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Mélanges de l'École française de

Rome. Antiquité

Le problème des limites et subdivisions du jour civil à Rome


(Varron, Aulu-Gelle, Macrobe) : conticinium (-cinum, -cinnum) ou
conticuum (-ciuum) ?
Charles Guittard

Résumé
Charles GIuittard, Le problème des limites et subdivisions du jour civil à Morne (Varron, Aulu-Gelle, Macrobe) : conticinium (-
cinum, -cinnum) ou conticuum (-cium)?, p. 815-842.

Le problème des limites du jour civil amène une confrontation entre Macrobe (sat. 1, 3, 1-11) et Aulu-Gelle (3, 2), qui s'appuient
sur Varron. La dépendance de Macrobe envers les Nuits Attiques apparaît totale; la tradition des Saturnales pose des
problèmes en face desquels la tradition gellienne offre un témoignage indispensable pour la restitution de la démarche
varronienne. Les subdivisions du jour civil nous sont connues par des sources qui ne concordent pas et tendent à se compléter.
Un terme apparaît sous cinq formes différentes : conticium, -cuum, -cinium, -cinum, -cinnum. On peut résoudre les difficultés
morphologiques et sémantiques en les divisant en deux familles : conticium et son doublet conticuum désignent le moment où
se fait le silence général, au début de la nuit; conticinium, (-cinum, -cinnum), terme de composition hybride, de création
postérieure, amené par oscen, *oscinium et gallicinium s'applique au silence qui suit le chant du coq. Conticium (-cuum) serait
un terme de la langue augurale désignant le dernier moment de la journée propice à l'interprétation du chant des oiseaux. Enfin
chez Macrobe (sat. 1, 3, 12) il faut lire mediae noctis inclinatio et non media noctis inclinatio (Fr. Eyssenhardt, J. Willis) et dans
les XII Tables (I, 9, Shoell) solis occasus et non sol occasus (Gell. 17, 2, 10). Il faut renoncer à la thèse d'une source unique
(Varron) : les témoignages révèlent le recours à un commentateur de Virgile et une remarque de Macrobe permet de
reconnaître en lui C. Julius Hyginus.

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Guittard Charles. Le problème des limites et subdivisions du jour civil à Rome (Varron, Aulu-Gelle, Macrobe) : conticinium (-
cinum, -cinnum) ou conticuum (-ciuum) ?. In: Mélanges de l'École française de Rome. Antiquité, tome 88, n°2. 1976. pp. 815-
842;

doi : https://doi.org/10.3406/mefr.1976.1081

https://www.persee.fr/doc/mefr_0223-5102_1976_num_88_2_1081

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LE PROBLÈME DES LIMITES ET SUBDIVISIONS
DU JOUR CIVIL À ROME
(VARRON, A ULU-GELLE, MACROBE) : CONTICINIVJJI
(-CINVM, -CINlvVLlI) OU CONTICVVM (-CIVM)?

PAR

Charles GUITTARD

Mcm bre de l'Ecole

Les Romains ont longtemps évalué l'écoulement du temps de manière


approximative 1 , mais on demeure confondu du nombre de termes distin-
guant, dans la langue courante, les différentes parties du jour civil; cette
richesse n'a pas manqué d'exciter la curiosité et l'intérêt d'écrivains férus
de technique et d'érudition, depuis Varron jusqu'à Isidore de Séville 2 :
c'était en quelque sorte devenu un jeu de l'esprit que d'énumérer, dans
les moindres détails, les subdivisions de la journée romaine. Un exemple
significatif nous en est fourni par les Saturnales de Macrobe 3 , où le premier
sujet de conversation abordé porte sur le problème du commencement
et des divisions du jour civil à Rome.
En soi, le thème est loin d'être original et ressemble à un simple
exercice de rhétorique. Le discours de Caecina Albinus n'a guère retenu
l'attention des historiens de l' Antiquité, qui l'abandonnent volontiers à
la stérile « recherche des sources », et l'on serait presque tenté de leur

1 Selon PLINE (Histoire Naturelle 7, 60) seules les expressions ortusetocca-


sus auraient figuré dans les XII Tables, mais Aulu-Gelle (17, 2, 10) et Censorinus
( 23,8) y ont relevé les mentions ante meridiem et post meridiem.
2 Sur les sources littéraires, cf. le tableau de la p. 823.
3 Sat. 1,3. Discours de Publilius Ceionius Caecina Albinus, ami de Symma-
que, et consulaire de Numidie entre 365 et 367 p. C. Sur ce personnage et sur
son fils Caecina Decius Albinus (Junior), cf. A. Chastagnol, Les Fastes de la Pré-
fecture de Rome au Bas-Empire, Paris, 1962, p. 257.
816 CHARLES GUITTARD

donner raison : en effet, le problème du commencement du jour civil est


traité, en termes identiques, dans un chapitre d' Aulu-Gelle 1 , qui lui-même
en tirait le contenu du livre XIX, De diebus, des Antiquités Humaines
de Varron. Quant aux subdivisions de la journée 2 , on les retrouve chez
divers grammairiens ou compilateurs tardifs 3 • Confrontant les données
des Saturnales et celles des Nuits Attiques, E. Türk 4 a tenté de démontrer
que Macrobe avait eu sous les yeux, et mieux lu qu' Aulu-Gelle, l'ouvrage
fondamental de Varron, aujourd'hui disparu, contre l'avis de M. Dahl-
mann 5 , pour qui les Antiquitates Rerum Humanarum ont disparu dès le
IIIe siècle de notre ère : en effet, sur deux points au moins 6 , Macrobe
s'écarte d' Aulu-Gelle et fournit des indications plus complètes.
Cependant, le philo1ogue peut aborder le problème sous un angle
différent, celui de la critique textuelle. L'éditeur des Saturnales est en effet
frappé par le nombre, la diversité et l'importance des problèmes textuels
que soulève le savant exposé de Caecina Albinus. Leur examen amène
des réflexions plus générales, d'abord sur l'utilisation des sources dans les
Saturnales et la tradition indirecte, ensuite et surtout sur quelques points
du vocabulaire technique latin concernant les divisions du jour civil à
Rome, en particulier à propos de conticinium 7 •

*
* *

Les deux problèmes du commencement et des divisions du jour civil


sont indiscutablement liés. Nos connaissances sur le premier remontent
à Varron, dont les données nous sont connues par Aulu-Gelle et Macrobe,
à travers deux chapitres presque identiques, mot pour mot. Que suggère
la confrontation des deux sources î
L'exposé s'ouvre sur une citation de Varron 8 , extraite du livre De
diebus des Antiquités Humaines, et rapportée dans les mêmes termes par

1 GELL. 3, 2 = llACR. sat. l, 3, 2-11.


2 Sat. l, 3, 12-15.
3 CE~S. 24; SERY. in Aen. 2, 268 et auct. Aen. 3, 587; ISID. orig. 5, 31-32.
4 1llacrobe et les « Nuits Attiques)), dans Latornus, XXIV, 1965, p. 383-385.
6 Cf. art. JI. Terentius v·arro dans RE, t. Suppl. VI ( 1935), col. 1233, I. 34 sq.
6 Sat. 1, 3, 6-7.
7 Pour la clarté de l'exposé, nous adopterons, pour le moment, ce terme,
par ailleurs le plus répandu, avant d'examiner plus loin les différentes formes
sous lesquelles on le rencontre dans la tradition littéraire et manuscrite.
8 13, Frag. 2 11irsch.
LE PROBLÈME DES LDIITES ET SUBDIVISIOXS DU JOUR CIVIL À ROME 817

Aulu-Gelle 1 et l\1acrobe 2 , si l'on excepte deux variantes mineures


portant sur des prépositions : les deux textes sont donc semblables sur
ce premier point. l\Iais au paragraphe suivant, qui explique et développe
la citation varronienne, apparaissent des différencos notables. l\Iacrobe
supprime un membre de phrase (is ei dies natalis sit) et modifie le contenu
de la subordonnée relative 3 qui en dépend. L'auteur des Nuits Attiques
développe son explication en deux points, à travers deux propositions
principales, deux éléments syntaxiques : l\Iacrobe, au contraire, regroupe
dans une seule et même phrase les deux points d'explication, les mots
die uideatur natus n'étant exprimés qu'une fois en fin de phrase, et déroule
une ample période qui, si elle fait à la rigueur assez bien apparaître l'oppo-
sition entre ceux qui sont nés dans les six premières heures de la nuit et
ceux qui sont nés dans les six dernières, n'en demeure pas moins un artifice
oratoire, d'où il ressort une impression d'obscurité et de lourdeur, qui
embarrasse le traducteur. Bien que le texte demeure traduisible, on ne
peut s'empêcher do noter que les manuscrits humanistiques de la tradi-
tion gellienne 4 offrent un état semblable au toxte des Saturnales : le
mécanisme de la faute se comprend d'ailleurs facilement, le scribe passant
par inadvertance de (natus) sit à (natalis) sit. l\Iais rien n'autorise à placer
ici une lacune dans la tradition manuscrite des Saturnales et l'hypothèse
la plus vraisemblable reste que l\Iacrobe a délibérément modifié le récit
d'Aulu-Gelle, encore que l'auteur ne nous accoutume guère, dans ce cha-
pitre, à un tel souci d'originalité. La conclusion qui s'impose, sur ce premier
point, est que le texte de l\Iacrobe est moins clair, moins explicite que
celui d' Aulu-Gelle. Il en va de même pour la subordonnée relative modifiée

1 GELL. 3, 2, 2: Hornincs, inquit, qui inde a media nocte ad pro.dmam media-ni


noctem in his horis viginti quattuor nati sunt, uno die nati dicuntur. Texte de
l'édition R. )larache (Paris, << Les Belles Lettres >>, 1967, p. 149) à laquelle seront
désormais empruntées les citations de cc chapitre.
2 Sat. l, 3, 2: Ilornines, inquit, q1ti ex media nocte ad rJro.cimarn mediam
noctem his horis viginti quattuor nati sunt, uno die nati dicuntur. Texte de l'édition
J. \Yillis (Leipzig, Teubncr, 1963, p. 9, I. 25-27) qui, sauf indication contraire,
sera notre édition de référence pour les Saturnales.
3 Sat. l, 3, 3: Quibus uerbis ita uidetur dierum obseruationern diuisisse, 'Ut
qui post solem occasum ante m.ediam noctem natus sit, illo quem nox secuta est,
contra uero qui in sex noctis lwris posterioribus nascitur, eo die uideatur natus, qui
post eam noctern diluxerit. G ELL. 3, 2, 3: Quibus uerbis ita uidetur dierum obse-
ruationem diuisisse ut qui post solem occasum ante mediam noctein natus sit, is ei
dies natalis sit, a quo die ea nox coeperit; contra uero, qui in sex noctis h.oris poste-
rioribus nascatur, eo die uideri natum, qui post eam noctem diluxerit.
' Sur les recentiores, cf. R. Marache, éd. des Nuits Attiques, Paris, << Les
Belles Lettres))' 1967, Introduction, p. L-LV.
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par Macrobe, dont l'expression est meilleure dans les Nuits Attiques,
comme le faisait déjà remarquer L. Jan dans son commentaire 1 . Aulu-
Gelle semble donc avoir été ici plus fidèle à l'esprit et à la lettre de Varron,
en rédigeant une notice purement technique; Macrobe, au contraire, est
délibérément tombé dans les artifices oratoires, pour satisfaire aux règles
et à la technique du genre du banquet 2 •
Un deuxième point où l'auteur des Saturnales s'écarte des Nuits
Attiques soulève un problème plus difficile et pratiquement insoluble.
Après avoir énoncé les limites du jour civil chez les Athéniens, les Baby-
loniens et les Ombriens 3 , Macrobe 4, comme Aulu-Gelle 5 , mentionne la
distinction entre sacra diurna et sacra nocturna; alors qu' Aulu-Gelle se
borne à noter que même les sacra nocturna sont datés en fonction du jour,
non de la nuit, la phrase suivante des Saturnales, telle qu'elle nous est
parvenue dans la tradition manuscrite, n'offre aucun sens plausible ou
acceptable. Elle s'ouvre en effet, sur la mention des sacra diurna et se
termine sur la remarque qu'à partir de la sixième heure de la nuit, le
temps est consacré aux sacrifices nocturnes du jour suivant. Syntaxique-
ment, et quelle que soit la version manuscrite adoptée 6 , on est en présence
d'une proposition subordonnée relative qui ne se rattache à rien. Aussi,
aucune correction se s'avérant décisive 7 , les éditeurs se sont-ils résolus

1 Dans son édition des Saturnales, Quedlinburg et Leipzig, 1852, p. Hi:


quern nox secuta est ] Planius Oellius N. A. 11 I, 2, 3 « a quo die ea nox coeperit >>;
idern ib. § l habet quem nox ea consecuta est)),
<(

2 Sur ce problème, cf. J. Flamant, La technique du banquet dans les cc Satur-


nales)) de ][acrobe, dans RED, XLVI, 1968, p. 303-319.
3 G ELL. 3, 2, 4-6 et Sat. l, 3, 4-5.
4 Sat. l, 3, 6: populum autem Rornanum ita, uti Yarro dixit, dies singulos
adnumerare a media nocte ad mediam proximam rnultis argumentis ostenditur.
Sacra sunt enim Romana 1>artim diurna, alia nocturna; et ea quae diurna sunt
... ab hora sexta noctis sequentis nocturnis sacris tempus impenditur.
-'• G ELL. 3, 2, 7 -8: Populum autem Romanum ita, uti Varro dixit, dies singulos
adnumerare a media nocte ad mediam proxiniam, multis argumentis ostenditur.
Sacra sunt Romana partim diurna, alia nocturna, sed ea quae inter noctem fiunt
diebus addicuntur, non noctibus.
6 Certains manuscrits, par exemple le Parisinus Latinus 8677 et le manus-
crit de Cambridge, Corporis Christi Collegii 71 (V. 4), portent une leçon différente
(ad ea quae diurna sunt), qui n'apporte pas d'élément nouveau.
7 :Macrobe peut avoir simplement voulu souligner l'opposition fondamen-
tale entre les deux types de sacra; diurna pourrait être une mauvaise lecture pour
diuersa ou diuisa, s'expliquant par le voisinage du premier terme. On pourrait
alors corriger la phrase en : itaque diuersa (ou diuisa) sunt, et la considérer com-
me une indépendante. Mais avec cette correction, noct-is sequentis (cf. plus bas)
fait toujours difficulté.
LE PROBLÈME DES LDHTES ET SUBDIVISIO~S DU JOUR CIVIL i\. ROME 819

à placer, en cet endroit du texte, une lacune, en s'appuyant en particulier


sur un manuscrit de la Bibliothèque Nationale de Paris, le Parisinus
Latinus 6371, où celle-ci est signalée par un astérisque. Il est certain
qu'en ce point l\Iacrobe paraît s'être écarté du texte des Nuits Attiques
pour développer l'opposition entre sacra diurna et sacra nocturna et insis-
ter, plus que ne le fait Aulu-Gelle, sur les sacra diurna proprement dits 1 .
La lacune s'explique aisément par une faute du scribe, abusé par les ter-
minaisons respectivement identiques des adjectifs diurna et nocturna 2 •
Quoi qu'il en soit, depuis l'édition Henri Estienne 3 , certains ôditeurs'
comblent la lacune apparue à la lecture des manuscrits à l'aide d'un texte 6
qui fut pendant longtemps attribué à l'humaniste L. Carrion, auteur de
l'édition en question 6 • l\fais A. La Penna, dans un article fondamental sur
la tradition manuscrite des Saturnales 7 , a fait justice de cette attribution

1 E. Türk (.illacrobe et les «Nuits .Attiques)), dans Latomus, XXIV, 1965, p. 385)
en tire un de ses arguments fondamentaux en faveur de la thèse selon laquelle
Macrobe aurait eu directement recours au texte de Varron. l\Iais d'une part,
la lacune ne laisse pas place à un large développement personnel, d'autre part,
une légère modification peut être l'œuvre de :Macrobe lui-même. E. Türk est
d'ailleurs un ardent défenseur de l'originalité de ce compilateur si souvent dé-
crié. Cf. aussi Jan, édition des Saturnales, ad loc.: Excidisse aliquid apparet :
sed uerba « et ea quae diurna sunt n demonstrant .il/acrobium paulo uberius quam
Gcllium hune locurn tractasse et haec fere esse supplenda : <' et ea quae diurna sunt
suis addicuntur diebus : quae sex prioribus noctis horis fiunt ea praeteriti diei
sacra nocturna. sunt : ab hora sexta noctis sequentis nocturnis sacris tempus impen-
ditur ».
2 Cf. la remarque de Jan ad loc. : Ita si scripserat ..llacrobius, librarius
facile a uerbis « diurna sunt >> aberrare potuit ad nocturna sunt )), ut in iis quae
<(

proxime sequimtur, librarius qui scripsit codicern (s. l. Parisinum Latinum 6371)
a uerbis « post mediam noctem >> transiit ad <c post priniam facem )), ne afferam mulla
eiusmodi exempla quae praebent codices Plinii praeter Barnbergensem omnes.
3 Paris, 1585.
' Par exemple H. Bornecque, dans son édition des Saturnales (1-111),
Paris Garnier, 1937, p. 20.
6 La conjecture est la suivante : <ab initio diei ad 'rnedium noctis proten-
duntur).
6 Comme le fait encore Jan, ad loc., qui écrit : Quae ubi indicaui lacunam,
leguntur inde ab ed. Steph., ea debentur Carrioni.
7 Studi sulla tradizione dei « Saturnali >> di .Macrobio, dans Annali della Scuola
Normale Superiore di Pisa, XXII, 1952, p. 230 n. 3: « Tra le aitre correzioni di t
( Tricassinus 514), bisogna no tare l'integrazione congetturale di I, 3, 6 : et ea
quae diurna sunt <ab initio diei ad medium noctis protenduntur), ab hora sexta
noctis sequentis nocturnis sacris tempus impenditur. L'integrazione era attribuita
dallo Jan a Ludovico Carrione, che curô la edizione stefaniana del 1585; è invece,
corne si vede, medioevale )).
820 CHARLES GUITTARD

inexacte, en signalant, fort justement, que cette restitution conjecturale


figurait déjà dans un manuscrit du xne siècle, conservé à la Bibliothèque
municipale de Troyes, le Tricassinus 514. Malgré l'allégation de M. E.
Türk 1 , cette restitution n'a pratiquement aucun lien direct avec le texte
d' Aulu-Gelle, même si celui qui en est l'auteur connaissait la notice des
Nuits Attiques, puisqu'on ne relève aucune expression commune 2 • On se
trouve certainement en présence d'une note marginale qu'un scribe peu
scrupuleux aura malencontreusement incorporée au texte des Saturnales,
devant la difficulté de compréhension offerte par le texte. Cette intégra-
tion n'est guère satisfaisante à plus d'un titre. Tout d'abord, sur le plan
formel, il est légitime de penser que le mot dies faisait vraisemblablement
partie de la lacune 3 , puisqu'on ne peut comprendre logiquement le texte
de Macrobe qu'en sous-entendant diei devant sequentis, car si l'on relie,
comme le font à tort certains traducteurs 4, noctis et sequentis, la phrase
n'offre guère de sens. Le seul sens plausible est, en effet, le suivant: << A
partir de la sixième heure de la nuit, c'est aux cérémonies nocturnes du
jour suivant que le temps est consacré ». Enfin, sur le plan du contenu
même, cette restitution est difficile à admettre car aucune source histori-
que, ni Aulu-Gelle ni Censorinus 5 , n'a affirmé que les sacrifices diurnes
s'étendaient du début du jour jusqu'au milieu de la nuit. Il y a ici une
simplification excessive des données du problème et une confusion entre
les deux types de sacra. Comme on le voit, le passage prête à discussion
et la solution la plus sage consiste à placer en cet endroit une lacune.

1 E. Türk, art. cit., p. 384 : « Il reste de toute façon inadmissible de combler


cette lacune des Saturnales par le texte vague d'Aulu-Gelle {cf. par ex. l'édition
Garnier) qui suit une autre ligne)),
2 Aucun rapport direct entre le texte d'Aulu-Gelle (3, 2, 6): sed ea quae
inter noctem fiunt, diebus addicuntur, non noctibus, et l'énoncé conjectural :
ab initio diei ad medium noctis protendutur.
3 Comme le faisait déjà remarquer Jan, ad loc. : Denique uerba noctis
(<

sequentis >> non esse jugenda, sed ad « sequentis >> ex iis quae interciderunt tralten-
dum esse « diei ))' uix est quod monea1n.
4 Henri Bornecque donne par exemple, la traduction suivante: « Depuis
minuit de la nuit qui suit ( ?), c'est aux cérémonies nocturnes que le temps est
consacré ... >> (Ed. des Sat., Paris, Garnier, 1933, p. 21). Même erreur dans la
traduction italienne de N . .Marinone : « Per i riti notturni il tempo si calcola
dall'ora sesta della nottc seguente >) (Ed. des Sat., Turin, 1967, p. 119).
6 23, 4 : lndicio sunt sacra publica et auspicia etiam magistratuum, quorum
si quid ante medium noctis est actum, diei qui praeteriit adscribitur, si quid autem
post mediam noctem et ante luce·m factum est, eo die gestum dicitur qui eam sequitur
nocteni (Texte de l'éd. Jahn, Berlin, 1845 et Hidclsheim, G. Olms, 1965 ).
LE PROBLÈllE DES LUIITE8 ET RUBDIVI~IO~~ Dl: JOUR CIVIL ,\ ROME 821

Un peu plus loin, l\f. E. Türk relève une nouvelle modification du


texte des Nuits Attiques, qu'il qualifie d'importante, si discrète soit-elle.
En fait, il semble bien difficile de juger la valeur de cette modification,
dans la mesure où, cette fois, le texte d'Aulu-Gelle se révèle particulière-
ment corrompu et mal établi 1 . Précisément, la difficulté sur laquelle ont
trébuché les scribes pourrait bien être la raison de la modification apportée
par l\Iacrobe au texte de son illustre prédécesseur: à une expression plus
complexe et plus élaborée, peut-être même technique, et dont le contenu
reste pour nous encore difficile à rétablir, l\1acrobe a substitué l'expression
banale et familière post e:rortum solem, au risque rl'une légère impropriété.
Un dernier point concernant le problème des limites du jour eivil
fait difficulté dans le texte de l\facrobe : les éditeurs adoptent généralement
ici une correction 2 due à J. Isaak Pontanus 3 • En fait, cette restitution, si
séduisante soit-elle, ne s'impose nullement : car on constate, au cours de
cette comparaison, que l\facrobe démarqua étroitement le texte des Nuits
Attiques et il semble donc plus plausible de corriger, comme le fait L. Jan,
le texte des Saturnales en fonction d' Aulu-Gelle 4 • On comprend d'ailleurs
facilement le m6canisme de la faute : le scribe a été surpris de rencontrer
legi dans la bouche de Caecina Albinus, qui se livre à un exposé oral qu'il
veut personnel et original, d'autant plus que l'on trouve déjà mentionnée,
peu auparavant, une forme dicere et le voisinage d'un terme de la langue
juridique (esse usurpatam) a amené automatiquement la transformation
de legi en lege. Notons que la forme legi ne surprend pas dans une notice
du type de celles des Nuits Attiques et qu'ici la faute ne s'est pas produite.

1 G ELL. 3, 2, l O : Ad hoc ritus quoque et mos auspicandi eandern esse obserua-


t-ionem docet; nam rnagistratus, quando uno die eis auspicandum est et id super quo
auspicauerunt agendum, post media11i noctein auspicantur et post rneridiern sole
agunt, auspicatique esse et egisse eoder,i die dicuntur. Les manuscrits ont la leçon
post meridiern solem agnum; Hertz (Teubner, Leipzig, 1883 et 1885) corrigeait
en post meridiem sole magno agunt et C. Hosius (Teubncr, Leipzig, 1903) en
post meridialem solem agunt. Le texte des Saturnales ( l, 3, 7) porte : post
exortum solem.
2 Sat. l, 3, 9 : Quintum quoque j}fucium iureconsultum dfoere solitum, (legi)
lege non esse usurpatam mulierem quae cum Kalendis Ianuariis apud uirum ·matri-
monii causa esse coepisset ... Les manuscrits donnent unanimement la leçon
lege.
3 Sur qui s'appuient plusieurs éd. de l\lacrobe : Leyde, 1597, 1628, 1670,
Londres 1694.
4 GELL. 3, 2, 12 : Quintum quoque .1llucium, iureconsultum dicere soliturn
legi non esse ul1Urpatam r,iulierem quae . ..
822 CHARLES GUITT ARD

En conclusion, la confrontation d'Aulu-Gelle et de Macrobe et l'examen


du texte des Saturnales imposent plusieurs remarques. Tout d'abord, la
dépendance de l\rlacrobe envers Aulu-Gelle est apparue totale et, pour ainsi
dire, inconditionnelle; l'originalité de l\rlacrobe se limite à des modifications
de détail qui tendent à simplifier l'exposé technique d' Aulu-Gelle, pour
lui donner une tournure plus agréable et plus conforme à la tradition du
banquet et aux idées exprimées dans la Préface des Saturnales. Les indices
sont donc trop minces pour autoriser à conclure que l\rlacrobe a lu Varron
dans le texte. Enfin et surtout, sur le plan philologique, a été soulevé le
problème des rapports entre les deux traditions manuscrites des Nuits
Attiques et des Saturnale.(/. Il va de soi que l\Iacrobe lisait Aulu-Gelle dans
des manuscrits exempts des erreurs qui corrompent notre tradition 1 •
S'il est vrai, comme le souligne fort justement M. R. l\rlarache 2 , qu'il est
indispensable de recourir au texte de l\Iacrobe, tontes les fois qu'il repro-
duit Aulu-Gelle, la démarche inverse est également précieuse pour l'éditeur
des Saturnales, qui ne peut ignorer la tradition gellienne. Sur ce problème
particulier du commencement du jour civil, où la tradition des Saturnales
est très corrompue et très incertaine, le texte des Nuits Attiques offre un
recours et un appui très sûrs et constitue un témoin indispensable. Et
l'on peut penser que, sur ce point du moins, Aulu-Gelle nous a conservé
plus fidèlement les vestiges de l'œuvre de Varron que n'a pu le faire l\rlacrobe.

***
Le parallélisme entre l\Iacrobe et Aulu-Gelle s'arrête avec le problème
du commencement du jour civil 3 • La fin du chapitre des Saturnales, où
sont énumérées les subdivisions du jour, n'a pas d'équivalent dans les
Nuits Attiques. P. vVessner 4 et A. Hahn 5 ont attribué ce passage à Varron,
sans toutefois lui assigner de provenance particulière; l\L E. Türk 6 est
plus catégorique et pense que l\Iacrobe a complété le récit d'Aulu-Gelle
en y ajoutant quelques phrases du De diebus, dont il aurait eu directement

1 Selon Hertz, l\lacrobe a utilisé un texte proche du plus ancien témoin de


la tradition gellienne, le palimpseste du Vaticanus Palatinus Latinus 24. ('f.,
en particulier, Sat. 3, 6, 5 où ::Vlacrobe conserve la bonne leçon.
2 Ed. des Nuits .Attiques, Paris, 1c Les Belles Lettres n, 1967, Introduction,
p. LVII.
3 Sat. 1, 3, 10.
4 Art . .1Jfacrobius, dans RE XIV, 1928, col. 193, L 19 sq.
6 De Censorini fontibus, Iéna, 1905, p. 40 sq.
6 .ilfacrobe et les 11 Nuits Attiques», dans Latomus, XXIV, 1965, p. 385.
RRO ◄ R T E RI ER I ER. D M R BE J ID RE
Ling. 6 -7 Ep. II, D die natali, 24 in n. 2 26 in n. 3, 5 7 at. 1, 3 Orig. 6 31

m dia no~ m dia n ti


in linatio

o-alli inium o-allicinium


onti UUlll
matutinum
iubar lu ü r aur r r -
(lu ü r) pu ulum ma- dilu tùum
tutinum
man man

a man ad
m ridi m ridi m

upr ma
uprema
u pera
u p r = r -
pu ulum ulum
n- prima f
fa
onti inium -----------------··-·-·-----·-----1---------1 onti inium
oncubia
1
no int mp ta in
in mp ta
1
824 CIIARLE~ c,rITTARD

connaissance. D'un autre côté, \Vissowa 1 rattachait ce passage des Satur-


nales, peut-être indirectement, à l'ouvrage perdu de Suétone De anno
Romanorum, dont les fragments ont été audacieusement reconstitués par
A. Reifferscheid 2 • Si les ouvrages de Varron ou de Suétone sont perdus,
d'autres auteurs ont traité le problème des subdivisions du jour et la
confrontation de ces sources peut éclairer l'historien ou le philologue.
Nos données remontent à Varron:si le liber De diebus est perdu, quel-
ques indications figurent encore dans le De Lingua Latina 3 ; celles-ci sont
bien fragmentaires, surtout lorsqu'on les confronte à l'étonnante énumt'-
ration du De die natali, où Censorinus ne mentionne pas moins de dix-sept
termes 4 • Une liste un peu moins complète figure dans les Saturnales,
où lVIacrobe cite douze termes 5 • On trouve dans le Commentaire de Servius
sur l' Enéide une double série d'indications, qui ne concordent pas sur tous
les points mais se complètent; Servius se réfère à Varron, vraisemblable-

1 \Vissowa, De Jlacrobii Saturnaliorurn fontibus capita tria, diss., Breslau,


1880, p. 31: Gum iam in alia libelli Censoriniani parte ea quae traduntur .Ma-
crobianis sirnilia esse uiderfrnus, hic non aliter rern se habere probabile est.
2 Aug. Rciffcrscheid, C. Suetonii 1'ranquilli praeter Caesarum libros Reli-
quiae (Leipzig, Teubner, 1860) fr. 113* (p. 149-153) et fr. 116* (p. 159-160)
reconstitués d'après Isidore de Séville, De Natura Rerurn 1, l-2 : Dies est soli8
orientis praesentia, quousque ad occasum perueniat. Dies g<'mine appellari solet :
proprie a solis exortu, donec rursus oriatur, abusiue a solis ortu usquequo ueniat
ad occasuni. Spatia diei duo sunt, interdianurn et nocturnum; et est dies lwrarurn
XXIII/, spatiurn horaru1n XII. Partes abusiui diei tre.~ sunt : mane, nieridies et
suprema. Initia diei alii a solis ortu putant, alii ab occasu, alii a medfo nocte.
Nam Chaldaei a sole exorto diei initium f aciunt, totum id spatium unu1n diem,
appellantes. Aegyptii autern ex initio noctis sequentis diei originem, trahunt. Ro-
mani autem a rnedio noctis oriri diern uolunt, et in medio noctis finiri; et 2, 2-3 :
N octis partes sunt septem : crepusculum, uesperurn, conticinium, intempestum,
galliciniuni, crepuscul·urn rnatutinurn. Crepusculum dicitur, id est creperum, quod
dubiurn dicimus, hoc est inter lucem et tenebras. Y esperum oriente slella cui hoc
nomen est. Conticiniurn quando ornnes silent : conticescere enini silere est. I ntenipe-
sta, id est inportuna, quando agi nihil potest et oninia quieta sunt. Oalliciniuni
auteni dictum est propter gallos lucis prae·nuntios. Crepusculurn m,atutinum, inter
abscessum noctis et diei aduentum. Ed. J. Fontaine, Bibliothèque de l'Ecole des
Hautes Etudes Hispaniques, fasc. 28, Bordeaux, 1960. Sur l'hypothèse de la
<< source unique>> suétonicnne et le prétendu Pratum de naturis rerum à propos
d'Isidore, cf. J. Fontaine, Isidore de Séville et la culture classique dans l'Espagne
wisigothique, Paris, Les Etudes Augustiniennes,
1
1969, t. l, p. 16-19. Cf. aussi
les derniers fragments du livre IV des Astronomica d' Hygin, auxquels les pre-
miers chapitres d'Isidore doivent certainement beaucoup.
3 Ling. 6, 2, 4-8 et 7, 4.
4 CENS. 24.
0 Sal. 1, 3, 12-15.
LE PROBLk\lE DES LDIITES ET SUBDIVISIO~S DU ,JOUR CIVIL s\ RO:\IE 825

ment au livre des Antiquités Humaines; les scholies de Servius Danielis


concernent seulement les divisions nocturnes 1 • L'ensemble de ces données
est complé>w par des indications relevées dans une lettre de Marc-Aurèle
à son maître Fronton 2 , ainsi que chez Isidore 3, et deux grammairiens tar-
difs, Nonius l\Iarcellus et Priscien 4 , sans parler de gloses, sur lesquelles
nous nous appuierons le cas échéant 5 •
La confrontation de ees textes suggère plusieurs remarques. On cons-
tate tout d'abord qu'il n'existe pa.s deux listes qui concordent entre elles :
si nos sources reflètent un certain accord sur les grandes divisions (mane,
meridies, intempesta, uespera), on n'en relève pas moins de profondes
divergences dans le détail, portant sur les termes les moins employés dans
la langue courante, et en particulier sur les subdivisions nocturnes. Les
nécessités de la vie politique et sociale imposaient au jour proprement
dit des cadres bien précis, où puisse s'insérer une activité normale. Le seul
problème à cet égard figure en fin de journée et concerne les rapports
respectifs de la suprema et de solis occasus 6 • 1\'Iais les heures nocturnes se
révèlent plus confuses. Les auteurs eux-mêmes ne peuvent se résoudre à
choisir entre plusieurs expressions voisines : Varron hésite entre concubium,

1 8ERV. in Aen. 2, 268 et mwt. Aen. 3, 587.


2 Ep. II, 6, p. 31, 17 Xaber.
3 Orig. 5, 30 et 31 et nat. 1,1-2 et 2, 1-3.
4 Nous utiliserons les données de Nonius (De proprietate sermonum, p. 87
éd. Lindsay) et de Priscien, (Parlitiones XII versuurn Aeneidos principaliurn,
G. L. J(. 3, 472, 7) pour la définition du terme conticium. Ces deux grammairiens
portent à certaines subdivisions du jour un intérêt de philologue mais ne don-
rn•nt pas de liste <-xhaustivc.
5 Cf. Corpus Glossariortt1n Latinoru111., éd. Goctz, Leipzig, Tcubner, 1899,
t. VI, p. 741 .s. v. noctis partes.
6 Dans la loi des XII Tables, la suprema était identique à l'occasus solis
(VARR. ling. 6, 5; GELL. 17, 2, 10; CENS. 24, 3) mais plus tard une loi Plaetoria
modifia cette concordance et établit que le supreniurn tempus diei serait proclamé
avant le coucher du soleil. Il en résulta une certaine confusion et certains pen-
saient que la suprenia intervenait après le coucher du soleil (CENS, 24, 3 :
plurimi supremœ,n post occasum solis esse existimant}. Le contenu de cette loi
nous est connu par un passage de CENSO RIXL'S qui fournit matière à diverses
interpn~tations : Praetor urbanus qui nunc est quique posthac fuat duo lictores
apud se habeto usq·ue supremam ad soleni occasum iusque inter cives dicito. (Texte
de l'<'d. O. J ahn, Berlin, 1845 qui corrige isque ou iisque des manuscrits en usque.
D'autres corrections ont été proposées : par exemple L. Carrion suggère : isque
usque ad supreniam ius int. civ.). La suprenia marquant la cessation des tribunaux,
il scm bic que le prêteur ait été autorisé par la loi Plaetoria à poursuivre ses
activités et à rendre la justice jusqu'au coucher du soleil même si le praeco ou
l'accensus des consuls avait proclamé la suprenia avant le coucher du soleil.
826 CHARLE~ GUITTARD

conticinium et silentium noctis, Censorinus entre luminibus accensi.'? et


prima face; les scholies de Servius Danielis établissent une synonymie dou-
teuse entre aurora et crepusculum matutinum, uesper et crepusculum,
intempesta et media nox. Enfin et surtout, ce qui est plus surprenant encore,
il arrive à un même terme, conticinium (-cinnum, -cinum) ou conticuum
(-cium), de désigner des moments opposés de la nuit.
Deux divisions seulement figurent chez tous les auteurs consid{•rés :
intempesta (intempestum) et uesper(a); gallicinium ne fait dMaut que chez
Varron; on trouve ensuite mane, meridies et concubia nox (concubi·um),
qui ont droit à cinq citations; mais on relève surtout un important con-
tingent d'expressions isolées: silentium noctis chez Varron, solis ortus et
antemeridies dans la correspondance de Fronton, ante lucem, de meridie
et luminibus accensis chez Censorinus, lucifer, ortus, occasus chez Servius,
aurora et crepusculum matutinum chez Servius Danielis, tempus occiduum,
enfin, chez l\:lacrobe.
Sur le plan de la langue, on notera la place relativement importante
tenue par les adjectifs substantivés, avec une hésitation marquée entre le
féminin et le neutre, en fonction du terme sous-entendu, nox, tempestas
ou tempus. Ainsi, à côté de concubia nox, on relève concubia (l\Iacrobe) et
concubium (Varron, Censorinus, Servius Danielis); à côté de nox intempe-
sta, on trouve intempesta (l\Iacrobe, Servius Danielis) et intempestum
(Isidore); suprema (Varron, Censorinus, Isidore) est plus fréquent que
suprema tempestas (l\Iacrobe). Le substantif neutre indéclinable mane
lui-même est un ancien adjectif . Il faut encore noter le rôle jou{~ par les
1

tours prépositionnels, en particulier chez Censorinus (de media nocte, ante


lucem, ad meridiem, de meridie, ad mediam noctem) et chez Macrobe (a
mane ad meridiem).
l\fais, parmi toutes ces subdivisions l'une retient plus particulièrement
notre attention, par les incertitudes qui planent sur sa morphologie et
sur son sens et nous amène à poser la question : conticinium (-cinum,
-cinnum) ou bien conticium (-cuum)?

*
* *

1 8elon Ernout et ~Ieillet, mane est Je neutre de l'adjectif manis, doublet


de manus <<bon>> qui, appliqué à l'expression du temps, s'est spécialisé dans le
même sens que fr. « de bonne heure>) (Dictionnaire étyinologique de la langue
latine, 4e éd., Paris, 1959, p. 383). Cf. aussi V ARR. ling. 6, 4 : diei principiurn
niane, quod tum manat dies ab oriente, ·nisi potius quod bonum antiqui dicebant
nianuni; l\lACR. sat. 1, 3, 13 : Lanuuini rnane pro bono dicunt : sicut apud nos
quoque contrarium est irnniane.
LE PROBLÈ~IE DES LDIITES ET SVBDIVISIO:Xf- DU JOCR CIVIL ,\. RO~LE 827

Le substantif dérivé du verbe conticesco 1 et s'appliquant à une subdi-


vision nocturne qu'il conviendra de préciser, figure dans le Thesaurus
Linguae Latinae sous cinq formes différentes : conticinium, conticinum,
conticinnum, conticium et conticuum. Tous les dictionnaires sont loin d'être
aussi exhaustifs et complets, certains, comme le dictionnaire de Gaffiot 2 ,
par exemple, ne retenant que quatre formes, mais tous font état des mêmes
incertitudes. Une si grande diversité de formes, pour un terme d'un emploi
relativement rare, est pour le moins surprenante. Aussi peut-on poser la
question : les cinq formes enregistrées dans le Thesaurus sont-elles égale-
ment attestées! Que nous apprennent l'étymologie et la sémantique du
mot! Ses emplois sont assez limités pour qu'on en puisse retracer l'histoire
et suivre les <(avatars)> à travers la tradition manuscrite.
Le terme apparaît dans une comédie de Plaute 3 , mais la tradition plau-
tinienne est loin d'être unanime : un manuscrit 4 donne la leçon conticinio,
et encore sous une forme corrompue (*concinio), trois autres 5 portent
conticinno. Les éditeurs du comique latin sont également divisés: W. 1\:1.
Lindsay 6 , P. Nixon 7 et F. Leo 8 enregistrent comme telle la leçon con-
ticinno; A. Fleckeisen 9 , G. Goetz-Fr. Schoell 1° et A. Ernout adoptent
conticinio 11 • La double mention chez Varron 12 des propos de Libanus ne

1 Gonticisco ap. PLACTE, Bac., 798; cf. VARR. ling. 7,79: putem a conti-
ciscendo conticiniurn siue, ut Opillus scribit, ab eo cum conticuerunt hmnines.
(Texte de l'éd. Goct.z-Schoell ).
2 Le dictionnaire de Gaffiot écarte la forme conticinU1n. Le dictionnaire
d'Oxford (Oxford Latin Dictionary, Clarendon, 1969, fasc. II, p. 429) retient
seulement les deux formes conticinium et conticinnum. On trouve seulement
conticiniU1n et conticium ùans le dictionnaire ùc Lewis et Short, et conticiniuni
et conticuum ùans le LeJ"icon de Porcellini.
3 As. 685 : Videbitur; factum, uolo; redito hue conticinio. Texte tlc l'é<l. A.
Ernout, Paris, « Le Belles Lettres n, 1932. Propos de l'esclave Libanus.
4 Le Londinensis, .lfus. Britann., Reg. 15 C XI, sigle J dans l'éd. A. Ernout.
Sur cc ms., cf. L. Havet, Jlanuel de critique verbale, 1619 et suiv.
5 Les ms. Palatinus raticanus 1615, Vaticanus Latinus 3870 et Ambrosianus
J 257 inf.
6 Dans la, eollection d'Oxford, Clarendon, }ère éd. 1904-1905, t. 1.
7 Dans la Locb Classical Library, Londres, Heinemann, 1ère éù., 1916,
t. 1, p. 196.
8 Berlin, Weidmann, 1894-1896, t. l, p. 79.
9 Dans la collection Teubner, Leipzig, 1856, t. 2, p. 38.
10 Egalement dans la collection Teubner, Leipzig, 1902, t. 1, p. 98.
11 Cf. aussi G. Lodgc, Lexicon Plautinum, Hidclsheim, G. Olrns, 1962, l,
p. 306.
12 Ling. 6, 7 : inte1npestam Aelius dicebat cum ternpus agendi est nullum, quod
alii t inconcubium appellarunt, quod ornnes fere tune cubarent; alii ab eo quod
828 CIIARLE8 GUITTARD

contribue pas à résoudre le problème mais entretient le malentendu. En


effet, le meilleur manuscrit varronien, le Laurentianus LI 10, porte
chaque fois une leçon différente : on relève les termes conticinium et conti-
cinio à la première mention, et la forme conticinno à la seconde. Aucun
indice paléographique ne permet de trancher. On notera cependant que la
tradition manuscrite a passablement corrompu le vers de Plaute; on y
trouve en effet ad reditum au lieu de redito hue et l'on relève même la forme
aberrante conticinnam (cticinnii). G. Goetz et Fr. Schoell adoptent la
leçon conticinium et écartent l'autre version.
On retrouve, bien plus tard, le terme dans une lettre de lVIarc-Aurèle
à Fronton, datée de 143, et où le futur empereur expose à son maître,
l'anm~e même de son consulat, les variations du climat napolitain, à chaque
moment de la journée 1 . Ici encore, la lecture est controversée et l'ôtat du
palimpseste de la Bibliothèque Ambrosienne de l\Iilan 2 , découvert par
Angelo l\Iai au début du siècle dernier, ne contribue guère à simplifier la
question. Une fois de plus, on observe les mêmes désaccords au sein des
éditeurs de la Correspondance de Fronton. Dans la première édition de
cette correspondance, parue à l\Iilan en 1815 3 , A. Mai, alors bibliothécaire
de l' Ambrosienne, lisait conticinnum et, malgré les réserves avec lesquelles
il faut accueillir les lectures et conjectures du cardinal 4 , cette leçon est
encore retenue dans la bonne édition de l\L Van den Hout 5 • l\1ais S. A.

sileretur silentium, noctis, quod ideni Plautus tenipus conticinium; scribil e11im
« uidebi-mus, factmn ,uolo. Redito conticinio )). et 7, 19 : in A 8inaria : « l' idebitur,
factum uolo, [ad] redilo conticinio )). Putem, a contiscendo conlicini1tm, siue, ut
07>illns scribit, ab eo cum, conticuerunt lwrnines. Texte '1e l't'·d. d<· G. Goctz et
Fr. Shoell, Leipzig, Tcubner, 1910 et Amsterdam, A. ll. Hakkert, 1964.
1 JI. Cornelii Frontonis Rpistularmn ad Jf. Caesarem. et inuice1n, liber II, G:
Iarn primurn media no:,; te7>ida, Laurentina; tum aute1n gallicinium frigidulurn,
Lanuinum; iam conticinuni atque niatutinum atque diluculuni usque ad 8olis ortum,
gelidu,n, ad Algidmn maxime. Texte de l'éd. Nabcr, p. 31.
2 Le terme ne figure pas dans les fragments du ratfoamts Latinus 57fj0
mais dans le codex A rnbrosianus J.J417 ord. sup., qui en constitue la continuation.
3 Edition fondée uniquement sur les données du codex A nibrosianus. Le
futur bibliothécaire de la Vaticane n'avait pas encore exhum<~ l'autre palimpseste.
4 A tel point que, l'année suivante, Niebuhr, Ph. Battmann et L. F. Hein-
dorf jugèrent nécessaire une nouvelle édition. Cf. aussi E. Ilauler, Neues aus de11i
Frontopalirnpsestdans lVien. Stud., XXXI, 1909, p. 267. A. liai a donné une deu-
xième édition des Lettres, accrue des données du palimpseste du Vatican, à
Rome, en 1823.
5 Jf. Cornelii Frontonis Epistulae, Leyde, Brill, 1954, p. 31, 1. 5 (liber Il,
8 dans la répartition de cette édition).
LE PHOBLÈ~IE DES LDlITE8 ET 8UBDIVISI0~8 DU JOt.:R CIVIL .\ RO::\clE 829

Naber, dans une édition qui fait aujourd'hui encore autorité 1, écarte cette
lecture et propose conticinum. Quoi qu'il en soit, une seconde main 2 a
porté la correction conticinium dans la marge du manuscrit, et c'est la
forme retenue, par exemple, par l'éditeur de la Loeb Classical Library,
M. C. R. Haines 3 • La valeur de ces lectures sera examinée plus loin.
On trouve ensuite le terme chez les grammairiens et compilateurs
tardifs, sans parler rles glossateurs. Chez Servius 4, Nonius Marcellus 5 ,
Priscien Isidore de Séville et dans les scholies de Servius Danielis
6

,
7
8

une sorte de vulgate s'est instaurée avec la forme conticinium Mais 9

Censorinus et l\facrobe présentent des formes originales et bien attestées


dans la tradition manm;crite, qui méritent de retenir l'attention. Les

1 J/. Cornclii Frontonis et JI. Aurelii iniperatorù; Bpistulae, LPipzig, Teub-


ner, 1867, p. 31, 1. 17.
2

Les corrections de cette seconde main sont datées d'environ 500 de notre
ère par 11. Van den Hont (07J. cit., Proleg., p. XLI). Sur ce point, cf. aussi L.
Ilavet., De Réviseur du manuscrit de Fronton, dans Rev. Pkil., X, 1886, p. 189. Pour
une datation plus tardive, cf. E. Hauler, A,us deni Frontopalirnpsest, dans lVien.
Stud., XXXIV, 1912, p. 253 et sq.
3 1'he Correspondence of JI arcus Cornelius Fronto, Londres, Il(•im•mann
Jerc (~d. 1919, t. l, p. 141.
4 In Acn. 2, 268 : 8unt auteni solidae noctis partes secundinn l'arronem hae,
uespera, conticinium, intempesta nox, galliciniwm, lucifer; diei, mane, ortus 'tneri-
dies, occasus. De crepusculo uero, quod est dubia lu.r, narn creperum dubium., signi-
ficat, quaeritur, Texte de l'é<l. G. Thilo et H. Hagen, Leipzig, Tcubner, 1881,
t. 1, p. 264.
5 XONIUS, De proprietatesernwnurn(<~d.Lindsay, Lcipzig,Teubner, 1903,
p. 87) : conticiniurn, noctis prirnum, tem,pus, quod omnia quiescendi gratia conti-
cescu,nt. A uctores multi S'Unt mihi, sed auctoritate deficiunt.
6

Conticitor conticitri.c quae quœniuis regula concedat dicere, tamen nisi in


usu iwu,enimnus mwtortttn, non temere debemus pro/erre. Ipsa res conticiniurn.
A taceo si1nplici fit taciturnus et taciturnitas et taciturnius et tacitus participiale.
(O. D. K. 3, 472, 7).
1 Orig. 5, 31, 4 : Noctis partes septeni sunt, id est uesper, crcpttsculum, conti-
cinimn, intempestum, gallicinium, niatutinum, diluculum. Et 5, 31, 8 : Contici-
nium est quando omnes silcnt. Conticescere enini silere est. (Texte de l'éd. Linclay,
Oxford, Clarendon, 1911, t. 1). Cf. aussi ŒID. nat. 1, 1-2 et l, 1-3 (note 2,
p. 824).
8 auct. Aen. 3, 587 : Sane noctis septem tenipora ponuntur : crepusculuni,
quod est uesper; fax, quo lumina incenduntur; concubiurn, quo nos quieti damus;
inte1npesta, id est media; gallicinium, quo galli cantant; conticinium, post canturn
gallorurn silentium; aurora uel crepusculuni matutinuni, ternpus quod ante solem
est. (Texte de l'é<l. Thilo-Hagen, t. l, p. 441, 1. 11-17).
9 Cn manuscrit de Priscicn, Parisinus Latinus 7489, porte la forme con-
ficinu,m.
830 CHARLES GVITTARD

éditeurs du De die natali adoptent la leçon conticinium 1 , bien que les


manuscrits de base les plus anciens donnent la leçon conticium 2 : les
éditeurs no se justifient guère sur les raisons qui les poussent à corriger la
donnée manuscrite. Quant à la tradition des Saturnales, elle offre, avec
une constance et une continuité remarquables, la leçon contwuum 3 retenue
avec raison par les éditeurs, depuis L. Jan 4 et Fr. Eyssenhardt 5 jusqu'à
J. Willis et N. l\larinone 6 •
Ainsi, le terme en question ne connaît, à proprement parler, qu'un
emploi littéraire, celui qu'en fait Plaute dans la comédie de l' Asinaria.
En dehors de cet emploi, le terme n'apparaît que dans des traités purement
techniques ou historiques, chez de.s grammairiens ou compilateurs tardifs.
l\1ême Marc-Aurèle « en use comme d'une curiosité technique» 7 • Il s'agit
donc au moins au départ, d'un terme technique, d'un usage peu fréquent.
Le rapprochement entre Plaute et Fronton n'a rien de fortuit : on sait
l'admiration de Fronton pour le grand comique latin et l'un et l'autre
avaient le goût du mot rare, obscur ou désuet. Le mot, certes, détonne,
dans la bouche de l'esclave Libanus, mais c'est à dessein et il faut y voir
une intention de l'auteur: au moment où il le prononce, Libanus tient
son maître à sa merci, il se gonfle d'importance, sort de sa condition ser-
vile et adopte un langage et un ton qui ne sont plus ceux d'un simple
esclave.

1 De die natali 24, 2 : sequitur gallicinium, cun1, galli canere incipiunl; dein
conticiniurn, cum conticuerunt; tune a11,telucem, et sic diluculuni, cuni sole nondwm,
orto iam lucet. Texte de l'éd. O. Jahn, Berlin, 1845 et Hidclshcim, G. Olms, 1965.
:Même leçon conticinium chez F. Hultscl1, Leipzig, Teubner, 1867, p. 51.
2 Les manuscrits D (codex olim Coloniensis, nunc Darnistadiensis 166, saec.
Vil) et R (Vaticanus Latinus 4229, saec. X) de l'éd. O. Jahn : codices D et R
enim soli autoritatem habent (Prolegoniena, p. xx11).
3 Sat. 1, 3, 12 : primum tempus diei dicitur media noctis inclinatio, deinde
galliciniuni, inde conticuum, cum, et galli conticescunt et homines etiani tum quie-
scunt, deinde diluculum id est cum incipit dinosci dies, inde mane cum dies clarus
est. Conticuum est notamment la leçon des manuscrits fondamentaux, Bamber-
gensis ]Jf. L. V. 5 n. 9, Parisinus Latinus 6371 et Neapolitanus VB 10. Cependant
un manuscrit de Cambridge, Universitatis 260, porte conticinium. Dans un autre
Cantabrigiensis, Corporis Christi Collegii 71 l"'. 4, une seconde main a corrigé la
leçon contituum (pour conticuum) en conticinum. De même, dans le Napolitanus
V B 12, contituuni a été malencontreusement corrigé en conticinum.
4 Ed. des sat., Qucdlinburg et Leipzig, 1852, p. 19.
5 Leipzig, Teubner, 1868, 1893.
6 Turin, 1967.
7 R. ::\Iarache, JJ.Iots nouveaux et mots archaïques chez Fronton et Aulu-
Gelle, Thèse complémentaire, Rennes, 1956, p. 45.
LE PIWBLÈ}lE DES LDIITEf; ET f;UBDIVIf;IO~:'- DC JOUR CIVIL ,\ RO~lE 831

La forme la plus courante sous laquelle se présente le mot est celle de


conticinium, les autres formes ne connaissant que des emplois uniques ou
mal attestés. On n'en finirait pas, d'ailleurs d'énumérer les formes fantai-
sistes, ou simplement erronées, qui apparaissent dans les manuscrits 1, mais
leur caractère aberrant est alors immédiatement perceptible. Néanmoins,
cela nous amène à considérer la morphologie de chacun de ces termes et à
nous demander si toutes ces formes méritent le même crédit et si elles
sont vraiment des synonymes.

***

Les cinq formes relevées dans la tradition littéraire et manuscrite


sont toutes dérivées d'un même thème de base, comme le faisait déjà
observer Varron 2 , mais chacune utilise un Hargissement propre. Le suf-
fixe -ium intervient comme mode de dérivation dans la forme conticium,
que l'on trouve attestée dans la tradition manuscrite de Censorinus 3 ; le
terme est à rapprocher de concubium (« union charnelle))' mais aussi
« moment du premier sommeil») 4, qui lui ressemble à plus d'un titre et
avec qui il voisine, à tel point que Varron place sur le même plan contici-
nium et concubium 5 • Un autre suffixe, -uo-, intervient dans la formation
du terme utilisé par l\Iacrobe, conticuum; ce mode de dérivation servant à
former des doublets de déverbatifs 6 , on a vu dans conticuum un doublet
de la forme conticinium 7 • En tout cas, la préservation de cette forme,

1 On trouve conticinnium ap. V ARR. ling. 6, 7 (Laurentianus l.,J 5), contici-


dium ap. SERY. in .Aen. 2,268 (llamburgensis 52).
2 Ding. 7, 79 : putem a conticiscendo conticiniu1n.
a On relève chez Priscien, à côté de conticinium et au sein de la même
famille de dérivés : conlicitor et conticitri.r, celui ou celle qui se tait (O. L. K.
III, 472, 9).
4 concubiuni noctis ap. PLA CTE, Trin., 886.
1> Ling. 6, 7.
6 Ce suffixe ayant eu tendance à se spécialiser dans la formation d'épithètes
techniques (termes juridiques, au moins à l'origine : nocuus, uacuus, delicuus,
ambiyu,us; adjectifs de couleur : fuluus, heluus . .. ) conticumn ne pourrait-il pas
être le neutre d'un adjectif *conticuus, non attesté. On a déjà noté l'importance
des adjectifs substantivés dans les termes des divisions du jour. On trouverait
ainsi à côté de tempus occiduum PIACR. sat. 1, 3, 14 ), l'expression _tempus
*conticuum. Il sm·ait tentant de poser, en face de contineo/continuus le parallé-
lisme conticeo/*conticuus. On trouve bien la forme *conticuus dans des gloses, mais
comme une déformation de contiguus, au sens de pro.ci1nus.
7 Cf. Fr. Bader, La forrnation des cornposés noniinau.,; du Latin, Paris,
Thèse, 1962, p. 204.
832 CHARLES GUITTAIU>

uniquement attestée dans les Saturnale.,;;, relève presque du miracle paU~o-


graphique, surtout si l'on tient compte du voisinage immédiat <le gallici-
nium, dont l'attraction n'a pratiquement pas joué, sauf dans quelques
manuscrits secondaires. Il convient de replacer cette forme dans son con-
texte pour en apprécier la portée: elle apparaît dans un exposé de Caecina
Albinus, homme féru d'antiquiti•s romaines, qui multiplie à plaisir les
archaïsmes dans son vocabulaire 1 • Sans doute a-t-il mis un point d'honneur
à faire renaître ici une forme ancienne et d{•suète.
La forme conticiniu,m, la plus employée, est constitu(ic à l'aide d'un
suffixe -cinium (-cen), assez largement répandu en latin 2 , sur le modèle
de gallicinium, terme avec lequel elle était amenée à voisiner, dans la
langue, ou l'argot, des soldats 3 , gallicinium étant lui-même formé sur le
modèle d'*oscinium, dérivé non attesté de oscen, facilement reconnaissa-
ble dans une glose corrompue de Festu~ 4 • Ainsi défini, le terme üonticinium
prend normalement place au sein d'une famille d'une quinzaine de noms
dérivés en -cinium. Si l'on ne peut que souscrire aux conclusions de l'émi-
nent linguiste A. Ernout, il convient de souligner la place particulière du
terme conticinium dans cette famille. Parmi ceux-ci en effet, certains
conservent pleinement l'id{·e de chanter, incluse dam; le suffixe lui-même :
gallicinium (« chant du coq», d'où ((l'heure de la nuit où le coq chante»),
*oscinium (((augure tiré du chant des oiseaux))), et trois termes qui n'appa-
rafasent que chez des glossateurs tardifs : si(n)cinium, bicinium 5 et tric-i-

1 Ainsi après avoir employé le terme conlicu-wrn parmi les subdivisions <lu
jour, ( 'accina Albin us utilise les expressions nocf11,futura et die crastini de préfo-
rence ü nocfe futura et die crastino (sat. 1, 3, l f>). Le chapitre suivant <·st d'ailleurs
consa<·d~ à la discussion de tournures archaïques.
2 Sur c<·s dérivés <·n latin, d. A. Ernout, Des composés latins (!n -cen,
-cinium et -cino(r), dans Philologica, Paris, Klincksieck, 1946, I, p. 73-82. Extrait
des Jlélanges ,J. J'endryè.-;, Paris, 1925, p. 141 et suiv. ('f. aussi I◄'r. Bader, /,a
formation des compo.-;ù nmninaiu du latin, Paris, Thèse, 1962, p. 65-66.
a D'après Ernout-)leillct, Dictionnctire étymologique de la langue latine,
4c éd., Paris, 1959, s.11. taceo.
4 FE8T. p. 214, 9, éd. Lindsay : mwinum : fripudium est, quod oris canltt,
signi/icaf quid portendi; cum cecinit coruus, corni.r, noctua, parra, picus. Cf. ég-a-
fomcnt, PA l'L. FEST. p. 215, 2 : oscinum, augurium a cantu auium; à propos
des oscine8, VARR. (Ling. 6, 76) donne la dMinition suivante : Oscines dicuntur
apud augures, quae ore faciwit auspiciurn. Cf. à ce sujet, PEST. p. 214,14 : Oscines
aues .1 p. Claudius esse ait quae ore canentes faciant auspicium ut coruus, cornix,
noclua; SERY. in Aen. 3, 3(H : Oscines quae ore futura praedicunl; ISID., orig.
12, 7, 76 : Oscines aues uocant quae ore canluq·ue auspiciuHi faciunt, ut coruus,
corni.x, picus.
6 ('f. ISID. orig. (>, 19, 6 : Cum autem .. unus canit, Oraece r,wnodia, Latine
sicinium diciiur; c·um uero dtw canunt, bicinium appellatur; cum 1nulti, chorus.
LE PHOBLÈ'.\IE DEf-\ LL\IITEE-- ET f-\UBDIVI~IOXf-\ DU JOl;R CIVIL .\ RO'.\lE 833

nium 1 . La première partie de ces substantifs (sin-cinium, avec sin- d'après


Rimple.1:,singuli, semel, aurait donné naissance à bi-cinium et tri-cinium)
n'intervient-elle pas déjà comme {·U•ment ayant valeur de prMixe! Dans
ces termes, -cinium est donc interpri•té comme l'équivalent de cant1is et
sort de son simple rôle d'élément suffixal. Le même suffixe revêt un contenu
s{•mantique un peu difW•rent, mais tout de même voisin, dane d'autres
termes, où apparaît l'id<'•e de jouer d'un instrument musical ou de procla-
mer quelque chose : cornic-inium, liticiniu,m, tibicinium, uaticinium, mais
aussi tirociniu;n (((sonnerie aux recrues >> et non « chant des rec-rues »,
comme le souligne A. Ernout, avant de désigner l'apprentissage du métier
militaire et toute e:-;pèce d'apprentissage). Pour d'autres termes, le suffixe
-cinium s'est vidé de son contenu sémantique prfo1itif, et intervient m(•ca-
niquement, comme mode de suffixalisation: latrocinium (« service militaire»,
<<brigandage))), lenocinium (« m<'tier d'entremetteur))), patrocinium (((pro-
tection))), ratiocinium («calcul))' «évaluation»). :Mais le cas de conticinium
est plus complexe. C'e~t le 8eu1 terme où le suffixe vienne se souder à un
thème verbal et qni se présente sous la forme suivante : préfixe + thème
verbal + suffixe. De plus, le contenu sémantique du thème de base est
foncièrement antithétique de (•elui du suffixe proprement dit : le thème
de base exprime l'idée de << se taire))' de <<cesser de parler))' le suffixe l'idée
de « proclamer quelque chose ». Par ailleurs, le suffixe lui-même n'apparaît
pas clairement: la consonne initiale du suffixe se confond en effet a.vec la.
cornwnne finale du radical verbal; faut-il comprendre contic - cÏ'nium et
conclure à un phènomène d'haplog:raphie? Ces remarques nous amènent
à voir dans conticinium une création secondaire et artificielle, d'après ga.lli-
cinium. Le terme est une déformation, dans l'argot des soldats, de conti-
cium (-cuum) qui lui a préexisté.
Enfin, les deux dernières formes enregistré·es, contidnum et conticin-
11um sont difficiles à classer et à expliquer morphologiquement. Quelle
place ces formes occupent-elles par rapport à conticinium ! En sont-elles,
ou non, indépendantes! Ont-elles eu une existence autre que paléographi-
que! Autant de questions auxquelles il n'est guère facile de répondre. Dans
la famille de noms d'action en -cinium, conticinium est le seul terme pour
lequel coexistent des formes eu -cinurn et -dnnum. Le problème ne se pose

Texte de l'éd. Lindsay. On trouve dans l'abrégé de FEST. (Lindsay, p. 455, 4)


sinciniam : cantionP.m solitariam. On relève encore sicin uium chez A CL C -GELLE
20, 3 (genus ueteris saltationis). Il se peut, du reste, que sincinimn
c( soit une
déformation de sicinniuin, qui <•st un dérivé~ du grec crbuwtç, mais <1ue l'étymo-
logie populaire a rattaché aux mots en -cinium (A. Ernout, art. cit., p. 77).
)>

1 SY.:\DIAQCE, Epist. 1, 4, 1.
834 CHARLES GUITTARI>

pas vraiment de la même façon pour si(n)cinium, solo », à côté de sicin-


<(

nium, qui désigne une sorte de danse dans le drame satirique, car, ici, c'est
le mot grec cr(x.1.w1.çet la coex1stence d'un terme latin et <l'un terme dérivé
du grec qui sont la cause d'un flottement morphologique qui se comprend
aisément. l\Iais comment comprendre conticinum et conticinnum? Y voir,
avec R. l\.:1arache, des << formations aberrantes » 1, c'est encore leur recon-
naître une certaine existence autre que paléographique. Dans la forme
conticinum que l'on doit lire, selon toute vraisemblance, dans le palim-
pseste de Fronton, nous serions tenté de voir une faute palé•ographique :
en effet, là où elle apparaît, la forme est précisément encadrée de deux
termes qui présentent une terminaison analogue en -inum (lanuinum et
matutinum) et l'on relève encore, dans le voisinage d'autres mots offrant
une consonnance semblable (Tu1wulanum, Oceanum, Tiburtinum). Ces ter-
minaisons ont donc pu influer sur celle de conticinium qui serait devenu,
par la faute du scribe, conticinum. La forme conticinnum est peut-être
née d'une confusion avec la famille concinnare (((agencer», <<ajuster»),
concinnus («proportionné))), par l'intermédiaire d'un verbe de la famille de
canere, concinere (((former un ensemble de sons»). On trouve d'ailleurs dans
les manuscrits (chez Plaute par exemple) concinium pour conticinium. l\Iais
ce n'est qu'une hypothèse et l'on ne peut que répéter la condamnation
catégorique prononcée par G. Goetz et Fr. Schoell dans leur édition <le
Varron 2 •
On peut donc esquisser une classification, peut-être un peu trop
simplificatrice, <les termes relevé>s. Dans une première famille, on pourrait
placer les deux dérivés en -ium et -uum qui font intervenir des modes de
suffixalisation normaux et courants. Une seconde famille pourrait regrouper
les termes où interviennent des t\largissements plus complexes qui oriente-
raient le mot vers une autre valeur sémantique : conticinium, conticinum
et conticinnum, ces deux dernières formes étant considérées comme des
avatars du dérivé en -cinium. Cela nous amène à considérer le sens du (ou
des) terme(s) étudié(s).

1 J/ ois nouveau.r et mots archaïques chez .Fronton el A ulu-Oelle, Thèse c·om-


plémcntaire, Rennes, 1956, p. 45.
2 JI. Terenti Y arronis De Lingua Latina quae supers,unt, Leipzig, Teubner,
1910, A dnotationes : << conticinno >> 11eque hic neque infra genuinam f onnam esse
aut a Plauto usiirpala1n concedinius quidq,uid contra dixit Leo. Qui exempla grani-
maticorum, composita nunc in Thesauro L. L. et tractata a Goetzio << Oott. (Jell. A nz. >>
a. 1908, p. 821 diligenter perlustrauerit, intelleget horum locorum parteni ad Yar-
ronem (de antiquitatibus) redire partent ad uetustissinios glo.ssographos pertinere :
unde certurn fit Yarronem ut V1I, 79 ita hoc loco << conticinio >> scripsisse : tantae
auteni testirnoniorum auctoritati I'alatini sine A officere posse non videntur.
LE PROBLihm DE~ LDIITE~ ET ~UnDIVI~IO'S"~ DU JOUR CIVIL ,\ RO~l:E 835

D'un point (le vue sémantique, les incertitudes entourant la morpho-


lobrie du terme ètudi<'• n'ont d'i•gal que les divergences portant sur son sens:
on n'est pas d'accord en effet sur le moment de la nuit auquel s'applique
conticinium, ou conticuum. Les uns le situent <lans la première partie de la
nuit : selon Varron, le terme est synonyme de intempesta nox, de concubium
et de silentium noctis. Servius place le conticinium entre uespera et intem-
pesta nox. Isidore l'insère entre crepusculum et intempestum. Le diction-
naire de Gaffiot le dèfinit comme << la première partie de la nuit n. Le mot
s'applique en fait au moment où, les hommes cessant toute activité, s'ins-
talle le silence de la nuit 1 . Les autres au contraire, Marc-Aurèle, Censorinus,
lUacrobe, Servius Danielis, placent le moment impliqué à la fin de la nuit
et le comprennent comme« le silence qui suit le chant du coq Les traduc- )>.

teurs eux-mêmes sont embarassés. A. Ernout, par exemple, n'est guère


conséquent : dans son édition de Plaute, le terme est traduit comme, << la
nuit tombante» 2 , tandis que dans son étude sur les compOS('S latins en
-cinium, le terme est interprété d'une manière différente, en fonction de
gallicinium: << Dans l'argot des soldats, le nouveau composé (s. l. gallici-
nium) a prêté sa finale au mot qui désignait le quart immédiatement
suivant : conticinium 3 ». Le traducteur n'arrive donc pas aux mêmes con-
clusions que le linguiste. Ainsi, le même terme s'appliquerait à deux mo-
ments opposés, l'un au début, l'autre à la fin de la nuit • Mais s'agit-il
4

bien chaque fois du même terme!


L'ambivalence de sens, qui vient d'être relevée, ne s'expliquc-t-elle
pas, pr(•cis(•ment, par la dualité de formes antérieurement évoquée? On

1 C'est notamment ainsi que le terme est interprété dans les gloses : primum
ternpus noctis cU'm ornnia quiescunt (C. G. L. IV, 223, 34); prima pars noctis a
conticiscendo (0. O. L. V, 650, 25); est quando omnes silent : conti<ce)scere enini
silere est (PLAC. V, 58, 25 ; mais PLAC. V, 15, 24 = V, 58, 24 : conticinio lem-
pore nocUs post galli cantum, quod (quo G, quando Maius) cecinit et conticuit.
Voir aussi Gloss. Philox. CO 674 :
2 Edition de PLA"CTE, Paris, « Les Belles Lettres», 1932, t. l, p. 124.
3 Des composés latins en -cen, -ciniu1n, et -cino(r), dans Philologica,
Paris, Klinocksicck, 1946, I, p. 80.
4 La même ambivalence se produit à propos du terme crepusculum,, moment
où la lumière est douteuse, incertaine, qui s'applique tantôt au soir, à la tombée
du jour, tantôt au matin, avant le lever du jour. Cf. SERV. in .Aen. 2, 268 :
De crepusculo uero, quod est dubia lux, nam « creperurn ii dubiurn significat, quaeri-
tur. Et licet utrique tempori possit iungi, usus tamen ut matutino iungamus obti-
nuit, licet Statius dixerit : « Longa repercusso niruere crepuscula Phoebo )). Mais ici
il n'y a pas de véritable problème, car le terme est bien établi morphologiquement
et s'applique à un phénomène naturel simple.
836 CIIAl{Ll·:~ caTrTARD

peut, en effet, r{·sou<lre les incertitudes morphologiques et sémantiques,


en admettant que ehaque famille s'applique en fait à un moment difl'{,rent.
L'histoire <le cette famille de mots peut alors se construire de la façon
suivante:
1. Au départ, un terme technique, conticium (et son doublet conticuum)
d{·signe << le moment clc la nuit où se fait le Rilenee g{m{\ral » et où les
hommes vont se coucher.
2. Par extension, le terme conticium (-cuum) peut s'appliquer à toute
partie de la nuit où le silence, après avoir éM rompu, se rétablit, ou
même au silence de la nuit en gé•n{•ral, bien que la valeur du préfixe
lui consigne un sens ponctuel.
3. Plus particulièrement, dans la langue militaire, le terme, d<'form<",
vient à :-;'appliquer, sous la forme conticinium (-cinum, -cinnum),
amenée par gallicinium, au silence qui suit le ehant du coq. Dans cette
cat<'•gorie s'inscrivent les termes de la deuxième famille.
4. Ce dernier terme, conticinium, supplante conticium dans la langue
courante.

Il reste à expliquer, pour terminer, le caraetère << technique » du terme


i•tudi{• et, à ce stade de l'analyse, c'est une perspoetive religieuse qui s'im-
pose. Comme on le verra plus loin, en conclusion, le problème des limites
et :,;ubdivisions du jour civil touche étroitement à la science religiem;e, en
partif:ulier à la langue augurale. Or il est inutile <le rappeler la valeur im-
portante du terme silentium dans les actes religieux à Rome 1 . Dans la
langue auh'l.Uale, silentium dl•signe l'absence de toute défectuosité dans la
prise des auspices; c'est une notice de Festus qui d<'•finit ainsi le terme
comme valeur religieuse et la même notice enseigne que ce caractère s'èten-
dait à la période nocturne et concernait les prises d'auspices effectui>es de
nuit 2 • Dans ce passage on relève encore la présence de l'expression post
rnediam noctem. l\:Iais dans le domaine de la langue augurale un rappro-
chement s'impose avec un autre terme de la famille de dérivés en -cen

1 Cf. FEST. éd. Lindsay, 56, 17 : Caduca auspicia dicunt cum aliquid in
tewplo e.rcidit ueluti uirga e manit.
2 FEST. l~d. Lindsay, p. 474, 7 <Silentio surgere) . .. t dici, ubi qui 7>osl
medimn (noctem) ...... tandi causa ex lectulo suo si <lens surr)exit et liberatu8 a
lecto, in solido ...... <se)detque, ne quid eo ternpore deiciat, <cavens, donec s)e
in leclnm reposuit : hoc enirn est <proprie sil)entium, omnis vitii in auspiciis vacui-
tas. rerwnius ait, non utique e.r lecto, sed ex cubili, ne<c> rursus se in lectu1n repo-
nere necesse esse.
Ll-: PRORI.t:,rn ))Ef-- LDIITEf- ET ~rnoIVIf--lO~!-- nr .JOl;H CIVIL ,\ R<nn: 837

et -cinium : o.-:cenappartient à la lan~rue augurale et s'applique aux oiseaux


dont le chant pouvait revêtir une signification JHoph<'tique 1 (*oscinimn).
Or, nous savons, grâce à Varron 2 , que dans les Libri auguritm, tempe:,;tus
désigne le dernier moment J>ropice à la prise des augures. Cette indication
de seience religieuse venant immédiatement après la définition juridique
de la suprerna tempestas dans les XII Table.-;, on peut comprendre que,
dans la langue augurale, f•ette suprema tempestas marque le dernier moment
du jour favorable à l'observation et à l'interpr{·tation du vol des oiseaux;
dans le même ordre d'id{•es, le temps du conticium, moment où tout se tait
et où le silence se fait g{méral, ne serait-il J)as le dernier moment du jour
propice à l'interprétation du chant des oiseaux! Conticinium ne se serait-il
pas également appliqué, par extension, à tout silence qui suit le chant d'un
oiseau interprété religieusement? Si conticium signifie moment où cesse <(

le chant des oiseaux », on comprend plus facilement qu'il soit devenu la


forme s{•mantique aberrante de conticinium. Oscen et *oscinium ne seraient
pas <'•trangers non plus à cette métamorphose et auraient joué un rôle
<l'intermédiaire dans le rapprochemont inMuctable avec gallicinium.

* **

Entre media nox et gallicinium, deux auteurs introduisent une subdi-


vision : Censorinus place de media nocte 3 et llacrobe mediae nocti.-; incli-

1 Cn autre terme de la même famille vaticinium désigne le « chant prophé-


tique)) du uates.
2 Ling. 7, 51 : Suprem:um ab sur,erriono dictum : itaque duodecün tabulis
dicunt : Solis occasu diei suprema tempes/as eHto )). Libri œugur11:m,pro ternpe8tate
<(

te1npestute1n dicuut supremuni augurii te1npus. Texte de l'éd. Goestz-8choell.


Certes l'importance juridique des termes étudi<~s est incontestable; incontesta-
bles également leurs implications dans la vie militaire où la nuit était divisée en
quatre vPillcs, cc qui avait aruené une division quadripartite du jour, pour les
vacations des tribunaux en particulier. l\Iais un<' place non négligeable doit
être également faite aux résonnances religieuses de ces termes dans la corn;cience
des Romains. On note en particulier que l'opposition jour/nuit, était interprétée
pai· les Romains en termes presque maniehéens. VARROX (Ling. 5, 6) dit que la
nuit est ainsi dénommée quod nocet. ~[ème nuance religieuse pour les termes
in/empesta (nox) et inie'mpesturn, qui désignent un momcnt qui n'est pas favora-
ble pour agir ou entreprendre quelque chose (l[ACR. sat. 1, 3, 15 : in/empesta,
quae non habet idoneum ternpus rebus ,qerendis. Cf. CEXS. 24, 5; SERY. auct. Aen.
3, 587). Invcrsenwnt mane est synonyme de bonurn (V ARR. Ling. 6, 4; 2\IAf'R.
sat. 1, 3, 13).
3 24, 1 : Incipiam a nocte 'media, quod tempus principiurn et postrernuni est
diei Rornani. Tem7>us quod lnûc pro.rinl'Urn est uocafur de media nocte.
838 CHARLf~~ (iUITTARD

natio 1 . Cette dernière expression reçoit un traitement morphologique


différent selon les éditeurs. Les uns, comme L. Jan et H. Bornecque,
retiennent mediae noctis inclinatio, les autres, F. Eyssenhardt, J. ,villis
ou N. l\'Iarinone, proposent media noctis inclinatio. Or les manuscrits
fondamentaux 2 sont unanimes à donner la leçon mediae noctis inclinatio
et les éditeurs qui proposent une leçon différente, de même que les comptes
rendus les plus détaillés 3 , ne justifient pas dans leurs apparats cette modifi-
cation. Or cette transformation offre toute l'apparence d'une erreur qui
se serait transmise d'édition en édition, car l'analyse, comme l'ensemble
de la tradition manuscrite, démontre que l'auteur des Saturnales n'a pu
i>.crire que mediae noctis inclinatio.
En effet, l'expression consacrée pour signifier le milieu de la nuit,
celle que l'on trouve à la fois chez Varron 4, chez Aulu-Gelle et Macrobe 5
à plusieurs reprises dans la discussion sur les limites du jour civil, est
media nox : l'adjectif et le nom apparaissent in<liRsociables. Si l'on sépare
mediae de noctis pour le rattacher à inclinatio, quel sens peut offrir l'expres-
sion media. inclinatio? M. l\iarinone 6, qui adopte le texte de l'édition J.
\Villis, traduit media noctis inclinatio par <cdeclino della mezzanotte »,
donc comme s'il y avait l'expression mediae noctis. Comment comprendre
inclinatioï Les verbes inclinare et surtout inclinari s'emploient au sens de
<<décliner» en parlant du soleil et du jour 7 • On trouve, chez Horace 8 ,
le verbe inclinare employé absolument en parlant du déclin du soleil et
Quinte-Curce 9 l'utilise à propos du déclin <lu jour. l\lacrobe a voulu for-
ger une expression semblable pour la nuit, sur le modèle <lu déclin <lu jour.
M ediae noctis inclinatio s'applique à la deuxième partie de la nuit, celle
où les ténèbres diminuent lentement, celle qui va vers le lever du jour.
L'expression est synonyme <le celle que l'on relève chez Censorinus pour la
même subdivision : de media nocte. :Minuit <1tant le point à partir duquel la
nuit décline ensuite progressivement et s'achemine vers le jour, H.

1 Sat. l, 3, 12 : Prirnmn ternpus diei dicitur rnediae noctis inclinatio.


2Cf. note 3, p. 830.
3Cf. A. La Penna, RFIC, XCII, 1964, p. 452-461 et S. Timpanaro, On01non,
XXXVI, 1964, p. 784-792 pour l'<~d. J. "'illis; d. S. Timpanaro, RFICJ, XCVI,
1968, p. 473-475 et P. l\fo Gushin, Jfné11iosyne, XXIV, 1971, p. 428-431.
4 13, Frag., 2 et 3 Jlirseh.
5 Cf. 3, 2, I 0- l l et sat. l, 3, 7-8.
6 Ed. des sat., Turin, 1967, p. 121.
7 Cf. LIV, 9, 32, 6 et CIC. 1'usc. 3, 7.
8 Odes, 3, 28, 5.

9 6, l l, 9 : in uesperarn inclinai dies.


LE PRORLibn; DE!'- LDIITE!'- ET i'-UBDIVI!'-IO'S:'- D"C .JOUR CIVIL .\ RO~n~ 839

Bornecque a donc parfaitement raison de traduire, même si cette périphrase


est un peu longue: <<moment où la nuit, après sa première moitié•, tend vers
le jour». L'expression exacte, pour cette partie de la nuit est donc, mediae
noctis inclinatio et non pas media noctis inclinatio.
:Sous terminerons cette étude sur le problème concernant l'expression
du coucher du soleil dans la loi des XII Tables, qui stipule que la suprema
est identique au coucher du soleil. Contre l'ensemble de la tradition litté-
raire attestant que le contenu de cette loi portait solis occasus 1, Aulu-Gelle
soutient qu'il y était écrit sol occasus 1 . De fait, pour exprimer Je coucher
(ou le lever) du soleil, deux tournures grammaticales sont possibles : la
première consiste à exprimer le substantif (occasus ou ortus) suivi du génitif
salis, la second est une tournure participiale où le participe passé (occasus
ou ortus) s'accorde avec le substantif. Contre la tournure retenue par Aulu-
Gelle, on peut formuler un argument grammatical : cette tournure où le
participe passé équivaut à un substantif verbal n'est représenté en latin
ancien que par quelques tours prépositionnels 3 et c'est seulement dans la
prose classique que le participe ainsi employé gagne le nominatif 4 •

***

Cette brève étude a été volontairement restreinte à la confrontation


et à la comparaison d'un ensemble de sources historiques et de textes
techniques énumérant les subdivisions du jour civil à Rome et, par là-
même, une double limitation lui était nécessairement imposée : d'une part,
pour chacun des termes cités, il n'a pas été question des emplois propre-
ment littéraires, par exemple mane ou meridies chez Cicéron ou solis oc-
casus chez César, ce qui constituerait un autre champ, bien plus vaste,
d'investigations; d'autre part, et sur un plan purement stylistique, on
conçoit aisément qu'il existe des possibilités infinies d'expressions pour
une même subdivision de la journée et qu'un écrivain répugnera à utiliser
des expressions officielles, et cherchera un mode d'expression original :
ainsi, à titre d'exemple, à côté de prima fax et de luminibus accensis, on
relève, par une sorte de contamination, sub lumina prima et ad lumina

1 VARR. ling. 6, 5 et 7, 51; 1IACR. sat. l, 3, 14; CENS. 24, 3; FEST. s.v.
supprernurn. Cf. Schocll, l, 9.
2 17, 2, 10.
3 Du type ante occasurn solem (PLA rTE Ep. 144 ).
4 Cf. Ernout-Thomas, Synta;re Latine, 2e éd., Paris, Klincksieck, 1964,
p. 280-281.

MEFRA 1976, 2.
840 CJJARLJ<.;8 GUITTARD

prima chez Horace 1 , et primis tenebris chez Tite-Live 2 . Des exemples de


ce type pourraient être multipliés à l'infini.
Néanmoins, la confrontation de ces diverses sources, depuis Varron
jusqu'à Isidore, est instructive sur plusieurs points. Tout d'abord, elle
nous révèle, en définitive, l'originalité de chacun de ces compilateurs censés
se répéter stérilement : en fait, chaque liste envisagée est originale. Et
surtout, les contradictions apparues sont révélatrices d'un fait important :
elles nous invitent à abandonner l'idée simplificatrice, pourtant séduisante,
d'une source unique et fondamentale, en l'occurrences le Liber De diebus
de Varron auquel les commentateurs ultérieurs, directement ou indirecte-
ment, auraient emprunté leurs données. Sans doute faut-il tenir compte
d'autres traités, eux aussi disparus, tel le De anno Romanorum, de Suétone,
comme le suggérait Wissowa. Mais n'est-il pas possible d'orienter les
recherches dans une direction plus précise!
Ainsi, au cours de cette étude, s'est affirmée incidemment une ten-
dance : on est frappé par l'importance du contexte virgilien dans lequel
s'inscrivent nos données. Si l'on excepte Varron, Virgile apparaît comme
le centre autour duquel gravitent les sources utilisées dans cette étude.
Si cette remarque est sans conséquence pour un auteur comme Servius
et les scholies réunies sous le nom de Servius Danielis, elle apparaîtra en
revanche plus significative pour les autres. Cette tendance est sensible
dès Aulu-Gelle, qui conclut son chapitre sur le commencement du jour
civil 3 par une citation de Virgile 4, qui en est comme le eouronnement;
elle s'accentue encore dans les Saturnales 5 , où Macrobe renchérit sur
l'auteur des Nuits Attiques, d'une manière un peu gratuite 6 d'ailleurs,
en ajoutant deux nouvelles citations 7 • On la trouve jusque chez Isidore
de Séville, qui, lui aussi, illustre son chapitre consacré aux divisions du
jour de citations virgiliennes 8 • Mais c'est sans aucun doute chez Censorinus
que l'adjonction d'un commentaire virgilien aux notices varroniennes

1 Sat. 2, 7, 33 et Ep. 2, 2. 98.


2 31, 23, 4.
3 3. 2, 14-15.
4 Aen. 5, 738.
6 Sat. l, 3, 10-11.
6 Cf. le commentaire de Jan, ad loc. : Fateor me hoc non intelligere namque
Virgilius priore loco nihil aliud dixit, nisi iam alterarn adesse partem noctis, quae
ad lucem uergat, ut ait Curtius IV. 7, 22, et altero, qui non legitur apud Gellium,
nihil aliud nisi diem eius parte dimidia elapsa, vergere ad noctem.
7 Aen. 6, 535-536 et 6, 539.
8 ISID. orig. 5, 21 cite : Aen. 2, 250-251; l, 374; 2, 417 et 1, 489.
LE PHOB1,1bn: DES LL'\rITER ET SUBDIVJSIOXS DU JOUR CIVIL ,\ RO)IE 841

s'avère particulièrement sensible 1 . En effet, dans un premier temps, la


démarche de Censorinus est identique en tous points à celle de Varron :
les deux auteurs s'appuient sur une loi des XII Tables et sur la Lex Plae-
toria; puis, ils en arrivent à l'examen du terme uesper(a) 2 • Ici, à la cita-
tion plautinienne 3 , chez qui on relève uesperugo, Censorinus ajoute la men-
tion d'Ennius, et en particulier celle de Virgile 4 , chez qui on trouve à
deux reprises le termo hesperon. Enfin, on ne peut s'empêcher de relever
que le terme conticinium s'insère chez Priscien dans une étude grammati-
cale consacrée à quelques vers de Virgile 5 • Ainsi, mise à part la comédie de
Plaute, la lettre de Marc-Aurèle à Fronton constitue la seule de nos sour-
ces où n'apparaisse aucune réminiscence de Virgile. Toutes ces remarques
orientent donc nos recherches vers un ou plusieurs commentateurs de
Virgile qui se seraient intéressés au problème. Mais lesquels f
Le problème du commencement et des subdivisions du jour civil
dépasse largement les compétences d'un simple grammairien, si grandes
soient-elles : ce n'est pas un exercice philologique. Comme on peut le
constater à travers les arguments développés par Aulu-Gelle et Macrobe 6 ,
c'est un problème qui relève essentiellement de la science juridique et reli-
gieuse. Cela nous oriente vers un commentateur de Virgile qui ait plus
particulièrement étudié la science augurale et pontificale du poète de
Mantoue. Deux commentaires de ce types nous sont parvenus: celui de
Macrobe 7 et les scholies de Servius Danielis 8 , qui présentent d'étroites et
frappantes analogies. Mais quelle que soit la solution adoptée pour ces
analogies (attribution au grammairien Donat 9 ou traité original de Macro be
dont se serait inspiré Servius 10 ), cela n'explique pas la présence de référen-

1 CENSORINUS insiste particulièrement sur l'emploi par les poètes des


termes énumérés : Sunt etiam plura diei et noctis te1npora aliis subnotata propriis-
que discreta nominibus, quae apud ueteres poetas passim scripta inueniuntur. (24,l).
2 VARR. lirig. 6, 6 et CENS. 24, 4.
a Amph. 275.
4 Buc. 8, 37 et 10, 77.
5 Partitiones XII uersuum Aeneidos principalium, G.L.K. 3, 472, 9.
6 Problème juridique du dies natalis; manière rituelle de prendre les auspi-
ces; problème du mariage par usucapio et du trinoctiwrn (cf. GAI CS inst. l, l l l
et dig. 41, 3, 2); référence à Q. Mucius Scevola.
7 Sat. 3, l-12.
8 Pour un répertoire complet, cf. N. Marinone, « Elio Donato )lacrobio e
Servio, commentatori di Virgilio ))• Vercelli, l 946, p. 91.
3 Thèse généralement adoptée depuis les travaux de E. K. Rand, Is Dona-
tus' Commentary on Vergil lost·?, dans Classical Quarterly, X, 1916, p. 158-164.
10 Thèse soutenue par E. Turk, Les << Saturnales>> de J.llacrobe source de
Servius Danielis, dans REL, XLI, 1963, p. 327.
842 CHARLES GUITTARD

ces à Virgile chez des auteurs comme Aulu-Gelle ou Censorinus. Force est
de recourir à des traités antérieurs, ou sur l'œuvre de Virgile ou sur le droit
pontifical. Sans doute N. Marinone a-t-il raison d'avancer le nom de Cor-
nelius Labeo 1 . Mais une remarque incidente de Macrobe suggère une autre
hypothèse encore. Parmi les nombreux commentateurs de Virgile cités
dans les Saturnales , un seul fait l'objet d'une mention spéciale pour sa
2

connaissance du droit pontifical : Caius Julius Hyginus 3 , qui est aussi


mentionné à deux reprises dans les chapitres consacrés à la science reli-
gieuse de Virgile 4 • Le préfet de la bibliothèque palatine d' Auguste pourrait
fort bien être l'auteur qui, tout en s'inspirant étroitement de Varron,
qu'il ne peut avoir ignoré, aurait élargi les données du polygraphe et les
aurait incorporées à ses commentaires sur Virgile. L'abondance et la diver-
sité de son œuvre pourraient encore expliquer les différences et les désac-
cords qui sont apparus entre les sources étudiées. Par ailleurs, l'importance
indéniable de Caius Julius Hyginus n'exclut pas l'existence de sources
indirectes ni, bien sûr, le recours à Varron lui-même. Malheureusement, la
disparition de ces œuvres ne donne à ces remarques que la valeur d'une
hypothèse.

1 N. Marinone, éd. des Saturnales, Turin, 1967, Introduction, p. 46: << In


quai misura vi siano confluiti pure clcmcnti da aitre fonti secondarie o piut-
tosto commune a Macrobio e a Donato, è impossibile dire. Puô daTsi che qui
corne altrove )lacrobio abbia avuto dinanzi Cornelio Labeone e forse una trat-
tazione specifica sui verba pontificalia )).
2 Aemilius ASPER (3, 5, 9 et 3, 6, 13); L. Annaeus CORNlSTUS (5, 19,
2); Valerius PROBCS (5, 22, 9); Velius LONGVS (3, 6, 6).
3 Sat. 6, 9, 7 : Hyginus tamen, qui ius pontificium non ignorauit in quinto
Librorum quos de Vergilio fecit, bide·ntes appellari scripsit hostias, quae per aetater,i
duos dentes altiores haberent. Cf. Ch. B. Buntc, fr. 5 = fr. 3 Funaioli, G.R.F.,
p. 528.
4 Sat. 3, 4, 13 (De dis penatibus, Bunte, p. 41); sat. 3, 8, 4 (De pro-
prietatibus deorum, fr. 1, Bunte, p. 42). rn autre mention en sat. 3, 2, 13
(Hyllus corrigé en Hyginus par .Mommsen, cf. fr. 23, Funaioli) est incertaine.
Caius Julius HYGDîlJS est encore cité en sat. 1, 7, 19 (fr. 8 Bunte, p. 56 =
fr. 6 Peter, H.R.F., p. 281) et en sat. 5, 18, 16 (f. 9 Bunte, p. 57 = fr. 8
Peter, H.R.F., p. 281).

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