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REMETTRE LA FINANCE AU SERVICE DE L’HOMME ET DE LA SOCIÉTÉ


LA CRÉATION DE VALEUR ET LES PRÉLÈVEMENTS OPÉRÉS PAR LA FINANCE

THÉORIE DE LA PRÉDATION
JEAN PEYRELEVADE*

L
a cupidité est prédatrice. Qui butin. Mais ce qui était recommandé
veut s’enrichir vite et fort le fera au-dehors fut exclu au-dedans.
plus efficacement en s’emparant L’accaparement par la force est une
de richesses déjà constituées que par le qualité du souverain conquérant de
fruit laborieux de son activité produc- nouveaux royaumes. Il est banni
trice. La cupidité s’accompagne donc dans l’ordre interne où il détruit les
d’une tentation de violence : la volonté fondements mêmes de la vie en
d’enrichissement illimité implique de société. Le septième commandement
dépouiller autrui. (« Tu ne voleras point. ») interdit la
Le cas est flagrant en économie violence pour le partage des richesses
stationnaire. Si la production se répète au sein de la tribu. Personne ne peut
à l’identique de période en période, le alors s’enrichir plus vite que la collec-
seul moyen d’augmenter sa part de tivité tout entière. Le sort matériel de
revenus est de prendre chez le voisin. chacun est prédéterminé par sa fonc-
S’élever au-dessus de sa condition tion et sa position dans la hiérarchie
ne peut se faire qu’au détriment sociale.
d’autrui. Si la cupidité n’est pas Les choses se modifient dès que la
contrôlée, elle devient destructrice de croissance apparaît. Comment alors
paix sociale. Ici se trouve sans doute en répartir les produits ? À qui doit
l’explication d’un double mouve- revenir le surplus de revenus dont
ment : les sociétés néolithiques furent chaque année nouvelle enrichit la
volontiers guerrières à l’extérieur de collectivité ? Et en quelles proportions ?
leurs frontières, probablement pour Où et comment se prennent les déci-
dépouiller leurs rivales et en tirer sions de répartition ?

* Économiste ; ancien président de banque.

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Le libéralisme fournit une réponse individuelles. Redoutable tautologie,


élégante et définitive : à chacun selon fermée sur elle-même, qui justifie tous
ses mérites productifs. Nul besoin d’un les débordements.
répartiteur central dont l’intervention On voit bien où est la faille du
serait arbitraire, voire nocive. Chacun, postulat libéral qu’une interprétation
poursuivant son propre intérêt, contri- extensive a porté au-delà de ses limites
bue à l’intérêt général : tel est l’ordre originelles. S’il est exact que la volonté
naturel. d’enrichissement individuel représente
« Les vices des individus sont des la condition de l’enrichissement collec-
bienfaits pour la société. » Cette idée tif, il est faux d’en déduire que toute
avait été développée dès le début du activité lucrative participe à l’intérêt
XVIII ème siècle par Bernard de général à hauteur même des gains
Mandeville dans sa célèbre fable des individuels qu’elle engendre. En bref,
abeilles. Imaginons une ruche dont il faut se poser la question de « l’utilité
les habitantes sont âpres au gain, commune » des différentes sources du
avides de jouissance et de dépenses profit : bien que chacune y contribue,
somptuaires : la ruche bourdonne et le tout ne coïncide pas avec la somme
prospère. Arrive un prédicateur qui des parties. La prédation se loge dans
persuade les abeilles de devenir les écarts entre rémunération et contri-
sobres, austères et vertueuses. Les in- bution.
dustries du luxe, faute de débouchés,
périclitent. À quoi bon travailler si
l’enrichissement est condamnable ? Le DÉFINITION
chômage s’installe dans la ruche qui DU PRÉDATEUR
sombre peu à peu dans l’inactivité. Que
chacun, s’abandonnant à son égoïsme,
poursuive pour soi-même la plus grande En effet, il peut arriver que sous
satisfaction, telle est la condition de la couvert de participation à l’enrichisse-
prospérité générale. ment collectif, tel acteur économique
L’habileté des prédateurs a consisté ait un comportement de prédateur : il
à renverser le raisonnement : toute par- obtient pour son propre compte une
ticipation, réelle ou supposée, à une rémunération supérieure à ce que
activité d’intérêt général légitime le gain justifierait sa contribution à l’effort
individuel puisque le lien entre l’une productif. La différence dont il béné-
et l’autre est affirmé comme naturel et ficie est nécessairement prélevée sur la
exclusif. La cupidité n’a plus de borne richesse d’autrui. La prédation est bien
si la contribution de chacun à l’utilité là sous une forme moins violente qu’à
sociale est mesurée par principe à l’origine, mais masquée, plus difficile
l’aune de sa fortune personnelle. « Je à déceler, donc à contenir.
suis riche, donc utile à la collectivité Comment la mesurer ? Aussi impar-
à hauteur même de ma richesse » fait qu’il soit, nous avons besoin d’un
constitue un slogan incontournable critère objectif, accroché à l’économie
si la prospérité collective est, par réelle. La science économique nous est
définition, la somme des prospérités ici de peu de secours. Analysant les

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courbes de demande et l’équilibre des taux très différentes suivant la branche


marchés à partir des fonctions d’utilité où elle est produite : l’industrie lourde
individuelles, elle considère un peu trop est plus exigeante que les services. Il
vite que la valeur de toute chose est est donc normal que le profit, rémuné-
reflétée par son prix. Comment quan- ration du capital, soit plus élevé en
tifier une utilité sociale, transverse à proportion de la valeur ajoutée dans les
l’ensemble des activités, pour apprécier secteurs les plus capitalistiques. Cette
les mérites de chacune, mérites qui remarque de bon sens permet de
devraient fixer la limite haute des ayants définir à quel moment exact naît le
droit dans la répartition du revenu soupçon de prédation : est présumé
national ? prédateur tout secteur (ou toute entre-
M’avançant en terrain inconnu, je prise) dont la part dans le profit total
proposerais volontiers la démarche de l’ensemble de l’appareil productif
suivante : dans l’ordre marchand qui est significativement supérieure à sa
nous intéresse ici en priorité, la pro- part dans la valeur ajoutée totale,
duction de richesses est la somme des pondérée par l’intensité capitalistique
valeurs ajoutées. Mesurons la contri- de chaque secteur (ou de chaque
bution de chaque secteur à l’utilité entreprise). Dit plus simplement, la
sociale à hauteur des richesses qu’il prédation se caractérise par une surré-
produit, donc de sa valeur ajoutée, munération du capital par rapport à
celle-ci étant « normée » c’est-à-dire son rendement moyen dans l’ensemble
calculée avec des rémunérations « stan- de l’économie. Cet écart, le plus sou-
dard » des facteurs de production, vent inclus dans les prix de vente des
capital et travail : taux de salaires biens et des services produits, est alors
moyens dans l’ensemble de l’économie payé par les clients, donc par le reste
pour les qualifications concernées, de la société.
taux de rendement moyen du capital. Une telle surrémunération est-elle
Ce calcul « proforma » permet d’éviter de l’ordre du possible ? Certes, puis-
que des phénomènes de prédation qu’elle est affichée dans maints sec-
préexistants ne viennent artificiel- teurs de l’économie comme un objectif
lement gonfler certaines mesures officiel. L’ensemble des sociétés cotées
d’utilité sociale et fabriquer ainsi, dans vise, sous la pression de leurs action-
l’ordre des chiffres, le même type de naires, des taux de rentabilité sur fonds
sophisme comptable que nous venons propres de l’ordre de 15 % par an. Un
de dénoncer dans l’ordre des repré- tel chiffre est à long terme incompa-
sentations : ma rémunération ne peut tible avec une croissance économique
être excessive puisqu’elle a sa contre- qui, inflation comprise, est d’environ
partie visible dans ma valeur ajoutée. le tiers. Qu’il soit atteint pendant
Ou encore : fichez-moi la paix, le prix quelques années, avant un réajustement
de ce que je vends en mesure la valeur. plus ou moins brutal, suffit à établir le
Les différents métiers n’ont pas la délit de prédation puisque la différence
même intensité capitalistique. Une entre ces 15 % et le rendement moyen
même unité de valeur ajoutée nécessite du capital est nécessairement prélevée
la mise en œuvre de quantités de capi- sur les autres acteurs. Pendant la

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période d’euphorie, les profits exor- l’inventeur et l’innovateur aient une


bitants sont d’appropriation privée. incitation suffisante à déployer leur
Les conséquences négatives du choc talent dont l’utilité sociale est évidente.
inéluctable, lors du retour au principe Mais la durée même de cette pro-
de réalité, sont largement socialisées. tection renforce chez tel individu,
Quels sont les moyens de cette tel concurrent ou tel pays étranger,
surrémunération, de cette forme par- soucieux de son développement et, à ce
ticulière de rente, c’est-à-dire de capta- titre, de capter à son bénéfice le trans-
tion ? J’en vois quatre principaux. fert de technologie et de connaissance,
Premièrement, certains secteurs, ou la tentation de la briser. Fût-ce de
entreprises, peuvent pratiquer des prix façon illicite.
très élevés parce qu’ils sont protégés Allons un peu plus loin : toute
de la concurrence, soit du fait de leurs activité frauduleuse est à l’évidence
innovations technologiques (ce que prédatrice. Il en est ainsi de celui qui
l’on pourrait appeler une protection trompe le fisc : il s’enrichit aux dépens
schumpétérienne), soit parce qu’ils de ses concitoyens. Il en est également
ont réussi à imposer au marché une ainsi du chef d’entreprise qui fabrique
structure de monopole ou d’oligopole de faux résultats (cas de Enron) pour
coopératif (la « concurrence impar- améliorer sa réputation, ses bonus
faite »). Cette première série de causes annuels et la valorisation de ses stock-
est bien connue. Elle a donné lieu à options, et de tous les systèmes de cor-
une gigantesque littérature acadé- ruption, au sens le plus large du terme.
mique et provoqué, pour contenir Du moins ces comportements sont-ils
leurs effets, des actions résolues des sanctionnés par la loi. Où l’on voit
Pouvoirs publics : limitation dans le que la prédation se matérialise le
temps des effets des brevets et des plus souvent par un transfert d’argent
licences, lutte contre les ententes et sans justification réelle, sans légitimité,
les positions dominantes. voire illégale, des victimes aux bénéfi-
Si l’innovation fournit un accès ciaires. Ces lignes de partage permet-
légitime à des niveaux de profit parti- tent de définir la nature plus ou moins
culièrement élevés, l’imitation, la fautive de la prédation. Mais celle-ci,
copie et la contrefaçon constituent a dans ses versions les plus répandues,
contrario autant de comportements exerce ses méfaits dans le respect
prédateurs : par elles, on obtient le absolu des lois. Point n’est besoin d’être
même niveau de rémunération que escroc pour abuser de son voisin : on
l’inventeur originel sans avoir produit peut le faire avec distinction.
l’effort équivalent. On comprend Le second moyen, pour mémoire,
dès lors l’équilibre subtil que la loi consiste à sous-rémunérer massivement
instaure : tant qu’elle n’est pas tombée le facteur de production « travail » et à
dans le domaine public, l’innovation encaisser le produit de cette exploita-
est protégée. L’idée d’un surprofit tion. Dans ce cas précis, la prédation
transitoire est explicitement acceptée. s’exerce au détriment non des clients,
Telle est la condition, dans une société mais des salariés volontairement sous-
marchande, pour que le chercheur, payés. La loi interdit et sanctionne les

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formes extrêmes de cette technique : structures d’endettement excessif


travail des enfants, travail clandestin. sont donc bien réels. Ils s’exercent
On peut penser que le phénomène est pour l’essentiel à travers l’augmen-
peu à peu devenu marginal dans les tation du risque et son transfert, insuf-
économies développées, même s’il fisamment rémunéré, sur autrui. À cet
fut dominant lors de la révolution égard, le modèle des fonds de private
industrielle du XIXème siècle au point equity qui repose pour partie sur ce
de fournir l’élément fondateur de la mécanisme devrait être revisité à la
théorie marxiste. lumière de l’expérience apportée par
Le troisième, bien connu des écono- la crise. Quelles furent les pertes de
mistes de la finance et relatif au valeurs par rapport à ce que connurent
facteur de production « capital », tient des structures plus classiques ? Et
à l’effet de levier. Pour une quantité comment furent-elles réparties entre
donnée du capital nécessaire à telle les diverses parties prenantes ?
ou telle activité, sa répartition entre En tout état de cause, l’importance
fonds propres et emprunts n’est pas du « bénéfice de prédation » par effet
neutre. Au fur et à mesure que l’effet de levier, pour celui qui en profite, est
de levier augmente, les sommes immo- significative. Prenons l’ensemble d’un
bilisées par l’actionnaire diminuent système bancaire commercial (dépôts,
et donc l’intensité capitalistique du d’une part, prêts aux entreprises et
processus pour ce qui le concerne. Dans aux ménages, donc à l’économie réelle,
le même temps, ses espoirs de gain de l’autre) dont l’encours total de
sont inchangés en valeur absolue, ou crédit représente 100 % du PIB et la
à peu près, tandis que son propre marge nette 1 % de l’encours (donc
risque diminue. 1 % du PIB) ; les chiffres sont à peu
La prédation ne s’exerce pas tant près ceux du système bancaire français.
vis-à-vis des clients extérieurs : le coût Avec un effet de levier de 20, la renta-
global du capital qui leur est facturé bilité des fonds propres est de 20 %.
dans les prix est toujours approximati- Ce ne sont pas les emprunteurs qui
vement le même. En revanche, elle se portent le poids de cette surrémuné-
déploie au sein de la communauté des ration, mais la collectivité des dépo-
apporteurs de capitaux, au détriment sants, dont le risque est ainsi accru, et,
des prêteurs dont le risque augmente à travers eux, l’État, garant du bon
en proportion de la diminution des fonctionnement du système monétaire.
fonds propres, sans qu’ils en soient Où l’on voit, au passage, que la
pleinement conscients et sans que la prédation par excès d’endettement
hausse des taux d’intérêt qui devrait naît d’une gestion avisée du temps :
les protéger soit à la hauteur néces- l’encaissement du profit, pour partie
saire. Sans parler des salariés qui ne fictif, précède la matérialisation du
peuvent que constater, impuissants et risque, renvoyé sur autrui si et quand il
souvent trop tard, qu’ils travaillent devient insupportable. Cette séquence
eux aussi dans une entreprise devenue gouverne la plupart des activités finan-
plus risquée. cières, ce qui fait leur charme et leur
Les éventuels effets prédateurs de danger.

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Dernier facteur explicatif, certaines l’on jouait « pour rien », juste pour le
activités soit fabriquent fort peu de plaisir de jouer, des allumettes ou des
valeur ajoutée (aux conditions normées, haricots, les casinos seraient vides. De
donc en termes de prix de revient), même pour les champs de course si les
soit n’emploient que de très faibles paris d’argent y étaient interdits.
doses de capital tout en entraînant de Ainsi se découvre une forme très
telles satisfactions chez leurs clients particulière d’industrie. Le prix de
que leurs services se vendent à des prix revient des services produits y est faible
élevés. « Vous voyez », me direz-vous, et la valeur ajoutée voisine de zéro. Les
« il arrive que les utilités indivi- clients y sont animés, pour l’essentiel,
duelles, et elles seules, fondent l’utilité par un fantastique désir d’enrichis-
sociale. » sement individuel. Les recettes des
Certes, mais à condition de qualifier établissements de jeux pourraient
exactement la nature de la satisfaction être faites du prix modéré de leurs
individuelle recherchée. Si, s’agissant propres services s’ils se bornaient à être
d’un peintre, d’un médecin ou d’un des intermédiaires, permettant aux
restaurateur, le prix est la mesure de joueurs de s’affronter entre eux (ainsi
leur talent artistique, thérapeutique des bookmakers anglais ou, demain, des
ou gastronomique, on doit considérer jeux en ligne). Mais, le plus souvent,
qu’il fournit une bonne mesure de l’uti- elles résultent de l’argent perdu par
lité sociale de leur production. Cette les joueurs qui viennent avec l’espoir
dernière, en effet, est demandée, puis d’en gagner. Le casino est contrepartie,
consommée pour elle-même, pour ses il joue pour compte propre. C’est une
propres vertus d’émotion, de guérison industrie du transfert où ce que
ou de plaisir. Le client achète contre prend l’un est pris à l’autre. Donc une
une somme d’argent à laquelle il industrie de la prédation librement
renonce un service immatériel dont il consentie.
éprouve le besoin et qui ne relève pas Le jeu de bonneteau est un bon
d’une compétence ordinaire. Le pur exemple, certes un peu extrême, d’une
talent, la qualité réelle ou supposée activité à laquelle on peut se livrer sans
d’une marque se paient très cher. capital immobilisé, sans beaucoup de
Autre chose est de vendre l’idée main-d’œuvre, avec une production de
même de l’enrichissement : je veux services réels à peu près nulle. L’espoir
parler des jeux et des paris. Que se d’autrui (le joueur) de s’enrichir à mes
passe-t-il dans un casino ? Le joueur dépens (la contrepartie) est le fonde-
est certes marginalement animé par ment de mon propre enrichissement
le plaisir du jeu et peut avoir un appétit personnel. Mes gains, qui sont les
particulier pour telle ou telle forme pertes de mes clients, peuvent être
d’excitation : la roulette plutôt que très élevés. Leur volatilité est forte si le
le blackjack ou le bandit-manchot. jeu est honnête : je gagne aujourd’hui,
Que l’établissement concerné satisfasse je peux perdre demain. Seule une
certaines utilités individuelles est expertise particulière me donne un
donc indéniable. Mais ce n’est pas cela avantage compétitif sur les autres
qui fait la valeur de son service. Si parieurs (toute fraude mise à part, bien

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entendu) qui m’assurera une bonne de composition et de qualification de


rentabilité de long terme. la main-d’œuvre, s’explique par un
Les activités de jeux et de paris pour pur effet de rente, sans justification
compte propre se caractérisent donc particulière. S’agirait-il de prédation ?
par des rentabilités élevées pour les Observation encore plus intéressante,
gagnants, alors que leur utilité sociale les auteurs font remarquer que la rente
(leur valeur ajoutée) est faible. Elles apparaît et s’accroît rapidement dans
impliquent un risque important, mul- les périodes de dérégulation (1910 à
tiplié et renvoyé sur la collectivité par 1933, puis 1980 à aujourd’hui). Dans
tout effet de levier éventuel. Fondées ces moments, la banque, l’assurance et
sur la prédation librement consentie surtout les autres activités financières
des uns par les autres, elles sont préda- (banques d’investissement, private
trices par destination. equity, venture capital, hedge funds et
gestionnaires de valeurs mobiliaires),
de toutes les moins régulées, voient se
ÉCONOMIE FINANCIÈRE multiplier les innovations. Elles atti-
ET UTILITÉ SOCIALE rent en masse des cadres de plus en
plus qualifiés (17 % de plus que dans
le reste du secteur privé en 1933) dont
Cette grille un peu fruste n’est pas les salaires augmentent jusqu’à se
établie pour des raisons morales, mais décaler par rapport à la norme sociale.
pour essayer de lancer quelques pistes Cette rente, cette surrémunération
de réflexion sur les niveaux d’utilité furent des facteurs puissants de renfor-
sociale (au sens où je l’ai définie ici) cement des flots d’entrée de jeunes
des diverses activités financières et diplômés brillants : décidément, plu-
d’en déduire les conséquences en tôt la finance que l’industrie. Est-ce
termes de régulation. un pur hasard si les deux mouvements,
Y a-t-il un effet de prédation de la similairement répétés à soixante-dix ans
finance sur l’économie réelle ? Quand de distance, se sont tous deux terminés
on voit que les activités financières dans une crise retentissante ? Après le
représentent aux États-Unis moins de retour en force de la régulation qui
10 % de la valeur ajoutée et 35 % des suivit l’effondrement de 1929, après
profits de l’ensemble des entreprises notamment le vote en 1933 du Glass-
(données 2007), que le salaire moyen Steagall Act, le secteur financier perdit
dans la finance et l’assurance y est rapidement les caractéristiques qui le
supérieur de 80 % à la moyenne du distinguaient. Son excédent relatif de
secteur privé (le chiffre français est de qualification disparut ainsi que la rente
50 %), la réponse à l’évidence ne peut elle-même puisque entre 1950 et 1980,
être que positive. le niveau des salaires revint dans la
L’étude de Philippon et Reshef moyenne générale. Jusqu’à la reprise
(2008) montre qu’un écart résiduel qui de la dérégulation, où tout recommença
se situe entre le tiers et la moitié de comme avant. Faut-il donc que la
cette différence de revenus, une fois finance soit régulée pour ne pas être
que l’on a tenu compte des différences prédatrice ?

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Les rentabilités sur fonds propres de due à l’épaisseur insuffisante des cloi-
la sphère financière sont, quand tout sons étanches - je veux dire les matelas
va bien, supérieures à celles du reste de de fonds propres - qui sont censées
l’économie qui hérite, quand tout va l’arrêter.
mal, d’un excès de risque. La raison, En un mot, il est plausible que
pour partie, tient à la pratique d’un l’ensemble des activités financières
effet de levier particulièrement élevé exerce un certain effet prédateur aux
dont on a parlé précédemment. dépens des ménages dont l’endettement
On peut, à cet égard, se référer à des est au contraire très faible par rapport
chiffres globaux parfaitement objectifs, à leur patrimoine net. Puis, à travers
ceux de la comptabilité nationale les ménages et en cas de matérialisation
française. Les données 2007 montrent du risque systémique, aux dépens des
que le passif des sociétés non finan- contribuables. Mais il faut, sans doute,
cières, soit 7 000 Md€ (trois fois et entrer dans plus de détails. À partir
demie le PIB), se compare à des fonds d’une affirmation forte : la finance s’est
propres de 6 000 Md€, soit un effet peu à peu déplacée vers des activités de
de levier de 1,17. Pour l’ensemble des plus en plus rémunératrices, de plus
sociétés financières (banques, sociétés en plus risquées et d’utilité sociale de
d’assurances, organismes de gestion plus en plus réduites.
d’actifs, Sicav...), le même calcul (pas-
sif de 10 300 Md€, fonds propres de
2 900 Md€) conduit à un effet de LA DÉRIVE VERS LE RISQUE
levier de 3,58. Encore ces chiffres,
consolidés à l’échelle d’immenses
domaines d’activités, écrasent-ils, du La banque finance des actifs portés
fait même de leur mode de calcul qui soit par des entreprises, soit par des
efface les créances et les dettes ménages. En ce sens, elle contribue à la
intrasectorielles (ce que l’on pourrait fabrication de la valeur ajoutée par ses
appeler l’intraconnection), les données clients, mais aussi, le cas échéant, aux
individuelles. Certes, on peut préten- effets de prédation que peuvent déve-
dre que les risques d’une banque, plus lopper certains d’entre eux. En bien
divisés, plus diversifiés, statistiquement ou en mal, le financier est complice.
décorrélés, justifient moins de fonds Notons tout d’abord que la banque
propres que ceux d’une entreprise de de crédit et de dépôt la plus classique,
l’économie réelle, souvent engagée à la plus banale, la narrow bank engagée
100 % dans un métier donné et donc dans les seuls financements de l’éco-
beaucoup plus sensible à des variations nomie réelle, pratique elle-même des
de conjoncture sectorielle. C’est oublier effets de levier assez élevés pour ren-
que le monde financier est, comme voyer une partie significative de ses
l’expérience l’a montré, exposé lui- risques sur ses propres prêteurs et
même à un risque particulier : le risque notamment ses déposants. Comment
systémique qui a failli plusieurs fois expliquer ce contraste étonnant : les
l’emporter tout entier et dont la pro- mêmes établissements qui refusent à
pagation destructrice est précisément leurs clients emprunteurs d’avoir des

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dettes supérieures à deux ou trois fois d’être la négation même des règles
les fonds propres fonctionnent avec d’or du capitalisme originel : chacun,
des effets de levier de l’ordre de 20 ? libre de ses actes, peut normalement s’y
Cela tiendrait-il à la stabilité supposée enrichir sans limites si, à l’inverse, il
des dépôts qui, n’ayant pas d’échéance, subit les conséquences de choix
se renouvelant en permanence, pour- malheureux. Comme l’écrit excellem-
raient être considérés comme une ment Gomez (2010), jusqu’à la fin du
sorte de dette perpétuelle, de surcroît XIXème siècle, les risques pris par les
à coût nul ? Donc presque des fonds entrepreneurs étaient garantis par leur
propres ? Tel est le cas tant que la fortune privée. « La forme juridique
confiance règne. Qu’elle vienne à se dominante était la commandite dans
fissurer et la masse apeurée des dépôts laquelle le gérant était responsable sur
peut s’envoler d’un coup, comme on ses biens personnels en cas de faillite.
l’a vu si souvent. L’histoire récente est Le risque pris assurait aussi bien la
garnie de trop de faillites bancaires pour légitimité de son pouvoir qu’une auto-
que ce point fasse doute : les banques limitation de ses excès. » On ajoutera
ne sont pas assez capitalisées pour que jusqu’à la fin des années 1970,
absorber sur leurs propres ressources toutes les banques d’investissement de
les erreurs de leur politique de prêt. Wall Street étaient organisées en
Il revient au régulateur de réduire l’am- partnerships, forme juridique aux effets
pleur de cette prédation potentielle identiques.
en exigeant une augmentation de leur Rien de tel aujourd’hui. La société
volume de fonds propres affectés au anonyme a remplacé celle en com-
crédit. mandite. Dans des structures à effet
Si cela se produit, la rentabilité des de levier considérable, des masses
capitaux engagés par les actionnaires énormes de capitaux peuvent être
dans la banque de dépôt est appelée à rassemblées sans que ni les dirigeants,
se réduire. Et donc se renforcera la ni les actionnaires ne voient s’accroître
tendance spontanée des banquiers leur risque personnel. Ainsi peuvent-
commerciaux, dirigeants d’organismes ils devenir riches dans les bonnes
à but lucratif, à se tourner vers des périodes, puis, fortune faite, partir en
activités plus rémunératrices. Le plus laissant les États se débrouiller avec les
souvent, les marges suivent le risque. conséquences des faillites provoquées
Qui veut gagner plus d’argent doit être par leur irresponsabilité. Ainsi est offi-
plus audacieux. Le désir d’enrichis- cialisé depuis longtemps, au sommet
sement, une fois de plus, est légitime de ces organisations, le comportement
et puissant. Les banques se mettent à que l’on reproche, en bas de la hiérar-
financer des clients dont l’activité chie, aux traders qui leur sont subor-
même, le business model, est fondée donnés : prendre son bonus sans penser
sur des effets de levier très dangereux. à rien d’autre. La faillite de Lehman
Tel est le cas, à des degrés divers, des Brothers en est l’illustration même : le
hedge funds, des fonds de private equity « hasard moral » n’est pas une fatalité
et des banques d’investissement. mécanique induite par l’apparition de
Leur système est admirable, au point structures too big to fail. Il est incarné

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et résulte de décisions humaines et de foncier détenus par les ménages, ce


comportements individuels parfai- qui permet de comprendre le caractère
tement descriptibles. La prédation est aisément systémique des crises de
ici flagrante : la banque de dépôt est l’immobilier : aucune catégorie d’actifs
d’abord complice puisqu’elle a prêté réels, et de loin, n’atteint une impor-
une partie des capitaux finalement tance similaire. Au sein de l’appareil
engloutis. Elle devient victime au productif proprement dit, les actifs
moment du défaut de l’emprunteur immobilisés des entreprises non finan-
et, maillon faible, transmet aussitôt cières représentent près de quatre fois
à la collectivité le mal dont elle est leur valeur ajoutée annuelle, soit deux
frappée. Ici encore, il revient aux régu- fois le PIB.
lateurs de protéger les banques contre L’utilité sociale de ces actifs, dont la
elles-mêmes en leur imposant des réunion forme le capital dont dispose
coefficients de fonds propres fortement la collectivité, est indéniable : ils parti-
renforcés en face de ce type de prêts, cipent directement à la production
voire en interdisant certains d’entre eux. des entreprises ou à la satisfaction des
On franchit un degré de plus dans ménages. Ils sont bien entendu portés
l’échelle qui mesure la gravité des en financement, partiellement par
fautes quand les sociétés financées par des fonds propres, partiellement par
le système bancaire, à effet de levier l’emprunt. La participation ultime des
d’ampleur variable, ont pour métier banques de dépôt à ce passif financier
principal de parier, que ce soit sur le est donc également d’utilité sociale.
risque ou sur le prix des actifs. On a vu Encore faut-il que leur intervention
que le pari n’avait en soi à peu près soit construite de manière à les pro-
aucune utilité sociale et servait simple- téger des risques de variation de valeur
ment à justifier une prédation, le des actifs financés : tel sera le cas si les
transfert d’argent pur et simple du crédits sont accordés, avec les marges
perdant au gagnant. Dans la vie ordi- de sécurité voulues, aux personnes
naire, on parie sur des événements. morales ou physiques propriétaires
Dans la sphère financière, on parie de de ces biens, le banquier évitant
plus en plus souvent sur des mouve- soigneusement de les porter lui-même
ments de prix. directement sur son bilan.
La plus grande partie de ces actifs
s’échange sur des marchés spécialisés
LE FINANCEMENT (marché de l’immobilier, qu’il soit
DES ACTIFS résidentiel ou de bureaux, ou encore
des matériels de transport - bateaux,
avions, trains - qui sont cependant
Dans une économie développée, d’une importance macroéconomique
les masses d’actifs immobilisés sont bien moindre puisqu’ils ne repré-
considérables : en France, six fois et sentent au total que 6 % d’un PIB
demie la production annuelle de annuel). La caractéristique commune
richesses. La moitié (trois fois le PIB) de ces lieux d’échanges est que le
est constituée des logements et du montant des transactions instantanées

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REMETTRE LA FINANCE AU SERVICE DE L’HOMME ET DE LA SOCIÉTÉ
LA CRÉATION DE VALEUR ET LES PRÉLÈVEMENTS OPÉRÉS PAR LA FINANCE

qui s’y déroulent est faible par rapport Les marchés sont donc caractérisés
au stock total de valeurs des biens par leur volatilité, qui est une donnée
concernés. La situation conjoncturelle intrinsèque à chacun. Bien entendu,
du transport aérien ou maritime nombre d’acteurs économiques vont
commande le niveau des prix de vente spéculer sur cette volatilité, essayant
des aéronefs ou des navires, qu’ils d’acheter bon marché pour revendre
soient neufs ou d’occasion. Ce même plus cher. Ce sont des joueurs particu-
niveau fixe à son tour la valeur de liers qui parient sur des mouvements
l’ensemble des avions ou des bateaux de prix. On peut répéter à leur propos
exploités dans le monde, dont l’im- ce que l’on a déjà dit pour décrire plus
mense majorité ne change pourtant généralement les paris : leur opération
pas de mains au cours de chaque d’achat/vente d’un bien déjà existant
exercice. Ainsi, la variabilité des prix n’ajoute rien à la production, ne crée
constatée sur un faible échantillon aucune valeur ajoutée, est donc sans
est-elle amplifiée puisque, règles comp- aucune utilité sociale. De part et d’autre
tables aidant, elle affecte la totalité de la tendance de long terme des
des actifs de même nature engagés dans marchés concernés, justifiée par les
l’appareil productif. Le phénomène fondamentaux du développement
mérite considération quand, comme économique, une variation de prix
c’est le cas de l’immobilier, il concerne n’a aucune incidence : ce qui est gagné
un stock d’actifs d’un montant supé- par l’un est perdu par l’autre. Une
rieur à celui du PIB. plus-value constatée ici a pour contre-
Or les marchés eux-mêmes pren- partie une moins-value potentielle
nent une part croissante dans le fonc- ailleurs. Nous rencontrons à nouveau,
tionnement de l’économie. Les entre- telle qu’en elle-même, la forme subtile
prises sortent progressivement du de la prédation librement consentie :
cadre intermédié où le système ban- les enrichissements individuels peuvent
caire classique leur fournissait l’essen- être considérables alors même que
tiel de leurs financements. De plus en l’enrichissement collectif est nul.
plus nombreuses sont celles qui soit Donc le jeu est à haut risque puisque
sont cotées, soit ont recours au marché l’enrichissement extrême des uns est
obligataire. Dans la plupart des pays nécessairement constitué des pertes
développés, les capitalisations bour- des autres.
sières ou obligataires sont chacune d’un
ordre de grandeur égal à une année de
PIB. Ici encore, le montant des transac- CONCLUSION :
tions annuelles est faible par rapport au VERS UN NOUVEAU
stock de valeurs mobilières. Cependant, GLASS-STEAGALL ACT ?
que se produise un mouvement de
taux d’intérêt ou qu’apparaisse une
nouvelle anticipation de croissance Nous avons rassemblé suffisamment
des profits et c’est tout le marché qui de briques pour en tirer quelques
décale brutalement, dans un sens ou conclusions en matière de régulation :
dans l’autre. - les activités financières, dans leur

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RAPPORT MORAL SUR L’ARGENT DANS LE MONDE 2010

ensemble, sont probablement préda- immobiliers en 2009, dans des condi-


trices par excès d’effet de levier au tions où la protection fournie par le
détriment des prêteurs et notamment gage était illusoire (faillite de pauvres).
des ménages. Il est donc recommandé Le risque systémique naît toujours
d’y durcir les normes de fonds propres d’une pratique laxiste exercée sur
et d’y diminuer l’effet de levier jusqu’à une échelle assez large pour que les
ramener leur rentabilité à la moyenne risques, au lieu d’être divisés, se coa-
de l’économie réelle ; gulent ;
- le banquier, à son tour, est parfois - le financement des activités de pur
victime d’emprunteurs qui pratiquent pari menées par des tiers (hedge funds,
des effets de levier exagérés. Les structures de négoce de produits
normes de crédit devraient être durcies dérivés...) est sans utilité sociale, à
en tant que de besoin ; risque toujours élevé et d’autant plus
- tel est souvent le cas lorsque l’objet redoutable que l’emprunteur pra-
des concours octroyés est un finan- tique, en outre, de forts effets de levier.
cement d’actifs de marché. La prise Suivant le tempérament de chacun,
en gage de l’objet financé (que l’actif on proposera soit une interdiction pure
soit réel ou financier) ne devrait être et simple de ce type de financements
qu’une garantie supplémentaire, justi- par le système bancaire de base (ce qui
fiant éventuellement une diminu- est ma position personnelle), soit un
tion de la marge, mais ne devrait jamais durcissement extrême des conditions
se substituer à la protection fournie de crédit et des exigences de fonds
par les fonds propres de l’emprunteur, propres associées ;
ni à l’étude de sa capacité de rembour- - enfin, la pratique de ce genre de
sement. Les prix, comme on l’a vu, sport par les banques elles-mêmes,
peuvent fluctuer fortement sur les pour elles-mêmes, devrait être inter-
marchés d’actifs. Or les banquiers ont dite : un établissement qui émet à
souvent le sentiment qu’ils peuvent son passif ce bien public qu’est la
baisser leur garde dès lors qu’ils monnaie ne devrait pas être autorisé à
jouissent d’une garantie réelle. Ce gagner de l’argent par pure prédation
faisant, ils oublient que l’enchaîne- à l’actif. C’est, me semble-t-il, l’une
ment des effets et des causes est sou- des mesures centrales de la réforme
vent dans l’autre sens. Le prix du Obama : l’interdiction du trading pour
bien, on l’a déjà noté, varie souvent compte propre. Je regrette qu’Obama
comme la santé de l’emprunteur : les ne soit pas français.
deux sont simultanément mauvais. On voit bien la conclusion logique
Le banquier dont le client fait défaut de cette séparation des activités finan-
prend alors possession de biens forte- cières en deux catégories distinctes :
ment dévalués. Après tout, on se sou- d’un côté, celles qui ont une réelle
viendra que les deux grandes faillites utilité sociale ; de l’autre côté, celles
du système bancaire mondial répon- qui en sont dépourvues. Interdire
dent toutes deux à ce schéma : finan- les secondes aux banques de dépôt
cement d’achats d’actions en 1929 (où serait l’intérêt positif de les leur
(faillite de riches), financement d’achats autoriser, quand il y a tant de raisons

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REMETTRE LA FINANCE AU SERVICE DE L’HOMME ET DE LA SOCIÉTÉ
LA CRÉATION DE VALEUR ET LES PRÉLÈVEMENTS OPÉRÉS PAR LA FINANCE

de ne pas le faire ?) n’est-ce pas voté en 1933 (juste après la première


remettre en vigueur, sous une forme crise historique) et abrogé en 1999
renouvelée, le vieux Glass-Steagall Act, (juste avant la deuxième) ?

BIBLIOGRAPHIE
GOMEZ P.-Y. (2010), « Un capitalisme à irresponsabilité illimitée », Le Monde, 16 février.
PHILIPPON T. et RESHEF A. (2008), « Wages and Human Capital in the US Financial Industry : 1909-2006 »,
décembre.

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