » et la différence qu ’ il établit entre « concept » et « pensé e ».
C e qu ’ il appelle «pensé e» désigne les différentes notions élaboré es et
utilisé es par la pensé e d ’ entendement. Le terme « concept » désigne plus
précisément l ’ élaboration spéculative de ces «pensé es ». Nous avions noté
que la spéculation consiste à « transformer les pensé es en concepts ». Nous
comprenons maintenant en quoi consiste cette transformation. E lle
consiste à révéler « qu ’ en soi » ou « pour nous », les pensé es sont des
concepts 21, c ’ est-à-dire à expliciter cette articulation «singulière » de
l ’ universel et du particulier qui est présente dans les notions élaboré es par
l ’ entendement. E n un sens, les pensé es sont donc bien des concepts, elles le
sont au sens où elles sont doté es de cette structure interne qui ne cesse
d ’ agir dans le savoir à la manière d ’ un instinct inconscient. E n un sens,
elles ne le sont pas encore, et c ’ est seulement lorsqu ’ elles seront reprises
dans le mouvement spéculatif, explicité es en leur articulation interne,
qu ’ elles le deviendront explicitement. Le concept devient alors la «base
substantielle » des concepts en tant que leurs différents contenus apparais
sent comme le développement d ’ un même contenu 3 .
Le concept, entendu au singulier, désigne une « manière » de la pensé e,
la «plus haute» 4 . Il ne désigne pas un principe métaphysique d ’ où
1. M.
2. § \ 62,rq.
3. W . 5, p. 29-30 : « un concept est d ’ abord en même temps le concept en lui-même, et
c elui-ci estseulement un concept, e til est la base substantielle; mais il estbien d ’ autre part un
concept déterminé, dont la déterminité est en lui ce qui apparaît comme contenu ».
4. D ans le paragraphe 2 de l ’ E ncyclopédie, H egel oppose les différentes formes de la
pensé e à la forme « propre » à la pensé e, qu ’ il id e ntifie ensuite au concept; il s ’ a git alors de la
forme de la démarche spéculative ; « le plus haut nive au du penser » (das Hôchste des
D enkens), Log. III, p. 44, W. 6, p. 253 ; « la philosophie a avec l ’ art et la religion le même
contenu et le même but mais elle est la manière la plus haute de saisir l ’ idé e absolue, parce
que la plus haute manière est le concept », Log. III, p. 368, W. 6, p. 549. C ertaines tournures
peuvent donner à penser qu ’ il n ’ existe en fait que « le concept » che z H egel, et que le
concept est producteur des concepts : « Le jugement est ce poser des concepts déterminés
p arle concept lui-même » (Log. III, p. 99, W. 6, p. 301). Mais ces formules décrivent le point
de vue de la spéculation, non la nature des concepts. Les concepts déterminés sont les
produits de l ’ entendement, et H egel n ’ hésite pas à parler de concepts à propos des pensé es
d ’ entendement (voir par exemple le § 465).
U N C O N C E P T U ALISME 131
surgiraient étrangement toutes les pensé es, mais l ’ entreprise qui consiste à
expliciter les concepts présents dans les pensé es d ’ entendement (on dira
donc du savoir absolu qu ’ il est « le concept existant comme concept » ') et à
déduire la vérité de ces pensé es du point de vue de l ’ articulation interne de
ces concepts. Le concept, au sens hégélien du terme, est précisément ce qui
permet de déduire la vérité des jugements tout en restant fidèle à la règle
suivant laquelle la déduction ne doit pas procéder d ’ une réflexion exté
rieure. Le jugement consiste en effet en une liaison de concepts, et c ’ est par
l ’ explicitation du contenu logique des concepts reliés dans le jugement que
la spéculation déduit la vérité de leur liaison. T elle est en définitive la
différence entre la proposition ordinaire et la proposition spéculative. La
première se contente d ’ attribuer un sujet à un prédicat en exprimant leur
unité dans la seule copule. La proposition spéculative procède au contraire à
une lecture du jugement où chacun des deux concepts appelle sa liaison
avec l ’ autre, de telle sorte que chacun des deux concepts est ainsi considéré
comme ce en quoi réside l ’ unité du jugement. D ans la proposition ordi
naire, l ’ unité du sujet et du prédicat n ’ est pensé e qu ’ en terme représentatif.
O n attribue au sujet une existence objective en l ’ attribuant à une substance,
et on justifie son union avec un prédicat en faisant de ce prédicat un attribut
de cette substance. La proposition spéculative résulte au contraire de la
décision de transformer la représentation en pensé e, c ’ est-à-dire de n ’ ap
préhender le jugement que suivant les contenus de pensé e qui y sont liés,
puis de transformer la pensé e en concept, c ’ est-à-dire d ’ expliciter l ’ articula
tion conceptuelle de ces pensé es. O n voit alors que le sujet est un universel
appelant son attribution à certains prédicats déterminés, et entretenant avec
eux des rapports de particularisation négatrice et de singularisation restau
ratrice. O n voit également que le prédicat apparaît comme un particulier ou
un singulier appelant son articulation avec un universel.
La vérité du jugement est ainsi fondé e sur un jeu de renvois des
contenus de pensé e les uns aux autres. C ’ est pourquoi H egel peut affirmer
que dans la proposition spéculative, la pensé e représentative perd la base
fixe qu ’ elle avait trouvé e dans la représentation substantialiste du sujet21.
E t, dans la mesure où le jugement est l ’ attribution univoque et extérieure
d ’ un sujet à un prédicat au moyen d ’ une copule, H egel peut considérer que
la proposition spéculative détruit la forme du jugement3 , même si cette
1. Propédeutique, § 95.
2. Phéno., p. 68, Ph.d. G ., p. 45 : « la terre ferme que la pensé e raisonnante trouve che z
le sujet au repos, vacille, et (...) seul ce mouvement lui-même devient l'objet ».
3. Phéno,p. 69,70, Ph.d. G ., p. 46,47 : « C e conflit entre la forme d ’ une proposition en
général et l'unité du concept qui détruit cette forme (...) »; « C e comportement et l ’ opinion
qu ’ il induit, le contenu philosophique de la proposition les détruit ».
132 C RITIQ U E E T F O N D A TIO N DIAL E C TIQ U E
L A C O R R E C TI O N DIA L E C TI Q U E
La C RITIQ U E D E L ’ A B S T R A C TIO N
expliciter les concepts sous des formes qui ne se sont pas encore totalement
affranchies de tout élément représentatif. H egel en donne un exemple à
propos de la catégorie d ’ infinité quantitative, dont le contenu conceptuel
peut se trouver explicité de façon représentative par les notions d ’ infini
ment petit et d ’ infiniment grand : « l ’ infiniment petit ou l ’ infiniment grand
sont des images de la représentation qui, considéré es de plus près, se
montrent comme brume et ombre de né ant » F ace à ce défaut du savoir
d ’ entendement, la pensé e spéculative effectuera une correction, non pas tant
de l ’ entendement lui-même que de ce qui, en lui, ne relève pas encore de
lui, mais bien de la représentation. Nous sommes alors dans le cas où la
pensé e spéculative doit se charger elle-même de la transformation des
représentations résiduelles en pensé es, pour pouvoir enfin transformer les
pensé es en concepts.
O n retrouve ce type de correction dans certaines critiques de l ’ enten
dement scientifique. E lle intervient dans la critique du concept de force.
H egel reproche en effet à N ewton de présenter le concept de force comme un
substrat donné dans la perception21. Il dénonce également une confusion de
la pensé e et de la représentation à propos de l ’ O ptique newtonienne, et tout
particulièrement à propos de l ’ idé e de « rayons lumineux » 3 . C ’ est encore
une confusion de la pensé e et de la représentation qui est reproché e à
B erz élius qui développait ses théories électrochimiques en ayant recours à
la représentation d ’ atomes disposant chacun de pôles dotés de charges
d ’ intensités variables4 . H egel réserve un terme à ce mélange de la repré
sentation et de la pensé e. Lorsqu'une pensé e est conçue en termes représen
tatifs, ou qu ’ une représentation est prise pour une pensé e, il parle de
barbarie 5'. C ’ est en ce sens qu ’ il est question de la barbarie de N ewton 6 ,
non que sa théorie soit à rejeter intégralement et qu ’ elle se tienne en dessous
de la pensé e (de même que la barbarie se tiendrait en dessous de la
civilisation), mais parce que les pensé es newtoniennes ne sont pas toujours
explicité es de façon asse z pure et qu ’ elles sont trop souvent énoncé es en
termes représentatifs. O n pourra donc à la fois louer la grandeur de certaines
des pensé es de la mécanique newtonienne 7 , et en déplorer la barbarie. Le
défaut appelle bien une correction, non une réfutation.
b) Les formes de l' abstraction. Q uelle est donc la manière dont l ’ enten
dement explicite la dimension conceptuelle de ses pensé es? E n quoi
s ’ avère-t-elle inadéquate? Lorsqu ’ il présente la manière dont il faut
concevoir l ’ architecture des concepts, H egel nous place devant l ’ alternative
suivante, soit la compréhension abstraite des concepts, propre à l ’ enten
dement, soit la compréhension spéculative du concept : « le retour de ce
côté [le particulier, ou le déterminé] dans l ’ universel est double, soit par
l ’ abstraction qui s ’ écarte du déterminé et s ’ élève au genre supérieur et au
genre suprême, soit au contraire par la singularité à laquelle l ’ universel
descend dans la déterminité elle-même. Ici commence l ’ impasse dans
laquelle l ’ abstraction se détourne du chemin du concept et délaisse la
v érité »1 . L ’ explicitation d ’ entendement est soumise à un régime
d ’ abstraction. E n quoi consiste-t-il exactement?
La pensé e impliquant une rupture avec le donné varié et concret qui
s ’ offre à l ’ intuition, tout concept et toute pensé e sont abstraits. C e n ’ est pas
en ce sens psychologique que la compréhension des concepts est abstraite,
et comme le remarque M. Theunissen, lorsqu ’ il n ’ est pas entendu en ce
sens psychologique, le concept d ’ abstraction a toujours le sens de l ’ indé
terminé, mais il vise deux formes d ’ indétermination qu ’ il convient de
distinguer21. D ans un cas il désigne seulement [' unilatéralité, le caractère
non développé, ou l ’ en-soi. L ’ abstrait, en ce sens, c ’ est le non encore vrai,
le vrai qui accédera à la vérité au cours du développement systématique de
son contenu 3 . P ar ailleurs, l ’ abstrait peut être entendu au sens du faux,
de ce dont l ’ unilatéralité mutile le contenu logique: '« O n peut bien
faire abstraction du contenu, mais l ’ on n ’ obtient pas alors l ’ universel du
concept, mais l ’ abstrait, qui est un moment isolé et inachevé du concept,
et qui n ’ a pas de v érité »4 . C es deux usages de la notion font résider
l ’ abstraction dans une indétermination, mais alors que ce qui est
indéterminé au sens de l ’ en-soi est conservé dans le procès spéculatif, au
contraire, ce qui est indéterminé au second sens est l ’ objet d ’ une dénon
ciation. Précisons donc la nature de ce second type d ’ indétermination.
H egel conçoit toujours l ’ abstraction en référence à son étymologie, au
sens de la séparation. Lorsqu ’ il parle de l ’ abstraction du savoir
d ’ entendement, il vise le fait que le savoir d ’ entendement sépare les
concepts les uns des autres, qu ’ il oppose les concepts universels et les
concepts particuliers alors que tout concept, en sa vérité, a un moment de
particularité et un moment d ’ universalité, et appelle son « identification »
avec des concepts qui relativement à lui sont singuliers, particuliers et
universels. C he z H egel, abstraction et séparation peuvent parfois sembler
synonymes, comme dans la phrase suivante où abstraction équivaut à
séparation des différents moments du concept: «Mais sa nature [au
concept] se trouve totalement méconnue lorsqu’ elles [ses déterminations]
se trouvent encore maintenues dans cette abstraction»1 . C ependant, la
notion d ’ abstraction vise plus particulièrement la compréhension du
moment universel du concept, ou l ’ universalité des concepts. E lle désigne
alors l ’ explicitation de l ’ universalité qui est solidaire de la séparation des
concepts et de l ’ opposition des différents moments du concept. Le plus
souvent, H egel entend par abstraction une compréhension des concepts
comme universalité formelle, universalité vide de contenu, universalité
« s ’ écartant », « néglige ant », ou « retranchant » (weglassen)21 le particulier
auquel elle se rapporte. L ’ abstraction désigne alors une explicitation des
concepts n ’ aboutissant en définitive qu ’ à « des universalités dépourvues de
vie et d ’ esprit, dépourvues de couleur et de contenu » 3 . C ette explicitation
inadéquate du contenu logique des concepts va de pair avec une compré
hension inadéquate des rapports qui les unissent dans les propositions et
les théories. R éduire les concepts à des abstractions, c ’ est perdre de vue le
contenu qui les relie les uns aux autres de façon immanente, c ’ est croire
qu ’ ils trouvent leur contenu dans d ’ autres concepts totalement indépen
dants : «l ’ insuffisance du savoir d ’ entendement se ramène à deux points
qui sont liés l ’ un à l ’ autrè de la façon la plus étroite : a) l ’ universel de la
physique est abstrait ou seulement formel, il n ’ a pas sa détermination en
lui-même ou ne passe pas dans la particularité, b) le contenu déterminé est
pour cela même hors de l ’ universel, et de ce fait éparpillé, morcelé, isolé,
séparé, sans avoir de connexion nécessaire dans soi-même, et par là même,
seulement comme fini » 4 .
T el est le type d ’ abstraction qui fait l ’ inadéquation de l ’ explicitation
d ’ entendement : un concept abstrait n ’ est pas qu ’ un abstrait, mais la vision
abstraite d ’ un concept en soi concret. Lorsque H egel dénonce l ’ universel
abstrait de l ’ entendement, il ne dénonce pas les concepts de l ’ entendement,
mais la compréhension inadéquate que l ’ entendement se fait de leur
1. Log. III, p. 374, W. 6, p. 555. C e thème est développé ailleurs, dans le chapitre sur le
concept particulier (p. 79-81 ; p. 283-285).
2. Introduction aux Leçons sur l' histoire de la Philosophie, W. 18, p. 43. O n relèvera
l’idé e que la vérité abstraite est une vérité seulement théorique, et non pratique. O n retrouve
cette thèse dans l ’ introduction à la Philosophie de la nature. L ’ opposition des rapports
pratiques et théoriques (§ 245 et 246) à la nature, destiné e à présenter le point de vue adopté
par la spéculation, est lié e à la critique de l ’ abstraction, comme l ’ explique d ’ ailleurs l ’ a dditif
du paragraphe 246 (W. 9, p. 22-23).
3. Log. Il, p. 24-27, W. 6, p. 28-31.
4. £og.n,p.27, W. 6, p. 31.
LA C O R R E C TIO N DIAL E C TIQ U E 139
1. Log. III, p. 375-376, W. 6, p. 556; voir aussi E nc., § 256, rq. : « cela n ’ appartient ni à
l ’ expérience ni au concept, mais seulement à la réflexion abstractive ».
2. E nc. § 246, add, W. 9, p. 20. Sur la logique des sciences de la nature comme une
logique de l’identité abstraite, voir également, § 117, add., § 118, add.
3. Lag. II, p. 36, W .6, p. 37.
4. Log. n,p. 39, W .6,p. 39.
5. Si l ’ on se réfère à l' E ncyclopédie, car dans la Science de la logique, la notion reçoit
parfois un sens plus strict encore ; voir sur cette question la mise au point d ’ A . Doz, op. cit.,
p. 84.
6. Log. n,p. 28, W .6, p. 31-32.
140 C RITIQ U E E T F O N D A TIO N DIAL E C TIQ U E
rapportent : « L e singulier est l ’ objet lui-même comme représentation immédiate, ce qui doit
se trouv er défini. L ’ universel de l ’ objet de ce même singulier s ’ est dégagé (...) comme le
genre, et à vrai dire, comme le genre prochain, à savoir l ’ universel avec cette déterminité qui
est en même temps principe pour la différence du particulier. C ette différence, l ’ objet l ’ a en
la différence spécifique, qui fait de lui l ’ espèce déterminé e, et qui fonde sa disjonction en
regard des autres espèces »; « L ’ objet est en même temps le troisième terme, le singulier,
dans lequel le genre et la particularisation sont posés en un, et est un immédiat qui est posé en
dehors du concept, puisqu’ il n ’ est pas encore auto-déterminant » (Log. III, p. 330,331, W. 6,
p. 512,513). C ette opposition du connaître et de l ’ objet revient en fait à réduire le concept à
une forme recevant son contenu de l ’ extérieur : le concept « tout d ’ abord est à soi seulement
comme le concept abstrait enfermé en lui-même; il est donc seulement comme forme, la
ré alité qu ’ il a en lui-même, ce sont seulement ses déterminations simples d ’ universalité et de
particularité, quant à la singularité, ou la déterminité déterminé e, le contenu, cette forme les
re çoit de l ’ extérieur » (Log. III, p. 315, W. 6, p. 498).
l. E nc., § 266, rq. H egel dit du principe d ’ in ertie : « C eci ne signifie rien d ’ autre que le
mouvement et le repos exprimés d ’ après le principe d ’ identité (...). Le princip e d ’ identité,
qui est son fondement, a été révélé en sa nullité en son lieu spécifique (§115)».
142 C RITIQ U E E T F O N D A TIO N DIAL E C TIQ U E
L’ é p i s t é m o l o g i e d e l a n é g a t ivi t é a b s o l u e
1. § 260-263.
2. V oir la critique de l ’ opposition établie par la Logique entre les concepts coordonnés et
les concepts subordonnés (Log. III, p. 76-77, 89, W . 6, p. 281,293).
3. Le projet d ’ un ordonnancement des concepts suivant des rapports de composition est
doublement rattaché par H egel à l ’ explicitation abstraite : a) parce que l ’ idé e d ’ un concept
simple est solidaire de l ’ absence de prise en considération de l ’ articulation interne des
concepts (Log. III. p. 86-87, W . 6. p. 290-292), et b) parce que ce projet relève d ’ une
approche quantitative rendue possible par l’idé e suivant laquelle les concepts universels,
p articuliers et singuliers ne différeraie nt que suivant la grandeur de leur extension (Log. III,
p. 89-90, W. 6, p. 293-295).
144 C RITIQ U E E T F O N D A TIO N DIAL E C TIQ U E
qui tout autant est le plus riche dans soi-même ', parce qu ’ il est le
concept» 1 .
Il faut donc donner une explicitation des concepts compatible avec le
rôle de principe que l ’ universel joue et doit jouer dans la connaissance
scientifique, c ’ est-à-dire dans la philosophie et dans les sciences positives 21.
E st requise à cette fin une théorie du concept prenant à rebours la loi de
Port-Royal suivant laquelle l ’ extension et la compréhension des concepts
varient en raison inverse. Q ue cet objectif ait été consciemment assumé,
c ’ est ce qu ’ indique l ’ aphorisme suivant: «objets plus larges, détermi
nations plus précises » 3 . Mais selon H egel, la compréhension de l ’ univer
salité des concepts d ’ après la loi de Port-Royal ne peut se réduire à une
erreur. E lle résulte A ' m problème, d ’ un problème ne pouvant être résolu
sans une modification fondamentale des principes même de la Logique et
de la rationalité. L ’ abstraction ne peut en effet être évité e sans l ’ adoption
d ’ une procédure argumentative donnant une place fondamentale à
l ’ opérateur de la négation.
E n effet, le problème posé par l’ abstraction concerne le statut de
l ’ universel et le rapport entre l ’ universel et ce qu ’ il subsume. La difficulté
réside en ceci que les déterminations universelles ne peuvent rendre compte
de l ’ intégralité de ce qu ’ elles subsument, et non pas seulement parce que
l ’ universel a une moins grande compréhension, car alors on pourrait
toujours, par un enrichissement progressif de l ’ universel, en le déterminant
par les conditions particulières qui président à son application, faire
descendre l ’ universel jusqu ’ au singulier; si l ’ universel ne peut pas être
progressivement enrichi de façon à rendre compte des déterminations
particulières, c ’ est que certaines de ces déterminations particulières sont
tout simplement contradictoires avec lui. La Logique considère tradition
nellement qu ’ un concept universel d éfinit une classe composé e d ’ indi
vidus, et que les individus, ou les singuliers, en plus de leurs caracté
ristiques universelles, se distinguent par des caractéristiques particulières
n ’ appartenant qu ’ à certains de ces individus. Le particulier est alors
l.Id.
2.id.
148 C RITIQ U E E T F O N D A TIO N DIAL E C TIQ U E
*
La mé t h o d e
Manuscrit de Kreuznach (Critique du droit politique hégélien, E .S., 1975, p. 146), il fait de la
question de l ’ abstraction ce qui détermine le statut de la négativité che z H egel et ce qui
l ’ empêche de concevoir des contradictions inconciliables (des « extrêmes effe ctifs »).
1. Log. I, p. 25, D as S ein, p. 21.
2. Pour un commentaire suivi du texte consacré par H egel à la méthode, voir J. Biard et
al... Introduction à la lecture de la Science de la Logique de H egel, P aris, Aubier, 1985, t. 3,
p. 480-509.
150 C RITIQ U E E T F O N D A TIO N DIAL E C TIQ U E
1. Log. III, p. 374, W. 6, p. 555-556 : « parce qu ’ il n ’ est tout d ’ abord qu ' en soi, il n ’ est
tout aussi bien pas l ’ absolu, ni le concept posé, pas d ’ avantage l ’ idé e; car ceux-ci sont
justement ce fait que / ' être-en-soi est précisément un moment abstrait, unilatéral. Le progrès,
par conséquent, n ’ est pas une sorte de superflu', il serait cela si ce qui commence était en
vérité déjà l ’ absolu; le progresser consiste plutôt en ce que l’ universel se détermine
lui-même et est pour soi l’ universel ».
LA C O R R E C TIO N DIAL E C TIQ U E 151
n ’ est pas une simple composition de points, pas plus que la surface n ’ est
une simple composition de droites ; ils apparaissent bien plutôt comme liés
par une relation de négation réciproque, en dehors de laquelle ils semblent
indéfinissables. D ’ une part, la droite apparaît comme l ’ explicitation du
moment quantitatif d ’ un point défini comme négation qualitative du
moment quantitatif de l ’ espace. D ’ autre part, elle existe elle-même dans un
espace défini par la ponctualité qualitative, comme ligne brisé e, ou
ensemble de lignes et ensemble de plans, c ’ est-à-dire comme surface.
b) F ondation régressive de l' universel. D ans le chapitre final de la
Logique, H egel considère la progression dialectique comme un « fonder
régressif»1 , et dans le chapitre consacré à la méthode synthétique, il va
jusqu ’ à considérer le procès dialectique comme une preuve des défi
nitions 21. Il y a preuve de la définition d ’ entendement lorsque les différents
contenus de pensé e intervenant dans la définition (genre et différence
spécifique) sont exposés chacun dans la forme qu ’ ils reçoiventau sein de la
sphère définie par l ’ universalité en question. Ainsi, dans le cas de la sphère
définie par l ’ espace, l ’ idé e de continuité et, l ’ idé e de discontinuité sont
exposé es sous la forme du point et de la droite. C ette exposition peut être
considéré e comme une preuve car elle démontre que ces contenus de pensé e
ne peuvent exister l ’ un sans l ’ autre; il y alors preuve spéculative de la
manière dont l ’ entendement définit les concepts lorsqu ’ il lit en eux un
genre et une différence spécifique. D ans la mesure où cette exposition
démontre que les contenus de pensé e entretiennent un rapport de négation
de la négation, il y a également preuve de l ’ explicitation que la spéculation
donne de cette définition. Au terme d ’ une séquence dialectique, dans le
concept singulier (la surface), le contenu du concept universel apparaît
comme identique à sa forme, la déduction de la vérité de ce concept est
effectué e : « L ’ exposition du concept en ses déterminations ré elles procède
ici du concept lui-même, et ce qui constitue la démonstration dans le
connaître habituel est ici le retour en arrière dans l ’ unité, des moments
conceptuels passés à la diversité reviennent à l ’ unité, - unité qui est ainsi
totalité, concept rempli et devenu à lui-même son propre contenu » 3 . C ’ est
donc seulement au terme de l ’ exposition, dans le concept singulier, que le
contenu du concept universel est exposé conformément à son articulation
1. Log. III, p. 384,385, W. 6, p. 565,566 : « le concept (...) est le concept qui se ré alise
par l ’ être autre et qui, par suppression de cette ré alité [celle de l ’ être autre], a coïncidé avec
soi et a établi sa ré alité absolue, son rapport simple à soi. C e résultat est par conséquent sa
vérité » ; « le troisième terme est la conclusion dans laquelle il [le concept] se médiatise avec
soi-même par sa négativité, et par là même, dans laquelle il est posé comme l ’ universel et
l’identique de ses moments ».
2. E nc.,§ 256.
L A C O R R E C TIO N DIAL E C TIQ U E 153
LA T H É O RIE D E S S CIE N C E S
1. C ette thèse est soutenue par J. H abermas, dans le premier chapitre de C onnaissance et
intérêt. O n trouve dans l ’ introduction de la Phénoménologie de l' esprit, une critique sévère
du projet d ’ une fondation de la connaissance par une philosophie de la connaissance. Mais
H egel n ’ en appelle pas ainsi à une métaphysique affranchie de toute réflexion méthodo
logique, puisqu ’ il définit précisément la Phénoménologie comme «un examen et une
vérification de la ré alité de la connaissance » (Phéno., p. 86, Ph. d. G ., p. 63). Il ne s ’ agit pas
de dénoncer la prétention à procéder à un tel examen, mais la prétention à l ’ accomplir par
une réflexion abstraite sur les normes du vrai ou les méthodes du connaître ; sur les intentions
générales de cette polémique, voir K. R. W estphal, H egel' s E pistemological R e alism,
Kluwer Academie Publishers, 1989, p. 4-17. O n remarquera d ’ ailleurs que s ’ il dénonce les
156 T R OISIÈ M E P A R TIE
tentatives, propres à la philosophie moderne, visant à fonder la philosophie et les sciences sur
une philosophie de la connaissance, H egel n ’ hésite cependant pas à louer les philosophies
modernes de la connaissance, qui, prises pour elles-mêmes, sont l ’ occasion de progrès dans
la compréhension de la nature de la scientificité : B acon « a considéré les sciences métho
diquement; il ne s ’ est pas contenté d'avancer des opinions, de donner son sentiment, il n ’ a pas
simplement exprimé ce qu ’ il pensait des sciences de manière tranchante à la manière du
grand seigneur ; il s ’ est fait précis et a établi une méthode à l ’ égard de la connaissance
scientifique. C ’ est seulement par cette considération méthodique qu ’ il a introduit qu ’ il est
remarquable, (...) c ’ est seulement cela qui lui vaut une place dans l ’ histoire des sciences et
d ela philosophie;etc’ estaussiparce principe du connaître méthodique qu ’ il a exercé une
grande influence sur son époque, en attirant l'attention sur les défauts des sciences, quant à la
méthode et au contenu » (Hist. Phi. t. 6, p. 1266, W. 20, p. 77-78).
1. V oir M. J. P etry, « H egels Dialectic and the N atural Sciences », in H egeljahrbuch,
1975, p. 452-456, tout particulièrement p. 452-453, et E . E . H arris dans «H egel and the
N atural Sciences », in B eyond E pistemology, p. 127-153.
LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S 157
dans les autres parties du système à l ’ étude critique de telle ou telle théorie,
et lorsque cette étude la contraint à articuler ces thèses les unes aux autres.
C ette épistémologie générale appartient aux présupposés de la philosophie
de la nature, non seulement parce que H egel y oppose parfois sa propre
épistémologie à celle par laquelle les savants explicitent leur savoir1 , mais
aussi et surtout parce qu ’ il y lit les sciences à partir d ’ une conception bien
déterminé e de leur rationalité. Une interprétation erroné e de la spéculation
et des rapports qu ’ elle entretient avec l ’ entendement rendra incompréhen
sible la discussion « naturphilosophique » du savoir positif. Une compré
hension inadéquate de l’ épistémologie générale hégélienne s ’ accompagnera
d ’ effets analogues21. Lorsque H egel discute la valeur des théories scien
tifiques, il ne se contente pas d ’ y reconnaître la logique générale du savoir
d ’ entendement, il y voit également un ensemble de procédures spécifiques
relié es par des rapports déterminés. Nous étudierons dans ce qui suit la
conception hégélienne de l ’ expérience scientifique, des lois scientifiques,
et des principes scientifiques. Nous verrons qu ’ il s ’ agit de trois nive aux
reliés les uns aux autres dans des rapports hiérarchiques et nous préciserons
comment la philosophie de la nature les intègre en elle. Nous verrons
également que les orientations fondamentales de l ’ épistémologie générale
(notamment son ré alisme et son anti-réductionnisme) permettent qu ’ une
spéculation sur les sciences débouche sur une philosophie de la nature et
imposent que la fondation des sciences prenne la forme d ’ une philosophie
de la nature. Lorsque les savoirs scientifiques font défaut ou qu ’ ils sont par
trop défectueux, cette fondation n ’ est plus possible, nous analyserons pour
conclure la manière dont la spéculation se rapporte alors au savoir positif.
1. L ’ explicitation épistémologique que les savants donnent de leur science n ’ est pas
toujours inadéquate, en témoignent, dans des registres différents, la valorisation de Lagrange
au détriment de N ewton, de Pohl au détriment de B erz élius.
2. G . Buchdahl, qui déplore que le sens de la philosophie de la nature soit obscurci par
l’ absence de clarté de ses présupposés épistémologiques, procède à une tentative
d ’ explicitation : « H egel’ s Philosophy of N ature and the Structure of Science », in R atio, 15,
p. 1-25; « C onceptual Analysis and Scientific Theory in H egel’ s Philosophy of N ature », in
R. S. C ohen etM. W. W artofsky, H egel and the Sciences, p. 13-37 ; « H egel on Interaction
B etwe en Science and Philosophy », in M. J. P etry, H egelandN ewtonianism, p. 61 -71.
C h a p i t r e p r e mi e r
E X P É RIE N C E E T E X P É RIM E N T A TI O N
La r e n ais s a n c e d e s s cie n c e s
scientifique consiste en une tentative faite par l ’ esprit pour se retrouver dans
l ’ objectivité, c ’ est-à-dire retrouver des traces de rationalité dans l ’ empirie.
E t dans la mesure où l ’ objectivité est reconnue dans sa finité , elle implique
que l ’ esprit se tourne vers l ’ observation et l ’ expérimentation: «Nous
voyons que le fini, que le présent intérieur et extérieur est appréhendé par
l ’ expérience et élevé au moyen de l ’ entendement à l ’ universalité; on veut
connaître les lois, les forces, c ’ est-à-dire convertir l ’ élément singulier de la
perception dans la forme de l ’ universalité. C e qui est séculier veut être jugé
séculièrement » l .
He g e l et Goethe
\ .Ibid, p. 1247, W. 20, p. 63. C e tournant de l ’ esprit vers l ’ expérience est également
décrit dans la Phénoménologie. Il correspond au passage de la conscience malheureuse à la
raison observante.
2. Schriften zur Botanik und Wissenschaftslehre, G esamtausgabe 39, Munich,
D eutschen T aschenbuch V erlag, 1963 (cité Schriften), p. 159 : « D ès que l ’ homme, avec des
sens aigus et éveillés, se rend attentif aux objets, il les trouve tout aussi appropriés aux obser
vations que s ’ ils y étaient destinés ». Les idé es de G oethe sur l ’ expérience sont consigné es de
façon synthétique dans deux essais: «L ’ expérience (V ersuch) comme médiateur entre
l ’ objet et le sujet » et « E xpérience [ Erfahrung ] et science », in Schriften, p. 157-166 et 179-
180. O n en a donné des interprétations divergentes, voir par exemple E . C assirer, « G oethe et
la philosophie kantienne », in Rousse au, K ant, G oethe. D eux E ssais, P aris, B elin, 1991, p. 93-
133, tout particulièrement p. 108 sq. ; K. J. F ink, G oethe ’ s History of Sciences, p. 37 sq. ;
L. V an E ynde, La libre raison du phénomène. E ssai sur la « N aturphilosophie » de G oethe,
P aris, Vrin, 1998. L ’ interprétation phénoménologique qui est proposé e dans ce dernier
ouvrage nous semble difficile m e nt conciliable avec le fait que c ’ est d ’ une philosophie de la
nature, et non d ’ une égologie, qu ’ est tiré e la thèse de la vérité de la perception.
E X P É RIE N C E E T E X P É RIM E N T A TIO N 163
1. §16, rq.
2. Hist.Phi.,L3, p. 539-540, W. 19, p. 171-172 : «Son empirie est précisément totale;
c ’ est-à-dire qu ’ il ne néglige aucune déterminité, il ne retient pas une détermination et ensuite
une autre, - il les retient toutes à la fois en une unité - comme le fait la réfle xion d ’ enten
dement qui a l ’ identité pour règle, mais ne peut s ’ en tirer qu ’ en tant que, dans une d étermi
nation, elle oublie toujours l ’ autre et la tient à l ’ écart. Si nous dégageons honnêtement les
déterminations empiriques de l ’ espace, nous obtiendrons quelque chose de spéculatif au plus
haut point; l ’ empirique appréhendé dans sa synthèse est le concept spéculatif ».
3. Eric., § 445, rq.
4. Hist.Phi.,t. 6, p. 1267-1268, W. 20, p. 79; voir également E nc., § 38 et add.-, § 420,
add.
5. E nc., §38, add.
6. § 246, add, W . 9, p. 21 : « E ncheiresin natura e le nomme la chimie, / E lle se moque
d ’ elle-même et ne sait pas en quoi./ E lle a les parties dans sa main, / Il ne lui manque, hélas !
que le lien spirituel ».
E X P É RIE N C E E T E X P É RIM E N T A TIO N 165
1. § 38, add. D ans l ’ article Du droit naturel, H egel oppose empirie scientifique et
empirie préscientifique en un autre sens, en défendant une théorie de l ’ expérience qui
repose encore sur le concept schellingien d ’ « empirie pure » {Droit naturel, p. 20-29, W. 2,
p. 443-453). Notons cependant que même alors, il n ’ y a pas de supériorité de l’ expérience
pré-scientifique sur l ’ expérience scientifique. La première n ’ est valorisé e qu ’ à des fins
polémiques, et toutes deux en fait sont renvoyé es dos à dos (voir le commentaire de ces textes
par B. Bourgeois, Le Droit naturel, p. 138-144).
2. § 320, add., W. 9, p. 252-253.
3. §38,r$.
166 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
L’ e m p i r i s m e s cie n t i f iq u e
p. 64 sq., « H egel’ s Philosophy and the Structure of the Science », op. cit., p. 7 sq. V oir aussi
B. F alkenburg, Die F ormder Materie.p. 91-131.
1. Sur ce point, E nc., § 190, rq.;Phéno. 190, Ph.d. G ., p. 171.
2. B. F alkenburg entreprend de comparer la philosophie de la nature et les sciences de
ce point de vue ; op. cit. , p. 91 -101.
3. Phéno.,p. 189, Ph.d. G ., p. 170.
4. E nc., § 406, rq O n nommait magnétisme animal le somnambulisme et les états
cataleptiques. Sur l ’ importance de ces phénomènes pour la philosophie de l ’ esprit et pour le
170 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
sur l' histoire de la philosophie 1. C ette action et cette ré action visent peut-
être l ’ idé e baconienne d ’ une double échelle du savoir, élevant les observa
tions aux principes, puis faisant redescendre des principes aux observa
tions 21, elle peut donc être entendue au sens d ’ une méthodologie de la
science, mais elle doit également l ’ être au sens d ’ une théorie de la genèse de
la connaissance scientifique, comtne en témoigne le thème de l' élaboration
de l ’ empirie au cours du procès inductif, d ’ une élaboration désignant le
tra v ail de « spiritualisation » du donné par l ’ esprit3 . O n pourrait dire alors
qu ’ un cadre théorique initial d éfinit un champ empirique dans lequel
l ’ induction est possible, mais que l ’ observation et l ’ induction font ap
paraître des universalités probables qu ’ il s ’ agit ensuite de confirmer par la
pensé e, puis de corroborer par une expérimentation guidé e par la pensé e 4 .
L ’ induction ne produit pas plus laconnaissance qu ’ elle ne la légitime, elle
«fait pressentir» (Ahnen lasseri)5 quelque chose qu ’ il faut ensuite
conceptualiser, expliquer et vérifier.
L ’ induction n ’ est donc pas le fondement effectif des connaissances
scientifiques. E n d éfinitiv e , le concept « d ’ empirisme scientifique » a une
fonction critique plutôt qu ’ une fonction descriptive. Lorsque H egel
considère « l ’ empirisme » comme la voie ordinaire que les scientifiques
« prescrivent » aux sciences, il ne désigne qu ’ une conscience épistémo
logique inadéquate, même si elle n ’ est pas sans conséquence sur la pratique
effective des sciences 6 . Suivant H egel l ’ expérience n ’ est pas pure, mais
L A IN É G A LIT É S C I E N TI F I Q U E
sur les lois et non pas seulement certains d ’ entre eux, on doit conclure que
la philosophie hégélienne n ’ est pas prise en défaut sur ce point.
« C E q u ’ i l y A D E PLU S B E A U D A N S L E S S CIE N C E S D E LA N A T U R E »
1. E nc., § 270, add„ W. 9, p. 94. V oir aussi Mesure, p. 96, W. 5, p. 451. T. O isermann
(op. cit., p. 394) reproche illégitimement à H egel de méconnaître le fondement empirique
des lois, et il tire argument d ’ une prétendue méconnaissance du travail de Tycho Brahé.
2. § 270, add., W. 9, p. 106. E n entendant « expliquer » au sens large du erklaren
allemand.
3. M. Bunge, Scientific R ese arch, 1. 1, B erlin, Springer V erlag, 1967, p. 325-327.
178 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
lois scientifiques1 . La plupart du temps, les lois sont associé es dans les
sciences de la nature à des forces qui fournissent leur interprétation
dynamique. Q uant à la contingence dont les lois ne peuvent rendre compte,
la Philosophie de la nature explique qu ’ elle tient à la contingence de la
nature et à la pluralité de ses nive aux. La valeur de la loi résulte précisément
de ce qu ’ elle écarte cette contingence pour dégager la rationalité propre à
chaque nive au. La loi reste l ’ expression d ’ une nécessité relative (ou
conditionnelle) que la spéculation devra élever à la nécessité absolue, mais,
comme nous l ’ avons vu, celle-ci est une lecture spéculative de celle-là
plutôt que l’ expression d ’ une autre nécessité.
C ependant, les louanges sont bien assorties de réserves. La forme des
lois est caractéristique des défauts de l ’ entendement : finitude et forma
lisme. Les moments de la loi sont rapportés extérieurement et immédia
tement les uns aux autres. Une loi établit un rapport entre différents
« moments » (par exemple l ’ espace et le temps dans les lois du mou
vement), qu ’ elle considère comme totalement indépendants les uns des
autres, et qu ’ elle relie dans des rapports qui ne semblent rien devoir au
contenu propre de ces moments et dépendre seulement des observations
qu ’ elle décrit. Aussi la forme de la loi semble-t-elle impliquer par elle-
même le recours à l ’ expérience, comme fondement représentatif de la
liaison immédiate et extérieure de ses moments : « la détermination plus
précise des grandeurs selon lesquelles l ’ espace et le temps se rapportent l ’ un
à l ’ autredansle mouvement est indifférente. C ’ est dans l ’ expérience que se
trouve connue la loi à ce propos ; dans cette mesure, elle est seulement
immédiate ; elle requiert encore une preuve, c ’ est-à-dire une médiation pour
le connaître, une preuve de ce que la loi n ’ a pas seulement lieu, mais est
nécessaire; cette preuve et sa nécessité objective, la loi ne les contient
pas » 21. P ar leur forme, les lois sont défectueuses, mais elle peuvent né an
moins prétendre à une certaine vérité. La loi est en effet une anticipation du
concept au sens où elle dépasse l ’ isolement des déterminations de pensé e
propres à la représentation et à l ’ entendement, pour poser « une connexion
interne nécessaire de déterminations différentes » 3 . Du point de vue d ’ une
spéculation capable de donner des lois une autre explicitation que celle que
l ’ entendement en donne, l ’ unité rationnelle est déjà présente, et il ne reste
plus qu ’ à concevoir cette unité déjà posé e dans la loi pour transformer
l ’ entendement en raison : « la conscience relevant simplement de
V entendementn ’ arrive pas encore à concevoir l ’ unité, présente dans la loi,
1. Nous nous trouvons sur ce point en désaccord avec les auteurs de VIntroduction à la
lecture de la Science de la Logique de H egel, (J. Biard étal., op. cit., t. II, p. 214-218).
2. Z z >g.II, p.188, W. 6, p. 155.
3. E nc., § 422 add.
LA L É G ALIT É S CIE N TIFIQ U E 181
La p r e u v e d e s l ois
1. §422aïd.et423a < W.
2. §422 et 423.
3. § 270, add.y W. 9, p. 93 ; voir égalementLog., III, p. 235-236, W. 6, p. 426-427.
182 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
1. Sur la fondation des lois de la nature che z D escartes et K ant, voir par exemple
C . C hevalley, «N ature et loi dans la physique moderne »,op. cit., p. 161-187.
2. E . Picavet, Approches du concret. Une introduction à l ’ épistémologie, P aris, E llipses,
1995, p. 119.
3. C ’ est le sens de certaines critiques d ’ E . Meyerson, op. cit., p. 458-460. V oir aussi
D. Dubarle, « La critique de la mécanique newtonienne dans la philosophie de H egel », in
H egel, l ’ esprit objectif, l ’ unité de l’ histoire. Actes du troisième congrès international pour
l' étude de la philosophie de H egel, p. 113-136, ici p. 124.
LA L É G ALIT É S CIE N TIFIQ U E 183
sont définies au sein d ’ une théorie et qui sont déterminé es par les concepts
de cette théorie. C onsidérons les lois fondé es par H egel dans la section
Mécanique. C es lois du mouvement établissent des rapports fonctionnels
entre l’ espace et le temps. Or, l ’ espace et le temps figurent indéniablement
parmi les concepts fondamentaux de la mécanique, comme en témoignent
les définitions par lesquelles N ewton ouvre ses Principia, et ils sont
considérés comme tels par H egel. Il y a donc un lien entre les concepts et les
lois d ’ une théorie scientifique, tel est le fait dont doit partir l ’ interprétation
et la fondation conceptuelle des lois. Nous avons vu qu ’ une théorie met
elle-même en rapport ses concepts et que cette articulation extraconcep-
tuelle peut être reconnue comme vraie si et seulement si elle est conforme à
l ’ articulation intraconceptuelle de ces concepts. Or, les lois qui contiennent
en elles-mêmes, à titre de variables, des concepts de la théorie, établissent
elles aussi des rapports déterminés entre ces concepts. Il est donc possible
de déterminer si l ’ appartenance des lois à la théorie est fondé e : elle le sera si
l ’ articulation des concepts que produit la loi est conforme à l ’ articulation
interne de ces concepts.
L ’ idé ed ’ unefondation des lois à partir des concepts est une idé e assez
classique. E lle découle de l ’ idé e que la loi est un jugement universel, le
rapport d ’ un concept-sujet avec un concept-prédicat. L ’ originalité de la
démarche hégélienne réside dans la forme qui est donné e à cette fondation.
Les concepts sont compris par H egel comme des articulations de contenus
de pensé e, ou comme le rapport de différents moments conceptuels. D ès
lors, il existe une isomorphie, pour ainsi dire, entre le concept et la loi.
C elui-là est articulation interne de contenu de pensé e, celle-ci est
« connexion interne nécessaire de déterminations différentes »'. Alors que
leurs fonctions devraient opposer les lois et les concepts, leurs structures
les rapprochent. S ans doute faut-il voir dans cette isomorphie un facteur
incitant à appliquer aux lois le modèle utilisé pour fonder l ’ articulation
externe des concepts dans une théorie 21. C ette démarche est d ’ une grande
L ’ analyse du concept pourrait donc se d éfinir comme l ’ exposé de l’ ensemble des lois, et
l'étude de la loi comme l ’ exposé d ’ une des articulations de la structure du concept» (ibid.,
p. 57).
LA L É G ALIT É S CIE N TIFIQ U E 185
la déterminer. Loin de réduire les lois de la nature à des lois logiques, H egel
reconnaît au contraire un moment empirique irréductible.
C e type de déduction des lois exprime clairement la position épistémo
logique de H egel à l ’ égard du formalisme des théories scientifiques : le
formalisme utilisé pour décrire une région du ré el doit être approprié aux
rapports ré els qui font la spécificité de cette région. O n peut de ce fait
considérer la Philosophie de la nature comme une entreprise visant à
déduire la vérité des différentes formes mathématiques utilisé es dans la
formulation des lois de la nature. La section mécanique nous en donne un
exemple. E n faisant de l ’ espace, conçu comme une forme fondamen
talement quantitative, le concept résultant de l’ aliénation de l ’ idé e, H egel
cherche à fonder ontologiquement l ’ application des mathématiques à la
ré alité par les sciences modernes de la nature 1 . E n faisant de l ’ espace le
premier concept de la section Mécanique 21, H egel vise tout particulièrement
à justifier le formalisme mathématique de la mécanique classique. La
mécanique étudie la matière en mouvement, qui est le rapport immanent de
l ’ espace et du temps. La Théorie de la mesure, dans la Logique, s ’ était
employé e à démontrer que le rapport de deux qualités, comme F espace et le
temps, correspond aux rapports mathématiques définis par une fonction
polynôme. L a Philosophie de la nature, en explicitant l’ articulation
interne des concepts d ’ espace et de temps, procède à la déduction de la
1. C ertains interprètes lisent pourtant ainsi la critique de la fonction que N ewton attribue
aux mathématiques, en y voyant l ’ un des aspects les plus pertinents de l ’ épistémologie
hégélienne; D. Dubarle, op. cit., p. 127-128. L. F leischhacker, dans «H egel on
Mathematics and E xperimental Science» (H egel and N ewtonianism, p. 218-225) soutient
quant à lui que H egel oscille entre deux conceptions opposé es, l ’ une reconnaissant au
formalisme mathématique un domaine de validité indépendant, l ’ autre un domaine de
validité restreint à certaines régions de la nature seulement
2. Les tenants de l ’ interprétation réduisant la Philosophie de la nature à une fondation
des loi s, font de la théorie de la mesure le secret du rapport de la philosophie et des sciences
(V oir D. Dubarle, op. cit., p. 134 et A. Lacroix pour qui la théorie de la mesure «est bien
l ’ apport le plus décisif de l ’ intervention spéculative » op. cit., p. 18). Il faut leur opposer que
le projet d ’ une théorie de la mesure ne désigne qu ' unepartie, la moins importante du point de
vue de H egel, du rapport de la philosophie et des sciences. Lorsque H egel doit s ’ en tenir à
l ’ essentiel, comme dans la Propédeutique, il se contente d ’ analyser les principaux concepts
de la mécanique, sans s ’ intéresser aux formes mathématiques dans lesquelles sont énoncé es
les lois de K epler et de G alilé e. La théorie de la mesure y est donc sans emploi. Il faut
souligner en outre avec L. F errini que H egel tend à relativiser toujours plus l ’ importance de
la théorie de la mesure dans la Philosophie de la nature. E lle semble initialement désigner
che z lui le projet d ’ une science philosophique à même de rivaliser avec les sciences
positives. D ans Dissertation sur les orbites des planètes, c ’ est du point de vue de ce qu ’ il
nomme ensuite théorie de la mesure qu ’ il s ’ oppose à la série numérique que Bode avait
formulé pour calculer les distances entre les planètes, et qu ’ il propose une autre série
(F . de G andt, op. cit.,p. 51-52). D ans l' E ncyclopédie de 1817, c ’ est encore en ce même sens
qu ’il mentionne la possibilité d ’ une science philosophique des grandeurs qui procéderait du
point de vue d ’ une théorie de la mesure (Jubildums Ausgabe, 6, § 202). Mais à propos de la
série des distance entre planètes, H egel désavoue dès 1817 sa propre entreprise (§ 224), et
en 1827, il ajoute qu ’ une science philosophique des grandeurs serait la plus difficile de toutes
(fin de la remarque du paragraphe 259; voir aussi les passages des Leçons, datant de 1821-
1822, édité es par W. Bonsiepen, R aum-Z eit Lehre, p. 57,75), en faisant ainsi porter un lourd
soupçon sur sa possibilité. L e même retrait est perceptible à propos de l ’ éventuelle
organisation des pesanteurs spécifiques des substances chimiques. E n 1811, dans la première
édition de la Logique, H egel évoque la possibilité-au conditionnel - de la mise en ordre des
pesanteurs spécifiques des substances chimiques en un système de mesures (D as S ein,
188 L A T H E O RIE D E S S CIE N C E S
p. 254 : «L a même exigence est donné e pour la connaissance des séries d ’ affinité s
mentionné es »). E n 1830, il ajoute encore un conditionn el (Mesure, p. 76, W . 5, p. 434-435 :
«L a même exigence trouv erait place pour la connaissance des séries d ’ affinité s
mentionné es ») et il re nvoie cette possibilité à un futur lointain : « Mais la science [les
sciences positives] a encore be aucoup de chemin à p arcourir pour en arriv er là, autant que
pour saisir en un système de mesures les distances des planètes dans le système solaire ».
L ’ idé e de théorie de la mesure tend toujours plus à perdre sa référence à l ’ autonomie du
philosopher, et elle tend toujours plus à être conçue par H egel comme la simple e xplicitation
des lois déjà formulé es par les sciences positives.
C h a p i t r e in
L E S T H É O RI E S S C I E N TI F I Q U E S
(L ’ E X E MPL E D E LA M É C A NIQ U E)
1. L ’ idé e suivant laquelle la science est composé e de ces trois nive aux est une idé e asse z
traditionnelle. V oir par exemple les paragraphes 103 et 104 du Novum Organum de B acon.
2. Préf. des Prolégomènes, O . 3, p. 364.
3. E nc., § 16.
4. M.
190 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
l.L e s différe nte s thèses énoncé es ci dessous - dans ce qui reste cependant une
re construction - sont soutenues p ar D . D ub arle dans son article sur la critiqu e de la
mécanique n e wtonie nn e : « L a critiqu e de la mécanique n e wtonie nn e dans la philosophie de
H e g el», ïn H egel, l’ esprit objectif, l’ unité de l’ histoire, p. 113-136. E lle s ont inspiré les
tra v a ux de F . D e G a ndt (l’ introduction déjà évoqué e à sa tra duction de la Dissertation sur les
orbites des planètes) et d ’ A.. L a croix. C ette tra dition de comm e ntaire pre nd sa source ch e z
M e y erson qui voy ait dans la philosophie de la science h é g élie nn e une v ersion ra dic ale du
positivism e comtie n (voir D e l ’ explication dans les sciences, chap. 13 : H e g el et C omte). E lle
re ncontre la tra dition v e n a nt de Mich elet et se poursuiv a nt p ar e x e mple che z O . C loss (voir
K e pler und N ewton und das Problem d er Gravitation in der K antischen, Schellingschen un
H egelschen N aturphilosophie, p. 87-90), dans le cadre de la qu elle la philosophie h é g élie nn e
de la science est interprété e en termes goethé ens.
L E S T H É O RIE S S CIE N TIFIQ U E S 193
toute vérité. Au-delà des lois, il y aurait en fait une stricte alternative, ou
bien l ’ erreur de l ’ explication d ’ entendement, ou bien la véritable expli
cation spéculative. Aussi les sciences devraient-elles se contenter d ’ énoncer
les lois, alors que les principes des sciences, ce par quoi elles sont vérita
blement sciences, ne pourraient être élaborés que par la philosophie. Nous
retrouverions ainsi avec H egel la même position vis-à-vis des sciences
qu ’ avec Schelling : l ’ autonomie des sciences serait en fait remise en cause,
et l ’ idé e d ’ une science expérimentale serait interprété e comme une contra
diction dans les termes puisque le théorique est du ressort de la seule philo
sophie. C ’ est donc en un sens strict que H egel affirmerait que les principes
appartiennent à la philosophie. Une telle interprétation peut être soumise à
trois objections :1a première concerne le sens que H egel donne à la notion
«d ’ appartenance», la seconde concerne la théorie hégélienne de l ’ enten
dement, et la troisième concerne plus généralement les fondements de
l ’ épistémologie hégélienne.
Notons tout d ’ abord que l ’ usage que H egel fait de l ’ idé e d ’ une
«appartenance» des principes à la philosophie n ’ incite pas à prendre le
terme d ’ appartenance en un sens fort. À la fin de la remarque du paragraphe
267, H egel dit du moment rationnel de la loi de la chute libre (le rapport de
puissance) qu ’ il est le seul qui « appartient » au concept. Dire ici de ce
moment rationnel qu ’ il appartient au concept, c ’ est seulement affirmer
qu ’ il peut être appréhendé par le concept, ou que le concept peut en rendre
compte, et c ’ est en ce sens que la notion d ’ appartenance doit être prise en ce
qui concerne le rapport de la philosophie et des sciences, comme en
témoigne la façon dont H egel présente le projet de l ’ E ncyclopédie : « E lle
ne peut rien contenir d ’ autre que le contenu universel de la philosophie, à
savoir les concepts fondamentaux et les principes de ses sciences parti
culières, parmi lesquelles je dénombre trois sciences capitales : 1.1a
logique ', 2. la philosophie de la nature ; 3. la philosophie de l ’ esprit. E n
ré alité, toutes les autres sciences, qui sont regardé es comme des sciences
non philosophiques, tombent, en fait, en elle, quant à leurs éléments
initia ux, et c ’ est seulement suivant ces éléments initiaux qu ’ elles doivent
être considéré es dans l ’ E ncyclopédie, parce qu ’ elle est philosophique»1 .
Q ue la notion d ’ appartenance ne puisse être entendue qu ’ en ce sens large
d ’ une prise en compte élucidante 21, c ’ est ce qui résulte des rapports de la
certains concepts, tel celui de la consistance des parties, de la force, etc., et ils se servent de
ces notions sans savoir le moins du monde si elles conservent une vérité et dans quelle mesure.
E n ce qui concerne le contenu, ils n ’ expriment pas davantage la vérité de la chose, mais
seulement le phénomène sensible » (nous soulignons).
1. Hist. Phi. , t. 6, p. 1595, W. 20, p. 238.
2. Mesure, p. 68-69, W. 5, p. 427-428 : « O n ne voit pas alors la nécessité de se forger
de telles représentations, qui ne sont pas mises en évidence par l ’ expérience, qui même, au
fond, se contredisent et ne sont corroboré es d ’ aucune façon. L a seule justification possible
pourrait venir de l’ examen de ces représentations elles-mêmes, (...) mais cette métaphy
sique dénué e de fondement n ’ a rien à voir avec les proportions de la saturation elle-même ».
3.7 W d,p.72, W . 5,p. 431.
196 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
1. V oir également. Orbites, p. 135, Dissertatio.p. 8 : «ce principe, qui est pourtant sans
raison probante si on le considère isolément, re çoit le plus grand crédit du moment que son
usage se révèle étendu et varié (...) [mais], il ne faut pas jug er du principe en s ’ appuyant sur
l ’ usage qui en est fait et les conséquences qu ’ il entraîne ».
2. G . Buchdahl, « H egel on the Interaction B etwe en Science and Philosophy », op. cit.,
l’ explication dans
p. 62. C ’ est l ’ une des thèses qui fondent la proximité qu ’ E . Meyerson (D e
les sciences, chap. 13 : H egel et C omte) et D. Dubarle (op. cit., p. 132-133) voient! entre
H egel et C omte.
3. £nc.,§ 21.
4. Hist. P hi.,t.6,p. 1280-1281, W. 20, p. 84 : « l ’ autre défaut form el commun à tous les
empiriques est qu ’ ils croient s ’ en te nir à l ’ expérience ; que dans l ’ accueil de ces perceptions
ils fassent de la métaphysique, ils en demeurent inconscients » ; « L ’ homme n ’ en reste pas au
singulier, et il ne le peut pas. Il cherche l ’ universel; c elui-ci consiste en pensé es, sinon en
concepts. L a plus remarquable forme de pensé e est celle de la forc e (...). L a force est de
l ’ universel, non pas du perceptible ».
5. W. 9, p. 11.
L E S T H É O RIE S S CIE N TIFIQ U E S 197
1. E nc., § 22.
2. Sur la question du ré alisme che z H egel, voir K. R. W estphal, H egel’ s E pistemological
R e alism, op. cit.
3. Œ uvres philosophiques de Jacobi, trad. J.-J. Anstett, P aris, Aubier, 1946, p. 281 :
«Nous nous approprions l’ univers en le déchiquetant et en cré ant un monde d ’ idé es,
d ’ images et de mots qui est à la mesure de nos capacités, mais qui est entièrement
dissemblable du monde ré el ».
4. W .9,p. 19-20.
198 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
sciences ', à une lecture qui parviendra à répondre à des questions que les
sciences de la nature laissent sans réponse : qu ’ est-ce que l ’ objet que
chacune étudie, qu ’ est-ce que la nature en tant qu ’ ensemble de ces objets 21.
Le s p r i n c ip e s m é t a p h y s i q u e s d e s s c i e n c e s.
Le u r r a p p o r t a v e c l e s a u t r e s p r in c ip e s o n t o l o g i q u e s
1. C ’ est pourtant une thèse parfois soutenue, voir par exemple K. N. Ihmig, « H egel’ s
Tre atment of Universal Gravitation », in H egel and N ewtonianism, p. 367-381, ici p. 373.
2. E nc., § 246, add., W. 9, p. 20.
3. V oir par exemple, Hist. Phi., t.6,p. 1280-1281,W. 20, p. 84.
4. E nc., § 246, add., W. 9, p. 20.
5. Id. V oir aussi W. 18, p. 77.
6. O n peut faire remonter cette opposition à B acon. E lle est également associé e à
N ewton qui affirm ait : « Physique, gardes-toi de la métaphysique ! ». C omte et H egel
rapportent tous deux cette formule et la jugent tous deux contradictoire (C ours de philosophie
positive, P aris, H ermann, 1975, t. 1, p. 531 ; Hist. Phi., t. 6, p. 1573, W . 20, p. 231 ), mais pour
des raisons opposé es; C omte parce qu ’ il juge que N ewton est resté trop métaphysicien,
H egel parce qu'il reproche à N ewton de n ’ a voir pas été métaphysicien de façon
convaincante et réfléchie.
200 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
1. É claircissements sur les différents endroits des Éléments de philosophie, in E ssai sur
les éléments de philosophie, P aris, F ayard, 1986, p. 348 : « À proprement parler, il n ’ y a point
de sciencequin’ aitsa métaphysique, si l ’ on entend par là les principes généraux sur lesquels
la science est appuyé e, et qui sont comme le germe des vérités de détail qu ’ elle renferme et
qu ’ elle expose; principes d ’ où il faut partir pour découvrir de nouvelles vérités, ou auxquels
il est nécessaire de remonter pour mettre au creuset les vérités qu ’ on croit découvrir».
D ’ Alembert restreint cependant l ’ universalité des principes métaphysiques, en affirmant
qu ’ on ne peut appliquer le mot métaphysique qu ’ aux sciences ayant des objets immatériels,
c ’ est-à-dire les mathématiques et la physique générale (p. 348-349).
2. D ans ses R éflexions sur la métaphysique du calcul infinitésimal (1797), L. C arnot
entend alors par métaphysique «le véritable esprit de l ’ Analyse infinitésimale» (p. 1), ou
l ’ analyse infinitésimale saisie d ’ après ses principes (p. 4).
3. Traité de dynamique ( 1758), É dition Jacques G abay, R éimpressions, 1990, p. xxitt.
L E S T H É O RIE S S CIE N TIFIQ U E S 201
1. § 249.
2. Eric., § 277, rq. : « La matière grave est séparable en masses parce qu ’ elle est être-
pour-soi concret et quantité; mais dans l ’ idé alité toute abstraite de la lumière, il n ’ y a aucune
différence de ce genre ; une limitation de la lumière dans son étendue infinie ne supprime pas
sa cohésion absolue en elle-même. La représentation de rayons lumineux discrets et simples,
et de leurs particules et faisce aux dans lesquels est censé e consister une lumière limité e en
son extension, appartient à la commune barbarie que N ewton a fait régner en physique ».
3. Hist. Phi., t. 7, p. 2064, W. 20, p. 445.
4. Mesure, p. 68-69, W. 5, p. 427-428.
L E S T H É O RIE S S CIE N TIFIQ U E S 203
donne des catégories utilisé es par les sciences et entretenir un rapport avec
la Logique qu ’ il convient maintenant d'e xpliqu er1 .
L ’ explicitation à laquelle la Logique soumet les catégories comporte
plusieurs aspects qui engagent différents types de rapport entre les deux
premières parties du système. La Logique consiste en une étude des
différentes catégories, c ’ est-à-dire des concepts ayant une prétention à
énoncer une propriété universelle du ré el (toute ré alité est qualité, ou
quantité, ou mécanisme, ou vie, ou idé e...) qui soit aussi la propriété
essentielle du ré el. La Logique entreprend un examen critique de ces
prétentions, et c ’ est ce qui lui permet de déduire que la seule catégorie à
pouvoir légitimement revendiquer une telle universalité et une telle
essentialité est l ’ idé e absolue. La Logique est ainsi conduite à proposer ce
que nous nommerons une ontologie générale. Mais son intervention relève
aussi de l ’ ontologie régionale. E n effet, elle procède en même temps à une
justific ation des autres catégories, et elle produit une justification de leur
porté e objective et de leur universalité dans la mesure où elle établit qu ’ il
existe une certaine forme de compatibilité des différentes catégories avec
l ’ idé e logique. Il résulte certes de l ’ examen critique de ces catégories
qu ’ elles ne peuvent procéder à une information accomplie (ou une
thématisation complète) de l ’ être de toutes les régions, qu ’ elles ne peuvent
donc prétendre à une validité absolue. C ependant, si les catégories ne
parviennent pas à procéder à une information complète des différentes
régions de l ’ être, rien n ’ interdit que chacune d ’ elle procède à l ’ information
complète d ’ une région particulière. L ’ intervention de la Logique relève
1. V. Hosle, op. cit.,p. 101-115 et B. F alkenburg, op. cit., p. 184-185, 231-241, font des
séquences dialectiques de la Philosophie de la nature une répétition des séquences
dialectiques de la Logique.
206 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
Le s p r in c ip e s e x p l i c a t i f s e t l a c r i t i q u e
D E LA M É C A NIQ U E ?3
1. /&</., p. 25-27.
2. E nc. § 270, r<?., 3, W. 9,p. 87-88.
3. Id. : « Il est admis que, outre la base du traitement analytique, dont le développement a
d ’ ailleurs lui-même rendu superflu, ou pour mieux dire a rejeté be aucoup de ce qui
appartenait à N ewton et à sa gloire, le moment, riche en contenu, qu ’ il a ajouté au contenu des
lois de K epler est le principe de perturbation, principe dont on doit expliquer ici l ’ importance
dans la mesure où il repose sur la proposition selon laquelle ce qu ’ on nomme l ’ attraction est
un effet de toutes les parties singulières des corps en tant que ces derniers sont matériels ».
4. § 269, rq., W .9, p. 82.
5. § 269, rq.
6. Orbites, p. 132-133, Dissertatio, p. 6 : « Q uant à K epler, il avait reconnu que la gravité
est une qualité commune des corps ».
210 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
1. E nc., § 270, add., W. 9, p. 97 : « Il transporta donc la pesanteur dans la loi des corps
célestes et la nomma loi de la pesanteur. C ette généralisation de la loi de la pesanteur est le
mérite de N ewton; et cette loi nous est présente dans le mouvement que nous voyons
lorsqu’ une pierre tombe ».
2. Orbites, p. 151, Dissertation 21-22 : « Puisque la science mécanique reste étrangère
à la vie de la nature, la seule notion primitive qu ’ elle puisse appliquer à la matière c ’ est la
mort, cela qu ’ on appelle force d ’ inertie, c ’ est-à-dire l’indifférence au repos et au mou
vement» (voir également p. 139-140; p. 11). Pour l ’ opposition de la physique et de la
mécanique, p. 129,132,153,161 ; p. 4,6,23,29.
L E S T H É O RIE S S CIE N TIFIQ U E S 211
autres dans leur rencontre, alors que la gravitation présente la nature comme
un mouvement de réduction de cette extériorité à l ’ unité; elle implique en
effet que les corps, en agissant les uns sur les autres, s ’ organisent en un
système : la matière s ’ y divise en un « système de corps » pour « constituer
le moment de la singularité ou subjectivité»1 . Il faut trancher entre ces
deux conceptions de la matérialité. H egel tranche en faveur de la gravitation
universelle, aussi lui fa ut-il reformuler le sens du principe d ’ inertie à la
lumière du principe de la gravitation universelle. L ’ inertie et la gravitation
sont les deux principes fondamentaux de la Mécanique, et la gravitation le
plus fondamental des deux. E n tant que la gravitation est le principe fonda
mental, l ’ inertie doit être repensé e du point de vue de la gravitation. Mais
en tant que l ’ inertie est ung caractéristique essentielle de l ’ être mécanique,
le concept de gravitation doit en conserver la trace. Voyons comment H egel
explore le conditionnement réciproque de ces deux concepts.
La Mécanique finie parcourt la séquence inertie, choc, chute, elle fait
ainsi de la chute la vérité de l ’ inertie, et il faut y voir une tentative de fonder
l ’ inertie dans la gravitation. L ’ idé e soutenue ici est que l ’ indépendance des
corps thématisé e dans l ’ inertie présuppose elle-même une forme
d ’ attraction. C ’ est en effet sous l ’ effet d ’ une attraction que les corps rassem
blent la matière autour de leur centre de gravité, qu ’ ils se dotent d ’ une
masse et d ’ une élasticité déterminé e, et qu ’ ils existent pour eux-mêmes,
comme des existences indépendantes. L ’ inertie présuppose l ’ attraction
dans la mesure où elle est l ’ une des modalités de l ’ affirmation de l ’ indé
pendance des corps et que l ’ effort de conservation de leur état de
mouvement ou de repos est proportionnel à leur masse. Inversement, la
gravitation elle-même conserve la trace de l ’ extériorité de la nature
impliqué e dans le concept d ’ inertie. C ’ est en définitive l ’ inertie, en tant que
concept de l ’ extériorité de la matière à elle-même, qui explique que la
gravitation ne conduise pas à la constitution effective du système des corps
en un sujet, et qu ’ elle reste toujours seulement une recherche de singula
rité : « la gravité est l’ opposition de l ’ être extérieur à soi qui ne fait que
s ’ efforcer d ’ atteindre l ’ être-dans-soi » 21. La gravitation implique bien
l ’ auto-organisation de la matière, cette tendance à F auto-organisation reste
toutefois une tendance, un effort insatisfait. H egel y rattache le fait que le
1. § 269.
2. Propédeutique, § 116 (nous soulignons). D ans les additifs des paragraphes 270-272
de [' E ncyclopédie, H egel identifie à plusieurs reprises la gravitation à un chercher (suchen).
P ar exemple : « La matière est pesante, étant pour soi, cherchant l ’ être dans soi ; le point de
cette infinité est seulement un lieu, et c ’ est pourquoi l’ être pour soi n ’ est pas encore ré el»
(§ 272, a<7J., W. 9, p. 107).
214 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
centre autour duquel la matière s ’ organise reste un centre idé al, un poi nt
mathématique sans existence corporelle 1 .
Les concepts d ’ attraction et d ’ inertie entretiennent donc des rapports d e
conditionnement réciproque. Il convient cependant de distinguer attraction
et gravitation. La gravitation est certes une forme d ’ attraction, mais elle est
également plus carelle suppose en fait une forme de synthèse de l ’ inertie et
de l ’ attraction. C ette interprétation de l ’ inertie et de la gravitation se situe
dans la ligné e des interprétations dynamistes de la mécanique newtonienne.
D ans le deuxième chapitre des Premiers principes métaphysiques de l a
science de la nature, K ant déjà avait tenté d ’ expliquer qu ’ il existe une
« attraction essentielle à toute matière » (théorème 7) et il avait soutenu que
cette thèse est exigé e par le système de N ewton (théorème 7, remarque 2).
D ’ après lui, la possibilité même de la matière suppose en effet l ’ existence
d ’ une force de répulsion, à même d ’ expliquer la résistance de la matière aux
mouvements de pénétration de l ’ espace qu ’ elle occupe (théorème 2), de
même qu ’ une force d ’ attraction, à même d ’ équilibrer cette force de
répulsion (théorème 5), la gravitation universelle étant l ’ un de ses effets
(théorème 8, corollaire 2). Schelling reprendra cette interprétation de la
matière tout en opposant deux objections à K ant. La première concerne la
démarche analytique de K ant. D ans les Idé es pour une philosophie de la
nature, de même que dans l ’introduction à l ’ esquisse d ’ un système de
philosophie de la nature, il lui est reproché de commencer par postuler la
matière et le mouvement au lieu de les reconstruire à partir des forces
originaires de la nature 21. La seconde concerne la différence de l ’ attraction
originaire et de la gravitation. Alors que K ant interprète la force d ’ attraction
originaire comme une force superficielle et la force d ’ attraction comme une
force pénétrante (définition 7, corollaire), Schelling considère au contraire
dans l ’ E squisse d ’ un système de philosophie de la nature que l ’ attraction et
la répulsion originaires, constitutives de la corporéité, doivent être conçues
comme des forces superficielles et distingué es de la gravitation qui, elle,
s ’ exerce sur des corps matériels constitués et doit être interprété e comme
une force pénétrante 3 . C ette force d ’ attraction pénétrante est elle-même
conçue par Schelling comme le pendant d ’ une force répulsive, trouvant son
1. E nc., § 271, add., W. 9, p. 101 (voir aussi la note précédente). C e thème a son origine
dans une reprise spéculative du principe newtonien des perturbations. D ’ après les lois de
K epler, le soleil est un centre effe ctif dans la mesure où il occupe l’ un des foyers des ellipses
décrites parles corps célestes. Mais si l ’ on admet l ’ universalité de l ’ attraction, le corps est
lui-même attiré au moment même où il attire, ce qui le fait se mouvoir dans l’ environnement
d ’ un foy er d ’ ellipse.
2. S. W. II, p. 214 ; III, p. 274-275.
3. S. W., III, p. 101.
L E S T H É O RIE S S CIE N TIFIQ U E S 215
origine dans « l’ explosion » d ’ une masse origin aire 1 , de sorte que la gravi
tation est définie comme la synthèse d ’ une attraction et d ’ une répulsion2 .
H egel reprend à son compte les différents éléments de la critique
schellingienne de K ant. Il admet que la matière est la synthèse d ’ une
attraction et d ’ une répulsion mais il récuse la démarche analytique qui
conduit K ant à faire de ces deux forces des forces indépendantes et il
s ’ oppose à l ’ identification de l ’ attraction à la pesanteur3 . D e même
considère-t-il avec Schelling que la gravitation exprime l ’ unité d ’ une
attraction et d ’ une répulsion4 . C ’ est à la lumière de cette dernière thèse que
doivent être interprétés les rapports de l ’ inertie et de la gravitation che z
H egel. Si l ’ inertie et la gravitation sont les deux principes essentiels de la
Mécanique, c ’ est parce qu ’ elles correspondent aux deux moments de la
répulsion et de l ’ attraction qui définissent la matière et le mouvement. Si la
gravitation est la vérité de l ’ inertie, c ’ est qu ’ elle effectue une synthèse de
cette attraction et de cette répulsion, dans la mesure où l ’ attraction n ’ y est
plus négatrice de la répulsion (l’ extériorité) originelle des corps, comme
dans la chute libre, mais qu ’ elle l ’ équilibre en un système de corps.
2. Les principes explicatifs fondamentaux de la mécanique newto
nienne, la force d ’ inertie et la force d ’ attraction, sontdoncbien intégrés à la
philosophie hégélienne de la nature. Loin de rejeter ces concepts
newtoniens, H egel tente de faire de l’ inertie et de la gravitation des pro
priétés essentielles de la matière. C ependant, si la théorie newtonienne est
interprété e comme un ensemble de concepts et de propositions vrais, H egel
est d ’ avis que ces énoncés et ces propositions sont formulés sous une forme
partiellement inadéquate. L ’ inadéquation de ces formulations tient
notamment au concept de force, et c ’ est en ce sens que H egel parle par
exemple de la « soi-disant force de pesanteur » 5 , non pas que la pesanteur ne
soit pas une force, mais parce qu ’ elle n ’ est pas véritablement présenté e
comme une force par N ewton. O n ne saurait trop insister sur le fait que
H egel ne donne pas du concept de force une appréciation purement
négative, comme en témoigne le fait qu ’ il considère les forces scientifiques
l. S . W .,III,p. 96 sq.
2. V oir à ce propos, la D éduction générale du processus dynamique (1800), § 39.
3. E nc., § 262, rq.
4. § 268. La divergence principale avec Schelling tient au fait que la répulsion n ’ est plus
conçue en des termes génétiques, mais seulement interprété e comme une donné e structurale
de l’ être mécanique. Pour une comparaison de Schelling et de H egel sur ce point, voir
l ’ ouvrage d ’ O tto Closs, K epler und N ewton und das Problem der Gravitation in der
K antischen, Schellingschen und H egelschen N aturphilosophie, H eildelberg, 1908.
5. E nc., § 270, rq.
216 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
1. C ette thèse est soutenue par K. N. Ihmig, «H egel’ s Tre atment of Universal
Gravitation », in H egel andN ewtonianism, p. 367-381, ici p. 373.
2. Orbites, p. 132, Dissertatio, p. 6 : « R emarquons pour l ’ instant que, s ’ il voulait exposer
des rapports mathématiques, l ’ étonnant est qu ’ il ait utilisé le mot de force ; caries quantités du
phénomène relèvent des mathématiques, mais la connaissance de la force relève de la
physique. E n ré alité, croyant partout définir des proportions entre forces. N ewton a construit
un édifice composite fait de physique et de mathématiques, où l ’ on a peine à trier ce qui
relève de la science physique et constitue pour elle un apport ré el ».
3. J. T. D esanti, La philosophie silencieuse.
4. E nc. , § 267, note 2.
224 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
L A P HIL O S O P HIE C O MM E IN T E R V E N TI O N
D A N S L E S D É B A T S S CIE N TIFIQ U E S
(L E C A S D E LA C HIMIE)
1. V oir par exemple I. Lakatos, Méthodologie et histoire des sciences, P aris, P U F , 1994.
2. V oir par exemple J. G ayon qui synthétise ainsi la pensé e de J. Roger : « il est des
époques où cet esprit [« l’ esprit du temps »] revêt davantage l ’ allure du conflit et du mou
vement que celle d ’ une structure bien définie de l ’ ordre possible des pensé es » (« Postface :
D e la philosophie biologique dans l ’ œ uvre de J. Roger», in J. Roger, Pour une histoire des
sciences à part entière, P aris, Albin Michel, 1985, p. 459-471, ici p. 461).
3. V oir par exemple E . B alibar, « C oupure et refonte. L ’ effet de vérité des sciences
dans l ’ idéologie», in Lieux et noms de la vérité, La Tour d ’ Aigues, É ditions de l ’ aube, 1994,
p. 99-162.
228 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
qui lui reste caché e; elle ne le peut sans procéder à une intervention active
dans le savoir positif. D ’ une telle « pensé e intervenante », suivant la belle
expression de Brecht *, la philosophie hégélienne de la chimie nous fournit
un exemple qui, conformément au principe de la fondation immanente,
évite soigneusement toute position de surplomb et utilise au mieux les
ressources du style de la philosophie de la nature. H egel s ’ y attache à la
rationalité spécifique des débats théoriques, en prenant en compte les
controverses portant sur ce que nous avons présenté comme les différents
nive aux de la rationalité scientifique. Le contexte scientifique de l ’ époque
lui interdit de se contenter d ’ une philosophie de la chimie et lui impose
d ’ élaborer une philosophie chimique, c ’ est-à-dire une théorie des forces
chimiques, pour faire apparaître la vérité du savoir acquis par les chimies
dynamistes de ses contemporains21.
P ar méconnaissance du champ polémique de la culture scientifique de
l ’ époque, on considère parfois la philosophie hégélienne de la chimie
comme l ’ un des exemples des errements auxquels la Philosophie de la
nature peut conduire. H egel s ’ y mettrait en contradiction avec la chimie
lavoisienne pourtant déjà reconnue depuis des décennies, de même qu ’ avec
l ’ atomisme e tl’ électrochimisme, il s ’ en remettrait à la chimie phlogistique
totalement dépassé e sous le seul effet de son arrogance philosophique3 . E n
s ’ attachant à son intervention dans les débats théoriques concernant les
principes ontologiques, les méthodes de classification, et l ’ explication
chimique, nous verrons au contraire qu ’ il se situe dans le cadre strict du
savoir de son temps.
L’ u n i t é d e l ’ o b j e t
1. Sur J. B erz élius, voir E . M. Melhado, Jacob B erz élius. The E mergence ofhis C emical
System, Upsala, Almquist et Wicksell, 1981.
2. G . F . Pohl, «Lehrbuch der C hemie von J. J. B erz élius », in Jahrbücher fur
wissenschaftlische Kritik, 1827, p. 505-543, ici p. 510-5 H . Pohl est le seul chimiste qui semble
avoir subi une influence directe de la chimie hégélienne.
3. Sur Œrsted, voirB . G ow er, «Spéculation in Physics: the History and Practice of
N aturphilosophie », in Studies in the HistoryofPhilosophyofScience, 3,1973, p. 301-356; R.
C . Stauffer, «Spéculation and E xperiment in the B ackground of Œrsted Discovery of
E lectromagnetism », /sir, 1957, vol. 48, part 1, p. 33-34,47-48.
4. Sur Richter, voir F . Gregory, « Romantic K antianism and the E nd of the N ewtonian
Dre am », in Archives Internationales d ’ Histoire des Sciences, 34,112,1984, p. 108-123.
5. B erthollet, comme Wollaston, n ’ est pas hostile à l ’ hypothèse atomiste pour des raisons
ontologiques. Il refuse seulement l ’ arbitraire qu ’ il y aurait à faire reposer une science sur
une hypothèse aussi incertaine : « n ’ est-ce pas nous jeter dans les spéculations les plus
LA P HIL O S O P HIE D A N S L E S D É B A T S S CIE N TIFIQ U E S 231
vagues de la métaphysique que de ramener ces éléments aux atomes indivisibles mais
différents en grandeurs et unis entre eux par une force qu ’ on ne détermine pas ? » ; R evue de
L ’ E ssai de Statique C himique, É ditions de l’ É cole Polytechnique, 1980, p. 147.
1. Sur le développement de l ’ atomisme, voir A. J. Rocke, C hemical Atomism in the
Ninete enth C entury, C olumbus, O hio University Press, 1984. L ’ atomisme est certes
compatible avec la prise en compte des forces chimiques et les atomistes s ’ efforcent
effectivement de rendre compte de ces forces (voir par exemple, E . G . Thompson, Système
de chimie, trad. J. Riffault, P aris, 1817. livre III, t. III). Thompson constate toutefois qu ’ il n ’ a
pas été trouvé «d ’ explication satisfaisante » de l ’ activité chimique (op. cit.,p. 17).
2. B. B ensaude-Vincent, I. Stengers, Histoire de la chimie, La D écouverte, 1992,
p. 149-164.
232 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
laquelle les forces d ’ affinité sont des forces de pénétration, et non pas
seulement des forces de contact qui associent des substances tout en les
laissant inchangé es, c ’ est un autre des lieux communs de la chimie
dynamiste de l ’ époque.
Les forces d ’ affinité permettent doublement de penser l ’ unité du
chimisme, d ’ une part, en ce qu ’ elles permettent de penser l ’ unité des forces
chimiques, d ’ autre part, en ce qu ’ elles permettent de penser l ’ unité de
l ’ activité chimique et de la corporéité chimique. Les forces chimiques sont
des forces d ’ attraction (de combinaison) et de répulsion (de décompo
sition). La notion d ’ affinité désigne immédiatement une force d ’ attraction.
E lle semble donc plus à même d ’ expliquer la combinaison que la
décomposition. C ependant entendue en un sens électif, la notion d ’ affinité
élective fournit bien une théorie de / ' unité des effets de combinaison et de
décomposition. E lle était d ’ ailleurs bien considéré e ainsi par les théoriciens
de l ’ affinité élective 1 . Du fait que certains corps ont le pouvoir d ’ attirer
préférentiellement vers eux les corps ayant le statut de composant dans des
composés, ils ont aussi le pouvoir de décomposer des composés. Si l ’ af
finité de A avec B est d ’ une plus grande intensité 21 que l ’ affinité de B avec
C , le composé B C est décomposé en présence de A . C ’ est bien au sens de
f affinité élective que H egel entend I ’ affinité, en un sens dont il faut préciser
qu ’ il n ’ était pas déjà dépassé à l ’ époque, contrairement à ce qu ’ affirment
certains commentateurs3 . Victimes d ’ une illusion rétrospective, ceux-ci
tendent à surestimer l ’ effet immédiat de la critique berthollé enne de
l ’ affinité élective. L ’ historien des sciences constate plutôt que l ’ on se
désintéressa asse z rapidement des problématiques de B erthollet, du fait de
leur difficulté intrinsèque et sous l ’ effet d ’ aspiration de programmes de
recherche plus mobilisateurs (atomisme et électrochimisme)4 . Les
chimistes étaient loin d ’ avoir totalement abandonné le concept d ’ affinité
élective : B erz élius, le chimiste le plus célèbre de l ’ époque admet que les
1.11 semble toutefois que les é ditions ultérie ure s du Traité de chimie (postérie ure s à
T E ssai de 1819) m a nife ste nt une c ertain e é volution. L a position de B erz élius sur c ette
qu e stion reste a mbigu ë . C ’ est au Traité que H egel se réfère dans la Logique lorsqu’ il critiqu e
la conc e ption b erz éliusie nn e de l ’ affinité , dont il dénonce d ’ aille urs l’ ambiguïté. Sur toutes
ces questions, voir A . D o z , Mesure, p. 163-168.
2. Système de chimie, t. 3, p. 17 : «L e s circonstances observé es p ar Pfaff et b e a ucoup
d ’ autres qu ’ on pourrait citer, semblent prouv er que l’ affinité est éle ctiv e , quoiqu’ il n ’ ait pas
encore été présenté d ’ e xplic ations satisfaisantes de cette propriété e xtra ordin aire ». Pour
une étude plus pré cis e de la ré c e ption des thèses b erthollé e nn e s, on se re portera à
M. S a a doun- G oupil, Le chimiste C laude-Louis B erthollet, sa vie, son œ uvre, P aris, Vrin,
1977,p. 191 sq.
3. B erthollet distingu ait en effet la forc e de cohésion ou affinité d ’ a gré g ation, et
F affinité chimiqu e ou affinité propre m e nt dite; voir sur ce point M. S a a doun-G oupil, op. cit.,
p. 163-172.
4. Plus les ré a ctifs sont opposés (p ar exemple, plus l ’ acide et l ’ alc alin sont forts), plus la
cohésion chimiqu e du composé est forte , et plus difficile est le ur d é composition chimiqu e . O n
peut se re porter sur ce point au résumé que G oethe donne de la th é orie chimiqu e des affinité s
électives : « U n e telle affinité nous fra pp e nota mm e nt che z les alc alins et les acides, qui, bie n
qu ’ opposés et p e ut être pour cette raison même, se re ch erch e nt et se saisissent avec le plus
d ’ énergie, se modifie nt et form e nt ensemble un nouve au corps (...); c ar des qu alité s
opposé es re nd e nt possible une union plus intim e » (G oethe, Les affinités électives, tra d.
J.-F . A ng ello z , P aris, F la mm arion, 1992, p. 74).
LA P HIL O S O P HIE D A N S L E S D É B A T S S CIE N TIFIQ U E S 237
1. E nc., § 200 : « [L ’ objet chimique] est la contradiction de cette totalité qui est sienne et
de la déterminité de son existence ; il est par conséquent la tendance à supprimer cette
contradiction ».
2. C urieusement, P. K erszberg soutient au contraire qu ’ avec la philosophie hégélienne
de la chimie : « chemistry completly loses its status as a discipline separate front the other
exact sciences. O ntologicaly spe aking, the force of gravity and C hemical affinity are on the
same plane » (« The Mental C hemistry of Spéculative Philosophy », op. cit., p. 204).
3. H. Metzger, N ewton, Stahl, B œ rave et la doctrine chimique, P aris, 1930, p. 124 sq.
238 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
qui est proprement chimique dans le procès chimiqu e » (p. 72-431). R elevons que B erz élius
soulevait lui-même le problème. E ssai, p. 73.
1. L e concept de synsomatie joue un grand rôle dans la chimie hégélienne. D ans
rE ncyclopédie de 1817, il y était fait référence dans le corps même du texte, qui, de ce fait,
acquérait plus de clarté. M. J. P etry remarque ajuste titre que « H egel modifie quelque peu la
signific ation du terme » (H egel’ s Philosophy of N ature, 1.1, p. 449). 11 semble en effet que
Winterl donnait au concept une extension moindre que H egel, en désignant seulement les
phénomènes de mélanges d ’ acides ou d ’ alcalins, et non pas aussi les différe nts types de
mélanges ainsi que la perturbation de la ré action chimique par des facteurs physiques.
N é anmoins, Schuster, élève de Winterl, indique que ce type de causalité appartient éga
lement au concept winterlie n de synsomatie : « Après l ’ exposition des bases et des acides suit
ceux qu ’ ils conditionnent. Ils s ’ a git soit de combinaisons de substances animé es [begeisteter]
semblables, soit de combinaisons de substances animé es dissemblables: c elle-là s ’ appellent
synsomaties, celles-ci neutres. Les synsomaties sont des combinaisons de substances
animé es semblables. L e ur ré action est donc acide ou basique. E lles diffère nt des neutres en
cela 1) qu ’ elles ne sont pas émoussé es [elles restent acides ou basiques] (...) 2) que la
relation de leurs parties constituantes relève d ’ une influence extérieure, celle de la
température, de l ’ e au, de l ’ atmosphère, et qu ’ elle est donc v aria ble » (J. Schuster, System
derdualistischen C hemie, 1806, 1.1, p. 447). O n notera que dans le cours de 1823/1824, le
concept de synsomaties est réservé aux amalgames (Griesheim, p. 127-129).
2. V oir l’ a dditif du paragraphe 327, qui conclut ainsi: «M ais le procès chimique
présuppose une opposition plus déterminé e, et il en surgit une plus grande a ctivité et un
produit plus spécifique » (W. 9, p. 294).
3. Phéno.,p. Ph.d. G , p. 172.
4. C omme on le voit dans la Phénoménologie où ces phénomènes sont rangés dans la
catégories synsomaties. Phéno., p. 191, Ph.d. G ., p. 172.
240 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
L e P R O BL È M E D E S C O R P S SIMPL E S
Le rôle que H egel fait jouer aux éléments que sont l ’ air et l ’ e au est à
l ’ origine du discrédit dans lequel on tient d ’ ordinaire sa philosophie
chimique. Le paragraphe 328 veut que ces milie ux soient actifs par leurs
éléments chimiques que sontl’ oxygène, l ’ a zote, le carbone et l ’ hydrogène.
H egel reproduirait ainsi une démarche propre à la chimie phlogistique :
l ’ explication des phénomènes chimiques à partir d ’ un «principe sub
stantiel » (Grundstoff), comme le phlogistique. C omme le voit E . F ârber,
la philosophie schellingienne de la chimie repose sur une telle conception
en termes de principes substantiels. L ’ objectif de Schelling est en effet de
dégager les principes qui donnent à l ’ activité originaire de la nature sa
traduction chimique 4 . Si l ’ on se reporte à un exposé synthétique comme la
1. P ar exemple B erz élius, qui au début du tome 5 de son Traité, écarte la chimie
organique des lois de la chimie en considérant qu ’ une force vitale s ’ exerce sur les composés.
2. Leçons, p. 91 : « Les acides végétaux et animaux ont un être tout à fait spécifique, ils
n ’ appartiennent donc pas à la sphère du chimisme ». Pour une analyse de la position
hégélienne vis-à-vis de la chimie organique, voir D. v. E ngelhardt, « H egel on C hemistry and
the Organic Sciences », in H egel andN ewtonianism, p. 657-665.
3. E nc., § 363, a JJ.
4. Schelling admet certes la critique lavoisienne de la chimie phlogistique et le rôle
fondamental que Lavoisier donne à l ’ oxygène. Mais il procède en quelque sorte à la
traduction de la chimie lavoisienne en langage phlogistique. Ainsi l ’ oxygène et l ’ hydrogène
244 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
sont-ils considérés comme « die allgemeinen R eprasenten der potenzierten Attra ctiv - und
R epulsivkraft » {Ide en, S. W. II, p. 120), ou comme les deux principes substantiels de la
chimie. L ’ id e ntific ation de l ’ hydrogène au phlogistique provient de Kirwan.
L S . W .IlI.p. 240-249.
2. J. J. Winterl, D arstellung der vier B estandtheilen der anorganischen N atur, 1804 :
« Nous avons précédemment énuméré trois parties constituantes de la nature inorganique : la
matière [ Stqff] , dans laquelle nous ne trouvons aucune différe nc e; le lien, aux multiples
différences; l ’ esprit [les principes], qui est double et cause immédiate de toutes les actions ».
C ité par H. A . M. Snelders, in « The Influence of the Dualistic System of J. J. Winterl ».
3. V oir par exemple E nc., § 328, Leçons, p. 95.
4. E nc., §331, §332.
5. § 202.
6. § 334, rq. : « L e plus surprenant à cet égard est de constater qu ’ on présente comme
des matières les quatre éléments chimiques (oxygène, etc.) sur la même ligne que l’ or,
l ’ argent, etc., le soufre, etc., comme si ces éléments avaient une existence autonome du
même genre que l ’ or, le soufre (...). L e ur place dans le procès indique leur subordination et
leur abstraction, c ’ est-à-dire ce qui les situe dans un genre tout à fait distinct de celui des
métaux, des sels, et interdit de les mettre sur la même ligne que des corps concrets comme
c e ux-là ».
LA P HIL O S O P HIE D A N S L E S D É B A T S S CIE N TIFIQ U E S 245
1. Leçons, p. 96. D ans des textes qui proviennent sans doute de léna, H egel y ajoute le
naphte(§ 331, add., W. 9, p. 319). O n n ’ en trouve plus la trace dans les Leçons. S ans doute
H egel pre nd-il conscience qu ’ il ne s ’ agit pas là d ’ un corps simple. L a dénomination de corps
combustibles, ainsi que l ’ idé e d ’ en faire une classe de corps simples est courante au début du
XIX e siècle, on la trouve notamment che z Trommsdorf (Systematisches H andbuch, t. 1,
p. 447-518), Gren, Klaproth, et Hildelbrandt. O n la retrouve encore dans le Traité de
B erz élius, qui distingue deux catégories dans les quasi métaux : 1) l ’ oxygène, 2) les corps
combustibles. Trommsdorf est conscient du fait qu ’ il y a combustion des métaux, mais il en
fait pourtant une classe distincte car il considère que la combustion des corps combustibles
diffère de celle des métaux. C ’ est à un type de distinction analogue que se réfère H egel. Il
l’indiqu e en établissant une différe nc e entre le simple fait de brûler (brennen), c ara cté
ristique des métaux, et la combustion proprement dite (verbrennung), caractéristique des
corps combustible s;£hc„ § 331, add., ' W. 9, p. 319 : «es verbrennt,es bre nntnichtnur».
. 2. E nc„ § 334, add., W. 9, p. 331 ; Log. III, p. 240, W. 6, p. 429-430. L e terme de base
change de sens à l ’ époque de H egel, et les additifs de l ’ E ncyclopédie ré v èle nt qu ’ il est
parfois pris au sens actuel de l ’ opposition de l ’ acide et de la base (H egel parle le plus souvent
d ’ alcalins).
3. « H egels Philosophie der C hemie », p. 104.
246 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
1. E nc., § 328 : «les éléments physiques, en tant que moyen terme des extrêmes, sont
cela même dont les différenciations animent les corporéités concrètes indifférentes, c ’ est-à-
dire ce qui permet à ces corporéités d ’ atteindre leur différenciation chimique ».
2. § 328, add., W. 9, p. 297.
3. ld„ « La théorie de Lavoisier se fonde sur ce point ».
4. Log.II,p. 171-172, W. 6, p. 143-144;Pfténo.,p. 191, Ph.d. G ., p. 172-173.
5. Phéno.,p. \ 9l,Ph.d. G .,p. 172-173.
LA P HIL O S O P HIE D A N S L E S D É B A T S S CIE N TIFIQ U E S 247
1. Leçons, p. 91. H egel suit ici certains chimistes du début de siècle qui divisaient les
corps simples en substances « présentables de façon sensible » (sinnliche darstellbar) et en
substances qui ne le sont pas (F . A. Gren, C . F . Bucholz, Grundrisse der C hemie, p. 21 : « L a
non présentabilité de quelques-uns de ces éléments réside en leur grande inclination à s ’ unir
avec d ’ autres substances, (...) de telle sorte que nous ne pouvons les connaître que par les
combinaisons ré ellement présentables qu ’ elles constituent»). P armi ces dernières, Gren
compte l ’ oxygène, l ’ hydrogène, le carbone et l ’ a zote. C es quatre substances semblent en
effet ne pas pouvoir exister séparément et tendre à s ’ unir spontanément les unes aux autres.
Ainsi les formes d ’ existence les plus simples de l ’ oxygène, de l ’ hydrogène et de l ’ a zote
semblent-elles être l’ e au et l ’ air atmosphérique.
2. Log. III, p. 243, W. 6, p. 433.
3. Log. III, p. 240, W. 6, p. 429-430.
248 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
1. Nous ne croyons pas que J. Burbidge aitraison lorsqu’ il lit che z H egel un refus d ’ user
du terme lavoisien d ’ élément au nom d ’ un doute sur la simplicité des corps non encore
décomposés (R e al Process, p. 128-129). L a problématique des bases comme présupposition
du procès chimiqu e revient selon nous à reconnaître leur simplicité.
2. E nc., § 334, rq. : « C e qu ’ il y a de plus curieux à cet égard, c ’ est de voir traités les
quatre éléments chimiques (l’ oxygène, etc.) sur la même ligne que l ’ or, l ’ argent, etc., le
soufre..., comme s ’ ils avaient une existence indépendante comme celle de l ’ or, le soufre,
etc. » ; § 329, add., W. 9, p. 300 : « Q uand on considère la série des corps dans des manuels
de chimie de la manière dont elle est constitué e, c ’ est alors la différe nc e des soi-disant corps
simples et des corps qu ’ ils composent qui est la différence fondamentale (...). Mais on voit au
premier coup d ’ œ il que ceux-ci [les corps simples] sont des choses totalement hétérogènes ».
3. Nous avons vu que cette interprétation était défendue par E . F ârber. E lle l’ est aussi
par E . Meyerson, op. cit.., p. 472-473, p. 922-926.
4. Griesheim, p. 119-120 : « L ’ e au et l ’ air sont eux aussi, comme l ’ on dit, décomposés,
(...) ceux-ci sont séparés en substances abstraites, et c ’ est ici que l ’ hydrogène jou e alors un
rôle ».
LA P HIL O S O P HIE D A N S LE S D É B A T S S CIE N TIFIQ U E S 251
La c l a s si f ic a t io n
1. E hc., §328, add., W. 9, p. 296-297. C ette même idé e est présenté e en d ’ autres
endroits : § 286, add., W. 9, p. 148 ; § 324, add., W. 9, p. 286 ; § 334, rq.
2. Meyerson (op. cit.„ p. 472) semble confondre les concepts d ’ éléments chimiques et
d ’ éléments physiques. H egel affirme en effet que les éléments physiques se transforment les
uns dans les autres (§ 286, add., W. 9, p. 147) ; mais les éléments physiques sont composés
d ’ éléments chimiques qui, eux, ne se transforment pas les uns dans les autres.
3. Griesheim, p. 116. Trommsdorf, Systematischen H andbuch der G esammten C hemie,
1. 1, p. IX : la chimie a pour objet « de déterminer les rapports quantitatifs et qualitatifs des
corps ».
4. Eric., § 334, rq. O n peut remarquer que la question de la classification d éfinit le point
de vue spécifique de la Philosophie de la nature. La Logique, dans sa section consacré e à
l’ étude de « l ’ objet », se contente d ’ analyser les rapports ontologiques les plus généraux de
252 L A T H E O RIE D E S S CIE N C E S
\ . E nc., §329. V oir également, §329, add., W . 9, p. 300: «M ais en v érité, c ’ est le
procès et la suite des nive aux du procès qui est l ’ objet fondamental; son cours est le d éter
minant, et les déterminités des individualités corporelles n ’ ont leur sens que dans ses
différents nive aux. L a nature d ’ un corps dépend de sa position dans les différents procès, où
il est le produisant, le déterminant, ou le produit. Il est certes capable d ’ autres procès, mais il
n ’ est pas en eux le déterminant ».
2. Griesheim, p. 132-134.
3. H élène Metzger propose une analyse intéressante des classifications à double entré e
et soutient que la classification chimique est fondé e che z H egel sur le princip e de
« l ’ analogie agissante» plutôt que sur celui de la permanence de la substance. Les corps
seraient ordonnés en fonction de la ressemblance de leurs actions, et non en fonction de leurs
rapports de composition (H. Metzger, Les concepts scientifiques, p. 35-51). Il s ’ a git au
contraire che z H egel de rendre compte conjointement des rapports de composition et des
transformations de l ’ activité chimique.
256 L A T H E O RIE D E S S CIE N C E S
L’ e x p l i c a t i o n
1. fn e ., §202.
2. § 334.
3. Log. III, p. 244, W . 6, p. 433.
4. J. B urbidg e , R e al Process, p. 133.
5. H . M etz g er, Les concepts scientifiques, p. 54-55, soulign e le f ait que cla ss er p ar
composition, c ’ est assigner une cause et proposer une cla ssific ation qui a imm é diate m e nt un
pouvoir e xplic atif. C ’ est bie n la cas che z L a voisier où l ’ oxygène a pp ara ît comme le princip e
de l ’ a ctivité chimiqu e : dire cte m e nt e xplic atif pour la form ation des acides (son pouvoir
chimiqu e lui p ermet de s ’ unir a v e c les bases oxyd a ble s), il l ’ est indire cte m e nt pour la
form ation des sels (l’ a ctivité qu ’ il tra nsmet aux acides le ur p erm et de s ’ unir a ux bases
a cidifia ble s). O n voit en cela qu ’ il y a rupture de la cla ssific ation la voisie nn e avec les
cla ssific ations de l ’ histoire n aturelle (soumises à une rude critiqu e dans le ch a pitre 5 de la
Phénoménologie de P esprit) : a) elle ordonne les corps en fonction de le ur composition,
c ’ e st-à-dire en fonction d ’ un critère propre m e nt chimiqu e , et de la structure intern e des
substances chimiqu e s, b) elle les ordonn e en fonction de le ur place dans les proc è s
chimiqu e s : les corps sont nommés d ’ après la m a nière dont ils intervie nn e nt dans les
ré a ctions, et la cla ssific ation d é bouch e de la sorte sur une th é orie des causes des ré a ctions
(ainsi l ’ oxyg è n e a pp ara ît-il comm e la cause de l ’ a cidité). C ependant, dans la m e sure où
258 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
T able au 1 : H egel
É l éme n t s O xygène Hydrogène
Bases Métaux C orps combustibles
Oxydes e t Hyd r a t es Alcalins Acides
Se l s S els S els
1. O p. cit., p. 249 : « Les forces qui agissent comme propriétés chimiques, ou en d ’ autres
termes comme affinité s, existent dans les corps sous trois formes princip ale s, qui nous
donn e nt trois séries d ’ affinité s : c elle des corps brûlés, celle des corps non brûlés, e nfin c elle
des corps salins ».
2. D ans une longue introduction (« U eber die E inth eilung d er ungleich artig e n M aterie n
inch e misch erHinsicht»)à son exposé des idé es de Winterl, Schuster s ’ e mploie à montrer
que seule une cla ssific ation adéquate peut faire de la chimie une science. Il justifie cette
thèse notamment en insistant sur la dimension qu alitativ e de l’ obje ctivité chimiqu e : « Il lui
re vie nt [à la chimie] de connaître le non-identique (...) de même qu ’ il re vie nt à la physique
de conn aître les propriétés universelles de la matière (le qu alitativ eme nt id e ntiqu e, par
exemple, le mouvement). F inalement, même le princip e de notre science, l’ attra ction [c ’ est-
à-dire l ’ affinité], est un qu alitatif [l ’ affinité éle ctiv e]. Il en résulte que le qu alitatif doit être le
fond e m e nt de la division des objets de la chimie », (System der dualistischen C hemie,
p. 18-19).
3. Pour l’ e xposition de cette classification, voir l ’ E ssai, p. 74-81.
260 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
T able au 3 : Œrsted1
C orps comburants (O xygène) C orps combustibles (Hydrogène)
Alc alins Acides
S els
1. R echerches, p. 250: «D ans chacune des deux premières séries, il y a des corps
antagonistes distingués par l ’ excès de l’ une ou de l ’ autre des forces. La combinaison de
corps semblables ne les fait point sortir de leur série d ’ affinité, tandis que la combinaison des
corps antagonistes les fait passer dans la série suivante ».
2. Sur les évolutions de 1817 à 1827, voir J. Burbidge, R e al Process, p. 96-99,187-190.
3. W. 9, p. 318 ; Griesheim, p. 146.
LA P HIL O S O P HIE D A N S L E S D É B A T S S CIE N TIFIQ U E S 261
T able au 3 : Œrsted1
C orps comburants (O xygène) C orps combustibles (Hydrogène)
Alc alins Acides
S els
1. R echerches, p. 250: «D ans chacune des deux premières séries, il y a des corps
antagonistes distingués par l ’ excès de l’ une ou de l ’ autre des forces. La combinaison de
corps semblables ne les fait point sortir de leur série d ’ affinité, tandis que la combinaison des
corps antagonistes les fait passer dans la série suivante ».
2. Sur les évolutions de 1817 à 1827, voir J. Burbidge, R e al Process, p. 96-99,187-190.
3. W. 9, p. 318 ; Griesheim, p. 1 46.
I
I
LA P HIL O S O P HIE D A N S L E S D É B A T S S CIE N TIFIQ U E S 261
on se référera à E , M. Melhado, Jacob B erz élius, the E mergence of bis C hemical System,
p. 49-99.
1. Leçons, p. 90-91 : « Le métal oxydable est en soi différent, mais cette différence n ’ est
pas encore posé e ou différencié e dans la métallité. E st-elle posé e, elle est alors posé e comme
produit; c ’ est là [qu ’ intervient] la différence abstraite, ce qui apparaît comme substance
chimique abstraite. C ’ e stici que ces substances chimiques abstraites ont leur action, l’ a zote,
la carbone, l ’ oxygène ».
2. E nc.,§ 328.
3. E ssai de statique chimique, t2, p. 8-9 : « E n effet, vouloir conclure de ce que
l’ oxygène donne l ’ acidité à un grand nombre de substances, que toute l ’ acidité en provient,
même celle des acides muriatiques, fluoriques ou boraciques, c ’ est reculer trop loin les
limites de l ’ analogie. L ’ hydrogène sulfuré qui possède ré ellement les propriétés d ’ un acide,
prouve directement que l ’ acidité n ’ est pas toujours due à l ’ oxygène. O n ne serait pas plus
fondé à conclure, de ce que l ’ ammoniaque paraît devoir l ’ alcalinité à l ’ hydrogène, que
l ’ hydrogène est le principe de l’ alcalinité ».
264 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
n e peut trouver d ’ autre justific ation que le second sens que H egel donne à
l ’ abstraction des « éléments » : contrairement aux autres corps simples, les
éléments n ’ existent pas à l ’ état séparé dans la nature et ils tendent en outre à
s e combiner les uns avec les autres sous la forme d ’ e au et d ’ air
atmosphérique 1.
§ 330 : les métaux et le galvanisme. B erz élius considère l'interprétation
des expériences lié es au galvanisme comme « la clef du système théorique
de la chimie actuelle » 21. Le fonctionnement d ’ une pile fait en effet inter
venir des phénomènes électriques et des phénomènes chimiques. Si l ’ on
considère une pile faisant intervenir deux métaux et une solution, les effets
électriques relèvent de la production d ’ un courant, et les effets chimiques
sont la décomposition de la^solution et l ’ oxydation de l ’ un des métaux 3 . 4La
pile semble démontrer le caractère inséparable de ces deux phénomènes.
Aussi justifie-t-elle l ’ idé e que les forces chimiques sont explicables en
terme de forces électriques.
Si la théorie du galvanisme est le lieu d ’ un enjeu théorique fondamental
à l ’ époque, c ’ est que s ’ y affrontent deux explications contradictoires1 .
Suivant la théorie du contact, l ’ électricité produite dans la pile est le
résultat du simple contact des métaux. Les effets chimiques ayant lieu dans
la pile résulteraient seulement de l ’ effet de l ’ électricité sur le liquide. Ils
seraient analogues à ceux produits par le passage de l ’ électricité provenant
de tout autre appareil électrique 5 . C ette théorie est soutenue par de
nombreux chimistes de l’ époque, H egel se réfère notamment à V olta et à
1. Notons que H egel considère que l ’ air atmosphérique est une combinaison chimique et
non pas un mélange. C ette idé e était notamment soutenue par Trommsdorf, qui distingue les
parties constituantes essentielles du ga z atmosphérique, l ’ oxygène et l’ a zote, et les parties
constituantes « qui n ’ appartiennent pas essentiellement à sa composition » et qu ’ il ne contient
que par « un mélange étranger », par exemple le ga z carbonique (op. cit. , 1. 1, p. 125). C ette
idé e reposait sur le constat d ’ une relative constance des proportions d ’ oxygène et d ’ a zote, où
l ’ on pouvait voir la proportion définie caractéristique d ’ une combinaison chimique.
2. Traité de chimie végétale, animale et minérale, trad. A. J. L. Jourdain, P aris, 1929-
1933. t. I,p. 79.
3. C e sont ces effets que mentionne H egel dans le § 330. Ils sont considérés comme
caractéristiques par les chimistes de l'époque, surtout par les tenants de l ’ explication
chimique du galvanisme.
4. O n trouvera le meilleur exposé de ce débat dans la 16 e série des R echerches
expérimentales suri ' électricité de F araday.
5. O n trouvera une défense de cette interprétation ainsi qu ’ une critique de l’inter
prétation chimique dans le premier tome du Traité de B erz élius, p. 79-114. L a théorie de
B erz élius, qui tient que la liaison chimique est en fait une liaison électrique, permet de
comprendre pourquoi de tels effets chimiques peuvent résulter du passage du courant
électrique dans la solution.
266 L A T H E O RIE D E S S CIE N C E S
1. L ’ e xposition de cette théorie se fait en référence à V olta dans les leçons (Leçons,
p. 89), et en référence à B erz élius dans la remarque du § 330 de l ’ E ncyclopédie.
2. O n pourra trouv er un exposé de cette interprétation che z Œrsted, R echerches sur
l ’identité des forces chimiques et électriques, trad. M. de S erres, P aris, 1813, p. 111-123,
3. C ’ est là la faiblesse de la théorie chimiqu e qui ne peut donner d ’ autre e xplic ation de
l ’ a pp arition de l ’ éle ctricité . C e fait est considéré, suivant les termes de Pohl, comme « ein
empirisches D atum » («L e hrbuch der C hemie von J. J. B erz élius », Jahrbücher fur
wissenschaftlische Kritik, 1827, p. 525). D e nombreux chimistes de l’ époque consid éraie nt
que la chimie n ’ a v ait pas plus à e xpliqu er le fait que le courant résulte de cette ré action, que le
f ait que la lumière ou la chaleur résultent de certaines ré actions chimiques ; cf, D a vy, op. cit.,
p. 202-203.
4. O n trouv era un exposé synthétique de ses idé es sur le galvanisme dans sa lettre du
04/08/1804à Œrsted; C orrespondance de H. C . Œrsted avec divers savants, C openhague,
H. Aschehong & C o„ 1920, t. 2, p. 72-89.
5. H egel se réfère à cette id e ntité dans les Leçons, p. 88. Il se réfère en outre à Ritter dans
l ’ a dditif du paragraphe 330 (W . 9, p. 315).
6. À propos de B erz élius, H egel refuse précisément l ’ id e ntific ation de l’ électrolyse et
du processus g alv a niqu e : « O r le détour est trop transparent, et pour le v er la difficulté
d ’ id e ntifier éle ctricité et chimisme, on se rend la démonstration trop fa cile en présupposant
ici une fois de plus que juste m e nt la pile galvanique serait un simple appareil électrique et son
a ctivité une simple éle ctris ation » (§ 330, fin de la remarque).
LA P HIL O S O P HIE D A N S L E S D É B A T S S CIE N TIFIQ U E S 267
1. S ans doute tire-t-il la plus grande partie de son information du cinquième tome du
Systematisches H andbuch de Trommsdorf consacré à l’ histoire du galvanisme (voir les
références donné es par D. v. E ngelhardt, H egel und die C hemie, p. 119, 124-125, 132-134).
C et ouvrage figure dans la bibliothèque de H egel. Il s ’ agit d ’ un recueil des principaux
résultats expérimentaux des recherches consacré es au galvanisme jusque en 1805.
2. W .9, p. 311,315.
3. Leçons, p. 89.
4. W.
5. W .9, p. 315.
6. Surtout quand H egel en vie nt à refuser que F e au pure soit un isolant, comme l ’ affirm e
à juste titre Biot. V oir également Griesheim, p. 140. O n doit toutefois remarquer que H egel
est conscient que les solutions sont plus conductrices que l ’ e au (Leçons, p. 90), de même que
l ’ isolement de la pile et de l ’ air empêche toute ré action (W. 9, p. 313). O n voit ainsi que le
refus de la considérer comme un isolant ne révèle pas tant un manque d ’ inform ation empi
riqu e que l’ adhésion - au moins partielle - à la logiqu e des théories chimiques du galvanisme :
« cette absurdité provient de ce que l ’ on ne fait consister la causalité [ Wirksammkeit] que
dans l ’ électricité, et que l’ on a uniquement en vue la détermination de conducteur » (W. 9,
p. 315).
268 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
1. C ’ est là la position de D avy qui soutenait que les phénomènes électriques et chimiques
étaient les effets d ’ une même cause caché e : « O n a supposé que j ’ en tirais la conséquence
que les changements chimiques sont occasionnés par les changements électriques; or, rien
n ’ est plus éloigné de l ’ hypothèse que j ’ ai émise ; ces changements sont au contraire regardés
comme des phénomènes distincts, mais produits par les mêmes pouvoirs, agissant dans un cas
sur des masses, et dans l ’ autre sur des particules » (op. cit., p. 209).
2. § 330, rq. : « S elon cette exposition du procès, (...) la différence de l ’ électricité et du
procès chimique en général, ainsi que leur connexion, est une chose claire » (W. 9, p. 302).
3. Leçons, p. 89 : « C ette activité est présente en général, mais pour s ’ extérioriser, elle a
besoin d ’ un troisième terme, de l ’ e au ou en général d ’ un neutre ».
4. Leçons, p. 90.
270 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
l.lbid., p. 525,526 : « D ans cette perspective, il n ’ existe aucun terme unilatérale m ent et
hypoth étiqu e m e nt premier, pas plus un procès chimiqu e isolé, comme c ’ est le cas dans les
soi-disant théories de l ’ oxyd ation, qu'une éle ctricité de contact des métaux » ; « C haque
hypothèse est à rejeter de la même manière car elle e xclut l’ un des moments essentiels du
processus ».
2. Ibid.,p. 525 : « Mais les membres de la chaîne, qui ne s ’ e xcitaie nt qu ’ e xtérie ure m e nt
et unilatérale m ent les uns les autres, sont maintenant intérie ureme nt et omnilatérale me nt
a ctifs les uns envers les autres ; la chaîne est un individu enfermé en soi, et chaque point est en
elle pris par l ’ oxyd a bilité comme par la désoxydabilité de façon vivante ».
3. § 330, rq, W . 9, p. 304 : « O r dans l ’ ouvrage de M. Pohl, Le procès de la chaîne
ga/vam'que, le ra pport tf a ctivité , depuis le plus simple, c ’ e st-à-dire le ra pport entre l ’ e au et
un métal unique, jusqu’ aux complications multiples qu ’ entraînent les modific ations des
conditions, se trouve e mpiriqu e m e nt mis en lumière avec toute la force venant de 1 ’ intuition et
du concept de l ’ a ctivité viv a nte de la nature. C e n ’ est peut être que cette exigence supérieure
intim é e au sens rationn el de s aisir le déroulement du procès galvanique, et chimiqu e en
général, comme totalité de l ’ a ctivité de la nature, qui a contribué à ce que jusqu ’ ici l ’ on ait si
peu satisfait à l ’ exigence plus humble de prendre en compte les faits empiriquement
démontrés ».
4. Leçons, p. 96. D ans des textes qui proviennent sans doute de léna, H e g el y ajoute le
naphte (§331, add., W . 9, p. 319). O n en trouv e plus la trace dans les Leçons. S ans doute
H egel pre nd-il conscience qu ’ il ne s ’ agit pas là d ’ un corps simple.
272 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
métaux, plus lente et supposant une température élevé e 1 . Q uatre corps sont
rangés dans cette catégorie, l ’ hydrogène, le carbone, le phosphore et le
soufre. Pour des raisons évoqué es plus haut, H egel est contraint d ’ extraire
le carbone et l ’ hydrogène de cette classe de corps. Il ne peut pas non plus à
proprement parler y faire entrer le phosphore, puisque cette substance,
absente du règne inorganique, n ’ est présente que dans les corps organiques.
Aussi le phosphore n ’ est-il évoqué qu ’ à titre d ’ illustration et pour la
proximité de ses propriétés chimiques avec celles du soufre. L ’ orientation
générale de sa philosophie chimique et les structures de sa classification
conduisent donc H egel à réduire la classe des corps combustibles au soufre,
ainsi qu ’ on le voit à la lecture du paragraphe 331. Mais l’ importance
accordé e au soufre ne résulte nullement de la reprise du thème de la chimie
du xvu e siècle suivant lequel le soufre serait un principe : celui du feu.
H egel s ’ oppose expressément à cette idé e 21.
Il reste cependant à expliquer pourquoi H egel, dans la remarque du
§ 334, se réfère à cette classe de corps comme à une classe contenant de
nombreux éléments (« le soufre, etc. ») et comment, dans les additions
orales, il peutranger l ’ arsenic dans cette classe. Les propriétés physiques de
l ’ arsenic, comme sa conductibilité, conduisent déjà à le considérer comme
un métal. La modalité de sa combustion confirme ce fait, et interdit de le
ranger parmi les corps combustibles. Il semble en fait qu ’ ici, plutôt que de
suivre la classification des corps simples en métaux et en corps combusti
bles, H egel suive un type de classification développé par Œrsted et
B erz élius. C eux-ci détachaient en effet certains métaux, dont l ’ arsenic, des
autres métaux, pour rendre compte de leur comportement électrique opposé
à celui des autres métaux et du fait que leurs oxydes donnent des acides
plutôt que des alcalins 3 . C he z B erz élius, ces métaux constituaient avec les
métalloïdes (les corps simples non-métalliques) la classe des corps simples
électronégatifs. C he z Œrsted, ils formaient la classe des corps simples dont
la propriété comburante est en excès, alors que les autres métaux se
caractérisaient par un excès de la propriété combustible. H egel reprend
tardivement à son compte la catégorie de «métalloïdes»4 et il se réfère
manifestement à un type de division des bases analogue à celui d ’ Œrsted.
Les corps simples sont en effet divisés en deux classes suivant leur affinité
pour l ’ oxygène. Les métaux ayant la plus grande affinité pour l ’ oxygène
sont rangés avec les corps combustibles, dont l’ affinité pour l ’ oxygène est
plus grande que celle de tous les métaux ’ . Le fait que H egel se réfère à un tel
type de classification nous conduit à penser qu ’ il range aussi dans cette
catégorie des corps non combustibles et non métalliques que l ’ on nommait
à l ’ époque les «soutiens de la combustion», comme le chlore 21. C he z
B erz élius, il sont associés aux « corps combustibles » du fait de leur forte
électronégativité, et che z Œrsted, ils sont rangés dans la classe des corps
dont la propriété comburante est en excès du fait de leur forte affinité pour
l ’ oxygène. C ’est sans doute aussi avec les corps combustibles qu ’ ils
doivent être rangés dans le table au hégélien. D e même que l ’ arsenic repré
sente tous les métaux dojit les oxydes sont des acides, de même le soufre
doit-il représenter les corps combustibles et les soutiens de la combustion.
E n prenant en considération l ’ arsenic, H egel établit une continuité entre
métaux et corps combustibles, et il donne l ’ impression que les différents
corps simples ne se distinguent les uns des autres que par une simple dif
férence quantitative, comme che z B erz élius et Œrsted. Les métaux et les
corps combustibles doivent certes être distingués de façon quantitative,
puisqu ’ ils se distinguent par l ’ intensité de leur affinité pour l ’ oxygène,
mais la façon dont s ’ exprime cette différence les distingue qualitativement.
L a différence qui d éfinit les métaux s ’ exprime sous la forme d ’ une indif
férence chimique. Les propriétés chimiques des métaux ne sont pas
véritablement déterminé es par la polarité chimique. Aussi est-ce du milie u
que doit provenir leur différenciation et leur polarisation. La différence qui
d éfinit les corps combustibles s ’ exprime au contraire sous la forme d ’ une
différence chimique : « L e soufre est la totalité de la forme, des différences,
le feu étant en soi » 3 . Les corps combustibles se caractérisent par une
tendance à ré agir par eux-mêmes avec leur contraire, l ’ oxygène. Ils se
posent ainsi comme l ’ un des termes d ’ une contradiction, c ’ est en ceci qu ’ ils
sont différence 4 et totalité, plutôt qu ’ existences indifférentes.
1. O n remarquera que H egel prend l’ exemple du tungstène, pour illustrer les propriétés
chimiques de l’ arsenic {Leçons, p. 96).
2. C f. le Système de chimie de Thomson, qui range parmi les soutiens de la combustion,
l ’ oxygène, le chlore, l ’ iode et le fluor.
3. Leçons, p. 96. Notons que cette théorie hégélienne est asse z tardive, puisqu’ en 1817,
V E ncyclopédie faisait encore des terres (catégorie abandonné e par la suite) la présentation
de la totalité en tant que synthèse des métaux et du soufre (§ 254).
4. H egel considère le caractère cassant comme l ’ un des éléments de cette différe nc e :
« Il est le cassant sans base solide et indifférente, ce qui ne reçoit pas sa différe nc e de
l ’ extérieur par combinaison avec un différent, mais qui développe sa négativité à l ’ intérieur
de soi-même comme soi-même. L ’ indifférence du corps est passé e dans une différe nc e
chimiqu e » (W. 9, p. 319).
274 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
1. E nc., § 333 : « C e qui intervient ici est (...) ce qu ’ on appelle affinité élective ».
2. Griesheim, p. 157.
LA P HIL O S O P HIE D A N S L E S D É B A T S S CIE N TIFIQ U E S 277
cas des affinités simples, un sel peut ne pas ré agir avec un autre sel, dans le
cas des affinités doubles. C ontrairement aux acides et aux alcalins, les sels
ne peuvent donc être étudiés qu ’ en prenant en compte la dimension
qualitative, ou exclusive, de l ’ affinité. D ’ où la distinction rigoureuse de ces
deux procès.
L ’ exposé des deux derniers nive aux de processualité donne ainsi l ’ oc
casion de polémiquer avec les chimies qui font de l ’ affinité simple le
fondement de leurs théories : « E lle est considéré e comme un fondement en
chimie, mais elle n ’ en est pas un» 1 . L ’ enjeu d ’ une telle polémique est
double. Il concerne tout d ’ abord l ’ évaluation de la chimie st œ chiométrique.
H egel considère ajuste titre Richter, et ses lois quantitatives de neutrali
sation des acides et des, alcalins, comme le fondateur de la chimie
stoechiométrique21. Or l ’ étude de la composition des corps était en plein
développement au début du xix e siècle et elle pouvait passer pour la partie
les plus importante de la chimie. E lle pouvait laisser à penser que l ’ étude de
la phénoménalité exige ait le recours à un formalisme purement quantitatif.
C ’ est donc déjà du point de vue du formalisme de la chimie que la
différence de l ’ affinité et de l ’ affinité élective a une importance critique
fondamentale. C ette différence a également son importance du point de vue
de la compréhension de l ’ activité chimique. L ’ idé e de H egel semble être en
effet que le développement de la chimie stoechiométrique conduit à
envisager l’ activité chimique en termes de forces d ’ affinité de neutralisation
et à négliger ainsi la dimension qualitative des forces chimiques.
Richter3 partait du fait que le mécanisme de la neutralisation est le
mécanisme le plus général, dans la mesure où il est à l ’ œ uvre aussi bien
dans le procès de neutralisation que dans les phénomènes de double
affinité. Il en résulte d ’ une part que le concept d ’ affinité élective semble
présupposer le concept d ’ affinité de neutralisation, puisque les ré actions
entre sels mettent en œ uvre un procès de neutralisation de leurs parties
constituantes. Il en résulte d ’ autre part que l ’ affinité élective ne semble être
qu ’ un phénomène particulier, n ’ ayant lieu que dans la situation complexe
des affinités doubles. L ’ affinité élective apparaît ainsi comme un
1. Leçons, p. 98.
2. Mesure, p. 73-74, W. 5, p. 432.
3. Article « V erwandschaft », C hemisches H andworterbuch, 1798-1805, t. 6, p. 4-5:
« O n s ’ aperçoit aisément que l’ affinité élective n ’ est rien d ’ autre qu ’ un certain degré, donné
phénoménalement, de l ’ affinité, et qu ’ en ce qui concerne la disposition des multiples corps à
l ’ égard d ’ un autre, il doit être donné de nouve au de multiples grandeurs qui sont des degrés
d ’ affinité ou d ’ affinité élective. E n particulier, l ’ affinité élective s ’ indique d ’ après la
capacité de neutralisation des corps (...) ». Il faut donc considérer « l ’ affinité en soi-même
et pour soi-même, qui doit précéder le concept d ’ affinité élective ».
278 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
dans l ’ évolution de la théorie de B erz élius est l ’ objet principal de la seconde partie de
l ’ ouvrage de E . M. Melhado, J. J. B erz élius, The E mergence ofhis C hemical System.
1. J. L. J. Meinecke, Die C hemische Messkunst, 1815. G . Bischoff, Lehrbuch der
Stôchiometrie, 1819. H egel possédait ce dernier ouvrage. Notons en outre que le Traité de
B erz élius, dont la traduction allemande date de 1821, semble être l ’ une des sources
principales de H egel en ce qui concerne l ’ étude des acides, des alcalins et des sels (voir D. v.
E ngelhardt, H egel und die C hemie, p. 125,135-136).
2. E . M. Melhado, op. cit., p. 146.
3. Leçons, p. 96-97. O n remarquera que dès les Leçons de 1823-1824 (Griesheim,
p. 157-158), H egel tend à substituer le couple conceptuel acide/base au couple conceptuel
acide/alcalin ; ce qui devait impliqu er une refonte complète de la terminologie mise en place
dans la Logique. La mort de H egel ne lui a pas permis de s ’ y atteler.
4. E . M. Melhado, op. cit., p. 158.
5. Griesheim, p. 153.
280 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
1. C ’ est le procès «du s ’ intégrer immédiatement des opposés» (§333, add., W .9,
p. 324).
2. E nc., § 332, add., W. 9, p. 321 : « Les acides s ’ échauffent, s ’ enflamment lorsqu ’ on y
verse de l ’ e au. Les acides concentrés s ’ évaporent, ils extraient l ’ e au de l ’ air. .. Si on les isole
de l ’ air, ils rongent le vase». C e passage semble extrait des leçons de 1823-1824
(Griesheim, 152).
3. Les termes de l ’ opposition chimique « sont incapables d ’ exister pour soi parce qu ’ ils
sont incompatibles avec eux-mêmes » (§ 332, add., W. 9, p. 321).
4. E nc., § 332. Ils sont donc aux corps composés ce que les « éléments » sont aux corps
simples.
5. §332, add., W .9, p. 321 : « C es oppositions ainsi excité es [befeuerten] n ’ ont pas
besoin d ’ être d ’ abord rendues actives par un troisième terme; chacune a en soi-même
l ’ inquiétude de se supprimer, de s ’ intégrer à son opposé et de se neutraliser ».
6. § 332, add., W. 9, p. 322-323 : « Ici aussi l ’ e au et l ’ air sont médiateurs, car les acides
sans e au, totalement concentrés (bien qu ’ ils ne puissent pas être totalement dénués d ’ e au)
agissent bien moins que les acides étendus». H egel semble se référer ici au Traité de
B erz élius (voir D. v. E ngelhardt, op. cit., p. 135). O n doit à B erz élius d ’ avoir commencé à
remettre en cause la théorie des acides anhydres en montant que la plupart des acides
282 LA T H E O RIE D E S S CIE N C E S
n ’ existentpas à l ’ état anhydre (voir E . M. Melhado, op. cit., p. 217; J. R. P artington, vol.4,
p. 157).
1. E . M. Melhado, op. cit., p. 216-220.
2. H egel parle de ré a ction de l ’ e au avec les acides dans l ’ a dditif du paragraphe 332. Il
considère en outre qu ’ il y a combinaison entre l'e a u-qui jou e le rôle d ’ a lc a lin-e t les acides,
et que ces combinaisons sont conformes à la loi des oxydes (Leçons, p. 99).
3. L a notion vie nt de R ou elle ; « J ’ appelle cette e au qui entre ainsi dans la form ation des
crystaux, l ’ e au de la crystallisation, afin de la distinguer de l’ e au qui se dissipe p ar
évaporation, à la qu elle je donne le nom d ’ e au surabondante à la crystallisation, ou d ’ e au de
dissolution» (cité par J. R, P artington, op. cit.,t. 3,p. 74).
4. O n doit à B erz élius une procédure pour distinguer l'e a u de d é cré pitation - l ’ e au
obtenue par évaporation lors de la décrépitation, c ’ est-à-dire de la rupture des cristaux sous
l ’ effet de la ch ale ur-, et l’ e au de cristallis ation qui ne peut être obtenue sans décomposition
de sel ; voir E . M. M elh a do, op. cit., p. 221-222.
5. V oir à ce propos Hild elbra ndt (op. cit., p. 23-26), qui inclin e pour le deuxième term e
de l ’ alternative.
6. H egel ne considère pas vraim e nt l ’ e au de cristallis ation comme l’ un des composants
chimiques. Il affirm e qu ’ en tant qu ’ e au de cristallis ation, l ’ e au « n ’ est plus e au », qu ’ elle
n ’ est que le «lie n de la n e utralis ation» (§331, add., W. 9, p. 320), et qu ’ elle est ainsi
présente « en ta nt qu ’ e au abstraite » (Leçons, p. 115).
LA P HIL O S O P HIE D A N S L E S D É B A T S S CIE N TIFIQ U E S 283
1. V oir à ce propos, L. Freuler, La crise de la philosophie au xix ' siècle, P aris, Vrin, 1997,
p. 7-25.
2. W .9, p. 9-10.
286 C O N C LU SIO N
sur l ’ étude critique des sciences, ou, d ’ un mot, la critique telle que K ant T a définie et
fondé e » (p. 257). C ’ est là l’ origine de la légende suivant laquelle K ant invente l ’ idé e, F ichte
le mot. M. A. Sinac œ ur («L ’ épistémologie performative de G . B achelard », in Critique,
1973, n° 308, p. 53-66), à qui nous devons une étude de l ’ histoire de la notion d ’ épistémologie
(p. 63-66) affirme : « Non seulement F errier ne nous livre que le mot, mais il est incapable
d ’ en justifier épistémologiquement l ’ utilité» (p. 64). L ’ idé e viendrait selon lui de E . Z eller
{B edeutung und Aufgabe der Erkenntnistheorie, 1862), cré ateur du concept d ’ Erkenntnis
theorie, ami de H elmholtz, et inspiré par K ant. Les notions d ’ épistémologie et de philosophie
des sciences furent tout d ’ abord identifié es (voir le lexique de C outurat, in B. Russel, op. cit.,
p. 257). Mais la notion de philosophie des sciences en fut bientôt distingué e, dans la mesure où
celle-ci garde un rapport avec la tentative d ’ une fondation de la connaissance scientifique,
soit dans une théorie de la connaissance (à la manière de la critique de la connaissance
kantienne), soit dans une théorie du ré el (à la manière du positivisme comtien ou de
l ’ évolutionnisme) (voir à ce propos l ’ article « É pistémologie» d ’ A. Lalande dans le Voca
bulaire technique et critique de la philosophie, 1926). C omme le remarque M. A. Sinac œ ur,
la distinction de ces deux notions renvoie à la volonté d ’ émanciper l’ étude des sciences de
l ’ autorité philosophique, « nécessité scientifiquement contemporaine des fondements de la
géométrie d ’ Hilbert, ouvrage par lequel la notion de fondement perd son sens philo
sophique» {op. cit., p. 65-66). Aussi la construction d ’ une épistémologie inspiré e de K ant
suppose-t-elle l ’ abandon de la dimension fondatrice attaché e à la problématique transcen
dantale. O n l ’ observe che z B. Russel, qui tente de ne plus admettre du concept d ’ fl priori que
son sens logique, en la dissociant de toute référence au sujet transcendantal qu ’ il interprète
en un sens psychologique : « Pour K ant, qui n ’ était nullement un psychologue, les termes a
priori et subjectif étaient presque équivalents; dans l ’ usage moderne, on tend, en général, à
réserver le mot subjectif à la Psychologie, en laissant a priori au service de l ’ É pistémologie » ;
« a priori s ’ applique à toute partie de la connaissance qui, quoique peut-être suscité e par
l ’ expérience, est logiquement présupposé e par l ’ expérience » {E ssais sur les fondements de
la géométrie, p. 2). C ette modification de la problématique kantienne est revendiqué e et
justifié e aujourd’ hui par un épistémologue comme G . G . Granger; voir par exemple « Le
synthétique a priori et la science moderne », in F ormes, opérations, objets, P aris, Vrin,
p. 285-296.
1. J. Hyppolite, «L ’ idé e de Doctrine de la science et son évolution che z F ichte», in
F igures de la pensé e philosophique, p. 32-52, ici p. 37.
288 C O N C LU SIO N
1. Les tenants d ’ une telle thèse sont généralement conduits à souligner l ’ importance de
l ’ expérience pré-scientifique, à relativis er la différence entre observation naïve, e xp é
rience scientifique et expérimentation, de même qu ’ ils sont portés à insister sur les aspects
qualitatifs de l ’ expérience et à relativis er l ’ importance du quantitatif. R. Thom a repris ces
thèmes à son compte dans le cadre d ’ une ré évaluation de l ’ idé e de Philosophie de la nature,
et l ’ épistémologie sous-jacente à cette ré évaluation a été explicité e, défendue et développé e
par J. Large ault. Pour une présentation de leurs contributions sur ces questions et pour une
comparaison avec le projet hégélien de philosophie de la nature, nous nous permettons de
renvoyer à notre étude « La N aturphilosophie d ’ hier et les philosophies de la nature
d ’ aujourd’ hui», in H. M aller, H egel passé, H egel à venir, P aris, L ’ H armattan, 1995,
p. 29-53.
N A T U R P HIL O S O P HIE E T É PIS T É M O L O GIE 289
I - Œuv r es de He g e l
En a l l ema n d e t e n l a t in
T r a d u c t io n s u t i l is é e s
II - É t u d e s e t a r t i c l e s c o n s a c r é s à H e g e l
Su r l a p hi l o s o p hie h é g é l ie n n e e n géné r al
Su r l a p hi l o s o p hie h é g é l ie n n e d e l a n a t u r e e t d e s s cie n c e s
B o n sie p e n
W., “ H egels R aum-Z eit-Lehre, dargestellt anhand zweier
Vorlesungsnachscriften”, in H egel-Studien 20, 1985, 9-34
- “ H egels kritische Auseinandersetzung mit der z eitgenossischen E volu-
tionstheorie ”, in M. J. P etry et R. P. Hortsmann, H egels Philosophie
derN atur, Stuttgart, Klett-C otta, 1986, p. 151-171.
-“ H egels Vorlesungen über N aturphilosophie”, H egel-Studien 26, 1991,
p. 40-54.
- Die B egründung einer N aturphilosophie bei K ant, Schelling, Fries und
H egel, Stuttgart, Vittorio Klostermann, 1997.
B r e i d b a c h O ., D as Organische in H egel’ s D enken, Wiirzburg,
J. Kônigshausen et T. N eumann, 1982.
BIBLIO G R A P HIE 295
Œuv r es
Études
IV - H i s t o i r e e t p h i l o s o p h i e d e s s c i e n c e s
S cie n c e e t p hi l o s o p hie d e l a n a t u r e
P hi l o s o p hie d e l a s c ie n c e e t é pis t ém o l o g ie
A d o r n o 292 B l a y 305
A l e m b e r t 75, 141, 200, 207, 216, 217, B l o c h 79, 145,203,292
218, 220,222,299 B o d e 1 87
A r i s t o t e 26, 72, 84, 87, 160, 164, 170, B o n s i e p e n 9, 10, 18, 38, 107, 186, 187,
190, 212, 286, 295, 298, 299 291,294
A r n a u l d 123, 299 B o u r g u e t 304
A y r a u l t 46, 50, 305 B r a h é 170, 177
B r a u n 203
B a a d e r 18,176 B r e c h t 228
B a c h 305 B r é h i e r 301
B a c h e l a r d 121, 122, 227, 287, 309, B r e i d b a c h 9,294
310,311 B r u n s c h v i c g 309
B a c o n 156, 171, 189, 199, 299 B u c h d a h l 157, 168, 179, 196, 198, 207,
B a l i b a r 227, 309, 310 295
B a r s a n t i 305 B u c h o l z 241,247, 303
B e n s a u d e 231, 252, 256, 258, 303, 305 B u f f o n 302
B e r e t t a 305 B u n g e 177,289,310
B e r g m a n n 280 B u r b i d g e 228,234, 240, 250, 252, 257,
B e r g s o n 299 260, 270, 295
B e r t h o l l e t 177, 224, 230, 232, 234- B u r g e r 38, 98, 298, 302, 306
236, 239, 240,263, 283, 302,309 B u s o n 301
B e r t o l e t t i 305 B u v a t 293
B e r z é l i u s 13, 64, 135, 157, 170, 194,
195, 201, 202, 229-232, 234-236, 238, C a n g u i l h e m 310
243, 245, 253-255, 258, 259, 261-267, C a r n o t 200,303
270, 272, 273, 278, 279, 281, 282, C a r r a u d 301
302, 304, 308 C a s s i r e r 143, 162,305, 310
B i a r d 149, 180,235,293 C a v a i l l è s 122, 310, 311
B i a r n a i s 172,304, 305 C e s a 47, 301
B i e n e n s t o c k 47, 299-301 C h a p t a l 258, 305
B i o t 224, 267, 302 C h e v a l l e y 182, 310
B i s c h o f f 279 C l o s s 192, 215, 295
B l a s c h e 302 C o h e n 11, 30,157, 295, 301
314 IN D E X
V a d é e 11,298 Z a m b o n i 269
V a l a d e s 298 Z e l l e r 287
V e n e l 304 Z i c h e 9, 10,185, 198, 219, 298, 299
V e r s t r a e t e n 97, 101, 294 ZWILLIN G 65
T A BL E D E S MA TIÈ R E S
I n t r o d u c t i o n : L ’ histoire d ’ un malentendu................................................. 7
C h a pi t
r e ii : Physique transcendantale ou physique spéculative ............. 37
Les Idé es pour une philosophie de la nature .......................................... 38
L a physique spéculative ............... 46
C h a pi t
r e 11 : Un conceptualisme ....................................................................... 121
Logique, psychologie et épistémologie du concept ............................ 122
Le concept et les concepts ........................................................................... 129
T r oisième p a r t ie : La t h é o r ie d e s s c i e n c e s ........................................................ 1 55
C h a pi t r e
p r e mi e r : E xpérience et expérimentation..................................... 159
La renaissance des sciences ..................................................................... 159
H egel et G oethe .......................................................................................... 1 62
L ’ empirisme scientifique ......................................................................... 168
C h a pi t r e
iii : Les théories scientifiques (l ’ exemple de la mécanique)..... 189
E n quel sens les principes scientifiques appartiennent-ils à la
philosophie .......................................................................................... 192
Les principes métaphysiques des sciences. Leur rapport aux autres
princip e s ............................................................................................... 198
Les principes explicatifs et la critique de la mécanique ....................... 206
B i b l i o g r a p h i e ................................................................................................... 291
I n d e x .................................................................................................................. 313
T a b l e d e s m a t i è r e s ........................................................................................... 319