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Cependant des tentatives avaient déjà été faites pour résoudre ce difficile problème.

Bichat plaçait les propriétés vitales dans les parties solides; les fluides, dépourvus de ces propriétés, ne
servaient que d’excitants aux solides.
Plus tard, l’un de mes maîtres à la Faculté de Strasbourg, Küss, et après lui Monsieur Virchow plaçaient la vie
dans le globule ou la cellule qu’ils considéraient comme l’unité vitale.
C’était un grand progrès réalisé dans la voie ouverte par Bichat, un pas en avant vers la détermination de la
substance organisée ayant la vie en soi.
Si ces physiologistes éminents plaçaient la vie dans la cellule, Monsieur Dumas regardait les globules rouges du
sang comme des êtres véritablement vivants, restant vivants après leur sortie du corps de l’animal, même après
le battage du sang pour le défibriner.
L’illustre chimiste disait que « la respiration, pour être bien comprise, devait être étudiée dans ces vésicules ou
globules sanguins, siège principal des phénomènes qu’elle est chargée d’accomplir, et dont l’organisation en
complique étrangement les lois physiques 8. »
J’ai toujours été fidèle à la doctrine de la vie résidant dans ce qui est morphologiquement défini, c’est-à-dire
structuré, figuré.
J’ai souvent défendu la théorie cellulaire dans ce sens.
Mais bientôt j’ai compris qu’elle est insuffisante; la cellule ne peut pas être l’unité vitale, la forme organisée
vivante perse que la philosophie réclame quand elle veut sortir du vague et de l’indéterminé, lequel, comme l’a
dit Claude Bernard, n’est pas scientifique, car la cellule est un élément anatomique essentiellement transitoire
et, de plus, un organisme déjà composé:
la simplicité, l’irréductibilité, la stabilité lui manquent.
Ces Conférences ont pour objet de démontrer que l’unité vitale, irréductible, physiologiquement indestructible
dont la cellule même est formée, n’est autre que le microzyma.
Il est la forme vivante, réduite à sa plus simple expression, ayant la vie en soi, sans laquelle la vie ne se
manifeste nulle part, que la philosophie cherchait avec le génie de Buffon, d’Oken, de Henle; que Bichat aurait
admise comme le constituant élémentaire de ses tissus.
Bref, le microzyma est l’unité vivante per se; et c’est ce qui ne peut être affirmé de la cellule.
Je ne suis pas arrivé d’emblée à concevoir cette idée qui découle des faits comme d’une source limpide; les
Conférences retracent l’histoire de son développement.
Il y a près d’un quart de siècle qu’elle a été formulée, et que ses conséquences, même les plus éloignées qui
touchent à la pathologie, en ont été déduites.
Monsieur Estor, qui travaillait près de moi, est devenu de bonne heure mon collaborateur dévoué et convaincu,
si bien que dans certaines parties je ne sais pas distinguer entre lui et moi.
A la démonstration ont concouru Messieurs Joseph Grasset, Ernest Baltus, Servel et Joseph Béchamp.
Pendant plus de dix ans nous avons été seuls à lutter, en butte aux moqueries et à la contradiction.
Mais l’Académie des sciences admettait dans les Comptes-rendus de ses séances et nos publications et nos
réclamations:
elle a été souvent mon unique refuge contre d’inqualifiables attaques.
J’ai dit que les vérifications n’avaient pas manqué.
En Allemagne, les microzymas ont été découverts, sous d’autres noms, après que nous avions formulé la
doctrine.
Alors, certains savants français les ont acceptés de mains étrangères.
Oui, j’ai eu la douleur de voir cela.
Sans doute, la Science n’a pas de patrie, et lorsqu’un savant d’une autre nation, fût-ce d’une nation ennemie, a
mieux discerné le vrai, il faut le reconnaître, et le proclamer sans détour.
Mais il m’a paru aussi superflu qu’inopportun et injuste d’attribuer à des savants allemands une découverte
essentiellement française et de voir, en France, changer le nom, en soi si compréhensif, de microzyma, contre
celui de micrococcus qui prête à confusion et consacre des erreurs de faits et de principes.
Un savant suisse, Monsieur Marceli Nencki, professeur de chimie médicale à Berne, ne s’est pas borné à
concourir à la démonstration de la nouvelle doctrine, il a eu la générosité de formuler en faveur des microzymas
une réclamation de priorité en règle:
« Il n’y a pas de doute, dit Monsieur Nencki, que les germes des ferments de la putréfaction existent dans la
plupart des tissus des animaux vivants.
A ma connaissance, c’est Antoine Béchamp qui, le premier, considéra certaines granulations moléculaires, qu’il
nomme microzymas, comme étant des ferments organisés et qui défendit sa manière de voir avec résolution
contre diverses attaques.
Antoine Béchamp formule ensuite les trois propositions suivantes fondées sur les recherches qu’il avait
entreprises en commun avec Estor.
1. Dans toutes les cellules animales examinées, il existe des granulations normales constantes, nécessaires,
analogues à ce que Béchamp a nommé microzyma;
2. A l’état physiologique, ces microzymas conservent la forme apparente d’une sphère;
3. En dehors de l’économie, sans l’intervention d’aucun germe étranger, les microzymas perdent leur forme
normale; ils commencent par s’associer en chapelet, ce dont on a fait un genre à part sous le nom de torula; plus
tard, ils s’allongent de manière à représenter des bactéries isolées ou associées. »
On voit, ajoute Monsieur Nencki, que les recherches postérieures de Billroth et de Tiegel ne sont dans leurs
résultats que la confirmation de ces trois propositions 9. »
Mais, sans doute pour avoir été insuffisamment renseigné, Monsieur Nencki attribue à Monsieur Tiegel le
mérite d’avoir démontré, par des expériences précisés, la présence de ces germes dans les tissus sains
d’animaux vivants.
Es gebührt aber Tiegel das Verdienst durch unanfechtbare versuche das vorkommen dieser keime in den
gesunden Geweben des lebendigen Thierkœrpers nachgewiesen zu haben; (traduction: Mais c’est à Tiegel que
revient le mérite d’avoir démontré, par des essais incontestables, la présence de ces germes dans les tissus sains
du corps vivant d’un animal) — et Monsieur Nencki confirme en disant que jamais il n’a manqué de trouver les
microzymas dans le pancréas examiné aussitôt après la mort de l’animal:
chien ou bœuf.
— Monsieur Estor et moi n’avons jamais, en parlant des microzymas normaux des êtres organisés, entendu
parler que d’animaux sains et vivants, c’est-à-dire examinés aussitôt après qu’ils avaient été sacrifiés.
Quand il y avait lieu de noter d’autres circonstances, nous avions toujours soin de le faire.
C’est ainsi que Monsieur Estor, guidé par la théorie, avait constaté la présence de microzymas en chapelets et
de bactéries dans la matière de kystes examinés aussitôt qu’ouverts, prouvant ainsi que les microzymas
pouvaient évoluer sur le vivant, dans le corps de l’homme lui-même, dans l’état pathologique.
Dans le tubercule pulmonaire de phtisiques nous avions pareillement signalé, outre les microzymas avec leur
forme normale, des microzymas associés à deux ou plusieurs grains.
Monsieur Nencki, après avoir, à son tour, reconnu la présence normale des granulations moléculaires mobiles
dans le pancréas pris sur le vivant, s’écrie:
« Elles sont évidemment les microzymas de Béchamp ou coccos de Billroth = Monas crepusculum Ehrenberg:
— Sie sind offenbar die microzymas Béchamp’s, oder coccos Billroth’s = Monas crepusculum Ehrenberg. »
Voilà un exemple des confusions que je signalais.
Les noms de coccos, micrococcus ont fait penser au Monas crepusculum d’Ehrenberg, et, par suite, on s’est
imaginé que les microzymas sont des êtres vivants étrangers dans l’organisme.
De là l’erreur de ceux qui, apercevant enfin les microzymas dans les tissus devenus malades, les prennent
invariablement pour des parasites dont on a fait des genres et des espèces.
Et ce qu’il y a de plus étrange, on en a fait des végétaux sous les noms de schizomycètes, schizophycètes, etc.
J’ai consacré toute une Conférence — la onzième — pour redresser ces erreurs.
Le microzyma n’est pas un étranger dans l’organisme vivant; au contraire, c’est en lui que se trouvent
concentrées la vie et l’activité de chaque centre vivant dans cet organisme, chacun selon le but qu’il doit
atteindre.
J’ai souvent entendu émettre cette assertion:
« La découverte du rôle des infiniment petits dans la circulation de la vie, dans le mécanisme des
transformations incessantes de la matière:
telle est l’œuvre de Monsieur Pasteur. »
Monsieur Doléris, qui la répète, n’est pas remonté aux sources.
Monsieur Pasteur dit volontiers, lui-même, que dans la « question ardue de l’origine des infiniment petits, il a
apporté une rigueur expérimentale qui a fini par lasser la contradiction 10, » qu’il a victorieusement combattu la
génération spontanée;
que la découverte de la cause de la virulence des virus et les recherches contemporaines concernant le
parasitisme de certaines maladies, dérivaient de ses travaux 11; qu’il a découvert les microbes en forme de 8,
etc., etc. 12.
C’est là illusion pure.
Il n’y a pas, en fait d’organismes vivants, d’autres infiniment petits que les microzymas.
Monsieur Pasteur a si peu découvert leur rôle dans la circulation de la vie, qu’ils n’ont pas eu de plus
persévérant négateur que lui.

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