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Moraïtis Spiridion. Sur un passage de Chalcondyle relatif aux Anglais. In: Revue des Études Grecques, tome 1, fascicule
1,1888. pp. 94-98;
doi : https://doi.org/10.3406/reg.1888.5330
https://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1888_num_1_1_5330
(1) Vbici là traduction latine du passage entier : Parvd ipsis uœorum libero-
Himque ctirû est. (Premier bontré-sens); Itaque per universam insulam hic
mifs sertatur : quando quis amici domum vocalics ingrédituvj ut primuni
cïim amici uxore concumbat, ut deinde (!) bénigne kbspitib extipiatltr. în
jttère$rinûtionibits (?) qiioque mutuis utuntur uxoribus amici (!) .. Nec prV-
b^dsum duciint uxores et fîtias in hune nïodum îtnpr'àegnari (!).
9G η ε ν un dus études grecques ;
in utero gestare (et non jamais concumbere), verbe qui, bien en- \
tendu, ne peut avoir pour sujet qu'une femme, mais de κυνεΐν, \
osculari. Quant à κυεσθαι, c'est l'infinitif passif présent d'un se- \
cond verbe κύειν, osculari, que la grécité postérieure a formé d'à- !
près l'aoriste κΟσαι. L'existence et le sens de ce doublet de κυνεΐν
nous sont attestés par les lexicographes byzantins (1). On voit
que la confusion entre les verbes qui signifient être enceinte et
embrasser était, à l'époque byzantine, possible à tous les temps;
c'est au contexte à indiquer le sens qu'il faut choisir, et ici, pour ί
peu qu'on y réfléchisse, le choix ne peut être douteux. î
Un mot encore. Gibbon, qui avait déjà entrevu dans notre ]
passage la possibilité d'une confusion entre les deux κυω, s'est f
laissé arrêter en bon chemin par la considération du « contexte » ?
et de la « pieuse horreur » de Ghalcondyle (2). On vient de voir j
que le contexte, fidèlement rendu (probablement Gibbon suivait λ ;
la traduction latine, en jetant un regard distrait sur le texte \
grec), vient, au contraire, confirmer notre interprétation. Quant î
à la « pieuse horreur » de l'historien byzantin — expression bien \
exagérée par parenthèse (3) — elle s'explique sans peine, même f
avec notre version, pour quiconque connaît les moeurs de la By- I
zance des Paléologues. C'était déjà le régime de TOrient, sans la :
polygamie, mais avec le harem : rigoureuse séparation des sexes, <
usage du voile, réserve dans les relations sociales allant jusqu'à '
la pruderie, et dont la tradition ne s'est pas encore complètement * ;
perdue dans les familles d'origine phanariote. A cet égard, les
témoignages abondent; en voici deux, bien significatifs. L'his- ;
torien byzantin Ducas, énumérant les calamités qui fondirent \
sur Constantinople, lors de la prise de cette ville par les Turcs, \
mentionne en particulier celle-ci : « Des vierges que le soleil, i
(1) Etymologicum Magnum, p. 543 '. Kîi3o; ... πχρχ το κΰω, το <ράω. Ib.t
p. 549 : Κύων ... πζρκ το κύω, ?b ^t/ôi, zjvw... T6 ok κύο> ηιμχίνιι τρία · τό ηύ.ώ,
το Tcposy.uvôi xcù το τίκτω.
(2) « If the double sense of the verb Kjw (osculor and in utero gero) be
equivocal, the context and pious horror of Chalcocondylas can leave no doubt of his
meaning and mistake. »
(3) Que Ton compare, par exemple, à la légère censure que renferme le mot
άπ/οϊ/.οΊτίρκ, le langage d'Hérodote apropos de la prostitution babylonienne (I,
99) : Ο os δή. ta^j/MTO; τδίν νέ/Λ«ν·8βτί τοϊιι Βουλών ίοιβι ό'οΐ. . .
SVR UN PASSAGK DE CHALCONDYLE 97
que leurs propres parents ne voyaient jamais, furent
enchaînées avec de jeunes hommes et emmenées, ainsi accouplées,
en esclavage. » Et l'Italien Philelphe, marié à Constantinople,
s'exprime ainsi, à propos de la langue grecque, conservée plus
pure chez les dames de la noblesse : « Nobiles matronae, quibus,
quum nullum esset omnino cumviris peregrinis commercium, merus
Me ac purusGraecorum sermo servabatur intactus. Verum quid dixi:
cum peregrinis? Quum ne cum ipsis quidem concivibus ullus dabatur
hujusmodi mulieribus colloquendi locus : quum domo nunquam nisi
noctu egrederentur, atque id quidem et raro, et équités, et velata
facie, ductaeque a domesticis ac suis, dum aut templum... aut sanguine
conjunctissimos, visendi gratia, peterent. »
On tient maintenant la raison, non de la « pieuse horreur »,
mais de l'étonnement méprisant de l'historien byzantin en
présence de la liberté d'allures des femmes anglaises et de leur
luxe d' «embrassades frivoles. » Ce qu'Erasme trouve une
coutume charmante, « jamais assez louée », Chalcondyle, étant
données les habitudes de son pays, devait trouver choquant, un
peu barbare, l'indice d'une civilisation inférieure. Autres pays,
autres mœurs; autres voyageurs, autre jugement. Sommes-
nous tous bien sûrs de n'être pas un peu Chalcondyles en cet
endroit, et y a-t-il si longtemps que nous avons cessé de
sourire en voyant une jeune miss anglaise ou américaine s'en aller
au cours sans l'escorte d'une gouvernante, ou échanger un
shake-hands avec un jeune homme qui lui était présenté pour la
première fois ?
Spiridion Moraïtis.
Post-scriptum. — Cet article était déjà sous presse lorsque j'ai
découvert un nouvel argument, encore plus décisif que tous les
autres, en ma faveur; c'est un passage du récit de voyage de
Nicandre Nuncius de Gorfou (1), qui accompagna en 1545 le Vé-
(1) Cranmer, qui a édité une partie de ce récit de voyage, écrit Νούκ«ο?, mais
il existe une souscription de manuscrit à l'Escurial signée 'Avopovtxoç Νούντζιος
Κερχνρχϊος, Venise, novembre 1541. (Gardthausen, Griechische Palœographie,
p. 36, transcrit à tort Nouzzto?.) Aucun doute ne peut exister sur l'identité des
deux personnages (Andronic équivaut à Nicander comme Laonicos à Nicolas,
Démonique à Nicodème, etc.), ni par conséquent sur la véritatile lecture du nom
ISuncïus (en grec Ί\ούντζιο£ ou NoJy^ioç).
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nitien Gérard, envoyé de Charles-Quint à la cour d'Henri VIII
d'Angleterre. Nuncius s'exprime ainsi : Άπλοικώτερον Be τα προς
τας γυναίκας σφίσιν εϊδισται και ζηλοτυπίας άνευ * φιλοΰσι γαρ ταύτας εν
τοις στόμασιν ασπασμοί ς και άγκαλισμοΐς, ούχ οί συνήθεις και οικείοι
μόνον, αλλ' ήδη και οί μηδέπω εωρακότες. Και ουδαμώς σφισιν αίσχρον τοΰτο
δοκεΐ. Le sens ici n'est pas douteux, et la coïncidence de
certaines expressions avec celles de Ghalcondyle est si frappante
qu'on ne peut s'empêcher de croire que Nuncius ait eu sous les
yeux ou dans la mémoire le récit de son devancier. Son
témoignage est à la fois une nouvelle preuve des mœurs sans façon
des Anglaises de la Renaissance et une confirmation complète
de mon interprétation du passage incriminé.
Sp. M.