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L’Analyse Macro-Economique

Jean-Pierre Damon,
17.03.1975.

Nous vivons dans un système social où, pour survivre, nous devons adopter un certain comportement
vis-à-vis des autres, car nous dépendons des autres. Nous avons besoin de ce qui est socialement produit
et nous ne parvenons à satisfaire ce besoin que dans la mesure où,nous nous comportons conformément
aux règles sociales édictées. Ces règles que l’on parvient à connaı̂tre par l’expérience de la vie de tous
les jours obéissent à une certaine logique. L’objet de l’économie politique est précisément l’étude de ces
règles et de cette logique, mais sous un certain angle.

Une des règles fondamentales du système dans lequel nous vivons est que la monnaie sert de moyen
d’échanges, c’est-à-dire permet de se procurer les biens dont nous avons besoin. Cela signifie aussi que tout
bien est équivalent à une certaine quantité de monnaie. On appelle prix d’un bien la quantité de monnaie
nécessaire pour ce le procurer et on peut définir notre système comme une économie monétaire.
On peut dire aussi qu’il s’agit d’un système d’économie marchande, car tout bien peut être acheté
ou vendu sur un marché, le marché étant la confrontation au cours de laquelle un bien change de détenteur.
Mais les règles sociales veulent que, sauf exception, tout détenteur d’un bien ne puisse jamais être obligé
de s’en désaisir contre sa volonté, quelque soit le prix qu’on lui en offre: en particulier, le vol qui est un
échange forcé à prix nul est prohibé. Notre système repose ainsi sur la propriété des biens, c’est-à-dire
que celui qui détient un bien peut en disposer librement. Signalons néanmoins que la propriété ne s’étend
pas aux personnes et qu’aucun individu ne peut être échangé à quelque prix que ce soit.

A partir de ces quelques principes élémentaires, principes qui résultent de l’histoire de notre société,
il est possible d’expliquer comment fonctionnent les principales relations sociales.
Remarquons tout d’abord que les règles précédentes doivent être complétées pour rendre compte de
la production de ces biens, ou marchandises, dont nous venons de parler. Un objet n’est pas, dans notre
société, une fin en soi. Il est destiné à être utilisé, donc détruit ou usé, et, de toute façon, il ne peut servir
indéfiniment : il doit donc être remplacée, c’est-à-dire reproduit. Par ailleurs, rares sont les individus qui
disposent de suffisamment de biens, ou d’équivalent en monnaie, pour satisfaire tous leurs besoins en
échangeant ces biens ou cette monnaie. Pour les autres, c’est-à-dire l’immense majorité, il faut qu’ils se
procurent un moyen d’échange pour obtenir ce dont ils ont besoin.
Dans l’organisation sociale qui est la nôtre, un individu ne disposant d’aucun bien peut se procurer
des biens ou leur équivalent en monnaie en fournissant un travail, c’est-à-dire en mettant sa force de
travail, ses capacités physiques et intellectuelles, à la disposition d’un patron, qui lui fournira en échange
un salaire, c’est-à-dire le prix auquel ce patron évalue les capacités du salarié. Cet engagement oblige
le salarié à effectuer tous les travaux qui lui seront proposés par le patron durant la période fixée par le
contrat de travail, sans que le salarié ne puisse prétendre, sauf exception, à aucun droit sur le résultat de
ce travail.
En ce qui concerne le patron, il s’agit d’un individu qui dispose d’un pouvoir personnel, pouvoir qui a
pour origine les biens dont il dispose, son capital, ou une délégation de pouvoir venant d’autres individus
qui disposent eux-mêmes d’un capital. Ce pouvoir, qui lui est reconnu par la société, le patron l’utilise

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pour acheter des moyens de production, des matières premières et l’engagement d’un certain nombre
de travailleurs salariés pour mettre en oeuvre ces moyens de production et transformer ces matières
premières. Ayant acheté, le cas échéant à crédits ces biens et ces engagements, le patron se retrouve
propriétaire des biens transformés par les salariés, quelles que soient la quantité et la qualité de ces
biens. S’il parvient alors à vendre ces marchandises nouvelles à, un prix supérieur à ce qu’il a déboursé,
ou emprunté, pour organiser leur production, il réalise un profit et ce profit lui est reconnu comme sa
propriété, au mgme titre que les marchandises qu’il a fait fabriquer par ”ses” salariés.
Parmi les biens ainsi produits, un certain nombre seront précisément achetés par les travailleurs qui les
utilisent pour satisfaire leurs besoins. Le salaire qui leur a été versé en contre-partie de leur engagement
leur permet de fournir une contre-valeur à ces biens offerts sur le marché. Mais il existe d’autres biens qui
ne sont pas achetés par les travailleurs, soit parce qu’ils n’en éprouvent pas le besoin, soit parce que leur
salaire ne leur permet pas d’en payer le prix. Certains de ces biens sont ceux nécessaires à la production,
par exemple les machines. Ces biens, fabriqués par des travailleurs, ne peuvent être achetés par ces mêmes
travailleurs.
Mais, pour que l’ensemble du système social soit équilibré, il faut que tous les biens produits soient
effectivement achetés. Ajoutons qu’il faut que tous les biens soient achetés à un prix tel que les patrons
qui ont décidé de les faire produire obtiennent un profit lors de la vente de ces biens. Or, ces décisions,
prises dans chaque entreprise de produire une certaine quantité de certains biens, peuvent, dans leur
ensemble différer de ce que la collectivité sociale souhaite acheter.
Tout un secteur de l’activité économique consiste précisément à faire correspondre la production,
c’est-à-dire l’offre de biens par les entreprises à la demande émanant de la collectivité nationale. Il
s’agit des études de marché, de la publicité et de la mise à la disposition des utilisateurs des produits
effectivement fabriqués. Ces opérations entraı̂nent des frais qui s’ajoutent aux coûts nécessaires à la
fabrication des biens. Les travailleurs qui perçoivent un salaire pour effectuer ces opérations jouent un
rôle social utile, mais ne participent pas directement à la production des biens. Ils effectuent ce qu’on
nomme des services. Il en est de même des travailleurs qui assurent, pour le compte des patrons, les
calculs de coûts qui permettent aux entreprises de se rendre compte (comptabilité) du rendement de leur
production et de prévoir les profits qu’elles réalisent dans la mise en oeuvre et la vente d’une production.
Tous ces services sont utiles, et même indispensables, au fonctionnement de la société actuelle, mais
n’ajoutent rien, par eux-mêmes, à la masse des biens dont dispose la collectivité.
Lorsque ce secteur fonctionne mal, il se produit des déséquilibres entre ce que prévoient les entre-
prises et la réalisation de leurs projets. Si on a produit plus de biens que la collectivité ne désire ou ne
peut acheter, il y a surproduction soit partielle lorsqu’elle ne concerne que quelques biens, soit générale
lorsqu’elle s’étend à l’ensemble des biens produits. Si ces déséquilibres sont accidentels, on peut y remédier
en stockant les biens produits. Si les déséquilibres correspondent à des causes plus durables, l’ensemble
des biens produits ne peut trouver de débouchés que si ces produits sont offerts à des prix plus faibles :
ce mécanisme est résumé par le nom de “loi de l’offre et de la demande”. Dans ce cas-là, les entreprises ne
récupèrent pas les profits escomptés, ou même la valeur des sommes engagées dans la production et elles
doivent renoncer à produire. les travailleurs sont mis en chômage, les entreprises ferment, il y a crise.
Une autre possibilité de déséquilibre peut être dûe à des prévisions inverses, c’est-à-dire que l’offre de
biens peut être inférieure, en quantité, à la demande. Dans ce cas, le partage des biens entre ceux qui
souhaitent les acquérir se fait à un prix plus élevé, seuls ceux qui peuvent payer ce prix pouvant acquérir
ces biens. Mais ceci concerne essentiellement certains biens et, sauf exception ne peut se généraliser à
l’ensemble des biens produits, car l’existence d’une forte demande incite les entreprises à accroı̂tre leur
production.
Lorsque l’équilibre est réalisé, l’ensemble des dépenses effectuées pour la production permettent à la
collectivité sociale d’acquérir l’ensemble des biens produits à un prix tel que l’ensemble des entreprises
réalisent des profits et que l’ensemble des travailleurs acquièrent les biens dont ils ont besoin. L’existence
de cet équilibre pose une série de problèmes qui sont au coeur de l’économie politique.

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La réalisation de cette masse de profits correspond, en effets à une augmentation des biens, ou de
leur équivalent en monnaie, par rapport à la situation de départ pour l’ensemble de la collectivité. Cela
signifie que le système économique ne se limite pas à des échanges mais qu’au contraire, il est productif
de valeur. C’est ici que les interprétations des théoriciens vont diverger.
Pour les uns, cette création de valeur a pour origine le travail effectué par les salariés qui fabriquent les
biens. Si les travailleurs ont engagé leur force de travail, ont mis leurs capacités au service des entreprises,
c’est qu’ils devaient fournir une prestation pour obtenir un salaire, c’est-à-dire une quantité de monnaie
leur permettant de satisfaire leurs besoins. Mais le prix de cette force de travail, prix payé sous la forme
de salaire, est sans commune mesure avec l’emploi des travailleurs dans l’entreprise. En effet, durant le
temps de travail pendant lequel il fournit aux travailleurs des moyens de travail, le patron peut obtenir
des travailleurs qu’ils produisent des biens dont la valeur est bien supérieure aux salaires versés. Bien sûr,
les moyens de travail entrent pour partie (et cette part est loin d’être négligeable) dans la valeur des biens
fabriques mais, puisque précisément l’entrepreneur réalise un profit, la valeur des biens dépasse la somme
des dépenses engagées. Or, par rapport aux machines et aux matières premières, le seul fait nouveau est
le temps de travail passé par l’ouvrier à combiner ces moyens, à transformer les matières premières en
produits utilisables. Le système est donc un système d’exploitation des travailleurs par les propriétaires
des moyens de production et la mesure de cette exploitation, l’origine du profit, est le non-paiement au
salarié de la totalité de son temps de travail. Entre la valeur du salaire et la valeur du travail fourni existe
une plus-value qui explique le fait que, dans son ensemble, le système produise de la valeur.
Pour d’autres, au contraire, il n’y a aucune raison de privilégier l’un des “facteurs” de production.
Tout en reconnaissant que c’est lors de la production que se crée la valeur, il faut reconnaı̂tre que, si les
machines ne peuvent produire d’elles-mêmes, les travailleurs ne peuvent non plus, tous seuls, créer de la
valeur. C’est donc la combinaison du travail et du capital qui accroı̂t la richesse de la collectivités On
précisera seulement qu’il s’agit là d’un système capitaliste, qui se différencie des systèmes antérieurs par
le fait qu’on recourt à l’emploi d’un capital, c’est-à-dire étymologiquement de quelque chose d’essentiel,
de fondamental.
Ni l’une ni l’autre de ces deux conceptions ne permet d’expliquer directement comment ce système peut
être équilibré. En effet, quelle que soit l’explication fournie quant à ce qui se passe au sein de l’entreprises,
lors de la fabrication d’un bien, il faut qu’à la sortie des entreprises l’ensemble des biens fournis trouve
une masse d’acquéreurs susceptibles d’en payer le prix, c’est-à-dire l’ensemble des dépenses plus la valeur
créée à l’occasion de la production. Sur ce point, les théories économiques les plus couramment employées
depuis une trentaine d’années s’attachent à observer empiriquement ce qui se passe.
L’idée de départ est la suivante. Lorsqu’on considère l’économie dans son ensemble on peut distinguer
deux grandes catégories de biens : les biens de consommation (C1 ) et les biens d’équipement (I). La
production de ces biens donne lieu à la distribution de revenus sous la forme de salaires, d’intérêts, de
rentes, de dividendes, etc... La somme de ces revenus (Y ) correspond à une masse qui équilibre les biens
produits.
Nous avons donc au départ : Y = C1 + I
Ces revenus, distribués dans la collectivité nationale, vont permettre à leurs titulaires d’effectuer des
dépenses de consommation (C2 ). En se Situant toujours au niveau de l’économie dans son ensemble
(macro-économie), la part des revenus qui n’est pas dépensée en biens de consommation correspond à
une épargne (S).
Nous avons donc : Y = C2 + S
Par définition, les biens de consommation sont destinés à être consommés. Bien sûr, si l’on observe la
situation de l’économie à un moment donnés tous ces biens ne sont pas consommés, une partie d’entre eux
est stockée pour être vendue et consommée ultérieurement. Mais ces stocke sont destinée à disparaitre,
soit parce qu’ils seront effectivement vendus, soit qu’ils seront détruits et, dans ce cas, tout se passe
comme s’ils n’avaient pas été produits. Donc, si on étudie ce qui se passe lors d’un cycle complet de
production, tous les biens de consommation produits pourront être supposés consommés on aura donc :

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C1 = C2 = C

On aboutit alors aux équations suivantes :

Y =C +I

et

Y =C +S

selon que l’on décompose les revenus d’après leur origine ou leur destination.
A l’équilibre, tous les biens produits devront être achetés, on aura donc :

C + I = C + S ou I = S

Autrement dit, pour que l’équilibre soit réalisée, il faut et il suffit que les investissements réalisés
correspondent à l’épargne de la collectivité nationale.

Ce type de présentation ne résout pas les questions que nous posions antérieurement. En effet, il ne
s’agit pas d’expliquer ici ce qui se passe lors de la production, en particulier la façon dont les dépenses
nécessaires à la production permettent d’obtenir un résultat global de valeur supérieure. Il s’agit seulement
d’expliquer comment les biens produits peuvent être effectivement achetés par la collectivité nationale.
En réalité, ces équations sont incomplètes car elles ne tiennent pas compte d’un élément fondamental,
les prix. Dans ce type de présentation, on se contente de décrire un circuit : lors des opérations de
production, des revenus sont distribués, ces revenus permettent à leurs titulaires d’acheter les produits
fabriqués. En réalité, cette dépense finale est entièrement déterminée par les revenus distribués et les prix
des biens finalement échangés seront d’autant plus élevés que les revenus seront d’un niveau important.
Seulement, le prix n’est ici qu’un élément de mesure. Le circuit est présenté de façon indépendante de la
quantité de monnaie en circulation. Dès lors, on dira que plus cette quantité est forte, plus les revenus
distribués représenteront une masse monétaire importante et plus le niveau général des prix sera élevé.
Un autre élément fondamental est absent de cette présentation, c’est le temps. En réalité, il n’est pas
indifférent que le circuit se ferme plus ou moins rapidement. C’est, en effet, lorsque le circuit est refermé,
c’est-à-dire lorsque l’ensemble des biens produits ont été vendue que le cycle pourra recommencer et la
capacité de production d’n système économique dépend, pour une grande part, de la vitesse à laquelle
tourne ce circuit.
Dans la réalité sociale d’un système économique, la mise en oeuvre d’un nouveau cycle n’attend
d’ailleurs pas la fin du cycle précédent. Le système réel fonctionne de façon continue les opérations de
reproduction ont lieu en même temps que celles de production, de distribution des revenus et d’échanges.
D’autre part, dans les systèmes économiques contemporains, il est possible de faire intervenir le crédit.
Les prêts correspondent à des anticipations quant à la fermeture du circuit économique, ils permettent
aux entreprises de faire redémarrer un cycle de production sans attendre que les biens antérieurement
produits aient été vendus.
Enfin aucun système économique actuel ne fonctionne à l’échelle d’une nation. Les circuits économiques
nationaux sont ouverts sur le marché mondial. Aux biens produits dans un pays s’ajoutent les biens
importés : l’ensemble des revenus distribués se répartit ainsi entre la production nationale et les impor-
tations. En contre-partie, une partie des biens produits sera exportée, c’est-à-dire achetée à l’aide de

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revenus distribués dans d’autres pays. Mais comme le marché mondial suppose la confrontation de pro-
duits évalués en monnaies différentes, les échanges sur ce marché nécessitent des accords entre pays quant
à une unité monétaire commune pouvant servir de référence, d’étalon, à l’ensemble des échanges.

Sous réserve des problèmes posés par itint:roduction de cette série d’éléments, la présentation du
circuit économique permet l’étude d’un certain nombre de questions fondamentales.
Il s’agit d’abord de l’égalisation entre l’épargne et l’investissement. En admettant provisoire-
ment que tout bien de consommation sera consommé, on pose l’égalité entre l’épargne et l’investissement
comme une condition d’équilibre des échanges économiques. Or, ces deux variables macro-économiques
résultent chacune d’une série de décisions dont il faut estimer la cohérence.
Nous avons dit que les entreprises étaient les lieux de décision où, à partir d’une certaine quantité
de monnaie, ou de capitale il est prévu de produire une certaine quantité de biens. Au moment de cette
décision, les chefs d’entreprises sont obligés de faire des prévisions quant à la quantité et au prix des
biens qu’ils pourront vendre. Leurs calculs pourront les amener à prévoir un accroissement de la capacité
de production de leurs entreprises dans une mesure telle que le capital dont ils disposent est insuffisant.
Pour réaliser leur plan, ils sont donc obligés de faire appel à des capitaux supplémentaires. Il faut donc
qu’il existe, en dehors d’eux, une réserve de biens, ou de monnaie, susceptible de les aider à remplir leur
contrat. Lorsqu’on pose ce problème au niveau global, cela signifie que, pour accroı̂tre leur production,
l’ensemble des entreprises doit faire appel à une épargne globale. L’existence d’un système bancaire est
certainement très utile pour rassembler cette épargne, mais ce ne sont pas les banques qui peuvent créer
l’épargne, elles ne peuvent que l’orienter vers les investissements.
Nous avons dit, par ailleurs, que l’épargne était la partie non consommée des revenus. Au départ d’un
cycle de production, l’ensemble des individus font aussi des prévisions. Ils prévoient qu’ils percevront un
certain niveau de révenu et qu’avec ce revenu ils achèteront un certain montant de biens de consommation.
L’épargne qu’ils réaliseront peut donc être, prévue par différence.
Il est évident que ces calculs, faits par des agents différents et selon des objectifs différents, n’ont
aucune raison d’aboutir au même résultat. Que va-t-il alors se passer dans la pratique?
Nous avons vu que la production était le point de départ du circuit. Cela signifie que ce sont les
entrepreneurs, avec l’aide du système bancaire et de la Bourse, qui vont adapter leurs investissements
aux conditions du marché financier. La plus ou moins grande facilité avec laquelle ils parviendront à
convaincre les épargnants se traduira par un niveau plus ou moins élevé des intérêts qu’ils devront payer
et un niveau plus ou moins élevé du produit qu’ils réaliseront, c’est-à-dire finalement des revenus qu’ils
distribueront lors de la mise en oeuvre de la production. L’emploi de ces revenus pour l’achat des biens
fabriqués déterminera alors les prix des biens produits.
Ainsi, ce type de présentation montre que les conditions dans lesquelles fonctionne le marché
financier influencent directement le niveau de la production et le prix auquel s’écoule cette
production. Cette présentation théorique, oeuvre de J.M.KEYNES, a pour principal résultat de mon-
trer qu’il n’y a aucune raison pour que le niveau de la production ainsi déterminé corresponde au
plein-emploi de la main-d’oeuvre, donc aux capacités maximales de production d’un pays. L’équilibre
économique peut durablement se maintenir en sous-emploi, il n’existe aucun mécanisme qui tende à limi-
ter le chômage. Depuis Keynes, on a utilisé cette présentation pour expliquer, de façon quasi-symétrique,
qu’une fois atteint le niveau du plein-emploi, les conditions de fonctionnement du marché financier pou-
vaient entraı̂ner une hausse systématique des prix sans développement de la production.
En d’autres termes, les deux problèmes majeurs des économies contemporaines, le chômage et
l’inflation, peuvent être interprétés à l’aide de cette présentation.

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A partir du moment où l’on reconnaı̂t que des désordres graves peuvent surgir lorsque les mécanismes
économiques et sociaux fonctionnent en toute liberté, il est normal qu’on songe à des interventions pour
limiter ces désordres.
La théorie Keynesienne ayant mis en valeur le rôle essentiel joué par l’épargne et l’investissement,
c’est évidemment sur ces deux variables stratégiques qu’il convient d’intervenir. Comme, par ailleurs,
il s’agit là d’une présentation macro-économique, relative à l’économie dans son ensemble, il est aussi
normal qu’on établisse le mode d’intervention à ce même niveau macro-économique. Il s’agit, en fait,
de l’organisation globale de la société. Or, dans toutes les nations, c’est l’Administration Centrale qui
est chargée de cette organisation. Qu’on l’appelle État, Gouvernement ou Pouvoirs Publics, il s’agit de
l’institution qui a la charge de faire respecter les règles fondamentales sur lesquelles reposent nos sociétés.
C’est ainsi qu’à partir du moment où l’on a pris conscience de la nécessité de ces interventions en matière
économique, l’État a vu son rôle économique s’accroı̂tre de façon considérable et on le tient aujourd’hui
pour responsable de l’état de santé de l’économie nationale.
Pour jouer ce rôle, l’Etat a dû évidemment accroı̂tre ses moyens, mais il convient de voir tout d’abord
comment son intervention peut s’insérer dans le circuit économique.
lorsqu’on étudie abstraitement le circuit économique, on isole un cycle complet de ce circuit et on
établit l’équilibre sur les résultats de la production de ce seul cycle. Dans la réalité, comme nous l’avons
déjà dit, le cycle est en perpétuelle reproduction. De ce fait, en ce qui concerne, en particulier, l’épargne, il
est impossible de déterminer si les moyens financiers mis à la disposition des investisseurs sont le résultat
de cycles passés ou anticipent le ou les cycles à venir.
L’observation de la réalité économique consiste alors à établir des mesures sur une période choisie arbi-
trairement, généralement l’année civile. On recense l’ensemble des opérations qui se sont traduites durant
l’année par des distributions de revenus, des achats de biens de consommation et de biens d’équipement
et, après évaluation des stocks des entreprises, on détermine l’origine des capacités de financement
par différence entre la distribution et l’emploi des revenus. Ces opérations successives de recensement
sont présentées sous la forme d’une comptabilité d’un type particulier, la comptabilité nationale.
Dans la comptabilité nationale française on distingue 5 agents économiques : les entreprises non
financières qui produisent des biens et des services, 3 agents “dépensiers” : les ménages, les adminis-
trations et les institutions financières et un agent rendant compte du marché mondial, l’Extérieur.
Pour chacun de ces agents, on enregistre les opérations qui entraı̂nent une modification de son patrimoine,
c’est-à-dire les entrées et sorties (ressources et emplois) de monnaie. Toutes ces opérations correspondant
à des échanges, elles mettent systématiquement en présence deux ou plusieurs agents et leur enregistre-
ment est établi de façon symétrique aux comptes de ces agents. Il s’agit d’une comptabilité en partie
double : toute écriture accroı̂t les dépenses d’un agent et les ressources d’un autre. L’ensemble est ainsi
toujours équilibré.
A l’occasion de la production, les entreprises non financières distribuent des salaires aux ménages,
des intérêts aux institutions financières, des impôts aux administrations. Les administrations utilisent ces
impôts, plus ceux versés par les ménages et les institutions financières, pour acheter des biens utiles à leurs
services, pour payer des salaires aux ménages et fournir des subventions aux entreprises. Les ménages
qui ont perçu ces salaires et les dividendes ou intérêts versés par les entreprises non financières et les
institutions financières dépensent ces revenus en achats de biens de consommation : la part non dépensée
de ces revenus correspond à une épargne, ou capacité de financement. Les institutions financières qui ont
utilisé les intérêts versés par les entreprises et les ménages pour payer elles-mêmes des intérêts des salaires
et des impôts, détiennent aussi en fin de période une capacité de financement. Enfin les entreprises non
financières qui ont vendu les biens de consommation en ont stocké une partie-et ont dû financer, en plus
de ces stocks, des investissements de remplacement (amortissement de machines) et des investissements
nouveaux. Comme seules les dépenses de consommation des autres agents ont pu équilibrer les dépenses
des entreprises non financières, elles apparaissent en fin de période avec un besoin de financement qui
correspond à la part des revenus qu’elles ont distribués et qui n’a pas été employée par les autres agents,
c’est-à-dire que c’est la mesure exacte des capacités de financement de ces mêmes agents. Pour boucler le

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circuit, il ne reste plus qu’à montrer comment, par des opérations d’emprunts, les entreprises, au cours de
la période écoulée, ont effectivement réussi à utiliser cette capacité de financement des autres agents : la
comptabilisation du mouvement des créances et des dettes de ces agents permet de suivre ces opérations
de financement.
Un recensement de ce type offre bien des avantages pour déceler les caractéristiques du fonctionnement
d’une économie. On peut, en particulier, évaluer la façon dont les agents emploient leurs revenus. C’est
à partir de constatations de ce type qu’on a pu s’apercevoir qu’il existe une certaine constance dans
remploi des revenus. A tout niveau de revenu correspond une propension (une tendance) à utiliser une
part constante de ce revenu à des dépenses de consommation. Plus le niveau de revenu est élevé, plus
faible est la propension à consommer. De façon encore plus intéressante, on a pu découvrir qu’en cas
d’accroissement du revenu, il existait, en courte période, un rapport constant de la tendance à dépenser
ce surcroı̂t de revenu : c’est ce qu’on appelle la propension marginale à consommer.
L’intérêt de cette “découverte” réside essentiellement dans la possibilité de prévoir le montant d’épar-
gne qui sera dégagé dans l’avenir. C’est là que se situe l’action possible de l’État : la politique écono-
mique.
Pour mettre en oeuvre cette action, les responsables politiques s’efforcent de déterminer à l’avance
les conditions de fonctionnement du circuit économique. Nous avons vu que les entreprises devaient elles-
mêmes s’efforcer de prévoir les conditions dans lesquelles elles pourront écouler leur production. A l’échelle
macro-économique, l’État se donne de même pour tâche de prévoir l’équilibre à venir du marché financier.
Il procède, pour cela, à des enquêtes auprès des chefs d’entreprı̂mes et utilise des relations fixes, comme
la propension marginale à consommer. A partir de ces éléments, on établit une comptabilité nationale
prévisionnelle, appelée budget économique ou comptes économiques. Ces comptes permettent de
faire apparaı̂tre, comme dans la comptabilité rétrospective, les capacités et besoins de financement. Il
ne reste plus alors à l’État qu’à faciliter la fermeture du circuit au niveau de la production et des prix
qu’il souhaite. Comme les Administrations constituent un agent du circuit et que leur comportement
dépend, en partie du moins, des choix politiques, c’est essentiellement par l’intermédiaire de cet agent
que l’action de l’État sera enregistrée dans les comptes nationaux. En modifiant la pression fiscale, les
dépenses gouvernementales, l’excédent ou le déficit budgétaire, l’État modifie les conditions de formation
du revenu disponible des autres agents, influence donc la fixation de l’épargne au niveau global et, par
voie de conséquence le niveau de l’investissement et de la production. Il mène alors ce qu’on appelle une
politique financière, en utilisant pour cela l’ensemble de ses recettes et de ses dépenses, c’est-à-dire le
budget. Ceci explique l’importance prise de nos jours par le vote du budget, ou loi de finances : c’est ce
vote qui est censé orienter l’ensemble de l’activité économique nationale durant une année.
Mais l’État ne peut se contenter d’utiliser ce moyen, d’abord parce que les décisions budgétaires
manquent considérablement de souplesse, ensuite parce qu’il ne suffit pas de dégager une épargne, il faut
encore que les agents économiques acceptent d’utiliser cette épargne pour investir et ne pratiquent pas
ce qu’on appelle la thésaurisation. Nous avons dit que le système bancaire contribuait au financement
des investissements en anticipant sur la formation de l’épargne et en facilitant la mise en contact des
épargnants et des investisseurs. Ce qui incite les épargnants à prêter leur avoir aux entreprises, c’est
évidemment la rémunération qu’ils peuvent attendre de ces prêts. C’est ici que vont intervenir les condi-
tions de prix auxquels s’établissent les échanges et la quantité de monnaie en circulation joue un rôle
considérable dans la formation de ces prix. En effet, pour un niveau donné de la production, plus la
quantité de monnaie existante est importante, plus l’évaluation globale de cette production se fera à un
prix élevé. Le rendement attendu de l’épargne devra tenir compte de ces circonstances. Lorsque les prix
ont tendance à s’élever, tout calcul économique montre qu’un épargnant n’a pas intérêt à prêter son
argent à des taux fixes pour une longue période. Inversement, si le besoin de monnaie pour les achats de
consommation est faible, les possibilités d’utiliser une épargne résiduelle augmentent. Or, la quantité de
monnaie en circulation dépend des décisions de la Banque Centrale quant à l’émission du papier-monnaie
et des décisions de l’ensemble des banques quant aux conditions de crédit. Toutes ces décisions relèvent de
la politique monétaire. A l’aide de cet instrumente l’État peut suivre au jour le jour les conditions de

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l’équilibre financier global. En accroissant ou limitant la quantité de monnaie en circulation, il influence


les conditions du marché de l’argent, donc l’utilisation de l’épargne dans les investissements.
Enfin l’État aura aussi à contrôler l’équilibre des échanges entre l’économie nationale et
le marché mondial. En ce domaine, la fermeture du circuit économique se traduit par un solde qui
devra être réglé en monnaie internationale. Un solde excédentaire assure une rentrée de devises, un solde
déficitaire oblige, au contraire, la Banque Centrale à fournir des devises internationales ou à s’endetter
vis-à-vis de l’étranger, avec tout ce que cela implique de rapports de domination vis-à-vis du pays prêteur.
La politique économique constitue l’ensemble des interventions de l’État dans ces divers domaines.
On voit que son insertion dans l’activité économique dépend étroitement des prévisions qu’il est possible
de faire concernant les décisions des agents économiques. Mais, lorsque la politique économique a pris
l’importance qu’elle occupe, de nos jours, dans un pays comme la France, il est illusoire de vouloir envisager
ce qui se passerait en dehors de l’intervention de l’État. Cette intervention engendre un processus de
“feed-back” sur le comportement de l’économie. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, une entreprise
d’envergure nationale qui emploie des milliers de salariés sait qu’elle peut prendre un maximum de risques
dans sa gestion, car elle est assurée qu’en cas d’erreur grave, l’État serait obligé de l’aider pour maintenir
la cohérence de sa politique nationale. Ceci oblige, en réponse, les responsables politiques à exercer un
contrôle vigilant sur les agents économiques dont le rôle est essentiel pour le maintien de l’équilibre
général.
Les déséquilibres, passagers ou durables, que connaı̂t l’activité économique apparaissent alors comme
le résultat de ce jeu des divers partenaires en présence. ils tendent à se résoudre en une exacerbation des op-
positions entre intérêts contradictoires. Inflation et chômage sont ainsi les manifestations les plus visibles
de cette impossible cohérence des décisions individuelles : la résurgence périodique de ces phénomènes est
la mesure exacte des limites de la politique économique en système capitaliste.

Références
Ouvrages de travail
[1] B. BRUNHES, Présentation de la comptabilité nationale française, collection de l’I.N.S.E.E., série
Comptes et Planification.
[2] M. PARODI, L’économie et la société française de 1945 à 1970, Ed. A. Colin, collection “U”.
[3] M. STEWART, Keynes, Seuil, collection “Point”.

Ouvrages de référence
[4] J.P. DAMON, Production et croissance (questions de méthode), Université de paris VIII, Travaux
sur le capitalisme et l’économie politique n◦ 8.
[5] S. LATOUCHE, Le projet marxiste, P.U.F., collection “SUP” (l’Économiste).
[6] J. LECAILLON, Analyse macro-économique, Ed. Cujas, collection Initiation.
[7] B. ROSIER, Croissance et crise capitalistes, P.U.F., collection Économie en liberté.
[8] L. STOLERU, L’équilibre et la croissance économiques, Ed. Dunod, collection Finances et Économie
Appliquée.

RÉFÉRENCES P. 8

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