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Décisions et choix thérapeutiques


en orthodontie
M. Amoric

En rétablissant un articulé fonctionnel, l’orthodontie agit à la fois comme un agent de prévention et


de traitement, sans omettre son rôle dans l’amélioration esthétique, motif principal des consultations.
Outre la maîtrise des techniques et l’acquisition des connaissances avérées, la pratique orthodontique
implique des stratégies judicieuses pour satisfaire patients et praticiens. La gestion des risques, la maîtrise
du temps de traitement, la prise en compte des aléas thérapeutiques interviennent aussi dans la prise
de décision. Cet article présente ces différents aspects, avec leur part de vérité, leurs limites, leurs incerti-
tudes. Un paragraphe spécifique est consacré aux méthodes facilitant le choix d’un clavier thérapeutique
personnalisé. La description de quelques logiques d’école, d’arbres de décision et de systèmes experts
informatisés clôt cette publication.
© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Orthodontie ; Décision ; Coopération ; Arbres de décision ; Risques ; Information

Plan • prévenir les caries, par une meilleure éviction de la plaque den-
taire et une éducation associée au traitement orthodontique
■ Pourquoi l’orthodontie ? 1 (Fig. 1) [1] ;
• prévenir des parodontopathies causées par le rapprochement
■ Décisions et acquisition des informations 1 radiculaire ;
■ Complications de traitement et décision thérapeutique 2 • prévenir le trauma des dents antérieures ;
■ Décisions partagées, décisions imposées 4 • prévenir des dysfonctions asymétriques lors de la mastication ;

• prévenir certains défauts de l’articulation de la parole ;
Choix du clavier thérapeutique 4
• traiter ou prévenir les troubles respiratoires obstructifs du som-
■ Modélisation des prises de décision orthodontiques 4 meil d’une réduction du calibre oropharyngé.
Confusion des objectifs 4 Mais aussi de :
Schémas d’école comme choix thérapeutique ? 5 • retrouver une occlusion pleinement fonctionnelle ;
Systèmes experts informatisés 5 • améliorer l’esthétique dentofaciale avec une revalorisation de
■ Conclusion 6 l’image de soi ;
• traiter certaines parodontopathies d’origine morphologique
(rapprochement radiculaire) ;
• améliorer des troubles de l’articulation temporomandibulaire
(particulièrement chez les hyperdivergents ou avec les articulés
latéraux inversés) ;
• optimiser des prothèses ou implants par déplacement des
piliers ;
 Pourquoi l’orthodontie ? • préparer les arcades en vue d’ostéotomies ;
• déplacer par glissement des dents saines dans des espaces éden-
L’Organisation mondiale de la santé (OMS), définit la théra- tés, (agénésie, dents défectueuse ou absente) ;
peutique non comme exclusivement la guérison des pathologies, • trouver une alternative aux cassures du bord incisif par égres-
mais comme « une diminution des handicaps, une accession vers sion, etc.
un état de bien-être, une augmentation des chances de durabi-
lité fonctionnelle et tissulaire en permettant l’adaptation à toutes
les modifications futures ». Ainsi, la santé n’est plus considérée
comme une non-maladie mais comme un état de plénitude phy-
 Décisions et acquisition
siologique et psychologique ; un « silence du corps et de l’esprit », des informations
fruits d’une prévention perspicace ou d’une thérapeutique effi-
cace. Selon l’article R.4127-214 du Code de déontologie, « le
Rapporté à l’orthodontie, rappelons que la discipline a pour chirurgien-dentiste a le devoir d’entretenir et de perfectionner ses
objet de : connaissances ».

EMC - Médecine buccale 1


Volume 7 > n◦ 4 > août 2012
http://dx.doi.org/10.1016/S1877-7864(12)58702-1
28-610-K-10  Décisions et choix thérapeutiques en orthodontie

Figure 1. Présentation des liens entre pré-


Population Pas de plaque Plaque sence de plaque dentaire et malocclusion [1] .
70,50
Noter que la prévalence de plaque minimum
65,20 correspond à l’absence de malocclusion et
62,50
que la prévalence maximum correspond aux
55,40 56,80 malocclusions de classe III. Outre le rôle de
50,30 50,30
l’encombrement dentaire associé, cette corréla-
48,30 tion ne peut s’expliquer qu’en faisant intervenir
43,20 la notion d’image de soi : valorisante pour les
39,70 cas parfaits (on prend soin de son hygiène parce
34,40 34,80 qu’on considère sa denture comme « méritant
29,50 d’être entretenue »), dévalorisante pour les
prognathes (parce qu’on ne considère pas ses
dents comme « ne méritant pas » de soins atten-
17,60
16,20
tifs) [1] .
11,50

6,40
4,60

Classe I ++ Classe II 2 Classe I ± Classe IV Classe II I Classe III

L’expérience professionnelle constitue la principale source Tableau 1.


d’information des praticiens. Mais, avec le temps, la justesse de Niveau de preuve scientifique de la littérature, selon le guide de la
leurs jugements peut s’altérer. Commission d’évaluation des produits médicaux de la Haute Autorité de
Quelques publications ont traité de cette question : santé de 2011.
• Ribarevski et al. [2] ont interrogé dix orthodontistes sur leur Niveau 1 Essais comparatifs randomisés de grande puissance
intention d’effectuer des extractions. Un mois après cette éva- (risques alpha et bêta faibles)
luation, ces mêmes praticiens tenaient, sur les mêmes dossiers, Méta-analyse
des discours totalement différents ;
Niveau 2 Essais comparatifs randomisés peu puissants (risques
• Amoric et al. [3] ont montré comment, à partir de données
alpha et bêta élevés)
communes, chaque praticien proposait des stratégies à chaque
fois différentes ; Niveau 3 Essais comparatifs prospectifs non randomisés
• Baumrind et al. [4] ont montré que la décision d’extraire Études de cohortes ou prospectives
dépendait d’avantage d’indicateurs cliniques que de valeurs Niveau 4 Essais comparatifs avec série historique ou essais avec des
céphalométriques, à l’opposé de ce que pensaient, a priori, les biais
orthodontistes avant le test ;
• Weintraub et al. [5] ont demandé à 238 praticiens à combien ils Niveau 5 Série de cas ou études prospectives
estimaient le taux des extractions thérapeutiques qu’ils prescri-
vaient. Ce taux fluctuait de 5 % à 87 %, contrairement au taux
« objectif » mesuré à partir des fichiers, qui variait de 25 % à Actuellement, les autorités de santé de chaque pays essayent
85 % ; de proposer des recommandations, que ce soit sur le plan qua-
• Deniaud et al. [6] ont demandé à des parents quelle avait été leur litatif ou économique. En France, cette fonction est dévolue à
réaction à l’annonce d’extractions orthodontiques. Alors que la Haute Autorité de santé (HAS, qui a remplacé l’Agence natio-
les praticiens pensaient que cette annonce n’avait posé aucun nale d’accréditation et d’évaluation en santé [ANAES]). Si les
problème, 93 % des parents interrogés se sont souvenus que « recommandations de bonne pratique » établies par des collèges
cette décision avait été pour eux choquante et difficile. d’experts sont prises en considération par le service technique de
Selon l’article R. 41 27-233 du Code de la santé, « le chirurgien- l’Assurance maladie, elles sont largement ignorées des profession-
dentiste qui a accepté de donner des soins à un patient s’oblige à nels.
lui assurer des soins éclairés et conformes aux données acquises
de la science ».
La masse croissante des publications, comme la difficulté
d’apprécier leur pertinence, dissuade bon nombre de cliniciens.
 Complications de traitement
Car peu d’articles sont exempts des biais ; peu apportent un et décision thérapeutique
haut niveau de preuve [7] . Pour aider les lecteurs, des organismes
proposent une sélection et une analyse consensuelle des publica- L’article R 4127-238 du Code de déontologie des chirurgiens-
tions, sujet par sujet, encore appelée « méta-analyses ». Elles sont dentistes indique que « le chirurgien-dentiste est libre de ses
aujourd’hui, disponibles sur le réseau (Jones et al. [8] ). prescriptions, qui seront celles qu’il estime les plus appropriées
Mais, malgré leur précision, ces nouveaux moyens en la circonstance. Il doit limiter ses prescriptions et ses actes à ce
d’information comportent quelques inconvénients. Il leur qui est nécessaire à la qualité et à l’efficacité des soins ».
est reproché leur manque de pertinence, leur aspect contrai- L’objectif de l’orthodontie est de prévenir et de guérir ; pas de
gnant [9] , la prise en compte de l’habileté des praticiens, de la créer de nouvelles pathologies ou pertes tissulaires.
personnalité des patients (Couper et al. [10] ) ou l’absence de spé- Les résorptions radiculaires apicales externes (Fig. 2) sont une
cificité en fonction de chaque discipline. Leur grille de jugement complication régulière des traitements orthodontiques. Mais il ne
concernant le niveau de preuve peut paraître arbitraire : une faut pas perdre à l’esprit que des rhisalyses peuvent apparaître
étude rétrospective non randomisée étant considérée d’emblée en dehors de toute mécanique orthodontique. Selon Weltman
comme un travail de faible valeur (Tableau 1). et al. [12] , elles seraient liées exclusivement au port de dispositif
Néanmoins, ce service reste actuellement le plus efficace pour multiattaches. Cette constatation est renforcée par les résultats de
acquérir rapidement des connaissances fiables et positives. Mal- Linge et al. [13] , qui ont montré que les appareils amovibles, type
heureusement, le nombre de ces méta-analyses randomisées est activateurs, n’induisent pas de résorptions.
trop limité en odontologie pour répondre à toutes les attentes des Plusieurs auteurs ont établi un profil de sujets « à risque »
praticiens (Rinchuse et al. [11] ). sachant que les résorptions radiculaires sont plus fréquentes en

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55

23
93 58 64
Figure 2. Clichés rétroalvéolaires montrant plusieurs résorptions api-
cales suite à une fermeture d’espaces avec une simple chaînette
59
élastomérique.
30 46 -5
14 4
135

23 2

24

56

Figure 3. Leucomes précarieux suite à la mise en place de brackets


collées, avec un patient sans hygiène sur une période de 1 an. 24
90 59 65
présence de dents incluses (canines à proximité des racines des 58
latérales), de dents surnuméraires ou dysmorphiques. Leur pré-
valence serait liée aussi au surplomb, au type hyperdivergent et 33 45 -4
aux dysfonctions linguales (déglutition, succion du doigt, articu-
13 3
lation de la parole, position habituelle, etc.). Dans tous ces cas, il 136
est conseillé de contrôler, par des clichés radiographiques régu-
liers, l’intégrité radiculaire des dents soumises aux contraintes 20 1
orthodontiques. Généralement, les rhisalyses se portent sur les
dents antérieures, dès les premiers mois de traitement. Une dou- 25
leur inattendue, surtout au niveau incisif, constitue une alerte
possible de résorption. Un cliché de contrôle est le seul moyen
pour lever toute crainte. Dans le cas où une rhisalyse est décelée, B
l’arrêt immédiat des mécaniques orthodontiques s’impose durant
au moins 6 mois avant de reprendre le traitement (Fig. 3).
En techniques fixes, les caries et les leucomes précarieux
peuvent se développer quand l’hygiène est défectueuse et que cer-
tains actes prophylactiques n’ont pas été réalisés (application de
sealent, de vernis fluorés ; bains de bouche, etc.).
Des lésions de l’os alvéolaire peuvent apparaître suite à une
mauvaise maîtrise des mécaniques : une force d’intensité trop éle-
vée, un moment incontrôlé peuvent conduire à des fenestrations
vestibulaires ou à la création de poches parodontales.
Les rapports entre pathologies de l’articulation temporo-
mandibulaire (ATM) et orthodontie sont encore sujets à dis-
cussion. Selon He et al. [14] , au-delà de 1 mm de discordance
entre relation centrée (RC) et interscupidation maximale (IM),
des troubles de l’ATM peuvent apparaître. Un consensus récent
C
admet que la propulsion mandibulaire peut jouer un rôle béné- Figure 4. Tracés céphalométriques post-traitement (A, B, C) pris entre
fique dans la réduction des luxations méniscales, l’apparition 17 et 44 ans montrant l’importance du glissement dentaire et mandibu-
de nécroses avasculaires [15] ou d’inflammations intracapsulaires. laire pendant cette période [17] . Ces croissances résiduelles peuvent être à
Comme l’orthodontie ne peut déplacer les dents en deçà de 1/10e l’origine de récidives, pas toujours prévisibles.
de mm, l’équilibration gnathologique peut compléter judicieuse-
ment un traitement orthodontique.
Les accidents oculaires provoqués par les extrémités des arcs
extraoraux font encore des victimes chaque année. De plus en tion défaillante. Aucune dysfonction linguale (que ce soit au
plus, l’information auprès des praticiens et la mise en place de repos, en déglutition, pendant l’articulation des palatales anté-
dispositifs dits de sécurité tendent à faire diminuer ces accidents. rieures) ne doit pas rester sans solution pendant un traitement
La difficulté de communication entre praticiens peut être à orthodontique. Comme cela peut être observé sur la Figure 4, l’art
l’origine d’accidents comme des erreurs d’extractions ou de pré- de l’orthodontiste reste difficile lorsqu’il s’agit de construire une
paration d’ostéotomies. Une règle s’impose : seules des relations occlusion destinée à s’adapter au vieillissement [16] .
claires et argumentées permettent de mener à bien des plans de L’état actuel des connaissances permet à l’orthodontiste de
traitement pluridisciplinaires. réduire un bon nombre de récidives, en :
Mais le plus décevant pour les patients est encore la récidive • surcorrigeant les mouvements « à risque » tels que les rotations,
de traitement, qui s’exprime à plus ou moins court terme. Elle les déplacements linguolabiaux, l’ingression, l’égression, la ver-
a pour origine soit des poussées linguales récurrentes, soit une ticalité des axes collatéraux aux extractions, etc.) ;
mauvaise adaptation au vieillissement naturel, soit une conten- • choisissant des dispositifs de contention éprouvés ;

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• commençant par traiter les dents subissant des mouvements les pendulum, etc. Ces appareils ont pour effet de déplacer les pre-
plus susceptibles de récidiver ; mières molaires, maintenir des espaces ou guider l’éruption.
• stabilisant les résultats par une contention fiable ; Avec des prolongements antérieurs, ils ont une action sur
• se méfiant des dents ancrées dans un cortex plus mince [17] ; l’ensemble de l’arcade, qu’elle soit ou non complétée de multi-
• s’abstenant de traiter orthodontiquement certaines microdon- attaches ;
ties. • le second, axé sur la rééducation des dysfonctions musculaires
Mais la clé de la stabilité reste l’obtention d’un articulé équilibré linguolabiales, a connu une grande popularité avec Rogers et
en relation centrée et la suppression des dysfonctions linguales. son exerciseur, Hotz, Hinz, Fellus, les lip bumper, les perles de
Or, ces deux objectifs dépendent d’éléments difficilement contrô- Tucat, les enveloppes de Bonnet, les activateurs de Fränkel ou de
lables par l’orthodontiste : aléas de coopération, aléas de réponses Bimler. À ces méthodes de rééducation par appareillage les prati-
neuromusculaires, aléas techniques, etc. (Fig. 4). ciens peuvent associer des rééducations, voire des interventions
chirurgicales oto-rhino-laryngologiques ;
• un troisième pôle concerne des dispositifs capables de modi-
 Décisions partagées, décisions fier la croissance faciale et l’activité musculaire du système
manducateur. Il s’agit d’activateurs d’avancement mandibu-
imposées laire comme les appareils de Häupl, Robin, Herbst Andresen,
Harvold, Karwetzky, Schwartz, Herren, Stockfich, Teucher, Ahl-
L’article L. 1111-4 du Code de santé publique précise que « toute gren, Bass, Van Beek, Lautrou, etc. Leur effet thérapeutique a
personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des fait l’objet de centaines d’études. Mais ces résultats sont encore
informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions contestés. Les pistes de Planas peuvent être placées dans cette
concernant sa santé ». catégorie, puisqu’elles ont aussi pour objectif le guidage de
Comme toutes les disciplines de santé, l’acte orthodontique l’éruption, la propulsion et l’équilibration de la fonction. Le
doit avoir un sens pour le patient et une finalité pour le prati- traitement des insuffisances transversales par disjonction de
cien. Mais, dès le début de son exercice, chaque orthodontiste la suture médiopalatine est pratiqué depuis le XIXe siècle. La
est surpris par les conséquences néfastes d’une mauvaise coopéra- traction maxillaire postéroantérieure, pour la correction des
tion. Il comprend vite que la moindre défaillance ou, la moindre classes III, a trouvé une actualité, grâce à Delaire, et a pris le
opposition de la part de ses patients peut réduire à néant tous relais des frondes mentonnières. Outre leur intérêt majeur pour
ses efforts. Pire encore, l’abandon d’un traitement peut avoir des l’obtention d’une occlusion fonctionnelle, des études récentes
répercussions catastrophiques pour l’occlusion, l’état parodontal, indiquent le rôle important de ces trois types d’appareils dans
les caries [18] . L’absentéisme, un portage médiocre des appareils ou l’amélioration de la ventilation et la prévention de pathologies
une hygiène déplorable peuvent transformer ces thérapeutiques respiratoires ;
en actes iatrogènes. Ces difficultés ont pour origine autant la per- • un quatrième pôle concerne les appareillages multiattaches
sonnalité des patients et leur entourage que le type d’appareil. fixes. Depuis le premier ribon arch d’Angle, en 1915, en pas-
Une mauvaise motivation, une relation conflictuelle peut avoir sant par le système edgewise de Tweed, en 1940, l’orthodontie
des conséquences sur la bonne conduite du traitement, donc des fixe a bénéficié d’une évolution technologique considérable,
résultats [19] . tant dans la fabrication des brackets que du fil. La diffusion de
Selon l’article 35, 1 du Code de santé publique, « le médecin matériel préinformé a grandement collaboré à la popularisa-
doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, tion de ces techniques [21, 22] . Plus récemment, les mini-implants
une information loyale, claire et appropriée sur son état, les inves- apportent des solutions jusque-là difficiles à trouver avec les
tigations et les soins qu’il lui propose ». moyens traditionnels ;
Pour autant, l’information individualisée pour chaque patient, • une cinquième concerne les gouttières souples (Soulet-
est aussi une obligation inscrite dans la loi. Si des compromis Besombes, positionneurs ou élastopositionneur, Fluxus® , etc.)
sont possibles, chaque alternative doit être débattue en fonction ou rigides Invisalign® [23–25] ou gouttières thermoformées avec
des risques associés prévisibles. Mais il ne faut pas oublier que, accessoires [26] ; sans compter sur la participation de la chirurgie
juridiquement, la responsabilité de ce choix incombe totalement orthognatique ou les distractions (Fig. 5).
au professionnel. C’est pour cette raison, que chaque décision
négociée prise par le praticien ne doit pas s’écarter des « bonnes
pratiques » consensuelles du moment.
Et si des spécialistes de la communication proposent quelques
« trucs » utiles pour faciliter la relation praticien-patient, ils ne
représentent que de petites béquilles face à l’immense complexité  Modélisation des prises
humaine.
« La rencontre patient-praticien est aussi la rencontre de deux
de décision orthodontiques
subjectivités, ce qui peut aussi signifier de deux cultures, deux
morales, deux partis pris, deux frustrations. » [20]
Confusion des objectifs
Par essence, l’orthodontie établie une occlusion équilibrée
capable de résister aux agressions du temps. Mais comment établir
 Choix du clavier thérapeutique cette occlusion ? Quels critères choisir ? Quelques recomman-
dations fondées sur la preuve scientifique peuvent mettre les
Selon sa formation, son mode d’exercice ou ses convictions, praticiens sur la voie. Sachant qu’un nombre de questions restent
chaque praticien doit choisir un type de moyens matériels et encore ouvertes à la controverse, comment choisir ses objectifs ?
immatériels parmi d’innombrables sollicitations. Selon leur effi- Quelle occlusion choisir [27] ? Quel compromis décider ? Quelle
cacité, leur sécurité, leur coût ou leur confort, il choisit un clavier alternative proposer ?
thérapeutique qu’il pense le mieux adapté à son exercice, sa per- Si, sur le plan esthétique, le praticien peut toujours se réfé-
sonnalité, ses convictions. rer à des normes biométriques, celles-ci ne correspondent pas
En survolant l’histoire de l’orthodontie, on peut considérer, mécaniquement à l’attente des patients, la normalité et la vérité
abruptement, que si le XIXe siècle fut celui des inventions, le psychoesthétique n’appartenant pas au même champ conceptuel ;
XXe siècle fut celui de la formalisation et l’industrialisation des « vultus est index animi ».
matériels. Beaucoup de dispositifs présentés comme innovants Et si le motif des consultations orthodontiques est avant tout
aujourd’hui ont pour principe des modèles bien plus antérieurs. esthétique, il est de l’obligation du praticien d’informer son
Ces modèles peuvent être regroupés en cinq pôles bien diffé- patient que le changement de position des dents n’est pas le seul
renciés : critère responsable de la beauté dentofaciale. Quid de la forme
• le premier, appellé bibague, ou labiolingual arch, est représenté des couronnes ? Quid de leur couleur ? Quid de la texture des
par les dispositifs de Mershon, Theuveny, Quadhelix® , Nance, téguments ?, etc.

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Figure 5. Exemple de clavier thérapeutique personnel attribuant une fonction spécifique pour chaque appareil. Ce choix empirique a été guidé par la
simplicité de fabrication, la facilité de pose et de dépose, mais aussi par la solidité, le coût et le confort des patients. Le clavier est composé de trois dispositifs
orthopédiques (disjoncteur, propulseur mandibulaire, protracteur maxillaire), un ensemble d’appareils multiattaches, quatre appareils auxiliaires (arc extraoral,
élastiques, vérins, crochets), un positionneur, une gouttière de finition et de contention.

40 % Figure 6. Corrélation entre l’âge du début de


OJ la propulsion et l’importance de la récidive du
surplomb (OJ) et de la relation molaire sagit-
tale [31] . Cl : classe.
Cl I OJ
30 %

OJ
Récidive (%)

20 % Cl I OJ

Cl I
OJ
10 %
OJ
Cl I
Cl I
Cl I
0%
8 9 10 11 12 13
Âge (ans)

Schémas d’école comme choix pic de croissance, les traitements précoces sont réservés à des cas
particuliers [31] , etc.
thérapeutique ? Une fois ces connaissances acquises, il est tout à fait possible
Faire coïncider des résultats avec quelques valeurs moyennes d’établir des arbres de décision, à la suite de Vig et al. [32, 33] .
établies sans nécessairement une grande rigueur scientifique a
été longtemps assimilé à un idéal thérapeutique. De l’idéal au Systèmes experts informatisés
dogme, il n’y avait qu’un pas à franchir. Des « philosophies »
ont formalisé choix et décisions diagnostiques et thérapeutiques, Depuis 1969, un service d’aide la décision, appelé Rocky
en tenant compte le moins possible du contexte et de chaque Mountain Orthodontics Data Services® , ou encore un logiciel,
individualisme. Mais au cours des dernières décennies, un grand JOE-CEPH® , ont été développés. À partir de clichés latéraux, fron-
nombre de praticiens ont préféré les stratégies séquentielles, en taux et d’un occlusogramme, ce service propose l’analyse, puis
proposant pour chaque cas différents moyens puisés dans diffé- une projection dans le temps en fonction de la croissance et de
rentes logiques. Sans augmenter la durée globale de traitement [28] , la thérapeutique. Ce service est aussi disponible en ligne. Des
ces méthodes ouvrent le champ aux alternatives et à la prise en offres équivalentes sont disponibles comme Dolphine imaging,
compte des individualités (Fig. 6). Facad® , CephSmile V2.0, etc. En France, Charron [34] a proposé un
Dans ce schéma, la maîtrise de l’enchaînement des séquences programme d’aide au diagnostic et au choix thérapeutique infor-
devient la clé d’un traitement orthodontique efficace. S’il est su matisé ; selon lui, « désormais, des méthodes scientifiques existent
que le passage propulsion-multibagues entraîne une petite réci- qui permettent une décision moins subjective. Elles relèvent de la
dive de l’acquis du propulseur [29] , il est judicieux de choisir un statistique et de l’informatique médicale ».
autre type de dispositif en sortie de propulsion. S’il a été appris Plus récemment, le laboratoire TMC/IMAG de Grenoble a
qu’avant le pic de croissance la disjonction-distraction maxillaire développé un simulateur de chirurgie orthognatique 3D. Des pro-
est moins traumatique pour la suture [30] , l’avancée orthopédique grammes appelés « réseau de neurones » font aujourd’hui fonction
du maxillaire est plus efficace. De même, si la propulsion mandi- de systèmes experts [35] . Xie et al. [36] ont validé ce procédé, qui
bulaire est moins récidivante lorsqu’elle est effectuée autour du répond à 80 % des décisions possibles.

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Si les limites de ces techniques ne tiennent compte ni de [13] Linge L, Linge BO. Patient caracteristics and treatment variables associa-
la coopération de l’enfant, ni du praticien, ces outils peuvent ted with apical root resorption during orthodontic treatment. Am J Orthod
néanmoins jouer un rôle important dans la communication Dentofacial Orthop 1991;99:35–43.
praticien-patient, dans la constitution de preuve médicolégale ou [14] He SS, Deng X, Wamalwa P, Chen S. Correlation between centric rela-
tion maximum interscupidation discepancy and temporomandibular joint
dans la présentation de solutions inattendues : « l’incertain n’est dysfunction. Acta Odontol Scand 2010;68:368–76.
pas l’aléatoire, et c’est pour cela que nous pouvons y injecter des [15] Ruf S, Pancherz H. Fixed functional appliance treatment and a vascular
stratégies et les optimiser » [20] . necrosis. Am J Orthod Dentofacial Orthop 2004;126:20A–1A.
[16] Behrents RG. Growth in aging craniofacial skeleton, Monograph 17, Center
for human growth and development. Ann Arbor: University of Michigan;
 Conclusion 1985.
[17] Rothe LE, Bollen AM, Little RM, Herring SW, Chaison JB, Chen CS, et al.
Trabecular and cortical bone as risk factors for orthodontic relapse. Am J
Un taux toujours plus important de réclamations, de la part des Orthod Dentofacial Orthop 2006;130:476–84.
patients, se porte sur les conséquences d’erreurs de choix théra- [18] Amoric M. Abandonment: another form of orthodontic failure. A criti-
peutiques. Il faut désormais admettre que chaque défaillance de cal study of the abandonment index in optimizing orthodontic treatment.
jugement, de raisonnement ou de stratégie peut entraîner une Orthod Fr 1985;56:481–90.
insatisfaction des patients, outre la qualité de la finition ou la sta- [19] Amoric M, Choukroun MG. Traiter avec ou sans coopération. Orthod Fr
bilité des résultats. Pour affiner chaque décision, le praticien est 2002;73:429–37.
[20] Israel L. La décision médicale. Essai sur l’art de la médecine. Paris:
contraint aujourd’hui de s’interroger, s’informer, réfléchir et se
Calmann-Lévy; 1980.
convaincre des meilleures décisions de traitement possibles pour [21] Chen SS, Greenlee GM, Kim JE, Smith CL, Huang GJ. Systema-
chaque patient qu’il doit traiter. tic review of self-ligating brackets. Am J Orthod Dentofacial Orthop
« L’excellence est un art que l’on n’atteint que par l’exercice 2010;137:726.e1–726.e18; discussion 726–7.
constant. Nous sommes ce que nous faisons de manière répé- [22] Fleming PS, DiBiase AT, Lee RT. Randomized clinical trial of orthodontic
tée. L’excellence n’est donc pas une action, mais une habitude. » treatment efficiency with self-ligating and conventional fixed orthodontic
(Aristote, Éthique à Nicomaque, II, 1, 4-5). appliances. Am J Orthod Dentofacial Orthop 2010;137:738–42.
[23] Kuncio D, Maganzini A, Shelton C, Freeman K. Invisalign and tradi-
tional orthodontic treatment postretention outcomes compared using the
American Board of Orthodontics objective grading system. Angle Orthod
 Références 2007;77:864–9.
[24] Hahn W, Dathe H, Fialka-Fricke J, Fricke-Zech S, Zapf A, Kubein-
[1] Amoric M. Une enquête épidémiologique de l’occlusion traitée et non Meesenburg D, et al. Influence of thermoplastic appliance thickness on the
traitée. Orthod Fr 1987;58:823–31. magnitude of force delivered to a maxillary central incisor during tipping.
[2] Ribarevski R, Vig P, Vig KD, Weyant R, O’Brien K. Consistency Am J Orthod Dentofacial Orthop 2009;136:12.e1–7.
of orthodontic extraction decisions. Am J Orthod Dentofacial Orthop [25] Kravitz ND, Kusnoto B, BeGole E, Obrez A, Agran B. How well does
1995;107:329–34. Invisalign work? A prospective clinical study evaluating the efficacy
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M. Amoric, Docteur ès sciences odontologiques, docteur en sciences économiques, DESS d’économie de la santé, CES d’économie médicale, ex-expert
judiciaire près la Cour d’appel de Paris, vice-président au Conseil de l’ordre des chirurgiens-dentistes de Paris, expert inscrit sur la liste nationale de l’Office
national des indemnisations des accidents médicaux (michel.amoric@wanadoo.fr).
149, rue de Rennes, 75006 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Amoric M. Décisions et choix thérapeutiques en orthodontie. EMC - Médecine buccale 2012;7(4):1-6
[Article 28-610-K-10].

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