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Chemins

de traverse
Supplément

chemins
de traverse
‌INTRODUCTION
Ici, l’écryme règne. voyageur doit faire face et les coutumes à respec-
ter. Il aborde les soubresauts politiques agitant
Ce premier supplément d’Écryme s’intéresse aux les seigneuries traversières, détaille quelques
domaines traversiers, à l’écryme et à son écologie. lieux typiques, puis développe l’écologie de
Durant leurs aventures, les personnages joueurs l’écryme et plusieurs plantes et animaux qui
effectueront de longs périples au-dessus de la y survivent. Enfin, deux ballades vous permet-
mer acide en empruntant cet immense réseau de tront de plonger vos joueurs dans ce labyrinthe
ponts. Ce dernier n’est pas simplement une étape de pierre et de fer.
entre les cités de la Toile ; il constitue un univers À travers les lieux et les aventures décrits, nous
à part entière, pétri d’intrigues, de conflits et de nous efforçons de vous faire ressentir le côté am-
défis à relever. Les traverses sont peuplées de per- bivalent des traverses. Certes, y vivre est péril-
sonnages hauts en couleur, mus par un instinct de leux, mais elles représentent un horizon infini
survie hors du commun et la volonté de préserver où tout paraît possible, loin du cloisonnement
coûte que coûte leurs traditions. Elles bordent éga- politique et social des cités. De nouvelles terres
lement des ressources que les konzerns s’arrachent peuvent être découvertes, des tyrans peuvent être
pour étendre leur influence. Enfin et surtout, elles renversés, le progrès peut y faire son apparition,
recèlent de nombreux dangers. S’y engager dans une faune et une flore unique y sont préservées.
l’espoir de survivre implique non seulement de se Pour se réaliser, tout cela ne demande que des
préparer méticuleusement, mais aussi d’accepter individus volontaires et décidés, qui ont foi en
les règles particulières de ce microcosme hors de eux-mêmes. À ceux-là seuls, les traverses et leurs
la rationalité citadine. promesses ouvrent les bras.
Cet ouvrage a pour but de faire découvrir aux Nous vous souhaitons un voyage agréable.
conteurs différentes facettes du monde traver- N’oubliez pas vos échasses et votre masque à gaz.
sier. Il se focalise sur le voyage en lui-même, les Les volutes acides de l’écryme sont une véritable
risques qu’il présente, les dangers auxquels le plaie. Vous voilà prévenus.

‌CRÉDITS
‌Chef de projet
Alexandre Clavel
‌Relectures et conseils
‌Rédaction Barthélémy Broisat, Aurélien Caffart, Noémie
Chervet, Joaquim Lasselin, Amandine Luchier,
Alexandre Clavel, Samuel Metzener. Frédérick Mestre.

Textes additionnels ‌Illustrations intérieures


(par ordre d’apparition)
Émile Denis, Camille Durand-Kriegel, Remton,
Sébastien Duverger-Nédellec (La traverse oubliée), Sabrina Tobal
Stéphane Pouderoux (La Porte de la Plonge), Jérôme
Rouquet (Les traverses fantômes), Jérémie Marrale
(Le mélodrame du Mélomane), Julien Arnaud (Le sou- ‌Conception graphique
verain brûlé), Thomas Le Goareguer (La boutique
d’Honoré), Mathieu Gaborit et Guillaume Vincent
et mise en page
Camille Durand-Kriegel
(Les faucheurs de brise).

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SOMMAIRE

INTRODUCTION..................................2 Où les serpents constituent un met de choix... 40


Où les insectes nourrissent les serpents............ 42
La traverse oubliée...................................................4 Le souverain brûlé................................................. 43

LES VOYAGES SUR LA TOILE................8 MÉCANISMES SUPPLÉTIFS................46


Où l’on prépare son voyage...................................8 Agoraphobie........................................................ 46
Où divers dangers sont abordés..........................10 Lunatisme traversier........................................... 46
Où les moyens de transport sont détaillés.........14 Créer son aérostat................................................47
Où des traditions sont esquissées.......................16 Combattre dans un dirigeable........................... 48
La Porte de la Plonge.............................................20 La boutique d’Honoré............................................49

VIE ET INTRIGUE DANS UNE SUR LES DENTS.................................53


SEIGNEURIE TRAVERSIÈRE................23 Où l’écryme ne paie pas......................................53
Où l’on rencontre la crème de l’écryme............ 56
Où l’on se remémore le passé............................. 23 Où l’écryme était presque parfait.......................59
Où les intrigues traversières Où l’écryme est châtiment..................................62
sont passées en revue.......................................... 24 Où l’écryme fraiche ne vaut pas
Les traverses fantômes...........................................27 l’écryme glacée.....................................................63
Où les personnages gagnent en l’expérience.....63
LIEUX TRAVERSIERS..........................30 Les faucheurs de brise......................................... 64
Où l’on introduit les éléments clés
Où il est question d’endroits.............................. 30 de la ballade......................................................... 64
Où l’on aborde des coutumes..............................32 Où l’on file à toute vapeur (Acte 1).....................70
Le mélodrame du mélomane.................................34 Où les traverses défilent (Interlude)...................76
Où l’ancien et le moderne s’invitent
L’ÉCOLOGIE TRAVERSIÈRE..................37 dans le jeu (Acte 2)...............................................79
Où la fleur d’écryme est la seule à survivre......37 Où la brise fauche les Innommées (Acte 3).......87
Où les champignons sont les rois de la flore.... 38 Où le jeu connaît son épilogue.......................... 92
Où d’autres végétaux poussent à la marge........ 40 Des centaines de fois............................................93

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La traverse oubliée
Septième colloque des Loges cartographiques antipoliennes sur les dangers traversiers et
leur prévention.

Mes chers collègues,


Pour conclure notre séance, laissez-moi vous narrer une aventure qui s’est dérou-
lée il y a presque dix années. J’étais alors un jeune novice au service de mon maître,
Isidore de Nointôt. Ce dernier avait été désigné pour faire partie de la délégation char-
gée de cartographier la région séparant l’Antipolie du Gloriana. Si aujourd’hui cette
zone ne recèle quasiment plus de mystères sur nos cartes, à l’époque, elle était tota-
lement inconnue. Notre loge avait décidé d’y envoyer ses meilleurs éléments. Pour
ma part, je devais suivre mon maître.
Le voyage fut éprouvant. Ni train ni dirigeable. Seuls quelques chevaux furent
utilisés pour nous rendre sur place. Je découvrais la Toile pour la première fois. Et
comme tout nouveau voyageur qui s’enfonce dans le réseau de traverses, je fus saisi
par cette impression de remonter le temps. Plus nous nous éloignions d’Entrelace,
plus la technologie et la connaissance me semblaient lointaines. La vie des traver-
siers que nous observions était rude et entièrement vouée à la survie. Bien loin des
préoccupations et des futilités citadines. Nous partîmes plus de trois lunes et arpen-
tâmes la zone d’exploration avec passion afin de dresser les cartes qui nous servent
encore aujourd’hui.
Un beau matin alors que nous avions installé notre camp au croisement de deux
traverses, Isidore me convoqua dans sa tente. Il m’annonça sèchement qu’il avait une
tâche urgente à me confier. Je devais me rendre au plus vite dans la baronnie que
nous avions quittée la veille afin d’y remettre un message au seigneur des lieux. Le
vieux cartographe ne déflora pas la teneur de sa missive. L’idée de cheminer sur les
traverses, seul et sans escorte, m’angoissa grandement. Je voulus protester, mais il ne
m’en laissa pas le temps, me congédiant d’un geste méprisant. Or je ne pouvais pas
affronter la volonté de mon maître. J’aurais pris le risque de me faire chasser de la
Loge. Il fallait donc me mettre immédiatement en route afin d’être de retour le soir
même.
Je ne mis qu’une paire d’heures pour rejoindre la baronnie. Je m’acquittai de ma
tâche bien vite et pris sans délai le chemin pour retourner à notre campement. Mais
en route, la faim commença à m’assaillir. Dans mon désir de rentrer au plus vite, j’en
avais oublié de manger ! Or, j’avais aperçu à l’aller une petite auberge. Notre expé-
dition en avait visité quelques-unes. On pouvait parfois y manger convenablement.
J’aurais préféré éviter d’y faire une halte, mais je ne pouvais vraiment pas continuer :
mon estomac criait famine.
La pièce principale était sombre et exiguë, et quelques tables en fer y étaient dis-
posées. Affable, mais dépourvu de manières, le tenancier me proposa du ragoût d’al-
bâtre. Il n’y avait dans l’établissement qu’un seul client, un homme d’une cinquan-

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taine d’années qui sirotait un verre d’alcool de mandre. Habillé simplement, son
visage était fruste, sans être complètement laid. Son regard noir me détailla sans cil-
ler. Je m’installai à la table la plus éloignée de la sienne espérant qu’il ne daignerait
pas entamer la conversation avec un étranger. Mais durant tout le repas, je sentis
qu’il m’observait du coin de l’œil. Qui était-il ? Je préférais ne pas le savoir. De nom-
breuses histoires circulaient à Entrelace sur des citadins dépouillés et égorgés après
avoir fait une mauvaise rencontre sur les traverses. Je me hâtai de finir.
Alors que j’indiquai à l’aubergiste ma volonté de payer, j’entendis la voix de l’autre
client. Sans aucun tact, il me demanda ce qui m’avait amené jusqu’ici. Une question
simple. À laquelle la prudence me chuchotait à l’oreille de ne pas répondre. Mais je
n’arrivais pas à détacher mes yeux des siens. Je ressentis un grand trouble et bre-
douillai une réponse. Presque contre mon gré. Je ne lui parlai pas de ma mission du
jour, mais je lui racontai l’expédition de la Loge cartographique. Il m’écouta avec at-
tention. Lorsque j’eus fini, il eut un petit rictus et me dit d’une voix ironique :
— Êtes-vous bien sûr d’avoir répertorié toutes les traverses environnantes ?
Je fus surpris par sa question, mais répondis par l’affirmative. La Loge avait cor-
rectement travaillé. J’en étais sûr. L’inconnu eut un sourire énigmatique et je ne pus
m’empêcher de le questionner :
— Comment ? Nous en aurions raté ?
L’homme se rembrunit et rétorqua :
— À mon humble avis, étranger, il est peu probable que vous ayez ne serait-ce
qu’aperçu un pilier de celle qu’on appelle « la traverse oubliée ».
La traverse oubliée ? avais-je bien entendu ? Tous les novices de la Loge avaient, un
jour ou l’autre, entendu cette légende et sa notoriété avait dépassé les murs de l’insti-
tution. On racontait qu’en des temps anciens, une traverse avait été construite pour
rejoindre les sources de l’écryme, le lieu d’où la substance inondait notre monde.
Mais elle avait été détruite en partie par une guerre et on avait perdu sa trace à ja-
mais.
Cet homme me mentait. Je voyais clair dans son jeu ! Il me prenait pour un nigaud
ou un naïf enclin à gober n’importe quelle faribole. Je lui dis vertement que je n’étais
pas dupe. Mais il n’ajouta rien, me regardant avec ce même regard qui me mettait
mal à l’aise. J’aurais sans doute dû écouter la voix de la raison et quitter le relais. Au
lieu de cela, pris d’une fièvre subite, je sortis de mes affaires les cartes que j’avais
emportées. Je lui demandai expressément de me montrer où la traverse se trouvait.
Malheureusement, l’inconnu n’y connaissait rien en cartographie et il était incapable
de la situer précisément ! Selon ses dires, on pouvait toutefois l’observer au som-
met d’une vieille tour abandonnée, mais impossible de s’y rendre. Contre quelques
pièces, il proposa de m’accompagner jusqu’à ce poste d’observation. Il connaissait la
région comme sa poche et le voyage aller-retour ne durerait pas plus de deux heures.
J’acceptai nerveusement sa proposition et le pressai de nous mettre en route. En sor-
tant du relais, je vis le tavernier secouer la tête. Je ne prêtai guère attention à son geste.
Nous quittâmes rapidement la traverse sur laquelle nous nous trouvions pour em-
prunter une trame plus ancienne et moins bien entretenue. Pendant notre trajet, nous
ne croisâmes âme qui vive. Nous finîmes par apercevoir la tour. Ses pierres grises

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et abîmées se dressaient au-dessus de l’écryme. Elle ne devait pas faire plus de trois
étages, mais les mauvaises herbes qui balafraient ses murs témoignaient de son âge
vénérable. À quoi avait-elle pu servir ? Était-ce une tour de l’arpenthème attendant
la venue des pèlerins ?
En nous approchant, mon compagnon désigna l’entrée de l’édifice. Une simple ou-
verture qui donnait sur un escalier en colimaçon. Il s’y engagea, me faisant signe
de le suivre. L’escalier était étroit et les marches inégales. Il n’y avait aucun palier.
Juste quelques meurtrières qui laissaient passer la lumière du jour et les reflets de
l’écryme. La montée ne fut pas très longue et nous débouchâmes sur une plateforme
étroite, au sommet de l’édifice. La vue était dégagée et nous pouvions embrasser du
regard tous les alentours. Le traversier me précisa que nous étions chanceux, car le
temps était clément et nous pourrions apercevoir sans trop de difficulté la traverse
oubliée.
Il tendit le bras dans une direction. Je plissai les yeux et regardai à sa suite. Dans
un premier temps, je ne distinguai que l’écryme à perte de vue, mais, en persévérant,
je la vis. Tout d’abord, je distinguai son extrémité écroulée. Les blocs n’avaient pas
résisté au temps et au manque d’entretien, finissant par s’effondrer complètement.
Puis mon regard remonta le long des arches de pierres décaties qui se succédaient
jusqu’à disparaître sur l’horizon. Je ressentis l’exaltation de faire une découverte im-
portante, en admirant cet édifice majestueux, témoignage des temps anciens. Comme
je regrettais de ne pas posséder de longue-vue !
Je me retournai vers mon guide pour lui demander si par hasard, il n’en possé-
dait pas une. Au lieu d’obtenir une réponse, je le vis arborer un étrange sourire. Ses
yeux à nouveau me fixaient. À ma grande stupéfaction, leur couleur avait changé. Ils
étaient rouges ! Rouges comme un brasier intense ! Je voulais m’en détourner, mais
j’en étais incapable. Comment cela était-ce possible ? Quel était ce sortilège ? Avant
que je ne comprisse ce qui m’arrivait, je ressentis une terrible douleur dans ma tête,
qui se propagea dans tout mon corps, et je sombrai dans les ténèbres.
Lorsque je revins à moi, je mis un moment à réaliser où je me trouvais. J’étais allon-
gé à l’arrière d’une petite carriole à bras tirée par un vieillard. Ce dernier se retourna
quand il m’entendit bouger. Comment étais-je arrivé là ? Il expliqua qu’il m’avait re-
trouvé allongé le long de la traverse, vêtu seulement d’un pantalon et d’une chemise.
Point de manteau, de bottes ou de sacoche. Ils m’avaient recueilli et soigné. J’étais
resté plusieurs jours inconscient et délirant, à tel point qu’il avait craint pour ma vie.
Selon lui, j’avais eu de la chance. De la chance ? Je ne la mesurais pas vraiment... On
m’avait tout volé : mon cheval, mon argent, mes documents... La dernière image qui
me revenait à l’esprit, c’était celle de ces yeux rouges dont je n’arrivais pas à me dé-
faire. Véritablement perdu, je m’abandonnai aux cahots du voyage.
Deux nuits plus tard, alors que mon état s’améliorait, nous croisâmes des membres
de la Loge cartographique. Cela faisait plusieurs jours qu’ils étaient à ma recherche !
Mon vieux maître était inquiet de ne pas me voir revenir. Non qu’il se souciât de mon
sort, mais il voulait être sûr que sa missive avait été bien portée. Les cavaliers dédom-
magèrent mon sauveur et me ramenèrent vers notre campement. Devant Isidore, je
fus bien penaud. Sèchement, il m’expliqua que j’aurais à rembourser les frais de ma

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recherche. De plus, il me somma de lui raconter ma mésaventure. Évidemment, il
n’en crut pas un mot. Ses mots furent cruels. Il considérait que la traverse que j’avais
observée au sommet de cette tour était le fruit de mon imagination. J’avais dû rece-
voir sur le crâne un choc qui avait altéré mes sens. À ses yeux, j’étais tout simple-
ment un idiot qui aurait mérité d’être abandonné à son triste sort… Le lendemain,
nous prenions le chemin du retour et nous regagnâmes Entrelace et la civilisation.
Et chacun de nous reprit le cours de sa vie.
La traverse oubliée ne quitta jamais mon esprit. Je la revoyais même parfois dans
mes songes. Je fis de nombreuses recherches pour trouver des traces avérées de son
existence, des sources sur lesquelles me baser. Sans succès. Cette histoire semblait
n’être qu’une légende. Qu’avais-je donc vu au sommet de la tour ?
Lorsque j’obtins mon diplôme de cartographe, je demandai un congé que la Loge
m’accorda gracieusement. Mais au lieu de rendre visite à ma famille, comme je l’avais
laissé entendre, je partis à la recherche de la vieille tour de l’arpenthème. Cette fois,
j’emportai une longue-vue de qualité. Le lieu fut difficile à retrouver, mais ma persé-
vérance finit par payer et, une fin d’après-midi, je l’aperçus. Elle n’avait pas changé et
je me demandai si quelqu’un avait grimpé ses marches depuis ma précédente visite.
Excité, j’escaladai l’escalier quatre à quatre. Arrivé au sommet et armé de mon ins-
trument, je me mis à scruter frénétiquement les alentours pendant plus d’une heure.
Mais aucune traverse ne se dessinait à l’horizon. Que l’écryme à perte de vue...
Ma déception fut immense. J’étais revenu au bon endroit et pourtant aucune trace
de la traverse ! Qu’était-elle devenue ? Je n’avais aucune explication. Et je n’en ai tou-
jours pas à ce jour. Peut-être a-t-elle été engloutie par l’écryme ? Ou alors mon vieux
maître avait raison : elle n’était que le fruit de mon imagination ?
Voilà, mes chers collègues, l’anecdote que je voulais partager avec vous. S’il faut
en tirer un enseignement, c’est de ne jamais faire confiance à un traversier qui vous
demande de le suivre. Il peut vous en coûter de vous retrouver dépouillé de tout. Et
bien pire encore... La méfiance reste votre meilleure arme dans ces endroits reculés.

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LES VOYAGES SUR LA TOILE
Une immensité hostile, une mer visqueuse et létale. Sa couleur variait du brun au vert en fonction des saisons et
de la luminosité. Parfois, Léon parvenait à apprécier le spectacle, surtout au lever du jour lorsque les premières
lueurs de l’aube se réfractaient à la surface. L’écryme incarnait la mort.

L
es cités ayant toujours été pensées de manière de convois ou de caravanes, le plus souvent à la
autarcique, il est rarissime pour leurs habi- marge des organisations citadines, pour mieux
tants de les quitter. Tout simplement parce veiller sur leurs intérêts et assurer leur propre
qu’ils n’en éprouvent ni la nécessité ni le be- sécurité. Les seconds, quant à eux, représentent
soin et qu’ils n’en ont pas les moyens. Se rendre toute la diversité des voyageurs. Dissidents poli-
dans les bourgs ou les relais proches, à quelques tiques, hommes d’affaire, pèlerins, déserteurs,
kilomètres, représente en soi une entreprise dif- chasseurs de prime, bannis, colons, ouvriers sai-
ficile pour la majorité de la population. Quant à sonniers... Leurs raisons sont innombrables, mais
gagner d’autres mégalopoles, cela relève de l’ex- découlent d’un besoin bien souvent impératif.
ploit. De ces endroits, on ne connaît que des ru- Enfin, même si certaines nations comme l’An-
meurs ou les nouvelles rapportées par une presse tipolie commencent à développer cette activité,
à la solde des gouvernements. le tourisme est encore balbutiant et cantonné à
De fait, les voyages sont réservés à une poignée quelques destinations phares, comme Entrelace,
d’individus répartis en deux grandes catégo- la cité des bains.
ries : ceux qui en ont fait leurs métiers et ceux
dont ont besoin des premiers. La première caté-
gorie regroupe les nobles marchands ainsi que ‌Où l’on prépare son voyage
toute sorte d’aventuriers : des guides, des carto- Se lancer sur la Toile demande une sacrée
graphes, des explorateurs ou des mercenaires qui dose de courage et de débrouillardise. Pour évi-
ont choisi de quitter les cités pour des raisons ter toute déconvenue, la minutie est de rigueur.
qui leur sont propres. La plupart du temps, ils En premier lieu dans le choix du mode de trans-
se sont regroupés, qu’il s’agisse de corporations, port. Voyager en train, en calèche ou en dirigeable

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est plus sûr et plus rapide, mais coûte beaucoup tenariats sont encore rares, mais si la pratique
plus cher ce qui limite leur accès. De manière devait se généraliser, cela représenterait un ac-
croissante, des visites médicales afin de s’assu- croissement considérable du pouvoir des carto-
rer de l’hygiène des passagers sont exigées dans graphes. Il n’est pas certain que les malandrins et
le but d’empêcher des épidémies de se propager. les nobles marchands acceptent sans sourciller de
De plus, les transports en commun ne desservent se laisser damer le pion aussi facilement...
pas forcément la destination envisagée. Dans un Les cartes erronées sont monnaie courante,
tel cas, il faut se risquer à un périple à pied sur quand bien même elles existent ! Le plus sou-
les traverses. S’y lancer relève de l’inconscience, à vent, les plans sont approximatifs. Ils ne tiennent
moins d’être un traversier aguerri. Pour maximi- pas compte des traverses effondrées, des terres
ser ses chances, il faut rejoindre un convoi. non visitées… Plus grave encore, la majorité des
Les convois sont dirigés par des compagnies documents sont trafiqués pour enrichir des mar-
privées de sécurité. Afin de garantir leur sécu- chands peu scrupuleux. En effet, ne disposant
rité, elles paient des pots-de-vin aux seigneurs pas des textes estampillés par les Loges cartogra-
dont elles traversent les domaines. Le montant phiques, les faussaires en fabriquent de faux qui
est prélevé sur les taxes dont les voyageurs se circulent ensuite partout ; la rumeur progresse
sont acquittés. Mais cela n’empêche pas certains et prend lentement l’apparence de la vérité. Il
nobliaux d’exercer un véritable racket au mo- devient alors impossible de démêler le vrai du
ment du passage. Enfin, le secteur de l’escorte faux avant d’être confronté à la réalité. Si cela
est très règlementé. Une compagnie gère de ma- provoque de fâcheux contretemps pour les tra-
nière plus ou moins officielle le trafic sur un versiers, les conséquences sont bien plus graves
large pan de traverses. Mais la concurrence est pour les échassiers qui ne peuvent juger correc-
féroce et peut déboucher sur des campagnes de tement la profondeur de l’écryme. Ils doivent
calomnie, des tentatives de sabotage, ou même alors constamment sonder le fond à l’aide d’une
des escarmouches. Sans parler des konzerns et perche métallique, risquant à tout moment
des ghildes qui tentent en sous-main d’étendre d’abîmer leurs échasses, et, pire, de tomber.
leur influence sur ces pans de la Toile qui leur Vient ensuite la question du matériel. Les
échappent encore. Les conflits frontaux restent transporteurs et les convoyeurs les plus honnêtes
cependant rares dans la mesure où si une attaque comptent les provisions dans les tarifs qu’ils pro-
venait à être connue, les ministères s’empresse- posent. Malheureusement, ils restent nombreux
raient de fermer les compagnies incriminées. De à exiger des suppléments. Là encore, les périples
telles pratiques viendraient en effet contrarier la en transports publics s’avèrent avantageux, car ne
volonté des cités d’étendre petit à petit et le plus nécessitant pas d’achats supplémentaires, hormis
pacifiquement possible leur hégémonie sur les les éventuels repas à payer. Il n’en va pas de même
seigneuries traversières qui les bordent. Le plus pour les voyages à pied. Des protections respira-
souvent, l’affrontement des escorteurs se borne toires se révèlent indispensables en raison des vo-
à des joutes verbales virulentes lorsqu’un citadin lutes acides de l’écryme. L’idéal est de se procurer
se risque dans un quartier lacustre pour trouver des masques plus ou moins rudimentaires, mais
la meilleure compagnie en vue d’un futur voyage. ils sont onéreux. Les plus pauvres se rabattent sur
En l’absence d’une cartographie développée, de simples foulards relativement inefficaces. Le
les compagnies ont accumulé empiriquement plus gros problème vient des échasses. En raison
des connaissances géographiques et politiques des risques d’affaissement de traverse nécessitant
qu’elles conservent jalousement. Le travail des de plonger pour au moins quelques mètres dans
escorteurs est mal vu par certains cartographes l’écryme, leur usage est lui aussi obligatoire.
qui les perçoivent comme des concurrents de Il en existe de tout type, allant des simples
bas étage. Les Loges les plus rétrogrades les perches montées à partir de tige de fleur d’écryme
considèrent donc au mieux avec mépris, au pire à des modèles articulés et complexes, parfois
comme des renégats. Elles œuvrent à les discré- même munis d’un siège. Les plus courantes sont
diter auprès des ministères en colportant des ca- télescopiques, en métaux légers et recouvertes
lomnies voire en montant de toute pièce des in- de feuilles d’or. Les mécanismes les plus évolués
cidents qu’elles leur reprocheront. À l’inverse, permettent de grandir les échasses et de les sta-
d’autres Loges plus modernistes ont décidé de biliser alors qu’elles sont plongées dans l’écryme.
se rapprocher des compagnies d’escorte et de Souvent, les échassiers se déplacent à l’aide d’une
leur proposer de travailler de concert. Les par- tige métallique, elle aussi télescopique, afin de

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sonder l’écryme et de se stabiliser. Les traversiers Voici une liste de dangers auxquels le voyageur
quant à eux apprennent dès leur plus jeune âge à peut être confronté sur la Toile et qui ne figu-
marcher avec des échasses, dans des bassins rem- raient pas dans le livre de base d’Écryme (pour
plis de boue pour muscler leurs jambes, mais aussi rappel - l’importance des cartes, la perte de re-
sur les traverses couvertes de neiges afin de ne ja- pères, la corrosion des traverses, les seigneurs tra-
mais perdre l’équilibre. Ces pratiques ont été re- versiers, l’essaimage des ghildes) :
prises dans certaines cités. À la suite de nombreux
recyclages, les échasses les moins onéreuses se ré-
vèlent très rudimentaires, recouvertes de fines la- ‌De l’écryme
melles de fer, lourdes et en mauvais état. En tant que mer acide omniprésente, l’écryme
De nombreuses échoppes se trouvent en péri- demeure le plus grand danger pour les voya-
phérie des cités, sur les quartiers lacustres, afin geurs. Tout d’abord, elle ronge en permanence
de proposer diverses fournitures aux voyageurs. les traverses qui doivent être entretenues régu-
Véritables capharnaüms, elles sont souvent tenues lièrement, au risque de s’effondrer. À l’acidité de
par des ghildes recycleuses qui en profitent pour l’écryme s’ajoutent la neige, les eaux de pluie, le
écouler leur mauvais matériel. Les moins scru- gel, les vents violents, les affaissements des ter-
puleuses fournissent aux voyageurs, en fonction rains sur lesquels reposent les piliers, mais aussi
de la destination et de leur connaissance traver- le pillage volontaire des pierres ou du fer par la
sière, des échasses creuses remplies de drogues population. La première et seconde trame consti-
et autres marchandises de contrebande. Une fois tuent en effet une source quasiment inépuisable
à destination, ils récupèrent leurs biens parfois de matériaux à moindres frais.
même sans que leurs convoyeurs aient été au cou- Même si elles résistent mieux, les traverses en
rant des risques encourus. pierre de la première trame sont les moins bien
Une fois le matériel acquis, la dernière chose loties. En effet, les cités n’ont plus forcément les
dont le voyageur doit s’occuper est les formalités moyens de restaurer les pans entiers qu’elles avaient
administratives de sortie. Elles sont bien moins jadis bâtis. Les administrations interviennent ra-
contraignantes que lors de l’entrée dans une cité. rement pour exiger aux seigneurs locaux de pro-
Néanmoins, les gendarmes ou les fonctionnaires céder à la réfection de ces gigantesques ponts de
afférents s’enquerront des motifs du départ, de pierre. Les travaux demeurent des plus élémen-
la durée du séjour... Les fouilles existent, mais taires, consistant à boucher les trous avec des ma-
restent exceptionnelles, généralement lors de tériaux moins nobles tels que des boues ou du
la traque de fugitifs par exemple, à la suite d’at- limon osseux. Quand ils le peuvent (comprendre
tentats... Aucun contrôle sanitaire n’est effectué, quand ils en ont les moyens), les seigneurs traver-
pour ne pas surcharger davantage les Loges hip- siers tentent de ralentir le délabrement en renfor-
pocratiques employées aux admissions. çant les assises des traverses. Mais plus que toute
autre chose, cela exige de trouver des îlots rocheux

‌Où divers dangers sont où extraire de la pierre à faibles coûts. En dernier


recours, les plus désespérés finissent par démon-

abordés ter les murs de leurs propres places fortes, ce qui


incite les pillards à s’abattre sur eux tels des charo-
Hormis sur les axes les plus fréquentés, les gnards. Malgré l’entretien et les vérifications régu-
voyages à pied s’avèrent très risqués. Malgré la lières des arpenthes (et dans une moindre mesure
sphère d’influence grandissante des cités, les tra- des konzerns, des Loges traversières et des minis-
verses échappent encore en grande partie à leur tères de l’Urbanisme), des portions entières s’af-
contrôle. Passés les premiers bourgs et relais, très faissent donc inexorablement.
fréquentés, la présence militaire décroît rapide- Moins résistant que la pierre, le fer des traverses
ment jusqu’à totalement cesser au-delà d’une eiffeliennes des seconde et troisième trames est da-
centaine de kilomètres. L’ascendant des minis- vantage affecté. Rendu cassant, le métal cède et les
tères n’est pas infini, même si la tendance est à portions les plus fragilisées risquent de s’effondrer.
l’expansion et que de plus en plus de seigneurs Cette catastrophe est la pire hantise des konzerns
traversiers s’inféodent à eux et adoptent la légis- ferroviaires et des Loges métallurgique. Un grand
lation citadine. Au-delà, la sécurité des voyageurs nombre d’ouvriers acrobates sont chargés de main-
n’est garantie que par le bon vouloir des poten- tenir les réseaux à flot. L’entretien technique y est
tats locaux (quand il y en a). donc bien plus régulier car les konzerns ont des

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moyens extrêmement importants. Travaillant dans fort ou le plus rusé impose sa volonté aux autres.
des conditions difficiles loin du contrôle étouffant Ceux-ci s’en accommodent tant que le chef assure
des cités, ils constituent des cibles privilégiées pour des prises profitables. Sinon, le mécontentement
les syndicalistes-érudits voire les révolutionnaires, grandit et finit par déclencher une mutinerie.
qui n’hésitent pas à instrumentaliser leur mécon- Certaines bandes se regroupent pour attaquer
tentement pour les rallier à leur cause. de plus grosses cibles, comme des trains, des re-
L’effondrement d’une traverse constitue donc, lais ou des sites abritant des ressources. Mais les
dans l’inconscient collectif, le plus grand risque dissensions dues aux querelles d’ego empêchent
pour les voyageurs. Pourtant, une traverse s’écroule toute alliance viable à long terme.
rarement sur elle-même en quelques secondes et Il arrive que des bandes présentent des struc-
n’importe quel traversier apprend rapidement à es- tures moins sommaires. Attirés par les idées révo-
timer l’érosion des piliers. Bien, évidemment, cela lutionnaires, leurs membres peuvent décider de
n’empêche pas de trouver, çà et là, des ruines de prendre les décisions collégialement et de tout
traverses orphelines rongées par l’écryme. partager. À l’inverse, d’autres sont marquées par
l’aragone et les prêtres de cette religion conser-
vatrice y jouent un rôle prépondérant.
‌Des pillards La plupart du temps, les pillards se déplacent à
Malgré la présence de seigneuries traversières, pied et sur échasses. Certaines bandes disposent
leur taille réduite et le faible nombre de gardes néanmoins de chars à voile ou de cerfs-volants.
permettent aux bandits et autres pillards de pro- Dans l’ensemble, les bêtes de somme restent peu
liférer. Ces diverses bandes itinérantes sont un appréciées, car elles consomment une quantité
véritable fléau, parce qu’elles n’hésitent pas à at- énorme de nourriture.
taquer les caravanes, les convois ou même les sei-
gneuries les plus faibles. Leurs assauts ne sont
jamais frontaux. Elles adoptent plutôt des tech- ‌De l’agoraphobie
niques de guérilla et de harcèlement. En se scin- Habitués au confinement et à la plus extrême
dant, elles créent des diversions dans le but de promiscuité, les citadins prennent un choc quand
disperser leurs adversaires. Certains francs-ti- ils quittent les murs de leurs villes. Où qu’ils re-
reurs sont même postés en embuscade, sur des gardent, ils aperçoivent un horizon qui s’étend
échasses, le long des piliers de traverse. Si la ri- à perte de vue au-dessus d’une mer acide aux
poste est trop brutale, ces renégats n’hésitent ja- couleurs menaçantes. Ce traumatisme n’est pas
mais à fuir et à regagner des positions de repli anodin ni sans conséquences. En effet, lors de
bien dissimulées. leur premier voyage, les citadins sont quasi tous
Avant toute autre chose, les pillards cherchent victimes d’une attaque de panique dont les ef-
à dérober de la nourriture et des armes. Mais fets se cumulent ou non en fonction de leur ré-
tout est bon à prendre. Certains n’hésitent pas sistance : accélération du rythme cardiaque, spas-
à arracher les dents en or de leurs victimes, à mophilie, étouffement, souffle court, vertiges, le
revendre les femmes à des communautés dési- tout accompagné des manifestations physiques
reuses d’amoindrir les risques de consanguinité d’une angoisse intense… La plupart du temps,
et à prendre tout objet qui pourra être revendu ces symptômes durent plusieurs jours. Grâce à
ou recyclé dans un relais. Lorsqu’ils ont réussi l’habitude, leur intensité s’amoindrit jusqu’à tota-
leurs coups, ils traitent les vaincus de manières lement cesser après deux ou trois périples.
diverses. Les moins cruels leur laissent de quoi Pour maintenir le calme parmi les passagers,
survivre, mais la plupart du temps, les survivants les transporteurs ont développé leurs véhicules
sont passés au fil de l’épée et jetés à l’écryme. Il en tenant compte de cette phobie. Dans les
ne faudrait pas gâcher les munitions… Les méde- trains, il y a peu de fenêtres, et elles dépassent
cins (et certains mécaniciens lorsque les bandes rarement la taille d’une meurtrière, hormis en de
sont ouvertes à la modernité) bénéficient toute- rares wagons spécialement conçus pour l’obser-
fois d’un traitement de faveur en raison de leurs vation. Il en va de même pour les dirigeables de
compétences. Ils sont épargnés et forcés de tra- ligne, reliant régulièrement une ville à une autre.
vailler pour leurs bourreaux. Les aérostats privés, élaborés à partir des souhaits
La taille des bandes varie de quelques indivi- d’une personne ou d’une entreprise particulière,
dus à plusieurs dizaines. Leur mode de fonction- ne suivent cette mesure que si les passagers sont
nement est à peu de chose près similaire. Le plus peu habitués aux voyages. Quoi qu’il en soit, il

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existe sur chaque appareil de vol plusieurs salles ‌Piraterie aérienne
sans hublot ni fenêtre dans laquelle les angoissés
peuvent se réfugier. Les redoutables équipages de pirates aériens
Sur les traverses, au sein des caravanes itiné- naissent de la rencontre entre une bande de
rantes, la situation est différente, puisqu’il est im- voleurs ou de mercenaires renégats et un
possible de dissimuler l’étendue de l’horizon. Les scientiste ou un aéronaute sans scrupule. Les
membres de Loges hippocratiques chargés d’ai- seconds se chargent généralement de trouver
un dirigeable qui est le véhicule le plus redou-
der les voyageurs emportent donc toujours avec
té, le plus imposant et le plus efficace, mais
eux du laudanum, un dérivatif liquide de l’opium. dont l’état général est bien souvent mauvais
Ils en donnent à faible dose aux victimes d’une et exige des réparations fréquentes. Enfin, ils
crise, ce qui leur permet d’apaiser les symptômes engagent pour l’occasion des pilotes sans le
pendant quelques heures. L’usage thérapeutique sou. Une fois cette dernière étape effectuée,
de drogue durant les voyages demande aux cara- l’aérostat rafistolé est prêt à s’envoler.
vanes d’exercer une réelle surveillance sur leurs En pratique, la tâche des flibustiers est très dé-
stocks. En effet, de nombreux malheureux en licate. Ils doivent attaquer une cible, la ralentir
provenance des quartiers lacustres essayent de les et affaiblir ses défenses sans toutefois qu’elle ne
voler régulièrement ou de se faire passer pour des s’échoue dans l’écryme. Cela empêcherait de
voyageurs, afin de se procurer une dose. récupérer facilement la cargaison transportée.
Certains aliénistes commencent enfin à expé- C’est pourquoi les dirigeables pirates préfèrent
aborder des appareils isolés, peu maniables et
rimenter l’hypnose comme palliatif à l’angoisse.
si possible légèrement armés, ce qui limite
Leur but serait d’élargir progressivement les per- grandement le panel des cibles possibles. De
ceptions spatiales des citadins, de les aider à dé- plus, les dirigeables attaqués tirent quant à eux
passer en douceur leurs limites. Leurs travaux pour détruire leur adversaire. Cela cause bien
sont surveillés de près par les différents minis- souvent d’importants dégâts qu’il faudra répa-
tères de la Propagande, afin d’éviter la propaga- rer. La somme nécessaire est alors immanqua-
tion d’idées séditieuses. Pour l’instant, ces re- blement prise sur le butin.
cherches n’ont pas connu de résultats probants, Parfois, les pirates sont mieux organisés.
mais qui sait. Peut-être dans quelques années ver- Certains développent des techniques expédi-
rons-nous des psychanalystes agréés par les com- tives comme, par exemple, de harponner un
pagnies ferroviaires ou aériennes. dirigeable et de l’amener jusqu’à une traverse
ou un îlot rocheux. Là, une troupe armée
se chargera de détrousser les survivants et
De l’acidité de l’écryme de piller les marchandises. Si l’un de ces
amarrages précipite l’aérostat victime dans
On a souvent tendance à penser que l’écryme brûle l’écryme, échassiers et scaphandriers doivent
et éclate la peau, mais ses méfaits vont bien au-delà. être de la partie afin de sauver au plus vite ce
Un homme plongé dans l’écryme ne meurt pas de ses qui peut l’être.
brûlures à l’acide car ses membranes internes, plus dé- Il existe des pirates du ciel célèbres comme
licates, pustulent et éclatent bien avant. L’homme se le Baron Pourpre, le Brûlé ou le Phénix.
noiera dans la liquéfaction de ses poumons. Commandant un ou deux dirigeables solides,
appuyés par des montgolfières, ces derniers
Les ravages de la mer acide ne touchent pas uni- s’attaquent le plus souvent à des cibles sur les
quement les infortunés plongés dans l’écryme. traverses comme les trains ou les relais isolés.
D’autres effets, plus insidieux, sont également res- Leur tête est mise à prix dans toutes les cités,
mais leur légende se propage de seigneuries
sentis par l’homme. Les pluies sont légèrement
en seigneuries, colportées par les conteurs et
corrosives, car l’eau se trouvant dans l’écryme s’en els acteurs de théâtre. Souvent, ces histoires
imprègne immanquablement. L’acidité n’est pas enjolivent la réalité et font de ces êtres san-
plus élevée que dans les cités, mais étant donné guinaires des héros détroussant les riches
qu’il n’existe guère d’abris, les effets sont multi- pour donner aux pauvres.
pliés. Sur la peau, elle cause sur le long terme de lé-
gères irritations qui se transforment avec le temps
en plaies plus marquées. Des habits bien épais ravages de l’acidité presque caduques : recouvertes
constituent la meilleure des protections. Mais une d’un vernis à base d’huile, les toiles cirées sont to-
découverte récente des Loges tisserandes est pro- talement hydrofuges. Encore très coûteuses à fa-
mise à un bel avenir sur les traverses, rendant les briquer, leur usage reste confidentiel, mais les mi-

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nistères y jettent un regard intéressé, ne serait-ce Des victimes d’accidents d’échasses déclarent
que pour équiper leurs soldats. avoir chuté à cause de bras qui auraient émergé
Après les averses, l’écryme dégage des volutes de l’écryme pour les saisir. Chaque témoignage
acides dangereuses pour les voies respiratoires. de cette hallucination précise que la surface
Les afflictions pulmonaires sont d’ailleurs une des acide n’était en rien agitée.
principales causes de mortalité parmi les popula-
tions traversières, dont l’espérance de vie est en Des chants lointains et mélodieux pourraient
moyenne bien plus courte que celle de leurs ho- être entendus au soir ou au matin. Provenant
mologues citadins. Le phénomène a pris de telles « du large », ils inciteraient les auditeurs à se dé-
proportions que de plus en plus d’enfants naissent tourner de leur itinéraire pour découvrir d’où ils
avec des déficiences aux bronches. Même l’ara- proviennent.
gone a pris conscience du problème et n’hésite
plus à promouvoir l’usage des protections respira- Des témoins ont évoqué des terres entourées
toires que le culte considérait à l’origine comme de brumes qu’ils n’ont aperçues qu’une fois et qui
une perversion moderniste. Partout où son in- par la suite ont été impossibles à retrouver.
fluence s’étend, l’usage des masques se répand.
Enfin, l’acidité de l’eau rend sa consommation Certains groupes deviennent collectivement
sur le long terme problématique. Mais pas de sensibles à une même émotion, le plus souvent
craintes inutiles. Étant donné la durée moyenne une peur irraisonnée. Le ressenti est tel qu’il
d’un voyage, les plus fragiles s’en tirent avec peut mener à de véritables tragédies lorsque
quelques douleurs à l’estomac qu’une alimen- les voyageurs s’en prennent les uns aux autres.
tation adéquate permet de soulager. Les traver- Quand on essaye de connaître ce qui a été la
siers quant à eux boivent au final peu d’eau. Ils source de l’émotion, toutes les réponses diver-
se rabattent sur des alcools plutôt légers à base gent et évoquent des causes distinctes.
de champignons ou de tout élément comestible
qu’ils distillent ou font bouillir.
‌Du lunatisme traversier
Dans les cités, les traversiers ont la réputation
‌Des hallucinations dues à l’écryme d’être lunatiques, raison pour laquelle ils sont si
La plupart des légendes traversières au sujet de méprisés. Loin de s’en cacher, ces derniers ont
l’écryme sont tournées en dérision par les citadins. parfaitement conscience de ce trait caractéris-
Mais il est un point sur lequel tous sont d’accord : tique. Eux-mêmes l’imputent à une même cause :
la vision prolongée de l’écryme provoque souvent l’écryme. À les entendre, il s’agit d’une fatalité.
de la confusion, même chez les traversiers les plus Vivre en permanence au contact de la mer acide
aguerris. Le plus souvent, il s’agit de phénomènes finit immanquablement par engourdir la rai-
optiques dus à la réverbération. En l’absence de son et aiguiser les instincts. La joie devient dis-
forêts, l’omniprésence du vent est également res- proportionnée, la tristesse insondable, la colère
ponsable de troubles de l’audition. Certains voya- sans commune mesure… En certaines circons-
geurs affirment entendre des murmures dans le tances, les frontières des convenances sociales
vent, voire même sentir des odeurs qu’il charrierait s’estompent et les conséquences d’une action
dans son sillage. Les troubles des sens peuvent par- n’entrent plus en ligne de compte. L’espace d’un
fois conduire jusqu’à de véritables hallucinations. instant, seul le présent importe en effet. Quand
Les soignants ont compilé les plus répandues. cela se produit, les traversiers déclarent avec une
lueur résignée dans le regard que « l’écryme pré-
Certains échassiers ont témoigné avoir été lève son dû ».
comme hypnotisés. Ils voyaient dans l’écryme des Pour autant, ils ne sont pas de dangereux psy-
images cauchemardesques, les rendant pour le chopathes changeant sans arrêt de comporte-
moins paranoïaques, ou à l’inverse des moments ment. Ces altérations de l’humeur surviennent
idylliques de leur vie les invitant à se rapprocher uniquement en cas de vive émotion et ne vont pas
de la surface acide pour mieux les contempler. chez ceux qui en ressentent les effets sans engen-
drer des luttes intérieures pour y résister. À cet
Certaines visions laisseraient entrevoir des effet, plus la volonté de la personne atteinte sera
événements qui surviennent dans d’autres lieux, forte et moins les conséquences seront marquées.
voire carrément d’autres époques. Quoi qu’il en soit, cela demande aux voyageurs

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‌Voyage et superstitions ‌Où les moyens de transport
De nombreuses croyances entourent les pé-
riples sur les traverses et les citadins ne sont détaillés
manquent pas d’adages à ce sujet : « En voyage, Deux personnes encordées parcourent la paroi du
ne mange jamais de viande, tu ne sais pas d’où ballon afin d’en vérifier l’état et recueillir l’eau qui se
elle provient. » « Ne regarde jamais un hurleur condense à sa surface. Le couple d’acrobates ne manque
dans les yeux où il t’hypnotisera. » « Trop cô- pas d’impressionner par la synchronisation de leur mou-
toyer les traversiers, c’est attraper des mala-
vement et leur confiance l’un dans l’autre, une erreur
dies disparues. » Certes exagérés, ces propos
de l’un entraînant la chute de l’autre. S’ils rapportent
ont toujours le mérite d’inciter les voyageurs
à la prudence. Certains proverbes cultivent à peine un litre, cet exercice matinal n’en rallonge pas
même une forme de paranoïa. Après tout, ne moins la durée de vie de l’aéronef et permet de capter un
dit-on pas qu’il est normal de souffrir sur les maximum d’eau, ressource indispensable à bord, pour les
traverses « où tous les choix sont mauvais » ? passagers et les machines et la production d’hydrocryme.
Au sein des caravanes et des convois, de véri-
tables superstitions sont colportées. Se déplacer sur la Toile se fait majoritairement
En raison de sa rareté, le bois porte chance. à pied. Certains plus fortunés emploient des che-
Certains vont jusqu’à dépenser des fortunes vaux, des charrettes, des coches (carrioles tirées
pour acquérir ne serait-ce qu’une écharde à par des vélos), des chars à voile, ou même des voi-
porter autour du cou. tures ou des litières. Croiser des caravanes mar-
Un voyage devrait être entrepris au cours
chandes est une véritable aubaine car ces der-
d’une même teinte ou saison. Si le change-
nières disposent de tout, de l’essentiel comme de
ment devait survenir en cours de route, cela
porterait malheur. Plusieurs caravanes itiné- l’inutile : de l’huile de lampe, des cordes, des vê-
rantes ont pris l’habitude d’offrir des cadeaux tements adaptés, mais surtout de la nourriture et
à l’écryme, en y laissant tomber des objets per- des informations sur l’état des traverses.
sonnels. Cette pratique est très mal vue des au-
torités citadines pour qui l’écryme est inerte.
Siffler sur les traverses fait venir le mau- ‌Des dangers des voies ferrées
vais temps ou les tempêtes. Bien que bénéficiant d’un tracé des plus recti-
Si le cri d’un hurleur est entendu au crépus- lignes, les voyages en chemins de fer ne sont pas
cule ou à l’aube, c’est l’annonce qu’un voya- exempts d’avaries :
geur proche va mourir.
Certains albâtres ont un pelage plus foncé.
Ouvriers du fer, chauffeurs et mécaniciens de
On dit qu’ils abritent l’âme d’une personne
chemin de fer sont parfois sujets à l’alcoolisme
qui est morte dans l’écryme. Il ne faut pas
les tuer ni manger leurs œufs au risque d’être (rappelez-vous la rareté de l’eau pure sur les tra-
possédé par le défunt. verses). Ceci a pour conséquence d’empêcher les
Porter du blanc attirerait la malchance. uns de voir les signaux et les autres franchissent
Plus prosaïquement, certains convois prohi- les gares sans s’arrêter.
bent cette couleur car elle attire l’attention et
est facilement repérable. Les problèmes de train se produisent plus
fréquemment sur les traverses eiffeliennes. Les
vapeurs acides abîment le métal plus rapide-
de bien mesurer leurs paroles et leurs actes, car la ment ; on parle alors de voie déformée, d’accro-
moindre étincelle peut mettre le feu aux poudres. chage avec une draisine, d’aiguillages bloqués…
Prenons pour exemple la colère. Les consé- Pour les passagers, cela implique de nombreuses
quences d’un geste maladroit, comme renver- heures, voire plusieurs jours de retard.
ser quelque chose ou écraser un pied, peuvent
prendre des proportions démesurées, excessives Le manque de ressources pousse invariable-
et même absurdes et déboucher sur des insultes ment les ghildes les plus faibles à s’aventurer hors
voire une altercation physique. Un propos dé- des cités. Là, cherchant un moyen de lever des
placé ou un geste interprété comme une offense fonds, elles vendent le plus souvent leurs services
peuvent quant à eux aller jusqu’à déclencher une à des konzerns. Leur activité principale consiste
colère froide qui ne se règlera que dans la ven- alors non pas à livrer des escarmouches comme
geance. Tout est affaire de personnes… le feraient de vulgaires mercenaires, mais plutôt

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à exercer des sabotages sur les lignes des concur- Ensuite, les choses se déroulent toujours de la
rents : par exemple voler les câbles de cuivres ser- même façon. Le sifflement assourdissant retentit,
vant aux trains et aux sémaphores. Cette pratique les freins s’actionnent et les étincelles jaillissent et
n’est pas non plus exempte de rivalité puisque parent le convoi d’un manteau d’étoiles. Durant
de nombreux terroristes traversiers s’y adonnent de longues minutes, les traversiers retiennent
également. leur respiration et le relais ressemble à un tableau
vivant peuplé d’êtres immobiles. Les essieux,
les bielles et les roues motrices qui ralentissent
‌Où tout tourne autour du passage d’un train prennent des airs de ballets hypnotiques. Le si-
Sur la Toile, les relais ne vivent que grâce au lence est quasi religieux quand le train s’arrête.
passage des trains. Le reste du temps, ils vivotent. Puis soudain les portes s’ouvrent, des stewards
Chacun survit à sa manière, exécutant son labeur descendent, suivis des premiers voyageurs qui en-
quotidien dans une morne apathie. Les cueil- vahissent le relais. Une explosion se produit alors,
leurs de fleurs d’écryme nettoient leurs échasses, dont l’écho porte des lieues à la ronde. Pêle-mêle,
les chasseurs de hurleurs ou d’albâtres tannent comme s’ils partaient à l’assaut, les orchestres se
les peaux de leurs victimes, les catins satisfont les lancent, les camelots vendent à la criée leurs frag-
désirs des rares clients locaux et les aubergistes ments d’aétyte ou leurs potions miracles, les écry-
profitent d’effectuer quelques travaux de rénova- manciennes versent quelques gouttes d’écryme
tion sur les toits ou les éoliennes de leur établisse- sur leurs bras décharnés pour produire d’impres-
ment. Pour un observateur novice peu habitué, le sionnantes fumerolles, les bouchers coupent ser-
spectacle est surprenant. Tout tourne au ralenti, pents et insectes, les prostituées sifflent les pas-
comme si les gens étaient écrasés par une chaleur sagers et se bousculent pour mieux se mettre en
qui n’existait pas, hormis dans leur esprit. valeur, les escamoteurs délestent les bourses des
Mais une à deux fois par semaine, cette léthar- personnes inattentives, les enfants jouent à lancer
gie est interrompue de manière brutale. Quelques des champignons séchés sur ces citadins qu’ils
heures avant l’arrivée du train, le relais est saisi méprisent sans les connaître…
de frénésie. Les hommes enfilent leurs vareuses et Au total, ce capharnaüm durera quelques
leurs échasses et sautent dans l’écryme. D’autres heures, jusqu’au départ du train. Les voyageurs
préparent les citernes d’eau pour refroidir l’acier finiront leurs dernières cigarettes, les mécani-
brûlant des locomotives. Certains sortent leurs ciens enlèveront les tuyaux des citernes, les pas-
cerfs-volants. Les enfants, quant à eux, grimpent sagers monteront tous et les portières se ferme-
sur les toits pour suspendre guirlandes et bande- ront, séparant à nouveau deux mondes qui ne se
roles. Les camelots s’installent en se bousculant mélangent que dans de si fugaces moments. Les
pour avoir la meilleure place, quitte à faire appel purgeurs seront ouverts, lâchant des flots de va-
à des gardes du corps pour défendre leurs inté- peur blanche autour de la carlingue qui pren-
rêts. Comédiens et musiciens se positionnent près dra des airs de linceul. Alors le chef de gare lè-
des parapets pour gagner un peu de hauteur. En vera sa lanterne, les aiguillages seront ajustés,
dernier arrive la cohorte des filles de joie spécia- le chef conducteur démarrera la machine après
lement pomponnées pour l’occasion et traînant avoir donné du sifflet pour la plus grande joie
dans son sillage des fragrances agréables faisant des gosses. D’abord, le mouvement sera imper-
oublier l’acidité de l’air. ceptible, puis le train reprendra sa course. Les
La tension monte encore d’un cran quand les traversiers le suivront du regard jusqu’à ce que
rails se mettent à vibrer. Au loin, près de l’horizon la silhouette se confonde avec l’écryme et finisse
où la traverse se découpe, on devine la colossale par disparaître comme si elle avait été avalée par
silhouette longiligne qui transporte les voyageurs la mer acide.
sous son long panache de fumée. Dans la préci- Enfin, ce sera l’heure de compter ses liges, de
pitation, les habitants achèvent de garnir leurs se congratuler, de rire aux dépends des voya-
stands, d’accorder leurs instruments et d’épous- geurs naïfs et de retourner à son quotidien. Petit-
seter leurs costumes. Sensibles à l’électricité am- à-petit, les gestes deviendront plus lents, les voix
biante, des hurleurs affleurent à la surface de la moins fortes et l’apathie regagnera le relais….
mer acide et convergent vers les piliers. C’est le jusqu’au prochain train.
moment rêvé pour les chasseurs de les abattre et
de venir ensuite, crânement, parader avec les car-
casses devant les citadins médusés.

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‌Où des traditions sont lassablement les vieux convoyeurs : « Mieux vaut
ne pas la ramener. Mieux vaut perdre de la su-

esquissées perbe que de perdre la vie ».

Un voyage sur les traverses est rythmé par les


lieux que l’on croise. Plus ou moins rares en fonc- ‌De l’information colportée
tion de la portion empruntée, ils ne se limitent Bien sûr, les traversiers ne se nourrissent pas
pas aux bourgs, aux plateformes minières ou de paroles. En échange d’un service qu’ils vous
aux jonctions, contrairement aux idées reçues. rendent, qu’il s’agisse d’un hébergement ou d’un
On dénombre une foule d’auberges fortifiées, repas, ils préfèrent les liges et les hurles, voire le
de marchés insolites, de monastères reculés, de troc. Mais avant de discuter prix, il est une chose
sémaphores, de phares, de havres utopiques éri- qu’il faut savoir. Les habitants des traverses ayant
gés par des parias chassés des cités ou de campe- bien conscience de leur isolement sont toujours
ments de fortune. Chacun de ces lieux est vivant avides d’apprendre ce qui se passe dans la sei-
et possède ses propres traditions, ancrées dans la gneurie voisine, voire dans une cité lointaine
mémoire de ses habitants. Y contrevenir entraîne dont on dit tant de mal. Leur apporter des nou-
au mieux du mépris, au pire une franche hostili- velles du monde extérieur les rendra donc rela-
té. Cela demande aux voyageurs de s’enquérir du tivement sympathiques et contribuera à abaisser
fonctionnement de chaque endroit visité. Malgré leurs tarifs. Les rumeurs négatives sont parti-
tout, il existe quelques constantes. culièrement prisées, parce qu’elles permettent
de jaser et de médire d’un « ailleurs » redouté,
craint et dédaigné. Parler d’une guerre, d’un at-
‌Du respect aux figures d’autorité tentat, d’une épidémie ou d’un accident suscite
Que ce soit dans un convoi ou dans un lieu, bien vite l’intérêt de toutes les personnes pré-
ne pas respecter les personnes importantes peut sentes qui partagent avec force détails leur avis.
se révéler désastreux pour le(s) voyageur(s) qui
y contreviendraient. Sur les traverses, où la sur-
vie prime, chacun se montre jaloux de ses préro- ‌Des fresques collectives
gatives. Respecter les structures permet en effet Sur les murs de nombreux relais, dans des
aux sociétés traversières de fonctionner. Cela ne ruines ou sur des phares, il n’est pas rare de tom-
se limite donc pas à des querelles d’ego ou un ber sur de gigantesques dessins disparates. Ils mé-
besoin de reconnaissance. Manquer de respect à langent traits au charbon ou à la craie, aquarelle
quelqu’un d’important est toujours puni de ma- ou peinture à l’huile, dans des styles naïfs et en-
nière sévère, car la punition est perçue comme fantins, avec des fulgurances artistiques ici ou là.
le seul moyen de rétablir l’honneur et l’équi- Il s’agit de fresques collectives que les artistes en
libre social. Critiquer un seigneur traversier vaut herbe qui le désirent peuvent compléter. À pre-
quelques coups de fouet, chercher à lui nuire se mière vue, les sujets de ces peintures n’ont aucun
termine par une plongée dans l’écryme. Dans sens, tant elles sont hétéroclites. Mais en y regar-
les relais, les candides ou les grandes gueules dant de plus près, certaines parties se répondent,
risquent le passage à tabac. Comme le répète in- se complètent ou se recoupent au fil des ans. De là

Soliloque d’une sémaphorienne


J’ai été formée par une Loge électrique, mais, à la fin de mes études, j’ai été vendue à la grande
Loge télégraphique de Paris. Ses sages désiraient profiter de mes connaissances pour réparer les
câbles de leurs lignes, après que plusieurs de leurs apprentis aient subi des accidents. Depuis,
je sillonne la cité et les traverses attenantes pour corriger les avaries détectées. J’escalade les
poteaux avec la dextérité d’une acrobate, puis que je me balance dans le vide, raccommodant
le métal comme un chirurgien le ferait des chairs. Au fil des ans, j’ai surtout été confrontée aux
sabotages des ghildes ou des traversiers dérobant les filaments de cuivre. Après de nombreuses
déconvenues, j’ai obtenu de mes maîtres qu’ils négocient auprès des ministères l’augmentation
de la dureté des peines liée à la détérioration volontaire de nos lignes. Leurs actions ont dépassé
mes espérances. Aujourd’hui, le vol et le sabotage sont passibles de la peine de mort.
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naissent des rumeurs sur les prétendues significa- prits. Relativiser cette influence est perçu comme
tions ésotériques de telles œuvres. Elles dissimule- une grave insulte à quelque chose de tangible et de
raient des messages politiques que s’échangeraient réel. Les citadins qui s’y risqueraient seraient alors
des révolutionnaires ou des membres du Lys Noir, confrontés à la légendaire versatilité émotionnelle
quand il ne s’agit pas d’œuvres de céphales. Il y a des traversiers. D’un coup, les regards se durci-
sans doute un peu de tout ça. Et en attendant, les raient, les mâchoires se crisperaient et les poings
fresques continuent de se développer et de grandir se serreraient. Ils seraient priés de s’en aller rapi-
après chaque passage d’un groupe de voyageur… dement, après un rappel sur les causes de l’appari-
tion de la mer acide : un progrès mal maîtrisé. Les
plus fanatiques iraient jusqu’à verser une goutte
‌D’honorer la vie et la mort d’écryme sur la main ou la langue du « blasphéma-
Les convoyeurs vous le diront ; les voyages sont teur » pour lui montrer « de quoi elle est capable ».
pleins de surprises, heureuses comme funestes.
Ils sont un peu un condensé de vie accroché à un
parcours. Parmi les événements les plus prisés, il ‌Des moyens de se détendre
peut arriver qu’une femme enceinte accouche. Si Les seigneurs traversiers et, plus généralement,
l’enfant et la mère survivent, de grandes réjouis- les chefs de communautés ont bien compris que
sances ont lieu et il n’est pas rare de voir alors des les conditions de vie difficiles à l’extérieur des cités
traversiers et des citadins partager ce moment de avaient rendu d’autant plus nécessaires les moyens
joie, brisant pour un temps les barrières de la de se détendre et de chercher du réconfort.
méfiance. Des libations sont offertes à l’écryme
et des chasses aux albâtres ou aux hurleurs sont Les bordels : les bourgs les plus importants,
organisées. Les meilleurs morceaux de viande mais aussi les grands relais, abritent des bor-
sont offerts à la mère, mais de vieilles coutumes dels dans lesquels des prostituées plus ou moins
parlent de verser le sang des animaux tués sur les défraîchies effectuent des passes bon marché.
nouveau-nés pour leur donner de la force. Hélas, ces passes représentent une catastrophe
Quand un décès survient (fût-ce ironique- sanitaire, les filles charriant et attrapant régu-
ment pendant un accouchement), là aussi tout le lièrement des maladies vénériennes. Cela n’em-
monde se rapproche. On célèbre la mémoire du pêche en rien les clients d’affluer, faisant de ces
disparu, on soutient ses proches. Peu importe les établissements des lieux extrêmement rentables.
croyances, on remet enfin son corps à l’écryme Le principal opposant aux maisons closes tra-
après avoir prélevé sur son corps tout ce qui pou- versières est l’aragone. Partout où ses prêtres
vait être recyclé. Car par-delà la mort, les trépas- passent, ils prêchent la fermeture de ces « lieux
sés continuent à aider les vivants. de perdition ». Malgré l’aura dont le culte bénéfi-
cie, il ne rencontre que peu de succès dans cette
croisade. En effet, l’attrait pour les maisons closes
‌De ne pas faire trop citadin traversières ne cesse de se développer. Sur les tra-
Pour un traversier, il n’y a rien de plus insultant verses elles-mêmes, les habitants en tirent profit
qu’un citadin lui apprenant à vivre. Oui ils ont collectivement en raison des retombées écono-
conscience d’être pauvres, oui ils ont conscience miques. Quant aux citadins, une véritable mode
d’être moins éduqués, d’être plus sales ou plus vio- est un train d’émerger. Émus par le destin de ces
lents. Mais c’est leur style de vie et, bon gré mal « pauvres femmes au destin tragique », certains
gré, ils s’y sont faits. À moins qu’ils abordent d’eux- romantiques rêvent de séduire l’une d’entre elles
mêmes le sujet (pour poser des questions ou se et de fuir en sa compagnie pour vivre une vie
moquer), leur parler du modernisme des cités, des d’amour. D’autres ont bien saisi le potentiel ren-
bienfaits de l’industrie, du commerce ou du sys- table de ces établissements et sont partis sur les tra-
tème administratif a le don de les agacer et de les verses (en tout cas celles sous influence citadine),
rendre pour le moins antipathiques. Mais il est une afin de répertorier les meilleurs dans des guides.
chose qui les énerve plus que tout. Vivant entou- Sans réellement l’avoir voulu, les bordels sont deve-
rés par l’écryme, les traversiers la regardent avec nus des traits d’union entre cités et traverses.
crainte et déférence (les citadins parleraient de su- Pourtant, tout n’est pas rose. Certaines putains
perstition). À de multiples reprises, ils lui offrent acquises à l’aragone utilisent le sexe comme une
des présents pour s’assurer de son immobilité. Tous arme politique. Lorsqu’un citadin arrive dans un
reconnaissent son influence rampante sur les es- établissement où elles officient, elles s’arrangent

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pour qu’il reparte avec un souvenir plus ou moins
douloureux, allant de la chaude-pisse à la syphilis
en passant par le chancre mou… Les plus fana-
‌Légendes urbaines
tiques vont jusqu’à dissimuler des lames de rasoir traversières
à l’intérieur de leur vagin pour mutiler leurs vic-
Une légende icarienne parle d’une Loge aé-
times, mais fort heureusement ces cas-là restent
rostière renégate dont les membres avaient dé-
exceptionnels. couvert les vertus supposées de la peau hu-
maine pour réaliser des cerfs-volants. On
Les représentations publiques : les traver- l’évoque toujours quand le vent se fait violent.
siers vouent une véritable passion aux légendes Chassés de leur cité, les membres de cette
et au folklore. Il n’est donc pas étonnant que Loge vivraient maintenant sur les traverses.
les conteurs et les comédiens soient tenus en Ils seraient composés de tueurs dépeçant leurs
haute estime. Quand ils traversent un village, victimes. La peau serait alors cousue sur une
ils donnent une ou plusieurs représentations en armature osseuse avec les tendons. Certaines
échange d’un lit et d’un repas. Les conteurs n’ont variantes de cette légende parlent de visages
besoin que d’une salle pour effectuer une pres- cousus qui hurleraient dans le vent.
Depuis plusieurs mois, on parle d’un vent
tation, tandis que les troupes théâtrales doivent
acide surnommé la « bile ». Balayant des ré-
monter sur une estrade les décors amovibles, peu
gions isolées, ce vent serait d’une violence
réalistes, mais simples d’utilisation, dont les tra- rare, pouvant souffler à plus de cent cin-
versiers sont friands. quante kilomètres par heure. Les aérostats
Assister à pareils spectacles est toujours une fête. qui y feraient face seraient emportées comme
Pour l’occasion, hommes et femmes sortent leurs des fétus de paille. Mais ce n’est pas tout. On
plus beaux habits. Le statut des artistes itinérants dit que les humains qui y auraient été expo-
est tel qu’ils font partie des rares à être épargné par sés auraient tous disparu, comme s’ils avaient
les bande de pillards, pour qu’ils puissent raconter été dissous. Après son passage, les traverses
le drame qu’ils ont vécu et en tirer une bonne his- touchées sont constellées de marques et de
toire. Enfin, contrairement aux cités, il est mal vu concrétions, comme si le vent avait creusé
que des femmes montent sur scène. Dans les com- d’étranges sculptures, pour la plupart des vi-
sages grimaçants.
munautés les plus rétrogrades, les rôles féminins
Jadis, près de la traverse empruntée par
doivent donc être joués par des hommes.
les personnages se dressait une cité fière et
Très archétypaux et suivant des trames narra- industrieuse. Quand l’écryme est apparue,
tives proches les unes des autres, les contes ou elle a été engloutie et tous ses habitants sont
les pièces de théâtre évoquent toujours des su- morts en emportant avec eux leurs richesses.
jets pittoresques ; tel ramasseur de fiente tom- En quête de savoir ou de trésors, plusieurs
bant amoureux d’une créature mythique, telle scaphandriers sont venus pour explorer la
princesse séduite par un citadin retournant pour zone, mais ils n’ont rien trouvé ou bien ont
finir sur les traverses après de nombreuses tra- tout simplement disparu. Finalement, plus
gédies, tel page devenant un chevalier après de aucun d’eux n’est revenu. Pourtant, regardez
longues épreuves… En rappelant aux spectateurs comme l’écryme est peu profonde tout autour.
quelles sont les valeurs à adopter ou à répudier, C’est bien parce qu’en dessous affleurent les
immenses maisons de cette cité.
ces œuvres soudent les communautés traversières
L’anthropophagie est une peur commune à
par le biais du mythe.
tous les habitants de la Toile. En raison de la
difficulté à trouver de la nourriture, certains
Les jeux éoliens : l’omniprésence du vent a lieux traversiers sont supposément réduits à
rendu courante l’utilisation des cerfs-volants et cette extrémité. En est témoin la légende de
des chars à voile dans le quotidien des traver- l’ogre bâfreur, tenant le « relais de la Dernière
siers. Parmi les différents loisirs, les courses uti- Faim ». Il ferait prisonnier les voyageurs qui
lisant ces moyens de transport sont les plus po- s’y aventureraient, après les avoir appâtés à
pulaires. Le plus souvent, il s’agit de parcourir l’aide d’ensorcelantes odeurs factices obtenues
une distance ou de surmonter certains obstacles par sorcellerie. Puis, il les mangerait sans
(contourner un pilier, franchir un pan effon- autre forme de procès.
dré…). Plus le parcours se révèle difficile et plus
la victoire assure du prestige et de la notoriété.

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‌L a Porte de la Plonge
Au nord-ouest du Lansk, une traverse s’étire vers les Marches, ligne de fuite d’un
dessein supérieur. Si quelques érudits, que d’aucuns qualifieraient d’utopistes, voire
de séditieux, avancent que l’observation des différences de viscosité et de coloration
de l’écryme permet de définir les frontières naturelles des nations, le commun des
mortels a besoin de symboles plus tangibles et forgés dans le brasier des batailles.
Ici, nul n’est censé ignorer qui est le maître des lieux et ce qu’il en coûte de trans-
gresser sa loi. C’est là le message sans ambages délivré par la Porte de la Plonge. Un
lieu singulier et, par bien des aspects, terrible, qu’il m’a été donné de visiter lors de
mon dernier voyage.
Je venais à pied depuis Saint-Pétersbourg afin de gagner la Nordanie, mais cela im-
porte peu. En effet, qu’on arrive par les airs ou la traverse elle-même, il était impos-
sible de faire abstraction de cette imposante forteresse. À la fois poste frontière, der-
nier relais commercial avant le monde dangereux des tribus mongoles et fief de la
famille Kaidanovsky, elle se dressait, isolée, au milieu du gigantesque pont de pierre.
Même lorsque le temps était mauvais, ce qui était mon cas, sa pointe était ceinte
d’une couronne lumineuse qui l’éclairait comme dans un rêve cotonneux.
Je trouvais à cette tour de métal un aspect vaguement anthropomorphe, à cause
des grues surplombant l’écryme qui ressemblaient à des simulacres de bras. À ces
dernières étaient suspendues de nombreuses cages corrodées, pouvant contenir un
homme debout. Elles étaient lestées de lourdes pierres triangulaires. La Porte of-
frait aussi une version moderne de l’arbre aux pendus. En effet, à sa base, ses quatre
pieds formaient une voûte d’ogive sous laquelle passait la traverse. Sur cette place
couverte se tenait un marché, lieu d’échange avec les étrangers de passage. Ses di-
mensions permettaient même à des dirigeables de s’y amarrer, pour peu que les
aérostiers s’acquittent des droits d’accostage élevés qu’exigeait la matriarche Vera,
boyard en titre.
Mon premier réflexe fut de rencontrer le chambellan, un homme replet à la mine
suspicieuse, à qui je pus acheter un sauf-conduit en échange d’une coquette somme.
Ce précieux sésame me permit de pénétrer dans le bâtiment et de m’aventurer dans
les innombrables couloirs et escaliers qui serpentaient en son sein. Comble du luxe,
j’empruntai un des deux ascenseurs pour gagner les hauteurs et profiter de la vue.
Profitant de mon ascension, j’observai avec soin les différents recoins de la forteresse.
Les étages inférieurs accueillaient les logements des moins nantis, dans un entre-
lacs de coursives et de poutrelles, formant des excroissances anarchiques sur le bâti
principal. Plus on s’élevait, plus l’opulence se faisait sentir, pour culminer au Cœur
de Fer, nom donné aux appartements des Kaidanovsky qui surplombent l’ensemble
de la Porte. Là, le métal échappait à la rouille, et les velours des coussins côtoyaient
de belles tapisseries surannées. On y trouvait même l’eau courante et l’électricité ! Le
reste de la tour était dévolu aux ateliers, entrepôts, salles communes, casernements,
postes de garde et plateformes de tir. Tout était pensé pour repousser un ennemi. À
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tout moment et ce d’où qu’il vienne : des Marches, certes, mais aussi du Lansk. Pour
les maîtres des lieux, il semblait qu’on n’était jamais trop prudent…
N’allez pas croire cependant que la Porte était de ces endroits où l’on boude son
plaisir. Certes, les conditions de travail y étaient rudes, et la vie difficile. Mais, sous
l’impulsion d’une ghilde soucieuse d’offrir aux masses laborieuses une part de rêve
(tarifiée comme vous l’imaginez), un bordel y avait vu le jour et prospérait de fort
belle manière. La file d’attente paraissait ne jamais diminuer, tout comme l’excita-
tion fiévreuse qui emplissait le regard des futurs clients. Ainsi, toute la Porte était le
siège d’une activité continue, qui faisait raisonner l’air d’une rumeur d’orage. Celle-
ci ne cessait de manière durable que lors du supplice de la Plonge, comme je pus ra-
pidement le constater.
Le chambellan m’apprit que c’était cette pratique qui avait donné son nom à l’édi-
fice. Elle correspondait à la vision expéditive de la justice qu’avaient les Kaidanovsky.
Le silence quasi religieux dans lequel était plongée la forteresse n’était alors troublé
que par le bruissement des éoliennes et les jérémiades du condamné, somme toute
légitimes à l’aune du sort qui l’attendait. L’atmosphère toute entière s’emplissait alors
d’une plainte mortifère. Le temps lui-même semblait ralentir, presque suspendu.
Fier de cette coutume, mon interlocuteur se révéla fort disert. Le protocole était
bien établi, partition millimétrée dont le chef d’orchestre n’était autre que la boyard
Vera. Elle officiait sur une nacelle amovible qui descendait de la clé de voûte, sous
le bâtiment, sans autre garde-fou que les câbles de traction, pour ne pas entraver la
vue de ses sujets. À la main, la vieille femme tenait une baguette de bois ouvragée,
signe de sa charge. Finalement, d’une secousse du poignet, avec une lenteur calculée,
elle annonçait le début du spectacle. Les choristes pouvaient entrer en scène.
Munis de lourdes masses, ces derniers martelaient avec régularité d’imposantes
plaques de métal, bien qu’ils se livrassent parfois à de subtiles variations. Le rythme
hypnotique de leur besogne se répercutait alors dans toute la tour, de son faîte à ses
fondations, succédané artificiel des élancements du sang, qui provoquait une réso-
nance harmonique avec l’écryme, selon certains habitants. Lors des exécutions, la
mer acide se teinterait en effet d’une nuance plus vermeille, prélude au sacrifice
qu’elle s’apprêtait à recevoir.
Lorsque la transe était à son apogée et avait gagné l’ensemble des habitants, une
autre secousse de la baguette survenait. Le maître plongeur déclenchait l’exécution,
en déroulant la corde qui retenait la cage du condamné. Attentif au signal de sa suze-
raine, il savait que c’était sur lui que reposait le bon déroulement du supplice. Le
moindre manquement risquait de lui coûter la vie ! Pour les Kaidanovsky, la finali-
té d’un tel spectacle était de donner aux spectateurs l’impression que, animée d’une
vie propre, la Porte agissait à l’unisson de son maître.
Charge héréditaire, l’activité de maître plongeur nécessitait de savoir évaluer la den-
sité de l’écryme, afin d’équilibrer au mieux les lests et les contrepoids qui permet-
taient un déroulé jugé optimal. En effet, quand un accusé était reconnu coupable,
il était enfermé dans l’une des funestes cages, le cou enserré dans un collier fixé à
même l’une des arrêtes, afin de prévenir toute velléité d’abréger le calvaire avant
d’être livré à la mer acide.

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Petite concession aux idées progressistes, la plonge lente, qui consistait à immerger
la cage tout doucement, avait été abandonnée au profit d’un plongeon rapide, simple-
ment entrecoupé d’une pause au niveau des épaules afin de laisser au condamné le
loisir d’expier ses fautes et de demander pardon avant de mourir. Les plus tradition-
nalistes déploraient cette évolution. Selon eux, elle représentait un aveu de faiblesse
du pouvoir et un appauvrissement culturel gommant l’importance de la mort sur la
famille des condamnés. En effet, lors des plonges lentes, un condamné qui tournait
de l’œil quasi instantanément jetait l’opprobre sur sa lignée. À l’inverse, un prison-
nier stoïque jusqu’à la fin était digne de fierté et pouvait même devenir le sujet de
contes et de chants.
Heureusement pour les Kaidanovsky, ces critiques demeuraient rarissimes. De la
théorie à la pratique, il n’y avait qu’un pas, qui pouvait être franchi bien plus vite
que l’on ne le pense. Peu étaient ceux qui souhaitaient rejoindre les cadavres muti-
lés exposés aux regards des nouveaux arrivants, à cause d’un mot qui aurait déplu
à la boyard.
La mort n’était toutefois pas la seule sentence pouvant être prononcée. Les crimes
estimés moins graves encouraient la Gravure. Cette dernière consistait à marquer le
coupable de la trace indélébile et cuisante de son forfait, au moyen d’une tige de fleur
d’écryme qui avait été trempée au préalable dans le liquide visqueux. Ainsi un voleur
se voyait scarifier la main d’une arabesque caustique, le sourire d’un agitateur était
agrandi d’une ulcération térébrante et un espion y perdait un œil. Je notais avec un
certain soulagement ironique qu’il était fort appréciable que l’adultère ne soit point
considéré comme un délit…
Dans de rares situations, la Vapeur pouvait aussi être appliquée comme sentence.
Moins spectaculaire, mais pourtant tout aussi cruelle, son action se révélait plus per-
nicieuse. La cage était maintenue durant plusieurs jours quelques centimètres au-des-
sus de l’écryme. Cela laissait l’opportunité au criminel de méditer sur la vacuité de
ses actes face à l’immensité qui l’entourait. En même temps, cela lésait de manière
irréversible ses voies respiratoires et ses poumons, oblitérant par là même quelques
années de sa vie. Dans certains cas, certains avaient même fini pas perdre la raison
à cause des miasmes délétères et empoisonnées. Ce procédé était favorisé dans le
cas d’esprits insoumis trop populaires pour être simplement exécutés. Il restait néan-
moins peu usité, et souvent réservé aux récidivistes qui n’avaient pu être rééduqués
par quelques coups de bâton.
À l’issue de la Plonge durant laquelle le condamné resta imperturbable - ce qui
lui valut de nombreux applaudissement, je pris rapidement congé du chambellan.
J’étais proprement scandalisé que, dans notre bel empire, des pratiques aussi arrié-
rées puissent encore exister. Sans demander mon reste, j’accostai le capitaine d’un
dirigeable qui me révéla se diriger vers Souspente. Contre quelques pièces, il m’ac-
cepta à son bord. Et c’est sans regret aucun que je quittai la Porte de la Plonge avec
la ferme intention de ne jamais y revenir. Pourtant, je n’arrivai pas à m’enlever de
l’esprit la dernière anecdote du chambellan.
Selon une croyance populaire, il était établi que le jour où la Porte se mettrait en
marche (sic), elle ferait trembler l’ensemble du Lansk…

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‌VIEET INTRIGUE DANS UNE
SEIGNEURIE TRAVERSIÈRE
Les traverses occultent si bien le meurtre. À leur façon, elles semblent approuver le crime. C’est le cas de
nombreuses forteresses traversières, gigantesques dédales de pièces aux géométries improbables, fruit de plusieurs
siècles d’architecture paranoïaque destinée à échapper aux tentations quotidienne d’attentat.

Lors de la révolution industrielle, de nom- est un moyen presque plus simple pour en acqué-
breux habitants s’exilèrent avec les seigneurs dé- rir en quantité importante.
chus. Certains se réfugièrent dans les cités avoi- Ici comme ailleurs, les nobles possèdent des
sinantes, mais, pour la plupart, ils s’installèrent terres et portent des titres. Ceux-ci se trans-
dans les fiefs que les seigneurs entretenaient avec mettent de parent à enfant avec comme règle la
les traverses. primogéniture. La considération du sexe dépend
des croyances de chaque seigneur, mais aussi des

‌Où l’on se remémore le passé situations familiales. Ainsi même un seigneur tra-
ditionnaliste sans enfant mâle ne verra pas d’ob-
Les seigneurs et les serfs qui y étaient installés jection à ce que sa fille hérite de ses terres. En
depuis la construction des traverses ne s’étaient cas de mariage, cette dernière fournit ses terres
en aucune façon sentis concernés par cette révo- comme dot à son époux, même si des exemptions
lution, exclusivement citadine et dont le déroule- restent possibles. Si la femme se révèle bonne né-
ment rapide ne leur était parvenu qu’après coup. gociatrice, sa seigneurie peut ne pas être ratta-
Aussi, accueillirent-ils favorablement les immigrés. chée immédiatement à celle de son époux. À sa
Suivit alors une période où les cités, encore majorité, l’éventuel fils aîné du couple recevra
trop désorganisées pour combattre les seigneurs, un nouveau titre actant la fusion des deux do-
durent subir impôts et taxes de passage pour évi- maines qui ne deviendra effective qu’à ce mo-
ter toute confrontation trop coûteuse avec les ment-là. De là à imaginer que des femmes nobles
traversiers. Les cités leur abandonnèrent ainsi font tout pour ne pas tomber enceinte ou avorter
totalement la gestion des traverses préférant atti- si cela se produisait, il n’y a qu’un pas que nous
ser de loin les premières dissensions naissant au franchissons allègrement... En revanche, une fois
sein des anciens seigneurs. Ces désaccords s’enve- nommé, le chef de famille jouit d’une autorité ab-
nimèrent jusqu’à ce que les traverses se scindent solue sur ses parents et ses sujets sur qui il a droit
en de multiples baronnies, seigneuries ou princi- de vie et de mort, qu’il soit homme ou femme.
pautés et s’affaiblirent considérablement.

‌De l’art de passer le temps


‌D’une histoire des mentalités Depuis des siècles, les seigneurs traversiers sont
Encore aujourd’hui, la plupart des seigneu- considérés comme des rebelles en puissance et ils
ries traversières ont un esprit conservateur ont du mal à se dégager des soupçons de terro-
et regrettent, par tradition, le régime féodal. risme qui planent sur eux. Les citadins les ont pu-
L’illustration la plus flagrante est leur refus, en rement et simplement bannis de leurs tractations
grande majorité, des techniques modernes à l’ex- internationales, les plongeant dans une forme de
ception des armes à feu. Mais ces dernières restent désœuvrement, pour ne pas dire d’inactivité. Les
extrêmement rares. Le commerce d’armes avec seigneurs se sont alors inventé des occupations res-
les seigneuries traversières est d’ailleurs stricte- ponsables de la réputation de décadence qui s’at-
ment interdit par les ministères. Fait étonnant, tache aux traverses. Ils ont du temps, une imagina-
en raison de leur vigilance à faire appliquer cette tion fertile et assez de pouvoir pour réaliser leurs
règle, la contrebande n’a jamais pu prendre véri- fantasmes les plus fous. Au mieux, les maisonnées
tablement son envol. Les seigneurs doivent donc sont régulièrement le théâtre d’orgies. Mais le sexe
dépenser des fortunes pour les importer illégale- et la drogue ne sont que des distractions passa-
ment et en quantité réduite. S’inféoder à une cité gères. Les intrigues restent le sport le plus prisé.

23
‌ ù les intrigues traver-
O fants de s’assurer une meilleur survie est d’établir
un jeu d’alliance avec les autres membres de leur

sières sont passées en revue famille (les mères en font partie). Ces dernières
prennent souvent la forme de pactes de sang, mais
les mariages restent la forme la plus aboutie et dé-
sirée d’alliance. La consanguinité n’est pas rare.
‌Des intrigues à l’intérieur de la même famille.
Lors des héritages, les domaines étaient initiale-
ment divisés entre les descendants. Comprenant ‌Des intrigues entre familles
que cela ne pourrait plus être possible d’émiet- Les seigneurs traversiers se font volontiers la
ter les traverses sans risquer de se faire absorber guerre pour des questions de territoire. Mais
par le culte de l’aragone, les chefs de famille de l’élément le plus important, qui fait régulière-
cette époque ont d’un commun accord institué ment couler des flots d’encre et de sang, est celui
la transmission intégrale du territoire à l’aîné des des mariages. Marier un héritier ou un proche
enfants, appelée règle de primogéniture. héritier, c’est établir une alliance entre deux fa-
Or, contrairement à la majorité de leurs sujets, milles. Malheureusement, cela ne va pas sans
les seigneurs pratiquent volontiers la polygamie poser plusieurs problèmes : les enfants du nou-
ou la polyandrie pour les familles régies par des veau couple seront-ils considérés comme les héri-
femmes. Ils ont donc beaucoup d’enfants et seul tiers exclusifs ou faudra-t-il composer avec leurs
l’aîné a une chance d’hériter… Le meurtre fra- demi-frères et sœurs ? Là encore, l’assassinat ou
tricide est donc devenu un sport parmi les jeunes l’entrée de force dans l’aragone représentent des
générations. Les chefs de famille ont pris diverses portes de sortie régulièrement employées.
mesures pour l’empêcher, faisant élever leurs en-
fants dans des domaines très éloignés les uns des
autres, ne désignant un héritier que sur leur lit de ‌Des luttes d’influence
mort… ou faisant entrer les cadets dans le culte Sur les traverses, le prestige s’exprime par des
de l’aragone, les privant du même coup de l’hé- nuances subtiles et parfois incompréhensibles,
ritage. Ceci posé, le principe de la transmission même pour les intéressés. Dans tous les corps de
intégrale n’est pas encore entièrement entré dans métier, tout est affaire de hiérarchie, que ce soit
les mœurs. Un enfant ambitieux peut parfaite- au sein des échassiers, des cueilleurs de fleurs
ment contraindre son père à lui attribuer un apa- d’écryme, des éleveurs de serpents, des gratteurs
nage qui, à la mort du chef de famille, deviendra de mousse, des ramasseurs de fiente… ou des fa-
un fief indépendant. L’autre moyen pour les en- milles nobles. Gagner un peu plus de poids au-

‌Soliloque d’une fugitive


Depuis plus d’une semaine, je vis près de la porte d’Orient de Méthalume, sur de simples plate-
formes construites au ras de l’écryme et peuplées d’indigents ignorés des syndicalistes. J’ai trou-
vé refuge auprès d’une petite troupe de saltimbanques, donnant de modestes représentations
auprès des caravanes marchandes. J’y ai remplacé une des comédiennes, retrouvée morte le
matin de mon arrivée. Je suis dépositaire du « souffle » de la défunte, son masque de spectacle
doté de filtres qui doit être porté du matin au soir. En effet, à Méthalume, le vent souffle sur-
tout à l’est. Les fumées sont ici plus denses et plus âcres que nulle part ailleurs. Elles profitent
aux contrebandiers qui rentrent ici moins difficilement. Les miliciens eux-mêmes portent en
permanence des filtres sommaires pour respirer normalement. Ce déguisement me convient à
merveille, mais je reste inquiète. J’ai fait le pari qu’en moins d’une semaine les recherches se-
raient abandonnées. Pourtant que puis-je dire des limiers du puits ? Vont-ils se contenter de la
dissolution de ma ghilde ? J’étais bien incapable de répondre jusqu’au jour où un étrange per-
sonnage est venu interroger les gens autour de la porte. Il cherchait une jeune fille et payait cher
pour obtenir des renseignements. Je sais bien qu’Audrey, la cheffe des saltimbanques, n’hési-
tera pas longtemps à me dénoncer. La troupe traverse des temps difficiles, car les caravaniers
rechignent de plus en plus à se délester de quelques pièces. Je ne veux prendre aucun risque.

24
Dès la nuit tombée, je m’éclipserai silencieusement...
25
près de ses pairs, ou en faire perdre à son rival, nier dispense à son pupille des notions d’écriture,
représente donc un enjeu capital. Pour cela, il d’arithmétique ainsi que des rudiments de géo-
existe une foule de moyens allant de la déstabili- politique, d’héraldique, de généalogie et d’his-
sation subtile à la guerre ouverte. Empoisonner toire. Mais il n’est pas seul à évoluer dans cette
par exemple les serviteurs d’un ennemi dé- sphère pédagogique. Une véritable cohorte gra-
montre l’incapacité à veiller sur sa maisonnée et vite en effet autour des futurs suzerains. D’autres
constitue un facteur d’humiliation. Être humilié s’occupent de leur faire acquérir des connais-
crée de la crainte, du mécontentement et peut, à sances concernant l’écryme ou la stratégie, mais
terme, mener à une révolte ou à un coup d’état. leur éducation est surtout consacrée aux armes.
Les maîtres d’armes jouent un rôle fondamental
dans leur évolution.
‌Des intrigues au sein du clergé Quelques fois, un scientiste ayant pratiqué des
Rien n’interdit à un seigneur traversier de deve- expériences renégates et ayant fui sur les traverses
nir aumônier de l’aragone ou prêtre de l’arpen- décroche un poste de précepteur. Quand il par-
thème. Une fois entré dans les ordres, la coutume vient à gagner la confiance de la famille en place
veut néanmoins que l’on tourne le dos à son passé et à amoindrir l’influence de l’aragone, son assise
et à sa famille pour se consacrer à ses nouveaux devient énorme. Si énorme qu’on évoque même
devoirs. La plupart des nobles y souscrivent d’ail- la naissance de plusieurs Loges traversières, re-
leurs. Mais à chaque génération, certains tiennent groupant d’anciens renégats qui se fédèreraient.
envers et contre tout le raisonnement inverse. En
prenant du galon, ils réservent les postes clés de
leurs dépendances à des membres de leur fa- ‌Des intrigues et des jeux
mille et s’arrangent pour que ce soit un de leurs Au début de chaque saison, il est courant que
proches qui leur succèdent. Certains titres ecclé- des communautés proches les unes des autres s’af-
siastiques sont depuis si longtemps dans la même frontent dans des épreuves sportives qui détermi-
famille qu’ils sont considérés comme faisant par- neront laquelle l’emportera et deviendra « maî-
tie intégrante de leur patrimoine. tresse » de la traverse pour la durée de la saison.
Ce titre n’a rien d’honorifique car il ne s’agit pas
là d’un jeu, mais d’une nouvelle façon de faire
‌Des intrigues avec le monde extérieur. la guerre, moins coûteuse en hommes et en res-
Les seigneuries sont particulièrement nom- sources. Le vainqueur remporte la traverse, les
breuses à proximité de Venice ou de Méthalume. taxes de passage et les fleurs d’écryme allant avec.
Il n’est pas rare que certains nobles se rendent Les épreuves opposant une équipe à une autre
dans ces cités sacrilèges afin d’y réaliser des trocs tournent principalement autour de l’écryme. En
fructueux. Ceux qui s’y adonnent entourent tou- plaçant les concurrents sur des échasses, elles
jours leurs allées et venues de mystères un brin permettent d’augmenter le nombre de specta-
théâtraux. Pour les plus connus, c’est une ques- teurs, qui regardent la compétition depuis les
tion de survie. Apprendre qu’ils auraient com- traverses. Les jeux se divisent en trois épreuves.
mercé avec les citadins représenterait aux yeux La première, la joute, voit les concurrents
de leurs sujets et de l’aragone un cas de trahison. armés de boucliers et montés sur des échasses se
Durant ces « visites », certains ministères en pro- pousser afin de se faire tomber. Il est strictement
fitent pour nouer des alliances en vue d’étendre interdit de déséquilibrer son adversaire en frap-
leur influence sur l’écheveau des traverses. Là pant les échasses. Seuls le torse et l’écu peuvent
encore, la plus grande discrétion est de rigueur. être touchés.
D’un côté comme de l’autre, des siècles de mé- La seconde épreuve est une épreuve de course.
fiance ont rendu la situation difficile. La moindre Généralement, elle implique de suivre le tracé
étincelle mettrait le feu aux poudres. d’une traverse, de tourner autour d’un pilier et
de revenir au point de départ le plus vite possible.
La dernière épreuve est une épreuve de cano-
‌Des intrigues et de l’éducation tage. L’embarcation métallique allant le plus loin
Les traversiers fréquentent rarement les cités, remporte la compétition. Destinée à véritable-
lorsqu’il s’agit d’éducation. La plupart du temps, ment souder une équipe, cette dernière épreuve
l’instruction d’un jeune noble est dispensée par rappelle les risques et les méfaits d’une techno-
un précepteur rattaché à la seigneurie. Ce der- logie mal maîtrisée.

26
‌L es traverses
fantômes
Notes préparatoires au journal de bord de l’Expédition S.

Les élucubrations d’un miséreux croisé au détour d’une ruelle embrumée ; des his-
toires pour les veillées au coin du poêle ; des rumeurs colportées dans les relais ou les
quartiers lacustres… Telles sont les traverses fantômes. De la matière dont on fait les
légendes. Et pourtant… Tous les caravaniers - les vrais, je veux dire, pas les blancs-
becs qui se prennent pour des cadors, parce qu’ils ont relié une fois Sérone à Tanger -
savent que leurs pas peuvent les mener un jour ou l’autre sur l’une d’elles. La plupart
le redoutent, mais certains l’espèrent. Les plus casse-cou. Et nous allons en faire partie.
Que sont ces traverses ? Nul ne le sait vraiment. Les manifestations sont extrêmement
diverses, mais quelques constantes ont été observées. Ainsi, on ne s’y engagerait jamais
de son plein gré ou, tout au moins, pas en connaissance de cause. Ensuite, la forme même
de ces traverses se diversifierait (oui, je sais, c’est un apparent paradoxe, mais non, c’est
justement une constante qu’elles se diversifient, vous me suivez ?). Pour certains, elles
auraient pris la forme d’un raccourci, leur faisant gagner plusieurs jours sur un voyage
qu’ils étaient persuadés d’avoir planifié au plus juste. Pour d’autres, ce serait exactement
l’inverse qui se serait produit et ils auraient fait un immense détour. Les traverses fan-
tômes auraient même mené certains voyageurs sur des jonctions inconnues, où des gens
vêtus comme sur les gravures historiques les auraient accueillis, ignorés ou chassés de
leurs villages aux architectures étrangement surannées. Plusieurs cas, enfin, ont été rap-
portés de caravanes entières qui auraient disparu corps et bien sur ces chemins voilés
de brume. Évidemment, ces dernières n’ont jamais été retrouvées. Passons…
Quelques rares scientistes se sont penchés sur le phénomène des traverses fantômes.
Aucun n’a expérimenté un passage en personne, mais ils ont récolté de nombreux
témoignages auprès des caravaniers. Ceux qui les ont empruntées, et qui en sont re-
venus, racontent presque toujours la même histoire, du moins au début.
Ils voyagent sur la traverse. Une traverse qu’ils connaissent et qu’ils ont pratiquée
maintes fois. Même s’ils ont commencé leur périple par beau temps, le ciel finit im-
manquablement par se voiler et devenir menaçant. Soudain, la brume monte avec une
rapidité déconcertante et finit par noyer complètement le paysage. Elle peut monter de
l’écryme, comme de coutume au crépuscule ou à l’aube. Mais certaines fois, elle peut
venir DE LA TRAVERSE ELLE-MÊME ! Comme si la pierre ou le métal étaient à leurs
tours sujets aux phénomènes d’évaporation. Enfin vient le bruit. Toujours le même :
une espèce de roulement que la plupart prennent pour le grondement du tonnerre ou
le lointain passage d’un train. Même s’ils rechignent à l’avouer, certains croient y dé-
celer parfois un murmure. Parfois, il s’agit d’une voix sourde qui prononce des paroles
oubliées, dans une langue d’un autre âge. En d’autres occasions, les témoins évoquent
la voix d’un proche disparu. C’est à partir de là que les récits diffèrent selon les mésa-
ventures évoquées précédemment.

27
En se basant sur ces témoignages, les scientistes ont échafaudé plusieurs théories
pour tenter d’expliquer le phénomène. Deux hypothèses ont principalement émergé
de leurs travaux.
La plus répandue, probablement parce qu’elle est la plus simple à concevoir, est que
ces traverses sont le fruit de l’influence pernicieuse, maintes fois décrite, de l’écryme sur
la psyché humaine. Il ne s’agirait donc que d’une altération des sens. Une sorte d’hallu-
cination collective qui modifierait, durant un certain laps de temps, la perception de la
temporalité et de l’espace. Le phénomène serait si puissant qu’il induirait des visions par-
ticulièrement réalistes de personnes et de lieux totalement imaginaires. Cette rationali-
sation, un peu forcée il faut bien en convenir, se heurte aux preuves matérielles, rares il
est vrai, ramenées de ces voyages par certains caravaniers. Pour les chercheurs suivant
cette théorie, ces éléments tangibles demeurent cependant exceptionnels. Et l’exception
n’infirme jamais la règle…
La deuxième hypothèse est plus audacieuse (en d’autres termes, elle est quasi-
ment renégate). Les traverses fantômes seraient la manifestation d’une mémoire de
l’écryme. Par un procédé encore à définir, que certains chercheurs pensent de na-
ture physique ou biologique, la mer acide aurait enregistré d’une manière ou d’une
autre des souvenirs qu’elle restituerait par le biais des traverses fantômes. Celles-ci
seraient les réminiscences d’anciens réseaux de traverses, voire même de routes plus
anciennes, antérieures à la première trame.
Cette hypothèse est bien moins répandue que la précédente, car elle soulève plusieurs
questions quant à la nature même de l’écryme. Des questions qui pourraient remettre
en cause certains fondements de notre civilisation dont le ciment permanent et univer-
sel reste la lutte contre les interprétations fantaisistes sur la nature de la mer acide et de
ses effets. Il va sans dire que cette seconde théorie n’a pas non plus la faveur des Loges,
pour qui toute étude ayant trait à l’écryme confine à l’hérésie. Officiellement, les scien-
tistes considèrent l’écryme comme une matière inerte, morte et qui doit le rester. Tout ce
qui tend à la montrer comme organique est vilipendé. Quand ce n’est pas pire…
Il se murmure que certains des scientistes ayant travaillé sur cette hypothèse au-
raient été contraints de stopper leurs recherches, suite à des pressions, voire même
des suppressions de crédits ou des renvois purs et simples. Leurs documents au-
raient été saisis et leurs laboratoires fermés sur ordre des différents ministères de la
Propagande. Bien-sûr, aucun, pour l’heure, n’a été déclaré renégat, car une telle ac-
cusation publique nécessiterait des preuves autrement plus sérieuses qu’un ramassis
d’histoires à dormir debout. En revanche, on ne peut se tromper sur la volonté des
Loges d’étouffer toute velléité de recherches sur le sujet.
C’est la raison pour laquelle plusieurs de ces savants ont basculé, non pas dans
une clandestinité synonyme de précarité, mais dans une prudente réserve vis-à-vis
de leur institution et des moyens à employer pour découvrir la vérité. C’est aussi la
raison pour laquelle nous entreprenons cette expédition. Je resterai évasif quant aux
noms des membres de notre équipée, de même que je ne préciserai pas les villes et
les universités où certains d’entre nous enseignent encore, pour le cas où ce disque
phonographique s’égarerait et tomberait entre des mains mal intentionnées. Seule
l’initiale de leur nom ou de leur prénom suivra leur titre.

28
Le Docteur S., philosophe et métaphysicien, est à l’origine de notre voyage. Spécialiste
des questions touchant le libre-arbitre et la volonté, il a réuni autour de lui une poignée
de scientistes dont les travaux ont tous, un jour ou l’autre, eu un rapport avec l’écryme.
Le Professeur H. est un biologiste ayant longtemps étudié les adaptations développées
par la faune et la flore pour survivre dans ce milieu particulier. Le Docteur V. a travail-
lé quant à lui, sur les propriétés physiques et chimiques de l’écryme, notamment sur les
problématiques de corrosion sélective des matériaux à son contact. Ces deux éminents
chercheurs, dont les travaux ont reçu l’approbation de leurs Loges, seront notre caution
scientifique, notre vernis de respectabilité vis-à-vis des autorités dans le cas où notre ex-
pédition serait couronnée de succès. De son côté, le Docteur T. est historien et archéo-
logue. Il est notamment spécialisé dans les évolutions du réseau des traverses, des ori-
gines de la trame à nos jours. Enfin, la professeur M. est aliéniste. Elle étudie les effets
étranges et délétères que l’écryme semble avoir parfois sur l’esprit humain. Je dois avouer
qu’elle me fait un peu froid dans le dos. Lorsque j’ai croisé son regard, j’ai eu l’impression
qu’elle voyait bien au-delà de mon sourire poli et cela ne m’a pas plu du tout. Si j’étais
moins éduqué et plus superstitieux, elle me ferait prêter foi à ces histoires de céphales et
à leurs pouvoirs étranges sur la matière et l’esprit. Je crois que je ne l’aime pas. Je n’en
suis pas très sûr, car mes émotions fluctuent toujours grandement à son encontre. Pour
survivre sur les traverses, je vais devoir faire la part des choses.
Notre expédition sera guidée par plusieurs traversiers confirmés, dont deux ont déjà fait
l’expérience d’une traverse fantôme. Nous allons arpenter les tronçons sur lesquels le phé-
nomène les a saisis. Ils en parlent en tremblant, mais la promesse de l’or a su acheter leur
loyauté et leur courage. Pour un temps, tout du moins. Quant à moi, je serai le chroniqueur
et le cartographe de ce voyage. Charge m’est donnée d’être la mémoire d’une expédition
sur la mémoire. Une belle mise en abîme qui n’a pas manqué de me séduire.
Notre caravane emporte tout une panoplie d’instruments scientifiques camouflés
parmi des ballots de marchandises diverses. Boussoles, baromètres, anémomètres,
densimètres… Ils permettront d’effectuer les nombreuses mesures prévues par nos
chercheurs si, d’aventure, nous étions confrontés au phénomène et de tenter ainsi d’en
comprendre la nature. Tout a été préparé avec la plus grande discrétion pour éviter
que les métropolites ne s’intéressent trop à notre petit groupe. Nous ne serons que de
paisibles traversiers qui acheminons des denrées périssables et des tissus. Espérons
que ces précautions suffiront à tromper leur vigilance.
Nous partons demain pour un périple qui est sensé durer plusieurs lunes, sans même
savoir si nous découvrirons quoi que ce soit. Je mentirais si je disais que je suis parfai-
tement serein vis-à-vis de ce voyage, mais il est trop tard pour reculer. L’exaltation de
la découverte finira peut-être par atténuer mes appréhensions. Le reste de l’équipe est
déjà parti se coucher. Pour ma part, je ne suis pas sûr de trouver le sommeil. Je guette
la brume qui se lèverait.
Le chroniqueur V.

29
LIEUX TRAVERSIERS
La personne découvrant une terre n’en est pas propriétaire, mais gagne un droit d’exploitation exclusive. Elle
doit ainsi louer sa propre découverte à la cité la plus proche. Si elle ne peut en assurer librement l’exploitation, la
Subsistance mettra aux enchères de nombreuses concessions dont elle gagnera une partie.

S’engager sur les traverses promet de traverser et à la contrition. La communauté abrite en re-
des lieux pour le moins curieux et d’être confron- vanche d’excellents échassiers, mais surtout des
té à des coutumes insolites. Voici un petit florilège éfourceaux hors pair. Plusieurs de ceux travail-
de certains des endroits les plus remarquables qui lant sur Itinérance en sont issus.
donneront les moyens aux conteurs d’improviser
des rencontres durant leurs ballades.
‌De la plateforme du Dernier Salut
‌Où il est question d’endroits Parmi les gros chantiers lancés sur la Toile,
celui du Dernier Salut se montre remarquable
à plus d’un titre. En effet, il accueille une cen-
taine de criminels qui seront soi-disant amnis-
‌De la communauté licière de Chessnuit tiés par la Propagande s’ils œuvrent pacifique-
Les membres de ce groupe habitent dans d’im- ment et jusqu’au bout à sa construction. Les
menses paniers tressés de fils de fer et de fleur volontaires sont triés sur le volet, aussi la concur-
d’écryme. Ils prônent l’abandon total du sol et rence est féroce dans les bagnes de la cité, car
suivent religieusement les préceptes des fon- tous voudraient avoir leur chance. Mais la réali-
dateurs initiaux. Ils méprisent tous ceux qui té est plus dure que l’image romanesque qu’ils
touchent la terre ferme et ne descendent que s’en font. Dans une crevasse à ciel ouvert isolée
très rarement sur les traverses pour commercer. de l’écryme par un gigantesque puits métallique,
Après ces incursions, les membres qui s’y sont les bagnards creusent le sol à coup de pioche. Ils
adonnés doivent se purifier en s’isolant dans des sont secondés par une cinquantaine de ferrail-
nacelles prévues spécifiquement à la méditation leurs de la Loge excavatrice ainsi que quelques
charbonneux qui entretiennent les galeries sou- face au vent avec tant d’habileté qu’ils peuvent
terraines. C’est là, sous la terre mise à nu, que vit courir dessus. Outre l’intérêt touristique, les
tout ce petit monde. plateformes constituent également le chemin le
La plateforme du Dernier Salut est un véritable plus sûr pour atteindre l’écryme et ses précieuses
enfer où la moindre querelle se règle à coup de fleurs. Mais ce n’est pas tout. Lorsque le vent s’en-
pioche. La mortalité s’y avère élevée, car pour gouffre dans les armatures des échafaudages, il
maximiser ses profits le konzern Mably en charge produit un concert de mille sonorités rappelant
des travaux a sous-évalué l’aspect sécuritaire. celles des orgues les plus imposants. Passage obli-
Beaucoup de bagnards se tuent littéralement au gé pour avoir accès à la cité, le relais accueille ré-
travail, en échange d’une maigre pitance et dans gulièrement des miliciens qui contrôlent les allées
l’espoir de leur libération prochaine. Toutes les et venues des voyageurs sur les traverses. On ra-
deux teintes, un nouvel arrivage d’une trentaine conte enfin que les récolteurs dissimuleraient en
de détenus vient regarnir les effectifs. Les nou- leur sein des contrebandiers, qui feraient transiter
veaux déchantent bien vite, croyant atteindre une de nuit des marchandises illégales. Ces derniers
sorte de paradis, une nouvelle chance. Les rares sont affublés du sobriquet de ghildes de Lécanore
insurrections qui ont eu lieu ont été étouffées au et malgré les patrouilles et les contrôles, les mi-
prix d’alcool mal distillé et de convois de prosti- litaires ne sont pas encore parvenus à les arrêter.
tuées faméliques.
Les rendements importants des f ilons de
houille, de nickel et de cuivre permettent au ‌Du réseau de régulation ferroviaire
konzern de payer grassement les fonctionnaires, Aussi important que les relais de la première
qui ferment les yeux sur ce petit « trafic d’es- trame, ce réseau de sémaphores et de phare
claves ». La plateforme trône donc fièrement forme le cœur de la communication traversière
au milieu de l’écryme, sous le regard bienveil- sur les seconde et troisième trames. À la fois yeux
lant des autorités. Mais ces dernières ignorent et oreilles des konzerns ferroviaires, les postes de
le nombre élevé de bagnards impliqués et leur contrôle sont tenus par les Loges des aiguilleurs
taux de mortalité alarmant. Si elles venaient à qui régulent le trafic, libèrent les voies et trans-
l’apprendre, elles réagiraient sans doute avec vi- mettent les ordres. Ils signalent tout mouvement
gueur contre le konzern. anormal par télégramme ou signal lumineux.
Enfin, ils servent aussi de postes de renseigne-
ment et peuvent bloquer des aiguillages pour
‌Du relais de la Fleur d’Écryme arrêter des convois suspects. De manière assez
Ce relais est des plus rudimentaires et les traver- régulière, les aiguilleurs collaborent avec des ar-
siers n’y sont acceptés que sous réserve des enga- penthes qui vérifient la continuité des rails et l’in-
gements suivants : ils doivent amener leur propre tégrité des réseaux électriques sur leurs draisines.
nourriture, les propriétaires n’offrant que le gîte
et l’eau. Ils sont également tenus de participer à
la cueillette des fleurs d’écryme et à la chasse aux ‌Des seigneuries de Saul
hurleurs. Si certains n’y cherchent qu’une pail- Les terres étaient encore pures, vierges de ce
lasse et la protection des murs, le relais attire de scientisme décadent, quand les industries s’im-
nombreux chasseurs. Attirés par sa réputation, ils plantèrent, en grande partie financées par la fa-
viennent ici se mesurer les uns aux autres pour le mille locale. Les terres émergeantes ne connurent
plaisir du sport. La nourriture étant extrêmement le faste des manufactures que quelques années, le
rare, les voyageurs pouvant sustenter plusieurs per- temps que les mines s’assèchent suite à la surex-
sonnes sont exemptés de chasse et de cueillette. ploitation. Le bruit et la puanteur envahirent les
lieux, parce que les déchets et la crasse s’étaient
substitués aux terres fertiles que les konzerns
‌Du relais de Lécanore avaient défrichées. Machines cassées, scories et
Composé en réalité d’une myriade de petites mares huileuses de produits chymiques souillèrent
cabanes, ce relais repose sur d’invraisemblables irrémédiablement cet endroit à l’origine fécond.
échafaudages construits le long des parois de Les nantis désertèrent bien vite leurs demeures.
la traverse. Récoltant la mousse et la mandre Seul Saul, un grand aumônier de l’aragone, resta
qui pousse sur les parois des piliers, les récol- pour aider les habitants. Il sut leur redonner cou-
teurs grimpent sur ces échafaudages glissants et rage, leur ouvrir les yeux, eux qui vivaient dans de

31
grotesques habitations aux murs lézardés et à la
peinture craquelée. Il ne chassa pas les konzerns, ‌Où l’on aborde des coutumes
il guida les hommes dans leur révolte, leur mon-
trant à quel point ils pouvaient être forts et indé-
pendants. Deux ans furent nécessaires jusqu’à ce ‌Du carnaval des fous
que les usines disparaissent totalement. Les dé- Il s’agit d’une étrange coutume qu’on retrouve
charges et l’air vicié furent malheureusement im- dans plusieurs seigneuries traversières. À cette
possibles à bannir en totalité. Ce que la folie de occasion, les simples d’esprit sont traités en sei-
certains avait mis des années à détruire, il faudrait gneurs et accompagnés de leurs sujets déguisés.
des siècles pour le rebâtir… La parodie prend fin au bon vouloir du véritable
seigneur et peut perdurer plus d’une journée
en cas de visites d’étrangers. Ces derniers ne
‌Des ruines de Fragrance manquent d’ailleurs pas de se retrouver déconfits
Remontant supposément à l’Antécryme, ces devant les visages hilares de leurs interlocuteurs.
ruines ont souffert des ravages du temps. Rongées Suivant le seigneur, il arrive pourtant que cette
au fil des siècles par les vents acides serpentant mascarade se termine tragiquement. Au terme
au-dessus de l’écryme, elles ont également servi de la fête, leurs remplaçants d’un jour peuvent
de carrière aux constructeurs de la première se faire mettre à mort s’ils ont dépassé certaines
trame. Ces altérations leur ont conféré des formes limites et se sont montrés trop arrogants ou irré-
uniques et torturées. Plusieurs légendes évoquent vérencieux.
d’ailleurs des fantômes dont les plaintes se mêle-
raient aux sifflements du vent se faufilant de nuit
dans les ruines. Malgré ces histoires funestes, ‌Du festival de Malnois
Fragrance attire une foule de curieux de toute Le marquis de Malnois f it fortune, il y a
la Toile, en particulier les Loges de parfumeurs. quelques années en découvrant, lors d’une chasse
En effet, les vestiges ont la particularité d’abriter au hurleur autour de son manoir (construit sur
des odeurs sans cesse changeantes et agréables. l’écryme et auquel on accédait par une traverse
Tenaces, celles-ci parviennent même à surpasser de fer couverte d’un toit d’ardoise) un minuscule
l’acidité de l’écryme qui sature l’air. Par la suite, bout de terre qui se révéla être un gisement im-
les parfums inspirés de ces senteurs deviennent ex- portant de magnésite et de fer. Un puits fut creu-
trêmement prisés. Les clients sont unanimes : les sé, suivi de la construction d’une usine. À la tête
odeurs font ressurgir de leur mémoire des souve- d’une véritable fortune, il acheta dans une cité un
nirs lointains et chargés d’émotion. hôtel particulier et devint une figure mondaine. Il
‌Sécession d’une traverse
La portion traversière des Camards rompit tout s’éprendre de ces rudes « autochtones », éloignant
contact avec sa cité tutélaire il y a maintenant pour un temps les ravages de la consanguinité.
cinq ans. L’indépendance fut proclamée sous Si l’on omet les visiteurs de passage, la portion
l’impulsion de René Therroy, militaire de car- traversière des Camards abrite soixante-dix-huit
rière qui était conscient du fort sentiment d’aban- personnes dont une dizaine d’enfants. La vie de
don que ressentaient sa garnison et les citoyens la communauté s’articule autour des tâches quo-
placés sous leur surveillance. Les circonstances tidiennes et de l’éducation des enfants, basée
de la sécession tinrent à peu de choses : la pré- quant à elle sur l’exploitation des fleurs d’écryme,
sence importante de fleurs d’écryme, le nombre l’aiguillage des trains et leur ravitaillement en
élevés d’albâtres, la rencontre avec un scientiste eau qui servira à produire la vapeur.
renégat appartenant à une Loge traversière, l’ab- L’apparente harmonie qui règne au sein de la
sence de relève de la garnison… Au départ, la communauté ne doit pas faire oublier les dis-
population ne crût qu’avec la venue de nouveaux sensions qui menacent d’en rompre la tranquil-
arrivants. L’important nombre de décès et sur- lité. Cette dernière n’est maintenue que grâce à
tout la mortalité infantile menacèrent en effet la rigueur d’un René Therroy vieillissant. Les
plusieurs fois les velléités indépendantistes. femmes « distraient » les voyageurs le temps de
Placé sur les contreforts d’une traverse de la pre- l’escale, ce qui provoque de nombreuses jalousies
mière trame, le petit bourg parvint à convaincre auprès des hommes. La cupidité pourrait bien
un konzern de dévier sa ligne de chemin de fer elle aussi faire voler en éclat le fragile équilibre.
pour effectuer une jonction qui serait profitable Tous ne redistribuent pas la collectivité à hauteur
à tous. Cela permit d’augmenter la population, de ce qu’ils devraient. Enfin, la cité réclamera tôt
en accueillant une ghilde lascive cherchant à ou tard son dû. Chaque jour, René Therroy s’at-
faire perdre aux ouvriers les quelques hurles ver- tend à tenir un siège qu’il provienne de l’extérieur
sés par les nobles marchands. Tout en assurant ou de l’intérieur.
leur « turbin » initial, ces femmes finirent par

se fit connaître en particulier par sa prodigalité. accueille chaque année pendant une lune des
L’exemple le plus parlant fut sans doute l’abandon concerts et des manifestations musicales. Le culte
de son manoir aux ouvriers de la mine de Malnois. de Malachine y prospère, comptant pas moins de
Cerné par les machines et recouvert d’une épaisse cinq moines-techniciens sur place. On conseille-
couche de poussière grise, le bâtiment n’en a pas ra sans hésiter aux touristes de s’y rendre sans tar-
moins été conservé et transformé en un vaste ca- der. L’acoustique est véritablement unique en son
baret où seuls les mineurs peuvent entrer et se dé- genre et le décor, baroque à souhait (on joue au
tendre. Combien d’ouvriers ont tenté leur chance milieu de machines).
pour travailler dans cette mine !
Plus tard, le marquis se découvrit une âme de
mécène. Un ami musicien, qu’il avait emmené ‌Des ramasseurs de fiente
visiter l’usine lui avait soufflé l’idée : la sonorité Certaines caravanes nomades ont appris la va-
y était exceptionnelle et des orchestres y feraient leur des tâches ingrates. La plus représentative
fureur. Un mois plus tard, le marquis fit donner de toutes consiste à ramasser les bouses laissées
un concert qui marqua l’histoire. Devenu entre- par le bétail ou le guano des albâtres. Une fois
temps le conseiller du marquis, l’ami musicien se secs, les excréments fournissent un très bon com-
persuada que seuls les machines et les hommes bustible, le plus utilisé sur les traverses en l’ab-
qui avaient travaillé toute la semaine donnaient sence de bois. Issue à l’origine des tribus mon-
aux salles cet écho grandiose. Il obtint donc que goles, cette pratique s’est répandue ensuite sur la
l’usine restât ouverte. Pour améliorer l’acous- Toile grâce aux traversiers d’Errance. Certains
tique, le marquis prit conseil auprès du culte de groupes s’arrogent même l’exploitation de pans
Malachine. Celui-ci s’installa dans l’usine et créa entiers et sont prêts à déloger tout concurrent
même un monastère métallique. éventuel.
Aujourd’hui, Malnois est un lieu connu et re-
connu de par la Toile. Le festival de Malnois

33
‌L e mélodrame
du mélomane
Gabriel tira net le levier qui stoppa l’étrange machine jaune qui le transportait. Après
un crissement assourdissant et quelques crachotements de vapeur, il mit pied à terre
et salua la foule en soulevant son haut de forme. Son arrivée se faisait toujours re-
marquer, c’était d’ailleurs le but. Contrairement à ses confrères, Gabriel préférait l’ex-
position à la discrétion. Il partait du principe qu’aux yeux des gens, ce qui paraissait
visible ne cachait rien. Évidemment, rien n’était plus faux. Il se comportait comme un
illusionniste, détournant les regards sur une certaine action qui lui permettait d’agir
ailleurs librement. C’était ce qu’il était en train de faire.
Quelques badauds commençaient déjà à s’attrouper autour de l’étrange engin. Les voi-
tures à vapeur demeuraient extrêmement rares dans ces contrées reculées. De plus,
celle-ci affichait une couleur peu commune. À l’époque, Gabriel avait déboursé une
petite fortune pour cette pigmentation jaune et il en était assez fier. Il s’affaira à répa-
rer son automobile sous les regards curieux : relever les tubes, dégripper les loquets, souf-
fler les tuyaux, débloquer les soupapes, graisser les viroles, nettoyer les condensats…il en
profita pour effacer discrètement une petite tache rouge qui lui avait précédemment
échappé. Gabriel inséra enfin une manivelle dans le petit trou fraîchement graissé
de son moteur et sortit de son blouson, dans un geste magistral, un rectangle métal-
lique qu’il montra à la foule. Il relâcha l’étreinte d’un de ses doigts et l’objet métallique
se déplia tel un accordéon. Des trous le constellaient de manière plus ou moins anar-
chique. Avec le plus grand soin, Gabriel introduisit le dépliant dans une fente de son
véhicule. Il tourna enfin la manivelle qu’il avait préalablement installée.
Peu de gens avait accès à la musique sur des traverses éloignées comme celle-ci.
Après son spectacle musical qui lui valut quelques pièces, il colporta les dernières
nouvelles de la cité et des seigneuries voisines, un petit bonus que les gens, en géné-
ral, appréciaient.
Après avoir déplacé sa voiture, Gabriel se dirigea vers une boutique attenante aux pi-
teuses habitations qui bordaient la traverse. L’échoppe n’était qu’un comptoir ouvert pro-
posant des babioles sans intérêt. Le tenancier survivait surtout par ses transactions
douteuses de produits illicites. Gabriel approcha du comptoir en zinc et ignora son pro-
priétaire qui l’avait salué. Après avoir inspecté les marchandises entreposées en vrac
sur les étals, Gabriel déposa un hurle près du marchand, qui prit l’argent rapidement, de
peur que quelqu’un d’autre le remarque. Ensuite, il sortit de sous le comptoir une petite
boîte de fer qu’il déposa en face de lui. Gabriel la saisit et s’en alla sans prendre la peine
de saluer le boutiquier.
Il chassa les gosses attroupés autour de sa voiture, puis il grimpa dans la petite re-
morque qu’elle tirait. L’intérieur était sommaire, mais il y avait assez de place pour
une couche, une commode, une penderie et une étagère ou s’empilait tous ses cha-

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peaux. Une lampe à pétrole pendait du plafond. Il l’alluma et contempla la boîte.
Celle-ci ne présentait aucune particularité, mise à part les initiales gravées de son
commanditaire que Gabriel sentit sur un rebord avec son ongle, car pratiquement in-
visible à l’œil nu. Il était rare de travailler pour cette Loge, mais au moins, elle rémuné-
rait toujours bien.
Il sortit un couteau de sa botte et éventra le fond du récipient. Il récupéra la plaque
de métal trouée. Il déplia la nouvelle partition et haussa un sourcil en la déchiffrant. Il
était assez satisfait du code qu’il avait inventé, basé sur les notes de musique. Incrédule
il relut une nouvelle fois. Il déchiffra les dernières notes et s’aperçût que la récompense
était énorme. Il tomba sur son lit et réfléchit à l’ironie de la situation. Il recevrait bien plus
que d’habitude et cette fois ci ce n’était pas du sang qui coulerait. Il s’endormit.

Gabriel avait parcouru des kilomètres de traverse, de brouillard et de misère, longé


quelques cités et soudoyé des barons, comtes, ducs et autres titres ronflants pour
de vulgaires potentats s’enrichissant de leurs péages. Il arriva enfin à destination
alors qu’une fine couche de neige envahissait les pavés du pont immense et que les
flocons fondaient à l’approche de l’écryme, créant une brume épaisse et envahissante.
Quelques kilomètres avant son arrivée, il avait pris soin de bâcher son véhicule. Il
était dans son intérêt, cette fois, de passer inaperçu.
La traverse sur laquelle Gabriel avait cheminé n’était qu’un amas de pierres et de
poutres métallique entassées aléatoirement. En outre, le pont penchait légèrement,
mais dangereusement, d’un côté ou l’écryme continuait à consumer avec entrain tout le
métal qui se trouvait à sa portée. À un moment, le bonhomme s’était engouffré à petit pas
sur le pont tout en évitant les passants et les crevasses de plus en plus nombreuses.
Certaines avaient taille humaine, ce qui n’amoindrissait pourtant pas le va-et-vient.
Peu après, Gabriel avait dérapé et perdu l’équilibre, mais il avait miraculeusement
réussi à se rétablir et à reprendre sa marche, sans que personne ne lui ait accordé la
moindre attention. Pendant qu’il s’était essuyé le front avec un mouchoir, un léger
vent s’était levée et avait légèrement dispersé la brume. Une aubaine bienvenue pour
la suite de la progression.
Une fois sur place, Gabriel s’intéressa à son environnement immédiat. Pour la plu-
part, les bicoques étaient des monticules d’objets récupérés. Tout autour, on sentait
une très grande misère. Pourtant, en s’attardant sur les habitants, ceux-ci parais-
saient heureux, insouciants. Pas grand monde ne s’occupaient de lui, alors qu’il dé-
tonnait par son habillement. Les traversiers d’ici étaient en effet vêtu simplement, un
pantalon et une chemise pour les hommes et une robe désuète pour les femmes.
Tous semblaient ignorer le froid qui les entourait. Gabriel remarqua alors un détail
qui le frappa. Tous les gens, enfants comme adultes, présentaient des marques de
blessures. De la simple égratignure à l’entaille profonde. Il les remarqua parfois sur
les visages, les mains ou les bras, mais aussi sur les pieds nus d’enfants courant sur
la neige. Souffraient-ils d’une maladie comparable à la lèpre ? Ou avaient-ils été vic-
times d’une récente attaque ? Gabriel se sentit mal à l’aise… Un détail lui échappait
et il n’aimait pas ça. Il adorait être maître de la situation, mais là il sentait que cette
dernière commençait sérieusement à lui filer entre les doigts.

35
Une petite chapelle trônait un peu plus loin sur la traverse. De nombreuses lan-
ternes éclairaient le chemin ainsi que les environs de l’édifice. Ce dernier n’était pas
bien grand, à peine un adulte pouvait-il s’y tenir. Gabriel avait enfin trouvé son but,
l’endroit décrit dans la partition. Il avait hâte d’en finir. C’est d’un pas décidé qu’il
s’y engouffra.
Sa mission était simple : les sages d’une Loge télégraphique lui avaient demandé de
détruire une idole, un objet de culte renégat dont la renommée croissante ne faisait
que renforcer la superstition des traversiers. Et ils craignaient que cela n’appâte des
aumôniers de l’aragone qui finiraient immanquablement par prêcher le sabotage des
lignes télégraphiques. À leurs yeux, il fallait abolir cette ferveur et ils avaient fait
appel à l’un de leurs meilleurs sicaires connu pour son absence totale de scrupules.
Une fois à l’intérieur, Gabriel plissa les yeux. Des bougies illuminaient un petit autel
et notre homme comprit à cet instant ce qu’il devait détruire.
Une fleur se dressait devant lui et ce n’était pas une fleur d’écryme. Elle lui parut ex-
trêmement belle, car c’était la première fois qu’il en voyait une de la sorte. Elle régnait
sur un tas de feuilles et de mousses et rayonnait d’un jaune d’or qui lui rappela son
automobile. Gabriel était stupéfait ! Il passa sa main sur les feuilles, puis toucha déli-
catement les fins pétales flavescents. Alors, voilà en quoi ces gens croyaient, voilà ce
qui les rendaient heureux : l’espoir, le renouveau que portait un tout petit végétal. Un
élan de bonheur toucha l’homme de main en plein cœur, une émotion qu’il pensait
plus connaître. Il sentit un tel enthousiasme le saisir que, dans un geste incontrôlable,
il arracha la tige pour s’emparer de la plante. À cet instant, Gabriel sentit une secousse
dans sa conscience, la sensation hideuse d’avoir commis une impiété. Qu’avait-il fait ?
La honte lui arracha des larmes et, dans un choc émotionnel foudroyant, il recula pour
sortir de la crypte, tenant la fleur entre ses mains tremblotantes.
Une foule l’attendait à sa sortie. Tous les habitants étaient là, avec la même expression
béate sur le visage. Gabriel présenta à leur vue la fleur qui se desséchait à vue d’œil.
« Je… ne voulais pas, balbutia-t-il, je suis désolé, je ne comprends pas... »
Un enfant s’approcha de lui avec un regard bienveillant et plein de compassion. Le
jeune homme prit la tige et souffla sur les pétales. Sous le regard ébahi de Gabriel,
ces derniers cédèrent et furent emportés au loin par le vent, comme s’ils dansaient.
Le jeune garçon tendit alors un petit couteau que Gabriel prit avec précaution et in-
crédulité. L’enfant sourit et hocha la tête et l’homme de main comprit. D’un revers
de la main, il sécha ses larmes et retourna dans la chapelle. Là, il présenta sa main
gauche au-dessus de l’autel, celle qui avait arraché la plante. D’un geste, il se lacé-
ra avec le canif. Il serra le poing de douleur et le sang coula sur la mousse. Celle-ci
fut parcourue de frémissements et, soudain, une nouvelle tige en jaillit. Une jeune
pousse était apparue ! Aussi dorée que la précédente ! Gabriel sentit de la joie plein
ses poumons.
Il contempla un long moment la fleur, cet être si fragile et si puissant à la fois. Il lui
fallait un protecteur, un homme prêt à tous les sacrifices. Un homme qui protègerait
les fidèles, un homme qui irait chercher le sang des impures pour nourrir son idole.
Une main qui se vengerait de ceux voulant détruire la beauté de la nature, la force de
la vie, l’espoir de l’humanité. Il serait cette main.

36
‌L’ÉCOLOGIE TRAVERSIÈRE
Tout en cheminant le long d’un ancien chemin de ronde pour arbalétrier, j’observe le ballet des hurleurs à la
surface de l’écryme. J’admire l’adresse et l’habileté de ces étranges animaux que nous connaissons encore très mal.
Comment parviennent-ils à se propulser à des vitesses impressionnantes, à glisser, à bondir et à se réceptionner
sans s’enfoncer dans ce fluide à la densité si imprévisible. Et ils s’éclaboussent ! Quel admirable agencement
physique parvient à créer une chitine qui résiste à l’écryme, alors qu’un épais récipient de cuivre pur ne tient que
quelques semaines ?

L’écryme a radicalement transformé la faune mais plus alcoolisées que celles préparées à partir
et la flore à l’échelle de la Toile. En recouvrant de la fermentation d’autres plantes (telle que l’ab-
le monde, cette substance a bouleversé le cycle sinthe). Séchés, les bulbes peuvent être consom-
de l’eau, mais aussi les reliefs. Certains se sont més comme des fruits secs ou émiettés pour en
affaissés, d’autres sont apparus du même coup faire une sorte de farine dont on fait du pain.
modifiant définitivement les vents et leur force. La tige, quant à elle, est composée de fibres vé-
Soumises toute l’année à un climat très dur, les gétales, d’une sève durcissant rapidement à l’air
traverses n’en abritent pas moins une flore et une et d’une couche métallique extrêmement fine
faune qui s’y sont remarquablement adaptées. et résistant à l’écryme. Les matières fibreuses
Attirés par leur incroyable résistance, nombreux ont depuis longtemps prouvé leur efficacité en
sont les naturalistes, botanistes et zoologues en tant que matière textile et nombreux sont les fa-
particulier, à tenter de répertorier et de classifier bricants qui font fortune grâce à cette exploita-
les éléments qui les composent. Ces érudits sont tion. Les Principautés d’Olmune en sont d’ail-
friands du savoir empirique emmagasiné par les leurs les principaux exportateurs. Les cueilleurs
traversiers et des échanges fructueux se nouent les conservent dans de grandes cuves où les végé-
de plus en plus fréquemment, aussi improbable taux sont bouillis, tannés puis assemblés en lon-
que cela paraisse. Cela est dû en grande partie à gues bandes qui sont ensuite redécoupées pour
l’influence croissante des cités dont l’hégémonie être transportées sur toute la Toile. Les manufac-
s’étend sur l’écheveau traversier. Relais et bourgs tures n’ont plus alors qu’à teindre et effiler le pré-
deviennent ainsi de véritables laboratoires de co- cieux végétal, puis à le travailler sur des métiers à
habitation. tisser. Les étoffes sont systématiquement teintes,
même en blanc, car il est très difficile de les ob-

‌Où la fleur d’écryme est la tenir blanches naturellement. Seul le procédé né-
cessitant plusieurs bains d’alcool et d’eau permet

seule à survivre de les décolorer totalement. Les fibres sont alors


valorisées, utilisées pour fabriquer plutôt des par-
Ces fleurs très abondantes sont la principale chemins que des tuniques.
preuve que l’écryme provient d’un élément vé- La sève est employée comme résine remplaçant
gétal. La multiplicité de leur emploi appuie éga- le bois. Une fois extraite de l’eau qui a servi à ré-
lement l’hypothèse qu’elles sont bien l’œuvre de cupérer les fibres ou directement avec, elle est
l’homme à l’origine. moulée afin de lui donner une forme. Via ajout
Il s’agit d’une plante large de cinq à dix centi- de plusieurs couches successives, la sève finit par
mètres pouvant se développer jusqu’à un mètre durcir avec une couleur ocre et constitue la ma-
au-dessus de la surface de l’écryme et autant de jorité des meubles traversiers. Une fois asséché,
profondeur. Elle s’étend rarement en multiples le matériau est non seulement solide, mais égale-
ramifications et s’achève par un unique bulbe me- ment inflammable comme du bois sec. Afin d’en
surant vingt à trente centimètres de diamètre. Ce conserver un maximum et d’éviter le durcisse-
sont les bulbes qui, lorsqu’ils arrivent à matura- ment au contact de l’air, l’opération consistant
tion, forment des fleurs comestibles. Si les bulbes à sectionner l’écorce métallique se fait au maxi-
sont prélevés avant éclosion, ils forment d’excel- mum sous l’eau. L’eau étant un luxe et l’écorce
lentes gourdes gonflées d’une eau légèrement su- étant très rigide, beaucoup de traversiers pré-
crée. Les liqueurs de bulbe sont moins colorées, fèrent employer l’écryme diluée à leurs urines

37
pour ramollir la plante et en tirer les seules fibres.
La partie extérieure de la plante est elle aussi ex- ‌De l’agaric
ploitée une fois brûlée. Libérée de ses scories vé- Sans l’ombre d’un doute, il s’agit du champi-
gétales, l’acier obtenu est assez solide. gnon le plus cultivé sur les traverses. Son diamètre
Les fleurs d’écryme poussent littéralement à oscille entre dix et vingt centimètres et sa cuticule
l’œil nu et n’ont une durée de vie que de six ou presque noire quand il est cueilli jeune s’éclaircit
sept heures, alors que l’écryme est diluée par la avec l’âge. Son pied de dix centimètres est particu-
rosée matinale. Une fois le soleil à son zénith, lièrement ventru. Sa chair blanche et ferme offre
l’eau s’évapore et les racines de la fleur sont ron- une saveur douce. Il est comestible sous toutes ses
gées par l’acide qui choix et disparaît. Les écry- formes. Les plus pauvres le mangent en soupe,
mologues pensent qu’une fleur, une fois éclose, en le plongeant dans de l’eau chaude épaissie de
projette de minuscules graines qui permettent à poussière d’os. Pour leur part, les plus aisés le pré-
la plante de continuer à pousser. Pourtant, les fèrent séché et émietté comme condiment.
cultures de fleurs d’écryme n’ont jamais fonction- Particularité : reconnaissable entre mille, son
né dans des endroits clos. De nombreux traver- odeur poivrée est très forte. Certains habitants
siers ont, en effet, tenté de cloisonner ces plantes qui s’y sont habitués en cultivent dans leurs mai-
dans des bassins d’écryme au sein desquels ils sons et les utilisent pour incommoder les voleurs
pourraient contrôler l’hygrométrie. Chaque ex- éventuels.
périence s’est immanquablement soldée par de
cuisants échecs. Certains écrymologues ont émis
l’idée que les hurleurs, en sautant au-dessus des ‌Du golmotte
fleurs d’écryme, fécondaient les plantes. Ce champignon se reconnaît par son chapeau
globuleux de vingt à trente centimètres de dia-

‌ ù les champignons
O mètre. Malgré sa taille, il n’est pas particulière-
ment apprécié. Sa chair blanche, rosée dans le

sont les rois de la flore bulbe puis virant au rouge au contact de l’air,
n’offre en effet qu’une légère saveur douce-
Comme dans les cités, de nombreux types de amère, après une longue mastication qui plus est.
champignons se sont adaptés à leur environne- Sans réelle odeur non plus, il est cultivé essentiel-
ment. Les traversiers les cultivent eux aussi dans lement pour varier l’alimentation.
des mycotières creusées dans les piliers des tra- Particularité : s’ils sont laissés de côté, les gol-
verses afin de recueillir l’eau de pluie nécessaire mottes finissent par sécher et se racornir. Leurs cha-
à leur maturation à l’abri du vent. Communes à peaux se creusent alors et, pour peu qu’on les écrase
tout un bourg, elles sont surveillées comme un vivement, ils explosent comme un puissant pétard.
véritable trésor. À noter qu’en plus des cham- Ils sont utilisés lors de célébrations, pour jouer des
pignons, le végétal qui y prospère le plus est le farces ou pour imiter le bruit d’une arme à feu.
chanvre servant à fabriquer cordes et vêtements.

‌Soliloque d’un cueilleur de fleurs d’écryme


Je fais partie des saisonniers qui sillonnent les traverses à la recherche d’endroits sur l’écryme
où se concentrent des hurleurs. J’ai passé ainsi la plus grande partie de ma jeunesse, monté
sur des échasses en fer, à quelques mètres au-dessus de la mer acide, afin de cueillir des fleurs
d’écryme ou de chasser les hurleurs à l’Harbepon, sorte d’arbalète dont le projectile, en forme
de harpon, est relié à un mince fil de fer. En dépit des dangers encourus, cette activité est à
ce point méprisée qu’elle me rapporte à peine de quoi vivre. Pour améliorer mon quotidien, je
confectionne de petits pliages réalisés à partir des pétales des fleurs trempés dans de la résine.
Les traversières en sont friandes. En période de vache maigre, il m’est arrivé d’accepter quelques
fois un travail de garde du corps ou de mercenaire. Mais toujours, j’ai lu dans les yeux de mes
compagnons ce même mépris à mon égard. Cette même incompréhension liée au fait que je vis
sur l’écryme et que, d’une certaine manière, j’aime être à son contact. Comme la plupart des
chasseurs-cueilleurs, j’en suis venu à penser que je suis réellement différent de ces gens qui vé-

38 gètent sur leur portion de traverse ou dans leur cité.


‌Du xérocôme pacte, elle se glisse dans les interstices des pierres
D’une couleur brun-olivacé peu ragoutante, ce de la première trame. En grandissant, elle fen-
champignon n’est pas très nourrissant, ni même dille la roche, descelle les blocs et amoindrit la
très bon. De plus, il demande beaucoup d’eau structure des traverses. Son éradication est un
pour sa croissance. Malgré cela, il vaut une for- souci constant non seulement des traversiers,
tune et les traversiers qui en possèdent l’ont bien mais aussi des gouvernants citadins pour qui
compris. Sa culture est particulièrement surveil- l’usage des traverses est un impératif vital.
lée et les vols de xérocômes sont systématique- Particularités : le seul moyen de détruire la ca-
ment punis de mort. lyptre est de la brûler. Même si elle dégage une
Particularités : pauvre en calories et long à faible chaleur durant sa combustion, certains
digérer, le xérocôme donne l’impression de sa- l’utilisent comme complément à la fiente séchée
tiété pendant de longues heures. Il calme aussi dans les cheminées des maisons. D’autres s’en
les attaques acides de l’estomac. Il présente en servent comment moyen d’éclairage puisqu’elle
effet l’étrange particularité de bien résister à dégage une légère luminosité plusieurs heures
l’acidité. Les rebouteux en tirent une huile qui après sa coupe.
confère cette propriété aux objets traités grâce à
elle. Certaines Loges commencent à s’intéresser
aux xérocômes, ainsi que les différents ministères ‌De la remblâne
de la Subsistance. Cette liane aux fibres épaisses et très résistantes
pousse comme de la mauvaise herbe sur les tra-

‌ ù d’autres végétaux
O verses des seconde et troisième trames. Elle ap-
précie autant le soleil que l’ombre et a besoin de

poussent à la marge très peu d’eau pour s’épanouir et prospérer.


Particularité : une fois coupée, la remblâne
Les champignons ne sont pas les seuls végé- se contracte et devient très dure. Cette propriété
taux à prospérer dans les mycotières ou sur les s’accentue encore si la liane est enduite de gou-
traverses. Certes rudimentaires, quelques orga- dron. Elle devient alors aussi solide que de l’os.
nismes suffisamment résistants sont parvenus à Les traversiers l’utilisent principalement en ma-
survivre et à prospérer hors des villes en vertu du çonnerie, mais également comme armature pour
principe du métabolisme évolutif. des échasses de fortune.

‌Du phalandre ‌Où les serpents constituent


Surnommée lierre traversier, cette plante aux
feuilles noirâtres absorbe en grande quantité un met de choix
les vapeurs d’eau de l’air grâce à ses tiges spon- Sur les traverses, l’ensoleillement permettant
gieuses rampantes et grimpantes. Après s’en être aux pierres et au métal de chauffer a eu pour
gorgé, elle conserve le précieux liquide pendant effet d’attirer les reptiles, qui ont quitté progres-
près d’une semaine. Elle est donc cultivée dans cer- sivement les cités. En effet, la pollution et l’ombre
taines caves afin de les assainir, mais son utilisation des immeubles cachaient le soleil nécessaire à
première reste la collecte d’eau pour la boisson. leur épanouissement. En raison de la pénurie
Particularités : le phalandre fonctionne de nourriture à l’état sauvage sur les différentes
comme un filtre avec l’eau qu’elle rend moins im- trames, la plupart des serpents ont néanmoins
propre à la consommation. Mais à terme, l’acidi- fini par quasiment disparaître, exception faite de
té imprégnant les tiges devient trop forte et fait ceux d’élevage.
mourir la plante après trois ou quatre saisons. Au fil des ans, les serpents sont devenus le nec
Certains spécimens développent une plus forte plus ultra en matière d’alimentation traversière, à
résistance. On les reconnaît à leur couleur moins la fois par goût réel et par volonté de choquer les
sombre. Leur espérance de vie est quasi doublée. citadins. Ils se consomment avant tout pour leur
chair. Les os, peu nombreux et trop souples pour
en faire de la poudre, sont jetés dans l’écryme.
De la calyptre Le sang et les venins sont en revanche prisés des
Cette mousse olivâtre légèrement phosphores- rebouteux. Quant aux peaux, elles sont décou-
cente est un véritable fléau. Très dure et com- pées via l’unique rangée d’écailles ventrales, plus

40
larges que les dorsales et surtout plus abîmées. En vir dans les galeries où le charbon est extrait.
de multiples occasions, il a été essayé de traiter Sensible aux émanations de gaz impossible à dé-
les mues afin de produire des supports d’écriture, tecter par les humains, il sert à donner l’alerte
mais les essais ont systématiquement échoué. dès qu’une fuite apparaît. Lorsqu’il s’évanouit ou
Malgré les avantages de sa consommation, une meurt, les mineurs se dépêchent de sortir pour
telle viande reste difficile à produire en raison de éviter une intoxication ou, pire, une explosion.
ses coûts élevés.
Tout d’abord, pour grandir dans des conditions
optimales les serpents ont besoin d’un vivarium, ‌De l’ophide
un local propre et chauffé à l’aide de verrières. Avec son corps légèrement comprimé latéra-
Pour être optimal, un tel habitat demande des lement, ce serpent peut atteindre deux mètres
ressources onéreuses comme le verre, bien que cinquante. Il présente une robe grise jaunâtre
les plus pauvres se bornent à utiliser de l’argile. avec des taches foncées sur le dos et les flancs.
De plus, en période de mue, des mesures d’hy- Particulièrement nerveux et agressif, il se dresse
grométrie doivent être respectées. Cela nécessite sur l’arrière en formant un S quand il se sent me-
de l’eau qui ne sera plus disponible pour les tra- nacé, en ouvrant sa gueule et en faisant vibrer sa
versiers. La vigilance constante des écarts de tem- queue. La ponte d’une quinzaine d’œufs survient
pérature importe principalement lors de la ges- chez la femelle après soixante-dix jours de gesta-
tation. Pouvant durer, selon l’espèce, de trente à tion et l’incubation dure quarante jours.
cent jours, elle voit à terme les reptiles pondre et Particularités : le venin de l’ophide est très
dissimuler leurs œufs. Durant cette incubation, virulent. Une morsure s’avère capable de tuer en
une température trop basse ou trop haute et c’est homme en moins de trois minutes, sans aucun
l’intégralité d’une couvée qui peut dépérir. La antidote connu. Par chance, quand il se sent me-
question de l’alimentation demeure elle aussi la nacé, le serpent sécrète avec ses glandes posta-
plus problématique. Dans un monde de pénuries, nales une odeur infecte terriblement répulsive
il est difficile de fournir aux serpents les quanti- qui signale sa présence et permet de limiter les
tés de proies (insectes et rongeurs) nécessaires à accidents. Certains traversiers, très rares, par-
leur plein développement, même si leur lente di- viennent à dresser les jeunes spécimens. Ils leur
gestion permet heureusement de limiter le gas- apprennent à se lover le long de leurs avant-bras
pillage. Enfin, malgré la vigilance des éleveurs, et à attaquer une cible à leur signal.
les accidents ne sont pas rares. Il suffit qu’un spé-
cimen s’échappe pour que plusieurs villageois ne
courent le risque d’être mordus. Les rebouteux ‌Du colimbre
ont bien mis au point quelques antidotes, mais Ce serpent élancé atteint en moyenne cinq à six
encore faut-il qu’ils soient administrés à temps. mètres de long une fois adulte. Sa teinte oscille
du jaune au vert et il arbore des complexes mo-
tifs dorsaux qui s’étendent jusqu’à l’arrière de sa
‌De l’élaphe tête. Ces derniers changent légèrement de cou-
D’une couleur brune mouchetée de jaune- leur en fonction des teintes de l’écryme. Ce mi-
orange, ce serpent nocturne aux écailles vis- métisme devait servir à l’origine de technique de
queuses mesure en moyenne un mètre cin- camouflage. Arrivé à maturité sexuelle au cours
quante pour près d’un kilo. Dépourvu d’yeux, de sa deuxième année, la gestation dure plus de
il se repère uniquement grâce aux odeurs. La fe- deux lunes à l’issue duquel la femelle déposera
melle est mature sexuellement à partir de la deu- une quarantaine d’œufs. Très lente, l’incubation
xième année. Cinquante jours de gestation sont dure trois lunes.
nécessaires pour produire une dizaine d’œufs. Particularités : en captivité, les colimbres
L’incubation dure quant à elle soixante jours. peuvent atteindre l’âge de vingt ans. Malgré leur
Particularités : l’élaphe se révèle bon grim- grande taille, ils se nourrissent très peu en rai-
peur, ce qui le rend doué pour les évasions. C’est son de leur digestion excessivement lente. Un rat
l’un des derniers serpents à se trouver à l’état leur permet de tenir une semaine et cinq insectes
sauvage sur les traverses et aux abords des cités. une journée. De plus, ce sont les seuls reptiles
Heureusement, son venin est peu virulent et est de la Toile qui acceptent de se nourrir de proies
souvent utilisé comme purgatif. Son excellent mortes et de charognes. Ce sont donc de loin les
odorat a enfin amené les mineurs à s’en ser- plus rentables à élever.

41
‌Où les insectes nourrissent ‌L’avenir dans la peau
les serpents La peau des colimbres est extrêmement
Pour nourrir les serpents, les élevages d’in- précieuse. Une croyance répandue sur les
sectes sont plus rentables que ceux de rats ou de traverses veut qu’il soit possible de lire l’ave-
pigeons. Non seulement, leur cycle de vie est ex- nir dans les motifs ornant leurs écailles.
trêmement rapide, mais leur apport nutritionnel Selon les diseurs de bonne aventure,
s’avère colossal. De plus, ils accroissent les capa- le nombre d’arabesques a une influence.
cités de recyclage de l’homme. Les insectes étant Pair, un événement heureux surviendra
pour la plupart détritivores, ils mangent tout type durant la teinte en cours, impair, il s’agi-
de nourriture ou résidus végétaux. En raison des ra d’un malheur. Si la forme se rapproche
fréquentes pénuries, les déchets ne sont donc d’un carré, elle concernera une réalisa-
plus jetés dans l’écryme, mais leur sont systéma- tion, un acte fort. Un triangle indique
tiquement réservés. Certaines communautés en- une possession ou une création effectuée
core peu suivies vont jusqu’à donner les cadavres avec calme. Le cercle annonce un projet,
en pâture aux insectes, ce qui est très mal vu de une potentialité non exploitée. Un croise-
l’aragone pour qui les morts doivent être confiés ment entre deux formes prédit quant à lui
à l’écryme. un échange. Enfin, la couleur même des
Deux types d’élevage se sont distingués. arabesques porte une signification. Verde
concerne une possibilité ou un risque ma-
tériel. Sanguine touche aux relations affec-
‌Les grillons tives avec autrui. Rouille renvoie au travail
Ils constituent l’un des élevages les plus et Morte aux opportunités ou aux difficul-
simples à pratiquer. En effet, une récolte suffi- tés de dominer la matière par l’esprit.
sante pour nourrir une bonne quantité de rep-
tiles est obtenue en peu de temps. Les coûts
restent bas et l’entretien est quasi inexistant, si
bien que de nombreux éleveurs de reptile pos- faire du fourrage pour les serpents en raison de
sèdent des « cages à grillons ». Similaires aux leur reproduction extrêmement rapide.
vivariums, ces dernières doivent être elles aussi La croissance larvaire dure six mois au cours
chauffées, car ces insectes aiment la chaleur et desquels les larves subissent six mues. Une fois
la lumière du soleil. adultes, un couple peut produire entre soixante-
Étant donné qu’ils se déplacent en marchant ou dix et cent mille descendants en un an, si les condi-
en faisant de petits bonds, mais qu’ils ne volent tions sont favorables. Et leur durée de vie peut at-
pas, il n’y a pas besoin de fermer les cages, sim- teindre deux ans ! Pour l’éleveur, le contrôle de
plement de construire des parois suffisamment la reproduction des blattes s’obtient de diverses
hautes. Seul le bruit causé par le « chant » des manières. Pour la ralentir, il suffit de faire consom-
grillons peut présenter un désagrément. Enfin, mer les adultes afin de réduire les naissances.
ils se nourrissent de n’importe quel reste de végé- Diminuer la nourriture (une fois par semaine) ou
tation, si possible encore humide. La plupart du les mettre dans un endroit plus frais, décroît leur
temps, on leur réserve les mousses et mucus qui rapidité de croissance et de reproduction. À l’in-
se développent dans les mycotières. verse, si les températures montent trop, leur repro-
duction devient endémique et hors de contrôle.
Même si elles supportent la chaleur et le
‌Les blattes froid, les blattes préfèrent les endroits humides
Les hommes ont longtemps tenté de se débar- tels que les égouts. Les mycotières traversières,
rasser des blattes. Désormais, ils cherchent à les avec leur détritus végétaux jonchant le sol, leur
élever, parce qu’elles se reproduisent facilement, conviennent donc parfaitement. À ce régime, on
sont très résistantes et non cannibales (elles leur adjoint bon nombre de détritus ménagers
mangent cependant les cadavres de leurs congé- qui font également office de fertilisant pour les
nères). Mais contrairement aux citadins qui ont champignons.
appris à en être friands, les traversiers ne consom-
ment pas ce type d’insectes. Ils se contentent d’en

42
‌L e souverain brûlé
Déposition de M. Alfred Buldock, 36 ans, poète aérien à Éole depuis 12 ans.
Enregistrée par l’officier crépusculaire Fosthar, à Venice.

C’était il y a environ deux semaines, je dirais. J’ai un peu perdu la notion du temps
pendant que j’étais enfermé dans ma cellule volante… Voilà, alors que je terminais
ma journée de répétition au palais des vents - une journée habituelle somme toute - je
rentrais chez moi quelque peu fourbu. C’est au détour d’une ruelle peu fréquentée, à
la faveur de la nuit tombante, que des individus cagoulés m’ont soudainement cerné
en me menaçant avec leurs dagues. Malgré la faible luminosité, j’ai été tout de suite
frappé par certains visages boursouflés et autres doigts racornis. Loin de me laisser
effrayer cependant, j’opposai une vive résistance, mais fus traîtreusement assommé !
Je ne saurais dire combien de temps s’est écoulé avant que je reprenne conscience
dans une cellule étroite à la chaleur étouffante. J’avais les mains liées par une lourde
chaîne et mes effets personnels avaient disparu.
Considérant la structure métallique de mon réduit ainsi que le bruit sourd qui m’en-
vironnait, j’en ai vite déduit que je me trouvais à bord d’un dirigeable. Je ne vous
cacherai pas qu’à ce stade mon angoisse était montée d’un cran alors que je m’inter-
rogeais sur les raisons de ma captivité. Je me débattis, hurlais pour qu’on me fasse
sortir. Sans résultat. Je pense que plusieurs jours ont passé pendant lesquels le diri-
geable semblait s’arrêter de temps à autres, quelques heures tout au plus, avant de
reprendre sa route. Ne constatant aucune évolution à mes conditions d’enfermement,
je me laissais aller au désespoir, quand un vacarme se propagea de loin en loin dans
la coursive. Je compris alors qu’on extirpait de cellules voisines, d’autres bougres par-
tageant mon sort. Je n’étais donc pas la seule victime d’enlèvement !
Rapidement, on vint me chercher, moi aussi, pour rejoindre la masse. J’estime à en-
viron une vingtaine les hères présents, manifestement de tous bords et de tous hori-
zons. Hommes comme femmes, à partir de l’adolescence selon moi. Certains d’entre
eux semblaient sous l’effet de psychotropes. Mais je ne pus constater cet état de fait
qu’après de longues minutes pendant lesquelles mes yeux se réhabituèrent à la lu-
mière du jour qui transparaissait à travers les hublots épars. Durant ce laps de temps,
on nous mena sans ménagement dans une grande pièce parée de riches tentures et
autres tapis, tous d’une couleur ocre sombre aux liserés noirs. De part et d’autre de
la pièce, des hommes et femmes portaient des robes de bure en partie déchirées, qui
laissaient apparaître ce que je pris d’abord pour des difformités. Il n’en était rien en
réalité. Les oreilles bouffies, les bouches boursouflées, les doigts manquants, les dos
atrocement scarifiés avaient une toute autre origine, je le compris plus tard.
Vous pensez sans doute que je déraisonne, mais honnêtement, je doute qu’aucun
individu ne puisse imaginer pareille mise en scène. Non, pour moi, la terrible expé-
rience que j’ai vécue prouve hélas trop bien que la réalité sait très bien dépasser le
fantasme. Car je ne vous ai pas encore parlé du… monstre abject qui siégeait au fond

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de la salle. Recevant les hommages de tous les mutilés, il se tenait, entièrement nu,
sur un trône de cuivre, soutenu par d’énormes coussins de velours rouge. Une véri-
table vision de cauchemar ! L’individu, un homme, vu sa morphologie et sa voix, se
réduisait à ce qu’on appelle un homme-tronc.
J’ai déjà entendu dire que certains ouvriers grièvement accidentés pouvaient sur-
vivre, parfois au prix de la perte d’un membre, mais là, c’était incroyable ! Il n’avait
ni jambes, ni bras et le reste de son corps était entièrement recouvert de brûlures
horribles, dont les hideuses boursouflures évoquaient plutôt l’action de l’acide que
des flammes. Je remarquai également que les personnes les plus proches du souve-
rain brûlé, comme je l’appelle, étaient celles qui portaient le plus de stigmates : j’ima-
gine des blessures faites avec des lames trempées dans l’écryme, de celles qui ne
guérissent jamais. Je crois même avoir aperçu des moignons purulents sur lesquels
grouillaient des larves immondes ! Plusieurs de mes camarades d’infortune n’ont pas
supporté la puanteur rance de nos geôliers. Certains se sont évanouis, d’autres ont
été pris de vomissements…
Par la suite, ils nous ont forcés à nous agenouiller devant le trône, avant d’entonner
un chant rauque consistant en une note unique s’extirpant de leurs gorges contre-
faites. Son qui me fit frissonner jusqu’aux os. C’est alors qu’un des moines noirs sortit
une dague et entailla l’homme enchaîné qui se tenait juste à côté de moi. Je crus que
le chant funeste était en fait notre requiem. Il n’en fut rien en ce qui me concerna.
Un à un, nous fûmes tailladés et, à chaque reprise, on apporta la lame ensanglantée
au souverain brûlé pour qu’il y lèche la substance vitale. À chaque reprise il hocha la
tête en signe d’approbation, sauf pour mon cas. Je ne me l’explique pas encore, mais
je fus le seul à recevoir un signe négatif. On m’écarta donc prestement du groupe.
Au terme de notre supplice, le chant infernal cessa. Une femme qui se tenait
jusqu’ici à la droite du trône s’avança pour annoncer à l’assistance qu’un nouveau
sacrifice au dieu liquide allait pouvoir être réalisé. Et c’est sans plus tarder qu’on
fit avancer mes compagnons d’infortune sur une planche suspendue au-dessus de
l’écryme. Ils y furent précipités sans pitié, au milieu des pleurs et des cris, alors que
la femme faisait reprendre une sorte de prière à ses comparses.
Les souvenirs de ces instants d’horreur, de l’indicible frayeur que j’ai ressentie, ont
altéré ma mémoire, je le crains. Des prières, je ne me rappelle que de l’évocation des
porteurs du don, des voleurs mystiques, que ces serviteurs du dieu liquide lui sacrifie-
raient afin de le contenter. Je crus comprendre que, selon eux, ces sacrifices permet-
taient à leur dieu de retrouver sa force afin qu’il recouvre jusqu’aux cités hérétiques.
J’imagine qu’il voulait parler de l’écryme, mais je ne saurais être affirmatif, tant leur
folie était manifeste. Difficile d’affirmer si la logique de ces aliénés peut être appré-
hendée. D’autant que c’est pendant qu’on jetait mes pauvres compagnons par-dessus
bord que je découvris enfin d’où provenaient les blessures de nos tortionnaires. Dans
une vasque en pierre, certains d’entre eux plongeaient volontairement leur membre
- main, pied, menton - pour brûler leurs chairs. C’était bel et bien de l’écryme que
contenait la vasque ! La couleur du liquide ne laissait aucun doute sur sa nature. À
la vue d’une telle horreur, entre les cris de détresse et la puanteur des brûlures, je
perdis alors connaissance.

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À l’issue de cette cérémonie funèbre, un éfourceau m’a simplement déposé sur une
traverse menant à Venice, alors que je reprenais mes esprits. À l’heure actuelle, je ne
comprends toujours pas leur geste à mon égard, même si je suis évidemment extrê-
mement soulagé d’avoir été épargné. Et je n’ai pas vraiment pris le temps de m’inter-
roger sur la chose, car il m’a tout de même fallu plusieurs jours à pied, dans un état
physique et psychique déplorable, pour rejoindre un relais. Fort heureusement, j’y
ai croisé la route d’une caravane qui m’a pris sous son aile pour me mener jusqu’à la
cité des doges. Là, des crépusculaires m’ont pris en charge et mené à la Préfecture,
afin de prouver mon identité aux autorités. La réponse au télégramme que j’ai envoyé
à Éole vous aura d’ailleurs sûrement rassuré sur ce point, je pense.
Quant à la personne que vous avez mentionnée plus tôt : cette jeune femme blonde,
la vingtaine, plutôt bien faite de sa personne et portant une robe dans les tons verts
ainsi qu’une opale en pendentif autour du cou, c’est bien ça ? Eh bien, comme je vous
l’ai déjà dit, mes souvenirs sont flous, mais oui, il est possible que je l’aie croisée du-
rant ma brève captivité.

Note personnelle concernant cette affaire : les éléments rapportés par M. Buldock peuvent
avoir été altérés par l’administration de drogues qu’il aurait reçue à son insu. Il n’a pas
été clair sur ce point. Pour autant, un certain nombre de facteurs sont communs à d’autres
témoignages recueillis par différents collègues de la ville, regroupés sous le terme : écry-
macabre. J’espère en apprendre davantage sur cette affaire, mais les dernières nouvelles
ne laissent présager rien de bon quant au destin de Gwalden. S’il s’agissait bien d’elle. Ma
chère sœur, je t’espère saine et sauve, mais s’il devait s’avérer qu’on a mis fin à tes jours,
je n’aurais de cesse de retrouver les coupables. À moi de faire en sorte que la Préfecture
s’intéresse plus avant à cette histoire de rapts.

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MÉCANISMES SUPPLÉTIFS
Le corps qui percute la surface, la sensation de s’enfoncer dans une huile tiède et la fumée, cette fumée noire et
grasse qui s’élève presque aussitôt de vos vêtements rongés par l’acide. Le drame se joue en moins d’une vingtaine
de secondes. Accepter de se dresser à la verticale, de laisser ses jambes disparaître sous l’écryme. Retenir sa
respiration pour éviter d’inhaler la fumée, croiser les échasses et, d’une torsion étudiée, s’arracher à l’étreinte
poisseuse. Se déshabiller enfin, sans perdre un instant. Conserver son équilibre, retirer ses bottes qui fondent à vue
d’œil, semées de cloques, les jambières de protection, la vareuse, les gants… Se retrouver nu, l’esprit tétanisé, le
corps tremblant, le regard hébété, tandis que votre uniforme achève de se consumer à la surface.

Vous l’aurez sans doute remarqué, mais Écryme nution de jours égale à leur score en Écrymologie
s’encombre d’assez peu de règles. En voici ou en Traversologie).
quelques-unes qui sont autant des conseils que
des éléments destinés à donner vie à certaines
spécificités de l’écryme et des traverses. ‌Lunatisme traversier
Afin de gérer au mieux le lunatisme traversier

‌Agoraphobie et son « effet d’emportement », il faut le considé-


rer comme un élément d’ambiance et comme un
À moins d’être traversiers ou d’avoir un histo- obstacle à surmonter.
rique qui légitime une expérience des traverses, En tant qu’élément d’ambiance, il s’agira
les personnages joueurs gagnent tous le Trait de présenter des situations surprenantes aux
Agoraphobe (-1) lorsqu’ils quitteront pour la pre- joueurs et propices à créer du jeu et emmener vos
mière fois une cité. ballades dans des directions inattendues (ap-
S’il s’applique à tous les jets, ce malus est tempo- ports d’informations, choix à faire, dilemmes à
raire et disparaîtra après 5 jours (avec une dimi- surmonter, conséquences à supporter, etc).

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Imaginons par exemple un seigneur traversier portent les méthodes employées (arguments,
capricieux qui désire sur un coup de tête emme- gestes ou actions). Si elles se révèlent adéquates,
ner les joueurs chasser le hurleur, alors que ces le problème se résorbera, sinon il empirera.
derniers doivent se rendre à un rendez-vous ca-
pital convenu précédemment. Oseront-ils contra- Un peureux doit être rassuré : accompagne-
rier le nobliau ? ment, démonstration, aide…
L’obstacle quant à lui peut être symbolisé par une
Difficulté à dépasser, voire une Confrontation so- Un colérique doit être calmé : paroles apai-
ciale dans les situations les plus tendues. Il faut santes, diplomatie, respect…
tenir compte du caractère de la personne luna-
tique (aux conteurs de l’interpréter) et de l’émo- Un envieux doit être rassasié : gages, (fausses)
tion qui est en train de la submerger. Peu im- promesses, connivence, etc.

CRÉER SON AÉROSTAT


Cette aide de jeu donne les outils pour créer
votre aérostat et le lancer à l’assaut du ciel.
Exemples
Choisir un nom et des Traits Le Protecteur a « Un équipage entraîné au
sauvetage » (+1) et est « Très résistant » (+2),
Les aérostats portent des noms évocateurs. Ces mais en contrepartie il est « Lent » (-1).
derniers ont un impact décisif, car ils confèrent
aux appareils des Traits positifs et négatifs (fonc- Le Kraken bénéficie de « Nombreux grappins
tionnant comme les Traits des personnages). facilitant les abordages » (+1) et il « Arrive à se
Leur somme ne doit pas excéder +2. Pour créer faufiler partout » (+1).
ces Traits, pensez par analogie. Le Diamant a « Une coque couverte de mi-
Exemples de noms : L’Adroit, L’Arrogant, Le roirs pour aveugler ses adversaires » (+1), il est
Défenseur, Le Diamant, L’Écueil, Le Fulminant, Le « Solide » (+1) et possède « Une proue acérée »
Furtif, Le Gaillard, Le Grand, L’Intrépide, L’Invincible, (+1). Hélas, « Son matériel de bonne qualité at-
Le Kraken, Le Léger, Le Magnanime, Le Magnifique, tire les pirates avides de richesses » (-1).
Le Modéré, L’Opiniâtre, L’Orgueilleux, La Perle, Le
Phénix, Le Prompt, Le Protecteur, Le Puissant, Le Le Fantasque « Apparaît où on ne l’attend
pas » (+1) et « Sa coque légère facilite des acro-
Robuste, Le Terrible, Le Tonnant, Le Triomphant, Le
baties insensées (+1).
Victorieux, Le Volontaire, Le Zéphyr…
Sur le Magnanime, « L’équipage est très nom-
breux » (+2), car les prisonnier sont bien trai-
Déterminer l’armement tés et acceptent de s’enrôler, et « Il n’y a jamais
Tous les aérostats disposent d’un armement, fût- de mutinerie à bord » (+1). En revanche, « Les
il léger. En plus des armes de l’équipage (sabres, ordres circulent lentement » (-1).
fusils, pistolets, etc.), on dénombre des pièces Le Fulminant a « Des canons dévastateurs »
d’artillerie. Sur les aérostats militaires, leur quan- (+2), mais pour compenser leur poids « Sa coque
tité varie en fonction du nombre d’étages (une légère n’apporte qu’une faible protection » (-1).
centaine quand il y a trois ponts, soixante-dix Heureusement, « Sa vitesse de croisière reste éle-
quand il y en a deux et une cinquantaine quand vée » (+1).
il n’y en a qu’un). Sur les appareils marchands, le
nombre varie entre dix et trente en fonction de
la richesse et la paranoïa des konzerns. Enfin, les Incidence +5 : couleuvrine, canon.
dirigeables civils ne disposent ordinairement que
de quelques pièces (entre cinq et vingt), selon les Grappin : cette arme ne fait pas de dégâts,
moyens du bord. mais elle permet d’agripper un appareil et de se
rapprocher de lui afin de tenter un abordage.

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Combattre dans Les Impacts superficiels (Incidence de 1-2)
se limitent à des turbulences, des éraflures sur la

un dirigeable coque, aucune perte à déplorer, un équipage au


moral quasi intact.
Les combats de dirigeables fonctionnent exacte-
ment de la même manière que des Confrontations Les Impacts légers (Incidence de 3-4) ren-
standards : les personnes engagées doivent répar- voient à des fissures négligeables dans la coque
tir ce qu’elles entreprennent entre l’Accomplisse- ou le ballon, à des hélices légèrement tordues à
ment et la Préservation. En l’occurrence, il s’agit un équipage plus hésitant et à quelques blessés lé-
des moyens employés pour vaincre l’appareil ad- gers (foulures, fractures, étourdissements, etc.).
verse ainsi que les actions tentées afin de préser-
ver l’intégrité de son propre dirigeable. Les Impacts graves (Incidence de 5-6) se rap-
portent à des fissures importantes, des débuts
d’incendie, des crises de panique, des personnes
Qui fait quoi ? gravement blessées voire dans le coma. Le diri-
Au préalable, il est vivement recommandé geable subit un malus de -2 à tous ses jets jusqu’à
que les personnages joueurs décident ce qu’ils ce qu’il soit réparé.
vont faire dans le dirigeable. Les Compétences
qu’ils emploieront durant le combat aérien Les Impacts majeurs (Incidence de 7-8) cor-
sont les leurs. Conduite avec la Spécialisation respondent à des avaries terribles (des brèches
adéquate permet de piloter l’appareil, de dé- dans la coque ou le ballon, des incendies rava-
terminer la meilleure stratégie à adopter et de geurs, des hélices inutilisables), des équipages
tenter les manœuvres qui s’imposent. Anthropo- décimés ou des situations incontrôlables (déser-
mécanologie aide à faire des réparations d’ur- tions, embryons de mutinerie, etc.). L’aérostat
gence. Soigner les blessés se fait à l’aide de subit un malus de -4 à tous ses jets jusqu’à ce qu’il
Traumatologie. Pour utiliser les canons, il faut soit réparé. La fin paraît proche.
faire appel à Tir. Se déplacer alors que l’aérostat
tangue ne peut se faire qu’en puisant dans son
Athlétisme… Les appareils ennemis
Les Traits de l’appareil fonctionnent comme En ce qui concerne l’appareil ennemi, les règles
des bonus/malus auxquels les personnages de rejets sont vivement recommandées afin de
peuvent faire appel quand ils sont adéquats. faciliter le travail du conteur et rendre l’affron-
tement le plus palpitant possible. Ce résultat au-
tomatique varie en fonction du tonnage de l’ap-
La résolution pareil :
Chaque appareil est doté de trois jauges d’Im-
pact. Elles sont identiques aux échelles indivi- +7/+7 : pour un appareil parfaitement
duelles des personnages et fonctionnent de la moyen, capable autant d’attaquer que se dé-
même manière. fendre.

Le Physique correspond aux aspects tech- +10/+4 : pour un appareil tourné vers l’at-
niques (les protections, la maniabilité). taque, sans doute rapide mais mal défendu.

Le Social renvoie à la santé de l’équipage +5/+9 : pour un appareil à la coque épaisse,


(blessures, morts). mais lent à la manœuvre et aux canons de faible
portée.
Le Mental traite du moral de l’équipage (ex-
périence, motivation, fidélité). +10/+10 : les dernier dirigeables de guerre
Dans le cadre d’un combat aérien, les Impacts éoliens ou istaniens dont la simple vue terrorise
correspondent aux dégâts occasionnés par les les pirates.
Accomplissements réussis. Il revient au capitaine
de choisir la jauge dans laquelle l’Incidence qu’il
subit va s’appliquer.

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‌L a boutique
d’Honoré
Le conducteur du vélocipède avançait lentement, traînant derrière lui une légère
carriole qui sursautait à chaque renfoncement de la traverse. Après un dernier cahot,
il s’arrêta le long du parapet, à la hauteur du onzième pilier et mit pied à terre. Il
portait un long manteau sombre, élimé par les vapeurs corrosives, qui arborait l’in-
signe de la Loge télégraphiste au revers du col. Son visage portait encore la marque
de l’enfance et malgré tous ses efforts, il ne parvenait pas à faire oublier sa faible
expérience.
Il regarda autour de lui. La traverse était déserte. Une brise légère portait à ses
narines les effluves de la mer acide, une dizaine de mètres plus bas. D’immenses
poutres métalliques sortaient du granit pour soutenir la voie ferrée située un niveau
au-dessus de la traverse en pierre. Elles formaient de grandes arches sur lesquelles
scintillaient les rayons du soleil couchant. Au loin, un dirigeable amorçait son ap-
proche vers un invisible débarcadère.
Le magasin de curiosités d’Honoré se situait, selon les indications que Rafael avait
reçues, le long de cette colonne de fer qui, vue d’en dessous, ressemblait à une véri-
table tour. J’ai commandé des pièces pour réparer le deuxième relais de la jonction.
Honoré m’a promis qu’elles seraient disponibles aujourd’hui. Son échoppe se situe
au niveau du onzième pilier. Prend la draisienne et rapporte-les-moi, sans oublier de
faire signer le reçu, lui avait ordonné son supérieur. Ayant été récemment nommé
sur cette portion traversière à proximité de la gare de Trévière, le jeune homme avait
scrupuleusement obéi. Cette simple course lui parut une véritable expédition, tant
l’environnement était nouveau pour lui.
Après un rapide coup d’œil, Rafael aperçut une arche de fer forgé. Le jeune télé-
graphiste franchit le palier et découvrit un escalier en métal qui prenait naissance
dans l’ossature de la trame supérieure et qui s’enfonçait vers l’écryme, le long du
pilier de pierre. Après une brève, mais abrupte descente sur des marches grillagées
qui laissaient entrevoir la surface écarlate de l’acide, Rafael atteignit finalement une
terrasse soutenue par une improbable architecture de fer, dont la base semblait être
léchée par la mer visqueuse. L’entrée de la boutique consistait en une double porte
vitrée dont l’un des battants était resté ouvert, laissant deviner un impressionnant
capharnaüm logé au cœur du soutènement de la traverse.
Rafael se trouva bientôt entouré d’objets divers, dont il devinait parfois avec peine la
fonction. Il reconnut un certain nombre de systèmes mécaniques éventrés, des vases
de porcelaine qui semblaient provenir des seigneuries traversières d’Olmune, des
outils de Méthalume (postes à souder, instruments de mesure…), mais aussi des pa-
rapluies, une pile de masques à gaz, un alambic, un scaphandre et même une courte
étagère de livres. Néanmoins, bien des ustensiles conservaient leur part de mystère.

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Pendant qu’il s’interrogeait sur l’utilité de ce qui semblait être une lunette graduée,
un petit homme à la chevelure dégarnie fit son apparition. Il tenait dans ses bras une
caisse qu’il peinait à porter. Il la posa sur un comptoir que Rafael n’avait pas deviné
jusqu’alors, tant il était recouvert d’une multitude de babioles de verre. Celles-ci s’en-
trechoquèrent avec bruit quand il les repoussa. Puis l’homme commença à en étudier
le contenu. Rafael restait immobile et silencieux, attendant qu’on le remarque. Mais
le vieil homme était absorbé par sa tâche. Il allait donc se signaler et esquissa un
geste quand, sans lever la tête, le boutiquier s’adressa à lui : Vous cherchez quelque
chose de particulier ? Le jeune homme tressauta de surprise.
Comme il ne disait pas un mot, le tenancier se redressa, ajusta ses lunettes et finit
par le dévisager : Approchez ! Je suis Honoré, pour vous servir, Monsieur… ? Rafael
s’approcha et le commerçant aperçut alors son insigne : Ah, vous venez au nom de la
Loge télégraphiste de la jonction de Trévière ? Rafael eut à peine le temps d’acquies-
cer que l’homme tendait déjà la main. Sur une plaque de cuivre, il lui montra alors
le bon de commande dument certifié qu’il avait commencé à sortir nerveusement de
la poche de sa veste. Honoré l’examina rapidement. Oui, je crois que j’ai tout reçu.
Suivez-moi.
Ils quittèrent ensemble la boutique par un passage qui menait à une petite pièce
assez sombre. Rafael aperçut une ampoule suspendue au plafond, mais Honoré ne
prit pas la peine de l’allumer. Il traversa sans s’arrêter ce vestibule dédié à diverses
œuvres d’art volumineuses. Ils débouchèrent ensuite sur une large pièce, magnifi-
quement éclairée par une grande verrière, dont le sol était grillagé. Elle était emplie
d’objets de toutes sortes dont l’empilement avait des allures de colonnes. Rafael en eut
le tournis : horloges, étoffes, flacons au contenu mystérieux, poupées, phonographes
de toutes les époques et même, en son centre, à l’écart de toutes les autres marchan-
dises, un meuble de bois, protégé par une cage massive.
En gravissant quelques marches, Honoré conduisit alors le jeune homme vers une
pièce entièrement garnie de disques et de plaques gravées. Le plafond y était déco-
ré de moulures délicates à la dorure écaillée. Ils la traversèrent aussi vite que la pre-
mière et pénétrèrent dans une autre salle aux dimensions identiques. Les rayonnages
supportaient cette fois ci de la vaisselle et des accessoires de cuisine. Ils descendirent
ensuite un petit escalier et franchirent deux nouvelles pièces, toujours aussi garnies
: l’une contenait des vêtements et l’autre des minéraux et des métaux. Rafael était
subjugué par les formes et les couleurs des échantillons, mais il ne put s’attarder.
Sans l’attendre, Honoré avait disparu dans une ouverture sur la gauche. Il le rattra-
pa dans la pièce suivante, puis ils s’enfoncèrent dans un couloir sombre pour ressor-
tir sous l’étage où Rafael avait aperçu l’imposante cage qui protégeait le meuble de
bois. Quel labyrinthe !
À intervalle régulier, Honoré s’emparait d’un objet et le glissait dans un gigantesque
sac de jute, avant de vérifier à nouveau le bon de commande et de repartir de plus
belle. Ils franchirent enfin un dernier seuil. La salle aux murs décorés de bas-reliefs
à la gloire de l’industrie était consacrée aux pièces mécaniques. Assez rapidement,
le propriétaire mit la main sur le modèle qui l’intéressait, avant de lever les yeux

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au-dessus de la porte. Rafael suivit son regard et découvrit une petite ampoule rouge
qui clignotait. Un nouveau client, dit-il simplement et il se dirigea vers la porte, por-
tant le sac grâce sur un petit diable.
Honoré zigzaguait sans hésiter entre les étagères et Rafael resta concentré pour ne
pas se laisser distancer. Au bout de quelques minutes, ils regagnèrent la pièce d’ac-
cueil. Là, un homme grand, aux favoris longs, vêtu à la mode citadine, se tenait de-
bout près du comptoir. Lorsqu’il le vit, Honoré changea d’attitude, sans qu’on puisse
savoir pour autant ce qui lui traversait l’esprit. Ce n’était ni de la peur, ni du respect,
mais un spectateur attentif aurait pu déceler une forme de préoccupation, comme
si la seule irruption de cette homme signifiait qu’une affaire sérieuse allait débuter.
Rafael ne fut pas étonné, quand Honoré lui tendit le sac contenant l’intégralité de
sa commande et l’invita à sortir, car il allait fermer. Il laissa donc les deux hommes
après un salut poli, emportant sur son épaule le lourd chargement. Le jeune homme
remonta prudemment les marches. Ce n’est qu’une fois en haut, alors qu’il apercevait
un cheval attaché à quelques mètres de l’arche métallique, qu’il réalisa qu’il n’avait
pas demandé de reçu !
Après avoir déposé avec délicatesse le sac dans sa remorque, il fit demi-tour et se di-
rigea d’un pas décidé vers la boutique. La porte d’entrée était close, mais une simple
pression sur la clenche suffit à Rafael pour l’ouvrir. Il poussa le battant et héla d’une
voix hésitante. Personne ne répondit. Il appela encore en ouvrant plus grand la porte
et pénétra finalement dans la salle d’accueil. Le télégraphiste ne se sentait pas à sa
place. Il commençait à se demander s’il avait bien fait de redescendre et d’entrer sans
y avoir été de nouveau invité. Malgré tout, il se dirigea vers le hall sous la verrière.
L’endroit était encore plus impressionnant que tout à l’heure. Seul parmi la multi-
tude d’objets, Rafael déambula, non sans, cette fois ci, prendre le temps de se repérer.
Rafael examina la grande salle. Il s’assura d’abord du chemin qu’il avait parcouru,
puis inspecta les méandres formés par les allées du bazar à la recherche du bouti-
quier. Il n’était nulle part. Dans la partie nord se trouvait cependant une ouverture
identique aux autres, à l’exception du fait qu’un lourd rideau isolait la pièce sur la-
quelle elle s’ouvrait. Des appartements privés sans doute, pensa Rafael.
Face au rideau, il appela une nouvelle fois le propriétaire. Finalement, il écarta la
toile et découvrit une salle avec une voûte en berceau au plafond. On pouvait y ad-
mirer un atelier de restauration. Tournevis, peintures et divers produits chimiques
servaient à redonner vie aux objets qui échouaient ici. Sur le mur du fond, un esca-
lier s’enfonçait dans la pénombre. Mû par la curiosité, Rafael descendit les premières
marches. Au bout de quelques mètres, il entendit des voix. Il reconnut aisément la
première : c’était celle d’Honoré.
— « Ne vous inquiétez pas. Si vous avez suivi mes consignes, mon récupérateur ra-
mènera incessamment votre bagage.
— J’ai pris mes précautions avant de jeter ma valise dans le vide, comme vous me
l’aviez indiqué. Mais comment votre homme a-t-il pu la ramasser ?
— « Nous avons installé un système de filets sous la portion traversière que je vous
ai indiquée. C’est fou ce que les gens laissent tomber du train… En parlant du loup,
voici notre homme qui arrive par l’écryme. Allons l’accueillir comme il se doit ! »

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Les voix s’éloignèrent un peu et au lieu de rebrousser chemin, Rafael s’engouffra
à leur suite, mû par la curiosité. Il glissa un œil et vit une ouverture sur l’extérieur.
L’écryme s’étalait juste devant les deux hommes qui regardaient un échassier s’ap-
procher.
— « N’ayez aucune crainte, la Propagande ne verra jamais ce que contient votre va-
lise. »
L’échassier progressait lentement. On distingua bientôt plus précisément sa sil-
houette, toute sanglée de cuir. L’homme aux favoris exprima son soulagement lors-
qu’il aperçut son bagage. – « Je vous l’avais bien dit. Il n’y avait aucun risque. »
— « Il a un autre sac, s’interrogea le citadin.
— Oui, il arrive souvent qu’on retrouve des choses bien étranges lorsqu’on parcourt
l’écryme. Je les examine toujours avec intérêt. »
Rafael profita ensuite de l’excitation provoquée par le débarquement de l’échassier
pour filer. Lorsqu’il vit clignoter l’ampoule rouge en haut de l’escalier, il paniqua plus
encore et manqua de tomber. Heureusement qu’en bas, les deux étaient tout à leur
affaire : ils semblèrent ne rien remarquer. Le jeune homme rejoignit la salle d’ac-
cueil et essaya de paraître le plus naturel possible, persuadé d’être suivi de près par
Honoré et ses compagnons. Il n’en fut rien. Il attendit un long moment avant que le
vieux boutiquier ne réapparaisse. Ah, c’est vous ! Qu’y-a-il pour votre service ? Rafael
esquissa un sourire gêné avant de tendre le reçu. L’administration… se contenta de
maugréer Honoré, avant d’apposer son poinçon sur la feuille de cuivre. Il la tendit
en retour à Rafael, mais au moment où il allait s’en délester, Honoré retint le formu-
laire fermement : Elle est souvent pointilleuse, l’administration. Mieux vaut ne pas
lui déplaire… N’est-ce pas ? Le jeune garçon était déstabilisé. Il se contenta de hocher
la tête et partit prestement.
Le corps de Rafael Distromsi, jeune recrue de la Loge télégraphiste, fut retrouvé
deux jours plus tard. Il gisait près d’un pilier, le visage en partie mangé par l’écryme.
L’enquête psychologique conclut à un suicide en raison d’une inadaptation à la vie
traversière.

52
‌SUR LES DENTS
Cette ballade particulièrement mortelle sort quelque peu des sentiers battus que l’on pourra trouver par la
suite dans les parties d’Écryme. Il est donc plutôt conseillé de la jouer comme un one-shot ou un flashback.
Dans ce dernier cas, Sur les dents peut s’intégrer à Hodologie à rebours, la première ballade de la geste du
Troubadour muet, ou servir à introduire un nouveau personnage joueur.
De niveau Écryme, elle fait intervenir quelques éléments fantastiques et peut se situer n’importe où sur la Toile.
Ses titres sont constitués de jeux de mots afin de pouvoir nous en affranchir dès à présent et pour le reste de la
gamme. Nous nous excusons d’ores et déjà de la gêne occasionnée, mais, après tout, ça serait sorti tôt ou tard…

‌Où l’écryme ne paie pas pables de s’infiltrer dans les canaux d’écryme de
certaines cités ou jonctions ennemies, via le ré-
Le traité de Venice interdisant la création de seau des égouts, et à y commettre de véritables
nouvelles armes a eu de nombreuses répercus- carnages.
sions politiques. Pour beaucoup de gouverne- Pour parvenir à ce miracle, l’homme a fait appel
ments, il s’agissait dorénavant de financer en à un céphale aux ordres de l’empire lanskois :
sous-mains les recherches de scientistes renégats. Ingmar Lenko. En liant son anence à un hurleur, ce
Pour d’autres, il suffisait de contourner cet inter- dernier a fini par réussir à amalgamer une portée
dit ne touchant que les objets inanimés. C’était le pondue par l’animal au sentiment de peur tradi-
credo d’un général lanskois, Vladislav Federovitch, tionnellement véhiculé par ces reptiles. Et la mu-
finançant des recherches non seulement sur les tation tant espérée est enfin intervenue. Les petits
végétaux, mais surtout sur les animaux. sont rapidement devenus des monstres énormes,
Après de multiples échecs, le militaire s’est conformes en tous points aux hantises et aux fan-
concentré sur le mécanisme évolutif des hurleurs tasmes des citadins. Les expériences de leur po-
et leur épiderme résistant. Ancien échassier, il tentiel de destruction ayant été réalisés en pré-
connaissait les ravages faits par ces créatures sur sence de Lenko et s’étant révélées concluantes,
l’infanterie. S’il parvenait à les faire muter et à elles ont incité Federovitch à chercher de plus
devenir plus intelligents, les hurleurs seraient ca- importantes sommes pour développer le projet.

53
Pour y parvenir, il devait convaincre une majorité quer leur dirigeable (et donc nos malheureux
de hauts-fonctionnaires du ministère de la Guerre cobayes). La situation sera d’autant plus compli-
de l’efficacité de ses expériences. quée que, en coupant pour la première fois l’ani-
Son beau-frère, Evgeni Marienko, un noble mar- mal de ses attaches (le céphale et le reste de sa
chand très influent, lui a alors suggéré une idée portée), sa peur et son agressivité vont se retrou-
profitable à tous les deux : effectuer un test gran- ver démultipliées.
deur nature qu’il financerait lui-même grâce à
une caisse noire de son konzern. En échange,
il souhaitait simplement que l’expérience se dé- ‌Le cadre
roule sur une plateforme minière isolée au milieu Les ressources se faisant de plus en plus rares,
de l’écryme et possédée par un konzern concur- c’est sous l’écryme que se tournent les exploi-
rent : Karpov & Cie. Un accord gagnant-gagnant tants. Les konzerns y creusent désormais des
en somme... mais rien ne va se dérouler comme puits d’accès qu’ils surmontent de gigantesques
prévu. plateformes minières. Ces lourdes structures
Le hasard faisant souvent mal les choses, le d’acier sont constamment frappées par des vents
monstre va non seulement être libéré au moment violents et rongées par la mer acide, obligeant à
de l’arrivée des personnages sur la plateforme travailler rapidement avant que l’érosion n’ait rai-
minière, mais en plus, une forte tempête va blo- son de leurs fondations.
Les conditions de travail extrêmement pénibles
forcent les nobles marchands à recruter leur main
‌Faits et gestes d’œuvre auprès des pénitenciers locaux et à réser-
ver une partie de leurs bénéfices à la Subsistance
Plusieurs éléments en amont de l’intrigue comme pots de vin pour être en règle. Les pre-
ne seront pas directement accessibles aux mières galeries renforcées par des arcades mé-
personnes durant cette ballade et, à la talliques ont été réaménagées en chambres par
fin, plusieurs questions resteront en sus- les forçats. Les allées restantes sont devenues des
pens. Comment réagiront Federovitch et mycotières qui bénéficient de la proximité de
Marienko suite à ce fiasco ? Quels sera le l’écryme et de l’humidité ambiante. Les champi-
choix des hauts fonctionnaires lanskois ? Que gnons et les rats qui y sont élevés fournissent une
deviendra Lenko ? Et quid de son lien avec la partie des vivres nécessaires aux mineurs ainsi
portée des hurleurs ?
que l’alcool fermenté sur place.
Autant de questions qu’il vous est possible de
combler en partie pour enrichir votre geste et
L’exploitation est divisée en secteurs (hori-
permettre à votre groupe de saisir dans son zontaux) et en niveaux (verticaux). Plus leur
ensemble les machinations de Federovitch. Un nombre augmente et plus on s’enfonce dans des
élément de réponse est lié à la tension crois- méandres mal creusés, dangereux et peu stables.
sante entre le Lansk et l’Antipolie. Sentant le Le secteur 1 du niveau 1 constitue par exemple
vent tourner avec leur vieil allié, les militaires les zones aménagées en chambres alors que le
lanskois pourraient malgré tout accorder une secteur 3 comprend le grenier et les mycotières.
seconde chance au général et le laisser pour- Le secteur 2 du niveau 5 n’a pas encore d’électri-
suivre ses expérimentations. En effet, tout est cité et l’on creuse avec l’aide de miroirs qui réflé-
bon à prendre si l’empire devait se retrouver chissent la lumière de la surface. L’air y est chaud
seul. D’autres tests similaires à celui de la bal- et extrêmement humide. De manière générale,
lade risquent bien d’avoir lieu, mais avec des
les secteurs sont reliés entre eux par des coursives
garde-fous plus marqués, notamment la pré-
sence dans les parages du céphale Lenko. Pour
équipées de rails pour les extractions alors qu’on
ce dernier, l’enjeu sera d’autonomiser le plus accède aux différents niveaux par des galeries
possible les hurleurs et de mettre de la dis- creusées dans les secteurs (servant de puits d’aé-
tance entre eux sans briser le lien qui les unit. ration) ou par le puits central abritant le monte-
Enfin, pour créer un lien entre cette ballade charge et la vis sans fin. Les tunnels et galeries
et Hodologie à rebours, le noble marchand secondaires sont généralement très bas et étroits
Evgeni Marienko peut faire partie du cartel de (on s’y déplace courbés).
l’Acier, le konzern possédant le Transécryme Les liens avec le reste de la Toile se font par
qui cherche à prolonger sa ligne jusque dans l’intermédiaire d’un dirigeable vétuste qui ef-
le Lansk. fectue un aller-retour hebdomadaire en direc-
tion de la traverse la plus proche (quelques ki-

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et la Subsistance voudront vérifier l’avancée
‌Conseils de dernière des travaux et s’assurer que les taxes sont cor-
minute rectement reversées par le konzern Karpov. La
Propagande pourrait quant à elle chercher à re-
Durant cette ballade, la tension devra être trouver un mineur en particulier pour obtenir
maintenue autour de la table. Voici quelques une information classifiée, à moins qu’un de ses
astuces visant à faciliter la tâche du conteur : hommes ne soit envoyé pour enquêter sur place
Exploiter les erreurs d’un personnage au sujet de rumeurs sur le hurleur mutant... Des
joueur, quitte à tuer l’imprudent. groupuscules assez marqués socialement, voire
Ne pas oublier les émotions des person-
même des syndicalistes ou des révolutionnaires
nages dans les descriptions (peur, stress, co-
lère, impuissance, etc.).
voulant sauver l’un des leurs, pourraient faire
Jouer sur les non-dits et laisser l’imagina- l’affaire. Un noble marchand, un mercenaire ou
tion des joueurs faire le travail. un scientiste (pour l’entretien de la machinerie)
Conserver un rythme soutenu et enchaî- ont également leur place. Enfin, un icarien ou
ner les événements afin de ne laisser aucun un pilote de dirigeable pourrait prendre la re-
temps mort. lève d’un camarade.

‌Didascalie
Cette ballade est un hommage aux films d’hor-
lomètres). Sur celle-ci circulent des caravanes reur et de suspens comme la saga des Alien ainsi
qui emportent le minerai extrait en échange des que, par bien des aspects, Les dents de la mer ou
vivres pour les mineurs. Le reste du temps, l’aé- The Thing. Un lieu clos impossible à quitter, une
rostat est amarré à la plateforme à proximité du exploration dans l’obscurité, l’humidité omni-
puits central. De grandes pompes alimentées par présente. N’hésitez pas à revoir ces classiques
de monumentales chaudières injectent l’air de la pour vous inspirer des détails et de mises en
surface dans les profondeurs de la terre pour em- scènes (en particulier Alien 3 et sa faune inter-
pêcher les intoxications des mineurs. Enfin, des lope de prisonniers).
éoliennes produisent l’électricité nécessaire à Ces films ont des structures relativement simi-
l’éclairage de la mine. Le vent cinglant, les vibra- laires : une présentation des héros et du lieu, puis
tions et le bruit incessant des machines incitent un premier mort qui lance la machinerie infer-
Alfonz Blechert, le noble marchand de basse ex- nale. Une fois la menace découverte, le but des
traction représentant Karpov & Cie, et le tech- personnages est alors de survivre, entrecoupant
nicien Baudoin Schuster à se mêler fréquemment les scènes de fuite ou de combat de nouvelles
aux mineurs. Cela a pour effet de rendre les mi- révélations sur le prédateur… et d’un bilan hu-
neurs plus familiers avec eux. main qui s’alourdit, chaque mort augmentant la
Les premières galeries ont été creusées par des tension à l’intérieur du groupe. Le final, laissé à
bagnards uniquement. Maintenant, afin d’at-
teindre un seuil de rentabilité, chaque semaine
doit amener son nouveau lot de mineurs et le
‌Des Compétences
noble marchand exploitant espère bien que les et des tests
arrivées seront de plus en plus massives.
Athlétisme intervient pour manier la pioche
et creuser, déblayer, pousser des wagons ou
‌Implications monter à une corde. Escrime transforme la
pioche en arme. Les travaux de mine (vé-
Des mineurs comme des forçats ont un rôle rifier l’état des installations, la tenue des
tout désigné dans cette ballade. La raison de galeries…) utilisent Traversologie (sauf si le
leur emprisonnement est laissée à votre discré- joueur à une spécialité mine/mineur dans
tion. Il est également possible de faire inter- une autre Compétence). Écrymologie ou
venir un représentant des ministères : un sol- Urbanotechnologie peuvent faire l’affaire avec
dat peut servir de maton ou alors chercher à un malus de -2. Enfin, Maraude permettra de
découvrir ce que mijote Federovitch (cela pré- remarquer le hurleur tapi dans l’ombre.
suppose qu’il a été mis au courant de plusieurs
éléments décrits précédemment). L’Urbanisme

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votre discrétion (et à celle de vos joueurs), pour- gines et son manque d’éducation (il ne sait pas lire)
rait être apocalyptique avec la destruction de la le blessent (Spleen). Il est doté d’un solide bon sens
plateforme et de la mine afin de tuer la créature (+1) et n’hésite pas à se débarrasser de ceux qu’il n’es-
et conclure cette ballade de manière similaire à time pas (+1).
90% de ces films. Physique : Athlétisme 1, Conduite 1, Escrime 1,
Pugilat 1, Tir 1.

‌ ù l’on rencontre
O Mental : Anthropo-mécanologie 2, Écrymologie 2,
Traumatologie 2, Traversologie 4, Urbatechnologie 4.

la crème de l’écryme Social : Argutie 5 (faire des affaires +2, com-


mander +2), Créativité 1, Faconde 2, Maraude 1,
Les personnages décrits ci-dessous servent à la Représentation 0.
fois de seconds rôles ou de personnages pré-irés.
Ils sont entourés par une petite dizaine d’autres
mineurs anonymes, des figurants destinés à ser-
vir de chair à canon. Bien évidemment, pour tous
ces prisonniers, mis à part quelques exceptions, la
loi du silence s’est instaurée d’elle-même concer-
nant leur passé. Quitter la plateforme constitue-
rait pour eux une occasion de repartir à zéro.

C ‌Baudouin Schuster c
(innocent, scientiste)
Baudouin n’a jamais vraiment brillé au sein
de la Loge de l’étaincel. Il s’est donc retrouvé
isolé sur cette plateforme, loué indéfiniment au
konzern. Étrangement, il se sent plus à l’aise loin
des complots et des intrigues qui occupent les
siens au quotidien.
Baudouin se considère comme une personne simple
avec des plaisirs simples. Il aime qu’on le reconnaisse
comme tel (Idéal), mais n’apprécie pas les remarques
ciblant son manque d’ambition ou de volonté (Spleen).
Il est calme (+1) voire détaché (+1).
Physique : Athlétisme 1, Conduite 2, Escrime 2,
Pugilat 1, Tir 2.
Mental : Anthropo-mécanologie 5, Écrymologie 2,
Traumatologie 2, Traversologie 5, Urbanotechnologie 2.
Social : Argutie 3, Créativité 0, Faconde 2, Maraude 1,
Représentation 0.

‌CAlfonz Blechert c
(pas vraiment innocent,
banneret des mines) C ‌Joann Treiley c
Le travail et l’abnégation ont permis à Alfonz (agitateur et meurtrier, chef d’équipe)
de se démarquer. Toutefois, sa basse extraction et Dans une vie antérieure, Joann était syndica-
son manque d’éducation ont constitué un frein liste et a même, contre l’avis du Syndicat mé-
à son adoubement, si bien qu’il a accepté de tra- thalumien, organisé une grève. Non soutenu,
vailler sur une plateforme à même l’écryme pour le mouvement a rapidement dégénéré et ter-
y parvenir. Ce poste extrêmement dangereux lui miné en pugilat conduisant à la mort de trois
a valu son titre. personnes. Les meneurs ont servi d’exemples
À l’inverse de beaucoup de nobles marchands, Alfonz et ont été condamnés au bagne pour meurtres.
n’est pas condescendant, mais plutôt paternaliste. Il Devant ses capacités innées de fédérer les gens
aime montrer que le travail et la volonté mènent à tout autour de lui, Blechert lui a offert la possibilité
(Idéal). Lui manquer de respect ou lui rappeler ses ori- de devenir chef d’équipe. Désireux de fuir au

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plus vite le milieu carcéral, Joann a accepté la Physique : Athlétisme 5 (creuser+2), Conduite 1,
proposition afin de réduire sa peine. S’il se dé- Escrime 3, Pugilat 3, Tir 0.
brouille bien, il espère ensuite travailler pour Mental : Anthropo-mécanologie 1, Écrymologie 3,
Karpov & Cie. Traumatologie 1, Traversologie 4, Urbanotechnologie 1.
Plutôt amer (-1), Joann est un homme solide (+1) sur Social : Argutie 2, Créativité 1, Faconde 2, Maraude 1,
qui l’on peut compter (+2). Il rêve de démontrer ses ca- Représentation 1.
pacités aux nobles marchands (Idéal), mais déteste lais-
ser quelqu’un sur le carreau (Spleen).
Physique : Athlétisme 4, Conduite 2, Escrime 1,
Pugilat 2, Tir 0.
Mental : Anthropo-mécanologie 1, Écrymologie 1,
Traumatologie 1, Traversologie 2, Urbanotechnologie 3.
Social : Argutie 4, Créativité 2, Faconde 4, Maraude 2,
Représentation 1.

C ‌Gregorij Hakoza c
(franc-voleur, mineur discret)
Gregorij était un franc-voleur qui a eu la chance
d’être attrapé par la milice avant que les ghildes
ne lui mettent la main dessus. Connaissant le sort
peu enviable réservé aux francs dans les bagnes,
il s’est empressé d’accepter la porte de sortie que
constituait la plateforme.
Gregorij était un travailleur honnête et aspire à le re-
devenir (Idéal). Il n’a volé que pour se sortir de la mi-
sère (Spleen). Débrouillard et touche à tout (+1), il sait
se faire discret quand la situation l’exige (+1).
Physique : Athlétisme 3, Conduite 2, Escrime 3,
Pugilat 2, Tir 2.
Mental : Anthropo-mécanologie 3, Écrymologie 0,
Traumatologie 0, Traversologie 1, Urbanotechnologie 3.
Social : Argutie 2, Créativité 0, Faconde 2, Maraude 5,
Représentation 2.

‌C Dominik Jiri c
(innocent, mineur de père en fils)
Dominik est né dans une mine de Prague, y
a grandi et n’a connu que cette vie. Après vingt
ans à travailler dans les mêmes galeries, il a réa-
lisé qu’avoir un avenir et une famille (il n’a pas
encore trouvé de femme) nécessitait de gagner ‌C Istvan et Lovro Cantrell c
plus et plus vite. Pour cela, il lui fallait prendre (racketteurs, mineur gros bras)
des risques. C’est pour cette raison qu’il a rejoint À Endémine, ces jumeaux faisaient payer les
la plateforme : le travail proposé par le konzern commerçants de leur quartier contre leur pro-
était mieux payé. Bien plus compétent que les tection. Racketteurs inféodés à la ghilde des
autres, il est aussi et surtout une brebis galeuse, Égarés, ils donnaient une part de leurs revenus
puisqu’il est l’un des seuls mineurs à avoir choisi à un vieux mendiant qui, en échange, arbitrait
cette vie et à gagner un salaire. les conflits internes. L’homme exerçait son pou-
Dominik n’est pas accepté pas les autres mineurs voir en équilibrant soigneusement les factions an-
(Spleen) et espère démontrer ses capacités (Idéal). Il tagonistes de son territoire, mais il abhorrait la
connaît tout des mines (+1) et se déplace très bien dans violence ouverte. Il a fini par les dénoncer suite à
le noir (+1). un excès de leur part qui a conduit à la mort de
plusieurs personnes. La prison était censée mo-

57
dérer leur impulsivité, mais il n’en est
rien. Si les deux frères s’en sortent, ils
comptent bien se venger de leur an-
cien mentor.
Les jumeaux feraient tout l’un pour
l’autre (Idéal et Spleen) et ont l’ambi-
tion de prendre le contrôle de la ghilde des
Égarés. Véritables brutes (+1), ils ont l’habi-
tude de se faire passer l’un pour l’autre (+1).
Physique : Athlétisme 5, Conduite 2,
Escrime 3, Pugilat 5 (frapper à deux +2),
Tir 3.
Mental : Anthropo-mécanologie
1, Écrymologie 0, Traumatologie
0 , Tr a v e r s o l o g i e 0 ,
Urbanotechnologie 2.
Social : Argutie 3, Créativité
0, Faconde 2, Maraude 3,
Représentation 0.
‌C Seconds rôles (et victimes) c
‌C Gorijan Sorensen c Friedrich Kartner (meurtrier, cellérier simple
(milicien infiltré, faux mineur) d’esprit)
Mercenaire infiltré, l’homme est payé par Friedrich est un meurtrier violent ayant sévi
Karpov & Cie afin de surveiller les autres déte- dans un quartier lacustre de Méthalume. Son in-
nus. Gorijan n’est toutefois pas un acteur né ; tellect limité a poussé certains bagnards à penser
Dominik et Joann doutent de la validité de sa qu’il était innocent et n’était qu’un simple bouc
couverture. L’homme dissimule dans son paque- émissaire. Ils ont poussé pour qu’il soit admis sur
tage un pistolet à silex ainsi que de la poudre et la plateforme afin de moins en baver. Paresseux,
une dizaine de balles. il a été assigné à la gestion de la mycotière, plus
Gorijan est là pour être bien payé (Idéal) et pouvoir par peur qu’il ne provoque un accident que par
prendre une retraite rapidement (Spleen s’il sent que cela gentillesse.
ne risque pas de se réaliser). C’est un survivant (+2). Physique 6, Mental 1, Social 1.
Physique : Athlétisme 4, Conduite 2, Escrime 5
(dague +2), Pugilat 4, Tir 4. Leonid Grubbs (meurtrier, nain chef d’équipe
Mental : Anthropo-mécanologie 1, Écrymologie 1, en second)
Traumatologie 2, Traversologie 1, Urbanotechnologie Leonid est fou. La dernière fois que quelqu’un
1. l’a traité de fou (ce qu’il est vraiment), il lui a
Social : Argutie 2, Créativité 0, Faconde 2, défoncé la tête à coup de pioche. Psychopathe
Maraude 0, Représentation 0. certes, mais désigné volontaire à son poste par
Blechert qui ne voulait pas se priver de cet ancien
‌Lien avec Hodologie à puisatier d’Endémine.
rebours
Physique 3, Mental 3, Social 1.

Gustel Balog (sympathisant du Lys Noir)


Guibé a sur lui une lettre de change d’une
valeur de cent liges. Elle est émise au nom Les soupçons des métropolites au sujet de
de Pavel Nuntov, un avoyer représentant le Gustel sont fondés. L’homme a un lien avec le
cartel de l’Acier, à l’attention de la banque Lys Noir. Faute de preuves, ils ne l’ont toute-
Vasnetsov de Mouscou chez qui l’aérostier fois qu’enfermé et pas exécuté. Gustel a supposé
a un compte. Il possède également un bil- qu’en se rapprochant des traverses, ses anciens
let pour le Transécryme. Si les joueurs ne les alliés l’aideraient à s’évader (alors qu’ils l’ont déjà
trouvent pas, ces objets se trouveront dans le oublié). Il va d’ailleurs imaginer, suite aux pre-
dirigeable. mières disparitions, qu’il s’agit de l’action de ces
derniers.
Physique 3, Mental 4, Social 5.

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donc systématiquement avec un serpent à la
Davorinko Ziller (violeur agressif, mineur) main. Encore jeune, il n’a pas encore mué et les
Violeur récidiviste, Davorinko a subi de nom- mineurs échangent volontiers sa part de labeur
breux sévices au bagne. L’homme pensait re- contre des chansons qui rythmeront leurs coups
prendre le dessus en venant sur la plateforme, de pioche. Ne parlant presque pas, mais doté
mais ses déviances ont rejailli si bien qu’il est le d’une voix superbe, son chant donne vraiment
seul forçat dont les crimes sont connus. Méprisé du baume au cœur. Le jeune garçon est victime
et maltraité par les autres, il tente de se venger du harcèlement de Davorinko Ziller.
sur les petits nouveaux. Sa disparition causée par Physique 1, Mental 1, Social 2 (chant 8).
un forçat excédé et non pas par le hurleur consti-
tuera une fausse piste. Abel Guibé (coupable, aérostier)
Physique 4, Mental 3, Social 2. Abel est la seule personne à connaître le conte-
nu du chargement spécial. Il a accepté une forte
Emilio Langenmann (malchanceux, mineur) somme d’argent venant du konzern de Marienko
Il arrive de se trouver au mauvais endroit au pour trahir Blechert. Durant la première partie,
mauvais moment. C’est ainsi que se résume la vie il aura aussi peur de mourir que d’être démas-
d’Emilio. Ce Venicien est éminemment sympa- qué. Si cela survient, il n’hésitera pas à accuser
thique, quoiqu’un peu grande gueule. Il dira à le banneret de faire des tests contre nature. Une
qui veut bien l’entendre qu’il n’est pas méchant, fois les survivants réduits à une poignée d’indivi-
mais un peu quand même, pour faire partie de la dus, son comportement deviendra psychotique,
bande… Il prendra les personnages sous sa coupe désirant remonter à la surface à tout prix.
pour les aider à s’acclimater et servira surtout à Physique 3 (pilotage 5), Mental 2 (aérostat 4), Social 2.
décrire les autres seconds rôles.
Physique 3, Mental 1, Social 4.
‌La créature mutante
Dorian Bonitaba (prisonnier d’opinion, mineur) La bête ressemble à un hurleur démesuré de
Avoir des pensées subversives est un fait, mais près de cinq mètres de long ! Toutefois, à l’in-
les exprimer en face d’un métropolite en est un verse de ses homologues normaux qui se déplace
autre. La différence s’appelle le bagne pour ac- lentement en surface, ses six pattes lui permettent
tion contre la cité. Dorian n’en a jamais tiré de de se mouvoir très rapidement, à la manière d’un
leçon et il continue à maugréer contre le système. lézard. Bien que sa gueule ne soit pas sujette à
Physique 2, Mental 2, Social 4. la corrosion de l’écryme, le reptile continue de
hurler pour répondre à quelque instinct primi-
Gustek Nugent, dit Toubib (renégat, médecin) tif. Ses dents et ses griffes sont similaires à des
Cet ancien membre d’une Loge hippocratique dagues. Enfin, sa carapace de corne présente
a réalisé de nombreuses dissections clandestines, de nombreuses excroissances noirâtres extrême-
après avoir volé des cadavres. Désavoué par ses ment dangereuses par lesquelles s’écoule un li-
maîtres, il n’a jamais accepté d’être rétrogradé quide sombre et purulent.
à un rang inférieur et l’a fait bruyamment savoir Physique 8, Discrétion 5, Protection de 4.
en frappant au visage un docte de sa Loge. Un
séjour en prison était censé le ramener à la rai-
son et le rendre docile, mais l’homme n’a jamais ‌ ù l’écryme
O
cédé. La proposition de travailler sur la plate-
forme l’enthousiasme grandement. Les autres ba- était presque parfait
gnards l’appellent Toubib car il a à de nombreuses Les personnages quittent la traverse en di-
reprises démontré ses talents de soigneur. Ses rigeable pour rejoindre la plateforme. Seules
manies excessives en feront une fausse piste en quelques minutes sont nécessaires pour voir dispa-
or pour expliquer les disparitions. raître l’immense pont de pierre par l’étroit hublot
Physique 2, Mental 5 (médecine 7), Social 2. qui ne s’ouvre plus que sur l’écryme, mer à la fois
menaçante et calme. Le voyage dure environ deux
Élaphe (innocent, porteur d’élaphe) heures, mais est rendu particulièrement pénible à
Ce jeune voleur de pain est chargé de porter cause des violentes rafales qui secouent continuel-
les élaphes qui détecteront les poches de gaz, lement l’appareil. L’atterrissage est d’ailleurs des
avant de les ramener au vivarium. Il se promène plus difficiles, entre les inquiétants craquements

59
de l’appareil et les hurlements venteux. La pre-
mière manœuvre, une fois sur la plateforme, est ‌Événement 2 : premières inquiétudes
d’amarrer l’aérostat. Le pilote est formel, une tem- La première nuit est des plus agitées. La tem-
pête se prépare et elle risque d’être violente. Les pête qui s’annonce risque d’être apocalyptique.
vivres contenus dans des grandes males sont placés Le vent s’engouffre dans la mine et produit un
sur le monte-charge qui les descendra. Commence étrange hurlement (en réalité celui du hurleur).
alors le premier contact avec la plateforme, puis la Les lampes clignotent, la pluie coule le long de
descente dans la mine. la vis sans fin et risquent de rendre le dernier ni-
Cette première partie sert à présenter à la fois veau impraticable...
les lieux, les seconds rôles et les personnages entre Au matin, Gustel Balog met un certain temps à
eux (s’ils n’ont pas fait connaissance dans l’aé- revenir (il est monté chercher des signes du Lys
rostat). Il est important, pour la suite, qu’ils dé- Noir). Plusieurs dont Emilio et Davorinko s’in-
couvrent le maximum d’éléments qui pourront quiètent. Toubib met fin brutalement à la discus-
leur servir par la suite. Il est inutile toutefois de sion en rappelant que pour chaque kilogramme
dresser un plan précis de la mine. Une fois la pre- de métal remonté, les primes de tous augmen-
mière phase de découverte passée, une chronolo- tent. Seul avec les personnages, Emilio dit sur le
gie d’événements se met en place : les agissements ton de la confidence que le médecin aurait été
de la créature et une tempête apocalyptique qui enfermé pour avoir donné la vie à des cadavres.
se déchaîne en surface. Le scénario étant très ou-
vert, les rebondissements peuvent survenir quand
bon vous semble. Il est même possible d’en reti- ‌Événement 3 : blackout !
rer ou d’en ajouter d’autres. Il est toutefois impor- Leonid Grubbs disparaît.
tant d’empêcher les joueurs de relâcher leur atten- La matinée est aussi agitée que la nuit. La tem-
tion, de se sentir en sécurité. Même à la fin (quelle pête fait rage et le vent a atteint une telle violence
qu’elle soit), ils devront repartir avec la peur au qu’une éolienne s’effondre sur le dirigeable dans
ventre et ce sentiment que la créature n’est pas un torrent d’étincelles. Un incendie se déclare et
tout à fait morte (comme ces monstres qui offrent endommage les treuils du monte-charge. Toute
obligatoirement un dernier sursaut avant la fin). personne pouvant aider (ayant des connaissances
techniques justifiant sa présence) est demandée
en surface. Pendant ce temps, la mine est en
‌Événement 1 : pagaille dans le cellier partie coupée d’énergie, laissant dans le noir et
Friedrich Kartner est le premier mort. sans renouvellement d’oxygène certains secteurs.
Cet événement survient après l’arrivée des per- Au sommet, bien qu’amarré, l’aérostat a subi de
sonnages, l’exploration des installations et la ren- nombreux dégâts et ne pourra pas voler au plein
contre avec les différents mineurs. Le soir venu, de ses capacités. Une fois la situation stabilisée et
Friedrich Kartner n’est pas à son poste. Les per- les mineurs redescendus, certains remarqueront
sonnages l’ont sûrement rencontré alors qu’ils ai- l’absence de Grubbs.
daient à charger les caisses du dirigeable dans Si les personnages ne pensent pas à le fouiller, les
la réserve, mais, depuis, l’homme n’a rien débal- vents tempétueux sur la plateforme les obligeront
lé ou rangé. Certains lui trouvent des excuses à se réfugier dans le bureau de Blechert. La pièce
(il était malade ce matin), alors que d’autres pré- contient une table métallique, deux mousquets, un
viennent les personnages que ce genre de com- peu de poudre, cinquante liges et des disques de
portement arrive souvent avec Friedrich qui est comptes. Les écouter permet de découvrir que le
connu pour être paresseux. Il reprendra sa tâche banneret a monté une partie de sa fortune en agis-
demain matin ou quand il aura fini de planquer les sant contre les intérêts de certaines entreprises de
produits qu’il garde pour lui. son konzern (Urbanotechnologie diff. 10). Cette pra-
Si les personnages font le travail à la place de tique conduit souvent à de sévères représailles.
Friedrich, ils découvriront des traces de griffures
sur le sol (Maraude diff. 10). Ils remarqueront, de
plus, un étrange ustensile contenant de puissants ‌Événement 4 : dans les profondeurs
tranquillisants dans une grande caisse ouverte Leonid Grubbs réapparaît.
par Friedrich. La tempête oblige à s’isoler dans les mines et,
Pendant le repas du soir, l’un des mineurs en l’absence d’électricité, l’activité minière est ar-
évoque l’impression d’avoir été suivi et observé. rêtée. Deux hommes manquant à l’appel, des vo-

60
lontaires sont demandés pour partir à leur re- en priorité des lampes à acétylène. Toutefois, afin
cherche. Une fois dans les parties inférieures, de préserver ces sources de lumière, une seule
d’autres hurlements se font entendre qui, sans le sera donnée par groupe de trois ou quatre.
moindre doute cette fois, ne sont pas causés par
le vent. C’est dans cette ambiance inquiétante
que surgit Leonid, claudiquant, délirant et gra- ‌Lien avec Hodologie à
vement blessés (nombreuses et profondes lacéra- rebours
tions). Le nain perd connaissance rapidement,
non sans avoir le temps de décrire un monstre Si vous jouez Sur les dents comme un flash-
difforme. Toubib est chargé de le remonter à l’in- back, le billet du Transécryme (pas forcé-
firmerie. Les plus superstitieux parlent déjà de ment les liges) doit impérativement reve-
nir au personnage principal. Si tel n’est pas
mine vivante ou de démons d’écryme réveillés
le cas, intervenez dans la narration. Par la
par les mineurs. D’autres évoquent une possible
suite, ce personnage sera sans doute le seul
attaque de mercenaires à la solde d’un concur- à n’avoir pas été contacté directement par
rent (des dégraisseurs rendus fous par l’usage de le métropolite Anthelme.
drogues) ou de traversiers arriérés et sauvages.
Les plus observateurs (Traversologie diff. 12) dé-
couvrent un petit sourire sur les lèvres de Gustel
Balog. L’homme tentera de rejoindre la surface ‌Événement 5 : battues et révélations
le plus rapidement possible. Gustel Balog est tué par la créature alors qu’il tente
Alfonz Blechert, Joann Treiley ou Dominik Jiri de monter sur la plateforme.
ramènent la petite troupe à la raison et orga- Leonid Grubbs décède de ses blessures.
nisent les recherches de Friedrich. Si les joueurs Élaphe est agressé par Davorinko (Dorian les surprend).
n’agissent pas ainsi, n’hésitez pas à reprendre la Les recherches durent plusieurs heures dans
narration à leur place. Les volontaires bénéficient une ambiance délétère. Parfois, les personnages
entendent des bruits, voient une ombre bouger.
Les objets poissent, l’air moite rend les recherches
pénibles. En surface, la tempête prend de l’am-
pleur. La traque se parsème de quelques faits no-
tables :
Un signe mystique a été gravé à même la pierre
d’un puits d’aération. Il est difficile à décrire, mais
ses formes géométriques ne sont pas totalement
inconnues aux mineurs, en particulier à Dominik
Jiri. Il s’agit d’une spirale ayant deux circonvolu-
tions qui ne se croisent qu’en leur centre. Cette
marque est simplement le symbole charbonneux.
Léonid n’est pas vraiment croyant, mais il l’a tra-
cée à tout hasard. Laissez vos joueurs imaginer
quelque culte impie.
Le cadavre de Friedrich, en partie dévoré
et rongé par de l’acide, est dissimu-
lé au fond du troisième niveau. À
mesure que l’on s’en approche,
l’odeur devient insoutenable.
Ses affaires ou ce qu’il en
reste n’ont pas été volées.
Les traces de morsures en-
core visibles sur le corps
(Écr ymolog ie d i f f.
10) laissent sup-
poser qu’il s’agit
bien d’un animal,
plus grand qu’un

61
homme (Marge de 2). Les morsures ressemblent Avant de partir en chasse, il est temps de mettre à
à celles d’un hurleur (Marge de 4). plat les informations sur la créature. Durant toute
À peine le corps trouvé, des coups résonnent la discussion, Abel Guibé ne parlera pas, mettant
contre le boyau de la vis sans fin (Dorian tente souvent la main à la poche dissimulant le billet du
d’alerter le reste des mineurs). La mycotière a Transécryme et la lettre de change. Si vous sen-
été entièrement ravagée : les grillages métal- tez vos joueurs frustrés, n’hésitez pas à découvrir
liques ont subi de nombreux assauts, des traces ce personnage afin de leur apprendre comment la
de griffures sont visibles, des ampoules sont bri- créature est arrivée dans la mine et qui est à blâmer.
sées, l’eau potable répandue. Au sol, des rats dé-
chiquetés ont laissé des flaques de sang. La tache
forme une traînée se dirigeant vers un puits ‌Table ronde
d’aération. Voici quelques théories que les mineurs pour-
Durant sa remontée, un mineur (isolé ou raient proposer afin d’étayer les hypothèses des
portant une lanterne) est blessé par une créa- joueurs :
ture dépassant largement la taille d’un homme. Sur sa nature : la créature ressemble claire-
L’infortuné perd connaissance, mais observe ment à un hurleur, mais personne n’en a jamais
toutefois l’ombre de son assaillant. Divaguez en vu ailleurs que dans l’écryme. Pire, ce serait un
fonction des suppositions des joueurs. Malgré sa reptile adapté aux souterrains et n’ayant pas be-
masse, la chose disparaît à une vitesse folle. soin de lumière. Serait-ce une créature datant de
l’Antécryme ? Les scientistes sont bien parvenus à
créer l’écryme, quelles autres monstruosités ont-
‌Événement 6 : carnage ! ils bien pu engendrer ?
Dorian tue Davorinko afin de mettre fin à ses agis- Sur les raisons de ses attaques : en creusant
sements. trop profondément, les mineurs ont menacé
Émilio meurt de ses blessures. son refuge ou son territoire de chasse. Peut-être
Les recherches reprennent, mais, cette fois, même se sont-ils rapprochés de ses œufs (rap-
Alfonz propose de remonter sur la plateforme pelons que rien n’est plus faux car les hurleurs
pour prendre des armes. C’est l’occasion de dé- sont ovovivipares). D’autres prétextent la faim de
crire à nouveau la violence de la tempête. Gorijan l’animal, ce qui, encore une fois est faux car ce-
Sorensen, s’il n’est pas joué par un personnage, lui-ci a un mode de digestion similaire à celui des
sort également son pistolet. reptiles et digère donc ses proies de nombreux
À peine redescendus, les hommes (prendre les jours durant avant de chasser à nouveau. Enfin,
pré-tirés laissés par les joueurs) sont brutalement les plus pessimistes imaginent un autre prédateur
assaillis et meurent sous les crocs de la bête. Sa plus dangereux encore.
carapace résiste aux balles. Émilio attaque en Sur leur nombre : impossible de savoir com-
chargeant. Par miracle, il parvient à planter son bien de hurleurs il faut traquer. Il semble y en
piolet dans la carapace du monstre ne libérant au- avoir de différentes tailles. Là encore, les mi-
cune gerbe de sang, mais un hurlement à glacer le neurs se trompent. Se gorgeant de peur, la créa-
sang. La créature se dégage d’un puissant coup de ture semble grandir. Les émotions qu’elle dégage
queue et fuit, laissant l’homme avec le corps brisé. l’a font en réalité paraître plus grosse qu’elle n’est
réellement. Il est possible de le remarquer en

‌Où l’écryme est châtiment comparant les traces laissées dans la mycotière,
celles sur les cadavres et le monstre auquel ils ont
La situation est critique. Il ne reste plus que eu affaire (Écrymologie diff. 8).
les personnages-joueurs, Abel Guibé, Dorian
Bonitaba, Toubib et Élaphe (et peut-être encore
un ou deux pré-tirés). La mine, entièrement ‌En finir
dépendante de l’électricité, est plongée dans Concernant la traque et la marche à suivre, lais-
l’obscurité. La chaleur augmente rapidement. sez l’organisation aux joueurs et donnez votre
L’eau potable et les denrées alimentaires sont avis par l’intermédiaire des autres mineurs dé-
rationnées. Les lampes à acétylène sont réqui- passés et apeurés. Au final, seul le personnage
sitionnées pour la traque du monstre. Certains principal doit survivre. Les autres peuvent être
confectionnent même des torches au risque de sacrifiés pour les besoins de la narration. La vic-
consumer plus rapidement l’oxygène. toire ne doit être obtenue qu’à l’arrachée.

62
Une battue est une bonne idée pour retrouver quelques scènes des classiques de l’horreur : la
la créature. Toutefois, l’épaisseur de sa carapace créature attaque les personnages qui fuient en
l’immunise contre la majorité des attaques phy- montant sur la plateforme (ou le dirigeable) par
siques. Rappelons à toute fin utile que ses sem- la vis sans fin par exemple.
blables normaux ne craignent pas l’écryme. Les
personnages devront donc trouver une meilleure
idée que simplement l’attaquer avec une pioche ‌ ù l’écryme fraiche
O
ou un pistolet à silex.
Tenter de l’endormir à nouveau nécessiterait ne vaut pas l’écryme glacée
d’importantes connaissances en écrymologie. À La tempête se calme avec la mort de la créa-
vous, conteur, d’estimer si cela est possible. Après ture. Le dirigeable, mal en point, peut néan-
tout, cette approche permettrait d’observer l’ani- moins voler jusqu’à la traverse s’il est vidé de
mal de plus près avant qu’il ne se réveille. tout son chargement. Le personnage principal
Enterrer la créature vivante constitue une va- s’en sort donc avec en poche un billet pour le
riante de la battue. L’idée serait de l’attirer dans Transécryme. Ce moyen de disparaître est des
un piège comme, par exemple, la cage du monte- plus appréciables s’il était bagnard ou qu’il avait
charge puis de faire céder cette dernière. L’animal des comptes à rendre à son konzern. Bien évi-
pris dedans ou dessous subirait alors de graves dé- demment, ce type de ballade avec son taux de
gâts qui pourraient lui être fatals… ou faire croire mortalité élevé n’est pas des plus recommandé
à sa mort. Il est également possible d’imaginer pour la suite des aventures de vos personnages.
une sorte de bombe en collectant la poudre des Toutefois, la survie d’au moins l’un d’eux ne si-
armes et les produits inflammables. Cela provo- gnifie pas que tout soit terminé.
querait à coup sûr un éboulement (surtout si les L’expérience réalisée par le général Federovitch
personnages affaiblissent la structure d’un sec- sera-t-elle présentée comme un succès ou un
teur). Gare aux risques pris par celui qui allume- échec au ministère de la Guerre? Les subventions
rait la mèche et aux effets sur les niveaux supé- de l’armée vont-elles affluer pour de nouvelles
rieurs. Notez qu’Alfonz n’est nullement contre la recherches ? Le militaire apprendra-t-il le nom
destruction de sa mine. Sa vie prime. du personnage qui a interféré dans ses affaires ?
Faire sauter les murs protégeant la mine de De même, que va devenir le reste de la portée de
l’écryme est le meilleur moyen de se débarrasser hurleurs ? Les reptiles seront-ils mis à mort ou su-
du monstre. L’acide se déversant par millions de biront-ils des batteries de tests ? À moins qu’ils ne
litres sur la créature ne manquera pas de l’écra- soient enlevés par Lenko, le céphale. Si tel est le
ser. Rappelons également que le hurleur a besoin cas, les hurleurs, en grandissant, développeront
d’air pour respirer. Veillez toutefois à maintenir une certaine forme d’intelligence empruntée à
la pression jusqu’au dernier moment. leur père, alors que ce dernier deviendra de plus en
Se terrer en attendant la fin de la tempête plus fou. De nombreuses questions en suspens qui
est fortement déconseillé. Bien évidemment, c’est pourraient trouver une réponse dans votre geste.
la solution la plus logique, mais c’est également
celle qui est la moins dans l’esprit effrayant de
cette ballade. Afin d’inciter les personnages à ‌Où les personnages gagnent
bouger, jouez sur la lumière qui vacille, les hurle-
ments qui s’approchent, la chaleur qui augmente, en l’expérience
les compagnons qui craquent… Finir une séance de jeu : 1 point.
Fuir malgré la tempête est une seconde option Finir la ballade : 1 point.
qui pourrait vous priver d’un final intéressant. Terrasser la créature : 1 point.
Dans ce dernier cas, n’hésitez pas à reprendre

63
LES FAUCHEURS DE BRISE
Cette ballade de niveau Écryme se déroule sous la forme d’une course-poursuite sur les traverses. À mener tambour
battant, elle permet de dévoiler aux joueurs différents modes de transport traversiers. Par défaut, l’aventure se déroule
d’Endémine à Éole, mais vous pouvez la transposer sans aucune difficulté entre deux autres cités de votre choix.
Si vous désirez intégrer Les faucheurs de brise à La balade d’un troubadour muet, le départ peut se faire de
Venice à la fin de votre geste, mais cela demandera quelques ajustements que nous détaillerons plus loin. Dans
un tel cas de figure, vous pourrez utiliser la céphalie de manière évidente, bien qu’en arrière-plan, tout au long
des pérégrinations de votre groupe. Des encadrés intitulés Et si les personnages sont céphales vous aideront à
gérer un groupe plus expérimenté et au courant de la nature de l’écryme.

‌OÙ L’ON INTRODUIT LES ÉLÉMENTS CLÉS


DE LA BALLADE

‌Synopsis le plus rapidement possible. Un parcours défini


à l’avance mettra les trois équipes à égalité. Les
Les personnages sont contactés à Endémine gagnants se verront offrir un prix de 10 000 liges,
par trois nobles qui faisaient autrefois partie du financé par les deux organisateurs perdants. En
Club de Saint Just (cf. Ballade traversière, p. 82). Ces réalité, le trio est composé de céphales qui se
derniers leur proposent un défi simple : confron- nourrissent des émotions ressenties par les parti-
tés à deux autres équipes, ils devront rallier Éole cipants aux épreuves qu’ils organisent.

64
‌L’intrigue ‌Ambiance
Même si elle a été enterrée dans les archives Conteurs, le rythme de cette aventure doit être
de Théoric, l’affaire impliquant le Club de Saint extrêmement soutenu. Elle ne fonctionnera que
Just est sur le point de rebondir de bien étrange si les joueurs ressentent sans arrêt une impres-
manière. Durant son emprisonnement au Pilier sion d’urgence. À l’occasion, offrez-leur quelques
Oblique (le pénitencier de la ville logique), le bouffées d’oxygène (une rencontre, une discus-
comte de Malgone avait en effet rencontré une sion, une enquête…), mais jamais trop long-
vieille céphale qui avait éveillé son don. Une fois temps ! Pensez à faire des descriptions courtes et
libre, il avait retrouvé à Endémine deux com- évocatrices et, surtout, à adoptez vous-mêmes un
plices survivants, le comte de Veilly et la baronne phrasé rapide. Si une séquence s’éternise, cou-
d’Égonile qui avaient abandonné leurs seigneu- pez-là ou relancez la course à l’aide d’une mésa-
ries pour se faire oublier dans cette cité minière venture (chaque acte de la ballade en présente,
grouillante, hors de portée des autorités théori- mais libre à vous d’en ajouter d’autres).
ciennes. Là, il avait à son tour brisé leurs idéaux La course se doublera d’une épreuve mentale
afin de les initier à la céphalie. contre laquelle les personnages joueurs seront for-
Durant de longues semaines de formation, le cés de lutter. Dans un monde traversier violent et
trio a construit une anence composée de trois hostile, ils livreront bataille contre leurs émotions.
fragments. Il s’agissait de dés métalliques, dont La céphalie des Saint Just se trouvera toujours en
les faces se couvriraient d’éléments supplémen- arrière-plan et se manifestera sous la forme d’illu-
taires à mesure qu’ils les utiliseraient. À la fin, sions, de manipulations mentales et de sabotages.
ils étaient fin prêts et avides d’émotions. Ces der- Il vous revient de doser ces intrusions étranges
nières leur permettraient d’acquérir des pouvoirs dans la partie. Là aussi, nous vous donnerons des
de plus en plus puissants. Fidèles à leur nature exemples à chaque étape de la ballade.
joueuse, ils désiraient dorénavant allier l’utile à
l’agréable, en profitant des sentiments ressentis
par les participants aux épreuves qu’ils organise- ‌ ù les protagonistes
O
raient. L’idée d’amusement prévalait sur les consi-
dérations d’ordre politique. Il ne s’agissait plus sont passés en revue
de jouer pour définir les limites de sa seigneurie,
mais pour créer des émotions et s’en délecter. C ‌Le comte de Malgone c
Depuis plusieurs teintes, ils ont organisé de Archétypes : Vidocq, Papillon.
nombreuses épreuves, dont l’intensité - pour ne Apparence : les années passées en prison
pas dire la dangerosité - allait en augmentant. l’ont profondément affecté. Âgé d’une quaran-
Commençant par de simples matchs de cartes taine d’années, Malgone a un visage buriné et on
ou des combats de busos, ils ont bifurqué sur des lui donnerait facilement dix ans de plus. Même
concours de bras-de-fer, puis des duels de cerfs-vo- s’il est plutôt fluet, le comte affiche un regard
lants. Jamais rassasiés, ils en voulaient toujours plein d’assurance, derrière ses besicles. Il n’ef-
plus. Ils ont alors eu l’idée de mettre sur pied une face jamais un sourire doux-amer que dissimule
épreuve plus longue, à même de véritablement quelque peu sa barbe clairsemée. Ce côté aven-
sustenter leur appétit émotionnel : une course tureux est rehaussé par ses vêtements qui mêlent
sur les traverses, qui confronterait des équipes au luxe citadin quelques accessoires traversiers.
que chacun d’eux recruterait. L’écheveau de la Caractère : Malgone est un joueur, mais aussi
Toile leur offrirait en outre la discrétion dont ils un chef-né. Il est le leader informel, mais incon-
avaient besoin pour étancher leur soif. S’étant ra- testé du trio et ne se prive pas de le rappeler à ses
pidement enrichis grâce à leurs jeux, ils n’auraient compagnons. Privé de liberté durant des années,
aucun mal à proposer une récompense généreuse, il ne supporte pas l’inertie et, quand il est trop
suscitant la convoitise des personnes intéressées. longtemps au même endroit, il tourne comme un
Couplé à différentes péripéties surgissant le long lion dans sa cage. La céphalie a exacerbé chez lui
du parcours, cela aiguiserait les sensations de leurs ses penchants mégalomanes. Il considère les hu-
poulains et la puissance de leur prélèvement. mains comme des pions pour servir sa soif de jeu.
Euphoriques, les trois complices étaient impa- Rapport au jeu : le comte est un joueur com-
tients d’en découdre et ils se sont affairés pour pulsif, avide d’émotions (Idéal). Il est incapable
trouver leur équipe respective. de refuser un défi (Spleen). Il parie fréquem-

65
ment, même sur des sujets qui pourraient paraître yeux vairons lui confèrent un charme étrange.
triviaux à ses interlocuteurs. Très intervention- Caractère : le comte est un séducteur qui ne
niste, il n’hésite jamais à tricher, en usant de la perçoit la vie que comme une suite de conquêtes.
céphalie, pour parvenir à ses fins. Que d’autres le Drôle, cynique et superficiel, c’est l’archétype du
fassent aussi lui paraît parfaitement naturel. Dans dandy esthète dont les relations sont uniquement
sa main droite, il triture souvent ses dés-anence. mues par le besoin de plaire. Il est cependant lu-
Traits : charismatique (+2), joueur (+1), chétif (-1). natique et mauvais perdant, mais il craint suffi-
Physique : Athlétisme 2, Conduite 1, Escrime 0, samment Malgone pour ne pas l’affronter, et il ad-
Pugilat 0, Tir 1. mire et respecte la baronne, car c’est une des rares
Mental : Anthropo-mécanologie 0, Écrymologie 1, femmes à lui avoir résisté. Lorsqu’il perd le sens
Traumatologie 1, Traversologie 3, Urbatechnologie 2. de la mesure, il devient extrêmement grossier.
Social : Argutie 6, Créativité 2, Faconde 5, Maraude 1, Rapport au jeu : jouer est un plaisir, et donc
Représentation 4. Veilly joue pour la beauté du sport. Il répète sans
Céphalie : Élégie 2, Entéléchie 2, Mekanë 0, Psyché 0, arrêt qu’à ses yeux, seules comptent les sensations
Scorie 0. procurées par l’ivresse de la victoire. Pourtant, il
ne recule pas pour aider sa bonne étoile. Ne pos-
C ‌‌Le comte de Veilly c sédant pas le sens de la mesure de Malgone, il
Archétypes : Oscar Wilde, Mozart. choisit des pions à son image, c’est-à-dire faisant
Apparence : Veilly est un bon vivant d’une tren- passer la forme avant le fond, le panache avant la
taine d’années au visage poupon. Même s’il prend raison… sans se soucier des dégâts collatéraux.
grand soin de son apparence, il a commencé à s’em- Traits : charmeur (+1), joueur (+1), regard cap-
pâter à cause de ses excès (ce qu’il ne faut surtout tivant (+1), mauvais perdant (-1).
pas lui dire, sous peine de déclencher sa fureur). Physique : Athlétisme 3, Conduite 0, Escrime 1,
C’est un bel homme aux traits réguliers, mais ses Pugilat 1, Tir 0.
Mental : Anthropo-mécanologie 0, Écrymologie 1,
Traumatologie 0, Traversologie 3, Urbatechnologie 4.
Social : Argutie 2, Créativité 2, Faconde 6, Maraude 1,
Représentation 5.
Céphalie : Élégie 0, Entéléchie 1, Mekanë 0, Psyché 2,
Scorie 0.

C ‌‌La baronne d’Égonile c


Archétypes : Ingrid Bergman, Grace Kelly.
Apparence : à moitié nordanienne par sa
mère, la baronne est une beauté froide qui com-
mence à faner. Sa chevelure sombre a perdu de
son éclat et sur son visage sont apparues, ici et
là, quelques ridules qu’elle s’efforce de dissimu-
ler sous un léger maquillage. Pourtant, ses yeux
bleus n’ont rien perdu de leur éclat et elle magni-
fie sa silhouette dans des robes cintrées et ornées
de fourrure au col et à l’extrémité des manches.
Caractère : la baronne est une personne ex-
trêmement intelligente. D’un tempérament ana-
lytique, elle ne s’emporte jamais et pèse chacune
de ses décisions. Elle est capable de faire fi de
toute morale, quand un obstacle se dresse sur son
chemin. Elle n’optera jamais pour une confronta-
tion frontale, mais préfèrera user de subterfuges.
Rapport au jeu : pour elle, jouer représente
avant tout un challenge intellectuel et l’occa-
sion de briller par rapport à ses concurrents.
Littéralement, d’Egonile considère les personnes
qu’elle parraine comme des pions sur le chemin

66
de sa victoire. Prudente et méthodique, elle n’a pects à la police d’Éole avant que leurs complices
pas son pareille pour manipuler non seulement ne les préviennent. Pour éviter les espions, ils de-
ses adversaires, mais aussi ses alliés. Pour elle, la vraient emprunter un itinéraire précis et ralentir
défaite est un terrible affront à son intelligence, les complices, tout en évitant de fâcheux assassi-
car elle estime avoir tout prévu et calculé en nats. En cas de réussite, ils seraient amnistiés, ce
amont. qui est évidemment un mensonge.
Traits : analytique (+2), joueuse (+1), rigide (-1). Dragan et Cardiff disposent d’une bonne
Physique : Athlétisme 2, Conduite 2, Escrime 0, connaissance des traverses et d’une science des
Pugilat 0, Tir 4. armes non négligeable. Mais ils sont obnubilés
Mental : Anthropo-mécanologie 0, Écrymologie 2, par leur titre de chargés de mission et par la néces-
Traumatologie 0, Traversologie 4, Urbatechnologie 4. sité de faire vite. Aussi, iront-ils toujours à la so-
Social : Argutie 4, Créativité 1, Faconde 4, Maraude 5, lution la plus rapide (même si ce n’est pas forcé-
Représentation 4. ment la meilleure).
Céphalie : Élégie 0, Entéléchie 1, Mekanë 2, Psyché 0, Les deux hommes ont la barbe rasée et la
Scorie 0. moustache bien taillée. Ils ont conservé leurs uni-
formes, mais quelque chose en eux s’est brisé.

‌Où l’on s’attarde sur les Dragan, le plus âgé des deux, a vu ses cheveux
blanchir sur les tempes, tandis que Cardiff est de-

différentes équipes venu sujet à la mélancolie. Ses grands yeux tristes


sont encore grossis par les besicles qu’il porte.
Les équipes du comte de Veilly et de la baronne
d’Égonile doivent être jouées par le conteur. Par C Les gendarmes révoqués c
contre, l’équipe du comte de Malgone est com- en quête de rédemption
posée des personnages joueurs. Dragan : Physique 5 (pistolet
+2), Mental 2, Social 3.
Cardiff : Physique 3, Mental 3,
‌Les hommes de la baronne d’Égonile Social 5 (intimidation +2).
La baronne fait montre d’un certain humour
noir dans le choix de ses pions. Les deux hommes
qu’elle a recrutés, Dragan et Cardiff, sont d’an-
ciens gendarmes limogés pour
avoir suivi le Préfet Pillot du-
rant son enquête sur Saint
Just. Issus du milieu ou-
vrier, les deux hommes
se sont faits gendarmes
pour la même raison :
le prestige, mais aussi le
cadre de vie que leur of-
frait la gendarmerie.
Une fois rejetés, ils ont
perdu leurs repères et
ont accueilli la proposi-
tion de la baronne comme
une possibilité de racheter leur
honneur. Cette dernière s’est
présentée comme une man-
dataire de leur ancien
employeur et leur
a parlé d’un vague
complot politique
avant de les charger
d’une mission : trans-
mettre une liste de sus-

67
pulatrice d’Élysée, par ceux de voleur d’Argyle
‌La troupe du comte de Veilly et par les connaissances de Grimoire (et son ar-
Autant la baronne a dû pervertir la réalité, au- balète en cas de grand danger ou pour - fausse-
tant de Veilly a réussi à trouver des pions qui ment – faire peur).
participeront pleinement au jeu. Il a recruté un Amateur de couleurs vives, le trio arbore des te-
groupe de saltimbanques qui, ayant décidé de nues volontiers désuètes, à l’image des bateleurs
rallier Éole, préfèrent le faire en s’amusant, sur- d’antan. Élysée frappe par son visage figé en un
tout si cela peut leur rapporter de l’argent. sourire quasi perpétuel, à l’inverse de Grimoire
Élysée, une jeune femme volubile, est issue de qui paraît plus ombrageux, voire sujet à la co-
l’Académie bouffonne où ses maîtres ne surent lère. Ce contraste se manifeste aussi dans leur
apprécier ses spectacles qui sortaient par trop des silhouette : filiforme pour la jeune femme et
cadres rigides de l’académie, et décidèrent de se empâtée pour l’archiviste. Enfin, Argyle se dis-
passer de ses services. C’est alors qu’elle rencon- tingue de ses deux compagnons. C’est une véri-
tra Argyle, le voleur et Grimoire, un archiviste table anguille, extrêmement agile et adepte des
qui se pique d’être poète, mais dont les traits faux fuyants.
d’esprit font bien moins souvent mouche que
ceux de son arbalète. Les trois s’improvisèrent C Les saltimbanques c
alors baladins. Mais la concurrence à Endémine en quête d’amusement
était trop rude et Argyle proposa à ses compa- Élysée : Physique 2, Mental 3,
gnons de rejoindre sa ghilde à Éole. Social 5 (baratin +2).
À l’inverse des rigides Dragan et Cardiff, le Argyle : Physique 5 (escamoter
groupe d’Élysée prend la vie comme une gigan- +2), Mental 3, Social 2.
Grimoire : Physique 3, Mental 5
tesque plaisanterie. Ils veulent gagner le jeu, mais
(mémoire eidétique +2), Social 3.
ils essayeront d’y mettre le style. Ils seront d’ail-
leurs servis par les talents d’actrice et de mani-

68
Conseils de ‌Le comte de Malgone et l’implication des personnages
mise en scène La rencontre entre le comte et les personnages
peut se dérouler de diverses façons.
De par la nature même de la ballade, le Vos personnages, dans un cadre de votre choix
conteur ne doit pas se limiter à gérer les ac- (de préférence un club ou même un relais) sont
tions des personnages. Il devra également amenés à rencontrer le comte de Malgone. Ce
jouer les actions des pions d’Égonile et de
dernier entrevoit chez eux une équipe sérieuse
Veilly. Si nous donnons des indications sur
et tente de provoquer leur participation au jeu. Il
leurs actions ou leur progression, elles ne sont
pas impératives. Il vous appartient de faire peut s’y prendre de différentes manières. À vous
vivre la poursuite tout au long de la ballade, d’adapter le discours de Malgone à l’état d’esprit
selon vos envies et vos idées. de ses joueurs.
Profiter de l’ivresse d’un personnage pour lui
Les Saint Just suivront la progression des faire parier qu’il est capable de rallier Éole avant
groupes à partir de leur dirigeable. Aussi, les autres équipes (et faire ainsi écho à Jules Vernes
il serait bon que, de temps à autre, vous in- et Phileas Fogg). Un pari somme toute idiot, mais
formiez les joueurs d’un point noir dans le qui obligera un homme d’honneur à s’y tenir
ciel. Histoire de leur rappeler qu’il existe des (d’autant plus qu’il y a de l’argent à la clé...).
règles. Un des personnages s’endette vis-à-vis d’un riche
homme d’affaires, au cours d’un jeu de hasard, et
Munis d’une longue-vue, c’est depuis ce
le comte propose d’effacer sa dette si lui et, par re-
petit aérostat que les Saint Just suivront l’aven-
ture, quitte à influer ponctuellement sur la bondissement, ses compagnons participent au jeu.
destinée des concurrents afin de favoriser la Les personnages sont très simplement contac-
collecte émotionnelle. Cette dernière se fera tés par le comte de Malgone qui leur propose,
de manière extrêmement simple. Les trois moyennant finances, de participer au jeu. C’est là
céphales se nourriront des échecs des partici- le moyen de voyager et de rejoindre la cité d’Éole
pants à la course, car ils estiment que les émo- tout en étant payés.
tions véhiculées alors sont plus fortes et utiles Si les personnages sont des céphales débutants,
à leur quête de puissance. En termes de règles, le comte les a repérés (à vous de déterminer com-
à chaque échec des joueurs (et des PNJ), faites ment) et souhaite les tester. Il espère agrandir
inscrire la Marge négative comme Impact son cercle d’influence occulte, mais ne s’ouvrira
mental et décrivez le bal des émotions qui
de son propre don qu’à des personnes qu’il es-
se déclenche (émotion ressentie de manière
time capables. C’est la raison pour laquelle, il ne
forte, puis prélevée, laissant temporairement
la place à une légère apathie). Si les joueurs révèlera rien au départ de la ballade.
sont céphales, ils devraient comprendre que Si les joueurs ont joué la balade d’un troubadour
quelque chose est en train de se passer. muet, il est possible de déplacer l’action d’Endé-
mine à Venice. Pour respecter la chronologie
L’usage de la céphalie ne sera pas simple de l’aventure, il faut simplement préciser que
dans le premier acte de la ballade. Dans un es- l’épreuve ne commencera qu’à partir d’Endé-
pace aussi restreint qu’un train, il semble dif- mine, vers laquelle les différentes équipes seront
ficile pour un céphale de se mettre en transe acheminées séparément. Le trajet se fera en di-
sans qu’un steward ou un client ne vienne rigeable et prendra 3 jours. Le comte explique
troubler celle-ci en tentant de lui porter se- cette mesure par la sévérité des autorités veni-
cours. Cela demandera de la discrétion et de
ciennes (Endémine, surpeuplée, étant plus pro-
la préparation.
pice à leur jeu). En fonction des actions des per-
sonnages durant la geste, ils seront sans doute
eux-mêmes pressés de quitter la cité des doges.
Quelle que soit l’introduction choisie, le comte
exposera les règles du jeu telles qu’elles sont dé-
finies ci-dessous, puis donnera rendez-vous au
groupe le lendemain matin à la grande halle de
Méandre. Une fois l’entrevue terminée, il rentre-
ra dans un luxueux hôtel, où il s’est inscrit sous le
nom d’Hurlanc et où il passera la nuit entière, seul.

69
‌Les règles Chaque groupe peut tenter de ralentir ses
concurrents par tous les moyens, à l’exception
Les règles du jeu sont les mêmes pour les d’agressions physiques directes. Ainsi le vol, le sa-
équipes des trois organisateurs. Elles sont simples botage, les drogues ou même la calomnie sont tolé-
et tiennent en quelques propositions. rés. Peu importe que ces actions puissent entraîner
la mort d’un personnage (exécution pour accusa-
tion injustifiée, accident d’automobile mortel) ! Ce
But qui compte, c’est qu’elles n’aient pas été motivées
Rallier Éole le plus rapidement possible, en par l’intention de tuer ou de blesser (comme le se-
passant impérativement par des endroits qui rait l’usage d’une arme ou d’un poison).
ne seront révélés que le lendemain matin, à
dix heures, au départ de la course. Le premier Et si les personnages
groupe qui entrera dans le café des Allégoriques
remportera l’épreuve. sont céphales ?
Lire dans l’esprit du comte de Malgone s’avère
Moyens compliqué. Non seulement, c’est un homme
prudent, mais sa maîtrise du don l’a fortement
Les participants ne disposent pour ce trajet que sensibilisé à son propre état émotionnel. Ainsi
de leurs seules ressources (les Saint Just ont d’ail- donc, pour obtenir un effet donné, les niveaux
leurs choisi leurs groupes en fonction de leurs de difficulté lors d’un test des Compétences
moyens financiers relativement comparables). céphaliques sont augmentés de deux crans
Tous les participants commencent leur trajet (+4).
en train. Par la suite, ils pourront utiliser n’im- Le comte dit la vérité, il ne connaît ni le
porte quel moyen de transport. À l’exception des trajet, ni l’identité des autres participants
dirigeables et des montgolfières. (Marge 0).

OÙ L’ON FILE À
TOUTE VAPEUR (ACTE 1)
Vers dix heures du matin, les personnages se les Innommées, jusqu’à Éole dans le café des
rendent à la gare centrale d’Endémine, où les at- Allégoriques. Il est évident que le noble est mé-
tend le comte de Malgone. Labyrinthe de verre et content de ce choix, car il peine à cacher sa
de fer forgé, où les quais sont baignés de vapeur, frustration (Faconde diff. 8).
l’endroit grouille de monde. Chacun se presse Tout en donnant ces indications, il conduit les
de monter dans un des innombrables trains qui personnages près d’une des nombreuses voies de
s’y trouvent. Les bruits de pistons, les crachats de chemin de fer et leur remet des billets de train,
fumée et les cris des cheminots forment une in- en précisant que les autres participants au jeu
descriptible cacophonie. voyageront eux aussi en première classe. La prio-
rité est de les identifier avant d’entamer quoique

‌Toute bonne chose ce soit pour prendre l’avantage sur eux. Il ne sait
rien d’autre sur le trajet et prend congé très rapi-

a un début dement des personnages après leur avoir souhai-


té bonne chance.
Leur parrain se montre extrêmement bref, Le groupe se trouve devant un train. Si les per-
voire sec. Le trajet qui a été finalement rete- sonnages joueurs ont joué la ballade Hodologie
nu n’est pas le sien : il s’agit de faire le voyage à rebours, inspirez-vous de la description du
en train jusqu’à la gare d’Evillian, puis de Transécryme (présente dans Effluves de l’écryme,
joindre alors le relais de Brogol, pour fina- le troisième livre de la boîte de base d’Écryme)
lement emprunter une portion de traverse, sans toutefois reprendre exactement le même

70
train. Si non, vous pouvez leur faire visiter ce
Et pour quelques train mythique
péripéties de plus ? Si les personnages décident de suivre le comte,
demandez aux joueurs d’effectuer un jet de
Les autres voyageurs décrits ci-dessus ne Maraude (diff. 10) pour ne pas se faire repérer.
sont d’aucun secours pour les personnages. Il se dirige vers l’arrière d’un autre train dont
Utilisez-les pour créer des fausses pistes et l’heure de départ précède d’une heure celle des
des rebondissements, au cas où vous voudriez personnages (Marge 0). Une fois au niveau du
rendre la vie dans le train plus foisonnante. wagon de queue, il attend d’Égonile et de Veilly
Les alachines ont un comportement (Marge 2).
étrange et touchent fréquemment des pièces Une fois tous réunis, ils montent dans un petit
des wagons. En réalité, ils pressentent les mal-
dirigeable fixé au toit du train (Marge 4).
heurs qui vont frapper le train et cherchent
à en savoir plus, mais leurs actions peuvent
Au cas où les personnages seraient repérés,
éveiller les soupçons. le comte les aborderait avec beaucoup d’ironie.
La bourgeoise est très protectrice envers Il leur rappellerait que ce sont leurs adversaires
sa fille et surveille ses allées et venues. La qu’ils doivent identifier et suivre discrètement.
jeune femme porte en effet l’enfant non re-
connu d’un puissant noble marchand habitant
Venice. Ayant refusé d’avorter, elles sont en ‌Bienvenue en première
classe
fuite et craignent que des sbires à ses ordres
ne les poursuivent. Or c’est bien le cas. Quatre
mercenaires rhodésiens sont chargés de les Lorsque les personnages embarquent, ils sont
éliminer et ils ne vont pas faire dans la den- accueillis par un steward qui leur présente la pre-
telle. Logés en seconde classe, ils comptent
mière classe, qui se compose de plus d’une ving-
tuer des stewards de la première, prendre leur
place et terminer leur contrat en poignardant
taine de wagons. Chacun d’eux abrite un endroit
les deux femmes dans leur sommeil. particulier. Derrière la locomotive, on trouve
pêle-mêle un salon, une salle de spectacle, un res-
Mercenaires rhodésiens (4) : Physique 5 taurant, un gymnase, etc. Puis viennent les ca-
(couteau +2), Mental 2, Social 3. bines, entièrement cloisonnées afin d’éviter des
crises de panique dues à l’agoraphobie, que des
passerelles métalliques extérieures permettent
si besoin au personnel de contourner. Les per-
sonnages sont conduits jusqu’à la cabine 10, spa-
cieuse et confortable.
Lors de leur installation, ils apprennent que
l’arrivée à la gare d’Evillian se fera le lendemain
matin. Les personnages doivent donc passer
Et si les personnages vingt-quatre heures à l’intérieur du train. Il est à
sont céphales ? espérer qu’ils mettront ce temps à profit pour dé-
couvrir la première classe et faire leur petite en-
L’usage de Psyché (diff. 12) donne des indices quête parmi ses habitants. Les pions de de Veilly
différents laissant deviner que les gendarmes et d’Égonile ne perdront, eux, pas une minute.
mentent.
Marge 0 : ils ne disent pas tout.
Marge 2 : ce sont des menteurs (possibili-
té de découvrir tous les points sur lesquels ils
‌Les passagers
ont menti).
Les personnages pourront rencontrer les habi-
Marge 4 : ce sont des concurrents des tants des premières durant la journée dans les
personnages. wagons communs (à l’exception des bibliothé-
Scorie (diff. 12) donne les indices suivants : caires d’Agrégante), à l’heure des repas au res-
Marge 2 : certaines actions que tenteront les taurant et durant la soirée dans la salle de spec-
deux gendarmes dans le train peuvent être en- tacle. Voici la liste complète chacun d’entre eux.
trevues (cf. § Mise en scène, plus bas). Leur nom est suivi du numéro de la cabine qu’ils
occupent. A noter que les cabines 2, 8, 9 et 13
sont inoccupées.

71
De riches voyageurs (cabines 1, 3, 4, 5) Et si les personnages
Ces personnalités disparates n’ont pas em-
barqué à Endémine, mais lors des précédents
sont céphales ?
arrêts. On dénombre une vieille bourgeoise L’usage de la céphalie portera les mêmes fruits
d’Éole et sa fille enceinte (1), quatre maîtres que sur les deux gendarmes.
cartographes d’Entrelace (3), deux représen-
tants du Syndicat de Méthalume (4) et quatre
alachines (5). de faux renseignements sur la suite du trajet (par
Après avoir essayé de convaincre les person- exemple qu’il existe une diligence qui va de la
nages des bienfaits de l’économie planifiée, les gare d’Evillian à Brogol) et font porter les soup-
deux représentants de Méthalume peuvent les çons sur d’autres voyageurs, (les bibliothécaires
avertir du système politique de Brogol (attention, d’Agrégante ou les bretteurs d’Éole).
ils ne savent rien de l’aragone).
Les cartographes, eux, possèdent une carte
de la région, mais les Innommées brillent par Les bibliothécaires d’Agrégante (cabine 6)
leur absence (Traversologie diff. 10). Questionnés Dès le départ, les trois hommes s’enferment
à ce sujet, les savants répondront qu’il s’agit d’un dans leur chambre où ils se font livrer leurs repas.
tronçon ancien et mal entretenu, non réperto- Profiter de ces collations pour jeter un coup
rié, sur lequel il est dangereux de se lancer. Ce d’œil dans la chambre permet d’apercevoir trois
tronçon se trouverait au nord de la seigneurie de mousquets à rouets (Maraude diff. 10).
Brogol et de nombreuses légendes courent à son Suspects parfaits pour les personnages, ils
sujet (cf. description du relais, plus loin). Ils ont sont en fait chargés d’amener un livre précieux
notamment entendu dire que les témoignages à un archiviste renommé de Souspente et sont
de manifestations supposément surnaturelles se quelque peu paranoïaques. Heureusement pour
sont multipliés ces derniers temps. les personnages trop curieux, ils visent vraiment
très mal.
C Riches voyageurs c
Vieille bourgeoise : Physique 1,
Mental 3, Social 5.
C Bibliothécaires paranoïaques (3) c
Physique 2, Mental 4, Social 3.
Sa fille enceinte : Physique 1,
Mental 2, Social 4.
Maîtres-cartographes (4) :
Physique 2, Mental 4, Social 3.
Représentants du Syndicat
(2) : Physique 3, Mental 2, Social 3.
Alachines (4) : Physique 2,
Mental 5, Social 2.

Dragan et Cardiff (chambre 7)


Ils sont habillés en gendarmes et ne quittent ja-
mais leurs pistolets à rouet. Le personnel du train
les croit en mission pour le préfet de Théoric,
Dragan leur a d’ailleurs montré un document qui
l’atteste. Il s’agit d’une plaquette de fer que leur
a remis la baronne d’Égonile. Les deux fouinent
à droite, à gauche, mais se montrent toujours sur
leur garde.
Un jet d’Urbatechnologie (diff. 12) permet de
savoir que les formules utilisées sur le document
ne sont pas celles de la préfecture et donc qu’il
s’agit d’un faux.
Interrogés par les personnages, Dragan et
Cardiff tentent de brouiller les pistes. Ils donnent

72
Trois bretteurs d’Éole (cabine 12) Un négociant et ses deux filles (cabine 11)
Ces trois fougueux jeunes hommes sont de re- L’air bonhomme et âgé d’une cinquantaine
doutables bretteurs venus assister à des festivités d’année, l’homme a dû vendre sa fabrique d’ab-
minières à Endémine. Ils ont dû quitter la cité sinthe à un konzern très entreprenant d’Endé-
précipitamment pour éviter de se faire accuser mine. Il a décidé de partir avec ses économies et
d’assassinat sur un noble marchand qui les avait ses deux filles de 18 et 20 ans pour s’installer à
provoqués en duel. Éole. Le négociant est un homme tout à fait sym-
Ils se montreront agréables envers des person- pathique, mais il voue une rancune tenace à tout
nages qui accepteraient de croiser le fer amica- représentant de la noblesse marchande.
lement, de parier sur un combat ou de jouer au Il connaît parfaitement le relais d’Evillian et
casino. pourra en parler en détail aux personnages.
Ils sont extrêmement méfiants vis à vis de S’ils se montrent sympathiques, il est même
Dragan et Cardiff (ce sont des gendarmes veni- prêt à les recommander à un de ses vieux amis
ciens), ce qui peut amener les personnages à les qui y possède une locomotive (Arst).
suspecter d’être leurs concurrents. Ses deux filles joueront tout le long du voyage à
Ils ne possèdent aucun renseignement utile séduire les autres voyageurs afin d’obtenir d’eux
aux personnages à propos de la course. le récit de leur vie (servez-vous en pour en faire
des pions potentiels au service des personnages).
C Épéistes éoliens c
en fuite (3) Commerçants d’Endémine c
CNégociant
Physique 5 (rapière +2), Mental d’absinthe : Physique 3,
3, Social 4. Mental 4, Social 3.
Ses filles (2) : Physique 2, Mental 3,
Social 5 (connaître rumeurs +2).

Élysée, Grimoire et Argyle (chambre 14)


Ils se sont présentés comme des baladins qui
avaient empoché un petit pactole et jouent leur
rôle à la perfection. Élysée prend des airs de
grande comédienne un peu niaise, Grimoire
celui du poète maudit réduit à écrire des
farces et Argyle adopte le style garde du corps
consciencieux (il arbore d’ailleurs l’arbalète de
Grimoire).
La première chose qu’ils ont faite dans le train
est de se faire embaucher par la compagnie pour
une représentation, le soir même.
Si on les interroge, ils ne parlent que de leur
spectacle et s’affichent comme ignorants de toute
autre chose.

73
‌Actions des personnages Préparer la suite du trajet
Dans le train, les enjeux sont doubles. Il s’agit de Quelles que soient les personnes que les person-
démasquer les concurrents de la course et d’obte- nages interrogent, ces dernières insistent sur le
nir des renseignements sur la suite du trajet. fait que le problème majeur va être de trouver un
moyen de transport à la gare d’Evillian et un guide
au relais de Brogol (pour traverser les Innommées
Démasquer les autres équipes que tous ne connaissent que de réputation).
Mis à part le personnel et les voyageurs montés Si les personnages se sont rapproché du né-
avant Endémine, tous les clients des premières gociant venicien, ce dernier leur a parlé de son
sont, aux yeux des personnages, des concur- ami, Arst.
rents potentiels. Le conteur doit les décrire de La population de la gare est relativement
manière ambiguë pour instiller de la paranoïa. pauvre et se montre très sensible aux pots-de-vin.
Dans ce but, il ne faut pas oublier que les autres On les dit en outre extrêmement vénaux.
pions recherchent également des renseigne-
ments. II est probable que les personnages in-
terrogent par hasard une personne déjà ques- ‌ etite chronologie
P
tionnée par Cardiff et Dragan ou par Élysée et
sa troupe. N’hésitez pas à demander des jets de ferroviaire des adversaires
Faconde ou d’Argutie et insistez sur les silences, Cet acte ne peut, sans en devenir lassant, se pas-
les jeux de regard, la respiration qui s’accélère, ser d’événements. C’est, dans une certaine me-
la transpiration, etc. sure, aux personnages de les créer, en cherchant
Les moyens les plus simples de découvrir à démasquer leurs concurrents, puis en cherchant
l’identité des adversaires est l’emploi de la cépha- à les neutraliser (ou du moins à les ralentir)
lie ou l’infiltration de la cabine du maître contrô- Gérer ces actions nécessite de connaître à tout
leur de première classe. Dans cette dernière se moment les soupçons et les actions des autres
trouvent les noms de chaque passager écrits à pions. C’est au conteur de réagir et d’improviser
la craie sur les murs en ardoise, leur profession en fonction des actions de leurs groupes. Pour
telle qu’annoncée, le numéro de leur cabine, leur s’aider, il peut s’appuyer sur les événements et les
destination et le nom de celui qui a réglé le bil- lignes de conduite décrits ci-après (ceux-ci ne
let (Traversologie diff. 8 pour se rappeler de l’exis- sont en aucun cas obligatoires et doivent être mis
tence de cette cabine). en scène selon les besoins de l’intrigue).
En cas d’emploi de la céphalie, les niveaux de
difficulté nécessaires sont décrits plus haut.
En cas de fouille, il faut se rendre discrètement Départ (12 heures)
dans la cabine exiguë, jouxtant la locomotive, soit Le train part d’Endémine à midi et arrivera
par le couloir, soit par la passerelle extérieure. à la gare d’Evillian le lendemain matin vers 9
Un jet de Maraude (diff. 12) permet d’esquiver le heures).
regard des curieux et de crocheter la porte ou la
fenêtre. À l’intérieur, seules trois cabines ont été
réservées par des personnes qui n’y résident pas. Incursion d’Argyle dans la cabine
Celle des personnages a été payée par le comte
de Malgone, la 7 par la baronne d’Égonile et la du maître contrôleur (13 heures)
14 par le comte de Veilly. Dès le départ du train, Élysée et les siens savent
Afin de brouiller les pistes, les personnages que la liste des passagers s’y trouve. Vers 12h30,
peuvent se servir d’autres voyageurs pour réali- la comédienne demande au maître contrôleur de
ser la fouille (les filles du négocient ou les carto- la rejoindre au salon, soi-disant pour lui parler
graphes). de l’organisation de ses spectacles. Pendant ce
En réalité, il existe un troisième moyen de temps, Argyle réussit à entrer dans la cabine par
découvrir le pot-aux-roses, mais qui néces- la fenêtre entrouverte et découvrir l’identité de
site l’usage de la céphalie froide. Comme dans leurs adversaires.
Hodologie à rebours, les personnages créent un Fairplay, il n’efface pas les noms des comman-
lien entre eux et le train et peuvent détecter tout ditaires, mais il ne peut s’empêcher de rajouter
élément inhabituel (Mekanë diff. 10). de fausses informations sur les personnages et

74
les deux gendarmes (de fausses allergies, des be-
soins superflus, de prétendus rendez-vous, etc.). Notes
Durant la partie, faites intervenir des stewards
désireux de satisfaire les prétendus besoins des L e s événement s c i- de s su s dé p endent
évidemment des soupçons des groupes
personnages et qui doivent apparaître comme
concurrents. Il ne peut y avoir d’actions
des contretemps. contre les personnages si ces derniers ne sont
Lors de l’infiltration de la cabine, les person- pas découverts.
nages peuvent se rendre compte de la manipu- Comme Argyle a réussi à pénétrer dans la
lation, car l’écriture d’Argyle n’est pas exacte- cabine du maître contrôleur, Élysée sait très
ment la même que celle du maître contrôleur tôt contre qui elle joue (vers 14 heures).
(Urbatechnologie ou Traversologie diff. 10). Par contre, Dragan et Cardif n’identifieront
les personnages que si ces derniers posent
trop de questions, ce qui devrait être assez
Incartade fâcheuse (entre 16 et 17 heures) probable (comme la réciproque d’ailleurs).
Une des filles du négociant d’Endémine essaye, Toutefois, ils ne soupçonneront jamais Élysée
fort maladroitement d’ailleurs, de séduire un des et parient plutôt sur les trois bretteurs d’Éole
qui font tout pour les éviter.
bretteurs d’Éole en se serrant tout contre lui.
Malheureusement, elle renverse sa boisson sur le
jeune homme qui en prend ombrage et la tance
vertement. Piquée, elle lui répond et le ton monte leurs soupçons (dans ce dernier cas, les person-
jusqu’à ce que la fille le soufflette. Aussitôt, le nages seront consignés une heure dans leur ca-
père intervient et exige des excuses. Si personne bine, avant d’être libérés sur ordre des conduc-
n’intervient au côté du personnel du train pour teurs, avec excuses du personnel).
calmer la situation, l’escrimeur éolien finira par
provoquer le père en duel.
Malgré tout, les guetteurs ne laisseront pas le Le spectacle d’Élysée (21 heures)
duel avoir lieu. Après le dîner, tous les voyageurs sont conviés
à assister au spectacle d’Élysée et de ses amis. La
plupart des voyageurs (à l’exception des bibliothé-
Disparition (18 heures) caires d’Agrégante) se rendent alors dans la salle
Vers 17 heures, Dragan et Cardiff s’éclipsent de spectacle. Son déroulement est assez simple.
pour se diriger vers l’avant du train. Là, ils dis- Argyle commence par essayer de dérider la salle
cutent avec un des stewards (à propos de leur par quelques plaisanteries au goût douteux. Le
mission pour le préfet), puis ils se dirigent vers la silence qui règne alors dans la salle est pour le
jonction entre les wagons et la locomotive de moins gênant. Grimoire l’interrompt Argyle et an-
tête sans que personne ne les remarque. Ils es- nonce, au soulagement général, qu’Elysée va faire
sayent alors de détacher la locomotive, mais ils subir à ce fat prétentieux le châtiment qu’il mérite.
sont surpris par un guetteur qui leur demande Un cercueil est apporté sur scène et Argyle,
des comptes. Une fois le guetteur plongé dans tremblant, y est conduit par Grimoire qui re-
l’écryme, Dragan et Cardiff ne peuvent terminer ferme le cercueil. Elysée va alors percer le cer-
leur besogne, car l’esclandre a alerté le personnel cueil d’une série de lames. Pendant ce temps,
qui afflue. Ils retournent dans le salon. Argyle, qui est passé de l’autre côté de la paroi
Vers 18 heures, le maître contrôleur réunira par une ouverture dérobée, s’éclipse de la scène
tous les voyageurs : la disparition du guetteur est et se rend dans la chambre des maîtres carto-
signalée et quelqu’un a essayé de détacher la loco- graphes où il dérobe des cartes que le trio avait
motive. Aussitôt, Dragan et Cardiff se désignent repérée. Ensuite, il retourne dans les coulisses et
comme enquêteurs (ce qu’approuvera le maître rentre à nouveau dans le cercueil. Le seul moyen
contrôleur) et commencent une pseudo-enquête. pour les personnages de repérer ces allées et ve-
Les gendarmes peuvent avouer leur impuis- nues et qu’ils ne soient eux-mêmes pas dans la
sance comme ils peuvent monter un scénario bis- salle de spectacle. Dans ce cas, ils repèreront
cornu, le révéler aux voyageurs durant le dîner Argyle déambulant dans les couloirs du train
(dans une séance à la Hercule Poirot). Dans ce (Maraude diff. 12).
dernier cas, ils désignent comme coupables les Argyle de nouveau dans le cercueil, Elysée le
trois bretteurs d’Éole ou les personnages, selon fait réapparaître. Elle annonce alors un tour de

75
divination et choisit les personnages comme vo- encore, ils peuvent être innocentés par l’interven-
lontaires s’ils assistent au spectacle. Elle com- tion des conducteurs. Ces derniers feront arrêter
mence par leur inventer un passé de brigands Élysée et sa bande pour qu’ils s’expliquent sur le
et de voleurs. Argyle s’approche alors d’eux vol. Les saltimbanques s’en sortiront en arguant
et, avant qu’ils aient pu réagir, tire comme par que c’était pour les besoins de leur spectacle.
magie du pourpoint de l’un d’eux la carte au mo-
ment même où Elysée annonce que les person-
nages l’ont dérobée chez les cartographes... Il y a Nuit et matinée (entre 0 heures et 9 heures)
alors un moment de flottement dans la salle, puis Si les personnages ont réussi à déjouer les
le maître contrôleur appelle ses stewards qui en- pièges de leurs adversaires et qu’ils sont libres,
tourent les personnages. S’en suit une discussion les choses ne seront pas tranquilles pour autant.
où les personnages vont pouvoir défendre leur Dragan et Cardiff essayeront de les neutraliser.
point de vue. Aux environs de minuit, les gendarmes leur fe-
Engagez alors une Confrontation sociale qui ne ront envoyer (soi-disant au frais de la compagnie)
se terminera qu’avec aux moins 2 Impacts graves des boissons droguées. Y goûter demande un jet
causés chez les saltimbanques. d’Athlétisme diff. 10. En cas d’échec, les victimes
Si les personnages s’en sortent trop facilement, s’endorment jusqu’à l’arrivée du train à la garde
Dragan se précipitera sur cette occasion inespé- d’Evillian.
rée et affirmera avoir surpris les personnages Vers 4h, le duo injecte de l’acide dans leur ser-
devant la porte des cartographes. Cette compli- rure, ce qui qui la bloquera totalement. Sachant
cation apportera une Incidence de +2 aux adver- que le train ne s’arrête que quelques minutes à
saires du groupe. la gare d’Evillian, le matin risque d’être, pour les
Si les personnages l’emportent, les saltim- personnages, un peu paniquant.
banques affirmeront que tout ceci était pour Dès l’arrivée en gare, pour sortir de la cabine,
rire et faisait partie du spectacle. Mal à l’aise, les il faudra de défoncer la porte (Athlétisme diff. 16,
gendarmes leur emboîteront le pas. Alors qu’ils avec les règles des actions coordonnées) ou sau-
rendent la carte aux cartographes en les remer- ter par la fenêtre. Cette manouvre demande un
ciant de leur participation, il est clair que les jet d’Athlétisme diff. 10 pour ne pas se blesser et
masques sont définitivement tombés. occasionnera un léger retard par rapport aux
Si les personnages perdent, le maître contrô- autres groupes.
leur les assignera à résidence dans leur cabine. Là

‌ Ù LES TRAVERSES
O
DÉFILENT (INTERLUDE)

‌La gare d’Evillian ce lien ne s’est pas transmis aux jeunes généra-
tions et la gare se meurt lentement mais sûre-
Evillian se trouve à la jonction de deux tra- ment. L’âge avancé de la majorité des traversiers
verses : celle de Brogol qui mène au relais du et les murs lézardés sont là pour s’en convaincre.
même nom et celle qui relie Endémine à Éole. En revanche, ce délitement fait la joie des
Construite à l’origine pour acheminer les mar- contrebandiers qui transitent par Evillian sans
chandises produites au relais de Brogol dans les trop de souci. Les contrôles sont quasiment
grandes cités, elle n’a plus aujourd’hui aucune inexistants et en échange de leur discrétion, les
autre raison d’être depuis que la ligne avec le habitants reçoivent ponctuellement des récom-
relais a été abandonnée, suite au départ des penses en nature ou en espèces selon les cas.
konzerns éoliens, une décennie auparavant.
Malgré tout, ses habitants, et notamment son
maire - un noble marchand qui y a installé sa ré- ‌Les moyens de transport
sidence principale et qui entretient l’endroit, à Le passage des personnages dans cette pe-
perte, lui vouent un certain attachement Hélas, tite bourgade tranquille se doit d’être rapide. Il

76
ne s’agit pour eux que d’obtenir le moyens de
transport le plus rapide avant les autres concur- Les actions des
rents. Peut-être disposent-ils déjà de la piste de la
locomotive. Sinon, il suffit d’interroger les gens adversaires
(Faconde ou Argutie diff. 10). Dragan et Cardiff, dès leur descente du
train, vont à la maison du maire pour réquisi-
tionner son automobile. Les domestiques refu-
La locomotive sant, ils les menacent alors de leurs armes et
La locomotive est la première chose que les per- s’emparent de l’automobile. La chose va pro-
sonnages verront en descendant du train. Elle voquer un tollé général dans le village. Les
rouille sur une ancienne voie menant jusqu’à habitants se rassembleront et ne parleront
Brogol et donne l’impression de ne jamais pou- dès lors plus que de cela (facilitant les actions
voir redémarrer. éventuelles des personnages et d’Élysée).
Elle appartient au chef de gare autoprocla- Élysée et son groupe vont moins vite et
prennent le temps de se renseigner sur la tra-
mé de la station d’Evillian, le dénommé Arst. À
verse de Brogol avant de chercher un moyen
l’approche de la cinquantaine, cet ancien che-
de transport. Ils utiliseront un de ceux qui
minot poursuivi pour sédition et terrorisme à restera, mais auront une préférence pour l’au-
Endémine a fini par s’établir ici. Il trempe dans tomobile du tenancier.
plusieurs commerces louches et n’hésitent pas à Au final, Dragan et Cardiff partiront vrai-
faire transiter de la marchandise volée dans les semblablement les premiers. Les personnages
trains de passage. suivront, puis Élysée avec Argyle et Grimoire
Arst est l’ami du négociant que les personnages s’en iront en dernier.
ont rencontré dans le train et si ces derniers se pré-
sentent de sa part, il sera très heureux de pouvoir
les aider. Outre les renseignements qu’il peut don- trois ou quatre jours par teinte. Par contre, sa
ner sur Evillian, il leur proposera de les conduire grande maison est en permanence occupée par
à Brogol avec la locomotive contre 15 à 20 hurles. sa femme, ses deux enfants et quatre domestiques
Si l’appareil n’a pas servi depuis longtemps, armés de pistolets à silex qui servent également
Arst n’a pourtant jamais cessé de l’entretenir et de gardes du corps.
il est, du moins théoriquement, en parfait état de L’automobile est entreposée dans un garage
marche. La motrice peut partir dès que le char- au rez-de-chaussée du manoir familial. Il s’agit
bon sera chargé et les citernes d’eau remplies (ce d’un modèle luxueux dont le maire est tombé
qui prendra une bonne heure). Le seul véritable amoureux et qu’il fait entretenir en parfait état
problème est l’état de la voie de chemin de fer de marche. En son absence, aucun membre de la
qui mène à Brogol. Celle-ci n’étant plus réguliè- maison n’acceptera de prêter l’automobile à qui
rement utilisée depuis une dizaine d’années, on que ce soit (et cela à n’importe quel prix). De
peut s’attendre à quelques surprises… toute façon le faible stock d’essence dont dispose
En plus de la locomotive, Arst possède un petit l’automobile permet tout juste d’arriver à Brogol.
stock d’essence qu’il conserve pour des cas d’ur- La seule façon de se procurer cette automo-
gence. S’il est facile de le voler, il semble plus bile est donc de la voler. Entreprise assez péril-
simple encore de convaincre le cheminot de la leuse puisque les quatre domestiques surveillent
nécessité de l’employer. la maison en permanence. Les esquiver s’avère
compliqué (Maraude diff. 12) et les affronter de-
C Arst, chef de gare débrouillard c mande une préparation sans faille (ou une force
Physique 3, Mental 3, Social 4. de frappe supérieure).
Si la voiture du maire est en parfait état de
marche, celle du tenancier est pour le moins vé-
Les automobiles tuste. Il s’agit en fait d’un héritage de son père et
Il n’existe que deux automobiles à Evillian : l’automobile dort depuis près de 5 ans dans une
celle du maire et celle du tenancier du café de remise, derrière le café. Autant dire qu’elle a be-
la Gare. soin d’une bonne révision (une Marge minimale
Le maire n’est que rarement à Evillian. De de 6 est nécessaire avec un jet d’Anthropo-mécano-
fait, il passe la majeure partie de son temps à logie diff. 10 effectué toutes les heures). L’homme
Endémine, pour ses affaires, et ne réside ici que ne dispose plus d’essence depuis bien longtemps,

77
mais il peut envoyer les joueurs en acheter auprès moyen de transport utilisé : 4 heures pour l’auto-
d’Arst. Désormais âgé (et sourd !), cet ancien ou- mobile du maire (à condition de ne pas dormir),
vrier acrobate n’attache à la voiture qu’une valeur 6 heures pour la locomotive et l’automobile du
sentimentale limitée. Il est tout à fait prêt à s’en tenancier, une journée pour les chevaux (ces der-
séparer ou à la louer pour une somme dérisoire niers doivent se reposer) et un à deux jours pour
(une dizaine de liges)… ou même gracieusement les vélocipèdes.
si on le prend du bon côté (Faconde diff. 12). La seconde confronte les personnages aux pro-
blèmes inhérents à tout voyage sur les traverses.
Pour cela, il suffit de provoquer des incidents qui
Chevaux et vélocipèdes dépendront du moyen de transport utilisé par
Ce sont les deux moyens de transport les plus les personnages. Une automobile peut tomber
simples à obtenir. Il existe en effet à Evillian un en panne (surtout celle du tenancier), la voie de
éleveur de chevaux et un fabriquant de véloci- chemin de fer peut être abîmée par instant et la
pèdes. traverse elle-même peut être vétuste et présenter
Petit homme replet, mais costaud, le premier des brèches par endroit, voire carrément mena-
se livre à la contrebande. Si les personnages lui cer de s’écrouler. Autre incident possible, l’inter-
semblent aux abois, il est prêt à leur faire un prix vention d’un groupe de dix marginaux installés
(30 sous). Mais il leur fera acheter l’eau et le four- sur une portion de traverse qu’ils considèrent
rage au prix fort, car leur voyage durera une jour- comme leur territoire. Spontanément, ces der-
née. Ils pourront laisser les montures à l’auberge niers peuvent attaquer à vue tous ceux qu’ils es-
de Brogol et il passera les chercher plus tard. timent hostiles. À moins que les concurrents des
Le marchand de cycles est simplement ce qu’il personnages (à vous de déterminer lesquels) ne
paraît : une personne vénale à la mine aussi sèche les aient soudoyés et convaincus que votre groupe
que ses manières. Il est prêt à vendre chaque représentait une menace. La durée du trajet cor-
pièce pour 5 hurles. respond à celle donnée plus haut, corrigée par la
durée des incidents.
Habitants d’Evillian La dernière façon de jouer la traversée est d’en
Femme du maire : Physique faire une poursuite infernale, chacun des groupes
2, Mental 2, Social 4. n’étant séparé des autres que par quelques cen-
Enfants du maire (2) : taines de mètres. À vous, dans ce cas, de déci-
Physique 1, Mental 2, Social 3. der des actions d’Elysée et des gendarmes. Les
Gardes du corps du maire
variantes peuvent être nombreuses (embuscades
(4) : Physique 5, Mental 2, Social
visant à détruire les moyens de locomotion, sabo-
3.
Tenancier de l’auberge : tage de la traverse…) et peuvent se combiner avec
Physique 3, Mental 2, Social 3. des incidents de trajet comme décrits ci-dessus.
Éleveur de chevaux : Dans ce dernier cas, les règles de poursuite dé-
Physique 3, Mental 4, Social 3. crites dans Rouage et Engrenage, second livre de la
Vendeur de vélos : Physique boîte de base détermineront l’ordre d’arrivée des
2, Mental 5, Social 4. concurrents à Brogol.
Dans tous les cas, le moyen de transport des

‌La traverse de Brogol joueurs ne pourra les conduire au-delà du relais


(les voitures n’ayant plus d’essence et n’étant pas
La traverse de Brogol est une petite traverse en adaptées à la traversée des Innommées, le réseau
pierre, d’une quinzaine de mètres de large, avec de chemin de fer s’arrêtant un kilomètre avant
une vieille voie ferrée sur l’un des côtés. Sa traver- Brogol, les chevaux étant exténués et les véloci-
sée ne pose aucun problème majeur et vous pou- pèdes étant trop usés).
vez la jouer de trois manières différentes.
La première consiste à vous passer de descrip- C Marginaux traversiers (10) c
tion, le voyage se faisant sans encombre. En ce Physique 3, Mental 1, Social 2.
cas, la durée de la traversée ne dépend que du

78
‌ Ù L’ANCIEN ET LE MODERNE
O
S’INVITENT DANS LE JEU (ACTE 2)

‌Le relais de Brogol gâts qui leur avaient valu leur renvoi.
En quelque temps, le relais de Brogol a re-
pris vie, sous l’impulsion des verriers et des in-
Historique génieurs, dont les besoins, bien plus modestes
Situé à mi-chemin d’Endémine et d’Éole, le re- que ceux d’un konzern, étaient satisfaits par la
lais de Brogol a abrité, durant plusieurs décen- quantité existante de ressources. Ces deux petites
nies, une mine de charbon, des fours à chaux et communautés ont été rejointes, quelques teintes
des usines consacrées exclusivement à la verre- plus tard, par des partisans de l’aragone, chassés
rie. Mais, jugé trop peu rentable, il a fini par las- de la précédente seigneurie où ils se trouvaient
ser les konzerns éoliens qui ont abandonné les (un aumônier et une dizaine de fidèles). Ceux-
lieux à leur propriétaire, le vieux châtelain Anton ci, abusant facilement de la confiance d’Anton,
de Brogol, dix ans plus tôt. Ce dernier a laissé se sont installés dans le château de Brogol. À la
quelques verriers restés sur place s’installer dans même époque, le relais est également devenu un
quatre des cinq fabriques abandonnées. point de passage pour les faucheurs de brise, une
Pour augmenter leur nombre et leur capacité étrange tribu traversière se déplaçant sur des
de production, les artisans ont petit à petit fait chars à voile et qui venaient s’y approvisionner.
venir des collègues traversiers et ont embauché Aujourd’hui, le relais se partage entre gens du
des saisonniers. À la même époque, des renégats château (Anton de Brogol, ses fidèles et le grou-
de la Loge de l’albatros d’Éole sont arrivés au re- puscule de l’aragone) et gens des usines (verriers,
lais et ont investi, avec l’accord d’Anton, la der- ingénieurs de l’Albatros et quelques vieilles fa-
nière usine. Ces ingénieurs un peu fous fuyaient milles du relais). Malgré l’affection dont jouit le
le courroux de leur cité. Constructeurs fan- seigneur, il règne une certaine inimitié entre les
tasques, ils avaient mis au point des aéroplanes deux, en raison du conservatisme des uns et de
trop audacieux et avaient causé d’importants dé- la soif de recherche des autres. Mais, dernière-

Des secrets de Brogol


Lors du départ des konzerns, la nostalgie d’An- de l’écryme se sont solidifiés et ont fini par deve-
ton de Brogol a fini par fracturer sa raison et s’est nir de véritables monstres.
muée en douce folie. En raison de l’attachement Verne Faraday, duc de Bronze à la tête des projets
que lui vouent ses sujets, ces derniers ont été à glorianais à Brogol est un céphale et il a senti le
leur tous contaminés par l’entremise de l’écryme. lien entre le relais, les légendes et les témoignages
En retour, l’émotion s’est démultipliée et a impac- à propos de monstres. En raison de la nostalgie
té tout ce qui se trouvait sur les Innommées. Sur omniprésente, il a déduit, à juste titre, qu’Anton
ces traverses, on parlait depuis toujours d’appa- en était la cause (ou la conséquence). À ce titre,
ritions ou de fantômes, mais l’émotion d’Anton, il a pesé de tout son poids pour que le projet d’as-
qui rêve d’un âge d’or disparu, a littéralement fini sassinat soit abandonné. À la place, il aimerait
par leur donner corps. utiliser le maelstrom émotionnel gravitant autour
Le processus s’est non seulement renforcé suite de Brogol, mais en le modifiant pour le façonner à
à l’arrivée des fidèles de l’aragone et de leur ses goûts et intérêts. Construire une cité indépen-
culte du passé, mais surtout au passage répété dante du commerce, en plus de servir la noblesse
des faucheurs de brise, dont la vitesse (et plus marchande de son pays, amènerait les habitants
encore l’idée de vitesse que les gens de Brogol, du relais à se tourner vers la modernité, le pro-
Anton en tête, s’en font et associent à ces no- grès, la vitesse et les échanges… autant de ressen-
mades) a agi comme un catalyseur émotionnel. tis que Faraday brûle d’impatience d’implémen-
Depuis quelques teintes, les apparitions sur les ter dans son anence. Sous son impulsion, Brogol
Innommées se sont ainsi faites plus nombreuses ne deviendrait rien d’autre qu’un garde-manger
et plus tangibles. Les spectres issus des vapeurs émotionnel.

79
assassinat a été envisagée, mais rapidement aban-
Et si les personnages donnée. À la place, les nobles marchands ont su-
renchéri et proposé davantage d’argent... Un
sont céphales ? négociateur glorianais réside au château de ma-
nière permanente.
La céphalie peut révéler de nombreuses
choses sur le relais de Brogol.
Psyché (diff. 8) : tout le relais est envahi
par la mélancolie et la nostalgie. Ces émotions
Petit aperçu topographique
imprègnent aussi bien les bâtiments que les Le relais de Brogol est construit sur un renfle-
personnes. ment du terrain qui ressemble à une petite col-
Scorie (diff. 8) : de nombreux faisceaux line que la traverse effleure et contourne, avant
émotionnels convergent vers Brogol, mais en de poursuivre sa course à l’ouest, en direction
partent aussi. Leurs couleurs ternies évoquent d’Éole. Là, elle se fragmente en de multiples et
des choses qui ont passé et expriment à la fois anciennes portions que les habitants ont surnom-
de l’amour et des regrets. Les faisceaux for- mées les Innommées.
ment comme un tourbillon gigantesque au- Au sommet, le château des Brogol domine, ci-
tour du relais. Deux points alimentent ce
tadelle imposante et sans style formée de quatre
gigantesque maelstrom ; le château et les
hautes tours carrées jointes par des murs épais.
Innommées, au nord (Marge 2). Il est pos-
sible d’avoir des visions en lien avec les che- Au pied du château les habitations proprement
valiers fantômes et le seigneur Anton qui rêve dites, des maisons de pierre bordées de ruelles
(Marge 4). étroites, s’étendent sans logique jusqu’à la tra-
Mekanë (diff. 10) : les machines des fa- verse. De l’autre côté, les maisons disparaissent
briques sont elles aussi gorgées de nostalgie pour céder la place aux quatre usines, construites
et de mélancolie. Quand elles fonctionnent, sur des plateformes métalliques prenant assises
elles émettent clairement des soupirs de lassi- sur l’immense pont. Les bâtiments industriels
tude. Comme tout ce qui est mécanique dans sont entourés de nombreux fours à chaux en
ce relais, à l’exception du dirigeable gloria- pierre qui ressemblent à des fortifications du
nais. Ses composants sont, eux, gorgés d’une Moyécryme. En tout, le relais compte 200 habi-
énergie nouvelle, comme s’ils avaient soif de
tants.
nouveauté et de changement.
Les faisceaux ambiants altèrent la récolte des
Saint Just. À Brogol, si des joueurs échouent
les tests de leurs personnages, ils sont sujets
Légendes locales
à la mélancolie. Sur les traverses, le nom de Brogol est connu
des voyageurs, des conteurs et des érudits
(Traversologie diff. 10).
ment, un autre protagoniste a fixé son attention Le relais est la porte d’entrée des Innommées,
sur Brogol et risque de bouleverser l’ordre des une portion ancienne de la trame qu’on dit han-
choses… tée par des spectres et des créatures de légende
En prospectant dans la région, plusieurs (Marge 0).
konzerns glorianais ont découvert d’importants Quand ce ne sont pas des monstres qui la
gisements de fer et de cuivre qui n’avaient pas peuplent, c’est la portion elle-même qui pren-
été décelés à l’époque par leurs homologues éo- drait vie pour devenir un labyrinthe dont il est
liens. Réalisant que le relais était tout proche du impossible de sortir (Marge 2).
tracé du train et disposait déjà d’infrastructures Les plus superstitieux évoquent les apparitions
industrielles, ils ont saisi son importance stra- de chevaliers défunts, de leurs montures ailées et
tégique. Il aurait suffi de reconstruire et de dé- de monstres qu’ils affrontent sans relâche comme
velopper la ligne reliant Brogol à Evillian pour de leur vivant (Marge 2).
maximiser les profits. A terme, il aurait même Les témoignages d’apparitions se sont multi-
été possible de faire de l’endroit une cité libre pliés depuis quelques teintes (Marge 2).
du commerce, hors d’atteinte de l’administra- Au départ, les créatures étaient des spectres
tion pentapolienne. Des émissaires glorianais ont semblables à la brume, mais, depuis quelques
alors contacté Anton de Brogol pour lui faire des teintes, ils se sont transformés en créatures
offres… que le vieillard, réputé sénile, a toutes sombres et solides (Marge 4).
refusées jusqu’à aujourd’hui. La possibilité d’un

80
‌Lieux Un petit dirigeable est amarré à la troisième
tour. Sur son enveloppe, on distingue le blason
Tout le relais est subtilement imprégné par la d’un konzern glorianais (Urbatechnologie diff. 10).
nostalgie du Moyécryme, l’amour du passé et des
légendes. Les bâtiments paraissent anciens, mais
vénérables et même les plus petites constructions La Vue sur le large
ont quelque chose de majestueux (un élément Construite sur deux étages, cette auberge est
qui dénote le plus souvent). Les choses les plus le plus grand bâtiment du relais après le châ-
récentes, construites grâce au nouvel essor de teau. Les habitués se retrouvent dans la grande
Brogol doivent paraître plus fades. Même plus salle commune pour échanger et boire. Cinq
grandes, elles sont comme étriquées. chambres sont disponibles pour les voyageurs au
premier étage, alors que le second est réservé à
l’aubergiste et sa famille. Sur le toit plat, ces der-
Le château des Brogol niers ont construit un vivarium et un élevage d’in-
Deux des tours du château sont occupées par sectes. Les seconds nourrissent les serpents qui,
Anton et ses gens. Une troisième sert de corps eux, sont servis aux clients. La clientèle compte
de garde et certaines pièces, au sommet, sont ré- de nombreux chasseurs de hurleurs et autres
servées aux hôtes du seigneur. Enfin, la dernière cueilleurs de fleurs d’écryme, mais aussi des ver-
tour a été cédée à l’aragone. Le château occupe riers. C’est l’unique lieu de rencontre entre ceux
une place prépondérante grâce à ses caves qui du château et ceux des usines. On peut y glaner
fournissent l’essentiel de la nourriture du relais quelques rumeurs sur Brogol (Faconde diff. 8). À
(champignons et élevage d’insectes) et où se vous d’instiller celles qui vous paraissent suscep-
trouve une source d’eau potable. tibles d’intéresser vos joueurs :
L’aragone empoisonne l’esprit du seigneur
Anton. Lui qui est déjà d’un naturel rêveur a vu
sa douce folie s’aggraver depuis l’arrivée du culte
(Vrai-faux / Marge 0).

1. Le château des Brogol


2. L'auberge La Vue sur le large
3. Les usines
1

81
Le châtelain est un homme bon et doux. Tout
ce qu’il faut, c’est aller dans son sens quand il se Anton et ses gens c
CAnton
met à rêver (Vrai / Marge 0) de Brogol : Physique 2,
Plusieurs verriers se voient nuitamment, sans Mental 2, Social 4.
doute pour préparer un mauvais coup (Vrai / Jale de Brogol : Physique 4,
Marge 0). Mental 3, Social 3.
Gardes (20) : Physique 5,
Parmi les clients, trois personnes prétendent
Mental 2, Social 3.
avoir été témoins d’apparitions. Hans, Valère
Serviteur : Physique 2, Mental
et Guillaume sont trois frères qui gagnent 4, Social 3.
leur vie comme cueilleurs de fleurs d’écryme.
Fréquemment, ils se rendent aux abords des
Innommées. Ils n’y avaient jamais fait de ren-
contres étranges auparavant, mais quelques
jours plus tôt, ils ont aperçu des chevaliers vêtus
d’armures sombres galopant sur une traverse.
D’ordinaire, ce genre d’horreurs restait canton-
né au cœur de l’ancienne portion, à ce qu’on dit.
Le trio a pris ses jambes à son cou sans demander
son reste (Vrai / Marge 2).

‌Personnages
Anton de Brogol, le roi imaginaire, et ses gens
Le châtelain est un vieil sexagénaire fatigué
que sa maladie rend de plus en plus maigre.
Pourtant, dans ses accès de folie, il est pris d’une
énergie débordante qui confine presque à de
l’hystérie. Personnage rêveur transcendé par
son titre, il s’imagine être à la tête d’un puis-
sant royaume traversier. Ce roi imaginaire passe
le plus clair de son temps à s’inventer des enne-
mis et à écrire d’interminables traités diploma-
tiques à des empires sortis tout droit de son ima- L’aragone
gination. Ses frasques ont fini par faire partie du Le groupuscule installé au château est mené
décor et les habitants du relais se font un devoir par Luc Ambrozy. Ce précepteur itinérant a choi-
de prendre pour argent comptant les récits de si de servir la cause de l’aragone et est devenu
leur châtelain. Ces derniers l’ont même rendu aumônier. Intransigeant, il a été chassé d’une
très populaire et les habitants sont très attachés précédente seigneurie et un petit groupe d’une
à cette figure d’autorité. dizaine de fidèles l’a suivi. Anton a accepté de
Anton a confié la garde du relais à son fils, les accueillir et leur a alloué une tour qui était
Jale, un homme taciturne, amateurs de chasses auparavant laissée quasiment à l’abandon. Le
aux hurleurs et sourcilleux du respect qui lui est groupe sort rarement du château et se contente
dû. Il est attristé de l’état de son père et espère de mener une vie d’étude à l’intérieur de la tour.
trouver un remède à son mal. Tout comme lui, il Lectures, réflexions et partages sur le conserva-
est hostile à une vente aux konzerns glorianais, tisme et l’importance de la généalogie occupent
mais il pourrait fléchir contre la promesse d’un les trois-quarts de leur temps.
traitement médical réservé à Anton. Luc s’est installé au relais de Brogol pour
La garde de Brogol est composée d’une ving- deux raisons : le relais est un endroit tranquille
taine d’hommes (armés de masses et protégés et Anton de Brogol est un personnage aisément
par une cuirasse). manipulable si l’on abonde dans son sens. Le pro-
Anton est également entouré par une dizaine fesseur n’hésite pas à discuter des heures durant
de serviteurs fidèles qui servent la famille de avec le châtelain sur la politique du royaume. Mais
Brogol depuis toujours. dans son dos, il se moque de lui…

82
Luc sait pertinemment que les habitants du re-
lais ne l’apprécient pas outre mesure et il ne to- Les scientistes de l’albatros
lère de ses fidèles qu’une seule sortie par semaine Ils sont huit renégats à avoir choisi de s’instal-
à la Vue sur le large. ler au relais. Ils ont transformé l’usine qu’Anton
leur a cédée en un gigantesque atelier où se cô-
C Les fidèles de l’aragone c toient des dizaines de prototypes d’aéroplanes
Luc Ambrozy : Physique 3, plus farfelus les uns que les autres (qui vont des
Mental 4, Social 4. grandes ailes fixées au dos d’un homme à de vé-
Fidèles (10) : Physique 4, ritables aéroplanes). Au beau milieu de ce ca-
Mental 2, Social 2. pharnaüm se dresse une tour faite de bric et de
broc qui perce le toit de l’usine et culmine à plus
de soixante-dix mètres. C’est du haut de cette
tour que les scientistes s’élancent parfois quand
un prototype est jugé sûr. Jusqu’ici, ils n’ont eu
que deux blessés graves (le premier s’est écra-
sé dans l’écryme et s’en est tiré avec quelques
marques disgracieuses qui lui font porter un
masque lorsqu’il sort dans la rue, le second a
perdu ses jambes et se déplace dans l’usine sur
des filins installés en hauteur).
Les renégats sont de fervent partisans du rachat
du relais par les Gloriannais, car ils connaissent
leur ouverture quant aux nouvelles technologies.
Ils s’efforcent de rallier les verriers à leur cause.
Ils sont hostiles à l’aragone, mais, trop occupés
à leurs recherches, ne sont pas impliqués dans le
complot (cf. ci-dessous).

C Les scientistes renégats c


de l’albatros
Les scientistes valides (6) :
Physique 2, Mental 5 (aérodyna-
mique +2), Social 2.

Les autres équipes


Voici les actions qu’effectueront les équipes Les saltimbanques : Élysée, Grimoire et
concurrentes des personnages quand elles at- Argyle passeront eux aussi par la Vue sur le
teindront Brogol (peu importe l’ordre d’arrivée) : large. Pas assez intrépides pour emprunter un aé-
Les gendarmes : en voulant être rapides, roplane, ils préfèrent essayer de trouver un guide
Dragan et Cardiff ne tiendront pas compte de pour traverser les Innommées. Pour ce faire, ils
l’invitation d’Anton de Brogol au château (systé- acceptent l’invitation d’Anton au château. Là-bas,
matique vis-à-vis des étrangers qui arrivent au conscient du pouvoir de Luc Ambrozy sur le châ-
relais). En s’arrêtant à la taverne, ils apprennent telain, ils tenteront de faire de l’aumônier un allié
que les Innommées sont livrées à l’abandon et afin qu’il intercède pour eux auprès d’Anton et
impraticables sans un guide averti. En enten- que ce dernier ordonne aux habitants de Brogol
dant parler des renégats de l’albatros, les deux de leur fournir gratuitement un guide et des che-
compères estiment que l’aéroplane est sans doute vaux. Au château, en cas de rencontre avec les
le meilleur moyen de rejoindre Éole. Quelques personnages, ils se montrent amicaux, mais mo-
heures plus-tard, ils s’envolent à bord d’un proto- queurs et tenteront de les discréditer (mensonges,
type après avoir pris son constructeur en otage tentatives de ridiculiser, etc.).
afin qu’il leur serve de pilote.

83
Renégat défiguré : Physique 3, briquent du verre destiné à Endémine. Une fois
Mental 5 (aérodynamique +2), par mois, un dirigeable vient chercher la pro-
Social 1. duction des verriers. Ils vivent avec leurs familles
Renégat cul-de-jatte :
dans les usines cédées par Anton de Brogol.
Physique 1, Mental 5 (aérodynamique
Ils sont les plus hostiles à l’aragone et certains
+2), Social 2.
participent à un complot pour chasser Luc et ses
fidèles.
Ils vouent à Anton de Brogol une véritable ad-
miration et le reçoivent en grande pompe quand
il descend du château.
Ils sont partagés par l’offre de rachat gloria-
naise. Pour l’instant, environ seul un tiers y est
clairement favorable.

C Les verriers (20) c


Physique 5, Mental 2, Social 3.

Les verriers
Une vingtaine d’artisans ont repris à leur
compte les fours à chaux des usines et avec la
houille qu’ils extraient encore, couplée au sable
que leur fournissent les faucheurs de brise, ils fa-

Et si mon groupe
ne veut rien faire ?
Si les personnages ne souhaitent pas rentrer
dans les querelles secouant le relais, ne leur
forcez pas la main et focalisez-vous sur la re-
cherche d’un moyen de transport. Mais faites
leur comprendre (par l’entremise de Valentin L’émissaire glorianais
Percy par exemple, qui a l’avantage d’être Pour parvenir à ses fins, Verne Faraday a envoyé
neutre) que pour trouver un guide ou un véhi-
un émissaire à Brogol et lui a alloué des moyens
cule, les choses sont loin d’être simples.
Le seul à pouvoir les aider, s’ils font fi du com-
quasi illimités. Cet homme, un jeune chevalier
plot, est Anton. Le châtelain est facile à séduire du Capital du nom de Valentin Percy, a reçu une
avec un peu d’imagination. Il suffit de le suivre double mission : obtenir d’Anton, par tous les
dans ses délires (Faconde diff. 10). Il finira par moyens, un acte de vente du relais et maintenir
parler des faucheurs de brise aux personnages, sur le trône le vieux seigneur. Il n’est pas céphale
les meilleures des guides, à l’en croire. Il finira et ne sait rien du lien qui lie Anton aux faisceaux
par accepter de les mener jusqu’à eux, le len- émotionnels, ni des raisons poussant son supé-
demain. rieur à agir de la sorte. Il veut réussir coûte que
coûte afin de prouver sa valeur.

84
Jusqu’à maintenant, ses offres ont été refusées.
Le seul moyen pour lui d’obtenir légalement un L’invitation au château
accord serait de proposer à Jale que le konzern Elle sert à présenter aux personnages les rap-
offre un traitement à son père. ports entre le châtelain et l’aragone. Les person-
Il se garde bien d’intervenir dans les soubre- nages ont le choix de ne pas y répondre, mais en
sauts politiques qui agitent Brogol, de façon à ne cas de refus, il leur sera plus difficile de se dépla-
pas compromettre sa mission. cer par la suite dans la forteresse car les gardes ne
les connaîtront pas (Difficultés rehaussées de 2).
C Valentin Percy, c Au cours du dîner, un repas sobre où tous les
noble marchand avide de faire ses preuves résidents du château se retrouvent, Anton lais-
Physique 2, Mental 4, Social 5. sera transparaître sa démence et sera toujours
en décalage avec les questions des personnages.

‌L’aventure Un exemple ? Pour aller jusqu’à Éole, rien de plus


simple. Il suffit d’un ordre et mes dirigeables, tractés par
mon train de guerre, vous emmèneront jusqu’à la cité.
À chaque remarque farfelue, l’aumônier
L’arrivée des personnages Ambrozy (il est seul, ses étudiants restant dans la
La traversée du tronçon d’Evillian à Brogol tour) a une moue moqueuse, voire tient des pro-
prend de 4 heures à une journée en fonction du pos ironiques avec les invités qui se tiennent près
moyen de transport employé. Les personnages de lui. Il ne cherche pas à être particulièrement
arrivent au plus tôt au relais en fin d’après-mi- discret. Pourtant, quand il s’adresse au seigneur,
di et au plus tard dans la nuit. La taverne est le il devient obséquieux et flatte sa folie. À l’inverse,
seul endroit qui se distingue par l’animation qui Anton se montre très respectueux envers lui et
y règne (les usines mises à part, les artisans et les semble faire grand cas de son avis.
ingénieurs s’arrêtant en soirée). Ils peuvent s’y Le fils, Jale, paraît réellement attristé par ce
nourrir et y passer la nuit. En fonction de ce que qui se passe. Tout dans ses gestes laisse entrevoir
vous décidez et de l’habileté de vos joueurs, vous une profonde affection pour son père. Il parle-
pouvez leur donner accès à la totalité (ou non) ra volontiers aux personnages. Pour se changer
des rumeurs qui circulent. les idées, il les invite à participer, plus tard dans
À la taverne, on leur donne la même réponse la nuit, à une chasse aux hurleurs pour se chan-
qu’aux autres : pour traverser les Innommées, il ger les idées. L’occasion, selon lui, de faire plus
faut un guide et ne pas voyager à pied en raison ample connaissance, et de trouver une solution à
des mauvaises rencontres qu’on peut y faire. Et il est
trop dangereux de s’y rendre la nuit.
Les habitants de Brogol ne mentionnent ja- La légende d’Yllère
mais les faucheurs de brise. La tribu fait peur et
La femme du seigneur d’Yllère était une pro-
seules quelques rares personnes (deux ou trois
to-arpenthe. À l’époque où cette religion n’exis-
verriers et Anton) acceptent de les rencontrer sur tait pas encore dans sa forme actuelle, elle était
les traverses près du relais. persuadée que les traverses avaient un sens et
Si l’une ou l’autre équipe les a précédés, les qu’elles convergeaient sans doute quelque part.
clients de la taverne en font grand sujet de dis- La noble s’absentait lors de fréquents voyages
cussion (cf. actions plus haut). qui la menaient de plus en plus loin. Lors d’un
Une heure après leur entrée dans le relais, périple, elle mourut et ne revint jamais. Le sei-
un serviteur d’Anton arrive. Le seigneur a ap- gneur d’Yllère l’attendit jusqu’à devenir fou,
pris leur venue et les invite à manger au château. ne se préoccupant plus de ses terres. Ces der-
Arrangez-vous pour que l’invitation leur laisse le nières décrépirent et seuls ses hommes les plus
temps de faire connaissance du relais et de ses loyaux restèrent à ses côtés. Ils finirent par mou-
rir, mais le souvenir de leur attente et de leur
habitants.
folie imprégna l’écryme et tout ce pan de tra-
Si les joueurs se rendent chez les renégats de
verse. Ce souvenir se matérialisa sous la forme
l’albatros, ils pourront se rendre compte que les de chevaliers sombres et imposants, montant
prototypes sont fragiles et peu sûrs pour un tra- une garde vigilante, dans l’attente de leur maî-
jet de longue durée. tresse…

85
leurs différents problèmes… Si les personnages bien choisi leur moment, le vent s’étant levé et la
acceptent, Jale leur promet d’envoyer un homme pluie tombant avec violence. Le marché est clair :
les avertir à l’auberge du départ de la battue. Luc Ambrozy contre le voyage vers Éole avec les
Valentin Percy ne parle quasiment pas, mais faucheurs de brise (Omil donne au besoin des
observe la scène avec acuité et intérêt. Il lorgne détails sur la tribu). Le moyen importe peu. Mort
fréquemment vers les personnages et Jale. ou vif, l’aumônier doit disparaître du relais.
Si Élysée et sa bande sont là, ils se rapproche- Pour se débarrasser de lui, les joueurs ont l’ini-
ront d’Ambrozy et se lanceront fréquemment tiative. Ils ont accès au palais par l’entremise de
dans de délicieuses confrontations verbales. Ils Jale et peuvent ainsi profiter de la nuit. Le fils du
monteront l’aumônier contre les personnages. châtelain fermera les yeux et s’est arrangé pour
L’aumônier mettra le trio en contact avec Finch, que tous les gardes fassent de même. Les person-
un chasseur de hurleurs expérimenté qui vit dans nages peuvent donc parvenir jusqu’à la tour de
le bourg et qui est un des rares à guider des per- l’aragone sans être inquiétés, à condition de se
sonnes sur les Innommées contre de l’argent. En montrer quand même discrets et de ne pas faire
outre, il dispose de plusieurs chevaux pour voya- de grabuge (Maraude diff. 8).
ger plus rapidement.
À l’issue du repas, lorsque les personnages sont
raccompagnés à la porte du château, ils ne seront La tour de l’aragone
pas plus avancés qu’à leur arrivée. Anton ne leur Rez-de-chaussée : le rez-de-chaussée sert de
aura rien fourni de concret, mais ils auront ap- réfectoire. Un escalier en métal permet d’accéder
préhendé les tensions qui secouent Brogol et dis- à l’étage supérieur.
poseront d’un rendez-vous avec le fils du seigneur Premier étage : la salle d’études. Cette pièce
qui a visiblement des choses à leur dire… est occupée aux trois quarts par des bancs et
quelques pupitres. Une estrade et un tableau
jouxtent le mur du nord. Le long des murs
Le complot (optionnel) sont entreposées quelques tablettes d’argile qui
Il intervient dans le scénario suite au repas et à servent aux fidèles pour mettre au propre leurs
la proposition de chasse aux hurleurs faites par échanges. Une petite échelle de fer mène au deu-
Jale, si les personnages l’ont acceptée. xième étage.
Le fils du seigneur est à la tête d’une cabale Deuxième étage : le dortoir. C’est dans cette
avec un des verriers, un vieil homme hâlé du nom pièce que dorment les fidèles. Le mobilier est
d’Omil. Voilà plus de trois mois que les deux ré- très simple, un lit et une armoire pour chacun.
unissent secrètement quelques verriers, un scien- Quatre d’entre eux ont à portée de main l’équi-
tiste de l’albatros et une demi-douzaine d’ha- valent d’un couteau. Tous sont en train de dor-
bitants du relais pour évoquer l’aragone. Selon mir (à moins que les personnages ne ratent un jet
eux, l’aumônier doit impérativement être chassé de Maraude diff. 10). Un escalier en métal mène
de Brogol, parce que son influence sur le châte- au troisième.
lain ne cesse de grandir et devient dangereuse. Troisième étage : Luc Ambrozy dort à cet
Pour les comploteurs, la comédie a assez duré. étage. La porte qui ouvre sur cette pièce est fer-
Jale et Omil ont saisi l’opportunité de l’arrivée mée. Un jet d’Anthropo-mécanologie (diff. 12) ou-
des personnages et tentent le tout pour le tout : vrira la porte. La pièce est chauffée par un poêle
leur demander de se débarrasser de l’aumônier. et décorée avec soin avec des tableaux et des tapis
En échange, le verrier tient un trésor inestimable qui ont été, pour la plupart, empruntés à Anton.
pour les personnages : son amitié avec le chef des Si Luc se doute de quelque chose, il appellera
faucheurs de brise. Il sait que la tribu passe près immédiatement ses fidèles à la rescousse.
de Brogol dans les jours suivants et qu’elle accep- S’il est empêché, il se battra avec sa rapière
tera d’emmener jusqu’à Éole des personnes qu’il après avoir déchargé son pistolet sur le premier
lui recommanderait. venu. Toutefois, le professeur n’est pas suicidaire.
La chasse n’était qu’un prétexte. Comme Si les personnages ont le dessus, il se rendra rapi-
convenu, Omil se rend plus tard à l’auberge et de- dement. En se montrant persuasif, il est possible
mande à parler aux personnages. Il les emmène de pousser Ambrozy et ses fidèles à quitter le re-
vers Jale qui se trouve dans une des usines avec lais (Faconde diff. 12 ou Argutie diff. 10).
le reste des conjurés. Là, les masques tombent et
la partie se joue cartes sur table. Jale et Omil ont

86
‌ Ù LA BRISE FAUCHE
O
LES INNOMMÉES (ACTE 3)

Ce dernier acte peut commencer de deux ma- ment, Satcho se porte immédiatement à leur ren-
nières : contre. Ils découvrent un grand escogriffe vêtu
Si les personnages ont participé au complot de manière disparate. Sur lui se mêlent des vê-
de Jale et d’Omil, ce denier les conduira sur les tements de gentilhomme, de pirate, de barde et
traverses à l’ouest de Brogol. La plupart d’entre de pilote. Ses longs cheveux gris sont retenus par
elles menacent de s’écrouler et le verrier s’avère un ruban rouge et, même s’il n’est pas physique-
être un guide indispensable. Au terme d’un tra- ment impressionnant, il dégage un véritable cha-
jet de quelques kilomètres, les personnages vont risme. Derrière lui, les adolescents de la tribu se
découvrir, installée près d’une vieille bâtisse en réunissent et entourent les personnages. D’une
ruine, la tribu des faucheurs de brise. manière ou d’une autre, via un élément de son
Si les personnages n’ont pas participé au com- costume, de sa démarche ou de son attitude, cha-
plot et ont gagné la confiance d’Anton, c’est le cun d’entre eux ressemble à Satcho.
châtelain en personne qui les mènera auprès des
nomades. C Les faucheurs de brise c
Satcho : Physique 5 (chars à

‌Les faucheurs de brise.


voile +2), Mental 4, Social 4.
Les adolescents (50) :
Cette tribu traversière regroupe une cinquan- Physique 5 (chars à voile +2),
Mental 2, Social 3.
taine d’adolescents entre quinze et vingt ans,
pour la plupart orphelins. Ils sont guidés par
Satcho, un homme d’une soixantaine d’années,
qui travaillait auparavant dans un orphelinat et ‌Négocier le voyage
qui a conçu les chars à voile sur lesquels ils se dé- Qu’il s’agisse d’Omil ou d’Anton, les présenta-
placent. Il y a 4 ans, celui-ci avait décidé d’aban- tions sont vite faites.
donner Éole et de vivre sur les traverses. Il avait Si les personnages parlent du jeu organisé
emmené avec lui les enfants de son orphelinat et par les Saint Just, cela réjouira Satcho. Le défi
fondé les faucheurs de brise. Désormais, la tribu l’amuse beaucoup et la tribu semble partager son
ne vit que pour la vitesse et les sensations que point de vue. Il acceptera de conduire gratuite-
leur procurent les chars à voile. Même s’ils ne ment le groupe à Éole.
sont pas céphales, cette quête perpétuelle a été Si les personnages se contentent de deman-
renforcée par l’écryme qui s’en nourrit égale- der un guide sans évoquer l’épreuve qu’ils af-
ment et peut transmettre ce vertige de la rapidi- frontent, Satcho leur demandera de l’argent (une
té à d’autres (cf. Anton de Brogol). Tous les fau- dizaine de hurles).
cheurs sont des personnes impatientes et éprises Satcho assigne deux chars à voile aux person-
de liberté pour qui la lenteur, la pondération ou nages qui peuvent contenir trois personnes cha-
la retenue sont des horreurs à éviter. cun. Deux personnages devront les conduire (per-
Tout est prétexte à de nouveaux défis et les ac- sonne dans la tribu ne veut avoir les personnages à
cidents ne sont hélas pas rares. Satcho a créé une charge, seule l’idée de la course les amuse, trans-
petite fondation, installée à Éole, où travaillent porter des adultes beaucoup moins...). Un char à
tous les mutilés de la tribu. La Fondation de la brise voile se manœuvre via l’emploi de la compétence
s’occupe de gérer le patrimoine de Satcho et les Conduite. Néanmoins, les Spécialisations liées à
bénéfices obtenus par le commerce. En effet, la conduite de véhicules terrestres s’appliquent,
la tribu transporte discrètement des marchan- ainsi qu’éventuellement celles réservées aux en-
dises de contrebande et vend un sable noir, fort gins aériens avec lesquels le vent joue un rôle im-
rare, qu’on ne trouve que dans le tronçon des portant (cerfs-volants, aéroplane, etc.).
Innommées. Enfin, la Fondation s’occupe de re- Pour aller de Brogol à Éole le plus rapide-
cruter périodiquement de nouveaux orphelins. ment possible, Satcho apprend aux personnages
Lorsque les personnages arrivent au campe- qu’il faut passer par la seigneurie fantôme d’Yl-

87
les citadins peinent à croire. De temps à autre, il
Et si les personnages est donc possible d’apercevoir des chevaliers vêtus
sont céphales ? d’armures sombres. Il ne faut pas leur parler et
les dépasser le plus vite possible. Enfin, rien ne
La céphalie est le seul et unique moyen de sert de les affronter, ils ne sentent pas les coups…
libérer définitivement les chevaliers de leurs Si les personnages ont déjà entendu des ru-
tourments, soit en drainant les émotions qui meurs sur ces apparitions à Brogol, les faucheurs
les composent (Psyché diff. 12), soit en créant admettront que les apparitions se sont multi-
des ruisseaux d’émotions contraires (Psyché pliées depuis plusieurs teintes et que les cheva-
diff. 14). liers sont devenus réels (plus simplement des fan-
Psyché (diff. 10) : ce sont des créatures
tômes). Et ils se déplacent de plus en plus loin
d’écryme constituées d’émotions brutes qui se
de la seigneurie d’Yllère. Certains ont même été
sont amalgamées les unes aux autres. Dans
le cas précis, il s’agit d’une attente intermi- aperçus près des frontières de Brogol.
nable et d’une très forte incertitude. Des res- Le voyage demandera d’emprunter une route
sentis comme l’impatience, la nouveauté ou qui était jadis barrée par une barbacane, à deux
l’espérance peuvent donc aider à déliter leur jours d’ici. Si les faucheurs parviennent à passer
essence. sans encombre, les personnages seront à Éole en
Scorie (diff. 10) : les chevaliers sont consti- trois jours.
tuées de faisceaux émotionnels qui per-

‌Le voyage
mettent d’entrapercevoir des flashbacks de
leur histoire. Les ruisseaux convergent vers
l’est, mais de nombreux faisceaux, plus puis- Les premières heures passées avec les faucheurs
sants, en proviennent et, par l’entremise de
de brise risquent de surprendre les personnages.
l’écryme, contaminent les chevaliers. Il s’agit
La tribu compte une vingtaine de chars à voile
de la nostalgie de Brogol (Marge 2).
Comme à Brogol, les faisceaux émotionnels (avec un équipage de deux ou trois personnes
corrompent la récolte des Saint Just. Sur les en moyenne). L’avancée sur la traverse se fait à
Innommées, si des joueurs échouent les tests grand renfort de dépassements, d’effets de style
de leurs personnages, ils sont envahis exclu- et de virages périlleux. Les personnages qui pi-
sivement par un sentiment d’attente intermi- lotent les chars à voile pourront se rendre compte
nable. de l’extrême habilité des jeunes membres de la
NB : si les personnages ne font rien pour tribu. En permanence, les adolescents prennent
mettre un terme au calvaire des chevaliers, un malin plaisir à pousser leur navire à bout. En
le trio des Saint Just drainera leurs faisceaux tête, Satcho donne la vitesse et choisit l’itinéraire.
après le passage des personnages. Cela aura Par deux fois, la tribu passe devant des bâtiments
pour effet de diminuer le maelstrom autour
en ruines (c’est l’occasion d’un court arrêt pour
de Brogol, au grand dam du céphale Verne
se restaurer à l’abri du vent).
Faraday. Ce dernier cherchera sans relâche
des moyens de recréer la puissance émotion- De plus, le réseau des Innommées est lui-même
nelle qui irriguait le relais. véritablement étonnant. Il se compose de traverses
Pour cela, il entrera en contact avec des extrêmement étroites, au tracé erratique, qui ser-
membres de la Loge des effluents. Cela per- pentent au-dessus de l’écryme et se croisent et
mettra de créer d’autres liens entre cette aven- s’entrecroisent, comme un labyrinthe composé de
ture à la balade d’un troubadour muet… gigantesques serpents de pierre. Les ponts sont
dans un état de délabrement très avancé.
Vous pouvez glisser plusieurs événements pour
étayer la traversée jusqu’à la barbacane d’Yllère.
lère. L’endroit est mauvais, même à l’échelle
des Innommées qu’ils connaissent comme leur
poche. Il y a longtemps, un puissant seigneur s’y Une crevasse coupe la traverse
trouvait, mais l’effritement de ces pans de traverse Une portion longue de trois mètres s’est récem-
a isolé ses possessions et l’homme s’est renfermé ment effondrée. Le char à voile de Satcho ne ra-
sur lui-même, jusqu’à la folie. Ceux qui sont restés lentit pas et manœuvre de telle façon que, d’un
l’ont suivi dans la mort. Depuis, une partie d’eux- bond, la vitesse l’amène sur le bord opposé. Tous
mêmes refusent toujours de partir et leurs esprits les faucheurs le suivent sans hésiter. Les person-
hantent les lieux, même si ce sont des choses que nages pilotes devront réussir un jet de Conduite

88
diff. 12 pour sauter par-dessus la crevasse.
Un échec grave (Marge de -4 ou plus) équi- Dragan et Cardiff
vaut à une chute dans l’écryme, causant au mi- Si l’équipe de la baronne d’Égonile est partie
nimum un Impact léger (à modifier en cas de avant les personnages de Brogol, les personnages
Marge plus grande) aux malheureux person- croiseront l’épave tordue de l’aéroplane dépas-
nages concernés. sant à demi de l’écryme. Les deux gendarmes et
Un échec modéré (Marge de -2) représente un le pilote sont morts.
atterrissage difficile sur le bord opposé de la tra- Si les deux gendarmes sont partis après eux,
verse. Le choc occasionne un Impact superficiel ils verront l’aéroplane passer au-dessus d’eux et
aux personnages à bord. s’écraser à ce moment-là. S’ils sont sauvés (cordes
lancées, sauvetage par échasses, etc.), ils rejoin-
dront à leur tour les faucheurs, mais, à la nuit sui-
Le vent tombe brusquement vante, ils tenteront de voler un char et d’arriver
Les chars à voile sont obligés de s’arrêter. À vous les premiers à Éole (Maraude diff. 12 pour les sur-
de décider dans combien de temps l’air consenti- prendre). En cas d’évasion réussie, ils se feront
ra à se lever… dans la bonne direction, naturel- massacrer par les chevaliers à la barbacane…
lement ! Cette pause forcée est l’occasion de par-
tager un moment avec les faucheurs de brise…
et d’en savoir plus par exemple sur la légende Élysée et sa troupe
d’Yllère. Il est possible d’apercevoir au loin, sur Les saltimbanques sont partis quasiment en
des traverses adjacentes, des phénomènes liés aux même temps que les personnages (peu importe
chevaliers (ces phénomènes pourront perdurer, que ce soit avant ou après). Ils sont tous à cheval
voire même s’amplifier, jusqu’à l’arrivée vers la et dont dirigés par Finch. Ce dernier est plus pru-
barbacane) : dent que les faucheurs de brise et prend un tracé
De lourds bruits de sabots ou des hennis- plus long, mais plus sûr. La petite troupe subira
sements se font entendre dans le lointain moins de mésaventures que les personnages, ce
(Écrymologie diff. 8). qui leur permet de compenser leur détour.
À travers le brouillard ou les volutes acides de De temps à autre, il est possible de les aperce-
l’écryme, il est possible d’apercevoir des ombres voir sur une traverse adjacente (Écrymologie diff.
mouvantes (Écrymologie diff. 10). Il s’agit de 10). Ils semblent éviter les personnages, mais ne
cavaliers se déplaçant très vite sur les traverses se font pas distancer pour autant (Marge 2).
(Marge 2). Ils semblent galoper sans but précis
(Marge 2). Certains galopent même sur la mer
acide (Marge 4) !

Et si les personnages sont céphales ?


La conclusion de cette ballade sera différente, in- L’occasion pour les personnages de tisser des liens
dépendamment du fait qu’ils aient gagné ou perdu. avec un autre groupe de céphales. Saisiront-ils
Le lendemain de la remise du prix, les Saint Just cette opportunité ou la rejetteront-ils ?
viendront les trouver. Subtilement, ils aborderont Dans tous les cas de figure, ce n’est pas la der-
toutes les anomalies qui ont émaillé la course, dont nière fois que les personnages entendront parler
certaines particularités utilisées par les personnages des Saint Just. En effet, ces derniers vont garder
qui auraient sans doute valu une disqualification contact avec votre groupe (télégrammes, enregis-
en d’autres circonstances. Ils abordent aussi l’exis- trements phonographiques, visites, etc.). Le trio
tence des mystérieux chevaliers. Ils demanderont se plongera dans les luttes secouant les factions
s’ils ont senti certains bouleversements émotion- céphaliques. Leurs agissements n’ont pas passé ina-
nels survenus durant la course, des changements perçu et les popes noirs ont remarqué le potentiel
d’humeur subits et inexplicables. de la baronne d’Égonile… qu’ils finiront par enle-
En cas de réponse positive de votre groupe, ils se ver pour lui faire subir un conditionnement inten-
révéleront à eux et leur expliqueront pourquoi ils sif. Mais ceci est une autre histoire…
organisent des courses et ce qu’ils recherchent.

89
‌La barbacane 2. Rappelez aussi les règles en matière d’action
coordonnée. Pendant ce temps, les faucheurs de
Après deux jours de voyage, les personnages brise lèveront la herse et, quand tous seront pas-
finissent par apercevoir une gigantesque bar- sés et que les chevaliers seront suffisamment loin,
bacane barrant la traverse qu’ils empruntent. ils lanceront un signal convenu à l’avance. Les
À environ un kilomètre, les faucheurs de brise personnages devront alors se précipiter vers la
s’arrêtent et Satcho sort une longue-vue pour barbacane pour passer (Athlétisme diff. 12). Un
observer la fortification, à moitié rongée par les échec implique de se retrouver bloqué du mau-
vents acides qui soufflent puissamment. vais côté.
Une dizaine de chevaliers, sur leurs montures, Attention, si les chevaliers repèrent les person-
tournent à ses pieds sans but apparent. L’un nages, ils ne se montreront pas hostiles. Ils les in-
d’eux est vêtu plus richement que les autres. Il terpelleront et leur demanderont des nouvelles de
s’agit sans nul doute du seigneur d’Yllère. Cette leur dame, car leur seigneur se languit d’elle. Il faut
apparition cause un certain désarroi chez les fau- impérativement rentrer dans leur jeu et inventer
cheurs de brise, parce qu’en sa présence, les che- un mensonge. Si tel est le cas, ils se montreront
valiers deviennent plus agressifs, intelligents et courtois et iront chercher leur seigneur afin qu’il
coordonnés. parle avec ces personnes qui ont des nouvelles. Ce der-
La herse rouillée de la barbacane est baissée nier leur demandera quelques détails (Faconde
et bloque le passage. diff. 12 pour paraître crédible). Là encore, les per-
Si les deux gendarmes ont survécu au crash de sonnages ont le choix entre poursuivre la discus-
leur avion et sont parvenus à s’enfuir en volant un sion ou se précipiter vers la barbacane.
char, leurs cadavres sont visibles, pendus par les Les chevaliers deviennent hostiles uniquement
pieds à la barbacane. si les personnages ne répondent pas à leurs ques-
Pour Satcho, le seul moyen de passer est de tions et tentent de s’enfuir. Dans un tel cas de
pouvoir tenir quelques minutes la herse levée figure, ils dégainent leurs épées et chargeront
afin de permettre le passage des chars à voile. jusqu’à tailler en pièces leurs ennemis. Le pro-
Tout ce qu’il faut, c’est distraire les chevaliers, blème, c’est qu’ils sont des créatures nées de
puis les prendre de vitesse. Pour cela, un groupe l’écryme et donc immortelles. Les personnages
devra rester en arrière. Étant donné que Satcho, n’ont aucune chance, hormis la fuite (Conduite
qui est très protecteur, refuse que les membres de diff. 12 s’ils fuient dans un char ou Athlétisme diff.
la tribu soient exposés frontalement aux cheva- 14 s’ils sont à pied).
liers, il demande aux personnages de se charger Discuter avec les chevaliers et le seigneur
de cette tâche. d’Yllère permet d’apprendre qu’ils sont fatigués
de leur veille et aimeraient connaître le repos
C Les chevaliers d’Yllère (19) c (Marge 0).
Physique 6, Mental 2, Social 2. En tant que créatures d’écryme, ils ont senti
Les chevaliers sont immunisés à que quelque chose se tramait à l’est, près de l’en-
la céphalie et ne souffrent d’aucun droit qu’ils appellent le grand relais d’hommes où se
malus dus à l’Impact des dégâts. dresse un château (Brogol). En effet, l’écryme est là-
bas est troublée et les appelle. La mer se nourrit
d’eux, mais en retour les renforce. L’appel permet
Passer de l’autre côté à de nombreux frères d’armes de les rejoindre
Pour franchir les fortifications, il faut distraire dans leur quête, mais ce faisant ils sont sortis de
les chevaliers et les éloigner sans se faire repérer. leur repos. Et plus que tout au monde, les cheva-
Laissez l’initiative aux personnages pour trouver liers veulent trouver le repos… (Marge 2).
une solution (longer le parapet de la traverse et Leur apprendre la mort de la châtelaine met
lancer des pierres dans l’écryme, utiliser l’écho temporairement fin au problème. Les chevaliers
se répercutant à la surface de la mer acide pour pousseront des cris de détresse et se précipiteront
éloigner de plus en plus les chevaliers, se mon- dans l’écryme de laquelle ils renaîtront plus tard.
trer pour les appâter puis disparaître et se cacher, Leur mentir et leur indiquer un faux endroit où
etc.). retrouver la châtelaine les fait déguerpir sur le
Toute idée se traduit par un jet de diff. 14 (peu champ dans la direction indiquée par les person-
importe la Compétence employée). Les initiatives nages. Dans tous les cas, ces derniers pourront
ingénieuses permettent de diminuer la diff. de franchir la barbacane.

90
‌La poursuite (optionnelle) nente. Satcho crie aux personnages qu’il leur faut
quitter le char à voile sans perdre une seconde.
Cette dernière intervient uniquement si les Deux autres véhicules se rapprochent de celui
personnages passent la barbacane sans avoir des personnages (à moins que les personnages
mis un terme aux tourments des chevaliers et sur le second char ne se joignent à la manœuvre)
de leur châtelain. Aussitôt, ce dernier, accompa- qui devront réussir un jet en Athlétisme (diff. 12)
gné d’une dizaine d’hommes lourdement armés, pour passer de l’un à l’autre. Si un des person-
s’élance à la poursuite des faucheurs de brise et nages tombe au sol, il subira toute Marge néga-
de votre groupe. Comme s’ils étaient liquides, ils tive comme Impact, mais il y a aura toujours un
passent à travers la herse de la barbacane sans char à voile situé derrière lui et des mains secou-
avoir besoin de la relever ! Vêtus de cuirasses, rables pour le hisser à bord (jet d’Athlétisme diff.
portant épées larges et arbalètes, les chevaliers 10 nécessaire).
sont d’une rapidité déconcertante. Des jets de
Conduite (diff. 12) sont nécessaires pour mainte- La poursuite prend fin abruptement, quand les
nir la distance. Saint Just auront drainé les émotions des cheva-
Qu’ils se soient fait rattraper ou qu’ils aient liers dans leur anence (ce que les personnages
gardé une longueur d’avance, les faucheurs de ignorent). Durant la collecte, les chevaliers de-
brise vont faire face à une difficulté supplémen- viendront de plus en plus évanescents, jusqu’à to-
taire. Arrivant au croisement de deux traverses, talement disparaître, comme un mirage derrière
ils remarqueront une dizaine de chevaliers arri- un nuage. Même si tout cela a ressemblé à un
vant d’un autre pont. Le choc est inévitable et les rêve, les pertes subies sont hélas bien réelles. Le
deux groupes, la tribu et les chevaliers, vont se char des faucheurs de brise qui s’est renversé et
retrouver côte à côte. Les opposants sont mêlés qui manque est là pour le rappeler.
les uns aux autres et, rapidement, le chaos est in-
descriptible.
Voici trois événements possibles au cours de la ‌La fin de l’aventure
poursuite. Vous avez toute liberté pour en mettre Qu’ils aient ou non joué la poursuite, c’est dans
d’autres en scène. une atmosphère morose que les personnages
pensent achever le voyage jusqu’à Éole en com-
pagnie des faucheurs de brise. Le lendemain du
Ils sont sur nous ! passage de la barbacane, le tracé des Innommées
Deux chevaliers parviennent au niveau du char se fait moins hasardeux et retrouve la droiture
à voile des personnages. Ils tenteront de les atta- ordinaire de la première trame. Alors que les
quer à l’épée large. Prendre de la vitesse pour choses semblent dorénavant calmes, un dernier
esquiver leurs coups ou, au contraire, ralentir élément se rappelle à leur bon souvenir : l’équipe
brusquement pour se retrouver derrière eux (ou d’Élysée, à cheval, est sur leur talon (si les person-
les faire tomber) demandent des jets de Conduite nages n’ont pas joué la poursuite avec les cheva-
(diff. 10). liers), voire les devance légèrement (si la pour-
suite a eu lieu). Dans tous les cas de figure, il faut
fournir un dernier effort, sans doute le plus dur
Évite ça de tous, pour rallier Éole en tête !
Un char à voile bascule et se renverse devant Vous pouvez utiliser les règles de course-pour-
celui des personnages. Un jet de Conduite (diff. suite en considérant que les chars à voile donnent
14) est nécessaire pour l’éviter et poursuivre la une Incidence de +2 aux personnages. De plus,
course sans encombre (la vitesse à laquelle rou- chaque étape (acte du scénario) gagnée permet
lait le char quand il s’est retourné ne laisse aucun d’ajouter +2 à l’Impact. La première équipe cau-
doute sur le sort funeste de ses occupants). sant 10 Impacts gagnera la course.

Une voile qui se déchire


Les traits d’arbalète qui fusent ici et là touchent
la voilure d’un des chars des personnages qui
commence à se déchirer. La catastrophe est immi-

91
‌OÙ LE JEU CONNAÎT
SON ÉPILOGUE

Une fois parvenus à Éole, les personnages seront accueillis par un comte de Veilly narquois
doivent se rendre au café des Allégoriques. Un et un Malgone renfrogné. Ce dernier se conten-
café sombre, mais très soigné où les attendent les tera de les remercier pour leur participation et
trois Saint Just : la baronne d’Égonile, le comte s’éclipsera aussitôt après que les saltimbanques
de Veilly et leur commanditaire, le comte de aient reçu leur prime.
Malgone.

‌Où les personnages gagnent


‌Victoire
Si les personnages arrivent en premier, les trois en l’expérience
organisateurs leur remettront le prix, comme Finir une séance de jeu : 1 point.
convenu, de leur victoire. Le comte de Malgone Finir la ballade : 1 point.
ne tarira pas d’éloges sur leurs exploits. J’ai Gagner la course : 1 point.
suivi en retenant mon souffle à chaque seconde votre Démasquer les concurrents dans le train : 1 point.
traversée des Innommées en char à voile. Ma longue- Éliminer Luc Ambrozy : 1 point.
vue n’était jamais assez puissante pour en sai- Franchir les Innommées : 1 point.
sir tous les détails, mais vous avez été brillants,
croyez-moi, époustouflants. Vous ne m’avez pas
déçu. Enfin, l’aristocrate proposera au groupe de
rester en contact au cas où un autre défi lui vien- Et si les personnages
drait en tête. Comme il le répète, mieux vaut pa- sont céphales ?
rier sur des bêtes qui gagnent…
Mettre un terme au calvaire du seigneur d’Yl-

‌Défaite lère et de ses chevaliers : 2 points.

Si, au contraire, les personnages sont arrivés En fin de ballade, les personnages peuvent
après Élysée et sa troupe (soit les deux gendarmes sauvegarder dans leur bohème la soif de
de la baronne d’Égonile ont péri en s’écrasant victoire à tout prix ou un élément relatif aux
dans l’écryme ou aux mains des chevaliers, soit faucheurs de brise (vitesse, chars à voile, vent,
liberté…). Ils bénéficient de trois mots sup-
ils sont arrivés en même temps que les person-
plémentaires.
nages, mais leurs actions violentes et répétées du-
rant la course leur valent d’être disqualifiés), ils

92
‌Des centaines de fois
D’un côté, les sombres tours de la seigneurie. De l’autre, ces traverses désolées bat-
tues par le vent, rongées par l’écryme. Des nuages noirs s’empressent de cacher la
lune, plongeant l’horizon dans les ténèbres. De toute façon, que voir en des jours aussi
lugubres ? Comme beaucoup, l’aumônier de l’aragone a choisi de ne vivre qu’au cré-
puscule, alors que l’océan acide se mêle au néant de la nuit. Rien ne l’empêche alors
d’espérer que l’écryme partira avec l’aurore. Pourtant, chaque matin, elle est inéluc-
tablement là, parfois même plus proche, tandis que les fondations de la seigneurie
ont été grignotées. Personne ne sait d’où l’écryme vient, quand elle est apparue ni
même ce qu’elle est. Tous ceux qui s’en sont approchés suffisamment pour la toucher
se sont irrémédiablement brûlés et préfèrent désormais la fuir ou, au mieux, l’igno-
rer. Certains refusent même de la nommer. Ils parlent plutôt de mer acide, de châti-
ment, de punition divine… L’écryme a acculé l’humanité dans des cités morbides aux
proportions démesurées et ronge désormais les traverses, faibles et derniers espoirs
rattachant les hommes entre eux. La famine, la disette, les suicides même parfois
remplissent de jours en jours de sombres autels dédiés à l’écryme. Les cadavres sont
l’exception, la seule chose à ne pas être recyclée dans ce bas monde. Les corps sont
simplement entassés dans des charrettes composées de tiges de fleurs d’écryme, ra-
mollies et tressées par les maîtres vanniers d’Olmune. Ils attendront là jusqu’à l’aube
avant d’être plongés dans ce liquide vermeil, synonyme de mort.
Devant le prêtre, un corps est traîné jusqu’à la charrette par le croque-mort. Ce
dernier sait que le serviteur de l’aragone le regarde et incline donc la tête autant par
respect que par crainte. Depuis que son supérieur est mort, emporté par la maladie,
le prêtre est tout désigné à être le futur prélat de la principauté. Peu de gens osent
encore le regarder dans les yeux. Les hurlements du dernier céphale à l’avoir fait ré-
sonnent encore à ses oreilles. Ce suppôt de l’écryme avait été particulièrement diffi-
cile à maîtriser lors de sa capture. Les céphales et leurs pratiques impies sont la seule
chose qui l’effraie encore. Beaucoup les considèrent comme de vulgaires légendes,
mais il en a vus. Des êtres capables d’invoquer des créatures de l’écryme et de se
faire servir par elles. Des êtres capables d’arrêter des locomotives lancées à pleine
vitesse en posant simplement leurs mains sur les rails. Des êtres capables de modi-
fier les émotions des simples humains, de les duper, de les dominer, de les asservir.
Les céphales sont une triste réalité, un véritable blasphème au visage du monde, que
l’aragone se doit d’éradiquer avec plus de hargne encore que le progrès corrupteur.
Le prêtre avait exhorté son prélat à former un corps de hérauts du repentir, afin de les
débusquer et les plonger dans l’écryme. Malheureusement, ce corps militaire d’ex-
ception avait plus servi ses ambitions personnelles que celle de l’aragone. Ils étaient
corrompus, comme l’était son ancien maître, et ne croyaient nullement en l’existence
des céphales. Ils se servaient de leurs prérogatives pour brûler leurs opposants dans
l’acide et la peur a rapidement remplacé l’espoir de rédemption dans le cœur des fi-
dèles. La tâche aurait été aisée si les céphales avaient été similaires aux démons des
93
légendes. Les démons sont des créatures simples. Ils croient en la prière, en la foi et
les fuient. Mais les céphales sont humains et le prêtre ne peut s’empêcher de se de-
mander, au final, en quoi croient les hommes…

Regarder l’écryme est devenue pour moi une véritable passion. Une passion qui me
consume et me dévore de l’intérieur. Ses fumées acres me brûlent chaque fois un peu
plus les poumons, mais un rapide coup d’œil à ses reflets suffit à absorber ma volon-
té et ma souffrance. Contempler le monde aux travers de cette substance mortelle
me permet de le voir tel qu’il est vraiment. Je suis comme ces onirologues, capables
de comprendre une personne en visitant ses rêves, ou comme ces haruspices cita-
dins, prophétisant l’avenir en fonctions des routes empruntées. Mais les prédictions
ne sont pas une science exacte. Le simple fait de connaître le futur permet d’agir sur
lui, et donc de le changer. À nouveau, il est aisé de le modifier pour le refaçonner à
notre envie. Parfois une simple pensée de changement engendre de grands boule-
versements dans ses reflets. Cela fait un an que j’étudie sans relâche l’écryme et je
commence à peine à effleurer son fonctionnement.
La première chose que j’ai tentée était de déceler des changements en fonction sa
teinte, de faire varier les contenants ou bien la source lumineuse. Rapidement le re-
flet d’autres humains a remplacé le mien. Le premier visage fut celui d’un impotent.
Mais, à la manière de tous les autres après lui, sa figure était déformée par une gri-
mace de mépris et de haine. À moins qu’il ne s’agisse de douleur…
Je priais pour trouver un sens caché à mes visions, mais je me suis vite lassée.
Peut-être que les seules choses valant la peine d’être vues sont à l’image de mon es-
poir : disparues. Depuis, j’attends et je scrute les divers futurs possibles, tout en me
gardant bien d’intervenir, même de penser. Je me distrais parfois en modifiant des
choses infimes, comme dévier un crachat de vapeur ou le pourboire d’une catin. Je
me morfonds en attendant la fin. Non pas la fin du monde, qui est malheureuse-
ment impossible. En effet, le monde peut changer, mais il ne finira jamais. Ce qui est
vieux et sclérosé doit toujours céder la place à une vie nouvelle. Avant que les choses
neuves puissent naître, les anciennes doivent disparaître et je pense que nous avons
largement dépassé notre temps. J’aspire à observer dans les effluves de l’écryme se
former une nouvelle ère. Un simple reflet suffirait. Hélas, mon propre reflet m’a sys-
tématiquement renvoyé à mon propre désespoir. Jusqu’à aujourd’hui, où j’ai entraper-
çu cet aumônier. Lui seul peut arrêter cette folie, qu’importe si je meurs. Après tout,
la sagesse populaire ne considère-t-elle pas qu’une mort réussie rattrape l’ensemble
d’une vie gâchée. Il me faut le trouver. Chercher un moyen de le convaincre de l’er-
reur qu’il commet, lui faire comprendre que les anences et leurs pouvoirs sont nos
ultimes espoirs d’une vie nouvelle.
Mon regard croise celui de mon reflet : une jeune femme portant un pendentif ou-
vragé abandonné par un ancien client. Au travers de l’écryme, je regarde le bijou et
le champ des possibles que j’y entrevois me rassérène…

Cela fait cinq ans que les hérauts du repentir ont pris le contrôle de la seigneurie,
privant l’aumônier de l’aragone de ses rêves de grandeur. Malgré son plaisir de quit-

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ter la seigneurie de temps à autre, la supplique de sa dévote l’a plongé dans l’embar-
ras. Son insistance a épuisé l’étroit répertoire d’excuses dont un homme de foi peut
user sans ébranler la sérénité de son âme. Il a fini par céder et maintenant il doit
aller donner les derniers sacrements à une mourante. Il fait un petit signe de main
à la sentinelle et s’éloigne de la seigneurie, mal à l’aise.
Décidé à se débarrasser de cette corvée, il avance d’un pas rapide et, au bout de
quatre heures, aperçoit les premières habitations du bourg. Enfin la maison. C’est la
seule à être encore éclairée. L’aumônier frappe à la porte, puis rentre sans attendre
la réponse. À l’intérieur, il est surpris, il s’attendait à voir une vieille mourante, mais
aperçoit une jeune femme endormie.
Moi.
Son regard glisse sur mon corps agonisant, vêtu d’une robe diaphane. Son désir le
dérange, d’autant plus en raison de nombreuses brûlures qui strient mon corps. Il
fait un peu de bruit et je fais mine de me réveiller. Je ne parais nullement surprise.
C’est en se rapprochant qu’il entend le sifflement de ma respiration. Mes poumons
sont en train de se liquéfier. Je tente de m’asseoir, mais n’y parviens pas. Mon corps
affaibli par les volutes de l’écryme n’a pu lutter contre la maladie. En retombant mes
cheveux s’écartent dévoilant mon pendentif, mon anence dans laquelle miroitent mes
rêves et mes espérances. Le prêtre la reconnaît pour ce qu’elle est. Il semble effrayé
par son propre reflet, par son propre désir qui ne s’est pas évanoui.
Mon corps, si désirable à ses yeux, se met à trembler. Sans un instant d’hésitation,
il me prend dans ses bras, pour me réchauffer. D’un geste tendre, je pose ma tête sur
son épaule et murmure : « Non, n’aie pas honte, c’est normal. Cela émane de moi.
De toutes les personnes venues me donner les derniers sacrements, tu es celle de qui
éprouve la plus grande compassion. J’aurais pu m’abandonner à toi, mais la vie me
quitte et j’ai si froid... J’ai aimé tes émotions dès que je t’ai vu, tu es différent… Te
souviens-tu de ce que ton père t’as dit avant de mourir ? Nous apprécions un lever de
soleil lorsqu’on l’a attendu dans l’obscurité, mais seul le soir nous révèle combien la
journée fut splendide. Ce soir je t’ai rencontré et le soleil est… » La force me quitte. Je
l’embrasse en enroulant mon pendentif autour de son cou. Un cadeau qui lui permet-
tra de traverser le temps. Un don autant qu’une malédiction. Il me ferme les yeux.
Vivre cette scène dans les reflets de l’écryme n’aurait su se comparer à la chaleur
de son corps, à sa tendresse dans un monde qui n’en a plu. Je peux m’éteindre heu-
reuse. Des larmes brûlent mes yeux. Bientôt rassemblant son courage, il saisira mon
corps sans vie et le précipitera dans l’écryme. Il s’éloignera en sachant que sur son
corps se trouve mon héritage. J’ai déjà vécu des centaines de fois cette scène et pour-
tant je ne cesse de pleurer que lorsque mon corps n’en est plus capable.

Le garde me toise puis, m’ayant visiblement reconnu, il tire son épée. J’ai déjà vécu
cette scène et je sais y répondre. Instinctivement, je l’évite et lui brise la nuque. Les
cris d’une sentinelle alertent le reste de la garde, mais je ne m’arrête pas. De nom-
breux hommes tomberont avant moi. Il faut que je parle au seigneur. Je continue à
esquiver, à frapper, à avancer. Je finis par me faire capturer.
Le jour se lève sur la traverse, alors que j’avance avec deux autres condamnés.

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Devant moi une femme battue, sûrement violée, derrière un homme qui peine à
suivre... Les gens nous jettent des pierres, mais qu’importe, ils seront là et m’écou-
teront. Je réussirai la mission que je me suis fixée ! Nous apercevons déjà le bout de
la traverse. La femme est la première à être précipitée dans l’écryme. Elle part sans
un bruit, comme un ultime affront à l’assemblée. En tant qu’ancien aumônier de
l’aragone, on me réserve un traitement particulier. C’est donc au tour de l’homme
de mourir. Il hurle qu’il ne veut pas finir comme cela, qu’il n’est pas comme nous,
qu’il est différent. Sans l’écouter, le bourreau l’attache à une corde de chanvre et le
pousse. Une fumée âcre apparaît quand ses jambes touchent l’écryme. Le condamné
s’époumone, mais manque rapidement d’air et s’évanouit. Pour lui la mort sera douce.
Resté seul, je me retourne vers l’assemblée qui est étonnamment calme. Je commence
mon dernier prêche. Sans un soupçon de doute dans la voix, je leur explique l’er-
reur de l’aragone sur l’origine de l’écryme et le rôle de Bohème, cette cité mythique
et pourtant bien réelle, qui est le fruit de nos rêves. J’évoque les céphales comme les
derniers soubresauts d’une humanité moribondes, mais encore vivante ; comme les
pierres qui ont endigué pour un temps l’écryme.
Cette scène, je l’ai déjà vécue des centaines de fois. Chacun de mes mots a été choi-
si avec un soin particulier, afin de trouver écho dans le cœur du plus grand nombre.
Je sais que je n’aurais pas le temps de parler de la menace de l’Amertume, car la
corde de chanvre est déjà nouée à mes mains. De mon dernier souffle, je sais qu’une
chose a changé. Alors que la douleur me submerge, une dernière vision m’apparaît
au travers des volutes produites par le contact de mon corps avec l’écryme. Je vois le
pendentif dissimulé dans les appartements du jeune seigneur et l’espoir revenir sur
la traverse. La raison me quitte avec le sentiment qu’une mort réussie rattrape l’en-
semble d’une vie gâchée.

Achevé d ’ imprimer en janvier 2018 par Imago


pour le compte des éditions Matagot, 48 rue de la Bienfaisance 75008 Paris

96 ISBN : 978-2916323-35-0 • Dépôt légal : première édition - décembre 2017

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