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Orphelin de bonne heure, sa première formation est assurée par son père, Johann
Ambrosius Bach, puis par son frère aîné, Johann Christoph Bach. Mais il est aussi
un autodidacte3, passionné de son art, copiant et étudiant sans relâche les œuvres
de ses prédécesseurs et de ses contemporains, développant sa science de la
composition et particulièrement du contrepoint jusqu'à un niveau inconnu avant lui
et, depuis lors, jamais surpassé4. Jean-Sébastien Bach est un virtuose de plusieurs
instruments, le violon et l'alto, mais surtout le clavecin et l'orgue. Sur ces deux
derniers instruments, ses dons exceptionnels font l'admiration et l'étonnement de
tous ses auditeurs ; il prétend tout jouer à première vue et peut improviser sur-
le-champ une fugue à trois voix. Il a aussi une compétence reconnue et très
sollicitée en expertise de facture instrumentale.
Peu connue de son vivant au-dehors de l'Allemagne, passée de mode et plus ou moins
oubliée après sa disparition, pleinement redécouverte au xixe siècle, son œuvre,
comprenant plus de mille compositions, est généralement considérée comme
l'aboutissement et le couronnement de la tradition musicale du baroque : elle fait
l’admiration des plus grands musiciens, conscients de son extraordinaire valeur
artistique. Objet, chez les musicologues et musiciens, d'un culte5, qui a pu
susciter l'ironie de Berlioz6, Jean-Sébastien Bach est considéré, depuis sa
redécouverte au xixe siècle, comme un des plus grands compositeurs de tous les
temps, si ce n'est comme le plus grand7.
Biographie
Origines
Comme nombre de musiciens des xviie et xviiie siècles, Jean-Sébastien Bach est issu
d'une famille de musiciens : mais la famille Bach — peut-être venue de Hongrie au
xvie siècle et implantée en Thuringe pour pouvoir y pratiquer librement sa
confession luthérienne — est la plus nombreuse de toutes8.
De fait, cette famille exerce une sorte de monopole sur toute la musique pratiquée
dans la région : ses membres sont musiciens de ville, de cour, d'église, cantors,
facteurs d'instruments, dominant la vie musicale de toutes les villes de la région,
notamment Erfurt, Arnstadt, etc. Chaque enfant a donc son destin déterminé :
recevoir l'enseignement de son père, de ses oncles ou d'un frère aîné, puis suivre
leur trace, celle de ses ancêtres et de ses nombreux cousins.
L'ancêtre Veit Bach, que quatre générations séparent de Jean-Sébastien, aurait été
meunier, boulanger et joueur de cithare. Son fils Hans Bach est le premier musicien
professionnel de la famille, et a trois fils également musiciens : Johann (1604-
1673), Christoph (1613-1661) et Heinrich (1615-1692) ; parmi les enfants de
Christoph, on trouve des frères jumeaux : Johann Christoph (1645-1693) et Johann
Ambrosius (1645-1695), le père de Jean-Sébastien, nés à Erfurt, qui est une des
villes de résidence de la famille.
Eisenach
peinture : le père de Bach
Johann Ambrosius Bach, le père de J.-S. Bach.
Eisenach en 1647.
Jean-Sébastien Bach naît à Eisenach le 21 mars 1685, selon le calendrier julien
alors en usage dans l'Allemagne protestante, soit le 31 mars 1685 selon le
calendrier grégorien adopté en Allemagne le 18 février 1700 (qui devient le 1er
mars 1700)10,11, dans une maison à ce jour disparue, proche de l'actuel musée Jean-
Sébastien Bach d'Eisenach.
La famille Bach est réputée pour ses musiciens, car les Bach qui pratiquent cette
profession à l'époque sont déjà au nombre de plusieurs dizaines12, exerçant comme
musiciens de cour, de ville ou d'église dans la Thuringe. Jean-Sébastien Bach se
situe à la cinquième génération de cette famille depuis le premier ancêtre connu,
Veit Bach, meunier et musicien amateur de confession protestante qui, fuyant des
persécutions religieuses en Hongrie ou en Slovaquie, s'installe dans la région, à
Wechmar, au xvie siècle.
Ohrdruf
carte : les villes où Bach a travaillé
Le parcours de Bach de ville en ville, de sa naissance à la mort.
Sa mère, Maria Elisabetha Lämmerhirt, meurt le 1er mai 169416, alors qu'il vient
d'avoir neuf ans. Le 27 novembre suivant, son père se remarie avec Barbara
Margaretha Bartholomäi née Keul, (elle-même doublement veuve depuis la fin de
1688 : d'abord d'un Bach et ensuite d'un diacre), mais il meurt quelques semaines
plus tard, le 20 février 169517,18. Orphelin dès dix ans, Jean-Sébastien est
recueilli par son frère aîné, Johann Christoph, âgé de vingt-quatre ans, élève de
Johann Pachelbel et organiste à Ohrdruf — à une cinquantaine de kilomètres de là —,
et sa tante Johanna Dorothea, qui est l’Ersatzmutter (la mère de substitution),
dont cinq des neuf enfants deviennent des musiciens accomplis19.
Dans cette ville, Jean-Sébastien Bach fréquente le lycée, acquérant une culture
plus approfondie que celle de ses aïeux. Il a pour camarades de classe l'un de ses
cousins, Johann Ernst Bach, et un ami fidèle, Georg Erdmann. Johann Christoph
poursuit son éducation musicale et le forme aux instruments à clavier. Jean-
Sébastien se montre très doué pour la musique et participe aux revenus de la
famille en tant que choriste20,21 au sein du Chorus Musicus, composé d'une
vingtaine de chanteurs22. Son frère le laisse suivre la construction d'un nouvel
orgue pour l'église, puis toucher l'instrument22. Il aime à recopier et étudier les
œuvres des compositeurs auxquelles il peut accéder, parfois même contre la volonté
de son aîné23,24. La passion d'apprendre reste un de ses traits de caractère et en
fait un connaisseur érudit de toutes les cultures musicales européennes25 : « Le
trait le plus saillant de Johann Sebastian enfant est sa puissante autonomie. Il se
garde libre. Il dévore ce qui lui paraît bon. Il travaille. Il imite. Il corrige.
Il refait. Il s'impose. C'est un prodigieux empirique. Le génie fait le reste26. »
Lunebourg
photo : église st Michel de Lunebourg
Michaelisschule de Lunebourg.
Le 19 janvier 1700, doté d'une bourse, Georg Erdmann quitte Ohrdruf pour le
pensionnat Saint Michel de Lunebourg. Dès le 15 mars suivant, Jean-Sébastien Bach
le rejoint, parcourant à pied une distance de plus de 300 km : le désir de
retrouver son ami et d'alléger la charge de son entretien par l'aîné, qui est marié
et père de famille, le décide probablement à ce changement décisif. Il est admis,
avec son ami, dans la manécanterie de la Michaelisschule, qui accueille les jeunes
garçons pauvres ayant une belle voix.
Weimar et Arnstadt
photo : église d'Arnstadt
Église Saint-Boniface, Arnstadt.
manuscrit : BWV 739
Manuscrit du prélude de choral Wie schön leuchtet der Morgenstern, BWV 739, composé
à Arnstadt. C'est le plus ancien manuscrit de Bach conservé, antérieur à 170735.
Bach passe sa première audition en 1702, à Sangerhausen, à l'ouest de Halle. Il
s'agit de trouver un successeur à Gottfried Christoph Gräffenhayn qui vient de
mourir le 9 juillet 1702. En dépit de l'excellente audition qu'il donne, le duc en
personne, Johann Georg de Saxe-Weissenfels, s'oppose à cette nomination et attribue
le poste au petit-fils d'un ancien titulaire de cette charge. Au début de mars
1703, fraîchement diplômé, Bach prend un poste de musicien de cour dans la chapelle
du duc Jean-Ernest III de Saxe-Weimar à Weimar, grande ville de Thuringe. « Il est
employé comme laquais et violoniste dans l'orchestre de chambre du frère du duc de
Weimar36. ». En sept mois, jusqu'à la mi-septembre 1703, il se forge une solide
réputation d'organiste et est invité à inspecter et inaugurer le nouvel orgue de
l'église de Saint-Boniface d'Arnstadt, au sud-ouest de Weimar. Il a dix-huit ans37.
De retour à Arnstadt en janvier 170643 — après avoir rendu visite à Johann Adam
Reinken à Hambourg et à Georg Böhm à Lüneburg — le consistoire critique vivement sa
nouvelle manière d'accompagner l'office, entrecoupant des strophes et usant d'un
contrepoint si riche que le choral n'en est plus reconnaissable44. En l'occurrence,
il lui est fait le reproche suivant45 : « comment se fait-il, monsieur, que depuis
votre retour de Lübeck, vous introduisiez dans vos improvisations, beaucoup trop
longues d'ailleurs, des modulations telles que l'assemblée en est fort troublée ? »
Le consistoire l'accuse aussi de profiter des sermons pour s'éclipser et rejoindre
la cave à vin, et de jouer de la musique dans l'église avec une « demoiselle
étrangère », sa cousine Maria Barbara46.
Mühlhausen
gravure : Mühlhausen en 1650
Mühlhausen en 1650
(gravure de Matthäus Merian).
Le décès de l'organiste de l'église Saint-Blaise de Mühlhausen, situé à soixante
kilomètres d'Arnstadt, lui offre l'occasion qu'il attend : de l'automne 1707 à la
mi-juillet 1708, il est organiste à Mühlhausen. Il y écrit sa première cantate
(peut-être la BWV 131), prélude à une œuvre liturgique monumentale à laquelle vient
se rajouter l'œuvre pour orgue. Il compose durant sa vie plus de trois cents
cantates, correspondant à cinq années complètes de cycle liturgique. Plusieurs
dizaines de ces compositions sont perdues, dont une partie date de cette période.
Mühlhausen est alors une petite ville de Thuringe, récemment dévastée par le feu,
et Bach peine à trouver à se loger à un prix convenable. Le 17 octobre 1707, à
Dornheim près d'Arnstadt32, il épouse sa cousine Maria Barbara47, dont il admire le
timbre de soprano. Il doit se battre pour constituer une dot convenable, aidé par
l'héritage modeste de son oncle Tobias Lämmerhirt48, et pour donner à sa femme une
place dans les représentations, car jusqu'au xixe siècle les femmes ne sont
généralement pas admises à la tribune d'honneur. Ils ont sept enfants dont quatre
atteignent l'âge adulte, parmi lesquels Wilhelm Friedemann et Carl Philipp Emanuel.
Weimar
peinture : Bach en 1715
Jean-Sébastien Bach à trente ans (1715) par Johann Ernst Rentsch le Vieux (mort en
1723).
De 1708 à 1717, il est organiste et, de 1714 à 1717, premier violon soliste à la
chapelle du duc de Saxe-Weimar, Guillaume-Ernest de Saxe-Weimar. Il dispose de
l'orgue, mais aussi de l'ensemble instrumental et vocal du duc. Cette période voit
la création de la plupart de ses œuvres pour orgue, dont la plus connue, la célèbre
Toccata et fugue en ré mineur, BWV 565. Il compose également de nombreuses
cantates53, et des pièces pour clavecin inspirées des grands maîtres italiens et
français.
Il est attiré en particulier par la structure italienne qui fait alterner solo et
tutti, dans laquelle un ou plusieurs instruments soli alternent avec l'orchestre
dans un mouvement entier59. Ce dispositif instrumental italianisant peut être
entendu dans la suite anglaise no 3 pour le clavecin (1714) : l'alternance solo-
tutti est matérialisée par le passage au clavier inférieur (sonorité plus pleine)
ou au clavier supérieur (sonorité plus expressive).
Bach refuse un poste à la cour du roi de Pologne à Dresde lorsque le duc de Saxe-
Weimar double ses appointements pour le garder. Le prince Léopold d'Anhalt-Köthen,
beau-frère du duc, très impressionné par la musique écrite par Bach pour le mariage
de sa sœur Éléonore-Wilhelmine avec Ernest-Auguste Ier, lui propose le poste de
maître de chapelle de la cour de Köthen, le plus élevé des postes de musiciens,
permettant à Bach d'être appelé Herr Kapellmeister. Cette fois-ci, Bach accepte
l'offre. En apprenant la nouvelle, le duc fait emprisonner Bach durant un mois, du
6 novembre au 2 décembre. C'est alors en prison que Bach compose les quarante-six
chorals du Petit livre d'orgue (Orgelbüchlein)60.
Köthen
gravure : le Palais de Cöthen
Palais et jardins à la française de Cöthen, d'après une gravure de Matthäus Merian
Topographia (1650).
De décembre 1717 à avril 1723, il succède à Johann David Heinichen (un ancien élève
de Köthen61) comme maître de chapelle (Kapellmeister) à la cour du prince Léopold
d'Anhalt-Köthen, beau-frère du duc de Weimar. Le prince est un brillant musicien
(il a étudié avec Heinichen à Rome62) : il joue avec talent du clavecin, du violon
et de la viole de gambe. Son Grand Tour de 1710 à 1713 le met en contact avec la
musique profane italienne et le convainc de la nécessité de développer la musique
profane allemande, d'autant que ses convictions religieuses calvinistes lui
interdisent la musique d'église. Une occasion se présente à lui car Frédéric-
Guillaume Ier vient d'accéder au pouvoir, et celui-ci ne montre aucun intérêt pour
les arts : il licencie les artistes de la cour et les dépenses baissent de 80 % en
une année. Le prince Léopold peut attirer des musiciens de la cour de Berlin vers
celle de Köthen, qui dispose rapidement de 18 instrumentistes d'excellent niveau.
La musique représente dès lors le quart du budget pourtant limité de la principauté
de Anhalt-Köthen, qui devient un important centre musical.
Fichiers audio
Concerto brandebourgeois no 4, premier mouvement
7:18
Concerto brandebourgeois no 5, second mouvement
5:56
Concerto brandebourgeois no 6, troisième mouvement
5:36
Air BWV 1068, deuxième mouvement
2:50
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L'ambiance y est informelle, et le prince traite ses musiciens comme ses égaux. Il
les emmène à Carlsbad (devenue Karlovy Vary en République tchèque) pour « prendre
les bains », et il joue souvent avec eux, parfois même chez Bach lorsque sa mère,
Gisela Agnes, s'irrite de la présence perpétuelle de l'orchestre au palais. Son
poste offre à Bach un certain confort matériel, avec une dotation de 400 thalers
par an63. Le prince Léopold est par ailleurs le parrain de Léopold Augustus Bach,
le dernier enfant de Maria Barbara.
Cette période heureuse est propice à l'écriture de ses plus grandes œuvres
instrumentales pour luth, flûte, violon (Sonates et partitas pour violon seul),
clavecin (premier livre du « Clavier bien tempéré »), violoncelle (Suites pour
violoncelle seul), Six concertos brandebourgeois, et probablement la Suite
orchestrale no 3 en ré majeur BWV 1068 (dont la célèbre Aria ou Air sur la corde de
sol de son 2e mouvement, appelé « Air de Jean-Sébastien Bach »).
Mais sa femme, Maria Barbara, meurt le 7 juillet 172064, et cet événement le marque
profondément. Il en est d'autant plus bouleversé qu'il n'apprend la mort et
l'enterrement de son épouse qu'à son retour de Dresde. Il se remarie un an et demi
plus tard avec Anna Magdalena Wilcke, fille d'un grand musicien et prima donna de
la cour de Köthen65,19.
emblème de Bach
Le monogramme de Bach.
Il songe à quitter cet endroit rempli de souvenirs à la recherche d'une ville
universitaire pour les études supérieures de ses enfants, d'autant qu'il ne peut
composer de musique sacrée dans une cour calviniste. De plus, le prince se remarie
en 1721, et sa deuxième épouse semble être eine amusa, selon le dire de Bach66,
c’est-à-dire peu sensible aux arts en général, et en détourne son mari.
Parallèlement, le prince doit contribuer davantage aux dépenses militaires
prussiennes67.
Leipzig
photo : appartement de Bach à St. Thomas détruit en 1902
Cliché du logement de Bach, au rez-de-chaussée de l'école Saint-Thomas (extrême
gauche du bâtiment en façade), pris avant sa démolition en 1902 pour insalubrité69.
Trois marches mènent à la porte.
gravure : église St Thomas à droite et bâtiment de l'école à gauche
École et église Saint-Thomas de Leipzig, gravure de Johann Gottfried Krügner, 1723.
Remarquez que le bâtiment de l'école ne comporte que deux étages à cette époque.
gravure : église st. thomas en 1749
Église Saint-Thomas de Leipzig en 1749.
photo : Statue à Leipzig
Statue de J.-S. Bach à Leipzig, inaugurée en 1908.
À Leipzig, le poste de Johann Kuhnau, le Thomaskantor de l'église luthérienne saint
Thomas, est à pourvoir. La place ayant été précédemment refusée par Georg Philipp
Telemann, le conseil tente de débaucher d'autres compositeurs : Christoph
Graupner70 décline l'offre (son précédent employeur, le landgrave Ernst Ludwig de
Hesse-Darmstadt, refuse de lui rendre sa liberté et augmente ses émoluments) ainsi
que Georg Friedrich Kauffmann (employé à Mersebourg), Johann Heinrich Rolle
(employé à Magdebourg), et Georg Balthasar Schott (employé à la Nouvelle Église de
Leipzig). Le Docteur Platz, membre du conseil, révèle dans sa correspondance les
raisons du choix qu'ils se résolvent à faire71 : « Pour des raisons importantes, la
situation est délicate et puisque l'on ne peut avoir les meilleurs, il faut donc
prendre les médiocres. » Bach est choisi le 22 avril 172372 et signe son contrat en
quatorze clauses le 5 mai73.
À l'époque, Leipzig, avec ses 30 000 habitants, est la deuxième ville de Saxe. Elle
est le siège de foires commerciales réputées, un centre d'édition reconnu et
s'enorgueillit d'une université renommée73 qui dut compter dans le choix que fit
Bach de venir s'installer dans la ville. La possibilité que ses fils y étudient
entre en effet dans les projets du futur Cantor.
En mai 1747, il se rend en compagnie de son fils Wilhelm Friedemann à Potsdam pour
une visite à Frédéric II sollicitée par le souverain lui-même80 par l'entremise de
Carl Philipp Emanuel, claveciniste de la cour depuis 1741.