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LES INVESTISSEMENTS PRIVÉS DANS

LES STRATÉGIES DE FINANCEMENT DU


DÉVELOPPEMENT DURABLE D'HAÏTI, JOINT
SDG
BILAN ET PERSPECTIVES FUND
Fond conjoint
des ODD

CE RAPPORT EST PRODUIT DANS LE CADRE DU PROGRAMME CONJOINT


CADRE INTÉGRÉ NATIONAL POUR LE FINANCEMENT DU DÉVELOPPEMENT
EN HAÏTI (CINF)
2022
Contents
Résumé exécutif............................................................................................................................................ 3
Liste des graphiques...................................................................................................................................... 6
Listes des encadrés ....................................................................................................................................... 7
Listes des tableaux ........................................................................................................................................ 7
Introduction .................................................................................................................................................. 8
1-. Les limites macroéconomiques à l’investissement privé en Haïti ......................................................... 10
1.1.- Le panier de consommation de la ménagère et l’investissement privé en Haïti\ .......................... 10
1.2.- La baisse du PIB et des revenus par tête d’habitants en Haïti ....................................................... 11
1.3.- Les taux d’intérêt et la baisse des revenus des entreprises et des ménages ................................. 13
1.4.- Les politiques néoclassiques et keynésiennes de relance .............................................................. 16
1.5.- Les transferts sans contrepartie et la stimulation de la demande ................................................. 17
2- Les investissements privés de 2000 à 2020 ............................................................................................ 21
2.1.1- Le poids écrasant des entreprises de distribution en Haïti ...................................................... 21
2.1.2. Les entreprises haïtiennes de transformation .......................................................................... 23
2.1.3- L’aide externe et le développement des entreprises locales ................................................... 25
2.1.4- Les investissements directs étrangers en Haïti......................................................................... 27
2.2- Les observations du terrain et les résultats des entretiens avec des entrepreneurs...................... 29
2.3- Les carences des politiques industrielles nationales ....................................................................... 31
2.4- Une autre vision de l’investissement privé en Haïti ........................................................................ 33
2.4.1- Le problème du financement.................................................................................................... 34
2.4.2 Un modèle de décision défaillant .............................................................................................. 35
3- Les investissements de la stratégie haïtienne de développement ......................................................... 37
3.1. Les investissements publics et privés manquants de l’économie haïtienne ................................... 38
3.2. La réponse aux industries manquante : une économie organisée autour de prototypes............... 40
3.3. Des entreprises technologiques....................................................................................................... 41
3.4. La promotion des investissements directs étrangers ...................................................................... 42
3.5 Les investissements publics face aux investissements manquants du secteur productif ................ 42
4. L’épargne et le financement de la croissance en Haïti ....................................................................... 46
4.1- La composition de l’épargne nationale ........................................................................................... 46
4.1.1- L’épargne des agents économiques ......................................................................................... 46
4.1.2- L’épargne du secteur public...................................................................................................... 47
4.1.3- L’épargne contractuelle ............................................................................................................ 47

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4.1.4- Les fonds dédiés du Trésor : avantages et limites .................................................................... 49
4.1.5- Les fonds d’investissement des particuliers ............................................................................. 50
4.1.6- Les investissements directs étrangers (IDE) ............................................................................. 51
4.2- Besoins d’épargne et de capitaux externes en Haïti ....................................................................... 51
4.3- L’utilisation de l’épargne ................................................................................................................. 52
4.4- La dépréciation de l’épargne oisive ................................................................................................. 53
4.5- Le crédit à long terme et la régulation du secteur productif........................................................... 55
5. Les politiques publiques favorables à l’investissement privé ............................................................. 59
5.1- Des mesures pour faire fructifier l’épargne et accroître son volume ............................................. 59
5.1.1- La politique sociale et le relèvement de l’épargne ................................................................... 59
5.1.2- La diffusion et l’utilisation de savoir-faire plus efficaces.......................................................... 60
5.2- L’adoption des normes de gestion de l’épargne et de valorisation des infrastructures ............. 60
5.3 La participation des coopératives au financement des infrastructures ....................................... 62
Le recours à des fonds privés d’investissement ..................................................................................... 62
Les branches d’activités et les produits requérant des investissements privés ..................................... 62
Une politique industrielle axée sur le produit .................................................................................... 64
Les domaines prioritaires des investissements ...................................................................................... 65
Le chiffrage des investissements ............................................................................................................ 67
La réforme de la politique commerciale d’Haïti ..................................................................................... 67

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Résumé exécutif

Les investissements privés dépendent d’abord de la demande solvable des ménages. A travers
les résultats des enquêtes de budget consommation, le rapport montre que la demande des ménages
est soit stagnante en Haïti. Elle est train même de baisser, car les revenus financiers captent une
part trop forte du PIB en faisant chuter la part allant aux ménages. Cette situation contribue à
réduire les retombées des politiques qui visent à stimuler les entreprises locales. Les transferts sans
contrepartie servent à pallier la diminution des revenus des ménages n’ont pas un effet notoire sur
l’investissement privé, car les entreprises haïtiennes n’ont pas su améliorer la productivité du
travail ni faire baisser leurs coûts de production et leurs prix afin de prendre une place plus
importante du marché national. Dans ce contexte, l’élévation de la production de vient un objectif
obligatoire pour éviter le recul des investissements privés une stagnation durable et du PIB.
L’enquête de 2012-2013 donne une cartographie et une classification des entreprises existant
en Haïti et probablement de l’orientation des investissements privés. Elle montre que 82 % de ces
66 643 entreprises recensées en 2013 s’adonnent à la distribution de biens en majorité importés.
Les 18 % restants constituent des entreprises de transformation et de services. La place écrasante
des activités de distribution explique le fait que le crédit au commerce de gros et détail représente
36,5 % du volume du crédit en 2000 et 31,2% du total en 2020. Sa baisse relative est surtout due
au financement des projets de reconstruction qui ont cours après le séisme de 2010. Dans ce cadre,
l’aide externe orientée vers le secteur productif sert surtout à financer les commandes de l’État.
Ces ressources ne contribuent pas à renforcer les entreprises locales. En l’absence d’une politique
qui vise à renforcer du secteur productif, les investissements directs étrangers (IDE) s’orientent
vers des marchés captifs, vers des branches d’activité qui ne sont exposés à la concurrence externe.
Dans ce contexte, la faiblesse des investissements privés est due aux limites de la stratégie de
développement adoptée par Haïti. Pourtant, on estime que l’épargne nationale est dérisoire.
À travers le code des investissements, cette stratégie privilégie l’appel aux IDE, mais minimise
l’importance de l’épargne locale pour amplifier le volume des investissements privés. Ces moyens
sont largement sous-utilisés ; ils ne sont pas mobilisés pour promouvoir les infrastructures, la
connaissance et les savoir-faire, ces biens publics qui font croître les opportunités et qui facilitent
la création de nouvelles entreprises. Du fait de ces lacunes, les IDE ne peuvent qu’exploiter les
rentes, les marchés abrités et la main-d’œuvre bon marché, des incitations qui sont insuffisantes
pour attirer des flux continus de capitaux privés en Haïti. En établissant ce constat, ce rapport
signale les secteurs ainsi que les investissements manquants dus à la stratégie de développement
d’Haïti, lesquels dépendent souvent de l’action de l’État, et dont la présence peut faciliter la
création de nouveaux secteurs et la multiplication de nouvelles entreprises en Haïti.

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En effet, il manque des infrastructures et des savoir-faire pouvant profiter au secteur agricole
et à la transformation de ses produits, des normes prévoyant les conditions de financement et de
gestion des infrastructures, des modèles de gestion ou d’affaires pouvant contribuer à dynamiser
les industries créatives et le marketing des produits typiques d’Haïti. Pour remédier à ces manques,
ce rapport propose trois mesures : 1) la recherche et développement sur les industries et les produits
manquants afin d’en tirer des prototypes techniques et organisationnels, 2) l’élaboration de normes
fixant les modalités de financement, de gestion et de rentabilisation des différentes infrastructures,
3) l’appui de l’État à la création d’entreprises technologiques qui serviront, à travers la réplication
de prototypes organisationnels ou techniques, à multiplier et accélérer la création de nouvelles
entreprises dans l’ensemble du pays. Ces modèles contribueront à former des travailleurs et surtout
des entrepreneurs souvent jeunes qui ont des idées d’investissement, mais qui ignorent les produits
qu’ils peuvent fabriquer en Haïti. Ces choix aideront les autorités haïtiennes à atteindre plusieurs
objectifs des ODD, dont une éducation de qualité, l’innovation, la promotion des infrastructures et
de l’industrie et même la multiplication d’emplois décents.
Pour montrer la possibilité de financer ces choix économiques, ce rapport évalue le volume de
l’épargne nationale, son mode d’utilisation ainsi que les possibilités de croissance de ces moyens.
Le premier constat est que 60 % de l’épargne détenue par les banques commerciales restent oisives.
L’épargne contractuelle gérée par l’Office nationale d’assurance venant des cotisations sociales à
un fort potentiel, car moins de 1 % des entreprises cotise pour la protection sociale. Les particuliers
se mettent à créer des fonds d’investissement. Les coopératives s’exercent déjà à cette activité et
parviennent à capter une partie importante de l’épargne. Mais ces ressources ne sont pas canalisées
vers des investissements prioritaires pour l’État ni ne sont des leviers pour inciter les prêts venant
du secteur bancaire. Les enjeux sont souvent ignorés par les acteurs. Les fonds dédiés du Trésor
sont modestes et ne jouent pas le rôle de ressources stratégiques pour orienter des investissements
structurants dans l’économie nationale.
D’autre part, les déficits budgétaires croissants de ces dix dernières années révélant une
épargne publique quasi-nulle sont la cause d’une inflation rampante qui tend à rabaisser le pouvoir
d’achat de l’épargne des ménages. En effet, leur épargne est rongée par l’inflation ; les banques
commerciales versent moins de 1 % comme intérêt sur les dépôts alors que les taux d’inflation
s’élèvent à plus de 10 % par an. Dans ce contexte, il devient nécessaire de revoir le rôle des
investissements à long terme dans la gestion de l’épargne.
Les investissements à long terme sont déterminants pour la gestion de la monnaie nationale,
pour la multiplication des projets dans le secteur productif et l’équilibre macroéconomique. Quand
ils s’orientent vers le financement d’infrastructures, ils font baisser les coûts de production et
permettent aux entreprises de transformation d’élever la productivité et de présenter de meilleurs
projets face aux banques. À ce moment, les banques pourront recourir à la création monétaire pour
financer le secteur productif ; le financement ne dépendra plus d’une épargne locale insuffisante.
Les investissements privés arriveront à travers des joint-ventures et afin de profiter des
capacités d’une main-d’œuvre qualifiée. Pour arriver à ce résultat, les pouvoirs publics devraient
déployer une stratégie qui comprend plusieurs volets portant sur l’accroissement du volume de

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l’épargne, l’édiction des normes intéressant la gestion des infrastructures, l’approche des produits
et des prototypes, l’organisation administrative de la politique de soutien aux entreprises. En effet,
plusieurs organes distincts de l’État peuvent être désignés pour élaborer et faire exécuter un
programme de développement des infrastructures, pour évaluer le volume de l’État et identifier les
investissements stratégiques de l’économie nationale, pour promouvoir les produits typiques
d’Haïti, explorer les marchés futurs et donner les bases sectorielles à la gestion macroéconomique.

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Liste des graphiques

Graphique 1: Part en % de chaque groupe de biens dans le budget de la ménagère. Enquêtes de


consommation - Années : 2004 et 2018. ..................................................................................................... 10
Graphique 2: Croissance de la population et indice du PIB par tête d’habitant de 2000 à 2020, l’année
2000 = 100 .................................................................................................................................................. 12
Graphique 3 : Évolution de l’indice de la valeur ajoutée par secteur d’activité de 2000 à 2020 ................ 12
Graphique 4: Évolution des taux d’intérêt offerts sur les bons BRH .......................................................... 14
Graphique 5 : Évolution du taux d’inflation, des taux d’intérêt sur les prêts entre 2000 et 2020 ............... 14
Graphique 6: Taux de croissance du PIB de 2000 à 2020 et part des revenus du secteur bancaire.. 15
Graphique 7: Évolution des taux d’intérêt offerts sur les bons BRH .......................................................... 16
Graphique 8 : Transferts des travailleurs émigrés de 2009 à 2019 (En millions de dollars) ...................... 18
Graphique 9 : Répartition des entreprises haïtiennes de transformation et de distribution en 2013 ........... 22
Graphique 10: Répartition en pourcentage de l’encours des prêts par secteur d’activité ................... 22
Graphique 11: Les entreprises haïtiennes en 2014, sans le commerce et les entreprises de proximité24
Graphique 12: Évolution comparée du crédit bancaire et de l'aide externe au secteur productif de 2011 à
2016 ............................................................................................................................................................ 25
Graphique 13: Évolution du financement externe en millions de gourdes de 2000 à 2016 ........................ 26
Graphique 14: Évolution des investissements directs en Haïti de 2000 à 2019.......................................... 28
Graphique 15: Croissance des secteurs d'activité et de l'investissement global de 2000 à 2020 ................ 37
Graphique 16: Montant et composition de l’épargne détenue dans le système bancaire ............................ 46
Graphique 17 Valeur en gourde de l’épargne contractuelle collectée par l’ONA. Période : 2013 - 2017 .. 48
Graphique 18: Évolution du crédit par terme et portefeuille du crédit en millions de dollars de 2000 à
2016 ............................................................................................................................................................ 53
Graphique 19: Évolution comparée du taux d’inflation, des taux d’intérêt appliqués aux dépôts et aux
prêts ............................................................................................................................................................. 54
Graphique 20: Evolution du portefeuille du crédit et des actifs non utilisés du système bancaire ............. 55
Graphique 21: Composition de l’actif consolidé du système bancaire en Haïti (2000 - 2019) ............. 55

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Listes des encadrés

Encadré 1 : Les besoins de crédit du secteur agricole................................................................................. 19


Encadré 2: Exploiter les richesses existantes ou créer de nouvelles opportunités ...................................... 44
Encadré 3 : La routine du crédit .................................................................................................................. 57
Encadré 4 : Quoi faire pour élargir la masse de l’épargne à long terme en Haïti ?..................................... 58
Encadré 5 : Les conditions de promotion des infrastructures ..................................................................... 61
Encadré 6 : Société locale de développement ou Partenariat public privé.................................................. 63

Listes des tableaux

Tableau 1 : Coût de production et revenu du producteur et % de quelques produits agricoles .................. 20


Tableau 2: Répartition du nombre des entreprises de transformation en 2013 ........................................... 24
Tableau 3: Part du service de la dette dans le PIB de 2017 à 2020............................................................. 26
Tableau 4: Montant en gourdes de deux fonds dédiés collectés par le Trésor ............................................ 49

7
Introduction

Les premiers actifs économiques du territoire haïtien ayant généré des richesses et des revenus
importants ont été constitués pendant l’époque coloniale d’Haïti. Les premières plantations de café
et de cacao, les ouvrages d’irrigation, a création et le traçage des principales villes haïtiennes sont
des héritages de la colonisation française. Les ressources forestières que le pays avait exportées
durant le dix-neuvième ont été des dons de la nature. Pendant le dix-neuvième siècle, ces richesses
ont permis à l’État haïtien de payer sa dette et de réaliser des investissements sporadiques servant
surtout à embellir la capitale Port-au-Prince. Une activité spéculative s’est développée autour de
cette dette externe entre la deuxième moitié du dix-neuvième siècle et l’occupation américaine
(1915-1934). Il a fallu attendre ce dernier événement pour assister dans ce pays à une vague
d’investissements d’origine américaine qui s’étaient orientés vers la transformation du café, la
production du sucre, la culture de la banane et du caoutchouc ainsi que vers la fabrication des
huiles essentielles et dans l’extraction minière, notamment la bauxite, à partir du milieu des années
1950.
Plus tard, pendant la deuxième guerre mondiale (1934-1945), des groupes économiques
installés en Haïti ont repris des activités délaissées par des négociants allemands qui avaient été
contraints de laisser Haïti, car ce pays avait déclaré la guerre à l’Allemagne. En répondant aux
raretés qui affectaient le marché haïtien pendant cette guerre, ces nouveaux groupes avaient investi
dans de nombreuses industries tournées vers le marché local fabriquant surtout les chaussures, les
tissus et les ustensiles ménagers. Cependant, au milieu des années 1940, à la faveur des
changements sociaux et politiques qui survenaient en Haïti, se sont installées notamment dans l’ère
de la capitale Port-au-Prince des rivalités qui opposent les groupes qui contrôlent l’administration
publique et ceux qui dominent dans le milieu des affaires. Ces rivalités entravent jusqu’à ce jour
la construction d’une vision de l’économie partagée par le milieu des affaires, l’administration
publique et les milieux scientifiques haïtiens. Il en résulte que les élites dirigeantes haïtiennes ne
prennent pas d’engagement clair pour le développement économique, la réflexion scientifique et
la technologie. Elles feront appel à des acteurs externes pour ces besoins. Dans ce contexte, les
décisions de l’État prennent un délai excessivement long avant d’être mises en œuvre tout en
entravant la délocalisation des investissements publics et privés dans le reste du pays.
Plus tard, pendant la période des Duvalier (1957-1986), des groupes économiques liés à ce
régime ont tenté d’accaparer les principales opportunités d’enrichissement et d’investissement en
Haïti de l’époque. Leurs activités ont donné lieu à une économie organisée autour de nombreux
monopoles qui s’exercent dans certaines branches d’activité, dont l’acier, la farine et le ciment, et
aussi d’oligopoles qui contrôlent les importations de biens comme le riz et le lait. Ce modèle de
gestion est en crise depuis le début des années 1980, car le PIB haïtien stagne depuis cette année
en dépit des politiques d’ajustement structurel que le pays applique périodiquement depuis le début
des années 1981. La libéralisation du commerce extérieur et les privatisations d’entreprises
publiques menées à partir de 1990 n’ont pas permis de restructurer cette économie et de relancer

8
l’investissement privé sur une base durable ni n’ont facilité l’entrée de capitaux privés en Haïti si
l’on excepte le cas de la téléphonie mobile.
Contrairement à l’expérience de nombreux pays où des groupes économiques se sont implantés
dans la sidérurgie, l’énergie et la construction des chemins de fer, au niveau national et régional,
en comptant avec l’appui des pouvoirs publics, les dirigeants et les entrepreneurs haïtiens ne
partagent pas la même vision de l’investissement en général et de l’investissement privé, vision
acceptée par les citoyens qui pousse ces principaux acteurs à vouloir élaborer une stratégie de
développement appuyée par des choix économiques pertinents en Haïti. Les investissements privés
requérant en amont des mesures de l’État ou des dépenses du budget sont difficiles à mettre en
œuvre en Haïti, car, depuis les années 1940, les dirigeants, les hauts fonctionnaires de l’État et
aussi les organisations de la société civile ne parviennent pas à identifier les groupes
socioéconomiques locaux, la base scientifique, les savoirs techniques et les produits avec lesquels
il faut compter pour diversifier et développer l’économie nationale. Ce contexte historique
explique les hésitations, les lenteurs dans l’élaboration les choix économiques et dans leur mise en
œuvre, les dépenses publiques incohérentes, les gaspillages des ressources matérielles, humaines
et de l’épargne les difficultés de l’administration de promouvoir le service public afin de contribuer
à valoriser les opportunités de cette économie, l’émigration de la main-d’œuvre ainsi que les
faibles taux de croissance du PIB.
Pourtant des économies ressemblant au départ à Haïti par les mêmes dotations et la taille de la
population ont pu bâtir un consensus national, construire une base scientifique, s’engager dans la
promotion de leurs ressources humaines et définir une politique commerciale autour du
développement économique. Ils ont obtenu des résultats intéressants et des taux de croissance
relativement élevé. C’est le cas de la République dominicaine. Taïwan est devenu un pays
industrialisé. En tenant compte de ces réussites, cette étude discute des contraintes d’ordre
macroéconomique et microéconomique qui freinent la multiplication des investissements privés
en Haïti tant au niveau national que local. Elle met aussi l’accent sur la problématique de l’épargne
tout en souhaitant que les acteurs haïtiens, publics et privés, parviendront à discuter autour des
choix économiques nationaux et locaux, des mécanismes de décision et à se concerter sur les
modalités de génération et de distribution des richesses dans le cadre des objectifs du
développement durable en Haïti.

9
1-. Les limites macroéconomiques à l’investissement privé en Haïti

Pour expliquer la faiblesse de l’investissement privé en Haïti, cette section met l’accent sur la
consommation des ménages, la composition de la demande ainsi que sur les diverses politiques
visant à stimuler l’offre ou à relancer le crédit. Cette section montre qu’il ne suffit pas seulement
de donner des incitations pour avoir plus d’investissements privés, il faut de plus un cadre
macroéconomique et des conditions globales qui facilitent cette possibilité.

1.1.- Le panier de consommation de la ménagère et l’investissement privé en Haïti\

L’évolution des biens et des services achetés par les ménages permettent de vérifier si le niveau
de vie s’est amélioré en Haïti et si les entreprises ont pu leur offrir de nouveaux biens et services.
Les données de deux enquêtes de budget de consommation des ménages (EBCM) permettent de
vérifier cette proposition. L’analyse de la composition du panier de la ménagère de deux années
2004-2018 confirme que le modèle de consommation des ménages haïtiens a peu bougé pendant
un intervalle de14 ans, ce que montre le graphique1.

Graphique 1: Part en % de chaque groupe de biens dans le budget de la ménagère. Enquêtes de


consommation - Années : 2004 et 2018.

Sources : BRH, IHSI

10
En général, les ménages achètent d’abord des biens de première nécessité, dont les biens
alimentaires. Et, au fur et à mesure, ils achètent des biens durables pour la maison et de nouveaux
services quand l’économie nationale se développe et que leurs revenus augmentent. Ces
changements se vérifient à travers la diversification des biens et services offerts par les entreprises
et dans le panier de consommation de la ménagère qui est un indicateur des opportunités pour
l’investissement privé.
Selon le graphique 1, la part de l’alimentation et des boissons dans les dépenses des ménages
a peu changé entre 2004 et 2018. Ce groupe de biens absorbe la moitié des revenus des ménages.
Les autres postes de dépense ont aussi peu bougé. Mais les dépenses de transport et communication
ont légèrement baissé ; le logement absorbe plus d’argent dans un contexte de crise sociale en
2018. Ces données indiquent que les entreprises n’ont pas su offrir de nouveaux bien en participant
t à la diversification de l’offre locale, car les parts du revenu consacrées à chaque groupe de biens
ont peu bougé.
Selon cet exemple, les nouveaux investissements privés viendront si les ménages dépensent
une part de plus en plus faible de leurs revenus en produits alimentaires ; ils peuvent donc dépenser
une portion plus grande pour les autres biens, dont l’habillement, les meubles, l’éducation et le
loisir. De ce fait, plus d’investissements se font dans ces branches. Cela se produit si la productivité
s’améliore dans les secteurs qui produisent les biens alimentaires ; les prix de ces biens chutent.
Par conséquent, leurs dépenses diminuent dans le budget des ménages qui peuvent alors consacrer
une part plus élevée de leurs revenus aux biens manufacturés et aux services. Les entreprises
peuvent ainsi investir dans ces branches.
Pour avoir des biens industriels et des services plus importants dans les budgets des ménages,
le poids des dépenses d’alimentation doit baisser. Cela signifie qu’après avoir acheté la même
quantité ou même un volume plus important de biens alimentaires, il reste de l’argent qui permet
aux ménages d’acquérir d’autres types de biens, car la productivité et les rendements ont augmenté
dans les secteurs qui produisent les biens vivriers ; leurs prix baissent. Voilà les conditions qui
facilitent des investissements privés plus importants dans l’industrie et le service.
Pour avoir une production industrielle et de services plus importante, le pays doit générer une
production agricole plus forte. Il faut des investissements publics et privés plus importants dans
les infrastructures et les savoir-faire servant à accroitre la productivité du travail dans le secteur
agricole. Cette orientation pourra permettre de répondre à deux objectifs de développement
durable, dont la lutte contre la faim et le recul de la pauvreté. Pour avoir une croissance durable en
Haïti, le relèvement de la productivité dans le secteur agricole est une condition incontournable,
que les capitaux investis soient d’origine locale ou étrangère.

1.2.- La baisse du PIB et des revenus par tête d’habitants en Haïti

Les investissements privés ont du mal à croitre en Haïti, car les revenus des ménages baissent
en annonçant une chute de la demande orientée vers les entreprises. La graphique 2 confirme que
les ménages haïtiens vont face à une diminution durable de leurs revenus. Le revenu par tête

11
d’habitant a diminué de 13,5 % sur la période 2000-2020, ce que montre la courbe en rouge de
l’indice du PIB par tête d’habitant. Pendant ces vingt ans, la population haïtienne a connu une
hausse de 39.3 %, ce que montre la couleur grise. La courbe de la croissance du PIB par habitant
est en-dessous de celle de la population. De ce fait, la croissance du PIB per capita est négative.
Graphique 2: Croissance de la population et indice du PIB par tête d’habitant de 2000 à 2020,
l’année 2000 = 100

Sources : BRH et IHSI

L’intérêt est de montrer les secteurs d’activité qui sont les plus touchés par la baisse de la
valeur ajoutée et aussi les situations de perte de revenus et de pénurie auxquelles les ménages se
trouvent confrontés. Le graphique 3 prouve que deux des trois secteurs d’activité font face à une
chute de la valeur par tête d’habitant entre les années 2000 et 2020.
En comparant la croissance de la population et l’évolution de la valeur ajoutée dans les trois
secteurs d’activité, nous constatons qu’une personne qui vit en 2020 dispose de 33 % de produits
agricoles en moins par rapport à un individu qui vivait en 2000 ; elle a 8 % de service en moins,
mais il obtient 10 % de produits manufacturés de plus résultant de la relance des industries des
zones franches. Toutefois le PIB par tête tend à baisser, ce que montre le graphique précédent.

Graphique 3 : Évolution de l’indice de la valeur ajoutée par secteur d’activité de 2000 à 2020

12
Indice de la valeur ajoutée du secteur tertiaire par habitant
Indice de la valeur ajoutée du secteur secondaire par habitant
Indice de la valeur ajoutée du secteur tertiaire par habitant
Indice de de l'investissement global par habitant

Sources : BRH et IHSI

Face à cette stagnation durable, beaucoup de personnes frappées par le chômage peuvent
vouloir créer leurs propres activités. Cependant la majorité de leurs entreprises auront du mal à
croître et finiront par cesser de fonctionner, car les consommateurs ne disposent pas du pouvoir
d’achat pour accroitre leurs consommations et s’acheter de nouveaux produits.
Dans ces situations, les politiques économiques sont de deux natures, soit qu’elles cherchent à
attirer les investissements directs à travers la libéralisation du commerce extérieur ou à stimuler
l’investissement interne à travers la relance du crédit. Cependant les politiques d’offre adoptées en
Haïti entre 1986 et 2009 ont échoué à placer cette économie sur les sentiers d’une croissance
durable. D’autre part, les relances keynésiennes (2010-2020) donnent lieu à des situations de
stagflation et à une dépréciation de la monnaie nationale. Cette section montre les causes de l’échec
des deux stratégies de relance.

1.3.- Les taux d’intérêt et la baisse des revenus des entreprises et des ménages

Les taux d’intérêt trop élevés tendent à décourager l’investissement productif. Ils poussent les
entreprises à transférer au secteur bancaire des revenus qui auraient pu être investis ou versés en
salaires aux ménages. Ces intérêts constituent une part du PIB qui est soustraite à la consommation
et à l’investissement. En conséquence, la demande globale baisse. Depuis plus de deux décennies,
l’économie haïtienne a connu une telle situation.
Du début des années 1980 jusqu’à la première décennie du millénaire, les diagnostics des
faibles taux de croissance en Haïti partaient du constat que les dépenses de l’État étaient la cause
des déficits de la balance commerciale, de la hausse des prix, de la faiblesse de l’investissement

13
privé en entretenant la stagnation et l’aggravation du chômage. Pour corriger ces déséquilibres, les
décideurs haïtiens tendaient à baisser la masse des dépenses publiques ou à restreindre le crédit à
la production. À cet effet, la banque centrale mène des opérations d’open-market à travers la
politique des bons BRH. Elle émet des bons sur le marché que les banques commerciales utilisent
pour placer une épargne qui n’est pas convertie en prêts à la production.
La banque centrale émet des bons souscrits par les banques commerciales ; elle verse des
intérêts sur une épargne oisive que les banques de second rang. Entre 2017 et 2019, les bons échus
à 91 jours étaient rétribués au taux de 12 % par an. Après, ils sont passés à 22 % pendant la
deuxième moitié du 2019 et à 15 % par an en 2020. Ce graphique qui couvre la période 2000-2020
donne une évolution des taux d’intérêts, des tensions sur les prix et des différentes politiques qui
sont adoptées sur cette durée. Dans ce contexte, les taux d’intérêt versés sur les bons servent de
taux directeurs pour fixer les taux d’intérêt sur le crédit à la production.
Graphique 4: Évolution des taux d’intérêt offerts sur les bons BRH

30%

25%

20%

15%

10%

5%

0%
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020

Source : Banque de la République d’Haïti

Ces taux suffisent aussi pour montrer que les entreprises doivent acquitter des taux d’intérêt
très élevés lorsqu’elles demandent un emprunt. En effet, puisque les banques peuvent rémunérer
l’épargne déjà oisive à ces taux-là ; elles voudront imposer un taux plus élevé aux entreprises. Le
graphique 5 présente les taux élevés que les banques exigent de leurs clients. Ces taux se situent
dans un intervalle compris en 10 % et 15 % pour les prêts en dollar, et jusqu’à 33 % pour les prêts
en gourde. Ces données montrent toutefois que les taux d’inflation sont certaines fois supérieurs
aux taux de l’intérêt sur les prêts en gourde.

Graphique 5 : Évolution du taux d’inflation, des taux d’intérêt sur les prêts entre 2000 et 2020

14
Taux d'intérêt sur les prêts en gourde
Taux d'intérêts sur les prêts en dollar
Taux d'inflation en glissement annuel

Source : Banque de la République d’Haïti

Compte tenu du coût élevé du capital, les entreprises locales deviennent moins compétitives et
perdent des parts de marché, car les revenus financiers tendent à confisquer le surplus des richesses
créées en contribuant à une baisse réelle du revenu des ménages. Le graphique 3 montre que, quelle
que soit l’année, les revenus financiers peints en bleu tendent à s’adjuger au moins 0,7 % du PIB.

Graphique 6: Taux de croissance du PIB de 2000 à 2020 et part des revenus du secteur
bancaire

8.0%
6.0%
4.0%
2.0%
0.0%
-2.0%
-4.0%
-6.0%
Part des bénéfices du système bancaire dans le PIB
Taux de croissance du PIB

Sources : BRH et IHSI

Sur la période 2001-2006, la part des revenus financiers est plus grande que les richesses créées
qui évoluent en dents de scie, ce qui signifie que le revenu disponible diminue, sauf à l’année 2008
où les intérêts financiers ont capté 0,8 % d’un PIB qui a cru de 3,8 %. Les autres revenus ont
augmenté de 3 %.

15
Selon ce graphique, le PIB a baissé de 1 % en 2002, mais les revenus financiers ont accaparé
0,48 % du PIB, part des richesses qui va aux banques. Cela signifie que les revenus des ménages
ont baissé de 1,48 %. La différence positive entre la courbe en orange du PIB et la courbe en bleu
des intérêts financiers permet de mesurer le recul de la part des autres revenus. Puisque les revenus
des ménages baissent, la demande effective suit la même tendance en entraînant une chute des
investissements privés.
Dans cette conjoncture marquée par la stagnation, plus la part des revenus financiers croit dans
le PIB, plus les parts de marché des entreprises diminuent, car, pour verser des frais financiers et
transférer une part plus forte de leurs revenus au secteur bancaire, les entreprises sont obligées de
baisser les salaires ou ne pas embaucher. Plus la part des revenus financiers s’élève dans le PIB,
plus le revenu disponible des ménages diminue et plus l’investissement des entreprises recule.
Voilà un des facteurs de la faiblesse des investissements privés dans l’économie haïtienne.

1.4.- Les politiques néoclassiques et keynésiennes de relance

De 2000 à 2009, les politiques de l’État haïtien semblent vouloir provoquer un choc d’offre
afin de stimuler l’investissement privé. Les taux directeurs sur les bons BRH sont exagérément
élevés. Sauf en 2002 et 2005, ils ont dépassé les 10 % par an. Les taux moyens sur les prêts et en
gourde sont de 20,70 % et ceux en dollar sont de 11,91 % par an.

Graphique 7: Évolution des taux d’intérêt offerts sur les bons BRH

30

25

20

15

10

Source : Banque de la République d’Haïti

Toutefois les entreprises ne peuvent pas investir afin de produire pour les marchés étrangers,
car la main-d’œuvre n’est pas préparée ; elles ne fabriquent non plus pour le marché local, car la
demande baisse dans un contexte où les salaires sont rognés par les transferts allant au secteur
bancaire. La relance par l’offre bute aussi sur la contrainte ou la rigidité des facteurs, dont la rareté

16
des infrastructures et des ressources humaines qualifiées. D’autres mécanismes devraient être
étudiées afin de trouver des liaisons vertueuses qui existent entre les deux variables.
En plus du partage du PIB qui profite surtout aux revenus financiers, l’économie haïtienne est
souvent frappée par de nombreux chocs externes qui tendent à faire diminuer le revenu per capita,
dont le taux de croissance démographique qui avoisine les 1,7 % par an, et les chocs d’origine
naturelle : séismes et cyclones qui détruisent les infrastructures et les maisons en provoquant la
décapitalisation du secteur productif et des ménages. Face à ces situations, les entreprises ne
peuvent qu’engager des investissements de remplacement, même si l’aide externe est importante.
Pour sortir de cette stagnation durable, les dirigeants haïtiens ont tenté de stimuler les créations
d’entreprises ou de faire baisser les taux directeurs et indirectement les taux d’intérêt sur les prêts
aux entreprises. Cette deuxième tendance est entamée en 2007 et s’est poursuivie après 2010 quand
l’aide externe a afflué en Haïti. En dépit de tout, le PIB par tête d’habitant stagne, ce que confirment
les graphiques 2 et 3. Il semble que les seules baisses des taux d’intérêt sont insuffisantes pour
stimuler l’investissement, car, les taux d’intérêt réels restent excessivement élevés si l’on observe
l’écart qui existe entre les taux d’inflation et les taux d’intérêt sur les prêts. Selon le graphique 5,
cet écart peut varier entre 10 % et 18 %.
Les relances keynésiennes supposent que l’appareil de production peut répondre à une
impulsion de la demande et que la productivité peut croître en facilitant une baisse des prix locaux.
Mais, puisqu’il manque les investissements dans les infrastructures et dans les savoir-faire et que
la demande globale croit avec le crédit, l’inflation se diffuse, car toute stimulation de l’économie
par le crédit tend à entraîner la hausse des prix et également le déficit de la balance commerciale,
la hausse du taux de change et de taux d’intérêt. Depuis 2016, ce type d’inflation s’est installé en
Haïti en dépit du fait que la Banque centrale intervient sur le marché des changes.

1.5.- Les transferts sans contrepartie et la stimulation de la demande

Face au sous-emploi frappant la population active et la faiblesse des revenus des ménages, il
est permis de croire que les transferts sans contrepartie des expatriés peuvent alimenter la demande
en contribuant à stimuler l’investissement. La question mérite un approfondissement qui n’est pas
l’objet de cette étude. Toutefois ce graphique donne le niveau de ces transferts.
En Haïti, les transferts sans contrepartie équivalant à environ 25 % du PIB haïtien permettent
de compenser les fuites du circuit macroéconomique, mais ils ne sauraient contribuer à stimuler
l’investissement privé.
Avec ces revenus, les ménages peuvent maintenir un certain niveau de consommation. Mais
leurs dépenses ne suffisent pas pour contribuer à la relance l’investissement privé dans un contexte
de marché ouvert et aussi de faiblesse du capital humain et de la productivité, car il ne suffit pas
pour les entreprises d’avoir une demande solvable. Celles-ci doivent pouvoir offrir des produits à
des prix qui leur permettent de concurrencer les produits importés. Sans cet acquis, les produits
importés coûtant moins chers font concurrence à la production locale ; les ménages en achètent
davantage en provoquant d’autres fuites du circuit macroéconomique.

17
Graphique 8 : Transferts des travailleurs émigrés de 2009 à 2019 (En millions de dollars)

3327.9
3114.47
2614.17
2358.65
2195.56
1977.03
1781
1612.33
1551.37
1473.8
1375.55
1222.09

2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019

Source : Banque de la République d’Haïti

L’impression donnée est qu’il est possible pour les entreprises de produire en Haïti des biens
qui sont importés et pour lesquels des intrants existent sur place. Mais, si le revenu disponible
chute, car les biens importés alimentent des de devises fuites, les entreprises feront face à une
demande en baisse ; elles ne pourront pas fabriquer de nouveaux biens sans subir une mévente.
C’est le paradoxe qui existe en Haïti entre la diversité des biens consommés et un investissement
privé très faible. Les entrepreneurs croient à une multitude d’opportunités, mais ils n’arrivent pas
à capter les marchés existants, car c’est à travers un relèvement de la productivité, la baisse de
leurs coûts de production et de leurs prix, et par conséquent avec une hausse des revenus réels que
les ménages pourront introduire de nouveaux biens dans leurs paniers de consommation.
Dans ce contexte, les interventions économiques du gouvernement doivent toujours viser une
forte augmentation de la productivité, notamment dans le secteur agricole, afin de couvrir la part
des revenus allant au secteur financier tout en laissant aux ménages des revenus plus importants
avec lesquels ils pourront s’acheter de nouveaux biens. Dans le cas contraire, les entreprises ne
trouveront pas la demande qui leur permettra de croître.

18
Encadré 1 : Les besoins de crédit du secteur agricole

Les enquêtes réalisées sur les coûts et les marges indiquent que le secteur agricole est marqué
par un mode d’organisation qui limite les demandes de crédit et l’accès au crédit.
Le crédit doit répondre à quatre besoins. Il doit :
1. financer les infrastructures, dont les systèmes d’irrigation, les silos de stockage, les
plateformes de collecte ainsi que les plantations des cultures pérennes ;
2. servir à payer les outils nécessaires à la production ;
3. acheter les intrants (semences et produits phytosanitaires et conseils à la production)
4. rémunérer la main-d’œuvre.
C’est à travers une analyse des coûts de production que l’on pourra globalement apprécier les
causes de la faiblesse du crédit au secteur agricole.
Certains secteurs cultures ont des coûts de production relativement élevés justifiant une
demande de crédit. Mais une part assez élevée de la valeur ajoutée va au producteur. Ce sont les
céréales. Le producteur doit accaparer une part importante du produit. La famille consomme une
grande part de la valeur du produit. Cela prouve que la productivité est faible, car le producteur
a un problème de débouché ou d’accès aux intrants. Il ne saurait exister un volume important de
crédit dans ces conditions. Ce crédit ne viendra que s’il existe en amont des services poussant
le producteur à améliorer le volume de la production et en aval une garantie des débouchés lui
permettant de vendre et pouvant le convaincre d’acheter des intrants. Ces conditions sont
négociées au niveau de la politique commerciale et de la politique agricole du pays. Les
débouchés de la production sont dans les villes. Ce sont aussi les salariés du secteur agricole.
En ce qui concerne les cultures pérennes, les données collectées montrent que les coûts de
production sont proche de zéro. Cela signifie que le crédit n’a servi ni à financer la plantation ni
à renouveler ce capital. De plus, les travailleurs faisant la récolte ne sont pas payés. Ces derniers
doivent cultiver leur propre nourriture. D’où l’absence d’un besoin de crédit. Dans ces aires de
production, beaucoup de ménages peuvent se trouver confrontés à la pauvreté monétaire.
D’autres part, les produits issus des cultures pérennes ont une forte productivité, cela
explique que les parts allant au producteur sont faibles. Ces biens sont périssables. Les pertes
sont énormes ; les coûts de distribution sont très élevés. Cette situation justifie un double besoin
de crédit qui porte sur la recherche de procédés de transformation et la régénération des
plantations. Le besoin de débouchés se posera pour les biens transformés. De plus, les
travailleurs associés à cette production doivent être rémunérés.
Ces données indiquent que le crédit est nécessaire dans le secteur agricole, mais il n’est pas
toujours là où l’on croit que les producteurs ont un besoin de crédit. Souvent le besoin ne porte
pas sur une culture en tant que telle, mais sur l’encadrement du secteur. En effet, le crédit doit
viser les infrastructures, la sélection des semences, les autres intrants et les procédés de
transformation. Ces changements dans l’orientation du crédit ne dépendent pas du producteur,
mais surtout des politiques commerciales et agricoles qui assurent les débouchés et facilitent

19
l’accès aux moyens de production. De plus, le pays doit tenter un autre modèle d’entreprise
agricole porteur d’une approche sociale montrant que les travailleurs sont payés.

Tableau 1 : Coût de production et revenu du producteur et % de quelques produits agricoles


Produits Coûts de production Revenu du producteur
Arbre à pin 0% 15%
Avocat export 0% 33%
Avocat 0% 21%
Cacao 0% 53%
Chadèque 0% 30%
Citron 0% 24%
Giraumon 0% 13%
Grenadia 0% 21%
Mangue exportée 0% 14%
Mangue local 0% 24%
Mandarine 0% 31%
Orange douce 0% 16%
Apiculture 1% 39%
Patate douce 2% 41%
Malanga 3% 36%
Manioc doux 4% 36%
Piment 5% 49%
Chou 6% 9%
Igname 6% 35%
Papaye 6% 34%
Sorgho 6% 50%
Pomme de terre 14% 5%
Banane 15% 64%
Carotte 15% 14%
Pois congo 20% 40%
Tomate 20% 13%
Maïs 23% 49%
Vétiver 24% 51%
Haricot 25% 50%
Alcool 26% 44%
Rapadou 27% 36%
Arachide 33% 27%
Riz 35% 40%
Pite 40% 52%
Oignon 48% 16%
Sources : MARNDR et BID, Identification de créneaux potentiels dans les filières rurales haïtiennes,
2006.

20
2- Les investissements privés de 2000 à 2020

En matière d’investissements privés, le public semble surtout s’intéresser aux investissements


directs étrangers qui témoignent de l’attractivité du pays et aux grands projets privés qui peuvent
contribuer à changer profondément le système productif. Pourtant, outre ces initiatives, l’économie
est construite à travers une multitude de grandes et petites décisions d’investissements privés dont
la durée est le court, le moyen et le long terme. En effet, certains investissements portent sur
l’année, dont ceux qui concernent la production agricole. Certains autres facilitent la fabrication
des biens manufacturés et mettent une durée plus longue avant d’être amortis et remplacés. Le
troisième groupe regroupe les initiatives qui requièrent des durées beaucoup plus longues. Un
producteur agricole investit parfois sur une année ou moins d’une année ; un commerçant sur
environ trois mois, un projet industriel prend quatre ou cinq ans. Certains mettent vingt ans pour
être rentabilisés.
Dans un pays qui fait surtout appel aux capitaux étrangers, qui restreint le crédit à la production
depuis les années 1980 et abrite un secteur informel grandissant, la plupart de ces investissements
sont inconnus du système bancaire. L’autofinancement constitue la composante principale du
financement en Haïti. Car souvent l’entreprise, le producteur agricole ou le producteur indépendant
utilise ses propres moyens au lieu de solliciter le crédit d’une banque. Cette situation concerne
surtout le secteur agricole et le secteur manufacturier dans une moindre mesure. Dans ce contexte,
il est difficile de calculer le montant total des investissements privés pour une année.
Les données de l’IHSI
Pour parler des investissements privés, en l’absence de données récentes, nous présentons
l’enquête nationale de 2014 du ministère du Commerce et de l’Industrie qui donne une
photographie des entreprises haïtiennes. La composition du secteur productif aurait peu évolué
pendant ces dernières années, si l’on fait exception des cessations d’activité causées par la
pandémie (2020-2021) et des crises politiques qui durent depuis 2018.

2.1.1- Le poids écrasant des entreprises de distribution en Haïti

L’enquête de 2013 montre que 82 % des entreprises recensées en Haïti sont orientées vers la
vente de biens et de services notamment importés. Les 18 % restants constituent des entreprises
de transformation ou des autres services.

21
Graphique 9 : Répartition des entreprises haïtiennes de transformation et de distribution en
2013

Autres Non Réponse


13% 1%
Entreprises de
transformation
4%

Achat et vente
biens/services
82%

Source : Ministère du Commerce et de l’Industrie

Les statistiques du crédit bancaire fournies par la banque centrale permettent de saisir
l’évolution et la nature des investissements privés en Haïti. Elles confirment le poids écrasant des
entreprises d’achat et vente de biens et de services dans l’orientation du crédit. La part du crédit
au commerce de gros et détail a toutefois diminué de manière sensible en passant de 36,5 % de
l’encours en 2000 à 23,2 % en 2016. Elle est remontée à 31.2 % en 2020. Les assurances et affaires
immobilières tiennent une place croissante dans l’ensemble du crédit. Le crédit à l’industrie
manufacturière décline en 2007 après avoir connu une progression après 2001. Les prêts aux
particuliers évoluent de manière chaotique ; ceux allant au secteur agricole restent dérisoires dans
l’encours du crédit.

Graphique 10: Répartition en pourcentage de l’encours des prêts par secteur d’activité

22
Commerce de gros et détail Industries manufacturière
Services et autres Assiuraancs et affaires immobilières
Prêts aux particuliers Transport, entrepôt et communication
Bâtiments et travaux publics Électricité, gaz et eau
Agriculture, sysviculture et pâche
40.0%

30.0%

20.0%

10.0%

0.0%

Source : BRH

Les changements survenus dans la répartition du crédit bancaire vont de pair avec des
politiques économiques qui sont davantage inspirées par une approche keynésienne après 2010 et
aussi par d’autres évolutions du secteur productif, dont le poids des affaires immobilières et des
assurances qui a grandi après le séisme. Certains événements favorables ont facilité la relance du
crédit à la production en entraînant une baisse relative du crédit au commerce de gros et détail,
dont l’annulation d’une partie de la dette externe d’Haïti et les entrées des dons dues au séisme de
2010. La baisse du crédit au commerce va aussi de pair avec une hausse du poids des prêts allant
à la reconstruction des installations de distribution détruits en 2010.

2.1.2. Les entreprises haïtiennes de transformation

Les entreprises dédiées à une activité de transformation forment 4,2 % des 2803 unités de
production. Une revue des données collectées atteste que les deux catégories Autres et les Non
réponse sont souvent à des activités desservant la clientèle d’un quartier. Les données suggèrent
que l’économie haïtienne est très concurrencée, que la majorité des entreprises distribuent des
produits importés et que les individus multiplient les activités de service parfois dans le secteur
informel afin de se garantir un revenu. Il en résulte que 82 % des entreprises d’achat et de vente
font de la distribution. Même les économies atteintes par le phénomène de désindustrialisation qui
délocalisent leurs industries intensives en main-d’œuvre n’ont pas ce pourcentage aussi élevé
d’activités qui entrent dans le secteur tertiaire.
L’intérêt est de montrer les produits que les entreprises haïtiennes transforment. Les données
attestent que 1,6 % des entreprises, soit 44 unités, s’activent dans l’assemblage et la sous-traitance
internationale, des unités qui créent beaucoup d’emploi. Les entreprises qui transforment les

23
matières premières locales totalisent 805 unités ; l’artisanat constituent 14,2 % du nombre, soit
398 unités de production.

Tableau 2: Répartition du nombre des entreprises de transformation en 2013

Champs d’activité Nombre En %


Artisanat 398 14.2%
Transformation matières premières 806 28.8%
Constructions /matériaux de construction 272 9.7%
Exploitation de ressources 150 5.4%
Tourisme et activités connexes 727 25.9%
Services 406 14.5%
Assemblage et sous-traitance 44 1.6%
Total 2803 100.0%
Source : Ministère du Commerce et de l’Industrie

Certaines de ces entreprises ont un potentiel de croissance et peuvent écouler leurs produits sur
les marchés étrangers. Mais, en l’absence d’une politique industrielle et d’un programme de
marketing des produits locaux, elles se limitent au marché local. Cette contrainte déterminera
l’orientation des investissements privés.

Graphique 11: Les entreprises haïtiennes en 2014, sans le commerce et les entreprises de
proximité

Services
14% Artisanat
14%

Assemblage et sous-
traitance
2%

Tourisme et Transformation
activités connexes matières premières
26% 29%

Constructions
Exploitation de /matériaux de
ressources construction
5% 10%

Source : Ministère du Commerce et de l’Industrie

24
2.1.3- L’aide externe et le développement des entreprises locales

.Des liens sont établis de fait entre l’aide externe à Haïti et les investissements privés. L’aide
externe servant à améliorer l’offre dans des activités telles que l’eau potable et l’assainissement,
les infrastructures et les services sociaux, le transport et l’entreposage, les industries
manufacturières, la production et la distribution de l’énergie, aux banques et aux politiques
commerciales servent à renforcer les entreprises de ces secteurs. Les décideurs en ont-ils profité
pour renforcer ces secteurs ou ces différentes branches d’activité. Après le séisme de 2010, les
montants provenant de l’aide externe étaient plus importants que le volume du crédit bancaire,
mais ils tendent toutefois à baisser et à devenir deux fois moins élevées. Le graphique permet de
comparer l’évolution des ressources provenant des deux sources de financement.

Graphique 12: Évolution comparée du crédit bancaire et de l'aide externe au secteur productif
de 2011 à 2016

100000

80000

60000

40000

20000

0
2011 2012 2013 2014 2015 2016
Crédit du secteur bancaire Montant de l'aide externe

Source : BRH

Toutefois une ambiguïté demeure quant à savoir si l’aide externe est une ressource publique
servant aux entités de l’État à payer leurs commandes en contribuant à alimenter les entreprises de
construction et de distribution, ou si elle est utilisée afin de stimuler la création d’entreprises ou à
renforcer le tissu productif. Il ne faut pas négliger le fait que depuis le milieu des années 1940, les
deux branches des élites dirigeantes haïtiennes sont en désaccord sur les choix économiques de
leurs pays. Sur le plan opérationnel, il semble que l’aide externe est déconnectée de
l’investissement privé. Les entreprises ne parviennent pas à émerger en relation avec cet apport de
ressources. C’est comme si l’aide ne profite pas au secteur productif bien qu’elle contribue à
doubler les ressources qui profitent aux entreprises. Son poids tend aussi à baisser, ce qui annonce

25
une chute du volume des devises entrant en Haïti et une difficulté plus grande d’Haïti à importer
des biens équipements.
D’autre part, d’autres indicateurs contredisent que l’aide peut avoir un poids notable sur
l’investissement privé en Haïti. Les données suggèrent que l’aide évolue dans un sens qui tend à
faire diminuer les revenus disponibles des ménages. Par exemple, ces revenus tendent à baisser du
fait du poids de la dette publique (interne et externe). Le service de la dette haïtienne tend à
dépasser le taux de croissance du PIP, ce qui indique que les revenus des ménages tendent à baisser.
Le financement externe à Haïti est parfois négatif, ce qui indique que les remboursements
dépassent les aides reçues et font diminuer la demande globale. Le graphique suivant montre que
le financement externe est négatif entre 2000 et 2002, 2004 et 2009. Pendant ces moments, les
autorités haïtiennes ont dû augmenter la pression fiscale ou intervenir sur le marché des changes
afin d’acheter des devises servant à rembourser la dette. Puis, deux nouveaux événements ont
contribué à provoquer une évolution positive de l’aide à Haïti : l’annulation de la dette externe du
pays et les effets du séisme de 2010.

Graphique 13: Évolution du financement externe en millions de gourdes de 2000 à 2016

14,000.00
12,000.00
10,000.00
8,000.00
6,000.00
4,000.00
2,000.00
0.00
-2,000.00

Source : BRH

Le tableau suivant montre les limites à l’accroissement de l’investissement en Haïti et illustre


l’impact du service de la dette sur le revenu disponible. En ajoutant les revenus financiers du
secteur bancaire aux intérêts versés sur la dette publique, on comprend que la croissance du revenu
disponible est toujours négative dans l’économie haïtienne.

Tableau 3: Part du service de la dette dans le PIB de 2017 à 2020

2016-17 2017-18 2018-19 2019-20


Service Totale de la dette 13,067.64 16,218.65 33,302.21 60,989.56
Exportations (en MG 109,248.51 116,426.84 145,725.28 110,930.99

26
PIB au prix courant 986,919 1,076,413 1,244,014 1,449,887
Service de la dette/Exportation en
% 12.0% 13.9% 22.9% 55.0%
Service de la dette/PIB en % 1.3% 1.5% 2.7% 4.2%
Dont, service de la dette
interne/PIB 0.7% 0.9% 2.0% 3.5%
Dont, service de la dette
externe/PIB 0.6% 0.6% 0.7% 0.7%
Taux de croissance du PIB 2.5% 1.7% -1.7% -3.3%
Sources : BRH et IHSI

Dans ce genre de situation, même les anciennes entreprises ne peuvent pas croître, car les
ménages ne disposent pas des revenus plus importants pouvant les aider à acheter de nouveaux
biens. Il ne suffit pas seulement d’encourager la création d’entreprises, il faut aussi insister sur
l’accroissement de la productivité et de la production afin de compenser les fuites du revenu global
servant à payer le service de la dette.

2.1.4- Les investissements directs étrangers en Haïti

Sous certaines conditions, les investissements directs étrangers (IDE) contribuent à accroître
les investissements privés en Haïti où leurs opérations peuvent être classées en cinq catégories.
1- Des entreprises multinationales veulent investir dans les partenariats publics et privés. Cela
concerne les wharfs, les aéroports, les routes, les entreprises d’électricité et d’eau potable.
Ces opportunités sont peu exploitées en Haïti.
2- Des entreprises multinationales exploitent un marché domestique protégé de la
concurrence externe. Ce sont les cas de la téléphonie et de la distribution dans les
supermarchés.
3- Des entreprises multinationales trouvent à l’extérieur des marchés pour les produits qui
abondent en Haïti et contribuent à faire le marketing de ces produits. C’est le cas du cacao.
Ces possibilités d’affaires sont à présent assez rares, car l’offre locale est rigide et le
marketing international des produits typiques d’Haïti est très faible.
4- Certaines multinationales s’installent en Haïti afin de générer des produits ou des services
qui seront écoulés sur les marchés étrangers. C’est le cas du tourisme ;
5- Des multinationales se lancent dans la prospection des richesses minières pouvant exister
dans le sous-sol Haïti et leur exploitation éventuelle. L’opinion en parle. Mais les
informations ne sont pas diffusées avec exactitude.
6- Des entreprises financières multinationales s’impliquent dans le micro-crédit en profitant
de la rareté du crédit qui frappe les petits producteurs et les micros entreprises de
distribution.

27
Ces différentes motivations se sont traduites par des entrées modestes de capitaux en Haïti qui
s’orientent vers des marchés protégés ou le tourisme d’affaires et humanitaire.

Graphique 14: Évolution des investissements directs en Haïti de 2000 à 2019

400 374.86

350

300

250 161.92

200 178
160.6 156 105.68
150 119
99 104.9 105
100 74.5 75
55.47
50 26 29.8
3.7 4.4 5.7 13.8 6.9
0

Source : Banque de la République d’Haïti

Les entreprises téléphoniques, l’internet et la télévision par satellite entrent dans la catégorie
des entreprises qui s’installent en Haïti en profitant de la taille du marché intérieur. Les IDE
arriveront dans des secteurs abrités. Par exemple, la hausse des IDE en 2006 est due aux
investissements entreprises dans la téléphonie. Le secteur minier est l’objet de convoitise. Les
autres possibilités d’investissement directs étrangers en Haïti restent maigres, car l’impulsion n’est
pas encore venu d’actions exercés par les acteurs haïtiens.

Plusieurs difficultés empêchent de parler des investissements privés. En premier lieu, la


classification utilisée dans les statistiques nationales et dans l’enquête nationale néglige certaines
branches qui ont un potentiel et ont peut-être un besoin de crédit. Les statistiques douanières
montrent qu’Haïti importe en majorité des biens d’équipements orientés vers la production de
l’énergie, le transport, mais aussi des biens qui vont aux industries créatives et des intrants allant
à l’industrie du textile, aux industries pharmaceutiques et à l’industrie agroalimentaire.
Une grande partie des importations répond à des investissements de remplacement ou
contribue à faire faire tourner des entreprises installées. C’est le cas des équipements servant à la
production de l’énergie électrique. De plus, le gros de ces biens importés concerne la reconstitution
des équipements détruis par le séisme de 2010. Dans ce cadre, la baisse relative du crédit au
commerce de gros et détail montrée plus haut est due à une remontée du crédit à long terme allant
vers la construction de nouveaux bâtiments soutenant le commerce de gros et détail.

28
Les données rappellent aussi qu’il est nécessaire de repenser les institutions qui encadrent
l’entreprise en Haïti et de réformer le statut d’entrepreneur. Car entrepreneur vit dans une situation
de grande précarité sociale. En 2013, 0.54% des entreprises offrent une assurance maladie ; 0.98%
est affiliée à une assurance vieillesse. De plus, les entrepreneurs font davantage confiance aux
compagnies privées d’assurance. Cet aspect n’est pas pris en compte quand il s’agit d’encourager
les investissements privés en Haïti.

2.2- Les observations du terrain et les résultats des entretiens avec des entrepreneurs

Les acteurs privés et les dirigeants d’associations patronales rencontrés ont tous admis que les
grands investissements ont été rares sur la période 2000-2020, tant dans le secteur agricole que
dans les entreprises des zones franches. Pourtant, entre 2000 et 2020, beaucoup d’initiatives sont
prises pour dynamiser l’investissement privé en Haïti. La loi Hope en 2004 visait à multiplier les
entreprises de la sous-traitance. Après le séisme de 2010, les Fonds Buch-Clinton avaient l’objectif
de renforcer les petites et moyennes entreprises. Plus tard, le gouvernement du président Martelly
(2011-2016) a lancé des initiatives dans le tourisme. Le projet de tourisme côtier des deux
départements du Sud et du Nord entre dans ce cadre D’autres projets appuient le développement
régional. Par exemple, à travers le FAES, le FIDA finance l’édification d’infrastructures locales et
la protection de l’environnement.
Les personnes rencontrées ont fait la distinction entre les projets hôteliers dus aux effets du
séisme et les projets de petit entrepreneurs. Plusieurs projets hôteliers ont été réalisés à Port-au-
Prince, à Pétion-ville et dans le reste du pays. Ce sont les hôtels Oasis Haïti, Best Western, Villa
Thérèse, Kinam, Montata, Marriott, Le Village d'Ennery. Les réparations à El Rancho. Le Cap
Haïtien a connu plusieurs autres produits hôteliers, dont les hôtels Satama et Villa Cana.
Decamaron a été réaménagé à Montrouis. Certains investissements dans le domaine de la
téléphonie ont donné lieu à d’importants investissements étrangers dans la DIGICEL et la
NATCOM.
Quelques grands investissements sont réalisés dans la promotion des parcs industriels qui ont
été érigés à Caracol (2012), à Laffiteau (Lafito industrial free zone, 2015), à la Croix de Bouquets
(Zone franche de Digneron, 2018) et sur la frontitère haïtiano-dominicaine (Zone Franche
MANZAVA, 2016). Des extensions ont été réalisés 2011 à la SONAPI (Delmas) en et à CODEVI
sur la frontière en 2016. Un microparc a été lancé à Saint Raphaël dans le Nord.
Dans le domaine des infrastructures, la production de l’énergie électrique devient un domaine
ouvert à investissements privés. À partir de 2005, l’État passe des contrats d’achat d’électricité à
des opérateurs privés qui ont consenti à l’occasion d’importants investissements. Puisque la
compagnie publique doit distribuer l’électricité et qu’elle ne dispose pas d’une capacité installée
suffisante, l’État haïtien est contraint de passer des contrats d’achat à des compagnies privées en
encourageant des investissements dans ce secteur. Au moins deux compagnies ont été ou restent
des fournisseurs de l’État : la Sogener à partir de 2005 et E-power à partir de 2011. Puisque les

29
ménages de tout le pays demandent l’accès à l’électricité, l’État continue d’élargir le nombre de
ses fournisseurs qui mettent en place de petits réseaux.
Cependant les conditions de la production d’une énergie viable sur le long terme, donc aidant
à créer des entreprises dans tout le pays et permettant aux ménages de générer des revenus plus
importants ne sont pas réunies en Haïti, que l’on soit dans les grandes agglomérations, les petites
villes ou en milieu rural. Cette première condition n’est pas réunie, il en découlera des contraintes
qui expliquent les récentes évolutions de la petite industrie haïtienne.
Le secteur agricole décline du fait de la difficulté à renouveler les grandes infrastructures et les
nouvelles plantations, car le crédit à la production manque. Mais des entrepreneurs ont su valoriser
des produits en déclin qui sont appréciés sur les marchés étrangers (café, cacao, ricin), ou lancent
de nouveaux produits, dont la mangue et le moringa. En exploitant des volumes peu importants de
ces produits venant surtout de petites exploitations, les entrepreneurs visent des marchés
rémunérateurs, mais ils ne participent pas à un accroissement substantiel de l’offre. Le constat
montre que les supermarchés étalent un nombre plus important d’articles locaux. Mais, les produits
allant aux ménages gagnant des revenus modestes sont souvent importés (riz, pate alimentaire,
poulet de chair) en occasionnant les fuites du circuit macroéconomique, car la production de masse
est délaissée. Il en résulte une certaine pénurie et la rigidité des prix qui entravent l’essor du secteur
manufacturier, car l’offre des biens allant aux besoins des salariés de l’industrie stagne.
Face à la cherté des produits locaux, les besoins de masse sont surtout satisfaits par des produits
importés, situation qui met en question les objectifs de redressement de la balance commerciale et
de convertibilité de la monnaie nationale. Les transferts sans contrepartie permettent d’alimenter
cette demande de produits importés. Les ménages optent pour les produits importés, car la
production de masse manque ; elle exige en amont des investissements importants encore non
engagés dans les infrastructures et les savoir-faire. Elle requiert aussi des marchés solvables
exigeant certainement un soutien aux débouchés, donc une politique commerciale qui facilite
l’écoulement de la production et le retour des capitaux investis. Suivant le cadre libéral de la
politique économique, cette coordination des mesures et des actions fait défaut en Haïti.
Dans ce contexte, les investissements privés se multiplient dans les activités qui sont protégées
de la concurrence externe. C’est le cas de l’hôtellerie, de la téléphonie, du transport routier et aérien
où l’on observe des améliorations dans l’offre et la qualité des services. De nouveaux services
financiers sont offerts à la clientèle, dont les transferts électroniques de monnaie. Cependant
l’apport des nouvelles technologies à l’essor des autres secteurs reste dérisoire. Les promesses l’e-
commerce lancé en 2020, durant les premiers mois du confinement tardent à se confirmer, car les
entreprises locales ne sont pas en mesure de proposer une offre importante et diversifiée, et de
baisser leurs prix face à la concurrence externe. Dans le secteur agricole, certains produits
d’élevage et cultures ont fait l’objet d’investissements épars mais importants, dont le petit mil, les
produits maraîchers, l’igname, le poulet de chair et les œufs. Les investissements dans le traitement
et l’exportation de la mangue ont été les plus importants. Ceux qui avaient été réalisés dans le riz
pendant les années 2000 font face à une diminution de la production. Les entreprises de

30
transformation ont beaucoup investi dans l’emballage de leurs produits qui continuent à souffrir
d’une image défavorable face aux produits importés.

2.3- Les carences des politiques industrielles nationales

L’économie haïtienne est fortement concurrencée ; les entreprises perdent des parts de
marchés, plusieurs branches d’activité déclinent ; les emplois deviennent de plus en plus précaires.
La situation macroéconomique se détériore, car les infrastructures sont de mauvaise qualité, et la
productivité du travail reste faible. La gestion de l’électricité, des routes, des ports et de l’eau
d’irrigation est relativement inefficace. Au lieu de chercher à améliorer la productivité du capital
en imaginant de nouveaux mécanismes de gestion et d’appliquer de nouveaux savoir-faire, les
acteurs économiques tendent à accroître le nombre des projets qui se gênent parfois en contribuant
à multiplier les contraintes.
Il est incontournable que l’État haïtien recourt à des contrats de concession afin de promouvoir
les services à la production. Cependant si la productivité globale reste faible alors que beaucoup
de capitaux sont investis, il sera difficile de générer de nouveaux revenus afin récupérer le capital
investi. À ce moment, les faillites seront nombreuses et la monnaie nationale se dépréciera. À
l’inverse, si la productivité reste faible, alors que les dirigeants font en sorte que les contrats de
concession sont rentables (le cas de e-power), les ménages seront obligés de transférer une partie
de leurs revenus au capital. Pour éviter l’une ou l’autre de ces deux issus, les acteurs économiques
publics ou privés doivent toujours viser une amélioration de la productivité dans tous les projets
infrastructurels et de production. Quel que soit le motif infrastructurel, de production ou social,
chaque nouveau projet doit répondre à l’objectif qui est l’amélioration de la productivité. Voilà un
nouveau critère auquel tous les projets publics et privés doivent se conformer.
1. Les biens salariaux diminuent en contribuant à freiner à l’investissement privé, car les
entreprises trouvent de moins en moins de revenus disponibles leur permettant de
préserver leurs marchés ou de maintenir le volume des ventes, car les ménages
consacrent une part encore très importante de leurs revenus à l’achat de produits
alimentaires, ce qui leur laisse peu d’argent pour les autres biens. Des investissements
importants sont nécessaires pour relancer la production de ces biens afin d’améliorer le
pouvoir d’achat des salaires et de créer de nouveaux revenus. Les infrastructures de
base et les connaissances sont les premiers secteurs où il faut investir.
2. Sans une politique des débouchés et des prix garantis, les producteurs agricoles se
mettent à produire en profitant des pénuries. Ils adoptent un comportement malthusien
qui est peu propice à une baisse des prix des biens alimentaires, ce qui affecte le niveau
de vie des salariés et la confiance dans l’entreprise.
3. La politique agricole est inapplicable, car il manque d’un côté les rendements et de
l’autre les quantités pour avoir la taille critique permettant aux entreprises locales de
faire face à la concurrence externe. De l’autre, les mesures de garantie des débouchés
sont inadéquates. Par exemple, si un investisseur investit et augmente sa production, il

31
aura du mal à trouver des débouchés. Si un producteur de manioc s’avise d’ensemencer
trois hectares, il ne pourra pas écouler sa production. Car la forme sous laquelle le
produit est commercialisé est inadéquate face aux exigences de la demande. Ce cas
d’un produit agricole concerne plusieurs produits du secteur agricole, de l’artisanat et
du secteur manufacturier.
4. À travers le budget, les dirigeants allouent des crédits à l’université sans discuter avec
ses responsables des performances à atteindre en matière de production de
connaissances et de savoir-faire appliqués au secteur productif ou de transcription des
connaissances en savoir-faire applicables. Certains secteurs importants sont négligés
en termes de modèles d’organisation, dont celles qui concernent les industries créatives.
Les modèles économiques de la plupart des secteurs d’activité sont inadéquats, dont le
mode de gestion des entreprises infrastructurelles.
5. Les responsables politiques et les entrepreneurs ne partagent pas la même culture
autour de l’investissement privé, ni un consensus sur les secteurs économiques
stratégiques qu’il est nécessaire de promouvoir avec des capitaux privés et publics. Les
taux d’intérêts sont trop élevés et contribuent à la faillite des entreprises.
6. Les politiques industrielles sont inefficaces. Sans les services infrastructurels de qualité
et des savoir-faire efficients, les investissements s’orientent vers des marchés protégés.
Les IDE s’orientent vers l’accaparement des positions sans améliorer les rendements
souhaités en Haïti. Ils cherchent à accéder à des marchés captifs ; ils génèrent des
profits qui seront investis à l’étranger en entrainant des fuites de devises, une hausse
du taux de change et des prix. Les incitations de l’Etat portant directement sur
l’entreprise ont atteint leurs limites. Les investissements nouveaux servent à exploiter
les ressources disponibles ou les marchés disponibles sans amener une diversification
de l’économie ou l’extension de la gamme des biens produits. Les nouveaux projets
d’investissements servent à exploiter les ressources disponibles ou les marchés
disponibles sans amener une diversification de l’économie ou l’extension de la gamme
des biens produits.
7. Les entreprises de transformation se limitent à la fabrication de produits traditionnels
(confiture, beurre d’arachide, café et chocolat en poudre, sucreries, etc.). Ces produits
locaux se détériorent souvent. Ils sont rarement stables, définis en poids, en composants
rigoureusement établis. Le produit n’est pas accessible sur des marchés étrangers, là où
le consommateur veut à tout moment avoir la même quantité pour son argent. Les
entrepreneurs locaux ne peuvent pas exploiter les opportunités de produits existants en
Haïti, car les informations manquent sur la manière de fabriquer leurs produits. Ces
savoir-faire doivent être définis afin que les produits typique d’Haïti puissent atteindre
les marchés étrangers. Ce manque d’information techniques freine la multiplication des
entreprises qui peuvent exploiter les mêmes produits.
8. Le Ministère du Commerce et de l’Industrie n’a pas une politique de produit. Ses
politiques portent surtout sur la formalisation des entreprises. Les aides au financement

32
des entreprises sont dérisoires et inappropriées. Car les entreprises ont très peu de
produits techniquement définis et les savoir-faire leur permettant de les fabriquer. Ils
n’ont pas de produits qui puissent aider à remplacer les produits importés. Cela
concerne tous les secteurs d’activité. Puisque ces connaissances de base manquent, les
nouveaux entrepreneurs ne savent pas quoi produire et comment trouver les matières
premières.
9. Beaucoup d’entrepreneurs n’ont pas une maîtrise technique des produits qu’ils
souhaitent offrir à leurs clients. Ils ne sont pas épaulés par la recherche universitaire.
Les normes et les standards de fabrication des biens et des services sont inexistants. La
carence de savoir-faire et de compétences techniques concerne autant les entreprises de
fabrication que la gestion des infrastructures. Les connaissances sur les produits et les
savoir-faire manquent. Il faut une politique industrielle basée sur le produit.
Les entreprises peinent à croître et l’investissement privé à se développer, car l’environnement
de marché ainsi que les choix stratégiques et économiques nationaux sont inadéquats. De nouvelles
ligne d’actions sont souhaitables afin de sortir le secteur productif de son marasme.

2.4- Une autre vision de l’investissement privé en Haïti

La vision libérale entrave la promotion d’investissements publics structurants servant à


redresser les conditions de la production et de valorisation des avantages comparatifs d’Haïti. Par
exemple, l’application de la loi sur la passation demeure un handicap pour le secteur manufacturier.
Les achats de l’État ne parviennent pas à impulser la production locale, car les normes techniques
décrivant les produits devant être achetés par l’État ne sont pas définies. De ce fait, les entreprises
locales ou qui veulent s’installer en Haïti ne sont pas en mesure de monter des programmes de
production qui répondent aux besoins de fournitures de l’État tout en leur servant de levier pour
atteindre d’autres marchés. Ces achats équivalant à 3 % du PIB sont des opportunités perdues pour
les entreprises de transformation. Ils s’ajoutent aux fuites du circuit macroéconomique.
Sans les nouvelles connaissances, il est difficile d’augmenter la gamme des produits. Sauf pour
le petit mil, les cas montrant que la recherche est valorisée ou est passée du milieu universitaire au
secteur productif sont très rares. La transformation des produits locaux traîne par rapport à ceux
au reste du monde, car l’absence de savoir-faire confine les produits locaux à l’état de biens non
transformés. Toutefois la confection artisanale de chaussure constitue un exemple de secteurs qui
résistent et peuvent s’attaquer au marché étrangers.
En fonction des choix de production, nous décelons le caractère concurrencé de l’économie
haïtienne, une économie où les entreprises peinent à fabriquer des produits qui s’attaquent aux
marchés étrangers, des projets qui résistent face à la concurrence externe. Les investissements les
plus nombreux des petites entreprises sont liés aux produits typiques d’Haïti, et les montants les
plus importants irriguent des secteurs rentabilisés à partir de la commande publique (l’électricité,
location de salle d’hôtel) ou des accords préférentiels (les parcs industriels). Sauf pour les parcs

33
industriels et l’hôtellerie, les capitaux s’orientent vers des secteurs où les taux de profits résultent
de convention (station de produits pétroliers). Les investissements décelés dans les statistiques
douanières répondent surtout aux motifs de remplacement. Les autres qui visent à accroître les
capacités sont réalisés dans les parcs industriels annonçant l’entrée de capitaux étrangers. Pourtant
l’épargne des ménages dort dans les banques. Il n’existe pas jusqu’à date un manque d’épargne
pour financer la croissance quand on croit que l’épargne libellée en dollar équivaut à de la
thésaurisation, à une stratégie de maintien de la valeur du patrimoine des agents économiques, car
il existe une difficulté d’engager cette épargne dans la production.

2.4.1- Le problème du financement

Quel serait le problème qui justifierait un niveau relativement faible des investissements privés
par rapport à l’épargne disponible ? Beaucoup parlent de la difficulté de lever des fonds en Haïti
afin de financer de grands projets de production ainsi que des investissements structurants. Les
arguments avancés par les personnes rencontrées ne résistent pas à l’analyse, car la rareté des
ressources dédiées à l’investissement découle de trois facteurs défavorables à la constitution d’une
masse d’épargne et à sa fructification. Il s’agit d’abord du mauvais montage du système financier,
de l’engagement ambigu des pouvoirs publics en faveur de projets économique structurants et de
la faible capacité de générer des entreprises d’améliorer la qualité des produits fabriqués et de
baisser les coûts de production.
L’épargne en dollar dormant dans les banques est excessivement élevée. Il équivaudrait à
environ 2,5 milliards de dollars. Ces moyens peuvent contribuer à assurer la convertibilité de la
gourde si la relance de l’investissement entraine d’importantes sorties de devises. Pour l’instant,
ces montants ne peuvent pas être affectés au financement de la production, car les autorités
nationales n’ont pas une stratégie de recomposition de l’épargne en trois composantes : une
épargne utilisable à très court terme, une deuxième partie à moyen terme et une troisième à long
terme. Cette stratégie de différenciation de l’épargne aurait facilité la formation et la disponibilité
de ressources à long terme pouvant contribuer à financer les infrastructures et à surmonter cette
contrainte

34
Évolution des dépôts bancaires de 2000 à 2021
300,000.00

250,000.00

200,000.00

150,000.00

100,000.00

50,000.00

-
Aug-00
Sep-00
Sep-01
Sep-02
Sep-03
Sept.04
Sep-05
Sep-06
Sep-07
Sep-08
Sep-09
Sep-10
Sep-11
Sep-12
Sep-13
Sep-14
Sep-15
Sep-16
Sep-17
Sep-18
Sep-19
Sep-20
Sep-21
Dépôts en millions de gourdes Dépôts en millions de dollars

Source : BRH

Pour générer une production compétitive sur les marchés étrangers et qui remplace les produits
importés sur le marché local, l’État doit contribuer à la diffusion de savoir-faire facilitant une
amélioration de la productivité dans les entreprises en les mettant en mesure de s’attaquer aux
marchés étrangers. En troisième, les autorités haïtiennes peuvent encourager l’investissement,
mais ils n’ont pas montré la volonté de transformer les structures de l’économie. Dans ce contexte,
l’épargne ne fait pas l’objet d’une approche stratégique qui aurait permis que les dépôts faits en
dollar puissent être orientés vers des projets de production qui rapporte des devises ou qui les font
économiser.
D’autre part, les entreprises de transformation tournées vers le marché intérieur charrient des
faiblesses en termes de standard et d’image venant de la carence des connaissances et des savoir-
faire ainsi que d’une maîtrise insuffisance des marchés visés. En surplus, le refus des pouvoirs
publics de différencier l’épargne en produits divers atteste que ces décideurs n’ont pas défini les
objectifs et les étapes intermédiaires pour atteindre les résultats. Ils restent avec la vision du laisser-
faire et n’ont pas fixé un délai en termes années pour arriver à leurs objectifs. Cette carence
explique le manque de connaissances produites sur le secteur productif et la faiblesse du dialogue
des pouvoirs publics avec les autres acteurs de la société sur les objectifs collectifs et individuels
à atteindre.

2.4.2 Un modèle de décision défaillant

Existe-t-il, en ce qui concerne le soutien de l’État à l’investissement privé, un modèle haïtien


de décision associant les agents de l’État et les représentants du secteur privé, modèle qui facilite
la coordination des actions entre les deux groupes d’acteurs et des prises de décision rapide autour
de leurs choix ? Quel motif un agent de l’État peut-il avancer pour organiser ou refuser le soutien

35
de l’État à un groupe de projets économiques ou pour identifier les actions qui puissent contribuer
à faire avancer un secteur d’activité ? Face à ces questions, il est possible pour l’agent de l’État
d’avoir une formation sérieuse dans le domaine concerné par la décision, mais sa motivation et
son travail dépendent souvent des idées qu’il a nourries autour de l’économie nationale. Il doit être
informé sur le futur possible en Haïti. À ce niveau, on saisit les carences d’information des
dirigeants et des agents de l’État servant à soutenir les projets d’investissement privé.
Souvent les agents de l’État peuvent être peu informés des possibilités de croissance en Haïti
et sur les politiques sectorielles à mener pour y arriver, car cette information n’est ni diffusée dans
les universités ni débattue par les divers acteurs. Si certains individus ignorent les choix qui doivent
être faits, c’est que l’ensemble des acteurs n’ont pas des idées convergentes sur ce qu’il faut faire
notamment lorsque les choix sont mis en concurrence. Le modèle de décision souffre d’un déficit
d’information et notamment de réflexions sur l’économie haïtienne. En effet, pour que les acteurs
puissent s’entendre sur les choix, ils devraient d’abord partager les mêmes informations. Pourtant,
au-delà de rapports occasionnels, aucune instance ne donne aux acteurs la possibilité de discuter
avant de parvenir à des choix. Dans ce contexte, c’est après avoir mis du temps et de l’argent pour
présenter des dossiers d’étude que des entrepreneurs verrons que des responsables et des agents de
l’État ne sont pas disposés à soutenir leurs projets, car ils ignorent le contenu des projets.

36
3- Les investissements de la stratégie haïtienne de développement

La principale mesure visant à attirer les investissements étrangers en Haïti est le code des
investissements. Il élimine les droits de douanes pour les entreprises dont la valeur ajoutée locale
atteint 35 % de la valeur du produit. Cependant, dans le même temps, les dépenses publiques dans
les infrastructures et le capital humain sont éparses et peu significatives. Cette stratégie laisse
supposer que les capitaux étrangers peuvent profiter des matières premières et d’une main-d’œuvre
locale peu formée. Mais, les opportunités d’investissement sont assez faibles, car au moment où
l’État encourage le secteur manufacturier, la production agricole tend à baisser et les prix des biens
alimentaires à augmenter, situation qui engendre une baisse de la valeur réelle des salaires, des
tensions entre patrons et salariés qui entravent la croissance des industries de sous-traitance. Ces
choix économiques des années 1960 pèsent sur les actuelles stratégies de développement d’Haïti.
Dans ce cadre, les capitaux externes s’orientent vers les industries de main-d’œuvre : les
assemblages électroniques et le textile. Puisque ces entreprises profitent des incitations fiscales et
ne paient pas les taxes qui permettent à l’État d’investir dans le capital humain, un salarié du
secteur manufacturier est un individu qui avait profité des ressources du secteur agricole pour
s’instruire. Il ne dispose pas d’autres ressources. Dans ces conditions, l’épargne générée dans le
secteur agricole prend la forme d’un capital humain qui profite au secteur manufacturier. Ces
ressources ne retournent pas au secteur agricole. L’épargne provenant du secteur manufacturier
équivaut à une partie des revenus agricoles qui ne sont pas réinvestie dans ce secteur. Ses
exploitations se décapitalisent au moment où le secteur manufacturier s’agrandit. Le graphique
suivant nous permet de comprendre cette évolution et montre aussi la tendance à la baisse de
l’efficacité ou même à la déconnexion entre l’investissement global et certains secteurs d’activité.

Graphique 15: Croissance des secteurs d'activité et de l'investissement global de 2000 à 2020

37
0.70
0.60
0.50
0.40
0.30
0.20
0.10
0.00
-0.10
-0.20

Secteur primaire Secteur secondaire


Secteur tertiaire Investissement global

Source : BRH et ISHI

Sur les vingt dernières années, l’investissement global a augmenté de plus de 60 % en valeur
réelle. Le secteur manufacturier a suivi la même tendance. Le secteur tertiaire traîne par rapport à
ce trend. C’est comme si la croissance dans les secteurs tertiaire et agricole diverge par rapport à
l’évolution de l’investissement global. Suivant ce schéma, la marche du secteur agricole n’a
aucune connexion avec l’investissement global ; il n’a cru que de 10 % en valeur réelle en deux
décennies. Ces données attestent que les évolutions de l’investissement global et du secteur
agricole sont totalement déconnectées.
Dans ce contexte, l’inflation est due à une rigidité de l’offre notamment des produits agricoles.
L’application du code des investissements conduit à une croissance relativement faible de la valeur
ajoutée dans le secteur manufacturier. Les entrepreneurs n'ont pas souvent les travailleurs qualifiés
pour lancer leurs activités. Leurs expériences sont souvent insuffisantes. La technologie n'est pas
souvent disponible. Les protocoles techniques ne sont pas établis. Il devient difficile pour une
entreprise de construire ses moyens. Que l'on soit au niveau technique, de la gestion du personnel,
des tarifs ou de la clientèle, les normes ne sont pas définies. Elle ne permet pas d’identifier les
entreprises manquantes dans l’économie, notamment celles qui exigent de la connaissance ou une
norme qui est décidée par les autorités étatiques.

3.1. Les investissements publics et privés manquants de l’économie haïtienne

Le code des investissements est conçu afin d’attirer des investissements privés en Haïti. Mais
cette stratégie ne permet pas d’identifier les interventions qui permettent d’améliorer les
compétences professionnelles, les ressources qui servent à financer les infrastructures et les normes
qui montrent la manière de canaliser ces investissements. Les investissements relevant du secteur
public ou du secteur privé manquent dans les domaines suivants :
1. la réflexion sur l’économie, la gouvernance globale et la gouvernance locale ;
38
2. les investissements dans la recherche et la définition des savoir-faire ;
3. les investissements dans les infrastructures agricoles ;
4. les investissements dans les normes de gestion des infrastructures ;
5. les procédés de transformation des produits agricoles ;
6. le recensement et le marketing des produits typiques d’Haïti sur les marchés locaux et
étrangers ;
7. l’économie de la connaissance et les industries créatives.
En ce qui concerne la réflexion sur l’économie, la gouvernance globale et locale, l’agent de
l’État doit pouvoir repérer les opportunités d’investissements dans les différents secteurs de
l’économie, mettre en place des outils, et savoir à tout moment quoi faire pour les stimuler. Les
investissements dans la recherche et développement (R&D) la définition des savoir-faire servent
à ravitailler les entreprises en procédés qui les aident à transformer les produits du pays. La
définition des savoir-faire s’adresse également au secteur public quant à la manière il peut répondre
à chaque besoin de l’économie.
Les investissements dans les infrastructures concernent toutes les communes du pays. Chaque
infrastructure financée est supposée se présenter sous la forme d’une entreprise dont la gestion
peut être publique, mixte ou privée. La norme pour savoir comment rentabiliser ces infrastructures
ne sont pas encore définies afin d’avoir des entreprises publiques, mixtes ou privées dans ce
secteur.
Les investissements dans les normes de gestion des infrastructures exigent que des réflexions
soit élaborées et que des formations approfondies soient réalisées pour savoir comment investir et
gérer chaque infrastructure, qu’il s’agisse des routes, des compagnies d’électricité, des marchés
publics, des systèmes d’irrigation, des biens du patrimoine immobilier de l’État, des plateformes
de collecte des produits agricoles. Les normes doivent contribuer à faire éclater un grand nombre
d’entreprises dans ces secteurs.
Les investissements dans la R&D doivent contribuer à concevoir des procédés qui aident à
transformer des produits du pays et même pour en faire des matériaux Actuellement, les
producteurs haïtiens ne disposent pas suffisamment de procédés qui les aident à faire ces
transformations. Il est nécessaire de partir des produits agricoles actuels et d’identifier ceux qui
sont un rendement et un potentiel élevés en termes de marchés exploitables. Ces procédés de
transformation peuvent contribuer à générer un grand nombre de nouvelles entreprises qui offrent
des produits qui remplacent des biens alimentaires qui sont pour l’instant importés. La recherche
doit aussi aider à identifier des produits agricoles dont la production doit servir d’intrants à de
nouvelles branches de production.
Les produits typiques d’Haïti constituent un vaste domaine peu exploité par les entrepreneurs
haïtiens. Leur exploitation ne concerne pas seulement la présentation des produits sur le marché ;
elle porte aussi sur la formation d’une main-d’œuvre qui maîtrise les procédés de fabrication, la
multiplication des entreprises qui peuvent proposer des labels et faire évoluer la gamme de leurs
produits. Pour chaque produit typique, il aurait été nécessaire d’avoir des labels et des gammes qui
aident à les identifier.

39
L’économie de la connaissance et les industries créatives renvoient à des produits existant en
Haïti mais qui sont sous-exploités et peu valorisés, dont la réflexion scientifique, la peinture, le
cinéma la musique, la danse, le livre, l’artisanat d’art, les éléments du patrimoine immobilier, la
cuisine, les produits de la médecine traditionnelle, les logiciels, la transposition de la connaissance
en savoirs applicables, les entreprises technologiques servant à transmettre des savoir-faire aux
autres entreprises. Ce sont des centaines d’entreprises exploitant des ressources au niveau local et
national, et pouvant écouler leurs produits sur des marchés étrangers.
L’ensemble de ces activités dépendent en premier des résultats de la R&D qui doit indiquer
comment aborder chaque produit et contribuer à générer des savoir-faire alimentant le secteur
public et les entreprises privées, et aussi des normes à suivre validées par les pouvoirs publics. Ces
investissements étaient négligés et n’étaient pas identifiés quand il s’agissait seulement d’attendre
les IDE exploitant le seul code des investissements. De plus, les politiques de stabilisation mises
en œuvre en Haïti pour surmonter le déficit budgétaire et attirer les investissements étrangers ont
contribué à retarder la formulation de politiques et de mesures qui puissent aider à structurer ces
secteurs.

3.2. La réponse aux industries manquante : une économie organisée autour de prototypes

L’économie haïtienne est caractérisée par des secteurs manquants et par des industries
manquantes. Ces activités peuvent exister, mais elles ne sont pas organisées sur la base d’une
industrie ayant une technologie, un savoir-faire et un marché organisé. C’est le cas de la gestion
des infrastructures, de la gestion de la connaissance, des industries créatives. Il est difficile pour
une entreprise d’investir dans ces activités qui exigent d’abord de la connaissance en tant que bien
public. Pour arriver à une organisation rapide de ces activités en entreprises, ce rapport propose
une phase du développement des entreprises haïtiennes qui s’appuie sur la stratégie des prototypes
qui permettra de répondre à l’objectif 9 du millénaire du développement, à savoir l’innovation, la
multiplication des infrastructures et la promotion de l’industrie.
En parlant d’entreprises manquantes en Haïti, le constat suggère qu’une économie nationale
possède un grand nombre d'entreprises qui offrent les mêmes services et qui utilisent les mêmes
technologies. Elles peuvent être confrontées aux mêmes contraintes et gérées à partir des mêmes
normes techniques, comptables et sociales. Pour les créer et les gérer, il faudra les mêmes
techniques, les mêmes normes sociales et comptables. Pour cela il faut concevoir un prototype
pour les entreprises qui peuvent produire et offrir les mêmes biens ou les mêmes services. Dans
une optique d’accroissement de l’investissement privé en Haïti, la stratégie de prototype permet
de diffuser rapidement des techniques en partant des groupes d'entreprises qui présentent des
similitudes en termes de produits offerts et de savoir-faire mobilisé.
La R&D doit aider à générer pour chaque produit un prototype qui décrit les savoir-faire
techniques et organisationnels pour chaque groupe d’activités similaires, dont la gestion d’une
route, d’une entreprise de spectacle de musique, de production de plantule. Pour chacun de ces
cas, il faut un prototype. Beaucoup d’entreprises de service recourent à des prototypes. Par

40
exemple, la gestion d'un bâtiment de marché public urbain ou rural exige des savoir-faire en
gestion du bâtiment, de la clientèle, du personnel, etc. Ces services du secteur public ou mixte ont
tous besoins d'un modèle de gestion, un savoir-faire qui peut être répliqué. Les savoir-faire en
matière de gestion des infrastructures physique et de gestion de ce personnel constitue un paquet
technique. Quand le prototype sera établi, il sera possible de le répliquer et d'améliorer la
productivité dans les différents secteurs de l’économie nationale.
Dans le cadre d’une branche, le prototype est un modèle technologique et d’organisation qu’il
est possible de répliquer à toutes les entreprises d’un secteur. Il facilite une diffusion rapide de la
technologie. Une fois que le prototype est fixé, il est possible de porter une entreprise à l’appliquer
et de multiplier le nombre des entreprises qui génèrent et fabriquent des produits similaires.
La recherche de modèle est nécessairement financée par le budget qui permet de rendre le savoir-
faire disponibles et accessible. À ce moment, le coût de l'information baisse pour les entreprises,
car il n'est plus nécessaire de multiplier le coût de la recherche pour générer le savoir technique et
organisationnel pour une activité. Une entreprise qui gère un système d'irrigation peut demander à
appliquer un savoir-faire déjà disponible sur la gestion de l’eau. Pour obtenir ce service,
l’entreprise d’irrigation recourt au service d’une entreprise technologique.

3.3. Des entreprises technologiques

Ce rapport propose un découpage du système productif haïtien en quatre sections. La première


regroupe les entreprises infrastructurelles qui offrent les services à la production. Le deuxième
groupe comprend les entreprises technologiques qui apportent des savoir-faire aux autres
entreprises. La troisième regroupe les entreprises de transformation ; la dernière représente les
entreprises de distribution. Ces quatre groupes d’entreprises font face à des demandes spécifiques
de crédit et de normes de gestion. Il faut des politiques spécifiques à chacune de ces sections.
En ce qui concerne les entreprises technologiques, elles se spécialisent dans la réplication des
procédés. L’expertise de l’entreprise technologique consiste à proposer des solutions
technologiques et à répliquer les savoir-faire dans un secteur d’activité. Cette entreprise propose
des formations dans les domaines techniques et organisationnels. Ces entreprises d'un genre
différents contribuent à fixer les savoir-faire en contribuant à la création d'entreprises viables dans
leurs secteurs. L’entreprise peut acquérir Il certaines composantes du savoir de manière rapide,
sans passer par une expertise. D’autres composantes peuvent être apportée par une firme de
conseil, en dispensant l'entreprise de prendre le risque et un temps illimité pour construire un savoir
dont le produit n'est assuré de résister face à la concurrence.
Pour une branche d’activité, une entreprise technologique doit être en mesure de décomposer
les connaissances en savoir-faire. Elle peut présenter les procédés de montage ou de fabrication
sous la forme de cahiers techniques accessibles aux producteurs. Elles sont en mesure d'assister
les entrepreneurs d'une activité dans le montage de leurs entreprises. La création des entreprises
technologiques facilite la multiplication rapide des entreprises dans un secteur de production. La

41
standardisation des techniques facilite la création d'un plus grand nombre d'entreprises et de
diminuer les risques techniques et de gestion d'une activité non encore maîtrisée.
L’État haïtien devraient encourager la création des entreprises technologiques sans lesquelles de
nombreuses autres ne seront jamais créées. Quand ces premières entreprises auront été conçues et
que les débouchés auront été constitués, il sera possible de passer à une autre phase de
développement qui est la formation de cluster autour de certains produits.

3.4. La promotion des investissements directs étrangers

La promotion d’une approche par prototypes permettra de développer rapidement une main-
d’œuvre locale mieux qualifiée. À partir de ces nouvelles compétences techniques, les entreprises
locales pourront commencer par attirer des IDE qui peuvent viser trois groupes d’opportunités du
marché haïtien :
1- Les richesses minières si les explorations montrent que certains gisements existent sur le
territoire et sont exploitables dans le présent ou le futur. Les entreprises minières apportent
les capitaux, l’expertise et emploient une main-d’œuvre locale peu importante ;
2- Les marchés abrités s’adressant aux besoins des ménages où les entreprises locales n’ont
ni le savoir-faire ni les ressources financières pour les exploiter ;
3- Les secteurs où les acteurs locaux ont déjà développé un savoir-faire qui aide les entreprises
étrangères à mieux valoriser leurs capitaux. C’est le cas de la sous-traitance.
D’autres IDE peuvent arriver dans d’autres secteurs si les entreprises locales sont préparées à
offrir ces opportunités. Au fur et à mesure du développement technologique, les opportunités de
ce troisième groupe devront augmenter. Nous insistons sur la possibilité d’améliorer la
productivité dans chaque secteur.
Dans le secteur agricole, les IDE peuvent viser des marchés étrangers et locaux si les pouvoirs
publics donnent des orientations en matière de politique agricole et de développement du marché
national à travers l’adoption de nouveaux patrons de consommation et la recherche culinaire. Ce
n'est pas la création de l'entreprise qui compte mais le fait d'avoir une technologie, un savoir-faire
et des personnes formés pour réaliser un produit. À ce moment, il devient plus facile de faire des
joint-venture avec des entreprises étrangères qui opèrent dans le même secteur et peuvent réaliser
un transfert de technologique aux entreprises haïtiennes. Cela signifie que les acteurs haïtiens
doivent aussi s’engager dans le développement de nouveaux savoir-faire afin que les IDE puissent
profiter de ces opportunités.

3.5 Les investissements publics face aux investissements manquants du secteur productif

La connaissance constitue un domaine stratégique des économies contemporaines. Sa gestion


est un des aspects de la stratégie de développement. Les investissements dans la connaissance sont
importants dans n’importe quelle économie. Ils déterminent la capacité des employés des secteurs

42
public et privé à préparer des décisions et à appliquer de nouveaux savoir-faire. Les nouvelles
connaissances aident aussi à corriger certaines limites des politiques de l’État.
Il manque à Haïti les investissements publics qui servent à améliorer la contribution de la
connaissance à la croissance. Le pays accumule des lacunes dans ce domaine, car les normes pour
financer la connaissance et la faire progresser ne sont pas encore établies. Le taux de scolarisation
augmente : le nombre des jeunes Haïtiens et Haïtiennes admis comme étudiants payant ou
boursiers dans les universités haïtiennes et à l’étranger s’accroit. Mais ces investissements dans le
capital humain vont de pair avec une crise sociale qui s’aggrave en Haïti. Il existe un décalage
entre les taux de diplomation et la croissance du PIB en Haïti. D’où l’intérêt d’évaluer l’efficacité
des investissements consentis dans ce pays par les familles, l’État et l’aide externe dans la
formation du capital humain.
En général, les investissements dans la connaissance proviennent surtout de l’État et un peu
moins des laboratoires des grandes entreprises, car une fois qu’elle est produite, le résultat devient
un bien public qui profite à tous et non à l’entité ou l’individu qui avait dépensé pour son
élaboration. Dans ce cadre, il faut du financement public afin de produire des connaissances et des
savoir-faire qui deviendront des biens publics. D’où l’intérêt de revoir le budget de l’État haïtien
afin de voir l’effort qui y est déployé afin de soutenir la production de connaissances sur la société
et sur les produits existant dans le pays. Ici, on verra si les entreprises locales sont en mesure
d’offrir des produits nouveaux et compétitifs sur le marché local et les marchés étrangers.
Au-delà du financement de la connaissance, un autre aspect de cette activité concerne les
contenus qui sont enseignés aux enfants et aux jeunes. En Haïti, les générations futures ne sont pas
initiées à la connaissance des savoirs et des savoir-faire produits dans la société. Nous en avons
plusieurs preuves. Souvent les parents déconseillent à leurs enfants de s’initier dans les savoir-
faire et les métiers qu’ils sont pratiqués : c’est une preuve de non-progrès. De plus, très peu de
ressources publiques sont allouées dans le budget à l’étude des produits existants sur le territoire,
à l’enseignement des connaissances existantes, à la production et la diffusion de nouvelles idées
sur la société. De plus, suivant les pratiques d’enseignement dans les universités haïtiennes, les
enseignants acceptent que les générations montantes ignorent les idées et les savoir-faire des
anciennes générations ; ils n’enseignent pas ces réflexions. Dans ce contexte, les jeunes tendent à
préférer les réflexions produites à l’extérieur en négligeant celles qui sont élaborées dans leur
société ; ils sont alors mieux préparés pour travailler dans un autre pays que de travailler en Haïti.
En fait, suivant le mode de fonctionnement des universités et de leurs pratiques de formation,
les étudiants haïtiens n’ont pas appris à commenter les textes produits sur Haïti, les critiquer afin
d’élaborer leurs propres idées. Ils peuvent même passer en dérision les connaissances qui y sont
élaborées, car ils n’ont pas appris à les lire. Ils sont alors mal outillés pour connaître les idées
existantes, les amender les connaissances et les appliquer. Ils n’ont pas été rompus à cet exercice
dès l’université. Même s’ils obtiennent des diplômes très élevés, ils ne contribuent pas à améliorer
les manières de faire. Qu’ils aient étudié en Haïti ou à l’étranger, ils n’ont pas été formés pour
travailler sur les produits du pays.

43
Dans ce cadre, les investissements dans le capital humain ne conduisent pas à un processus
d’accumulation des connaissances et des savoir-faire. C’est pour cela que les entreprises haïtiennes
ne parviennent pas à multiplier des gammes de biens à partir des produits typiques du pays et que
le budget a du mal à avoir un impact sur les entreprises à travers une génération de jeunes
techniquement toujours mieux formés sur les réalités et les produits existant dans la société. Voilà
une des causes du blocage des entreprises qui ne peuvent pas offrir des produits nouveaux à partir
des matières premières existant sur le territoire. Parfois le jeune entrepreneur ne sait pas quoi
produire même s’il a suivi une formation en entreprenariat, car il n’a pas accès à des connaissances
élaborées sur les produits du terroir.

Encadré 2: Exploiter les richesses existantes ou créer de nouvelles opportunités

L’idée première inspirant la stratégie de croissance en Haïti repose sur l’hypothèse que
l’économie haïtienne dispose de ressources foisonnantes qu’il est possible d’exploiter. C’est la
conception de la terre généreuse que les flibustiers de la Caraïbe avaient pendant l’époque
coloniale. Les pouvoirs publics croient que les opportunités sont suffisantes pour développer de
nouvelles entreprises. Cette idée suppose que le pays dispose des richesses qu’il est possible
d’exploiter. Les dirigeants ne prennent pas d’engagement ; ils ne s’impliquent dans la création
des opportunités, mais ils font appel à des capitaux étrangers. Ils s’attendent que les investisseurs
étrangers apportent les capitaux et les savoir-faire en Haïti.
Selon une autre vision, des dirigeants peuvent considérer que les possibilités de croissance
sont insuffisantes. Pour compenser cette faiblesse, ils mobilisent les moyens de l’État afin de
créer les opportunités de la croissance. Ils se considèrent comme des promoteurs du
développement. Ils encouragent la construction des connaissances, des savoir-faire et les
investissements publics afin de faciliter les investissements privés. Ils sont à l’origine des
opportunités qui profitent au reste de la population.
Ces deux idées inspirant deux stratégies de développement dépendent des valeurs qui
traversent la société. Les dirigeants profitent des opportunités de la société ou s’impliquent dans
la création de celles-ci. Ils sont disposés à faire avancer la société ou profitent de ses richesses.
Ils appellent les autres à profiter des richesses ou à les faire fructifier. Selon ce premier cas, la
stratégie de développement n’est pas encore définie, car les normes d’accumulation des
connaissances, de gestion du capital et de valorisation des ressources du pays suivant une
logique de développement durables ne sont pas encore établies. Les conditions d’accès aux
services de base et de partage des richesses ne sont pas encore fixées par les acteurs de la société.

44
45
4. L’épargne et le financement de la croissance en Haïti

Étant aux prises avec une instabilité politique depuis plus de trente ans (1986-2022) et au
banditisme depuis ces dernières années, Haïti porte l’image d’un territoire où le capital investi peut
être gaspillé ou perdu. Le pays fait fuir les investisseurs étrangers et les épargnants de sa diaspora.
L’épargne nationale est largement sous-utilisée. Cette section montre les différentes composantes
de cette épargne, l’orientation qui est faite de ces ressources. Cette réflexion montre des possibilités
d’accroître le volume de l’épargne tout en montrant les secteurs où il existe un besoin de capitaux.

4.1- La composition de l’épargne nationale

L’épargne mobilisables dans l’économie nationale est divisée en plusieurs groupes dépendant
des choix d’un agent économique, de mesures institutionnelles ou d’individus qui expriment la
volonté de constituer un fonds privé.

4.1.1- L’épargne des agents économiques

Qu’elle provienne des ménages, des entreprises ou est une ressource de l’État, l’épargne est
liée à un revenu : salaire des ménages, profit des entreprises ou recettes fiscales de l’État. Elle en
est la partie non dépensée. Pour les ménages, c’est l’avoir monétaire qui reste après les dépenses
courantes et l’impôt. Pour les entreprises, elle provient de l’écart positif sur période qui existe entre
ses ventes et ses dépenses diverses en salaires, frais financiers, redevance sur les brevets et impôts.
Cet écart tend à augmenter pendant les périodes de forte croissance quand le rendement du travail
s’élève alors que les coûts de production diminuent ou restent stables. L’épargne diminue quand
la hausse des salaires réels devient un moyen pour stimuler la consommation notamment dans les
économies fortement industrialisées.
Le volume de l’épargne des particuliers et des entreprises peut être mesuré à partir des données
collectées par la banque centrale. La conversion de cette épargne en dollar au taux de change en
fin de période nous permet de saisir l’ampleur de ces moyens. Le total de l’épargne s’élève à 4,4
milliards de dollars ; 2,5 milliards sont détenus en dollars, car les agents économiques tendent à
convertir leurs avoirs en dollar qui devient la monnaie de réserve en Haïti.

Graphique 16: Montant et composition de l’épargne détenue dans le système bancaire

46
5,000.00
Épargne en gourde convertie en dollar
Épargne en dollar
4,000.00 Épargne totale en dollar

3,000.00

2,000.00

1,000.00

-
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
Source: Banque de la Républoique d’Haïti

4.1.2- L’épargne du secteur public

L’Etat contribue aussi à la formation de l’épargne nationale. Le solde entre les recettes de l’État
et ses dépenses de salaires, d’achats de biens et services, de versement d’intérêts sur la dette
publique constitue l’épargne publique. A la fin, il reste des ressources que l’Etat peut investir dans
les infrastructures et le capital humain en vue de contribuer à améliorer l’offre de biens publics, la
diffusion de nouvelles connaissances et de nouveaux savoir-faire. La dépense publique devient
ainsi le support de la politique monétaire, car elle facilite l’élévation de la productivité dans les
entreprises qui sont en meilleure position pour négocier leurs demandes de crédit auprès des
banques. Cette synergie entre dépenses publiques et épargne des entreprises doit être recherchée
afin que le pays puisse attirer des investissements étrangers.
Actuellement, les déficits budgétaires énormes financés par la création monétaire contribuent
à faire baisser la valeur de l’épargne. En effet, la masse monétaire augmente sans que ces nouvelles
dépenses ne contribuent à un accroissement du volume des richesses.

4.1.3- L’épargne contractuelle

Outre cette épargne résultant du choix de chaque agent économique, il existe aussi l’épargne
contractuelle qui peut contribuer à augmenter la masse globale de l’épargne et le taux
d’investissement. Constituée par les cotisations sociales sur le travail, les fonds de pension et
l’assurance-vie, l’épargne contractuelle est prélevée sur les salaires. Elle résulte de négociations
paritaires menées entre les salariés, le patronat et l’État sur la manière de financer la retraite des
salariés. Un accord parfois tacite définit des conditions d’affectation de cette épargne à certains
investissements et de paiement de la pension par les salariés.

47
En Haïti, la loi du 28 août 1967 fixe le niveau des cotisations sociales de l’assurance-vieillesse
et les conditions de paiement des pensions 1. L’Office National d’Assurance (ONA) collecte
l’épargne retraite des salariés des entreprises. Ces fonds sont alimentés par un prélèvement de 12
% sur les salaires ; l’entreprise et le salarié versent chacun 6 %. En 2017, ce montant était de 4,6
milliards de gourdes. Pourtant l’enquête de 2013 du ministère du Commerce et de l’Industrie
montre que 630 entreprises sur 66643, soit 0,9 % du total, étaient affiliées à l’ONA (389) ou à une
autre compagnie d’assurance (241) 2. Le décret de 1975 définit une modalité d’affectation des fonds
au logement des particuliers 3.
Aux ressources de l’ONA s’ajoutent les fonds de pension des agents de l’État, dénommés fonds
de la Pension Civile. Ils sont alimentés par un prélèvement à la source de 8 % sur les traitements
et salaires. La masse salariale du budget était de l’ordre de 46,3 milliards de gourdes en 2019-2020
et 55,1 milliards en 2020-2021. D’autres entités du secteur public gèrent l’épargne retraite de leurs
employés (BRH, Ed’H, etc.). De plus, des compagnies d’assurance locales proposent l’assurance-
vie aux ménages. Toutefois une partie de cette épargne laisse Haïti quand ces compagnies
pratiquent la réassurance auprès de compagnies étrangères. À ce moment, l’épargne s’oriente vers
les places financières qui peuvent procurer des gains financiers importants, mais cette épargne ne
contribue pas à élargir la base productive nationale.

Graphique 17 Valeur en gourde de l’épargne contractuelle collectée par l’ONA. Période : 2013
- 2017

5,000,000,000 4,618,954,068
4,500,000,000 4,054,863,045
4,000,000,000 3,049,615,600
3,588,789,884
3,500,000,000 3,135,521,266
3,000,000,000
2,500,000,000
2,000,000,000
1,500,000,000
1,000,000,000
500,000,000
-
Mars 2013 - février 2014 Mars 2013 - février 2014
Mars 2015 - février 2016 Mars 2016 - février 2017
Mars 2017- février 2018

Source : https://ona.ht/pdf_docs/Bilan_ONA_Mars_2017_Mars_2018.pdf, consultée le 7


avril 2022.

1 Le Moniteur des 18, 21 et 28 septembre 1967, Loi organique du Département des Affaires sociales du 28 août 1967.
2 Ministère du Commerce et de l’Industrie, Recensement 2012-2013, décembre 2014, pages 91 et 96.
3 Le Moniteur No. 18 du 6 mars 1975, Décret du 18 février 1975 modifiant la loi du 27 août 1967.

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Vu le nombre réduit des entreprises qui déclarent leurs salariés et la place du secteur informel
dans l’économie haïtienne, le volume de l’épargne contractuelle peut doubler ou tripler en Haïti.
Un accroissement du nombre des salariés et des entreprises qui déclarent leurs employés offre la
possibilité d’augmenter cette masse d’épargne. Toutefois, les acteurs qui en sont les gestionnaires
doivent établir les modalités d’affectation de ces moyens à l’investissement productif dans ce pays,
car dans sa phase actuelle de développement, il faut mieux utiliser ces ressources pour élargir la
base productive, créer des emplois et améliorer l’offre globale au lieu de les placer sur les marchés
financiers à l’étranger.

4.1.4- Les fonds dédiés du Trésor : avantages et limites

Les autorités haïtiennes ont créé plusieurs fonds dédiés, dénommés fonds spéciaux du Trésor.
Ce sont les Fonds d’Urgence (FDU, loi du 16 septembre 1966), le Fonds d'Investissement Public
(FIP, loi du 4 octobre 1984), le Fonds d’entretien routier (FER, loi du 17 juillet 2003), le Fonds de
gestion et de développement des collectivités territoriales (FGDCT, loi du 15 juillet 1996). La loi
précise le mode de dotation de ces fonds. Certains répondent à des besoins de nature économique.
Par ailleurs, ce tableau signale que les fonds du Compte spécial du Trésor pour le
développement (CSTD) sont collectés de manière discrétionnaire. Ce tableau nous présente les
moyens dont disposent deux fonds dédiés, le FGDCT et le CSTD.

Tableau 4: Montant en gourdes de deux fonds dédiés collectés par le Trésor

FGDCT CSTD
Prévision Décaissement Prévision Décaissement
2006-2007 5,274,826,540.83
2007-2008 3,921,635,468.96
2009-2009 3,345,330,252.07
2009-2010 11,627,222,759.19
2010-2011 137,352,923.10 1,425,580,500.77 7,448,665,796.62
2011-2012 2,034,453,449.00 1,469,211,786.66 16,171,933,782.53
2012-2013 1,943,225,055.34 1,404,140,516.12 6,370,665,050.92
2013-2014 1,837,457,018.00 1,553,478,626.79 9,716,954,706.22
2014-2015 2,300,293,375.00 1,408,268,475.41 9,149,591,173.84
2015-2016 2,051,905,928.89 2,992,398,163.11
2016-2017 2,630,603,822.87 1,980,373,976.25
Source : Ministère de l’Économie et des Finances

Les fonds dédiés sont importants pour le secteur public, car ils contribuent à accroitre l’épargne
publique et à élargir les marges dont dispose l’État pour orienter des choix stratégiques. Les
décideurs publics peuvent mobiliser ces moyens pour convaincre des acteurs privés à s’engager
49
dans certains grands projets public-privé. Dans certaines circonstances, l’apport de l’État contribue
à diminuer les coûts opérationnels, dont ses coûts financiers d’un projet mixte. Cet apport peut
jouer un rôle important quand les dirigeants sont obligés de pousser l’économie à franchir certains
seuils ou à constituer certains besoins stratégiques. Par exemple, la participation de l’État aux
investissements faits dans le secteur énergétique entre 2005 et 2010 aurait pu aider à réduire les
taux de profit élevés associés à des risques et par conséquent les charges financières énormes que
l’État verse à des entreprises privées d’électricité.
Les montants mobilisés par ces fonds dédiés sont relativement modestes. Aucune prévision
n’est faite pour le CSTD. Ces fonds semblent contribuer à libérer des dépenses imprévues au lieu
de financer des projets structurants. Par exemple, le FGDCT n’a pas servi à remodeler la vie
économique dans les sections communales. Les fonds dédiés ne peuvent jouer ce rôle de levier
structurant que si le budget exerce déjà un impact réel sur le secteur productif. Une utilisation
inefficace du budget peut conduire les dirigeants à augmenter inutilement le nombre des fonds
dédiés et à créer des distorsions qui entravent une bonne gestion des ressources disponibles.
Toutefois la multiplication des fonds dédiés implique des prélèvements trop importants pouvant
entrainer des rigidités et une perte d’efficacité. En effet, les autorités nationales tendront à les
utiliser afin de contourner des procédures et d’obtenir les résultats qu’elles ne parviennent pas avec
le budget, ou pour alimenter des secteurs qui sont handicapés par une gestion inadéquate. Ces font
peuvent donner lieu à des dépenses incontrôlées ou économiquement injustifiées. Par exemple, le
FGDCT n’est pas un levier de la structuration économique des communes et sections communales.

4.1.5- Les fonds d’investissement des particuliers

Souvent des particuliers regroupés dans une organisation constituent des fonds qui servent à
leurs membres à prendre des parts dans des entreprises en fonctionnement ou en voie de création.
Ces fonds privés peuvent être créés par des épargnants haïtiens qui résident en Haïti ou à l’étranger.
Les coopératives d’épargne et de crédit constituent une classe de fonds constitués par des
individus ; elles tendent à atténuer le conservatisme et les routines des banques commerciales.
Les pouvoirs publics devraient encadrer ces initiatives afin de protéger les avoirs des
épargnants et s’appuyer sur ces moyens afin de financer de grands investissements aux deux
niveaux national et local. Le peu de dynamisme de ces fonds vient de l’organisation du secteur
réel. En effet, les possibilités d’investissement ne sont pas ouvertes notamment dans le domaine
des infrastructures locales afin de porter ces particuliers et des coopératives à investir dans ces
activités. Les banques commerciales n’apportent pas leurs contributions au financement quand les
détenteurs de ces fonds entendent investir dans un grand projet. Ces épargnants donnent
l’impression qu’il est possible de financer le secteur productif sans passer par la création monétaire
des banques commerciales, ce qui demeure une illusion. Car, sans la création de monnaie à partir
de rien, ces fonds privés contribuent pendant un certain temps à alimenter la thésaurisation.

50
4.1.6- Les investissements directs étrangers (IDE)

Les IDE accourront en Haïti si cette économie commence par mieux valoriser l’ensemble de
ses ressources d’épargne existantes et par offrir une main-d’œuvre mieux formée. Les IDE ne
sauraient constituer une alternative si la mobilisation inefficace de l’épargne nationale se fait de
manière inefficace et aussi à la méfiance qui existe entre les acteurs nationaux. Ils contribuent à
faire avancer l’économie nationale si les acteurs internes empruntent déjà cette voie. Cela indique
qu’une expertise nationale existe et que les agents économiques sont motivés à mieux gérer leurs
ressources, opportunités et climat d’affaires que des investisseurs étrangers voudront saisir.
Dans le cas contraire, ces capitaux étrangers chercheront à capter des positions ou à occuper
des marchés captifs, mais sans aider à renforcer le secteur productif. Ils s’adaptent à la manière de
faire des affaires en Haïti. On verra dans ce cas de la pression sur les marchés des changes, car ces
investisseurs cherchent à exporter leurs profits au lieu de les réinvestir dans le secteur productif.

4.2- Besoins d’épargne et de capitaux externes en Haïti

En principe, les besoins d’épargne sont liés à des besoins structurels incontournables et à la
stratégie de financement. En Haïti, les besoins incontournables sont liés à l’urbanisation accélérée
du pays. En s’installant dans une zone urbaine, les ménages ont des besoins importants d’emplois,
de logement, de moyens de transport, de produits alimentaires issus de l’industrie agroalimentaire,
des établissements de formations et des lieux de loisir. Le renforcement de ces branches d’activité
dépend des infrastructures qui seront érigées dans les communes du pays. Ces infrastructures ne
concernent pas les seuls services de base offerts aux ménages. Elles visent aussi les services à la
production qui contribuent à créer les emplois.
En matière de stratégie, les pouvoirs publics peuvent faire appel aux investissements privés
dans les infrastructures du pays. Les différentes communes du pays disposent de ressources
naturelles qu’il est possible de mettre en valeur sous la forme d’infrastructures exigeant des
capitaux longs pour financer le gros œuvre et des savoir-faire pour les gérer. En multipliant ces
besoins de capitaux et de savoir-faire, il est possible de mesurer les besoins totaux de financement
de l’économie. Ces besoins d’investissements peuvent être décomposés en trois groupes. Ce sont :
1. Les investissements à long terme permettant de financer les infrastructures et aussi
certaines cultures pérennes, besoin pour laquelle il faut une banque agricole ;
2. Les investissements à moyen terme allant les entreprises de transformation et à celles
qui diffusent une technologie ;
3. Les investissements à court terme facilitant la constitution des stocks et des fonds de
roulement.
En principe, les investissements du second et du troisième groupe dépendent du financement
des infrastructures dont la disponibilité et la qualité déterminent les secteurs et les produits qui
seront rentables et dont les prix seront compétitifs sur le marché mondial. Si les entreprises de
transformation sont compétitives, elles pourront être financées sur la base de la création monétaire.

51
Ces différents besoins exigent la création de milliers petites et moyennes entreprises qui
investissent dans l’acquisition de savoir-faire, le bâtiment et les équipements de production.
Rappelons que le kilomètre de route nationale de sept mètres de large coûte plus d’un million de
dollars et qu’il faut jusqu’à $ 600 pour construire un mètre carré de bâtiment. Une machine à
coudre industrielle permettant de créer un emploi vaut plus de $ 1000. Il faut investir au moins $
3000 pour avoir un KW. Haïti fait face à un autre défi ; le pays doit massivement requalifier des
centaines de milliers de jeunes.
Autrefois, ces jeunes pouvaient acquérir des savoir-faire dans le secteur agricole. À présent,
ils migrent dans les villes qui doivent leur offrir des établissements de formation et des laboratoires.
La formation professionnelle est la partie la plus coûteuse de l’éducation du jeune, car elle exige
des formateurs expérimentés, des équipements d’apprentissage et des matières premières pour
faire des essais. Les parents n’ont pas les moyens pour financer ces besoins de financement qui
sont rarement méthodiquement établis et comptabilisés par les acteurs sociaux en Haïti.
D’autre part, sans un encadrement de la formation et de la recherche et développement (R&D)
allant de pair avec le potentiel productif du pays, on constate que le taux de scolarisation augmente,
sauf que les jeunes sont fortement frappés par le chômage ; certains veulent devenir entrepreneurs,
mais ils ne savent pas quoi produire. C’est dans ce contexte que ce rapport suggère que le pays
devrait adopter une politique de formation portée sur le produit afin que ces jeunes actifs sachent
quoi produire et quoi apprendre. Cette politique pourra être associée à une stratégie de réplication
des savoir-faire, car une fois qu’un procédé de fabrication est établi et est commercialement
exploitable, il est possible de le répliquer pour contribuer à la création de plusieurs entreprises.
Il ne s’agit pas de limiter la formation aux métiers traditionnels de la réparation, chaque jeune
doit connaitre le produit qu’il peut fabriquer et vendre à un prix compétitif, identifier les produits
nouveaux qu’il est possible de créer avec les matières premières existants sur le territoire. Voilà la
manière de rentabiliser les capitaux qui seront alloués à la formation des jeunes.

4.3- L’utilisation de l’épargne

Le système bancaire tend à allouer une part importante de l’épargne à des prêts de court terme
(34 % du portefeuille du crédit en 2016). Cependant, les données récentes attestent que la
répartition du crédit par terme tend à profiter au crédit à long terme après 2010. En effet, cette part
qui occupait 22 % du crédit en 2000 grimpe à 37 % en 2016. Ces prêts incluent le crédit au
logement des ménages. Cette hausse des prêts à long terme, due entre autres à l’effet du séisme,
tend à diminuer après 2014. Il ne faut plus ignorer que les coopératives de crédit offrent aussi du
crédit à court terme en contribuant à compenser la réticence des banques vis-à-vis d’une partie de
la clientèle. Elles sont moins exigeantes d’autant que les emprunteurs sont aussi leurs membres.
En dépit d’une hausse des prêts à long terme, l’épargne reste peu utilisée. Ce graphique indique
que le portefeuille global de crédit atteint rarement 50 % de l’épargne disponible. Sur la période
2000-2020, l’année 2014 est le point de la plus forte utilisation de l’épargne interne due à l’effet
du séisme, 54,5 % de l’actif du système bancaire.

52
Graphique 18: Évolution du crédit par terme et portefeuille du crédit en millions de dollars de
2000 à 2016 4

2500.0 70
Court terme en % du volume
Moyen terme en % du volume
60
2000.0 Long terme en % du volume
Portefeuille du crédit en millions de dollars
50

1500.0
40

30
1000.0

20
500.0
10

0.0 0

Source : Banque de la République d’Haïti

Sans l’adoption de nouvelles normes d’investissement, l’épargne reste majoritairement dans la


sphère du commerce des produits importés ; une partie de ces moyens s’oriente vers des activités
spéculatives (achat et vente de devises). Puisque les denrées exportables tendent à disparaître et
que de nouveaux savoir-faire ne sont ni élaborés ni diffusés, l’emprunteur local fait surtout de la
distribution des produits importés ; il n’investit pas dans la production.

4.4- La dépréciation de l’épargne oisive

La période 2010-2020 marquée par la baisse des taux d’intérêt et la relance du crédit, ce que
montre le graphique précédent, renvoie à des années de hausse des taux de l’inflation. L’inflation
contribue doublement à rogner la valeur de l’épargne. En premier lieu, les banques versent aux
épargnant des taux d’intérêt compris entre 3,7 % en 2001 et 0.1 % en 2020 au moment où les taux
d’inflation sont 12,3 % et 25,1 %. Les intérêts versés par les banques sont excessivement faibles
par rapport au taux de l’inflation. Le graphique suivant montre que la valeur de l’épargne s’est
surtout détériorée entre 2002 et 2004 et après 2015.
Selon ce scénario, l’évolution erratique des prix est étroitement liée à des apports de devises
venant de l’aide externe après 2004, en 2009 après l’élimination de la dette d’Haïti, en 2010 après
le séisme. Les transferts sans contrepartie restent toutefois la principale ressource qui facilite le

4
La conversion en dollar se fait en devisant le portefeuille en gourdes par le taux de change en fin de période.

53
maintien de cette régulation. Les phases de hausse du taux de l’inflation correspondant aux années
pendant lesquelles où l’aide externe tend à se raréfier. En fait, la baisse du taux d’inflation n’est
pas due à une efficacité de la politique monétaire, mais à des entrées de devises venant de l’aide
externe. Ce fait indique que le crédit n’aurait pas contribué à faire baisser les coûts de production
et que le système bancaire entend protéger ses anciens clients et ses anciennes créances en retardant
l’arrivée d’une nouvelle phase de croissance.

Graphique 19: Évolution comparée du taux d’inflation, des taux d’intérêt appliqués aux dépôts
et aux prêts

45.0%
Taux d’intérêt moyen versé sur les dépôts en gourde
40.0% Taux d’inflation en glissement annuel
35.0% Taux d’intérêt moyen sur les prêts en gourde
30.0%

25.0%

20.0%

15.0%

10.0%

5.0%

0.0%
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
-5.0%

-10.0%

Sources : BRH, IHIS

Le secteur agricole possède des ressources qui auraient pu aider à mieux valoriser l’épargne.
Mais la relance de ce secteur exige des changements structurels requérant des décideurs haïtiens
d’identifier et de soutenir les groupes qui seront débiteurs du crédit et gestionnaires des moyens
de production. Par exemple, qui sont les acteurs qui pourront gérer les infrastructures locales. La
promotion de ces nouveaux groupes dépend du fait que l’État propose des normes de financement,
de gestion de ces infrastructures et de tarification de leurs services, et qu’un marché obligataire
soit mis en place pour attirer l’épargne dans ces activités afin de faire circuler les titres et les droits
en facilitant la formation d’un marché financier qui est connecté au secteur productif.
Cette relance requiert aussi de financer la recherche agronomique et de nouvelles manière de
transformer les produits agricoles. Cela signifie qu’il ne saurait exister une meilleure utilisation de
l’épargne sans de nouveaux savoir-faire qui font croitre les rendements et baisser les coûts. Ces
deux objectifs se réalisent si le budget contribue à financer des connaissances nouvelles et des
savoir-faire plus efficaces. Ici se jouent la complémentarité et la synergie entre les deux politiques

54
budgétaire et monétaire, entre la recherche universitaire et le renforcement de certaines branches
d’activité, entre les savoir-faire et la valorisation de l’épargne.
Donc, il n’existe pas un manque de moyens financiers en Haïti, mais une stratégie inadéquate
de financement des différentes composantes du secteur productif. Seul un apport massif de crédit
à long terme établi sur de nouvelles bases peut aider l’économie à sortir de son marasme.

4.5- Le crédit à long terme et la régulation du secteur productif

La carence des investissements à long terme explique aussi qu’une grande partie de l’épargne
reste inutilisée. Par exemple, trois composantes du bilan du système bancaire : avoirs extérieurs
nets, dépôt à la banque centrale et bons BRH, tendent à représenter plus de 60 % des actifs.

Graphique 20: Evolution du portefeuille du crédit et des actifs non utilisés du système bancaire

3000.0

2500.0 Actifs non utiisés Portefeuille de crédit

2000.0

1500.0

1000.0

500.0

0.0

Source : Banque de la République d’Haïti

En 2020, 22,9 % de l’épargne est placée en avoirs sur l’extérieur, 0,5 % en Bons BRH et 38,6
% en réserve à la BRH. Ainsi, si l’on y ajoute les encaisses en monnaie locale, plus de 60 % de
l’épargne reste oisive et sort du circuit économique. Ces données indiquent que la faiblesse de
l’investissement privé ne serait pas due à un manque d’épargne. La contrainte principale résulte
du mode de gestion du budget et du système financier.

Graphique 21: Composition de l’actif consolidé du système bancaire en Haïti (2000 - 2019)

55
180,000.00
160,000.00
140,000.00 Bons BRH Portefeuille de crédit
120,000.00
100,000.00
80,000.00
60,000.00
40,000.00
20,000.00
0.00
1,241.55
1,659.98
1,557.58
1,875.97
1,827.65
1,595.84
1,883.15
2,098.74
2,373.48
2,926.93
2,602.99
2,720.33
3,365.46
4,449.00
4,119.65
4,949.68
5,109.93
5,785.07
836.14
859.6

Source : Banque de la République d’Haïti

Le crédit à long terme est négligé dans la gestion du système monétaire et financier haïtien,
mais il contribue largement à l’équilibre de l’ensemble en contribuant à plusieurs grands résultats.
En premier lieu, il facilite l’affectation de l’épargne contractuelle à des investissements à long
terme en facilitant le report dans le temps du pouvoir d’achat des retraités. Si l’épargne est affectée
à des investissements longs qui facilitent le renforcement du secteur productif et rapportent des
revenus adéquats. Les retraités auront une pension correcte, car les nouvelles générations de
salariés produisent et créent plus de biens profitables à tous. Les prix relatifs tendent à baisser.
En deuxième lieu, si les infrastructures financées sont de bonne qualité et permettent aux usines
de produire à des prix compétitifs, les banques peuvent créer de la monnaie et financer à crédit les
nouvelles idées et les nouveaux produits venant d’entrepreneurs sollicitant le crédit à moyen terme
qui peuvent valoriser leurs actifs. Le financement se fera à partir de la création monétaire. On sort
alors des limites de l’épargne disponible. Le crédit à court terme viendra de manière induite.
En quatrième lieu, la carence de ces investissements à long terme explique le chômage actuel
et aussi la difficulté des gestionnaires de l’épargne-retraite à assurer un revenu décent aux
pensionnés, car l’épargne n’a servi à financer les infrastructures et à créer plus de richesse. Sans
ces richesses nouvelles, la pension versée au retraité prend l’aspect d’une illusion monétaire, une
pitance, car l’épargne à long terme n’a pas contribué à produire plus de bien.
Enfin, les entreprises ne sont pas en mesure de faire baisser leurs coûts de production, car elles
ne trouvent pas des infrastructures et des services de meilleure qualité. De plus, l’épargne non
utilisée perd de sa valeur, car elle cesse d’être une contrepartie de la richesse. En effet, les ménages
constatent que leurs encaisses de monnaie perdent de la valeur. D’ailleurs, la valeur de la monnaie
nationale tend à se déprécier.

56
Encadré 3 : La routine du crédit

La stratégie haïtienne de développement consiste à attirer les IDE pour exploiter les
ressources existantes en Haïti. Pourtant que peu d’incitations sont générées pour mobiliser
l’épargne interne dans le secteur productif. Dans ce cadre, les banques commerciales deviennent
de fait les acteurs qui orientent le crédit ; la banque centrale ne fait que corriger des déséquilibres
que l’on impute à une offre exagérée de monnaie venant du déficit budgétaire ou du crédit à
l’économie. Elle joue sa fonction de surveillance, mais elle n’exerce pas une action structurante
sur le marché financier. Mais il existe des pratiques traditionnelles de gestion du crédit que la
banque centrale ne parvient pas à corriger.
En effet, la routine du financement voudra que les banques commerciales financent leurs
clients traditionnels même si ces derniers ne sont plus des porteurs de projets prometteurs. Pour
des raisons de recouvrement de leurs prêts, elles tendent à appuyer les projets de leurs anciens
clients en délaissant ceux des nouveaux entrepreneurs qui peuvent monter des projets de
meilleure qualité. En fait, le crédit n’est plus ouvert à tous les groupes d’entrepreneurs. Certains
sont largement financés ; les autres font face à une disette de financement. Ces engagements
partisans des banques aiguisent les rivalités qui s’installent dans le pays entre deux générations
d’entrepreneurs, entre les communes de l’aire métropolitaine et celles de la province, entre les
nouveaux riches et les anciens riches. Les uns accusent les autres. Les autorités monétaires et
politiques ne parviennent pas à corriger ces engagements partisans des banques commerciales
et des gestionnaires de l’épargne contractuelle, car les politiques budgétaires et la politique
commerciale font déjà assez passives ou neutres en termes de soutien à de nouveaux groupes de
projets ou de garantie des débouchés.
En agissant ainsi, le système bancaire et financier sert à retarder l’arrivée et l’éclosion de
groupes d’entrepreneurs dynamiques et capables de mieux utiliser les ressources productives du
pays. Le problème est complexe, car l’orientation du financement vers de nouveaux
entrepreneurs, porteurs de produits ayant un prix compétitif, est de nature à précipiter le déclin
d’anciens secteurs, de vieilles industries et la perte de la valeur des créances bancaires qui leur
sont associées. Le système financier se retrouverait fragilisé puisque certaines banques auront
de la difficulté de recouvrer leurs créances. Dans ce cadre, on constate que les banques font des
profits alors que le tissu productif s’étiole. De plus, la valeur réelle de l’épargne baisse, car elle
est peu utilisée pour financer des projets servant à changer les manières de produire. Les
ménages s’appauvrissent, mais les banques font du profit. Le problème concerne la gouvernance
globale.

57
Encadré 4 : Quoi faire pour élargir la masse de l’épargne à long terme en Haïti ?

Deux processus peuvent être combinés afin d’augmenter le volume de l’épargne à long
terme : la création d’un marché obligataire ouvert aux épargnants et l’extension du dispositif de
protection sociale aux entreprises et aux propriétaires indépendants non encore affiliés.
La première possibilité consiste à créer un marché obligataire où les épargnants sont
sollicités de placer leurs épargnes qui dorment dans les banques. Toutefois les autorités
nationales doivent identifier les biens physiques générateurs de richesses et de valeurs pouvant
souvenir la masse des titres émis, car un marché des titres n’est pas jamais une entité en soi
déconnectée du secteur réel. Les pouvoirs publics doivent identifier dans le secteur réel des actifs
pouvant soutenir le marché obligataire où les épargnants peuvent placer leurs épargnes en
espérant un revenu. Ces actifs peuvent être financés par un appel de fonds aux capitaux privés.
Il en résultera un marché primaire des titres et éventuellement un marché secondaire quand les
détenteurs des titres cherchent à les revendre et à les négocier avec d’autres acteurs. C’est ici
que les pouvoirs publics interviennent pour établir la liste des actifs du domaine public dont la
valorisation et la capitalisation peut se faire avec des capitaux privés ou avec des capitaux
publics.
La deuxième possibilité reste l’extension du dispositif de la protection sociale. Étant donné
que le nombre des entreprises affiliées à l’OFATMA et a l’ONA est assez faible, moins de 1 %
du total, on comprend que la masse de l’épargne contractuelle peut doubler ou tripler dans le
moyen terme, dans trois ou quatre ans, si les pouvoirs publics envisagent cette possibilité en
offrant des services de qualité aux potentiels cotisants à la protection sociale. Les pouvoirs
publics peuvent inviter les entrepreneurs indépendants à s’organiser en corps de métiers dont les
délégués peuvent négocier avec les pouvoirs publics. Il faudra tout d’abord les dirigeants veulent
cette forme d’organisation du secteur productif et décident de prendre des engagements pour
faire avancer ces corps de métiers. Ces corps de métiers peuvent déléguer des représentants
crédibles qui discutent avec l’État des cotisations à la protection sociale et des avantages.

58
5. Les politiques publiques favorables à l’investissement privé

Trois champs d’interventions doivent être aménagés pour promouvoir l’investissement privé
en Haïti ou pour attirer les capitaux étrangers ou de la diaspora haïtienne. Ils concernent les
stratégies de gestion et d’accroissement de l’épargne, l’identification des branches d’activité et des
produits pouvant faire l’objet d’un encadrement par les pouvoir publics, et enfin l’administration
de la politique industrielle.

5.1- Des mesures pour faire fructifier l’épargne et accroître son volume

Comment faire croître le volume de chaque composante de l’épargne ? Cette étude propose
quatre mesures portant les mesures directes de croissance de l’épargne et les mécanismes indirectes
de valorisation économique de l’épargne. Ce sont les politiques sociales, la diffusion de savoir-
faire plus efficaces, la formation des instances de collectes et de fructification de l’épargne et enfin
des mesures de rémunération de l’épargne afin de parvenir à la création d’un marché financier qui
facilite le financement des infrastructures de production en Haïti.

5.1.1- La politique sociale et le relèvement de l’épargne

La politique sociale peut contribuer au fait qu’une partie de l’épargne des ménages déposée
dans les livrets bancaires soit convertie en une épargne longue servant à financer les projets dont
le remboursement exige du temps. Cette épargne sera allouée à des investissements portés sur le
long terme.
Beaucoup d’entrepreneurs indépendants et de producteurs agricoles ne sont pas inscrits dans
un dispositif de protection sociale. Beaucoup d’entre eux peuvent y cotiser. Si une politique des
débouchés permet au secteur agricole de vendre ses produits, ses producteurs pourront cotiser au
dispositif d’assurance. À cet effet, il faut des mesures qui servent à maintenir le niveau d’activité
et des revenus pour que ces catégories puissent continuer à cotiser. En définitive, les dépôts
bancaires seront relativement moins importants dans les banques ; le volume de l’épargne à long
terme sera plus important au sein des institutions financières non bancaires qui auront une capacité
plus forte de participer au financement à long terme. À cet effet, les pouvoirs publics doivent offrir
à ces groupes d’entrepreneurs et de producteurs des dispositions avantageuses qui les stimulent à
entrer dans ces nouveaux dispositifs d’épargne contractuelle.
Le volume de l’épargne contractuelle peut doubler et même tripler en Haïti si les entrepreneurs
indépendants acceptent d’entrer dans des dispositifs de protection sociale et que les entreprises
assurent leurs salariés. Les décideurs haïtiens doivent pouvoir discuter avec les organisations de
métiers pour envisager ces possibilités, et convaincre les propriétaires d’entreprises que leur
affiliation à la protection sociale peut contribuer à renforcer la confiance des salariés dans leurs

59
entreprises tout en les poussant à améliorer la productivité du travail. Entre la durée des cotisations
et le remboursement au moment de la retraite, l’épargne contractuelle servira à financer des actifs
qui exigent du temps pour être rentabilisés.

5.1.2- La diffusion et l’utilisation de savoir-faire plus efficaces

La seconde mesure concerne le recours à des techniques de production plus efficaces dans les
entreprises ; elle doit entraîner une hausse de la productivité et de l’épargne qui se forme dans les
entreprises. En effet, plus de tonnes de denrées à l’hectare, plus de chemises produites en une
journée, des services de meilleure qualité et mieux valorisés, des produits écoulés plus rapidement
sont des conditions pour accroitre le volume de l’épargne des entreprises. Le surplus d’épargne
vient de la différence qui existe entre les valeurs créées et les coûts de production. Une masse
critique de nouveaux procédés rendront les entreprises locales plus compétitives.
En permettant aux entreprises de mieux produire, cette mesure doit contribuer à une relaxation
de la politique monétaire. Etant donné que la productivité augmente et que les entreprises locales
tendront à devenir plus compétitives face à la concurrence externe, les conditions seront créées
pour avoir un financement à crédit du secteur productif. Les banques seront obligées de soutenir
l’arrivée d’une nouvelle classe d’entrepreneurs, sinon elles perdront leurs positions sur le marché
du crédit.

5.2- L’adoption des normes de gestion de l’épargne et de valorisation des infrastructures

La troisième mesure concerne les instances qui sont en mesure d’orienter l’épargne vers les
projets stratégiques et les groupes économiques qui ont les moyens de promouvoir et de gérer les
grandes infrastructures de base au niveau national et dans les communes du pays. En la matière,
l’action de l’État est stratégique. Elle doit contribuer à renforcer les instances publiques qui ont la
capacité de définir les investissements stratégiques pour l’économie, et les groupes économiques
qui ont la capacité d’utiliser l’épargne et de l’orienter vers les secteurs dont les retombées apportent
le maximum à l’économie nationale. Ces actions stratégiques devraient viser :
1. La formation d’une masse épargne longue dédiée au financement des infrastructures ;
2. La formation de groupes financiers impliqués dans la collecte, la mobilisation et
l’orientation de l’épargne ;
3. Les normes de valorisation de l’épargne à long terme dans le secteur réel.
Il faut fixer les tarifs adéquats pour l’électricité, l’eau d’irrigation, les lieux d’embarquement
et de débarquement dans les gares routières, les visites des touristiques publics, les étales dans les
marchés publics, en certifiant que les usagers doivent payer afin de rembourser le capital engagé
par les entreprises infrastructurelles.
Pour avoir une épargne nationale qui finance les infrastructures du pays, il faut au moins trois
groupes d’acteurs : des promoteurs qui sont capables d’identifier des projets d’infrastructure ; des
groupes financiers pouvant valoriser l’épargne à travers ces investissements ; des consommateurs,

60
ménages et entreprises qui peuvent payer. Les acteurs locaux et la diaspora haïtienne peuvent avoir
la possibilité de participer au financement de ces infrastructures s’ils veulent y placer leur épargne.
Ces objectifs exigent une clarification du rôle de l’État, des institutions de collecte des fonds de
pension, des groupes privés et des citoyens voulant participer à ce financement.
L’utilisation de l’épargne à long terme dans les infrastructures devra indirectement faciliter la
création des entreprises de transformation et contribuer à attirer des investissements étrangers dans
la mesure où les services à la production sont disponibles. Les organes de l’État gestionnaires des
fonds de pension devront saisir l’aspect stratégique de ces ressources stables pouvant contribuer à
changer les conditions générales de l’accumulation en Haïti. Ils doivent les orienter vers des
investissements utilisation stratégique pour l’économie nationale.
Une banque de développement ne sera économiquement viable que si elle répond aux besoins
des capitaux pour les grandes infrastructures, notamment celles qui s’orientent vers le secteur
agricole. En d’autre termes, son fonctionnement et la constitution d’un marché financier propice à
ce financement dépend des normes qui seront mises en place pour constituer les groupes financiers
et pour payer les tarifs convenables selon chaque type d’infrastructure.

Encadré 5 : Les conditions de promotion des infrastructures

La promotion des infrastructures correspond à l’objectif 9 des ODD : Industrie, innovation


et infrastructure. Cette action suppose avant tout une production manufacturière, agricole ou de
service abondante et rentable. Cela dépend du fait que les travailleurs sont formés et contribuent
à la génération d’une production rentable, et cela requiert que les ménages achètent les produits
fournis par les entreprises qui payent les services infrastructurels. Cette condition est nécessaire
afin que les entreprises puissent payer le bien ou le service fourni à partir de ces infrastructures
en facilitant que les capitaux investis soient remboursés.
Pour établir les normes de gestion des infrastructures, il faudra connecter deux approches en
termes d’accès de la population aux services de base et de disponibilité de ces services pour les
entreprises. La viabilité de cette gestion dépend du mariage des deux finalités. Aucun des deux
ne peut prévaloir sur l’autre. Des infrastructures de qualité permettent de parvenir à une
production compétitive associée à des emplois décents. Quand l’énergie, l’eau, les surfaces sont
disponibles, les entreprises peuvent créer des emplois. À ce moment, les ménages auront les
revenus pour payer les services. La viabilité des infrastructures dépend de ces emplois et des
revenus qu’on en tire.
Quand l’énergie traverse un territoire, il faut lui trouver des possibilités d’utilisation qui
permettent de valoriser le potentiel de l’espace et de créer des emplois au profit des ménages.
Des hommes et des femmes qui ne trouvent pas des emplois à partir des infrastructures traversant
leurs localités ne pourront pas payer les factures pour ces services. La tarification des services
devient possible et dépend du fait que des emplois existent et que les ménages peuvent payer.
La tarification permet aux entreprises de faire des choix technologiques, de définir des plans

61
d’affaires et de solliciter le financement d’une banque. Les banques peuvent financer ces projets.
À partir de là peut se créer un marché financier pour les infrastructures, car les négocier les titres
financiers détenus sur le marché financier.
Dans ce contexte, les normes de gestion de gestion et de tarification des infrastructures
deviennent un facteur de la dynamique économique d’un espace. La tarification permet de faire
les choix techniques, d’établir des plans d’affaires et d’avoir un marché financier.

5.3 La participation des coopératives au financement des infrastructures

La quatrième mesure consiste à réserver une part du financement des infrastructures locales
aux coopératives d’épargne et de crédit. Ces institutions financières auront la possibilité d’investir
afin d’inciter leurs membres à investir dans ces entreprises et aussi à s’engager pour le paiement
des tarifs de service fournis à partir des d’infrastructure. Cette action contribuera à l’acceptation
de l’idée qu’il faut rémunérer l’épargne afin d’encourager la création du marché financier dont le
pays a besoin pour financer ses grands investissements.

Le recours à des fonds privés d’investissement

Si les produits haïtiens arrivent à percer sur les marchés étrangers et que les premières réformes
donnent des résultats encourageants, les dirigeants auront la capacité d’intervenir sur les marchés
financiers internationaux afin de lever les fonds pour financer la croissance en Haïti. Le pays doit
au préalable surmonter le problème de la faible productivité du travail et exporter davantage. Il
doit faire ce premier pas afin d’attirer les capitaux étrangers.

Les branches d’activités et les produits requérant des investissements privés

Les programmes de travaux publics

Dans les cas des routes, des ponts, des marchés publics, des ports internationaux et de cabotage,
de la valorisation des éléments du patrimoine historique, des systèmes d’irrigation, les ports de
cabotage, des travaux de systèmes d’adduction d’eau potable, il faut des programmes qui fixent un
délai de réalisation progressive de ces ouvrages. Les pouvoirs publics doivent présenter des
ouvrages à réaliser en fonction de leur intérêt économique afin d’élaborer un programme pour
réaliser chaque groupe d’ouvrages. Cette information peut aussi inclure les normes de financement
et de mise en valeur de chacun d’eux.
Chaque projet de construction peut donner lieu à une entreprise figurant dans un programme.
Ce classement des travaux en programmes permettra d’établir le nombre des entreprises mixtes

62
qui seront créées et capitalisées dans chaque commune du pays. Si cette information est connue,
elle peut donner lieu à une stratégie de financement.
En comparant les besoins de financement et les ressources d’épargne existant, il sera plus facile
d’élaborer une stratégie de financement des travaux. L’investissement privé peut être sollicité afin
de concrétiser chaque programme. Il faut créer de la compétition entre les communes pour l’accès
aux financement des entreprises infrastructurelles afin que ces moyens puissent être générées
rapidement dans tout le pays.

Encadré 6 : Société locale de développement ou Partenariat public privé

Faut-il avoir une société locale de développement (SLD) qui négocie un contrat avec l’État
pouvant exécuter plusieurs projets d’infrastructures afin de mettre un territoire en valeur, ou
plusieurs contrats de partenariat public privé signés entre une autorité contractante et plusieurs
exécutants ? Faut-il avoir plusieurs contrats signés séparément ou un seul contrat signé par une
autorité contractante pour un territoire donné ? Faut-il aller au cas par cas pour rédiger un
document d’appel d’offres, choisir l’entreprise exécutante en aboutissant à plusieurs contrats
pour l’énergie, la construction d’un bâtiment de marché public, la gestion d’un port de cabotage,
d’un système d’irrigation, la gestion du patrimoine touristique d’une commune ? La question
est pertinente si on prend la peine d’analyser le temps mis entre le lancement d’un marché public
et la signature du contrat avec une entreprise.
Au lieu de passer par le chemin ardu de plusieurs marchés exigeant un temps infini pour
chaque contrat, la SLD peut signer un seul contrat et appliquer les normes définies par l’État
dans les différents domaines concernés. L’État définit les normes de financement, de gestion et
de tarification de chaque service : la route, le système d’adduction d’eau potable, la gestion d’un
bâtiment de marché public, la gestion du patrimoine historique et du wharf de cabotage, etc. Au
lieu de négocier séparément chaque contrat de manière séparée dans une commune, la SLD
s’applique à partir de ses propres moyens ou de sous-traitants à appliquer les normes validées
par l’État pour chaque domaine concerné dans la commune.
Une instance de l’État s’applique toutefois à vérifier que la SLD respecte les normes établies
par l’État. Pour arriver à ce niveau de traitement des contrats de l’État, les pouvoirs publics
doivent faire en sorte que les normes soient établies pour chaque type d’infrastructure.
L’administration n’aura pas à signer un contrat pour chacune d’elle, ce qui crée aller et retour
illimité et un gaspillage infini de temps pour écrire des documents d’appels d’offres, choisir un
exécutant et signer chaque contrat.

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Une politique industrielle axée sur le produit

Un produit local ou importé est présenté à travers des paramètres techniques qui permettent de
le comparer à d’autres. Un meuble, un thé, un plat, un appareil photographique, un programme de
formation, ce sont des produits différents. Ils sont techniquement définis à travers leurs différentes
fonctions et un processus de fabrication. Il faut un savoir-faire pour les réaliser. La politique des
produits débute avec l’élaboration des connaissances et des savoir-faire propres à un produit. Une
politique de produits peut contribuer à mieux présenter les produits haïtiens, à avoir une main-
d’œuvre préparée. Elle conditionne le fait que les entreprises locales pourront offrir un produit qui
remplace celui qui est importé. Il faut des programmes de formations qui aident les entrepreneurs
à définir et à doser leurs produits.
Un entrepreneur doit connaître techniquement le produit ou la composition du produit qu’il
souhaite fabriquer. Chaque étape de la filière d’un produit allant de la fabrication, à l’emballage et
la présentation commerciale donne lieu à un savoir-faire. La description d’un produit donne aux
entrepreneurs la possibilité de le fabriquer avec les intrants qui existent sur le territoire. Elle facilite
le développement d’une culture technique dans les entreprises. Elle permet de construire des
savoir-faire standardisés autour des produits typique d’Haïti et de porter les producteurs à faire
preuve de rigueur dans leurs choix de matériaux et de fabrication de leurs produits. Elle porte les
entreprises locales à en améliorer graduellement sa qualité. Cette politique les met dans la
possibilité de négocier des transferts de connaissances avec des firmes étrangères, car l’entreprise
locale connait la partie du produit sur laquelle elle ne maitrise pas un savoir-faire. Elle donnera de
meilleurs résultats que les stages réalisés à l’étranger qui ne portent pas sur les produits existant
dans le tissu productif national.
La politique des produits conditionne la possibilité pour les entreprises de créer de nouveaux
produits avec les intrants qui sont abondants en Haïti. Chacun des produits du pays peut donner
lieu à plusieurs possibilités de transformations en permettant d’avoir des gammes des produits bon
marché et d’autres plus complexes. À partir de là se construit une économie organisée autour de
la connaissance et de prototypes. Les procédés de fabrication et les savoir-faire devant être
standardisés et décrits techniquement couvrent autant la gestion des entreprises infrastructurelles,
que celle des industries créatives, la transformation des produits alimentaires, la fabrication de
condiments, l’élaboration de nouveaux matériaux de construction, la logistique. Ce sont des
centaines de nouvelles entreprises.
La politique des produits fait appel à des entreprises technologiques qui diffusent les procédés.
Elle permettra de connecter le secteur productif avec la recherche universitaire. La circulation de
l’information sur les produits dépend des moyens que les pouvoirs publics engagent dans la
recherche. Le gouvernement peut solliciter des laboratoires de monter des protocoles techniques
autour de nombreux produits existant sur le marché local et certifier des propositions techniques
venant d’inventeurs locaux. Ce traitement de la connaissance et de savoir-faire portera les
entrepreneurs à standardiser la fabrication de leurs produits, que l’on soit dans la fabrication ou
dans les services. La politique des produits peut faciliter le rapprochement des deux milieux de

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formation et de production. Elle permet de préparer l’entrée des jeunes Haïtiennes et Haïtiens dans
le milieu du travail. Les facultés d’agronomie, de chimie, de gestion et d’ingénierie devraient être
sollicités pour élaborer les connaissances et standardiser les savoir-faire.

Les domaines prioritaires des investissements

Ce n’est pas à partir des biens de luxe que la production pourra être relancée, mais à partir
d’un accroissement de la production et de l’amélioration de l’offre de biens allant aux couches
pauvres afin de provoquer une baisse des prix. Une fois que les biens alimentaires deviennent plus
abondants, que les prix baissent et permettent aux ménages de dégager de nouveaux revenus, les
entreprises peuvent aller plus aisément vers la production des biens manufacturés. Les ménages
verront leur pouvoir d’achat s’améliorer ; ils auront un surplus de revenu servant à acheter de
nouveaux produits. C’est pour cela que les investissements publics et privés, notamment dans les
infrastructures allant au secteur agricole, devraient dans un premier temps se concentrer sur les
investissements servant à accroître les biens alimentaires.
Les infrastructures de base et les connaissances demeurent les premiers secteurs où l’État
doit encourager les investissements publics et les investissements privés afin d’avoir des
entreprises de transformations. L’État dispose d’actifs dans tout le pays qui peuvent être convertis
en entreprises mixtes ou en entreprises publiques. Les routes, des ponts, des marchés publics, des
ports internationaux et de cabotage, les lieux du patrimoine historique, des systèmes d’irrigation,
de la réfection des systèmes d’adduction d’eau potable. Chaque commune du pays dispose une
partie ou la totalité de ces actifs. Ces investissements contribueront à faire augmenter l’offre locale
et les revenus. À partir de là, il devient possible de diversifier le secteur productif. Les
investissements réalisés dans les biens de base permettront de créer un surplus qui fait diminuer
les prix et augmenter le pouvoir d’achat des salaires. C’est la condition pour avoir un long cycle
de croissance.
Les pouvoirs publics peuvent mobiliser les marchés publics pour stimuler l’investissement
privé en Haïti dans les grandes infrastructures de base. La loi sur les marchés publics donne aux
dirigeants la légitimité pour développer des PPP. Cette loi permet de réaliser des marchés groupés.
Puisque les acteurs économiques étatiques et privés n’ont pas une culture de l’encadrement
de l’investissement, ce papier propose deux groupes de mesures : celles qui peuvent aider les
dirigeants à répondre aux demandes de politiques venant d’entrepreneurs individuels ou regroupés,
et le deuxième groupe qui montre que l’État oriente le secteur productif et recourt à des incitations
pour stimuler les investissements privés.
1. Un bureau qui propose les programmes que l’État doit encourager dans les infrastructures
et les secteurs stratégiques de l’économie. Ce bureau doit présenter les équipements et les
infrastructures à réaliser sur une période, diffuser l’information sur les marchés potentiels
et existants, les normes applicables en matière de production et de tarification des services
ainsi que les autres incitations de l’État. Les travaux sont définis sur la base de critères
techniques et économiques qui servent à informer les éventuels investisseurs locaux ou

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étrangers sur les normes applicables pour chaque type. À partir des programmes établis
pour chaque type d’infrastructure, il sera possible de définir une stratégie de financement ;
2. Un organe public regroupant les organes publics et privés collecteurs et détenteurs de
l’épargne contractuelle qui identifie les secteurs où il faut orienter l’épargne et soutenir
l’investissement privé. Les membres de cet organe public doivent se mettre d’accord sur la
stratégie de développement à moyen terme et à long d’Haïti, afin de faciliter sur une
meilleure utilisation de l’épargne.
3. Un bureau qui reçoit les informations sur les produits locaux qui sont exploitables au
niveau industriel. Ce bureau est connecté avec les centres de recherche universitaire et avec
les individus qui soumettent des idées de projet de fabrication. Cette entité doit apprécier
l’information technique et économique produite sur la qualité des produits. Il reconnait les
droits d’auteurs sur les idées qui sont soumises ; ils orientent les porteurs d’idées de projets
et recherche les moyens d’accompagner financièrement et techniquement les bonnes idées
de projets. Le bureau doit fournir des informations suffisamment claires sur les intentions
du gouvernement en matière de politiques sectorielles ainsi que sur les mesures incitatives
qui sont applicables.
4. Un bureau devrait être chargé de promouvoir les produits typique d’Haïti sur le marché
local et à l’étranger afin d’attirer des investissements dans ces productions. Ce bureau peut
se charger d’identifier, établir leur potentiel en termes de volumes, élaborer une stratégie
de marketing de ces produits sur les deux marchés. Les pouvoirs publics peuvent encadrer
la production de ces produits afin d’y attirer l’investissement privé. Cela signifie qu’ils
encouragent la consommation de ces produits et financent des programmes de formation
allant dans le sens de leur fabrication. Le volume de la demande est connu ; des normes de
fabrication sont définies. Pour l’instant, les produits typiques sont exploités par des
entreprises familiales Ces produits typiques peuvent faire l’objet d’une production à grande
échelle ou industrielle ; certains de ces produits disposent d’une grande marge de
croissance.
5. Un bureau sur les produits futurs à promouvoir en Haïti qui engage des moyens pour étudier
et explorer les marchés futurs suivant les tendances futures du marché mondial. Certains
produits typiques d’Haïti peuvent faire l’objet de l’attention de ce bureau.
6. Un conseil national sur la macroéconomie haïtienne réunissant décideurs et chercheurs de
l’université pouvant discuter des politiques sectorielles à mettre en œuvre et de leurs liens
avec l’économie nationale. La redéfinition du cadre macroéconomique doit faire d’une
attention particulière.
7. Il faut un budget pour faciliter à la fois la recherche et la conversion de la connaissance en
savoir-faire afin de connecter l’université au monde du travail. Il reste à déterminer les
normes applicables dans ce domaine afin que les deniers publics alloués à la recherche peut
avoir un impact sur la formation professionnelle des jeunes et sur le secteur productif.

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Ces instances sont attentives à la recherche scientifique et aux idées des individus ; elles ont
une autonomie en matière d’élaboration d’idées autour des choix économiques ; elles représentants
des de ces moyens.
L’administration doit développer une attitude par rapport à ces marchés. Il faut moins de
procédure et une culture économique solide qui puisse contribuer à renforcer ces activités. Les
aspects nombreux de la politique industrielle n’exigeant pas forcément des procédures
administratives, mais plutôt une culture économique qui exige de la flexibilité et permet aux
dirigeants et à l’administration de prendre des orientations adéquates à chaque moment opportun.
Les acteurs doivent s’entendre sur les investissements à long terme et à moyen terme et sur la
meilleure utilisation de l’épargne. Les acteurs doivent établir un dialogue avec les acteurs sur la
manière de surmonter les contraintes.

Le chiffrage des investissements

Les besoins d’investissements publics


1- La R&D passant par le financement de l’université qui facilite le développement de
nouveaux procédés ;
2- Les fonds de participations de l’État aux PPP qui s’ajoutent aux fonds de l’épargne à long
terme ;
3- Les fonds soutenant la protection sociale des entrepreneurs qui est une enveloppe
budgétaire récupérable ;
4- La recherche fondamentale sur les marchés futurs pouvant être financés à partir de fonds
spéciaux ;
5- Les fonds pour le fonctionnement des organes de gestion de la politique industrielle avec
des incitations.

La réforme de la politique commerciale d’Haïti

Depuis 1986, l’État haïtien a libéralisé son commerce extérieur et pratique le laisser-faire
même si des individus interviennent auprès des dirigeants de manière individuelle pour négocier
des avantages et des monopoles. Concernant sa politique commerciale, le rapport de deux experts
présenté en 2018 propose une modernisation du cadre juridique, règlementaire et institutionnel de
la politique commerciale d’Haïti et des réformes opérer dans la plupart des secteurs d’activité et
aussi l’élaboration d’un cadre juridique qui protège les droits de la propriété intellectuelle 5.
Face la concurrence externe, il est nécessaire pour les dirigeants haïtiens d’encadrer le marché
domestique afin de parvenir aux objectifs de création d’entreprises et de recul de la pauvreté. Pour
soutenir l’investissement privé et attirer les capitaux étrangers dans le secteur productif, l’État
haïtien devrait repenser sa politique commerciale. Les mesures suggérées pour l’instant ne visent

5
Francisco Abbate et Jean Daniel Élie, Formulation et mise en œuvre de la politique commerciale d’Haïti : un plamn
d’action. La contribution de la CNUCED, septembre 2018.

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pas l’élévation des barrières douanières ; elle doit viser les produits pour lesquels le pays dispose
d’un avantage.
Les marchés à accaparer sont immenses. Pour les seuls produits alimentaires, c’est environ 600
millions de dollars par an. Des groupes de producteurs peuvent valoriser leurs produits sans devoir
être contraints de se confronter à la concurrence externe ou de la confronter dans une situation plus
avantageuse. Sont alors conseillées des interventions non tarifaires qui aident les producteurs à
mieux emballer, exposer et offrir des produits substituts à ceux qui sont importés. Ce n’est pas une
politique commerciale en tant que telle, mais des mesures qui aident les producteurs à mieux
présenter leurs produits.

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