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(1898)
Traduction Henry D. Davray
LIVRE PREMIER –
L’ARRIVÉE DES
MARTIENS
I – À LA VEILLE DE LA
GUERRE
J’ai déjà dit que mes plus violentes émotions ont le don
de s’épuiser d’elles-mêmes. Au bout d’un moment, je
m’aperçus que j’étais glacé et trempé, et que de petites
flaques d’eau se formaient autour de moi, sur le tapis de
l’escalier. Je me levai presque machinalement, entrai dans
la salle à manger et bus un peu de whisky ; puis j’eus l’idée
de changer de vêtement.
Quand ce fut fait, je montai jusqu’à mon cabinet de
travail, mais je ne saurais dire pour quelle raison. La
fenêtre donne, par-dessus les arbres et le chemin de fer,
vers la lande de Horsell. Dans la hâte de notre départ, elle
avait été laissée ouverte. Le palier était sombre, et,
contrastant avec le tableau qu’encadrait la fenêtre, le reste
de la pièce était impénétrablement obscur. Je m’arrêtai
court sur le pas de la porte.
L’orage avait passé. Les tours du College Oriental et
les sapins d’alentour n’existaient plus et tout au loin,
éclairée par de vifs reflets rouges, la lande, du côté des
carrières de sable, était visible. Contre ces reflets,
d’énormes formes noires, étranges et grotesques,
s’agitaient activement de-ci et de-là.
Il semblait vraiment que, dans cette direction, la contrée
entière fût en flammes : j’avais sous les yeux un vaste flanc
de colline, parsemé de langues de feu agitées et tordues
par les rafales de la tempête qui s’apaisait et projetait de
rouges réflexions sur la course fantastique des nuages. De
temps à autre, une masse de fumée, venant de quelque
incendie plus proche, passait devant la fenêtre et cachait
les silhouettes des Martiens. Je ne pouvais voir ce qu’ils
faisaient, ni leur forme distincte, non plus que reconnaître
les objets noirs qui les occupaient si activement. Je ne
pouvais voir non plus où se trouvait l’incendie dont les
réflexions dansaient sur le mur et le plafond de mon
cabinet. Une acre odeur résineuse emplissait l’air.
Je fermai la porte sans bruit et me glissai jusqu’à la
fenêtre. À mesure que j’avançais, la vue s’élargissait
jusqu’à atteindre, d’un côté, les maisons situées près de la
gare de Woking, et, de l’autre, les bois de sapins
consumés et carbonisés près de Byfleet. Il y avait des
flammes au bas de la colline, sur la voie du chemin de fer,
près du pont, et plusieurs des maisons qui bordaient la
route de Maybury et les chemins menant à la gare n’étaient
plus que des ruines ardentes. Les flammes de la voie
m’intriguèrent d’abord. Il y avait un amoncellement noir et
de vives lueurs, avec, sur la droite, une rangée de formes
oblongues. Je m’aperçus alors que c’étaient des débris
d’un train, l’avant brisé et en flammes, les wagons d’arrière
encore sur les rails.
Entre ces trois principaux centres de lumière, les
maisons, le train et la contrée incendiée vers Chobham,
s’étendaient les espaces irréguliers de campagne sombre
interrompus ici et là par des intervalles de champs fumant
et brûlant faiblement ; c’était un fort étrange spectacle,
cette étendue noire, coupée de flammes, qui rappelait plus
qu’autre chose les fourneaux des verreries dans la nuit.
D’abord, je ne pus distinguer la moindre personne vivante,
bien que je fusse très attentionné à en découvrir. Plus tard
j’aperçus contre la clarté de la gare de Woking un certain
nombre de formes noires qui traversaient en hâte la ligne
les unes derrière les autres.
Ce chaos ardent, c’était le petit monde dans lequel
j’avais vécu en sécurité pendant des années ! Je ne savais
pas encore ce qui s’était produit pendant ces sept
dernières heures, et j’ignorais, bien qu’un peu de réflexion
m’eût permis de le deviner, quelle relation existait entre ces
colosses mécaniques et les êtres indolents et massifs que
j’avais vu vomir par le cylindre. Poussé par une bizarre et
impersonnelle curiosité, je tournai mon fauteuil vers la
fenêtre et contemplai la contrée obscure, observant
particulièrement dans les carrières les trois gigantesques
silhouettes qui s’agitaient en tous sens à la clarté des
flammes.
Elles semblaient extraordinairement affairées. Je
commençai à me demander ce que ce pouvait bien être.
Étaient-ce des mécanismes intelligents ? Une pareille
chose, je le savais, était impossible. Ou bien un Martien
était-il installé à l’intérieur de chacun, le gouvernant, le
dirigeant, s’en servant à la façon dont un cerveau d’homme
gouverne et dirige son corps ? Je cherchai à comparer ces
choses à des machines humaines ; je me demandai, pour
la première fois de ma vie, quelle idée pouvait se faire
d’une machine à vapeur ou d’un cuirassé, un animal
inférieur intelligent.
L’orage avait débarrassé le ciel, et par-dessus la fumée
de la campagne incendiée, Mars, comme un petit point,
brillait d’une lueur affaiblie en descendant vers l’ouest. Tout
à coup un soldat entra dans le jardin. J’entendis un léger
bruit contre la palissade et, sortant de l’espèce de léthargie
dans laquelle j’étais plongé, je regardai et je l’aperçus
vaguement, escaladant la clôture. À la vue d’un être
humain, ma torpeur disparut et je me penchai vivement à la
fenêtre.
« Psstt », fis-je aussi doucement que je pus.
Il s’arrêta, surpris, à cheval sur la palissade. Puis il
descendit et traversa la pelouse jusqu’au coin de la
maison ; il courbait l’échine et marchait avec précaution.
« Qui est là ? demanda-t-il, à voix basse aussi, debout
sous la fenêtre et regardant en l’air.
– Où allez-vous ? questionnai-je.
– Du diable si je le sais !
– Vous cherchez à vous cacher ?
– Justement !
– Entrez dans la maison », dis-je.
Je descendis, débouclai la porte, le fis entrer, la bouclai
de nouveau. Je ne pouvais voir sa figure. Il était nu-tête et
sa tunique était déboutonnée.
« Mon Dieu ! mon Dieu ! s’exclamait-il, comme je lui
montrais le chemin.
– Qu’est-il arrivé ? lui demandai-je.
– Tout et le reste ! »
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