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G.

LEMAITRE

L’univers en expansion

Extrait de la Revue des Questions scientifiques, mai 1935

LOUVAIN
Établissements FR. CEUTERICK
66. RUE VITAL DEGOSTER, 66

1935
L’UNIVERS EN EXPANSION
G. LEMAITRE

L'univers en expansion

Extrait de la Revue des Questions scientifiques, mai 1935

LOUVAIN
Établissements FR. CEUTERICK
66. RUE VITAL DECOSTER, 66

1935
t
L’Univers en expansion (1)

L’idée d’évolution a joué un rôle important dans le


développement de l’astrophysique.
Je me propose de vous rappeler brièvement l’idée que
les astronomes ont été amenés à se former de l’évolution
des étoiles ; comment la théorie, en se précisant, a rem­
porté d’abord des succès éclatants : comment de ces
succès mêmes sont nées de sérieuses difficultés qui se
sont montrées de plus en plus graves lorsque se sont
imposés le fait et la théorie de l’expansion de l’univers ;
comment, enfin, la solution de ces difficultés doit être
cherchée dans un remaniement complet de l’idée que
nous devons nous faire de l’évolution de l’univers, en
remplaçant l’évolution lente des étoiles, se chiffrant par
milliers de milliards d’années, par une évolution soudaine
et rapide de l’univers entier ayant duré seulement
quelques milliards d’années.
Les étoiles peuvent être classées suivant leur couleur,
en étoiles rouges, jaunes ou bleuâtres, d’une façon plus
précise par leur type spectral correspondant à la tempé­
rature de leur atmosphère.
Une étoile rouge a environ deux mille degrés, tandis
que les étoiles les plus chaudes atteignent vingt mille
degrés et davantage.
Il apparut bientôt que cette classification était trop

(1) Lecture faite à la séance publique de l’Académie royale de


Belgique (classe des sciences), le 15 décembre 1934. Reproduit du
Bulletin de l’Académie.
6. — 358 —

simpliste et que parmi les étoiles rouges ou jaunes il en


existe de deux types nettement distincts ; les unes sont
les étoiles d’éclat le plus faible, des étoiles naines ; les
autres, au contraire, sont des étoiles d’éclat et de dimen­
sions extrêmement grands ; les étoiles géantes telles que
Betelgeuse ou Antarès.
Les étoiles bleues, au contraire, telles que Sirius, sont
toutes d’éclat et de dimensions sensiblement les mêmes.
Le Soleil est une naine jaune ; Capella, de même couleur,
est une étoile géante.
Si l’on range les étoiles de Betelgeuse à Capella à
Sirius, et que l’on revient vers le Soleil et vers les naines
rouges, on obtient une classification régulière, où, à part
quelques exceptions dont nous ne parlerons pas ici, toutes
les étoiles viennent se ranger.
Ces importants résultats, auxquels sont associés les
noms de Lockyer et de Russell, ont suggéré tout naturel­
lement une hypothèse sur l’évolution des étoiles.
Dans le court laps de temps durant lequel l’humanité
a pu accumuler les observations astronomiques, nous ne
pouvons espérer observer de changement bien notable.
Mais de même qu’un observateur qui n’aurait pu se
promener dans une forêt que durant quelques heures et
aurait observé les jeunes pousses sortant de terre, les
arbrisseaux sortant leurs premières feuilles, les arbres
développés, les géants de la forêt, enfin les troncs abattus
pourrissant sur le sol, pourrait, en se basant sur ces obser­
vations d’un instant, reconstituer la vie d’un arbre dont
il aurait observé les différentes phases sur différents
sujets, de même l’astronome dans ses observations
momentanées des étoiles peut espérer les saisir dans
différents stades de leur développement et est amené
à envisager l’hypothèse que le Soleil fut un jour semblable
aux géantes étoiles rouges, telles que Betelgeuse, qu’il
s’achemina vers le stade de Capella et de Sirius et conti­
nuera à descendre la branche des étoiles naines pour finir
359 7

comme une de ces faibles étoiles rougeâtres à l’extrémité


de la classification.
Hypothèse séduisante qu’Eddington entreprit de sou­
mettre à l’épreuve des déterminations quantitatives dans
ses belles recherches sur l’équilibre mécanique et thermo­
dynamique à l’intérieur des étoiles.
Je ne veux pas entrer ici dans le détail de ces belles
théories, qui se sont montrées si fécondes dans l’interpré­
tation des faits jusqu’alors incompréhensibles et ont con­
duit à la découverte des étoiles naines blanches, telles que
le compagnon de Sirius. Elles ont été excellemment expo­
sées par l’auteur dans ce modèle de vulgarisation scienti­
fique que constitue son livre Étoiles et Atomes.
Des recherches d’Eddington, je veux uniquement rete­
nir la signification qu’il a pu dégager de la classification
des étoiles, en montrant qu’elle constitue essentiellement
une classification suivant la masse des étoiles.
Une étoile brillante est une étoile de grande masse. Les
étoiles géantes ne sont pas seulement des étoiles de
grandes dimensions et de grand éclat ; ce sont aussi des
étoiles formées d’une plus grande quantité de matière ;
leur masse atteint aisément dix fois la masse du Soleil
tandis que les étoiles naines ont une masse une dizaine
de fois plus petite.
L’hypothèse de l’évolution doit donc pouvoir rendre
compte de la manière dont les astres ont pu dissiper pro­
gressivement leur substance pour passer successivement
par les divers états suivant lesquels nous les observons.
Les soleils rayonnent leur lumière et nous savons par
la théorie de la relativité que toute énergie est douée de
masse ; nous pouvons calculer combien de tonnes de
lumière chaque étoile dissipe dans l’espace et nous pou­
vons en déduire avec quelle rapidité elle a pu évoluer.
On trouve ainsi qu’en un milliard d’années la perte de
masse due au rayonnement est insignifiante et qu’il faut
8. 360

des milliers de milliards d’années pour rendre compte de


cette manière de l’évolution supposée des étoiles.
La théorie de l’évolution des étoiles n’est soutenable
que si les étoiles existent depuis des milliers de milliards
d’années.
A première vue ces durées énormes ne paraissent pas
constituer une difficulté. L’astronomie nous a habitués
aux grands nombres et il n’est pas bien grave d’ajouter
quelques zéros aux durées connues.
Ces durées de vie stellaire sont pourtant énormément
plus grandes que celles des âges géologiques. Mais la
Terre est un bien petit astre qui peut parfaitement être
né de quelque accident récent.
L’âge de la Terre est connu avec une certaine précision,
grâce surtout à l’étude des minerais radioactifs. Le radium
et les autres corps des familles radioactives, dont il est le
représentant le plus illustre, constituent une horloge
idéale. L’uranium se transforme, en passant par le radium,
en une série de corps, pour aboutir finalement à du plomb.
La quantité de plomb trouvée dans un minerai nous
permet d’inférer depuis combien de temps la désintégra­
tion se continue et fixer ainsi l’âge du minerai.
Nous savons qu’en quatre milliards d’années environ,
la moitié de l’uranium s’est transformée en plomb ; s’il
existait des minerais vieux de quatre milliards d’années,
ils contiendraient autant de plomb que d’uranium. De
tels minerais n’existent pas ; les plus anciens ont une
teneur en plomb d’uranium correspondant à un milliard
et demi d’années et permettent de fixer l’âge de l’écorce
terrestre à environ deux milliards d’années.
Des durées comparables ont été trouvées pour l’âge de
certaines météorites contenant de l’uranium. Ces durées
suffisent pour interpréter les phénomènes planétaires et
en particulier pour expliquer pourquoi la Lune tourne
autour de la Terre en lui présentant toujours la même
face ; pourquoi l’action des marées provoquée dans
361 9.

l’écorce lunaire par l’action de la Terre a dû, en ce laps


de temps, freiner complètement la rotation de la Lune
et la fixer par rapport à la Terre, comme si elle lui était
unie par des liens rigides.
Que la Terre et la Lune soient beaucoup plus jeunes
que les étoiles, cela n’est pas bien grave.
La difficulté commença à se faire plus pressante lors­
qu’il apparut que ce même âge de quelques milliards
d’années seulement se retrouvait dans un phénomène de
grande envergure intéressant des milliards d’étoiles : la
rotation de la galaxie.
L’immense système d’étoiles dont nous faisons partie
et qui forme une roue gigantesque dont la jante est
marquée dans le ciel par la traînée blanchâtre de la Voie
lactée : la galaxie, est animée d’un mouvement de rota­
tion de période d’environ cent millions d’années.
Cette rotation ne se fait pas à la manière d’une roue
solide. Contrairement à ce qui se passe pour une roue, les
parties extérieures tournent plus lentement que les régions
centrales, d’une façon analogue à ce qui a été observé
pour l’anneau de Saturne.
Eddington, le premier, a fait remarquer que si la
galaxie a effectué des milliers de révolutions, cette diffé­
rence de vitesse entre le centre et la périphérie a dû
effectuer un mélange, une destruction des détails locaux
d’organisation incompatible avec ce que nous observons.
Des recherches récentes ont montré que les amas locaux
d’étoiles, tels que l’amas des pléiades, devraient être
complètement dissipés dans de telles conditions.
Si les étoiles de la galaxie existent depuis des milliers
de milliards d’années, leur interaction gravitationnelle
au cours de passages quelque peu rapprochés n’est plus
négligeable. Ce fait a d’ailleurs été présenté comme argu­
ment par les partisans des longues durées d’évolution
cosmique, car il explique comment un équilibre statique
10. — 362 —

a pu s’établir entre les étoiles, équilibre dont l’équirépar-


tition de l’énergie entre les étoiles serait la conséquence.
Lorsqu’on tient compte de la rotation de la galaxie,
l’argument se retourne, car si la galaxie présente les
caractères d’un équilibre dynamique, elle est incompa­
tible avec l’établissement d’un équilibre statique suivant
lequel la galaxie tournerait comme une masse gazeuse
et non comme l’anneau de Saturne.
Une conférence consacrée par Eddington à la rotation
de la galaxie se termine par un véritable cri d’alarme.
Si la galaxie ne tourne que depuis quelques milliards
d’années, comment les étoiles auraient-elles évolué pen­
dant des milliers de milliards d’années ? Les étoiles
seraient-elles beaucoup plus anciennes que la galaxie et
se seraient-elles organisées tout récemment en galaxie ?
Mais la situation devint tout à fait intenable lorsqu’il
apparut qu’un phénomène de dimensions incomparable­
ment plus vastes encore mettait en évidence la même
durée, insignifiante pour révolution stellaire, de quelques
milliards d’années. L’expansion de l’univers n’aurait
duré qu’un temps insignifiant vis-à-vis de l’évolution
stellaire.
A la suite des observations, de Slypher d’abord, de
Hubble et Humason ensuite, nous savons que les millions
de nébuleuses spirales et elliptiques qui entourent la
galaxie se dispersent avec une vitesse inquiétante.
Notre galaxie n’est qu’une galaxie ; elle est entourée
d’autres systèmes, moins vastes il est vrai, mais compara­
bles pourtant en dimensions à notre galaxie. Tout près les
nuées de Magellan ; à près d’un million d’années de
lumière la grande spirale d’Andromède, et plus loin, jus­
qu’à plus de cent millions d’années de lumière, c’est par
millions que s'observent les nébuleuses tantôt isolées,
tantôt groupées en agglomérations bien plus vastes
encore que notre galaxie et formées de centaines de
nébuleuses groupées en amas.
— 363 11.

Je ne peux expliquer ici comment ces distances ont été


estimées. La tâche a été beaucoup plus facile que pour
les étoiles, car les nébuleuses sont beaucoup moins dissem­
blables que les étoiles ; une étoile peut être dix mille fois
plus brillante que le Soleil, tandis que parmi les nébu­
leuses groupées dans un même amas on en rencontre
rarement qui soient dix fois plus brillantes ou dix fois
moins brillantes que la moyenne. L’éclat ou le diamètre
apparent peut donc être utilisé pour déterminer les dis­
tances relatives des nébuleuses et surtout des amas de
nébuleuses. Les valeurs absolues sont naturellement
moins certaines et des corrections de vingt ou trente
pour cent dans certaines estimations restent possibles.
Mais dans ses traits généraux, la figure du monde est
connue jusqu’à des distances de cent millions d'années
de lumière.
Ce vaste système de nébuleuses n’est pas en repos ; il
se disperse uniformément. Le spectre des nébuleuses
lointaines est fortement déplacé vers le rouge, ce qui
indique que ces objets s’éloignent de nous et d’autant
plus rapidement qu’ils sont eux-mêmes plus éloignés.
On peut se faire une idée du mouvement actuel en
imaginant qu’à une certaine époque toutes les nébuleuses
étaient rassemblées en contact l’une avec l’autre et
qu’elles se sont séparées avec une vitesse constante.
Celles qui sont les plus éloignées maintenant étaient
naturellement celles dont la vitesse était la plus grande
à l’origine.
La rapidité de l’expansion peut donc être caractérisée
par l’époque à laquelle les nébuleuses se seraient ainsi
séparées. Cette époque est donnée par le rapport de
Hubble entre la distance d’une nébuleuse et sa vitesse.
Le rapport de Hubble est de 1,6 milliard d’années,
environ deux milliards d’années.
La durée suggérée par l’expansion actuelle de l’uni­
vers est donc du même ordre de grandeur que l’âge de
12. — 364 —

la Terre ou de la rotation de la galaxie, durée infime


vis-à-vis de la durée supposée de l’évolution stellaire.
Devons-nous admettre que l’expansion de l’univers est
elle-même un phénomène récent survenu après une
longue évolution des étoiles ?
Il peut sembler que cet argument dépasse son but et
que le temps laissé par l’expansion de l’univers n’est
même pas suffisant pour laisser place aux deux milliards
d’années de l’âge de la Terre.
D’ailleurs la discussion que nous venons de faire est
par trop sommaire. Rien ne nous dit que la vitesse de
dispersion des nébuleuses a toujours été ce qu’elle est
actuellement ; les forces qui s’exercent entre les nébu­
leuses ont certainement dû modifier cette vitesse et
modifier en conséquence la durée totale de l’expansion.
Si nous tenons compte de l’attraction universelle s’exer­
çant entre les nébuleuses et qui tend à les empêcher de se
séparer, nous voyons que l’expansion doit triompher de
cette attraction et doit donc se ralentir.
Il semble donc que la vitesse d’expansion a été jadis
plus grande qu’elle n’est maintenant et que la durée de
l’expansion a dû être encore moindre que ce qu’un cal­
cul trop simplifié nous avait fait inférer des résultats de
Hubble.
Un calcul simple montre que la durée de l’expansion
serait ainsi réduite à un milliard d’années et ne laisserait
certainement pas place à l’âge de la Terre.
Il semble que la difficulté est sans issue et que nous
devrions nous rabattre sur l’espoir décevant que quelque
erreur s’est glissée dans l’interprétation des faits expéri­
mentaux et qu’une révision future des distances des nébu­
leuses viendra quelque jour modifier la situation.
La théorie de la relativité nous avertit cependant que
la loi d’attraction universelle n’est qu’une approxima­
tion, de grande valeur sans doute, mais une approxima­
tion tout de même. Certaines corrections doivent y être
365 13.

apportées, corrections que l’expérience a confirmées dans


l’étude du mouvement des planètes ou l’effet de l’attrac­
tion sur des particules extrêmement rapides, telles que
les photons dont est formée la lumière.
Ce ne sont pourtant par les modifications auxquelles
nous venons de faire allusion qui peuvent jouer un rôle
appréciable dans le problème que nous discutons en ce
moment.
Il est une autre modification que permet la déduction
relativiste et qui est caractérisée par le fait qu’elle ne peut
jouer un rôle sensible que dans des questions intéressant
des espaces considérables, tandis qu’elle doit être cer­
tainement négligeable pour des systèmes comparative­
ment petits, le système solaire, par exemple.
Je veux parler du terme cosmologique introduit par
Einstein et caractérisé habituellement par la constante λ,
la constante cosmologique.
Lorsqu’on prend comme principe fondamental la con­
servation de la niasse et de l’énergie, d’une part, de la
quantité de mouvement d’autre part, on peut déduire
dans certaines conditions les équations de la gravitation
sous la forme que leur a donnée Poisson. Mais on constate
que les théorèmes de conservation seraient encore satis­
faits si l’on ajoutait, à côté de la densité matérielle réelle
figurant dans l’équation de Poisson, une sorte de densité
fictive positive ou négative remplissant l’espace à la
manière de l’éther de l’ancienne physique.
Dans les conditions où la loi de Newton est une bonne
approximation des lois relativistes, l’effet du ternie cos­
mologique est exactement décrit par l’action, suivant les
lois de la gravitation, d’une densité de matière fictive
uniformément répartie.
Si cette densité est négative, et cette hypothèse corres­
pond au signe positif adopté pour la constante λ, tout se
passe comme si la densité de matière réelle occupant une
région déterminée de l’espace n’avait d’effet gravifique
14. — 366

que pour autant qu’elle dépasse la valeur de la densité


cosmologique.
Si la densité réelle est précisément égale à la densité
cosmologique, elle est sans effet gravifique. Si elle est
plus petite, c’est le terme cosmologique qui l’emporte
sur l’attraction Newtonienne et l’attraction est remplacée
par une répulsion.
Tout se passe comme si la matière avait horreur du
vide, comme si le vide exerçait une force répulsive sur
la matière.
Voilà l’éventualité, j’allais dire l’échappatoire, que
nous offre la théorie de la relativité.
Un univers où la densité de matière réelle contreba­
lance exactement l’action répulsive du vide est l’univers
en équilibre introduit par Einstein.
Un univers où la densité réelle est négligeable vis-
à-vis de l’action du vide est un univers de de Sitter où
le peu de matière présente tend à se disperser.
La densité de matière reconnue dans l’espace qui nous
entoure et infime. Elle est estimée à 10-30 gramme par
centimètre cube. Si la matière, au lieu d’être condensée
en étoiles groupées dans les nébuleuses, était répartie
d’une façon parfaitement uniforme dans l’espace im­
mense qui sépare ces nébuleuses, il y aurait environ un
atome par mètre cube.
Il est donc raisonnable d’envisager l’hypothèse sui­
vant laquelle l’univers actuel est assez semblable à un
univers de de Sitter où l’attraction gravifique est négli­
geable vis-à-vis de la répulsion cosmique.
S’il en est ainsi, nous pouvons calculer la valeur de la
répulsion cosmique ou, ce qui revient au même, la valeur
de la densité négative de l’éther.
Il est en effet facile de montrer que dans l’univers de
de Sitter la valeur limite vers laquelle tend le rapport de
Hubble entre la distance et la vitesse relative de deux
367 — 15.

nébuleuses, dépend d’une façon simple de la constante


cosmologique.
On trouve ainsi une densité négative de l’éther 10-27
gramme par centimètre cube, mille fois plus grande que
la densité réelle de la matière.
L’expansion est donc actuellement favorisée par la
répulsion cosmique ; elle s’est faite jadis à un rythme
moins rapide ; il devient aisé de comprendre que le
début de l’expansion peut dater d’avant la formation
de la Terre.
Il semble même que l’on puisse concevoir un univers
où l’expansion a été ralentie autant que l’on veut pendant
une période de temps aussi longue que l’on veut. La
durée de l’expansion pourrait alors être prolongée suffi­
samment pour faire place à l’évolution des étoiles pen­
dant des milliers de milliards d’années. Il suffit pour
cela d’imaginer que l’univers a été jadis presque en équi­
libre suivant le modèle d’Einstein et qu'il s’est décidé
à se disperser d’une façon infiniment lente.
Cette hypothèse est malheureusement insoutenable
physiquement. Pour que l’expansion emploie des milliers
de milliards d’années avant d’atteindre une valeur
appréciable, il faut en effet que la répartition de la ma­
tière soit réalisée d’une façon parfaitement uniforme.
Pour peu qu’une région ait une densité un millionième
de fois plus grande ou plus petite que la moyenne, son
équilibre instable sera rompu en quelques dizaines de
milliards d’années.
Comme l’a fait remarquer à ce sujet Eddington, l’infini
logarithmique qui s’introduit dans les problèmes d’équi­
libre instable doit être interprété avec précaution. Théo­
riquement un pendule peut exécuter des oscillations de
période aussi grandes que l’on veut, pourvu qu’il soit
lancé avec la vitesse convenable. En pratique ses oscilla­
tions ne pourront atteindre dans les cas favorables qu’un
nombre restreint de secondes.
16. — 368 —

Pour l’univers l’unité qui fixe l’ordre de grandeur des


phénomènes est le rapport de Hubble : deux milliards
d’années, et la durée de la rupture d’équilibre théorique­
ment infinie doit être interprétée physiquement comme
un petit nombre de dizaines de milliards d’années.
Le seul moyen qui reste pour donner à l’univers une
durée comparable à la durée supposée par la théorie de
l’évolution stellaire, est d’admettre que la période d’expan­
sion actuelle de l’univers a été précédée par une période
de contraction de durée beaucoup plus grande. L’univers
se serait contracté pendant des milliers de milliards d’an­
nées ; la contraction, ralentie par la répulsion cosmique,
aurait été arrêtée avant que la gravitation puisse prédo­
miner et l’univers viendrait tout justement de rebondir il
y a quelques milliards d’années. Hypothèse peu sédui­
sante, surtout si on la soumet au calcul. Eddington a
calculé que si l’on représente l’univers à une échelle telle
qu’il fût représenté tout entier dans le creux de la main,
les dimensions qu’il avait au moment où le Soleil était
une étoile géante sont si immensément grandes que,
représenté à la même échelle, il n’y aurait pas assez de
place dans l’univers actuel pour en contenir la repré­
sentation.
Il semble donc que nous sommes bien forcés de renon­
cer à l’hypothèse de l’évolution des étoiles avec perte
progressive de masse suivant le schéma de classification
des étoiles. Cette évolution pourra se produire dans l’ave­
nir, mais l’univers semble trop jeune pour qu’elle ait
pu jouer un rôle sensible dans le passé.
Nous sommes au contraire conduits à penser qu’étoiles
et nébuleuses se sont formées il y a quelques milliards
d’années seulement, avec sensiblement la masse que nous
observons aujourd’hui, et nous devons nous demander
comment un phénomène aussi grandiose a pu avoir lieu
d’une façon si subite.
Il est une dernière hypothèse que nous n’avons pas
— 369 17.

encore examinée. Nous avons envisagé la possibilité


d’un univers débutant par un équilibre instable ; nous
avons considéré aussi la possibilité d’un univers rebondis­
sant avant d’atteindre la position d’équilibre ; il nous
reste à examiner la possibilité d’un univers traversant
la configuration d’équilibre.
L’expansion se serait faite tout d’abord en luttant
contre la force de gravitation qui tendait à l’arrêter, la
densité matérielle étant plus grande que la densité cri­
tique 10-27 gr./cm3. La gravitation aurait ainsi ralenti
l’expansion, sans toutefois l’avoir arrêtée complètement
lorsque la densité matérielle était réduite à la valeur de la
densité critique ; la répulsion l’aurait ensuite emporté ;
l’expansion se serait accélérée jusqu’à atteindre la valeur
actuelle. Nous aurions donc deux expansions rapides
séparées par une période de ralentissement.
Nous supposons que la matière aux divers stades de
son expansion est répartie d’une façon sensiblement
homogène et que les vitesses d’expansion sont sensible­
ment les mêmes dans les diverses régions de l’espace.
Cette homogénéité globale est d’ailleurs en accord avec
ce que nous observons actuellement. Mais cette homo­
généité ne peut être que globale. En fait, tant la densité
que la vitesse d’expansion variera quelque peu d’une
région à l’autre. Il est facile de se rendre compte que ces
fluctuations locales n’auront guère d’importance tant
que la vitesse d’expansion est grande.
Il n’en sera plus de même pendant la période de ralen­
tissement. Si dans une région particulière la matière
est un peu plus dense qu’en moyenne, l’attraction gravi-
fique y sera plus grande et il pourra se faire que l’ex­
pansion fût arrêtée un peu plus tôt à un moment où
l’attraction l’emporte encore sur la répulsion cosmique.
Cette région ne pourra plus continuer à se détendre
sous l’action de la répulsion cosmique ; elle retombera au
18. 370

contraire sur elle-même sous l’action prédominante de


la gravitation.
Les fluctuations de densité existant durant la première
période d’expansion auront donc pour effet de provoquer
des condensations locales retombant sur elles-mêmes
lorsque l’univers, dans son ensemble, reprendra son
expansion accélérée.
Durant la seconde période d’expansion, la matière se
sera par places agglomérée ; c’est le système de ces
agglomérations qui se détendra ; les agglomérations se
sépareront les unes des autres.
Nous obtiendrons un état de choses qui ressemble très
fort à l’univers réel où la matière est agglomérée en nébu­
leuses qui se dispersent.
Nous sommes ainsi conduit à identifier les nébuleuses
avec ces agglomérations.
Hubble a pu estimer la masse d’une nébuleuse moyenne
à environ un milliard de soleils.
Ces estimations, dont il ne faut peut-être pas exagérer
la valeur, sont basées sur l’observation spectroscopique
de la rotation de quelques nébuleuses brillantes dont la
distance est connue.
La masse doit être suffisante pour équilibrer la force
centrifuge due à la rotation.
Si cette masse a été répartie jadis avec une densité
légèrement supérieure à la densité critique, elle a dû
occuper une sphère de rayon égal à cent mille années
de lumière.
Les nébuleuses elliptiques ont un rayon d’environ un
millier d’années de lumière, d’après les estimations de
Hubble se rapportant à la partie nettement visible sur
les plaques photographiques.
La condensation a donc dû retomber sur elle-même et
s’ajuster à un volume plus petit. On s’explique ainsi que
les nébuleuses soient fortement condensées au centre.
Si la condensation avait un certain moment de quantité
— 371 19.

de mouvement, on peut comprendre que la rotation


s’amplifie du fait de la contraction et que la nébuleuse
prenne une forme aplatie.
Mais comment la nébuleuse peut-elle s’être ajustée à un
rayon si petit ? Comment la matière qui la compose
a-t-elle pu perdre l’énergie cinétique qu’elle devait
acquérir en tombant vers le centre et qui aurait dû la
faire rejaillir vers l’extérieur à la façon d’une comète
qui a passé le périhélie ?
Notre hypothèse n’est soutenable que si nous pouvons
rendre compte de cette perte d’énergie, que si nous pou­
vons découvrir un mécanisme de chocs d’importance
suffisante.
Si la matière qui s’est ainsi condensée était formée
d’étoiles, ces étoiles se seraient croisées, et il est facile de
se rendre compte que la probabilité des rencontres durant
les quelques milliards d’années disponibles est tout à fait
insuffisante pour s’expliquer la perte d’énergie.
Mais si les étoiles n’existaient pas encore au moment où
la matière retombait sur elle-même, si la matière existait
sous forme de météorites de poussières, ou de gaz de libre
parcours moyen suffisamment petit, on comprend très
bien que les chocs aient été inévitables. Ces chocs auraient
absorbé l’énergie cinétique et empêché progressivement
la nébuleuse de rebondir.
En même temps ces chocs auraient aggloméré la
matière en masses considérables et chaudes, c’est-à-dire
en étoiles.
Les nébuleuses seraient le creuset où se sont agglomé­
rées les étoiles.
Si les étoiles se sont formées de cette façon, on peut
penser que l’énergie perdue par choc est une portion
notable de l’énergie de gravitation, c’est-à-dire de l’éner­
gie que peut développer la matière en se contractant à
partir d’un volume infiniment grand. D’autre part, la
perte d’énergie nécessaire pour permettre à la nébuleuse
20. 372

de s’ajuster à son rayon actuel est égale à l’énergie


gravifique de la nébuleuse.
On peut comparer aisément ces deux grandeurs en
admettant en première approximation que la répartition
de la matière est semblable dans la nébuleuse et dans
l’étoile.
Le rapport entre l’énergie de la nébuleuse et celle des
étoiles qu’elle contient est alors égal au nombre d’étoiles
multiplié par le rapport entre le rayon d’une étoile et le
rayon de la nébuleuse. Prenant un milliard de soleils dans
une nébuleuse de mille années de lumière, on trouve que
l’énergie des chocs a dû être six pour cent de l’énergie
gravifique des étoiles.
L’hypothèse résiste donc à un calcul de l’ordre de
grandeur des forces auxquelles elle fait appel.
L’univers en général est une région d’expansion illi­
mitée passant l’équilibre en continuant à se dilater ; les
nébuleuses sont des régions de condensation retombant
sur elles-mêmes et agglomérant en étoiles la matière
diffuse.
Occasionnellement des régions doivent rester en équi­
libre ; elles doivent tendre à avoir en moyenne la densité
voulue pour équilibrer tout juste la répulsion cosmique.
Cet équilibre est, il est' vrai, instable, mais, du moins
pour des régions de grande étendue, les quelques milliards
d’années qui se sont écoulées depuis l’instant critique
peuvent être considérées comme peu de chose et nous
devons nous attendre à ce qu’il reste trace de cet équilibre
dans l’univers.
Les régions en équilibre sont en équilibre en moyenne
seulement ; il serait absurde d’admettre un équilibre
détaillé ; il doit s’y former des condensations locales qui
donneront naissance à des nébuleuses, mais ces nébu­
leuses, au lieu de se disperser comme les nébuleuses
— 373 — 21.

isolées, resteront sensiblement à la même distance les


unes des autres.
Nous obtiendrons un amas de nébuleuses.

Un premier argument en faveur de cette interprétation


est que les amas de nébuleuses étant en équilibre, ils ne
doivent pas avoir de formes définies ou de condensations
centrales suggérant un équilibre dynamique. C’est bien
ce qu’on observe ; les amas de nébuleuses ont des formes
quelconques. Mais de plus les amas de nébuleuses doivent
avoir sensiblement la densité critique calculée comme
nous l’avons vu à partir du rapport de Hubble. La vérifi­
cation peut se faire en calculant la masse moyenne d’une
nébuleuse dans l’hypothèse de l’équilibre.
Les données de Hubble relatives à six amas donnent
une valeur moyenne d’un milliard de soleils, les valeurs les
plus discordantes étant 0.3 et 1.4. Des données moins
complètes de Shapley relatives à 18 autres groupes don­
nent une moyenne de trois milliards de soleils avec des
valeurs extrêmes de 0.7 et 8.8.
Ces valeurs concordent remarquablement avec l’esti­
mation de Hubble basée sur la rotation des nébuleuses,
un milliard de soleils.
Il serait sans doute prématuré de conclure que notre
hypothèse est définitivement établie par les considérations
que nous venons d’exposer. On pourra pourtant admettre
que la base que lui apportent dès à présent les faits
d’expérience nous autorise à en développer avec quelque
confiance les conséquences qui en découlent.
La théorie suppose essentiellement que l’univers a
passé lentement à travers la position d’équilibre.
On peut en déduire que la géométrie est elliptique dans
la région occupée par la matière et calculer le rayon de
l’espace dans l’hypothèse où la matière continue à être
présente indéfiniment avec une densité sensiblement la
même au delà du domaine observé.
22. — 374 —

Le rayon de l’espace au moment de l’équilibre était


d’un milliard d’années de lumière ; il est actuellement
environ dix fois plus grand.
La durée de la première période d’expansion, supposée
partie de zéro, est d’au moins deux milliards d’années ;
celle de la seconde période d’expansion d’au moins trois
milliards d’années. La durée de la période de ralentisse­
ment est inconnue, mais est probablement au moins
aussi longue que les deux autres.
Nous pouvons estimer à une dizaine de milliards d’an­
nées la durée totale de l’expansion.
C’est la loi du progrès scientifique que la solution d’un
problème ouvre de nouveaux horizons et pose des pro­
blèmes nouveaux.
Notre explication de la formation récente des étoiles et
des nébuleuses pose le problème de l’état préastral de la
matière et suggère aussi qu’au début de la première
période d’expansion la matière s’est trouvée dans un état
de concentration extrême.
Nous sommes conduits à une image de la nébuleuse
primitive assez différente de l’idée que s’en faisait Laplace.
Il ne s’agit plus d’une sorte de nuage se condensant lente­
ment comme nos nuages terrestres se transformant en
brouillard et en pluie. L’expansion rapide de la nébuleuse
primitive ressemble plutôt à la fumée dispersée par quel­
que colossale explosion, par une sorte de gigantesque
feu d’artifice ayant dispersé, en même temps que l’espace,
la matière primitivement condensée. Peut-être l’éclat
incomparable de ce feu d’artifice n’est-il pas perdu à
jamais. Quelque partie de son rayonnement inimaginable
a peut-être trouvé assez d’espace libre entre les nébu­
leuses pour parvenir sans encombre jusqu’à nous. Ne
pouvons-nous espérer que lorsque nous connaîtrons mieux
la nature de ces mystérieux rayons, si puissants et si
intenses, qui nous parviennent des profondeurs du ciel,
les rayons cosmiques, nous n’y reconnaissions les témoins
— 375 — 23.

des catastrophes de jadis, les témoins de ce temps dont


l’activité radioactive nous donne peut-être une idée atté­
nuée, ce temps où la matière toute jeune était encore
spontanément radioactive et se désagrégeait en atomes
de plus en plus ténus ? La nébuleuse primitive serait
formée des fragments d’une sorte d’atome primitif se
brisant à la façon du radium ou de l’uranium.
N’ai-je pas tort de conclure une sobre discussion des
faits astronomiques par ces considérations qui paraissent
relever davantage de l’imagination des poètes que de
l’austère discipline des sciences exactes? L’avenir le dira.
Je crois pourtant que ce serait un grand malheur pour
un astronome de manquer d’imagination.
Si ces rêves deviennent un jour une réalité, ils nous
apporteront la solution de problèmes que l’on aurait pu
croire insolubles. Si les rayons cosmiques ont été émis
durant la première période d’expansion de l’univers,
avant la formation des étoiles, ils datent sans doute de
cinq ou six milliards d’années ; la source de ces rayons
est éloignée de nous de cinq ou six milliards d’années de
lumière; ils témoignent de la présence de la matière jus­
qu’à ces distances comparables au rayon de l’univers
d’après l’estimation faite dans notre voisinage; ils appor­
tent un appui positif à l’hypothèse de l’homogénéité de la
matière, d’où se déduit que l’espace est fini et sans
bornes, que la géométrie n’est pas euclidienne.

Je termine en formulant l’espoir que les belles recher­


ches des Piccard, des Cosyns et des Compton, et de tant
d’autres physiciens éminents qui poursuivent la solution
de l’énigme des rayons cosmiques, résoudront bientôt le
problème posé il y a deux mille ans par le génie d’Euclide.
.
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
PUBLIÉE PAR

LA SOCIETE SCIENTIFIQUE DE BRUXELLES


ASSOCIATION SANS BUT LUCRATIF

Cette revue, fondée en 1877 par la Société scientifique de


Bruxelles, se compose actuellement de trois séries : la première
série comprend 30 volumes (1877-1891); la deuxième, 20 volumes
(1892-1901); la troisième, 30 volumes (1902-1921). La livraison
dé janvier 1922 inaugura la quatrième série.
La revue paraît six fois par an depuis 1928. Chaque livraison
renferme trois parties principales.
La première partie se compose d’Articles originaux, où sont
traités les sujets les plus variés se rapportant à l’ensemble des
sciences mathématiques, physiques, naturelles, sociales, etc.
La deuxième partie consiste en une Revue des Revues et des
Publications périodiques.
La troisième partie consiste en une Bibliographie scientifique,
analyse critique des principaux ouvrages scientifiques récemment
parus.
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