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Introduction
I - De la voie
3 - Du pur amour
4 - L’adoration parfaite
II - De l’unicité de l’être
15 - De l’identité suprême
18 - Etre et néant
20 - L’orientation exclusive
21 - De la vie universelle
23 - La face de Dieu
24 - Transcendance et immanence
28 - Il est cela…
30 - De la docte ignorance
V - Des causes secondes
33 - Du mal
35 - Du retour à Dieu
VI - Du Prophète
36 - De l’imitation du Prophète
38 - De l’abandon à Dieu
Notes
Notes de l’introduction
Notes de la traduction
N.B. : Nous avons conservé, pour le nom de l’émir ‘Abd al-Qādir al-Jazā’irī, la transcription Abd el-
Kader usuelle en français.
Liste des abréviations utilisées
Mais la relation qui unit Abd el-Kader au Shaykh al-akbar n’est pas
purement livresque et, pour en comprendre la nature et en mesurer
l’importance, il faut remonter plus loin encore. Les maîtres islamiques
(mashāykh, sing. shaykh) sont nécessairement rattachés à des lignées
initiatiques par lesquelles se transmet la baraka, l’influence spirituelle.
Cette transmission, qui présente quelque analogie avec la succession
apostolique telle qu’elle est connue chez les chrétiens romains et
orthodoxes, s’opère de diverses manières, l’une de ses modalités étant
l’investiture de la khirqa, du « manteau » ou du « froc ». Bien qu’au départ
toutes les lignées initiatiques soient confondues dans la personne du
Prophète, qui est leur commune origine, elles se diversifient au cours des
âges en d’innombrables branches dont chacune porte l’empreinte d’un
maître éminent qui en devient l’éponyme. C’est ainsi qu’avec Ibn ‘Arabī
apparaît une khirqa akbariyya (ce dernier mot étant formé à partir de son
surnom de Shaykh al-akbar) qui sera dès lors transmise sans interruption de
maître à disciple. A la différence d’autres lignées, cependant, celle-ci sera,
sinon clandestine, comme on l’a parfois soutenu à tort, du moins fort
discrète, et ne se constituera pas en « ordre » (ṭarīqa, pl. ṭuruq) 17. Or, des
documents inédits jusqu’à ce jour permettent d’établir qu’Abd el-Kader
avait reçu l’investiture de la khirqa akbariyya, et qu’il s’agissait même là
d’une tradition familiale. C’est en effet par son père, Sīdī Muḥyī l-dīn, que
l’émir avait été rattaché à la « chaîne » (silsila) akbarienne ; et Muḥyī l-dīn,
à son tour, tenait sa propre initiation du grand-père de l’émir, Sīdī Muṣṭafā,
lequel avait été investi de la khirqa akbariyya en Egypte par un personnage
fameux, le sayyid Murtaḍā al-Zabīdī (ob. 1205/1791) 18.
La généalogie charnelle et la généalogie initiatique se trouvent donc
coïncider, et l’éclosion à Damas, en la personne de l’émir, d’un
commentateur inspiré des Futūḥāt cesse d’apparaître comme un phénomène
de génération spontanée 19. On peut, au passage, méditer sur les étranges
détours par lesquels, de Murcie où naquit Ibn ‘Arabī, en passant par Damas
où il mourut, puis par l’Inde où naquit le sayyid Murtaḍā, son héritage
spirituel chemine jusqu’à l’occident de l’Islam, en Algérie, pour revenir
enfin à Damas d’où rayonnera dès lors un mouvement de renouveau
akbarien dont les effets sont aujourd’hui encore manifestes.
Aucune indication n’autorise à dater avec précision le rattachement
d’Abd el-Kader à la silsila akbariyya. Sīdī Muḥyī l-dīn étant mort en 1833,
nous disposons en tout cas d’un terminus ad quem : l’émir avait au plus
vingt-six ans lorsqu’il a reçu cette investiture. Nous hasarderons même
l’hypothèse que l’événement s’est situé un peu plus tôt, au cours d’une des
étapes les plus décisives de la vie d’Abd el-Kader : son premier voyage en
Orient, vers sa vingtième année, lorsqu’il accompagne son père au
pèlerinage et, avec lui, séjourne notamment à Damas où il devient le
disciple d’un très grand maître, le shaykh Khālid al-Naqshbandī 20.
Très tôt, en tout cas, le germe akbarien est déposé, et il l’est dans un
terrain privilégié : descendant du Prophète, issu d’une lignée de soufis
— son père a composé un traité de direction à l’usage des novices, le Kitāb
irshād al-murīdīn —, manifestant dès sa jeunesse le goût de l’oraison, Abd
el-Kader semble voué à ce destin de maître spirituel qui sera le sien à
Damas, lorsque le décret divin l’aura déchargé d’autres devoirs. De ce point
de départ à ce point d’arrivée, le trajet normal, s’il n’a rien de commun,
reste prévisible : c’est le sulūk, la voie qui, pas à pas, conduit le disciple à
Dieu sous la direction d’un shaykh jusqu’au jour où, maître à son tour, il
guide la génération suivante.
Mais l’itinéraire d’Abd el-Kader ne sera pas ce parcours ordonné. De
nombreux passages du Kitāb al-Mawāqif — l’ouvrage d’où sont extraits les
textes dont nous présentons ici la traduction — nous apportent des éléments
à partir desquels on peut reconstituer les grandes lignes de l’autobiographie
spirituelle de l’émir. Il en résulte clairement qu’Abd el-Kader est un
majdhūb, un « extatique » que Dieu « arrache », « attire » à Lui (c’est le
sens de la racine J Dh B) et qui donc survole d’un bond les étapes que le
sālik (le « voyageur ») franchit une à une au cours d’une longue progression
méthodique 21. C’est là un cas relativement exceptionnel, mais qui a depuis
longtemps sa place dans la typologie initiatique en Islam et se subdivise
d’ailleurs en une série de formes dérivées. A l’extrême, le majdhūb est un
« fou de Dieu » (majnūn, bahlūl) dont les actes échappent totalement au
contrôle de la raison et qui, de ce fait, n’est plus soumis aux obligations
légales. Il peut même être affranchi par la saisie divine (jadhba) des
contraintes ordinaires de la condition humaine, tel cet Abū ‘Iqāl al-
Maghribī, dont parle Ibn ‘Arabī, qui, pendant quatre ans, à La Mecque,
vécut enchaîné sans manger ni boire 22. Ces caractéristiques, on le voit, sont
difficilement conciliables avec ce que l’on sait du comportement d’Abd el-
Kader et des fonctions qu’il a assumées dans les différentes phases de son
existence. Mais, comme le montre Ibn ‘Arabī dans le même chapitre des
Futūḥāt, la jadhba peut aussi, chez certains êtres, ne produire aucun effet
apparent ou ne se manifester que par des signes extérieurs à peine
repérables.
On trouvera, dans plusieurs des textes traduits ci-après, le témoignage
brûlant de ces moments de ravissement extatique rarement perçus par
l’entourage de l’émir (la scène rapportée par l’observateur profane qu’était
Léon Roches constitue à cet égard un document de prix). On y verra aussi
— nous renvoyons particulièrement sur ce point au texte 36 — les
modalités singulières que revêt la pédagogie divine : c’est par la
« projection » (ilqā) sur son être de versets coraniques, dont chaque mot
retrouve ainsi son éternelle nouveauté, que Dieu instruit directement ce
pupille sans maître.
L’absence d’un maître — d’un maître humain s’entend — appelle ici
deux remarques. Tout d’abord, il faut noter que, selon des critères formels,
Abd el-Kader a été, dès sa jeunesse, le disciple de plusieurs mashāykh, le
premier d’entre eux étant son propre père qui dirigeait l’une des branches
de la ṭarīqa qādiriyya, la confrérie dont le fondateur éponyme est le grand
saint de Bagdād, ‘Abd al-Qādir al-Jilānī (ob. 561/1166). Il a, d’autre part,
nous l’avons vu, été rattaché vers sa vingtième année, à Damas, à la ṭarīqa
naqshbandiyya par le shaykh Khālid. De ces deux maîtres, et d’autres sans
doute, il a certainement reçu non seulement la baraka, mais aussi des
appuis et des directives. Cependant, la « voie du noviciat » (ṭarīq al-sulūk),
il l’affirme, n’est pas la sienne, du moins dans un premier temps.
Car, si « la voie du ravissement extatique est plus courte et plus sûre »,
celle de la progression méthodique est, selon Abd el-Kader lui-même, « la
plus haute et la plus parfaite » 23: pour atteindre la perfection, et se rendre
apte à guider les autres, le majdhūb doit donc se faire apprenti et, devenu
sālik à son tour, s’astreindre à parcourir, étape par étape, le chemin dont il
connaît pourtant le terme.
Ce noviciat tardif et paradoxal, que dirige et assiste l’invisible présence
du Shaykh al-akbar 24, Abd el-Kader va l’achever sous la conduite du
dernier de ses maîtres de chair, Muḥammad al-Fāsī al-Shādhilī 25. C’est à La
Mecque, où le shaykh Muḥammad al-Fāsī réside et mourra neuf ans plus
tard, que se produit leur rencontre. Désireux d’accomplir, une fois encore,
le pèlerinage, l’émir est parti pour le Hidjaz au début du mois de rajab 1279
(janvier 1863) 26.
Il se rend d’abord par mer à Alexandrie, d’où il gagne Le Caire, puis
Jedda et enfin La Mecque où, sous la direction de son shaykh, il pratique
« la discipline ascétique, la réclusion et le combat spirituel ». Le compte
rendu trop succinct que donne son fils laisse entendre qu’il parcourt très
vite les maqāmāt (« stations ») de la voie. Mais c’est au sommet du Jabal
al-Nūr (mont de la Lumière), dans la caverne Ḥirā’ — celle même où le
Prophète reçut la première révélation —, qu’il parvient au terme de cette
ascension : s’étant enfermé là « pendant des jours nombreux », il y atteint,
nous dit son fils, « le degré suprême » (al-rutbat al-kubrā) et
l’« illumination » (al-fatḥ al-nūrānī), « et les fontaines de la sagesse
jaillissent sur sa langue ».
Abd el-Kader va rester un an et demi en Arabie. Après avoir accompli
le pèlerinage à La Mecque, il se rend d’abord pour trois mois à Taïf, puis
revient à La Mecque. A compter de son départ pour Taïf, il cesse de donner
des nouvelles à sa famille, qui s’alarme et devra, pour se rassurer sur son
sort, s’adresser à Abdallāh Pāshā, émir de La Mecque.
Au début du mois de rajab 1280, un an donc après son arrivée au
Hidjaz, Abd el-Kader part pour Médine. Il obtient la faveur de faire retraite
dans la maison du premier calife, Abū Bakr, maison qui jouxtait le mur de
la mosquée du Prophète et, en vertu d’un privilège spécial accordé par ce
dernier, possédait une lucarne ouvrant sur l’intérieur de la mosquée. Après
cette retraite, qui dure deux mois, l’émir reste encore à Médine, s’adonnant
aux visites pieuses habituelles sur les tombes des Compagnons, au mont
Ohod, à la mosquée de Qubā (on trouvera d’ailleurs dans le texte 37 une
allusion à ce séjour). Enfin, le 27 du mois de dhūl-qa‘ada 1280, il se joint à
la caravane des pèlerins syriens, qui viennent d’arriver, et va accomplir un
dernier pèlerinage à La Mecque avant de regagner la Syrie.
DE LA VOIE
1
Du pur amour
L’adoration parfaite
Dans ce verset, Allāh console Ses serviteurs patients dans les épreuves
en annonçant qu’Il est Lui-même le substitut et le remplaçant de ce qu’ils
ont perdu et qui agréait à leurs dispositions naturelles. Etre patient consiste
en effet à contraindre l’âme à accepter ce qui lui répugne ; et elle éprouve
de l’aversion pour tout ce qui n’est pas en accord avec sa prédisposition
dans l’instant présent, même si elle sait que cela sera un bien pour elle par
la suite. La douleur psychique (nafsānī) et naturelle que les âmes ressentent
lorsqu’elles sont ainsi contraintes ne peut être repoussée que si un état
spirituel puissant et dominateur s’empare d’elles et leur fait oublier ce qui
cause leurs souffrances et ce qui leur aurait donné du plaisir. C’est parce
que l’homme ne peut, de lui-même, échapper à cette douleur que les plus
grands saints ont pleuré, gémi, soupiré, demandé secours et prié que ces
souffrances leur soient épargnées. Il n’en va pas de même pour la
souffrance spirituelle (rūḥānī), que l’homme est capable de repousser.
Aussi voit-on les saints se réjouir intérieurement, heureux, satisfaits, sûrs
que ce qu’Allāh a choisi pour eux est ce qu’il y a de meilleur, tranquilles
devant la souffrance [spirituelle] qui les atteint. Aucune chose n’est
déplaisante et mauvaise par essence, mais seulement par rapport aux
« réceptacles » et aux prédispositions des corps physiques. Si l’on considère
à présent les êtres sous le rapport de leurs réalités métaphysiques (al-
ḥaqā’iq al-ghaybiyya), tout ce qui leur advient leur convient. Plus encore :
rien ne leur advient qui ne soit exigé par leur nature essentielle.
Allāh a donc annoncé à ceux qui supportent avec patience la perte de ce
qui leur est agréable — santé, richesse, grandeur, sécurité, possessions et
enfants — que « Lui » [car tel est le sens propre du pronom huwa rendu
plus haut par « cela » conformément à la manière dont ce verset est
habituellement compris] est meilleur (khayr) pour eux que ce qu’ils ont
perdu : car ceux-là savent que « Lui » [qui est le Nom de l’Essence suprême
absolument inconditionnée] est leur Réalité inséparable et leur refuge
nécessaire, et que les choses agréables qu’ils ont perdues étaient de pures
illusions (umūr wahmiyya khayāliyya).
Allāh — qu’Il soit exalté ! — a employé ici le terme lahuwa, « certes
Lui » ; or le huwa est la Réalité insaisissable, inconnaissable, qui ne peut
être nommée ou décrite. Il est le Principe non manifesté de toute
manifestation, la Réalité de toute réalité. Il ne cesse ni ne se transforme, ne
part ni ne change. Huwa n’est pas employé ici comme pronom de la
troisième personne — la personne absente — grammaticalement corrélative
d’une première personne — celle qui parle — et d’une deuxième — celle à
qui l’on parle [ce qui impliquerait une multiplicité que transcende
infiniment le huwa métaphysique]. Allāh n’a pas dit : la-anā, « certes
Moi », car le pronom anā a un caractère déterminateur puisqu’il implique la
présence. Or tout ce qui est déterminé est par là même limité.
Quant au terme « meilleur » (khayr), c’est [grammaticalement] un élatif
qui suppose donc comparaison entre deux termes qui ont entre eux quelque
chose de commun. Certes, rien de commun et aucune comparaison ne sont
concevables ici : mais Dieu parle à Ses serviteurs le langage qu’ils
connaissent et les conduit par les chemins qui leur sont familiers. Sinon,
qu’y a-t-il de commun entre l’être et le néant ? Et comment comparer la
réalité et l’illusion ?
Celui qui a trouvé Allāh n’a rien perdu ; et celui qui a perdu Allāh n’a
rien trouvé. C’est ce qu’on lit dans les oraisons de Ibn ‘Aṭā Allāh 27 :
Mawqif 220.
7
Ce qu’ont dit les commentateurs au sujet de ces versets est bien connu,
et il n’y a rien à y changer 33. Mais il y a là, en outre, une allusion subtile et
un autre aspect à considérer.
« Lorsque le regard sera ébloui » : lorsqu’il sera étourdi et perplexe.
Cela se rapporte au moment où commencent les théophanies 34, car l’être n’a
aucune connaissance préalable de ce qu’il contemple alors, aucune
familiarité avec ce qu’il voit.
La « lune » symbolise le serviteur dans sa contingence, et l’« éclipse »
sa disparition, c’est-à-dire l’évidence que son être est d’emprunt et ne lui
appartient pas en propre car il n’« est » que de façon métaphorique.
Tout cela indique donc l’obtention de la station de l’« union » (maqām
al-jam’), laquelle consiste à voir Dieu sans voir la créature 35. C’est une
station dangereuse, où le risque est grand de trébucher, une position critique
pour tous, à l’exception de celui à qui cette station appartient en vertu d’une
réalisation spirituelle effective (dhawqan), car Dieu assiste ce dernier,
l’amène en lieu sûr et le met à l’abri de la colère divine. Mais quant à celui
qui n’atteint cette station que par les livres, ou n’en a reçu la connaissance
que de la bouche de maîtres imparfaits, il est bien près de sa perte et a peu
de chance d’y échapper. Satan a auprès de lui un accès facile et dispose à
son endroit d’arguments puissants. Le diable ne cesse donc de l’induire peu
à peu en erreur en lui disant : « Dieu est ta réalité essentielle. Tu n’es pas
autre que Lui ! Ne t’épuise pas en actes d’adoration : ils n’ont été institués
que pour le vulgaire qui n’a pas atteint cette station, qui ne sait pas ce que tu
sais, qui n’est pas arrivé au point où tu es arrivé. » Puis il lui rend licites les
choses interdites en lui disant : « Tu fais partie de ceux à qui il a été dit :
faites ce que vous voulez, car le paradis vous appartient de droit 36. » Cet
homme devient alors athée, libertin, incarnationniste. « Il sort de la religion
comme la flèche sort du gibier qu’elle a traversé, sans en garder nulle
trace 37. »
Le soleil symbolise le Seigneur — qu’Il soit exalté ! — de même que la
lune symbolise le serviteur. Leur « conjonction » symbolise le degré de
l’« union de l’union » (jam‘ al-jam‘), qui est le degré ultime, la délivrance
majeure et la félicité suprême et consiste à voir à la fois la création
subsistant par Dieu et Dieu se manifestant par Sa création : car Dieu ne Se
manifeste que par la création et la création, sans Dieu, ne se manifesterait
pas. Aucune forme ne peut dès lors exister qui ne les conjugue sans qu’il y
ait cependant incarnation, unification ou mélange 38, puisque Allāh est la
Réalité de tout ce qui est (fa-inna Llāha ‘aynu kulli mawjūd) et qu’il ne peut
y avoir de créature qui serait vide de l’Etre de Dieu, pas plus qu’il ne peut y
avoir un Dieu qui serait vide de l’être de sa création.
Le gnostique demande alors : « où fuir ? », en raison de la violence de
la perplexité que provoquent en lui la multiplicité des théophanies, leur
diversité, leur caractère fugace, la rapidité avec laquelle elles disparaissent,
l’abondance des descentes (tanazzulāt) divines qui étourdissent l’intellect et
le plongent dans la stupeur — tout cela bien que ces théophanies procèdent
d’une source unique.
« Mais il n’y a pas de refuge » — il n’y a pas d’abri, pas
d’échappatoire : le gnostique, qui voudrait sortir de cet état pour trouver le
repos, est averti que le repos et la gnose ne se trouvent précisément que là.
La perplexité s’accroît en effet lorsque s’accroissent les descentes divines,
mais ce sont ces dernières qui sont la source des connaissances spirituelles.
Voilà pourquoi le chef des gnostiques, notre Prophète — sur lui la Grâce et
la Paix ! — a dit : « Ô Allāh, augmente ma perplexité à Ton sujet 39 ! »
Mawqif 320.
10
De la certitude
Alors la fameuse « porte du repentir » sera close devant celui pour qui
le soleil s’est levé à son couchant, car le repentir (tawba) signifie
étymologiquement le retour (rujū‘) 63. Or celui pour qui le soleil de la
Réalité essentielle s’est levé à son couchant, vers qui retournerait-il ? Car la
Présence divine (al-ma‘iyya alilāhiyya) 64 et l’Infinité seigneuriale se sont
révélées à lui. Il n’y a plus de « qui » vers qui il puisse revenir. Tous les
« autres » se sont anéantis. Toutes les lumières sont devenues une. Seul
demeure Allāh, l’Unique, le Victorieux, à Qui seul appartient l’autorité.
« C’est vers Lui que vous serez ramenés » (Cor. 2 : 28, 245, etc.) : or celui-
là est déjà revenu vers Lui dès cette vie, sans attendre la vie future. Pour lui,
le Jour de la Résurrection s’est déjà levé. Il s’impose dès lors à lui de se
repentir du repentir ordinaire, qui est devenu, pour l’être parvenu à cette
station spirituelle, une faute, un péché, une marque d’ignorance, car « ce
qui est bonne action pour les hommes pieux est faute pour les
Rapprochés ».
Sa foi ne lui est plus d’aucun profit. La foi ne profite en effet qu’aussi
longtemps que l’on est voilé et que l’on n’a pas obtenu l’évidence et la
vision directe. Mais le lever du soleil rend les preuves inutiles. Lorsque ce
qui était caché devient évident, que ce dont on était seulement informé est
vu directement, l’âme ne tire plus profit de ce qu’elle croit mais seulement
de ce qu’elle contemple et voit. Les états, les intentions, les buts qui étaient
les siens dans la phase de foi sont transformés. Cette transformation doit
s’entendre comme purement intérieure. Quant à l’extérieur de cet être, il ne
se modifie pas d’un iota. Il continue de se comporter de la manière qui est
agréée par la Loi sacrée et louable selon la coutume et la loi naturelle,
pratiquant les activités conformes à sa situation et à son rang parmi ses
semblables.
Tel est l’état des gnostiques lorsque la porte de la connaissance s’est
ouverte à eux et que le soleil s’est levé pour eux à son couchant. Tout le
reste n’est qu’hypocrisie (taṣannu‘). Et il vaut mieux pour le serviteur,
lorsqu’il rencontre son Seigneur, être couvert de tous les péchés — le
polythéisme excepté — que de se présenter devant Lui avec fût-ce un atome
d’hypocrisie.
Mawqif 172.
II
DE L’UNICITÉ DE L’ÊTRE
15
De l’identité suprême
Le châtiment dans la vie future est réservé par Dieu dans ce verset à
celui qui dit : « Je suis un dieu en dehors de Lui » (min dūnihi) et, pour qu’il
s’applique, il faut que cette stipulation ait été ajoutée 69. La créature qui se
borne à dire : « je suis un dieu » n’est pas menacée d’un châtiment dans la
vie future dès lors que Dieu lui a fait contempler la fonction divine
(ulūhiyya) se répandant dans l’univers comme s’y répand l’Etre véritable
(al-wujūd al-ḥaqq). Il s’agit là, toutefois, d’une vérité qui doit être celée ;
car toute vérité n’est pas bonne à dire : il n’est pas louable en toute
circonstance de dire le vrai, ni blâmable en toute circonstance de dire le
faux.
Celui qui, en ce monde, déclare qu’il est Allāh est donc blâmé. Bien que
cela soit vrai, il n’en est effectivement ainsi que dans la vie future, lorsque
le serviteur devient lui-même créateur et que, s’il dit à une chose « Sois ! »,
elle est. Mais, en cette vie, les conditions limitatives propres à ce bas-
monde réfutent son affirmation qu’il est Allāh : car il a faim et soif, il est
soumis au sommeil et doit se rendre aux latrines.
C’est pourquoi celui qui dit cela en pleine possession de sa raison, les
glaives de l’exotérisme et de l’ésotérisme (suyūf al-sharī’ a wa l-ḥaqīqa)
s’abattent sur lui et versent son sang, ainsi qu’il advint à Ḥusayn b. Manṣūr
al-Ḥallāj — qu’Allāh soit satisfait de lui ! — car il avait dit ce qu’il avait dit
alors que, semble-t-il, il avait toute sa raison. Il fut donc mis à mort en vertu
d’une décision juridique (fatwa) commune des docteurs de la loi et des
maîtres spirituels, parmi lesquels ses propres maîtres, qui savaient pourtant
que ses propos étaient ésotériquement valides 70.
Celui qui, au contraire, dit : « Je suis Allāh » sous l’empire d’une
ivresse mystique et d’un état spirituel est légalement irresponsable puisque
la possession de la raison est la condition de toute responsabilité légale, et
qu’il ne la possède plus.
Un autre cas est celui des êtres qui disent cela en vertu d’une permission
divine, comme Abū Yazīd 71 et ses semblables : les gens de cette catégorie
sont protégés de toute atteinte des créatures par leur condition spirituelle.
Il ne faut pas dire non plus : « je suis Lui » car le sens de « je » est
différent de celui de « Lui ». Ces deux termes sont mutuellement
incompatibles, et l’identification de l’un à l’autre est donc une pure
impossibilité.
Quant à la parole du Prophète — sur lui la Grâce et la Paix ! — dans la
demande qu’il adressait à Dieu, telle qu’elle est rapportée dans le Ṣaḥīḥ :
« Fais-moi Lumière ! » 72 — c’est-à-dire : « Fais-moi Toi ! », puisque Allāh
est la Lumière 73 —, il la disait dans un état qui survenait parfois mais ne
durait pas.
Il ne faut pas dire non plus, cependant : « je suis autre que Lui ». Il
s’agit là en effet d’une parole vaine puisque, par définition, le Créateur [en
tant que tel] est autre que la créature ; c’est comme si l’on disait : « l’eau
n’est pas le feu » ou « le ciel n’est pas la terre ». Observe plutôt ce qui
t’apparaît venant de Lui. S’Il te dit : « Je suis toi, et tu es Moi », écoute et
tais-toi ! Et s’Il te dit « tu es autre que Moi et Je suis autre que toi », écoute
et conforme-toi à cela. […]
Mawqif 322.
17
De la Solitude éternelle
de l’Essence divine
(Selon une lecture peu répandue, celle d’Ibn Sammāk, on lit parfois
kullu (« toute ») au nominatif [au lieu de l’accusatif kulla qui est la leçon la
plus répandue] 74.)
Sache qu’il n’y a pas, d’une part, une Essence divine et, d’autre part,
des essences propres aux créatures qui seraient indépendantes, subsistant
par elles-mêmes, et auxquelles Il n’aurait pas conféré l’être. Il n’y a rien
d’autre que l’Essence divine. C’est Elle qui est l’essence des créatures sans
se multiplier ni se diviser et, réciproquement, les essences des créatures sont
identiques à l’Essence divine. Cela ne signifie pas que Dieu a Son essence,
que les créatures ont elles aussi leurs essences propres et que l’Essence
divine s’unit à celles-ci, ou se mélange à elles, ou s’infuse en elles. Toutes
ces choses sont impossibles, et ce n’est pas ce que j’ai voulu dire.
Non : cela signifie que Son essence — qu’Il soit exalté — c’est-à-dire
Son être même par lequel subsistent les créatures, et qui les régit — est
l’essence des créatures. Autrement dit, quand on parle des « essences des
créatures », ce n’est qu’une manière d’exprimer la manifestation de l’Etre
véritable, lorsqu’Il se revêt des statuts qu’impliquent les prédispositions des
créatures, c’est-à-dire leurs prototypes immuables (a‘yānuha al-thābita) tels
qu’ils sont dans la science divine, non-existants, depuis toujours et à
jamais : n’étant rien d’autre que de purs aspects ou relations au sein de la
Réalité divine et n’y ayant aucun être propre 75.
Mais comme c’est le caché qui a autorisé sur l’apparent, et le non-
manifesté qui agit sur le manifesté, ce sont les statuts conférés par les
prédispositions [des prototypes], immuablement contenues dans la science
divine, mais dépourvues d’être, qui ont autorité sur l’Etre véritable, lequel
s’épiphanise conformément à ces statuts. Ainsi, bien que ces prédispositions
soient en vérité non existantes, les statuts et les attributs [qui conditionnent
Sa manifestation] sont donc les leurs, mais en Lui [puisque Lui seul est].
Son essence — qu’Il soit exalté ! — est l’Etre véritable, éternel,
subsistant par soi. Les essences des créatures sont toutes identiques à l’Etre
véritable, en tant qu’Il se manifeste dans les états qu’impliquent les
prototypes, lesquels sont adventices sous le rapport de la manifestation et
immuables sous le rapport de la Science divine.
C’est donc Lui — qu’Il soit exalté ! — qui est notre essence en tant
qu’elle manifeste les attributs de nos prototypes immuables. Mais nos états
ont autorité sur Lui en tant qu’Il se qualifie par eux. Nous sommes Son
essence en tant qu’Il se manifeste par nous. Car Il ne Se manifeste que par
nous, bien que nous soyons pur néant : or l’essence d’une chose, c’est ce
par quoi elle se manifeste. Le fait que nous parlions de « Lui » et de
« nous » ne met pas en cause ce que nous venons de dire : la nécessité de
nous faire comprendre impose cela, mais il n’y a qu’une seule Essence, ou
une seule Réalité, qu’on appelle « Dieu » lorsqu’elle se manifeste en mode
actif, qu’elle exerce des effets et est dotée des attributs de la perfection, et
qu’on appelle « créature » ou « serviteur » lorsqu’elle se manifeste en mode
passif, qu’elle est réceptive et dotée des attributs de l’imperfection. Mais il
s’agit, dans l’un et l’autre cas, de la même chose.
Il en va de même pour les attributs (ṣifāt) : les créatures ne possèdent
pas des attributs différents des attributs divins. Les attributs, qui, s’agissant
de Lui, sont infinis et opèrent sur tous les objets sur lesquels il convient
qu’ils opèrent et qui, s’agissant de nous, sont limités et n’opèrent que sur
une partie de ces objets, sont identiques. Par exemple, Sa puissance absolue
s’exerce sur tous les possibles, tandis que Sa puissance, en tant qu’elle est
conditionnée par nous, ne s’exerce que sur une partie d’entre eux.
De même Sa science absolue embrasse à la fois l’impossible, le
nécessaire et le possible tandis que Sa science, en tant qu’elle est
conditionnée par nous, et qu’elle nous est attribuée, n’embrasse qu’une
partie des cogniscibles à l’exclusion des autres. Ces mêmes attributs sont
divins en tant qu’ils sont absolus, et créaturels en tant qu’ils sont
conditionnés. Mais, dans l’un ou l’autre de ces états, sous l’un ou l’autre de
ces rapports, ils sont identiques et seul les distingue leur caractère absolu ou
conditionné. L’absolu est cela même qui apparaît dans le monde manifesté
comme conditionné, même s’il est différent de lui selon le point de vue et la
compréhension [des créatures]. La limitation et l’adventicité ne
caractérisent les attributs qu’en tant qu’ils sont mis en relation avec les
créatures.
De manière analogue, les actes des créatures sont Ses actes — qu’il soit
exalté ! — et Ses actes sont les actes des créatures. C’est pour cette raison
que, dans le Livre et la Sunna, les actes sont attribués tantôt à Dieu seul,
tantôt aux créatures seules, tantôt à Dieu par l’entremise des créatures, et
tantôt aux créatures par l’entremise de Dieu 76. Comprends !
Prends garde, ô toi qui lis cela, de nous accuser de professer
l’incarnationisme, l’union [de Dieu et de la créature], l’athéisme ou
l’hérésie. Car nous ne portons pas la responsabilité de ta compréhension
tortueuse et de ton esprit insensé.
Mawqif 64.
18
Etre et néant
Ce qui est illusion est pur néant, et si l’on attribue l’être à autre chose
qu’à la Réalité divine (al-Ḥaqq), c’est de manière métaphorique car il ne
s’agit que d’une existence imaginaire. L’être n’appartient proprement qu’à
Lui — qu’Il soit exalté ! — et il est légitime de le dénier à tout ce qui n’est
pas Lui comme il est de règle lorsqu’on a affaire à des relations purement
métaphoriques 80.
Si Allāh — qu’Il soit exalté ! — n’était pas, par Son essence même 81
qui est l’être de tout ce qui est, « avec » les créatures, on ne pourrait
attribuer l’être à aucune de ces dernières et elles ne pourraient être perçues,
ni par les sens, ni par l’imagination, ni par l’intellect. C’est son « être
avec » qui assure aux créatures une relation avec l’être. Mieux encore : il
est leur être même. Cet « être avec » embrasse toutes les choses, qu’elles
soient sublimes ou infimes, grandes ou petites. C’est par lui qu’elles
subsistent. Il est l’Etre pur par lequel ce qui est est. L’« être avec » d’Allāh
consiste donc dans le fait qu’Il est avec nous par Son essence, c’est-à-dire
par ce qu’on désigne comme le Soi (huwiyya) divin, universellement
présent sans qu’on puisse cependant parler à ce sujet de « diffusion »
(sarayān), d’inhérence (ḥulūl), d’union (ittiḥād), de mélange (imtizāj) ou de
dissolution (inḥilāl) 82. Ces mots ne peuvent en effet s’employer que
lorsqu’on a affaire à deux réalités distinctes, ce qui correspond à la
croyance du vulgaire. Mais il n’y a pour nous qu’une Réalité unique,
éternelle, dont la transcendance exclut que les choses contingentes soient
présentes en elles ou qu’Elle soit présente dans les choses contingentes.
Quant à ceux qui professent, selon l’opinion la plus répandue, qu’Allāh
— qu’Il soit exalté ! — est « avec nous » par Sa science [et non par Son
essence], s’ils entendent par là préserver l’Essence divine de la compagnie
des créatures, on sait bien que la transcendance qui revient de façon certaine
à l’Essence revient également de droit aux attributs divins 83 ; et s’ils veulent
dire que l’Essence est une et indivisible, tandis que les créatures sont
multiples, cette objection s’applique pareillement à la Science divine qui est
elle aussi une réalité une et indivisible. Celui qui prétend posséder la
science alors qu’il ignore même par quoi elle s’acquiert ignore a fortiori ce
qu’il prétend savoir !
Lorsque tu entends un gnostique dire, ou que tu lis dans ses écrits,
qu’« Allāh est avec les choses par Sa science », sache qu’il n’entend pas par
là ce qu’entendent les simples théologiens. Il veut dire autre chose mais en
voile l’expression à l’intention des contradicteurs et des faiseurs de trouble.
Selon le maître des gnostiques, Muḥyī l-dīn [Ibn ‘Arabī] : « dire qu’Allāh
est avec toute chose par Sa science est plus conforme aux convenances
(adab), et dire qu’Il est avec toute chose par Son essence est plus conforme
à ce qu’enseigne la réalisation spirituelle (taḥqīq) ». Par « convenance », il
faut comprendre « lorsqu’on s’adresse à ceux qui sont sous les voiles [de
l’ignorance] et pour tenir compte de leurs prétentions » ; ou, d’une manière
plus générale, que toute vérité n’est pas bonne à dire et que tout ce que l’on
sait ne doit pas être divulgué.
Cet « être avec » divin se trouve indiqué aussi par les versets suivants :
« Et Il est témoin sur toute chose » (Cor. 34 : 47) ; « Et Allāh, derrière eux,
les cerne » (Cor. 85 : 20) ; « Où que vous vous tourniez, là est la Face
d’Allāh » (Cor. 2 : 116). Le mot « Face » (wajh) signifie ici l’Essence.
Wajh est en effet une des manières de désigner l’essence d’un être, et la
lettre même du verset fournit donc un appui à notre interprétation et écarte
toute interprétation contraire car on dit couramment : « Zayd est venu en
personne » en employant indifféremment nafsuhu (littéralement : « son
âme »), wajhuhu (littéralement : « sa face ») ou ‘aynuhu (littéralement :
« son être » ou « son essence ») 84.
Il y a d’autre part pour Allāh une manière spéciale d’« être avec » l’élite
des simples croyants. Elle consiste dans la concomitance de Sa grâce
(imdād) avec les nobles vertus et les beaux caractères. En témoignent ces
versets : « En vérité, Allāh est avec ceux qui Le craignent et ceux qui font le
bien » (Cor. 16 : 128) ; « En vérité, Allāh est avec les patients » (Cor. 2 :
153 ; 8 : 47) ; ou encore cette parole du Prophète — sur lui la Grâce et la
Paix ! — : « En vérité, Allāh est avec le juge aussi longtemps qu’il ne
prévarique point » — ainsi que d’autres paroles semblables de source divine
ou prophétique. Il s’agit en tout cela de la manifestation en certaines
créatures, à l’exclusion des autres, de quelques-unes des perfections de
l’Etre.
Il y a enfin pour Allāh une manière particulière d’« être avec » l’élite de
l’élite, c’est-à-dire avec les Envoyés, les prophètes et leurs héritiers
spirituels — qu’Allāh leur accorde à tous Sa Grâce et Sa Paix ! Elle n’est
rien d’autre que la prédominance du statut de l’Etre nécessaire et éternel sur
leur statut de créature contingente, adventice et dépourvue d’existence
réelle. C’est ainsi qu’Il dit, s’adressant à Mūsā (Moïse) et Hārūn (Aaron) :
« Certes Moi, avec vous deux, J’écoute et Je vois » (Cor. 20 : 46), ce qui
signifie « par vous deux J’entends et par vous deux Je vois, car Ma
compagnie a subjugué vos deux êtres. Il n’y a ici que Moi, il n’y a plus de
“vous” si ce n’est sous le rapport de la forme apparente ». Cette station
spirituelle est connue chez les initiés — qu’Allāh soit satisfait d’eux ! —
sous le nom de « Proximité par les œuvres obligatoires » (qurb al-farā’iḍ) 85
et elle consiste dans la manifestation du Seigneur et l’occultation du
serviteur. Lorsqu’on interpelle celui qui a atteint cette station en lui disant
« ô, untel ! », c’est Dieu qui répond à sa place « Me voici ! ».
Ce degré est supérieur à celui qu’on appelle « Proximité par les œuvres
surérogatoires » (qurb al-nawāfil). Celui qui se trouve dans ce dernier,
quand quelqu’un dit « ô Allāh ! », c’est lui qui, au contraire, répond à la
place d’Allāh « Me voici ! ».
Qu’Allāh soit « avec » toute chose est une certitude. Néanmoins, on ne
peut dire d’aucune chose qu’elle est « avec Lui ». Car, tandis qu’il existe
une base scripturaire explicite (naṣṣ) dans le premier cas, l’affirmation
corrélative que toute chose est avec Lui est seulement implicite.
Elle découle, certes, du fait que si quelqu’un est avec toi, tu es avec lui.
Mais nous ne pouvons, en l’absence d’un appui scripturaire, affirmer « Je
suis avec Lui ».
Mawqif 132.
20
L’orientation exclusive
De la vie universelle
« Ces symboles, nous les faisons pour les hommes mais ne les
comprennent que ceux qui savent »
(Cor. 29 : 43).
Sache que Dieu propose des symboles par Ses actes comme par Ses
paroles, car la raison d’être du symbole est de conduire à la compréhension,
de telle sorte que l’objet intelligible devienne aussi évident que l’objet
sensible [qui le symbolise]. Parmi les symboles qu’Il propose par Ses actes
figure la création des lettres de l’alphabet : leur tracé enferme, en effet, des
secrets que seul peut saisir celui qui est doué de science et de sagesse. Entre
toutes ces lettres se trouve le Lām-Alif, qui recèle des allusions subtiles, des
secrets et des énigmes innombrables, et un enseignement 99.
Parmi ces secrets, il y a le fait que la combinaison des deux lettres Lām
et Alif [dans le Lām-Alif] est analogue à celle de la Réalité divine avec les
formes des créatures. D’un certain point de vue, il s’agit de deux lettres
distinctes et, d’un autre point de vue, d’une lettre unique. De même la
Réalité divine 100 et les formes des créatures sont deux choses distinctes d’un
certain point de vue et une seule et même chose d’un autre point de vue.
Il y a aussi le fait que l’on ne sait laquelle des deux branches [du Lām-
Alif] est l’Alif et laquelle est le Lām. Si tu dis : « C’est le Lām qui est la
première branche », tu as raison, si tu dis : « C’est l’Alif », tu as raison
aussi. Si tu te déclares incapable de décider entre ceci et cela, tu as raison
encore.
De même, si tu dis que seule la Réalité divine se manifeste et que les
créatures sont non manifestées, tu dis vrai. Si tu dis le contraire, tu dis vrai
aussi. Et si tu confesses ta perplexité à ce sujet, tu dis vrai encore.
Parmi les secrets du Lām-Alif, il y a aussi ceci : Dieu et la créature sont
deux noms qui désignent en fait un seul et même Nommé : à savoir
l’Essence divine qui Se manifeste par l’un et par l’autre. De façon analogue,
le Lām et l’Alif sont deux désignations qui s’appliquent à un seul et même
« nommé » car ils constituent le double nom d’une lettre unique.
Autre secret : de même que la forme de la lettre qu’on appelle Lām-Alif
ne peut être manifestée par l’une des deux lettres qui la constituent
indépendamment de l’autre, de même il est impossible que la Réalité divine
ou la création se manifestent l’une sans l’autre : Dieu sans la création est
non manifesté et la création sans Dieu est dépourvue d’être.
Autre secret : les deux branches du Lām-Alif se réunissent puis se
séparent. De même, Dieu et les créatures sont indiscernables sous le rapport
de la réalité essentielle et se distinguent sous le rapport du degré
ontologique : car le degré ontologique du dieu créateur n’est pas celui du
serviteur créé.
Un autre secret réside dans le fait que le scripteur, lorsqu’il trace le
« Lām-Alif », commence parfois par tracer la branche qui apparaît la
première dans la forme complète du Lām-Alif, et parfois par celle qui
apparaît la seconde. Ainsi en va-t-il de la connaissance de Dieu et de la
création : la connaissance de la création précède parfois celle de Dieu
— c’est la voie que mentionne la formule : « Qui connaît son âme connaît
son Seigneur 101 », c’est-à-dire celle des « itinérants » (al-sālikūn) ; parfois,
au contraire, la connaissance d’Allāh précède la connaissance de la
création : c’est la voie de l’élection et de l’attraction divine (jadhb), c’est-à-
dire celle des « désirés » (al-murādūn) 102.
Un autre secret est que la perception ordinaire ne saisit [lorsque le Lām-
Alif est prononcé] que le son Lā qui est le nommé, bien qu’il s’agisse en fait
de deux lettres, le Lām et l’Alif. De même la perception ordinaire ne
distingue-t-elle pas les deux « noms » [qui constituent inséparablement la
Réalité totale] : « Dieu » 103 et « création », bien qu’il s’agisse en fait de
deux choses distinctes.
Un autre secret est que le Lām et l’Alif, lorsqu’ils se mélangent et
s’assemblent pour former le Lām-Alif, se cachent l’un et l’autre. De même
la Réalité divine, lorsqu’elle « s’assemble » avec les créatures en mode
strictement conceptuel (tarkīban ma‘nawiyyan), se cache au regard de ceux
qui sont spirituellement voilés : ceux-là ne voient que les créatures.
Inversement, ce sont les créatures qui disparaissent sous le regard des
maîtres de l’Unicité de la contemplation (waḥdat al-shuhūd) 104, car ils ne
voient que Dieu seul. Ainsi, Dieu et les créatures se cachent l’un et l’autre
[comme le Lām et l’Alif] mais de deux points de vue différents.
Parmi les secrets du Lām-Alif, il y a encore ceci : lorsque se confondent
les deux branches du Lām et de l’Alif et que la forme du Lā disparaît donc
aux yeux de l’observateur, la signification attachée à cette forme disparaît
aussi. De même, lorsque survient l’extinction (fanā’) — que l’on nomme
aussi l’« union » (ittiḥād) chez les hommes de la Voie 105 —, l’adorateur et
l’Adoré, le Seigneur et le serviteur disparaissent ensemble : s’il n’y a pas
d’adorateur, il n’y a pas d’Adoré ; et s’il n’y a pas de serviteur, il n’y a pas
de Seigneur. Car, lorsque deux termes sont corrélatifs, la disparition de l’un
entraîne nécessairement celle de l’autre et ils disparaissent donc ensemble.
A toi de poursuivre ces analogies, et d’en tirer les enseignements !
Mawqif 215.
III
DES THÉOPHANIES
23
La face de Dieu
Mawqif 149.
24
Transcendance et immanence
Voilà pourquoi on peut Le décrire par les attributs des êtres contingents
et Lui assigner leurs statuts. C’est là l’explication du Propos seigneurial (al-
ḥadīth al-rabbānī) rapporté dans le Ṣaḥīḥ : « J’ai été malade, et tu ne M’as
pas visité, J’ai eu faim et tu ne M’as pas nourri 122… », comme aussi du
verset : « En vérité, ceux qui font le pacte avec toi, c’est avec Allāh Lui-
même qu’ils font le pacte, et la Main d’Allāh est au-dessus de leurs mains »
(Cor. 18 : 10) 123.
De même aussi, Il peut être nommé par les noms de tous les êtres
contingents, ainsi qu’il résulte du verset : « Ce n’est pas toi qui lançais les
flèches, lorsque tu les lançais, mais c’est Allāh Lui-même qui les lançait »
(Cor. 8 : 17) 124.
Abū Sa‘īd al-Kharrāz a déclaré : « Je n’ai connu Allāh — qu’Il soit
exalté ! — que par la coïncidence en Lui des opposés. » Puis il récita : « Il
est le Premier et le Dernier, l’Apparent et le Caché » (Cor. 57 : 3).
Quand on nomme « Abū Sa‘īd al-Kharrāz », c’est Lui que l’on
nomme 125. Chaque fois que, dans le Coran ou la Sunna, se trouvent des
expressions qui impliquent Son immanence, elles correspondent au degré
de Sa manifestation et de Sa détermination par les formes qui Le
manifestent en vertu de Son nom « l’Apparent ». Chaque fois que s’y
trouvent des expressions de Sa transcendance, elles correspondent au degré
de Son retrait des formes en vertu de Son nom « le Caché » […] 126.
Mawqif 193.
25
« eux » désignant ici Dieu et la créature. Cette dépendance des Noms divins
à l’égard des êtres qui sont leurs lieux de manifestation n’est pas une
imperfection. Elle constitue au contraire la perfection au niveau des Noms
et des Attributs car le besoin qu’à la cause, en tant que telle, de son effet en
tant que tel représente la perfection même. Cette relation est en effet
nécessaire pour que les Noms divins, qui ne se distinguent que par leurs
effets, puissent se distinguer les uns des autres. Toutefois les Noms divins,
par celle de leurs « faces » qui est tournée vers l’Essence, sont eux aussi
totalement autonomes à l’égard des mondes : sous ce rapport, ils ne sont
rien d’autre que l’Essence même, et c’est pourquoi chacun d’eux peut être
qualifié et désigné par tous les autres Noms au même titre que l’Essence 130.
Dans l’une de mes visions contemplatives, je vis ceci : un immense
registre ouvert m’était présenté. Sur chaque ligne, un Nom divin était écrit,
puis était successivement qualifié sur cette même ligne par tous les autres
Noms. Sur la ligne suivante, un autre Nom était écrit et pareillement
qualifié par tous les autres et ainsi de suite jusqu’à épuisement de la liste
des quatre-vingt-dix-neuf Noms divins.
Au contraire, si l’on considère la « face » des Noms qui est tournée vers
les mondes créés, ils sont, de ce point de vue, dépendants de ces derniers
dans la mesure où ils cherchent à produire leurs effets : celui qui cherche est
dépendant à l’égard de ce qu’il cherche.
Les cieux, la terre et toutes les créatures, dont la lumière est le Nom al-
nūr, sont les ombres des Noms et des Attributs projetées sur les prototypes
immuablement fixés dans la Science divine (al-a‘yān al-thābita fī l-ḥaḍrat
131
al-‘ilmiyya) . Toute ombre nécessite en effet une surface, telle que la terre
ou l’eau, sur laquelle elle puisse se projeter. C’est la lumière qui rend
l’ombre visible, mais c’est l’objet vertical [éclairé par cette lumière] qui lui
donne sa forme. Cet objet vertical correspond, en l’occurrence, au degré des
Noms et des Attributs, et la Lumière est l’Etre qui se répand sur les
possibles.
Puis Dieu a répondu [dans la suite du verset] à la question : cette
illumination de la terre, des cieux et de toutes les créatures se produit-elle
directement ou par intermédiaire ? Doit-elle être comprise comme une
conjonction, une union ou un mélange ? Par le recours au symbole de la
niche, du verre et de la lampe, Il nous a fait savoir que cette illumination
s’opérait, sans union, mélange ni conjonction, par l’intermédiaire de la
Réalité muhammadienne (al-ḥaqīqa al-muḥammadiyya), laquelle est la
première détermination (al-ta‘ayyun al-awwal), l’Isthme des isthmes
(barzakh al-barāzikh) 132, le lieu de la théophanie de l’Essence et de
l’apparition de la Lumière des lumières. C’est cette Réalité
muhammadienne qui est désignée par le « verre ». Quant à la « niche », elle
représente la totalité des créatures — la Réalité muhammadienne exceptée,
car c’est du « verre », et par son intermédiaire, que se répand
perpétuellement la lumière. Quant à la « lampe », elle symbolise la lumière
existentielle et relative (al-nūr al-wujūdī al-iḍāfī) […] 133.
Dieu nous a informé ensuite que ce verre, par quoi la lumière parvient à
la niche, possède cette finesse, cette plénitude, cette pureté, cette aptitude à
recevoir la lumière et à la répandre sur la niche en raison de sa
prédisposition parfaite et insurpassable, au point qu’on a pu dire qu’à lui
s’appliquait ce distique de Ṣāḥib Ibn ‘Abbād 134 :
Sache que quiconque demande une chose qui lui est nécessaire parce
qu’il ne peut exister, subsister ou se manifester sans elle — que cette
demande soit formulée ou non — est « pauvre » à l’égard de cette chose. Si
celui qui la lui donne est Dieu, on dit qu’Il est le Bienfaiteur et le
Généreux ; si c’est une créature, on dit de cette créature qu’elle fait
l’aumône (fa-huwa mutaṣaddiq), mot qui se rattache étymologiquement à
ṣidq, « force » : car l’homme ne fait pas l’aumône et ne donne pas à autrui
sans se faire violence. En effet, comme Dieu l’a dit : « Les âmes sont
portées à l’avidité » (Cor. 4 : 128) ; « Ceux qui auront défendu leurs âmes
de l’avidité, à eux la félicité » (Cor. 59 : 9) […].
Allāh a accordé un bienfait à la substance en donnant l’existence à
l’accident sans lequel elle ne peut exister, de même qu’il a accordé un
bienfait à l’accident en donnant l’existence à la substance sans laquelle il ne
peut subsister. Il a accordé un bienfait aux Noms divins en existenciant
l’univers car ils ne peuvent se manifester que par lui et n’agir qu’en lui.
Ceux qui font l’aumône se répartissent en plusieurs groupes. Les uns
donnent à celui à qui ils font l’aumône par miséricorde pour lui mais aussi
avec l’espoir de la récompense promise par Allāh. Ceux-là ne font pas de
différence, dans leurs aumônes, entre le croyant et l’infidèle, entre celui qui
obéit à la Loi et celui qui l’enfreint, considérant que l’ordre a été donné à
l’homme de choisir librement le bénéficiaire de l’aumône 140.
Un second groupe, d’un rang plus élevé que le premier, comprend ceux
qui donnent aux bénéficiaire de l’aumône afin que sa forme individuelle
subsiste et continue à glorifier Allāh et à L’invoquer. Ils ne font aucune
différence, à cet égard, entre le croyant et l’infidèle, entre l’animal doué de
raison et celui qui ne l’est point — mieux encore : entre les animaux et les
végétaux. Car ce qu’ils considèrent, c’est le fait que toute forme, quelle
qu’elle soit, glorifie Allāh aussi longtemps qu’elle subsiste 141.
Il y a enfin un groupe plus élevé encore que tous les autres — et rares
sont ceux qui y appartiennent ! Il est constitué de ceux qui donnent au
bénéficiaire de leur aumône afin que perdure la manifestation des Noms
divins. Ces derniers ne peuvent en effet se manifester que par les formes
créées, et tout Nom dont le « minaret » est détruit, ses effets
disparaissent 142.
Mawqif 312.
IV
Il est cela…
« Dis : il m’a seulement été révélé que votre Dieu est un Dieu
unique »
(Cor. 21 : 108).
« Dis : je ne suis qu’un homme pareil à vous mais il m’a été révélé
que votre Dieu est un Dieu unique »
(Cor. 18 : 110).
Dans ces versets et dans d’autres analogues, Dieu s’adresse à tous ceux
à qui sont parvenues la révélation coranique ou les révélations antérieures
— juifs, chrétiens, mazdéens, idolâtres, manichéens et autres groupes
professant des croyances et des opinions variées à Son sujet — pour leur
faire savoir que leur Dieu est unique en dépit des divergences de leurs
doctrines et de leurs credo en ce qui Le concerne. Car Son essence est
unique ; et les divisions à Son sujet n’entraînent point de divisions en Sa
réalité essentielle. Toutes ces croyances qu’on professe sur Lui sont pour
Lui comme autant de noms. Or la multiplicité des noms n’implique pas
celle du Nommé ! Il possède un Nom dans toutes les langues, qui sont en
nombre infini, sans que cela affecte Son unicité.
Les versets qui précèdent font allusion à ce qu’enseigne l’élite — c’est-
à-dire les soufis —, à savoir l’Unicité de l’Etre (waḥdat al-wujūd) et le fait
qu’Il est l’essence de tout « adoré » et que, par suite, sous un certain
rapport, tout adorateur n’adore que Lui, ainsi que le prouve le verset
suivant : « Et ton Seigneur a décrété que vous n’adoreriez que Lui »
(Cor. 17 : 23) 143.
Dieu ayant décrété que tout adorateur n’adorerait que Lui, il est
impossible qu’un autre que Lui soit adoré puisque l’occurrence de quelque
chose qui serait contraire à Son décret est exclue. Ceux qui sont voués à la
perdition le sont donc seulement à raison de leur désobéissance aux ordres
et aux défenses qu’ont apportés les Envoyés d’Allāh car nul n’est un
infidèle sous tous les rapports 144.
Il est — qu’Il soit exalté ! — la réalité essentielle de tout ce dont
l’existence est concevable, imaginable ou perçue par les sens, l’Unique qui
ne se multiplie ni ne se divise. Il est à la fois tous les contraires et tous les
semblables ; et il n’y a rien d’autre que cela dans l’univers ! Il est à la fois
« le Premier et le Dernier, l’Apparent et le Caché » (Cor. 57 : 3) ; et il n’y a
rien d’autre que cela dans l’univers 145. Les lieux où Il se manifeste ne Le
limitent pas, les opinions et les croyances des anciens ou des modernes ne
Le contiennent pas. Ainsi qu’Il nous l’a fait savoir dans un ḥadīth
authentique 146, Il est conforme à l’opinion que se fait de Lui tout croyant et
à ce que dit de Lui la langue de tout locuteur : car l’opinion et la parole sont
Ses créations. Toute représentation qu’on se fait de Lui est réellement Lui,
et Sa présence dans cette représentation ne cesse pas même si celui qui se
Le représentait de cette manière se Le représente ensuite autrement : Il sera
présent également dans cette nouvelle représentation. Il est limité pour
quiconque Le croit et se Le représente limité, absolu pour celui qui Le croit
absolu, Il est substance ou accident, transcendant ou immanent. Il est pur
concept ou Se tient dans les cieux, ou sur la terre, et ainsi de suite,
conformément à chacune des innombrables croyances et doctrines.
Voilà pourquoi quelqu’un a dit : « Chaque fois que quelque chose te
vient à l’esprit au sujet d’Allāh — sache qu’Il est différent de cela ! » Ce
propos est lourd de sens dans l’ordre des vérités essentielles. S’il fut proféré
par un gnostique, ce dernier était digne de tenir ce langage. Si ce n’est pas
le cas, c’est qu’il arrive à Dieu de faire énoncer certaines vérités par des
gens qui n’en sont pas dignes, afin de les faire connaître à ceux qui en sont
dignes. Les théologiens qui affirment la transcendance absolue de Dieu par
voie spéculative — et non par conformité à la Loi sacrée — discutent entre
eux cette parole en pensant qu’elle est une preuve en faveur de leur notion
de la transcendance absolue. Or elle ne signifie pas du tout ce qu’ils
s’imaginent. Son sens véritable est que Dieu n’est pas contenu dans une
doctrine ou une croyance particulière mais qu’Il est, sous un certain rapport,
ce que dit quiconque parle de Lui et ce que croit tout croyant. Tout ce qui te
vient à l’esprit au sujet d’Allāh, de Son essence et de Ses attributs, sache
qu’Il est cela, et qu’Il est autre que cela ! Celui qui a tenu le propos que
nous avons rapporté ne voulait pas dire qu’Allāh n’est pas ce qui t’est venu
à l’esprit, mais qu’Il est cela et qu’en même temps Il est autre que cela pour
celui dont l’opinion diffère de la tienne. Allāh n’est pas limité par ce qui te
vient à l’esprit — entends par là ton credo — ou enfermé dans la doctrine
que tu professes. Pour l’auteur de cette parole, Allāh est autre que ce qui te
vient à l’esprit [non pas pour toi, mais] pour celui qui professe une croyance
différente de la tienne : l’une et l’autre sont en effet également valides. On
entend ici par « différence » tout ce qui est mutuellement incompatible,
qu’il s’agisse de l’incompatibilité des contraires, des opposés, des termes
divergents ou de celle des semblables — car les semblables eux aussi, chez
les logiciens, sont mutuellement incompatibles.
En conclusion : si ce que tu penses et crois est ce que disent les Gens de
la Sunna 147, sache qu’Il est cela — et autre que cela ! Si tu penses et crois
qu’Il est ce que professent et croient toutes les écoles de l’Islam —, Il est
cela, et Il est autre que cela ! Si tu penses qu’Il est ce que croient les
diverses communautés — musulmans, chrétiens, juifs, mazdéens,
polythéistes et autres —, Il est cela et Il est autre que cela ! Et si tu penses et
crois ce que professent les Connaisseurs par excellence — prophètes, saints
et anges —, Il est cela ! Il est autre que cela ! Aucune de Ses créatures ne
L’adore sous tous Ses aspects ; aucune ne Lui est infidèle sous tous Ses
aspects. Nul ne Le connaît sous tous Ses aspects ; nul le L’ignore sous tous
Ses aspects.
Ceux qui sont parmi les plus savants à Son sujet ont dit : « Gloire à Toi.
Nous n’avons aucune science, sinon ce que Tu nous a enseigné » (Cor. 2 :
32) 148.
Chacune de Ses créatures L’adore et Le connaît sous un certain rapport
et L’ignore sous un autre. Il n’a créé les créatures que pour qu’elles Le
connaissent et L’adorent. Tous Le connaissent donc nécessairement sous un
certain rapport et L’adorent sous ce même rapport. Dès lors, l’erreur
n’existe pas en ce monde, si ce n’est de manière relative. Mais, en dépit de
cela, quiconque s’écarte de ce qu’ont apporté les Envoyés va certainement à
la perdition ; et quiconque l’agrée est certainement sauvé. « Et Allāh
embrasse tout et Il est savant » (Cor. 2 : 115, 247, etc.). Il embrasse les
croyances de toutes Ses créatures, de même que les embrasse Sa
miséricorde. Il embrasse toute chose par Sa miséricorde et par Sa science
(Cor. 40 : 7). Il est le Glorieux, et aucune de Ses créatures ne peut Le
connaître comme Il Se connaît Lui-même, ni L’adorer selon ce qui convient
à Sa grandeur et à Sa majesté. Il est le Subtil, qui Se manifeste par cela
même par quoi Il Se cache, et Se cache par cela même par quoi Il Se
manifeste. Pas de dieu si ce n’est Lui ! Ô perplexité des perplexités ! Il
n’embrasse pas Lui-même Sa propre essence 149. Comment donc l’infirmité
des créatures pourrait-elle L’embrasser ?
Mawqif 254.
29
Ce que nous allons dire ici relève de l’allusion subtile (ishāra) et non de
l’exégèse (tafsīr) proprement dite 150.
Dieu prescrit aux muhammadiens de dire à toutes les communautés
appartenant aux « Gens du Livre » — chrétiens, juifs, sabéens et autres :
« Nous croyons en ce qui nous a été révélé », c’est-à-dire en ce qui s’est
épiphanisé à nous, à savoir le Dieu exempt de toute limitation, transcendant
dans son immanence même, plus encore : transcendant dans sa
transcendance même ; et qui en tout cela demeure pourtant immanent. « Et
en ce qui vous a été révélé », c’est-à-dire en ce qui s’est épiphanisé à vous
dans les formes conditionnées, immanentes et limitées. C’est Lui que Ses
théophanies manifestent à vous comme à nous. Les divers termes qui
expriment la « descente » ou la « venue » de la révélation 151 ne désignent
rien d’autre que des manifestations (ẓuhūrāt) ou des théophanies (tajalliyāt)
de l’Essence, de Son verbe ou de tel ou tel de Ses attributs. Allāh n’est pas
« au-dessus » de quiconque, ce qui impliquerait qu’il faut « monter » vers
Lui. L’Essence divine, Son verbe et Ses attributs ne sont pas localisables
dans une direction particulière d’où ils « descendraient » vers nous.
La « descente » et les autres termes de ce genre n’ont de sens que par
rapport à celui qui reçoit la théophanie et à son rang spirituel. C’est ce rang
qui justifie l’expression de « descente » ou les expressions analogues. Car le
rang de la créature est bas et inférieur alors que celui de Dieu est élevé et
sublime. N’eût été cela, il ne serait pas question de « descendre » ou de
« faire descendre » [la Révélation], et on ne parlerait pas de « montée » ou
d’« ascension », d’« abaisser » ou d’« approcher ».
C’est la forme passive [dans laquelle le sujet réel de l’action exprimée
par le verbe reste occulté] qui est employée dans ce verset car la théophanie
dont il s’agit ici se produit à partir du degré qui totalise tous les Noms
divins 152. De ces Noms ne s’épiphanisent, à partir de ce degré, que le nom
de la divinité (c’est-à-dire le nom Allāh), le nom al-Rabb (« le Seigneur »)
et le nom al-Raḥmān (« le Tout-Miséricordieux »). [Parmi les témoins
scripturaires de ce qui précède] Allāh a dit : « Et ton Seigneur viendra »
(Cor. 89 : 22), et, de même, on trouve dans une tradition prophétique :
« Notre Seigneur descend 153… » Allāh a dit encore : « Sauf si Allāh vient »
(Cor. 2 : 210), etc. Il est impossible qu’un des degrés divins s’épiphanise
avec la totalité des Noms qu’il renferme. Il manifeste perpétuellement
certains d’entre eux et en cache d’autres. Comprends !
Notre Dieu et le Dieu de toutes les communautés opposées à la nôtre
sont véritablement et réellement un Dieu unique, conformément à ce qu’Il a
dit en de nombreux versets : « Votre Dieu est un Dieu unique » (Cor. 2 :
163 ; 16 : 22 ; etc.) Il a dit aussi : « Il n’y a de dieu qu’Allāh » (wa mā min
ilāhin illa Llāhu, Cor. 3 : 62). Il en est ainsi nonobstant la diversité de Ses
théophanies, leur caractère absolu ou limité, transcendant ou immanent, et
la variété de Ses manifestations. Il S’est manifesté aux muhammadiens au-
delà de toute forme tout en Se manifestant en toute forme, sans que cela
entraîne incarnation, union ou mélange. Aux chrétiens, Il s’est manifesté
dans la personne du Christ et des moines, ainsi qu’Il le dit dans le Livre 154.
Aux juifs, Il s’est manifesté sous la forme de ‘Uzayr et des rabbis ; aux
mazdéens sous la forme du feu, et aux dualistes dans la lumière et la
ténèbre. Et Il s’est manifesté à tout adorateur d’une choses quelconque
— pierre, arbre ou animal… — sous la forme de cette chose : car nul
adorateur d’une chose finie ne l’adore pour elle-même. Ce qu’il adore, c’est
l’épiphanie en cette forme des attributs du Dieu vrai — qu’Il soit
exalté ! —, cette épiphanie représentant, pour chaque forme, l’aspect divin
qui lui correspond en propre. Mais [au-delà de cette diversité des formes
théophaniques], ce qu’adorent tous les adorateurs est un, leur faute
consistant seulement dans le fait de le déterminer limitativement [en
l’identifiant exclusivement à une théophanie particulière].
Notre Dieu, celui des chrétiens, des juifs, des sabéens et de toutes les
sectes égarées, est Un, ainsi qu’Il nous l’a enseigné. Mais Il S’est manifesté
à nous par une théophanie différente de celle par laquelle Il S’est manifesté
dans Sa révélation aux chrétiens, aux juifs et aux autres sectes. Plus encore :
Il S’est manifesté à la communauté muhammadienne elle-même par des
théophanies multiples et diverses, ce qui explique que cette communauté à
son tour comprenne jusqu’à soixante-treize sectes différentes 155, à
l’intérieur de chacune desquelles il faudrait encore distinguer d’autres
sectes, elles-mêmes variées et divergentes, ainsi que le constate quiconque
est familier avec la théologie. Or tout cela ne résulte de rien d’autre que de
la diversité des théophanies, laquelle est fonction de la multiplicité de ceux
à qui elles sont destinées et de la diversité de leurs prédispositions
essentielles. En dépit de cette diversité, Celui qui s’épiphanise est Un, sans
changement de l’éternité sans commencement à l’éternité sans fin. Mais Il
Se révèle à tout être doué d’intelligence à la mesure de son intelligence.
« Et Allāh embrasse toute chose, et Il est le Savant par excellence »
(Cor. 2 : 115).
Il y a donc en fait unanimité des religions quant à l’objet de l’adoration
— cette adoration étant co-naturelle à toutes les créatures, même si peu
d’entre elles en ont conscience — du moins en tant qu’elle est
inconditionnée, et non point quand on la considère sous le rapport de la
diversité de ses déterminations. Et nous, musulmans, ainsi qu’Il nous l’a
prescrit, sommes soumis au Dieu universel et croyons en Lui. Ceux qui sont
voués au châtiment ne le sont qu’en tant qu’ils L’adorent sous une forme
sensible exclusive de toute autre. Seule connaît la signification de ce que
nous disons l’élite de la communauté muhammadienne, à l’exclusion des
autres communautés 156. Il n’y a pas au monde un seul être — fût-il de ceux
qu’on appelle « naturalistes », « matérialistes » ou autrement — qui soit
véritablement athée. Si ses propos te font penser le contraire, c’est ta
manière de les interpréter qui est mauvaise. L’infidélité (kufr) n’existe pas
dans l’univers, si ce n’est en mode relatif. Si tu es capable de comprendre,
tu verras qu’il y a là un point subtil : à savoir que quiconque ne connaît pas
Dieu de cette connaissance véritable n’adore en réalité qu’un seigneur
conditionné par la croyance qu’il a à son sujet, et qui ne peut donc se
révéler à lui que dans la forme de sa croyance. Mais le véritable Adoré est
au-delà de tous les « seigneurs » !
Tout cela fait partie des secrets qu’il convient de celer à quiconque ne
suit pas notre voie. Prends garde ! Celui qui les divulgue doit être compté
parmi les tentateurs des serviteurs de Dieu ; et nulle faute ne peut être
imputée aux docteurs de la Loi s’ils l’accusent d’être un infidèle ou un
hérétique dont on ne peut accepter le repentir. « Et Dieu dit la Vérité, et
c’est Lui qui conduit sur la voie droite » (Cor. 33 : 4).
Mawqif 246.
30
De la docte ignorance
Cette parole [que Dieu place dans la bouche des polythéistes] est un cas
d’énonciation véridique formulée avec une intention mensongère. Elle
signifie en effet : « Si Allāh voulait que nous ne soyons pas des
associateurs, nous ne le serions pas ; et s’Il voulait que nous ne prohibions
rien de licite, nous ne le ferions pas. » Et cela est vrai. L’aspect mensonger
de cette énonciation véridique consiste, de leur part, à considérer que tout
ce que Dieu veut pour Ses serviteurs Le satisfait et Lui est agréable : et cela
est faux. Dieu veut pour Ses serviteurs ce que Sa science lui apprend à leur
sujet de toute éternité. Et ce que Sa science lui apprend à leur sujet de toute
éternité. Et ce que Sa science lui apprend à leur sujet de toute éternité, c’est
ce qu’exigent leurs réalités essentielles et que réclament leurs
prédispositions — que cela soit bien ou mal, croyance ou infidélité. Sa
volonté se conforme à Sa science, laquelle à son tour se conforme à son
objet 161 : or tantôt les objets de Sa science sont sur la voie droite et tantôt ils
sont du nombre des égarés, tantôt ils professent l’Unité divine et tantôt ils
sont polythéistes ; les uns sont voués au châtiment, les autres à la félicité,
les uns sont véridiques et les autres menteurs. Car les créatures sont les
lieux où se manifestent Ses noms et, parmi ces Noms, les uns impliquent la
Beauté et la Miséricorde — qui sont le lot des élus, les « Gens de la Poignée
droite » 162 —, tandis que d’autres Noms impliquent la Majesté et la Force
— qui sont le lot des damnés, les « Gens de la Poignée gauche ». Le fait
qu’Il veuille une chose n’est pas le signe qu’Il aime cette chose et qu’elle
Lui agrée : Il n’agrée pas l’infidélité de la part de Ses serviteurs et pourtant
Sa volonté est que beaucoup d’entre eux soient infidèles. Sa volonté est
seulement le signe que de toute éternité Il savait de science préalable ce
qu’Il veut et voudra éternellement et à jamais. Si tout ce qu’Il veut pour Ses
serviteurs était un bien, il s’ensuivrait que l’envoi des Messagers et la
promulgation des Lois sacrées seraient vains : or ces Lois nous sont venues,
apportant ordre et interdiction et discriminant entre la « Poignée droite » et
la « Poignée gauche ». N’a-t-il pas dit : « Certains d’entre eux sont voués au
malheur et certains à la félicité » (Cor. 11 : 106) ?
Ce qu’Allāh — qu’Il soit exalté ! — nous a rapporté [dans le verset qui
ouvre ce chapitre] au sujet des polythéistes 163 et de leur opinion selon
laquelle tout ce que veut Allāh pour Ses serviteurs est un bien représente
l’une des trois positions sur ce problème. Celle des gens de la Sunna est
qu’Il veut pour Ses serviteurs le bien comme le mal. Celle des mu‘tazilites
est qu’Il ne veut pour eux que le bien, et que le mal procède de leur volonté
et non de celle de Dieu 164.
Si Allāh — qu’Il soit exalté ! — dévoilait à l’un de Ses serviteurs d’élite
ce que Sa science connaît d’avance à son sujet — c’est-à-dire ce qu’exige le
« prototype immuable » de cet être (‘aynuhu al-thābita) —, alors il serait
juste et agréé de Dieu que ce serviteur dise : « J’ai fait ce que j’ai fait par la
volonté de Dieu et par Son ordre 165 » — ordre qui transcende les catégories
du bon et du blâmable. Aussi a-t-Il dit : « Détenez-vous donc une science ?
Eh bien montrez-la-Nous ! » (Cor. 6 : 148), ce qui signifie : détiendriez-
vous donc une science au sujet de ce qu’impliquent vos prédispositions
essentielles ? Vos « prototypes immuables » vous auraient-ils été dévoilés ?
N’auriez-vous donné des associés à Dieu, prohibé ce que vous avez
prohibé, fait ce que vous avez fait, qu’après que Dieu vous eut dévoilé Sa
volonté à votre sujet — cette volonté étant elle-même subordonnée à [ce
qu’Il savait de vous dans] Sa science ? Le secret du Décret divin, qui est la
cause des causes, relève de cette Science. Comme ce que professaient les
polythéistes n’était pas de cette nature, et qu’ils n’avaient agi comme ils
l’avaient fait que sur la base d’une simple opinion, Allāh leur a dit : « Vous
avez seulement suivi une opinion » (Cor. 6 : 148), c’est-à-dire : vous n’avez
commis le péché d’associationnisme et prohibé ce que vous avez prohibé
que sur la base d’une opinion. Or l’opinion est le plus menteur des discours
car elle procède de suggestions psychiques que le démon inspire à ses
amis 166. Le cas de ces polythéistes étant tel qu’Allāh nous en informe, ils ne
peuvent invoquer comme preuve à leur décharge le fait qu’Allāh voulait
qu’ils soient polythéistes et qu’ils mentent à Son sujet en prohibant ce qu’ils
prohibaient indûment. Mais c’est Allāh qui, au contraire, détient une preuve
contre eux, et voilà pourquoi Il a dit : « Dis : à Allāh appartient la preuve
décisive » (Cor. 6 : 149) — sous-entendu : contre vous, au sujet de votre
polythéisme et de toutes vos désobéissances à Ses ordres et à Ses
interdictions. Car Il n’a voulu pour vous que ce que réclamaient vos
prototypes immuables par la « langue de leurs états » 167. Allāh, étant le
Généreux par excellence, ne rejette pas la demande des prédispositions
essentielles, ou, en d’autres termes, les exigences des Noms et des aspects
divins particuliers qui constituent les réalités principielles dont les créatures
tiennent leurs réalités. Ainsi donc, Il ne les a jugés que par eux-mêmes et à
partir d’eux-mêmes. Ou pour mieux dire : vous êtes vous-mêmes vos
propres juges. Et le juge est contraint de juger toute affaire selon ce
qu’impose la nature de cette affaire.
Mawqif 236.
32
Du mal
Il est rapporté dans le Ṣaḥīḥ 168 que le Prophète — sur lui la Grâce et la
Paix ! — a dit : « Celui d’entre vous qui constate un mal, qu’il s’y oppose
par la force (littéralement : “par sa main”) ; s’il ne le peut, qu’il s’y oppose
par la parole ; et s’il ne le peut, qu’il s’y oppose par son cœur — c’est là le
moindre de ce qu’exige la foi 169. »
C’est au sultan et aux détenteurs de l’autorité, lesquels ont été institués
précisément à cette fin, qu’il revient de s’opposer au mal par la force.
L’opposition par la parole appartient aux docteurs de la Loi dont la science
est reconnue et qui la manifestent en public. S’opposer au mal par son cœur
est enfin ce qui convient au commun des croyants dès lors qu’ils savent
reconnaître ce qui est mal, et cela consiste à réprouver en son for intérieur
les actes ou les propos que la religion interdit. Cela, pour le croyant
ordinaire, fait partie de sa foi en la révélation muhammadienne.
Quant à celui qui n’appartient à aucun de ces trois groupes, c’est-à-dire
celui qui [en tout acte] contemple le seul Agent véritable, cette obligation
ne lui incombe pas. L’opposition au mal par la force, de la part des
détenteurs de l’autorité, ou par la parole, de la part des docteurs, comporte
un profit pour la communauté et pour celui qui commet le mal.
L’opposition au mal par le cœur, elle, ne profite qu’au croyant ordinaire lui-
même, en ce qu’elle renforce sa foi par la conviction que le mal est interdit
et prévient ainsi toute inclination à l’accomplir à son tour. Mais le fait de ne
pas s’opposer en son cœur au mal n’entraîne pas ipso facto la ruine d’un des
piliers de la Loi sacrée et n’a pas pour effet de rendre licite ce qui est
illicite.
L’Imām des gnostiques, le shaykh Muḥyī l-Dīn, a dit, à propos du secret
des nombres : « Lorsque l’homme combat sa propre passion, qu’il donne la
prééminence au nombre pair sur le nombre impair » — c’est-à-dire : qu’il
privilégie la contemplation simultanée du Seigneur et du serviteur sur
l’« impair », qui est la contemplation du Seigneur seul — « et lorsqu’il
combat la passion des autres, que l’autorité de l’impair l’emporte sur celle
du pair » — c’est-à-dire : qu’il privilégie la contemplation du Seigneur seul,
attestant ainsi l’Unicité divine 170. L’un des gnostiques a dit aussi : « Celui
qui regarde les pécheurs du regard de la Loi les hait ; celui qui les regarde
par l’œil de la Vérité essentielle les excuse. »
Celui qui parvient à la véritable connaissance de l’Unicité divine et sait
le sens de la Parole : « Allāh vous a créés, vous et ce que vous faites »
(Cor. 37 : 96) ; « Ils n’ont de pouvoir sur rien de ce qu’ils ont acquis »
(Cor. 2 : 264) ; « Ce n’est pas vous qui les avez tués, mais c’est Allāh qui
les a tués » (Cor. 8 : 17) ; « Vous ne voulez pas sans qu’Allāh veuille »
(Cor. 76 : 30) ; « N’est-ce pas à Lui qu’appartiennent la création et le
commandement ? » (Cor. 7 : 54) ; « Dis : Toute chose procède d’Allāh »
(Cor. 4 : 77), ainsi que d’autres versets qui indiquent que Dieu seul agit
— celui, donc, qui sait cela, d’une science fondée sur l’expérience
spirituelle (dhawq) et sur la vision directe (shuhūd), et non sur
l’imagination et sur la conjecture, celui-là sait que les créatures ne sont rien
d’autre que les réceptacles des actes, des paroles et des intentions que Dieu
crée en elles, et sur lesquels elles sont sans pouvoir, même si, d’autre part,
Dieu les interpelle, leur impose des obligations, leur donne des ordres.
Dans ces conditions, il n’y a pas lieu pour l’homme de défendre
jalousement les droits de Dieu ou les siens propres, à moins qu’il ne soit du
nombre de ceux qui détiennent le pouvoir et l’autorité, ou des savants
exotériques qui se font connaître publiquement comme tels, ou encore qu’il
appartienne au commun des croyants : dans ces cas, il s’efforcera de
s’opposer au mal par conformité et soumission à l’ordre du Législateur, en
raison du profit que ce dernier lui a dit se trouver en cela. Mais s’il
n’appartient pas à l’un des trois groupes, s’opposer au mal revient pour lui à
associer à Dieu autre que Lui et à nier l’Unicité divine. L’Unicité divine
exclut, en effet, l’opposition au mal par le cœur puisqu’elle exclut
l’attribution de l’acte à son agent [apparent]. Il n’est pas d’être qui puisse
« s’opposer » puisqu’une seule et même Réalité est l’unique Agent de tous
les actes qui sont attribués aux créatures. S’il y avait un agent autre que
Dieu, il n’y aurait plus d’Unicité divine. Ce qui provoque l’opposition au
mal par le cœur, c’est l’existence de l’acte, or il n’y a pas d’Agent [à cet
acte], si ce n’est Dieu.
Cette question 171 est l’une de celles que les initiés jugent les plus
difficiles. Mais le gnostique qui possède le sens des convenances
spirituelles sait distinguer les lieux et les circonstances et ce que chacun
d’eux impose comme obligation : et à chaque lieu, comme à chaque
moment, il rend son dû.
Mawqif 133.
34
L’entrée [des fils de Jacob dans la ville] « de la façon que leur père leur
avait prescrite » signifie leur entrée par des portes différentes. Elle « ne les
rendait en rien indépendants d’Allāh », c’est-à-dire que cette précaution ne
pouvait contrarier l’effet du décret prééternel à leur sujet. Jacob — sur lui la
Paix ! — ne l’ignorait pas mais désirait enseigner à ses enfants le sens des
convenances spirituelles et les faire progresser jusqu’à la cime de la
perfection. Or cela est aussi incompatible avec le recours aux causes
secondes et la confiance exclusive en elles qu’avec leur abandon pur et
simple. S’en remettre totalement aux causes secondes revient à nier la
Toute-Puissance divine — or l’un des Noms d’Allāh est « le Tout-
Puissant » (al-qādir) ; et les abandonner entièrement revient à nier la
Sagesse divine — or Il s’appelle aussi « le Sage » (al-ḥakīm), et s’Il a choisi
d’établir des causes secondes et de voiler derrière elles Sa toute-puissance,
ce n’est pas en vain.
La manière de faire de Jacob diffère de la pratique habituelle des
maîtres de la Voie. Ces derniers, en effet, prescrivent d’abord au disciple de
renoncer complètement aux causes secondes, et cela afin qu’il s’établisse
fermement dans la station de la Confiance absolue en Dieu (tawakkul). Puis,
lorsqu’il y est fermement établi, le maître le renvoie, quant à son
comportement extérieur, vers le recours aux causes secondes tandis que son
cœur demeure avec le Causateur des causes 173. Cette méthode s’impose en
raison de la faiblesse du disciple et de son éloignement de la lumière de la
Prophétie, contrairement à ce qu’il en est pour les fils de Jacob : car ils sont
[en vertu de leur filiation] une part de la Prophétie et ce qui est difficile
pour d’autres ne l’est pas pour eux. Voilà pourquoi Jacob leur a prescrit à la
fois de recourir à une cause seconde et de faire absolument confiance à
Dieu seul, ce qui est l’attitude la plus parfaite. Il leur a donc dit d’« entrer
par des portes différentes » — cette précaution constituant le recours à une
cause seconde — tout en leur ordonnant de ne mettre leur confiance qu’en
Dieu et de ne s’appuyer que sur Lui à l’exclusion de la cause seconde : « La
décision n’appartient qu’à Allāh ; c’est à Lui seul que je m’en remets ; qu’à
Lui seul s’en remettent les Confiants ! » (Cor. 12 : 67).
Tel était le besoin intérieur que Jacob a satisfait. Les Connaisseurs par
Allāh — et a fortiori les prophètes — sont en effet les plus miséricordieux
des êtres à l’égard des autres créatures, et surtout de leurs proches parents,
qui sont les plus dignes d’être bien traités. Aussi Dieu ordonna-t-il à son
Envoyé Muḥammmad — sur lui la Grâce et la Paix ! — de commencer son
apostolat en s’adressant d’abord à ses proches : « Et avertis ta proche
parentèle » (Cor. 26 : 214). Le Prophète monta donc sur la colline de Ṣafā et
appela successivement à l’Islām sa fille, puis son oncle paternel, puis les
Banū ‘abd Manāf, puis les tribus qurayshites.
Après avoir raconté l’histoire de Jacob et de ses fils, Allāh a loué dans
ce verset la science de Jacob — et il n’est pas de louange plus haute, car la
science est le plus élevé des degrés — réfutant par là ce que s’imaginent les
esprits faibles, pour qui pratiquer extérieurement la confiance en Dieu vaut
mieux que de la pratiquer intérieurement sans cesser de recourir
extérieurement aux causes secondes ; opinion fallacieuse qui prévaut chez
la plupart des hommes. « Mais la plupart des hommes ne savent point ! »
Puis Allāh a accordé à Jacob un honneur supplémentaire en précisant
que sa science ne procède pas du raisonnement et de la réflexion et qu’il ne
l’a pas non plus reçue d’une autre créature, mais que Lui-même l’a instruit.
« Mais la plupart des hommes ne savent point » qu’Allāh prend Lui-même
en charge l’enseignement de certains de Ses serviteurs, et que la science
qu’Il enseigne est la seule véritable : car elle est la Science immuable que
nul doute n’ébranle et que nulle incertitude n’atteint.
Mawqif 269.
35
Du retour à Dieu
« Si, lorsqu’ils ont été injustes envers eux-mêmes, ils venaient vers
toi et demandaient pardon à Allāh et que l’Envoyé demandait pour
eux pardon, ils trouveraient Allāh accueillant à leur repentir
(tawwāban) et Très-Miséricordieux (raḥīman) »
(Cor. 4 : 64) 174.
DU PROPHÈTE
36
De l’imitation du Prophète
J’ai aimé étudier les ouvrages des maîtres spirituels — qu’Allāh soit
satisfait d’eux ! — dès ma jeunesse, alors que je ne suivais pas encore leur
voie. Il m’arrivait, au cours de cette étude, de tomber sur des propos,
émanant des plus grands d’entre eux, qui me faisaient dresser les cheveux
sur la tête et oppressaient mon âme, malgré ma foi en leurs paroles selon la
signification qu’ils avaient voulu leur donner : car j’étais certain de leur
sens parfait des convenances spirituelles et de leurs vertus éminentes. Tel
était le cas, par exemple, pour cette phrase de ‘Abd al-Qādir al-Jīlī 190 : « Ô
vous les Prophètes ! c’est à vous que le titre honorifique a été conféré, mais
il nous a été donné à nous quelque chose qui ne vous a pas été donné ! » Ou
encore pour ce propos d’Abū l-Ghayth b. Jamīl 191 : « Nous avons plongé
dans une mer sur le rivage de laquelle les prophètes se sont arrêtés 192 ! » Ou
bien ce propos de Shiblī disant à son disciple : « Attestes-tu que je suis
Muḥammad l’Envoyé d’Allāh ? » A quoi le disciple répondit : « J’atteste
que tu es Muḥammad l’Envoyé d’Allāh » 193.
Tout ce qu’ont écrit ceux qui ont entrepris d’interpréter de telles paroles
ne suffisait pas à apaiser mon âme. Il en fut ainsi jusqu’au moment où Dieu
me fit la grâce de séjourner à Médine — qu’elle soit bénie 194 ! Un jour que
j’étais en retraite (khalwa), tourné vers la qibla, invoquant Allāh, Il me ravit
au monde et à moi-même ; puis Il me renvoya et voici que je disais, sur le
mode déclaratif et non sur le mode narratif : « Si Mūsā b. ‘Imrān (= Moïse)
était vivant, il ne pourrait faire autrement que de me suivre 195. » Je sus alors
que cette parole faisait partie de ce qui subsistait en moi du rapt extatique
que je venais d’éprouver : je m’étais « éteint » dans l’Envoyé d’Allāh et,
dans ce moment, je n’étais plus untel, j’étais Muḥammad — sur lui la Grâce
et la Paix ! S’il n’en avait pas été ainsi, je n’aurais pu tenir ce propos qu’en
mode narratif, c’est-à-dire en le rapportant comme venant du Prophète.
La même chose m’arriva, un autre jour, avec cette autre parole du
Prophète : « Je suis le chef des fils d’Adam, et je le dis sans me vanter. »
C’est ainsi que m’apparut la manière dont on doit interpréter les propos des
maîtres — j’entends par là que mon propre cas me servit de modèle et
d’exemple, et non que je compare mon état spirituel au leur 196, loin de là !
Loin de là ! Loin de là ! Leur station est plus haute et plus glorieuse, leur
état plus complet et plus parfait !
C’est cette explication qu’énonce ‘Abd al-Karīm al-Jīlī 197 lorsqu’il
écrit : « Lorsque deux êtres se rencontrent dans une des stations spirituelles
parfaites, chacun d’eux devient identique à l’autre dans cette station. Celui
qui sait de quoi nous parlons comprend le sens de la parole de Ḥallāj et
d’autres que lui 198. »
Avant que ne jaillisse de moi la parole que j’ai rapportée, alors que
j’étais tourné vers le Noble Jardin 199 au cours de la troisième nuit du mois
de ramaḍān, un état spirituel accompagné de larmes survint. Allāh projeta
dans mon cœur une parole que le Prophète m’adressait en me disant :
« Réjouis-toi à cause d’une victoire 200 ! Deux nuits plus tard, j’invoquais
Allāh quand le sommeil me prit. J’eus une vision dans laquelle la noble
personne du Prophète se confondait avec la mienne au point que nous étions
devenus un seul être : je me regardais et je le voyais, lui, devenu moi. Pris
d’effroi et de joie à la fois, je me levai, fis une ablution et entrai dans la
mosquée pour saluer le Prophète — que la Grâce et la Paix soient sur lui !
Je revins ensuite dans ma retraite et je me mis à invoquer Allāh.
Dieu m’arracha alors à moi-même et au monde, puis me renvoya après
avoir projeté sur moi Sa parole : « Maintenant, tu es venu avec la Vérité »
(Cor. 2 : 71). Je sus que cette projection était une confirmation de ma
vision.
Un jour après, Dieu me ravit à moi-même comme à l’accoutumée et
j’entendis une voix qui disait : « Regarde ce que J’ai caché afin que tu sois
cela » (unẓur mā aknantuhu ḥattā kuntahu) en employant littéralement cette
forme assonancée et bénie. Je sus que cette parole confirmait la vision
précédente — Dieu en soit loué !
Or Dieu m’a enjoint de proclamer les grâces que j’ai reçues de Lui par
l’ordre de portée générale qu’Il a donné au Prophète : « Et quant à la grâce
de ton Seigneur, annonce-la ! » (Cor. 93 : 11). En effet, tout ordre qu’Il
adresse au Prophète est un ordre pour sa communauté à l’exception de ce
qui, sans le moindre doute, le concerne exclusivement. Mais Dieu m’a en
outre donné cet ordre de manière particulière à plusieurs reprises au moyen
de ce noble verset : « Et quant à la grâce de ton Seigneur, annonce-la 201 ! »
Mawqif 13.
38
De l’abandon à Dieu
Sache que celui qui, de ces deux ḥadīth-s, conclut que le Prophète
ignorait que la fertilisation est habituellement profitable au palmier selon ce
qu’Allāh a disposé dans Sa sagesse et Sa générosité, celui-là est loin de la
vérité. Si toutefois celui qui tient ce langage est d’entre les hommes
spirituels, sans doute veut-il dire autre chose. Car, comment les Envoyés
pourraient-ils être ignorants à ce point des affaires de ce bas-monde ?
Muḥammad a grandi en Arabie, c’est-à-dire au pays des palmiers, à
l’endroit par excellence où l’on sait les cultiver et les fertiliser. Une telle
conclusion à son sujet est donc absurde ! En outre la science du Prophète
est, pour une part, puisée aux sciences du Calame et de la Table 204, qui
incluent précisément la connaissance des affaires de ce bas-monde, de leurs
causes et de leurs effets — cela me fut inspiré hier dans une vision entre
veille et sommeil.
Mais le Prophète — sur lui la Grâce et la Paix ! — savait à quel point
les Arabes s’appuyaient sur les causes secondes. Or les musulmans étaient
alors fraîchement sortis du paganisme et de l’adoration des idoles. Il a donc
voulu leur enseigner que les causes secondes n’ont point, par elles-mêmes,
d’efficace, et que Dieu est le seul Agent, que les causes secondes soient
présentes ou non. Il leur dit donc : « Si vous vous absteniez, cela vaudrait
mieux ! », pensant que, s’ils abandonnaient le recours à une cause seconde
— en l’occurrence la fertilisation —, Dieu accomplirait un miracle 205 et que
les palmiers seraient améliorés sans intervention de la fertilisation ; après
quoi Il renverrait les musulmans à la pratique des causes secondes : ainsi
atteindraient-ils la station de l’abandon à Dieu (tawakkul), laquelle consiste
à s’appuyer exclusivement sur Lui, en la présence aussi bien qu’en
l’absence des causes secondes, et non pas à croire qu’il vaut mieux faire
confiance à Dieu [et s’abstenir d’agir] que de recourir extérieurement aux
causes secondes tout en s’appuyant intérieurement sur Dieu.
C’est pourquoi le Prophète n’ordonna pas catégoriquement aux
musulmans d’abandonner tout recours aux causes secondes. Il serait
inconcevable, en effet, qu’il défendît totalement de recourir à elles alors
qu’elles ont leur place dans l’économie de la Sagesse divine, et que nous ne
trouvons jamais rien qui soit dépourvu d’une cause. Les causes secondes
sont exigées par la Sagesse divine et c’est Dieu qui les a instituées. Les
dénier serait pure ignorance, et cette ignorance au sujet de Dieu est
inconcevable s’agissant du Prophète.
S’il a dit « je ne suis qu’un homme, etc. » dans le premier ḥadīth et « je
ne suis qu’un homme pareil à vous, etc. » dans le second, c’est parce qu’ils
n’avaient pas compris ce qu’il voulait d’eux et, d’autre part, s’imaginaient
que tout ce que disait le Prophète était une révélation (waḥy) de la part
d’Allāh et un enseignement venu de Lui. Il leur a donc expliqué qu’il est
homme et prophète : tout ce qui, dans ses paroles, se rapporte aux
commandements et aux interdictions, à l’institution de la Loi, aux annonces
divines, tout cela fait partie de la révélation qu’il a reçu ordre de
transmettre ; et tout ce qui se rapporte à la discipline spirituelle, au
gouvernement des âmes et à la montée vers les stations de la perfection
vient de lui-même — sur lui la Grâce et la Paix ! Il leur a ainsi appris qu’ils
ne devaient pas considérer tout ce qu’il disait ni comme appartenant
toujours à la Révélation, ni comme procédant toujours de lui-même.
Il a été envoyé vers tous les hommes sans exception, Blancs ou Noirs. Il
parle à chacun selon sa prédisposition et l’instruit selon sa capacité, le
gouverne de la manière qui lui sera profitable. Il s’adresse aux grands et aux
humbles ; au roi et à ses sujets, au savant et à l’ignorant, à l’intelligent et au
sot, il plaisante avec l’enfant, le vieillard ou la femme. Dans tout ce qu’il
ordonne ou interdit par ordre divin, ou enseigne de la part d’Allāh, il est
prophète ; et dans ce qui se rapporte au gouvernement de sa communauté, à
son éducation, à son organisation, il est homme et ce qu’il dit vient de lui
— mais en vertu d’un mandat général que Dieu lui a accordé.
Les maîtres soufis se sont inspirés de cet exemple dans leur façon de
former leurs disciples. Ils commencent par les faire renoncer aux causes
secondes, considérant que celui qui entre dans la voie ne pourra vraiment
atteindre la station de l’abandon à Dieu — au point où cet abandon devient
pour lui un état permanent — en s’adonnant en même temps aux causes
secondes. Puis, lorsque les disciples s’affermissent, leurs maîtres les
autorisent de nouveau à recourir aux causes secondes tout en ne s’appuyant
intérieurement que sur Dieu seul, ce qui correspond à la station des parfaits
d’entre les prophètes et d’entre les saints. Le recours aux causes secondes
conjoint à la confiance exclusive en Dieu est unanimement recommandé, et
il est même jugé obligatoire chez certains des maîtres.
Cette histoire présente une différence avec celle de Jacob — sur lui la
Grâce et la Paix ! — lorsqu’il dit à ses fils : « N’entrez pas par une seule
porte, etc. » (Cor. 12 : 67), car Jacob leur enseigne en une seule fois à
utiliser les causes secondes et à faire exclusivement confiance à Dieu. La
raison en est la force de leur lumière intérieure et leur participation à la
prophétie sans intermédiaire 206.
Mawqif 278.
39
Tout être est mon être ; je suis le Seul, je suis l’Unique 218.
Notes
Notes de l’introduction
‘Abd al-Hādī, 1.
‘Abd al-Qādir al-Jilānī [ou al-Jīlī], 1, 2, 3, 4.
Abraham (Ibrāhīm), 1, 2, 3.
Abū I-Ghayth b. Jamīl, 1, 2.
Abū ‘Iqāl al-Maghribī, 1.
Abu-Manneh (B.), 1.
Abū Yazīd al-Bisṭāmī, 1, 2.
Adam, 1, 2.
‘Adam, 1.
‘Afifi, 1.
‘Afw, 1.
‘Ahd, 1.
Ahl al-bayt, 1.
‘Ālam al-arwāḥ, 1.
‘Ālam al-ghayb, 1, 2, 3.
‘Ālam al-shahāda, 1, 2.
Algar (H.), 1.
‘Alī b. Abī Ṭālīb, 1, 2.
‘Amā (al-), 1.
Amr, 1.
Amr al-muḥkam (Kitāb al-), 1.
Āmulī (Ḥaydar), 1.
‘Aql al-awwal (al-), 1.
‘Arabī al-Darqāwī (shaykh al-), 1.
Arberry, 1.
‘Arḍ, 1, 2.
Asin Palacios, 1, 2.
‘Aṭṭār (Farīd al-dīn), 1.
‘Aṭṭār (Salīm al-), 1.
‘Aṭṭār (‘Umar al-), 1.
Austin, 1.
‘Ayn, a‘yān, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10.
‘Ayn Māḍī, 1.
‘Ayn al-yaqīn, 1, 2, 3.
Azan (P.), 1.
Calame, 1, 2.
Chevallier (Jacques), 1.
Chittick (W.), 1.
Christ [voir aussi Jésus], 1.
Churchill (Ch.-H.), 1, 2, 3.
Corbin (H.), 1, 2.
Eckhart, 1, 2.
Emerit (M.), 1.
Étienne (Bruno), 1.
Fanā’, 1, 2, 3.
Faqr, 1, 2.
Fārābī, 1.
Farḍ, 1.
Farq, 1, 2.
Fatḥ, 1, 2.
Fātiḥa, 1.
Fayḍ, 1, 2.
Fir‘awn, 1, 2.
Furqān, 1.
Fuṣūṣ al-ḥikam, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8-9, 10, 11, 12-13, 14,
15, 16, 17.
Futūḥāt Makkiyya, 1, 2, 3, 4-5, 6, 7, 8, 9, 10, 11-12, 13,
14, 15-16, 17-18.
Ghafr, 1.
Ghayn, 1.
Ghazālī, 1, 2.
Ghazāwī (‘A.), 1.
Ghujdawānī, 1.
Gilson (E.), 1.
Gimaret (D.), 1.
Gril (D.), 1, 2.
Guénon (R.), 1.
Gūmūshkhanevī, 1, 2, 3.
Gūndūz (I.), 1.
Habart (M.), 1, 2.
Ḥadā’iq al-wardiyya (Kitāb al-), 1, 2, 3, 4, 5.
Hakīm (Su‘ād al-), 1.
Ḥallāj, 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Hamadānī (‘Ayn al-Quḍāt), 1.
Ḥaqīqa, ḥaqā’iq, 1, 2, 3, 4, 5.
Ḥaqq al-yaqīn, 1, 2.
Ḥaqqī (Mamdūḥ), 1.
Ḥaramayn (Imām al-), 1, 2.
Harris (R. Terri), 1.
Hārūn [Aaron], 1.
Hayūlā, 1.
Ḥirā’, 1.
Hourani (A.), 1.
Ḥusam al-dīn, 1.
Ḥusaynī, 1.
Ḥuḍūr, 1, 2.
Ḥulūl, 1.
Huwa, 1, 2, 3, 4, 5.
Huwiyya, 1.
Ibāḥa, 1.
Ibn ‘Abbād, 1, 2.
Ibn ‘Abbās, 1, 2.
Ibn ‘Arabī (al-shaykh al-akbar Muḥyī l-dīn), 1-2, 3-4, 5, 6, 7, 8,
9, 10, 11, 12, 13-14, 15-16, 17-18.
Ibn ‘Aṭā Allāh, 1, 2, 3.
Ibn Ḥibbān, 1, 2.
Ibn Ḥiṭṭān, 1.
Ibn Jāmi‘ (Abū I-Ḥasan b. ‘Abdallāh), 1.
Ibn al-Khatīb (‘Abd al-Laṭīf), 1.
Ibn Sab‘īn, 1.
Ibn Taymiyya, 1, 2, 3.
Ijāza, 1.
Ijtinān, 1.
Ilāh, 1.
‘Illaysh (‘Abd al-Raḥmān), 1, 2, 3.
‘Illaysh (Muḥammad), 1, 2.
‘Ilm al-yaqīn, 1, 2.
Ilqā, 1.
Imtizāj, 1.
Inḥilāl, 1.
Insān kāmil, 1, 2.
Inshā al-dawā’ir, 1.
‘Iqd al-jawhar al-thamīn, 1.
Irshād al-murīdīn (Kitāb), 1.
Istanbul, 1.
Isti‘ādha, 1.
Isti‘dād, 1, 2, 3, 4.
Iṣṭilāh al-Sūfiyya, 1-2, 3, 4.
Istitār, 1.
Ittiḥād, 1, 2.
‘Izzet Pāshā, 1, 2.
Izutsu (T.), 1.
Jabal al-Nūr, 1.
Jabartī (Isma‘īl), 1.
Jabre (F.), 1.
Jabriyya, 1.
Jacob (Ya‘qūb), 1-2, 3, 4, 5, 6.
Jadhb, jadhba, 1, 2, 3, 4, 5.
Jam‘, 1, 2, 3.
Jamal al-dīn al-‘Abbāsī, 1.
Jawāb mustaqīm, 1, 2.
Jawāmi ‘al-kalim, 1.
Jésus [voir aussi Christ], 1.
Jihād, 1.
Jilānī (‘Abd al-Qādir al-) ou al-Jīlī.
Jīlī (‘Abd al-Karīm), 1, 2, 3, 4, 5.
Jong (F. De), 1
Joseph [Yūsuf], 1.
Jūda Ibrāhīm (shaykh), 1.
Julien (Ch.-A.), 1.
Jurjānī, 1, 2.
Juwaynī, 1.
Kāfir, 1.
Kahn (Ch.-H.), 1.
Kalima, Kalimār, 1.
Kasb, 1.
Kashf, 1, 2, 3.
Khaḍir, 1, 2.
Khālid (shaykh), 1, 2, 3, 4, 5.
Khālidī (Aḥmad b. Sulaymān), 1.
Khalq jadīd, 1, 2.
Khānī (‘Abd al-Majīd), 1, 2, 3.
Khānī (Muḥammad al-), 1, 2, 3, 4.
Kharrāz (Abū Sa‘īd al-), 1, 2.
Khatm al-awliyā’ (Kitāb), 1, 2.
Khawam (R.), 1.
Khayāl muṭlaq, 1.
Khilāfa, 1.
Khirqa, 1, 2, 3, 4.
Kufr, 1, 2, 3.
Kūhan (Ḥasan al-), 1.
Kunh mā lā budda… (Kitāb), 1.
Labīd, 1.
Lām-Alif, 1-2, 3.
Lings (M.), 1.
Ma‘būd, 1.
Madanī (Muḥammad al-), 1.
Ma‘dūm, 1, 2.
Maghfira, 1.
Majdhūb, 1.
Malā’ al-a’lā (al-), 1.
Malakūt, 1, 2.
Ma’lūh, 1.
Man‘arafa nafsahu…, 1.
Marbūb, 1.
Ma‘rūf, 1.
Mashī’a, 1.
Massignon, 1, 2, 3, 4, 5.
Mastūr, 1.
Māturīdī, 1.
Mawjūd, 1, 2, 3, 4.
Médine, 1, 2, 3.
Mecque (La), 1-2.
Miftāḥ al-ghayb, 1.
Miqraḍ al-ḥādd (al-), 1, 2.
Mishkāt al-anwār [Ghazālī], 1.
Mishkāt al-anwār [Ibn ‘Arabī], 1.
Mīthāq, 1.
Moïse [Mūsā], 1, 2, 3, 4.
Monteil (V.), 1.
Mubāya’a, 1.
Mudarris (‘Abd al-Karīm), 1.
Muḥammad b. al-amīr ‘Abd al-Qādir, 1, 2.
Muḥammad al-Fāsī, 1, 2.
Muhayyamūn (al-), 1.
Muḥyī I-dīn [père de l’émir], 1.
Mulk, 1, 2.
Munkar, 1.
Murābiṭ (Jawād), 1, 2.
Murād, 1, 2, 3.
Murcie, 1.
Murīd, 1, 2.
Murtaḍā al-Zabīdī, 1, 2, 3, 4.
Muṣṭafā [grand-père de l’émir], 1.
Nafas al-Raḥmān, 1.
Nafi, 1.
Naqshband (Bahā al-dīn), 1.
Naqshbandiyya, 1, 2, 3.
Nasab al-khirqa (Kitāb), 1.
Niffarī, 1, 2.
Nubuwwa, 1.
Nwyia (P.), 1, 2.
Nyberg, 1, 2.
Ohod, 1.
Pau, 1.
Qabḍ, 1, 2, 3.
Qaḍā, 1.
Qādiriyya, 1.
Qalb, 1.
Qāshānī, 1, 2, 3.
Qāsimī (Muḥammad Sa‘īd), 1.
Qayrawānī (Ibn Abī Zayd al-), 1.
Qayṣarī, 1.
Qibla, 1, 2, 3, 4, 5.
Qubā, 1.
Qūnawī, 1, 2, 3, 4.
Qur’ān, 1.
Qurb al-farā’iḍ, 1, 2.
Qurb al-nawāfil, 1, 2.
Qushshāshī, 1.
Rabb, 1.
Rakhāwi (M.), 1.
Risāla fi l-aḥadiyya, 1.
Risālat al-anwār, 1.
Risāla qushayriyya, 1.
Riyāḍ al-Māliḥ, 1, 2.
Roches (L.), 1, 2, 3, 4.
Rosetty (V.), 1.
Rubūbiyya, 1.
Rūḥ al-rūḥ, 1.
Ruḥāniyya, 1, 2, 3.
Ruspoli (S.), 1.
Table, 1, 2.
Tadbīrāt ilāhiyya, 1.
Tafna, 1, 2.
Tafsīr, 1, 2.
Taftāzānī (Abū I-Wafā), 1, 2.
Taḥaqquq, 1.
Taḥqīq, 1, 2.
Taïf, 1.
Tajallī, tajalliyāt, 1, 2, 3, 4.
Takhalluq, 1.
Tamīmī (M. b. Qāsim), 1.
Ṭanṭāwī (Muḥammad al-), 1, 2, 3, 4.
Tanzīh, 1, 2.
Tashbīh, 1, 2.
Ṭarīq, ṭarīqa, ṭuruq, 1, 2, 3.
Tawakkul, 1, 2, 3.
Tawba, 1, 2, 3, 4, 5.
Tawḥīd, 1, 2.
Tawzarī, 1.
Teissier (H.), 1, 2.
Temimi (A.), 1, 2.
Thubūt, 1.
Tīlimsānī (‘Afif al-dīn), 1.
Tirmidhī (Ḥakīm), 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Toulon, 1.
Tuḥfat al-zā’ir, 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Ṭūl, 1, 2.
Tustarī (Sahl), 1, 2.
‘Ubūda, 1.
Ulūha, 1.
Ulūhiyya, 1, 2, 3, 4.
‘Uqlat al-mustawfiz, 1.
Uwaysiyya, 1.
‘Uzayr, 1.
Vâlsan (M.), 1, 2.
Wajh, 1, 2, 3, 4.
Waḥdat al-shuhūd, 1, 2, 3, 4.
Waḥdat al-wujūd, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.
Wārid, 1, 2.
Wāqi‘a, 1, 2.
Wāṣil b. ‘Aṭā, 1.
Weir (T.H.), 1.
Wilāya, 1.
Wirātha, 1.
Wishaḥ al-katā’ib, 1.
Wujūd, 1, 2.
Yādī Mardān, 1.
Yaḥyā b. Mu‘ādh al-Rāzī, 1.
Yahya (Osman), 1, 2, 3, 4, 5, 6.