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JOURNÉE D'ÉTUDE

SOUS LA DIRECTION DE MARIE REBECCHI,


JACOPO BODINI ET STANISLAS DE COURVILLE

CINÉMA DU CORPS,
CINÉMA DU CERVEAU
Jeudi 16 juin
(Modération : Jean-Michel Durafour)

14h00-14h15 Présentations
14h15-15h00 Introduction (Marie Rebecchi,
Jacopo Bodini et Stanislas de Courville) 16 et 17 juin 2022, Turbulence
15h00-15h45 Emmanuelle André 3, place Victor Hugo
15h45-16h00 Discussions 13331 Marseille
16h00-16h15 Pause Bâtiment 14 - Site St Charles
16h15-17h00 Eugénie Zvonkine
17h00-17h15 Discussions Inscription gratuite et
obligatoire:
https://www.billetweb.fr/pro/
Vendredi 17 juin turbulence
(Modération : Caroline Renard)

9h15-10h00 Laurent Jullier


10h00-10h45 Elena Vogman
10h45-11h00 Discussions
11h00-11h15 Pause
11h15-12h00 Dork Zabunyan
12h00-12h15 Discussions
Cinéma du corps, cinéma du cerveau
Journée d’étude sous la direction de Marie Rebecchi (Université Aix-Marseille),
Jacopo Bodini (Université Lyon 3) et Stanislas de Courville (Université Aix-
Marseille)

Dates : 16-17 juin 2022


Lieu : Turbulence, bâtiment 14 (Site Saint-Charles) – 3, place Victor Hugo 13331 Marseille
Inscription gratuite et obligatoire : https://www.billetweb.fr/pro/turbulence
Diffusion en direct : https://www.youtube.com/c/YouTurbulence

Présentation :
L’objectif de cette journée d’étude sera d’interroger la distinction opérée par Gilles
Deleuze dans L’Image-temps, au chapitre intitulé « Cinéma, corps et cerveau, pensée », entre
deux « types » de cinéma, celui du corps, dit aussi « physique », et celui du cerveau, appelé
également « cérébral ». Il ne s’agira pas alors de simplement offrir un commentaire sur la
pensée du philosophe quant au cinéma, mais de poursuivre ou de refuser une telle dichotomie
à travers, d’une part, l’étude théorique de son argumentation, appuyée par des réflexions
extérieures plaidant en faveur ou contre cette distinction (phénoménologie, cognitivisme, etc.),
et, de l’autre, par l’étude de films pouvant s’inscrire dans l’un ou l’autre type de cinéma ou bien
en brouiller la frontière. On se penchera ainsi sur ce à quoi peuvent bien correspondre ces deux
types de cinéma, aussi bien avec Deleuze qu’après – et même sans ou contre – lui, grâce aux
interventions de spécialistes en esthétique, en études filmiques et en philosophie.
Un ensemble de questions naît d’abord de la relecture du chapitre de L’Image-temps
consacré à cette distinction. Le cinéma des corps n’est-il tel que parce qu’il les montre, les
exalte dans des postures ou des gestes (spectaculaires ou cérémoniels), se distinguant par
exemple du burlesque du cinéma « classique » par un effet de stylisation (brechtien ou
meyerholdien) ? Gestes ou postures des corps qui tendent à se substituer aux connexions
logiques ou conventionnelles des films en ce que c’est désormais « l’enchaînement formel des

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attitudes qui remplace l’association des images ». Ou bien peut-il être dit tel parce qu’il
implique les corps de ses spectateurs d’une manière spécifique, par exemple par la mobilisation
de sens autres que la vue ou l’ouïe comme avec le Polyester de John Waters (1981), voire
extrême, notamment par le renforcement de l’identification avec des personnages pris dans des
situations violentes tel le Fliora de Requiem pour un massacre (Idi i smotri, Elem Klimov,
1985), dont l’état perceptif de plus en plus halluciné se communique à ou fait corps avec celui
du spectateur ? Quant au cinéma du cerveau, doit-il être qualifié ainsi du fait de sa tendance à
présenter des images – labyrinthiques, synaptiques – rappelant le fonctionnement de l’activité
cérébrale et allant, comme dans le cas des films de Kubrick ou de Resnais, jusqu’à affirmer
« l’identité du monde et du cerveau » ? Ou bien est-ce parce que le dispositif
cinématographique, ou l’un de ses éléments comme le montage, présente une étrange
isomorphie avec le cerveau humain ?
D’autre part, il semble que chez Deleuze les deux types de cinéma correspondent à
l’atrophie ou la pathologisation de l’un ou l’autre pôle. Dans ce cas, un cinéma ne serait-il dit
« du corps » que par le supposé dysfonctionnement cérébral de ses personnages ou
l’empêchement des connexions (neuro-)logiques de son spectateur, avec pour aboutissement
d’une telle carence cette « débilité du cervelet » que Deleuze dénonçait dans les nouvelles
formes filmiques de son époque telles que le clip musical, lorsqu’elles étaient dévoyées ? Et le
cinéma du cerveau, quant à lui, ne correspondrait-il alors pas à cette asthénie généralisée dont
Kira Mouratova avait frappé ses personnages et leur milieu en lambeaux (Le syndrome
asthénique, 1989), comme à des visions aqueuses, algoïdes ou flottantes, dont la planète océan
Solaris serait l’emblème ? C’est en suivant de telles pistes que nous interrogerons la distinction
deleuzienne pour mieux nous en réemparer ou la retravailler à l’aune de l’histoire du cinéma
comme de ses développements les plus récents.
Nous pourrons également chercher du côté des sources d’inspiration de Deleuze, et en
premier lieu de celui d’Eisenstein, lui qui, comprenant combien le spectateur doit être « monté »
dans le film, est passé peu à peu d’un ciné-poing, ou du montage des attractions, à un cinéma
intellectuel. Dans ses théories du montage des années 1920, en effet, Eisenstein passait de l’idée
d’un théâtre et d’un cinéma capables de soumettre le spectateur à une agression psycho-
physiologique afin de réorganiser sa sensibilité dans une intention idéologico-politique précise
(« Le montage des attractions »), à l’idée d’un cinéma comme attraction intellectuelle basé
« sur la chaîne des réflexes combinés[,] action par chaînes associatives » (« A. I. 28 »). Ce
cinéma intellectuel ne correspondrait-il pas alors à celui du cerveau et, inversement, celui du
corps au premier temps des attractions eisensteiniennes ? Si Deleuze aurait eu tendance à le
refuser du fait de sa séparation entre deux « âges » du cinéma, ce sera à nous de réinterroger
cette possibilité comme celle, plus générale, de cette distinction entre deux types de cinéma,
avec ou après le philosophe, en n’hésitant pas, au cours de nos investigations communes, à nous
éloigner si nécessaire d’une trop grande pesanteur de ses concepts.

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Programme :

Jeudi 16 juin (Modération : Jean-Michel Durafour)


14h00-14h15 Présentations (Jean-Michel Durafour)
14h15-15h00 Introduction (Marie Rebecchi, Jacopo Bodini et Stanislas de Courville)
15h00-15h45 Emmanuelle André, La « puissance manuelle déchaînée » du
diagramme. Vibrations du moi dans l’œuvre de Kurt Kren
15h45-16h00 Discussions
16h00-16h15 Pause-café
16h15-17h00 Eugénie Zvonkine, Le cinéma d’Alexeï Guerman et d’Elem Klimov,
vers un nouveau voyant ?
17h00-17h15 Discussions

Vendredi 17 juin (Modération : Caroline Renard)


9h15-10h00 Laurent Jullier, Quelques outils de psychologie et de sociologie
appliqués au concept d’image-temps
10h00-10h45 Elena Vogman, Le milieu et le cerveau. Les médias de la
psychothérapie institutionnelle
10h45-11h00 Discussions
11h00-11h15 Pause-café
11h15-12h00 Dork Zabunyan, Du corps au cerveau : après l’esthétique du choc
12h00-12h15 Discussions

Résumés :

Emmanuelle André (Université de Paris), La « puissance manuelle déchaînée » du


diagramme. Vibrations du moi dans l’œuvre de Kurt Kren
L’œuvre de Kurt Kren, cinéaste viennois reconnu comme l’un des plus inventifs de
l’avant-garde autrichienne, ne peut se concevoir sans l’examen attentif de toute la production
graphique qui accompagne ses films, des « Kaderplans » comme il les dénomme, soit des
notations ou partitions aux allures très variées : tracés en diagonales, lignes et points reliés avec
ou sans des séries de chiffres alignés ou disposés en triangle, des damiers colorés… Tous les

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films n’ont pas leur Kaderplan mais il arrive à l’inverse qu’un film en contienne plusieurs, de
sorte qu’un ensemble visuel autonome se dégage. La critique les a considérés comme des
moyens d’accès à la manière dont les films ont été faits. Pourtant, il n’est pas certain que Kren
leur ait attribué un sens univoque. Rien n’indique en effet que les Kaderplans soient réalisés en
amont des films, dans un but préparatoire.
À partir de l’analyse de Tschibo (1975), journal de bord du cinéaste, je ferai l’hypothèse
que ces Kaderplans sont des diagrammes. Un diagramme est couramment défini comme une
figure abstraite qui « prolonge l’exercice de la pensée, l’aide à se structurer, soutient la mémoire
et la performance orale » (Jean-Claude Schmitt). Gilles Deleuze propose toutefois une autre
définition du diagramme qui évolue au cours de son œuvre. À propos des peintures de Francis
Bacon, Deleuze constate que le « diagramme n’est jamais effet optique, mais puissance
manuelle déchaînée ». Reprenant cette dernière acception, je ferai l’hypothèse que le
diagramme, camouflé d’une étonnante manière dans le film, se situe précisément à mi-chemin
entre l’œil et la main, la pensée et le geste, le cerveau et le corps, de façon à inventer une écriture
optique, une « opticographie », qui transforme les signes de l’écriture en une énonciation
vibrante des énigmes de la personne.

Eugénie Zvonkine (Université Paris 8), Le cinéma d’Alexeï Guerman et d’Elem Klimov, vers
un nouveau voyant ?
Des cinéastes comme Elem Klimov dans Requiem pour un massacre (1985) ou Alexeï
Guerman dans Khroustaliov, ma voiture (1998) ou Il est difficile d’être un Dieu (2013) font
émerger une sorte de nouveau « voyant », pris entre les deux régimes d’images tels qu’ils ont
été formulés par Gilles Deleuze. Ce voyant est hypermobile, se jetant en tous sens et se cognant
contre le réel diégétique. Il tente d’avoir une action dans le monde (faire la guerre, tirer au fusil,
sauver sa peau ou celle des autres), mais il est systématiquement réduit à son impossibilité à
intervenir sur le monde et à y opérer une action qui puisse le modifier. Cet état d’un puissant
tiraillement entre deux états – l’hypermobilité et l’épuisement cognitif et sensoriel – semble
contaminer le système esthétique du film et, par son truchement, la perception du spectateur,
pris entre une sur-stimulation des neurones-mémoire et des capacités cognitives et sensorielles
et un état d’abandon face à ce cinéma du débordement.

Laurent Jullier (Université de Lorraine), Quelques outils de psychologie et de sociologie


appliqués au concept d’image-temps
La différence entre image-temps et image-mouvement mise en place par Gilles Deleuze
est davantage basée sur l’image elle-même que sur ce qui se passe en face de l’écran, en nous
spectateurs pendant que nous regardons le film. Cette communication a donc pour objet d’aller
voir en face, sans postuler un spectateur idéal réagissant de manière béhavioriste à ce qu’il voit
et à ce qu’il entend, y compris aux « situations optiques et sonores pures ». La perception de la
durée au cinéma, en effet, est à la fois guidée par des mécanismes indébranchables (comme
l’est la perception du mouvement à partir d’images fixes) et par des routines cognitives
dépendant de la culture, de la biographie personnelle et de la « situation » au sens d’Irving
Goffman. Elle dépend aussi de l’investissement cognitif et affectif consenti face au film,
investissement d’autant plus complexe à étudier qu’il s’enchevêtre à l’appréciation et au

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jugement de goût. Certains outils heuristiques provenant de la psychologie et de la sociologie
permettent sans doute, à défaut d’apporter des réponses tranchées, de réfléchir à cette question
de la durée.

Elena Vogman (Freigeist-Fellow der VolkswagenStiftung, Bauhaus-Universität Weimar), Le


milieu et le cerveau. Les médias de la psychothérapie institutionnelle
Diagnostiqué de schizophrénie et patient de l’hôpital psychiatrique de Rodez, Antonin
Artaud parle de son état en matière d’expérience de la « fin du monde qui remplit peu à peu [s]a
pensée ». Ce vécu apocalyptique – traversée cérébrale de la mort – est analysé par le psychiatre
catalan François Tosquelles, fondateur de la psychothérapie institutionnelle (dont certains
concepts seront assimilés plus tard par Deleuze et Guattari dans les deux tomes sur Capitalisme
et Schizophrénie). Dans Le vécu de la fin du monde dans la folie (1948), Tosquelles voit dans
les crises morbides, souvent causées par la catastrophe de la Deuxième Guerre mondiale, une
expression de la perte du monde et en même temps une tentative de reconstruction. C’est cette
impuissance de la pensée – sa pétrification, sa décomposition, son anéantissement – dont
Deleuze fait le paradigme de l’image-temps. « Ce que le cinéma met en avant », écrit-il, « ce
n’est pas la puissance de la pensée, c’est son “impouvoir” ». Il articule le passage de l’image-
mouvement à l’image-temps par la confrontation de deux figures : Sergueï Eisenstein et
Antonin Artaud. Au lieu de rendre la pensée visible ou la soumettre à l’inconscient, il s’agit
pour Artaud de « rejoindre le cinéma avec la réalité intime du cerveau ».
Nous allons interroger l’impuissance de la pensée, articulée par Deleuze, avec la clinique de
Tosquelles ainsi qu’avec les films et d’autres pratiques de médias (les ateliers de théâtre,
l’imprimerie, le journal intra-hospitalier, etc.) développées à l’hôpital de Saint-Alban en Lozère
en collaboration avec les patients. Ces pratiques visaient à récréer un milieu de vie atteint par
l’expérience de la catastrophe et de la folie.

Dork Zabunyan (Université Paris 8), Du corps au cerveau : après l’esthétique du choc
Le cinéma de l’image-temps dépasse une esthétique du choc qui définit en partie selon
Deleuze les productions filmiques de l’image-mouvement, soucieuses pour certaines d’établir
une « nouvelle pensée », une « nouvelle humanité ». Le chapitre 7 de Cinéma 2 pose clairement
les coordonnées de ce dépassement, et la figure du voyant qui en résulte l’incarne dans la variété
de ses apparitions filmiques après-guerre. Le chapitre 8 intitulé « Cinéma, corps et cerveau,
pensée » propose un aperçu de ce à quoi ressemble une modernité cinématographique d’où
l’image-choc, jadis libératrice ou émancipatrice, a disparu. On se focalisera sur les composantes
visuelles et sonores de ce que Deleuze appelle le « cinéma cérébral », en veillant à montrer de
quelle façon ce cinéma est sans doute encore le nôtre. Il s’agira, par là même, de puiser à
l’intérieur d’un cinéma contemporain pour prolonger une classification des images définie par
le philosophe comme étant « ouverte », « lacunaire », « indéterminée », à reprendre à chaque
époque. Nous tenterons également de voir en quoi le cinéma du cerveau esquisse en parallèle
une politique des images par gros temps.

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