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Christian Förstel

Manuel le Rhéteur et Origène : note sur deux manuscrits


parisiens
In: Revue des études byzantines, tome 57, 1999. pp. 245-254.

Résumé
L'examen d'une annotation polémique de Manuel de Corinthe en marge d'un témoin parisien du Contre Celse d'Origène (Paris,
suppl. gr. 616) permet d'identifier d'autres manuscrits copiés par le grand rhéteur, à savoir le Paris, gr. 945 (Contre Celse) et
l'édition du Corpus aristotelicum conservée dans quatre manuscrits de Moscou et d'Alexandrie.

Abstract
REB 57 1999 France p. 245
Christian Förstel, Manuel le Rhéteur et Origène : note sur deux manuscrits parisiens. — The examination of the polemical
annotation in the margins of a Paris manuscript of Origin's Contra Celsum (Paris, suppl. gr. 616) permits the identification of other
manuscripts copied by the Grand Rhetor, namely Paris, gr. 945 (Contra Celsum) and the edition of the Corpus Aristotelicum
preserved in four manuscripts in Moscow and Alexandria.

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Förstel Christian. Manuel le Rhéteur et Origène : note sur deux manuscrits parisiens. In: Revue des études byzantines, tome
57, 1999. pp. 245-254.

doi : 10.3406/rebyz.1999.1974

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1999_num_57_1_1974
MANUEL LE RHETEUR ET ORIGENE :
NOTE SUR DEUX MANUSCRITS PARISIENS*

Christian FÖRSTEL

Résumé : L'examen d'une annotation polémique de Manuel de Corinthe en marge d'un


témoin parisien du Contre Celse d'Origène (Paris, suppl. gr. 616) permet d'identifier
d'autres manuscrits copiés par le grand rhéteur, à savoir le Paris, gr. 945 (Contre Celse)
et l'édition du Corpus aristotelicum conservée dans quatre manuscrits de Moscou et
d'Alexandrie.

Dans sa remarquable histoire de la tradition textuelle du Contre Celse


et de la Philocalie d'Origène, parue en 1889 \ Paul Koetschau a attiré
l'attention sur les liens entre Manuel de Corinthe (avant 1481-1530/31) 2,
grand rhéteur de la Grande Église, et deux importants manuscrits
d'Origène de la Bibliothèque nationale de France. Ses observations n'ont
toutefois pas eu, jusqu'à nos jours, l'écho qu'elles méritaient, sans doute
parce que Koetschau commettait l'erreur de faire de Manuel un contem
poraindu concile de Florence. L'erreur — au demeurant tout à fait excus
able, puisque les deux études décisives sur la vie et la carrière de
Manuel3 sont postérieures à la monographie de Koetschau — a sans
doute discrédité les autres observations qu'a faites l'érudit allemand.

* Cette note reprend en partie la description du Paris. Suppl. gr. 616 que j'ai rédigée
pour le deuxième tome du Catalogue des manuscrits grecs datés des XIIIe et XIVe s.
conservés dans les bibliothèques publiques françaises. Je remercie Michel Cacouros,
Brigitte Mondrain et Marwan Rashed pour leurs conseils.
1 . Die Textüberlieferung der Bücher des Origenes gegen Celsus in den Handschriften
dieses Werkes und der Philokalia. Prolegomena zu einer kritischen Ausgabe, Leipzig
1889.
2. PLP 16712.
3. A. Papadopoulos-Kerameus, Μανουήλ ό Κορίνθιος και εν ύμνογραφικον αύτου
πονημάτιον, Έπετηρις Φιλολογικοϋ Συλλόγου Παρνασσού 6, 1902, ρ. 71-89 et
C. G. Patrinelis, Oî μεγάλοι 'Ρήτορες Μανουήλ Κορίνθιος, 'Αντώνιος, Μανουηλ
Γαλησιώτης και ό χρόνος άκμης των, Αελτίον της 'Ιστορικής και 'Εθνολογικής
'Εταιρείας της 'Ελλάδος 16, 1962, ρ. 17-38. Cf. également I. D. Polemis, An
Unidentified Text of Manuel the Corinthian, An. Boll. 110, 1992, p. 66 et G. Podskalsky,

Revue des Études Byzantines 57, 1999, p. 245-254.


246 CHRISTIAN FÖRSTEL

Le premier manuscrit lié à Manuel le Rhéteur est le Paris. Suppl.


gr. 616, qui contient l'éloge d'Origène par Grégoire le Thaumaturge, les
huit livres du Contre Celse et Y Exhortation au Martyre. Copié en 1339
par le moine Luc qui n'est connu que par ce manuscrit, le Parisinus
occupe une place importante dans la tradition du Contre Celse : il est,
avec le Vatic, gr. 386, dont il dérive4, le plus ancien témoin de ce texte.
On lui attribue en outre une origine impériale, sur la foi d'une note appo
séeen tête du manuscrit par Minoïde Mynas, le dernier possesseur du
manuscrit avant son entrée à Bibliothèque nationale.
Mais ce qui nous intéresse ici, c'est une note marginale de Manuel le
Rhéteur au f. 237r, face au passage du Contre Celse, VI, 26 (éd.
Koetschau, II, p. 96, 12), où Origène fait allusion au caractère temporel,
et non éternel, des peines infligées aux damnés. En voici la teneur 5 :
Μανουήλ του ρήτορος· | φευ σοι τάλαν Ώρίγενες κακώς, |
ύπεισάγοντι το καθαρτήριον πυρ· | εντεύθεν γάρ σοι και ό εις öv
ύστερον κατεκρημνίσθης ώρύχθη βόθρος· | ούκ εστί γάρ όλως
|

πουργατόριον 6 πΰρ, | ούκ εστί, του Κυρίου σαφώς εν εύαγγε|λίοις


αποφαινομένου και άπελεύσονται \ οδτοι εις κόλασιν αιώνων, οι δε
δίκαιοι εις ζωήν αίώνιον [Mt 25, 46] : και μη μοι | άντεπενέγκης ώς
τοΰτο δια φόβον | ημών τώ Κυρίω7 ε'ιρηται· βλασφημήσεις | γαρ και
ετι, αλλ' αύτοαλήθεια ων ό Κύριος 8 1 ημών την άλήθειαν ε'ιρηκεν 9.

La note de Manuel est de toute évidence autographe : une comparai


son avec les autres autographes connus 10 ne laisse subsister aucun doute
à ce sujet.
Le sens de la note est également clair : Manuel voit dans Origène
l'instigateur de la doctrine du purgatoire dont la réfutation constitue un
des points obligés de la polémique anti-latine depuis le 13e siècle.

Griechische Theologie in der Zeit der Türkenherrschaft (1453-1821), Munich 1988, p. 87-
88.
4. Cf. Koetschau, éd., Origenes Werke, I, Die Schrift vom Martyrium. Buch I-IV gegen
Celsus, Leipzig 1899, p. LIX-LX.
5. Note transcrite par Koetschau, Textüberlieferung, p. 54-55.
6. προγατόριον Koetschau.
7. κα Koetschau.
8. αύτοαλήθεια ών ό Κύριος : cf. Basile de Césarée, ep. 233 : εστί δε αύτοαλήθεια ό
Θεός ημών.
9. Traduction : «De Manuel le Rhéteur : malheur à toi, Origène, qui as eu le tort d'in
troduire subrepticement le feu purificateur. C'est à partir de là que s'est creusé pour toi le
trou dans lequel tu as été précipité plus tard, car le feu du purgatoire n'existe pas, il
n'existe pas, le Seigneur ayant avec clarté révélé dans les évangiles que "ceux-ci s'en
iront à une peine éternelle, et les justes à une vie éternelle". Et ne m'objecte pas que cela a
été dit par le Seigneur pour nous faire peur, car là encore tu commets un blasphème. Or
étant la vérité même, notre Seigneur a dit la vérité.»
10. Cf. L. Vranoussis, Les Conseils attribués au prince Neagoe (1512-1521) et le
manuscrit autographe de leur auteur grec, dans Actes du IIe Congrès international des
Études du Sud-Est européen (Athènes, 7-13 mai 1970), IV, Athènes 1978, p. 377-383, qui
reproduit, pi. IV, l'ex-libris de Manuel le Rhéteur sur le Vatopediou 255, et pi. I, deux
manuscrits autographes de Manuel, le Dionysiou 221 et le Iviron 512.
NOTE SUR DEUX MANUSCRITS PARISIENS 247

Manuel se rattache ainsi à la tradition affirmée avec force par Marc


Eugénicos au concile de Florence et plus tardivement, de façon plus
nuancée, par Georges Scholarios u. Manuel a d'ailleurs écrit un éloge de
Marc Eugénicos 12.
L'identité de vue n'est toutefois pas totale: si Marc Eugénicos et
Scholarios évoquent dans un même contexte la doctrine origénienne de
l'apocatastase et le feu du purgatoire, ils ne vont jamais jusqu'à
confondre totalement les deux. En faisant le lien entre l'apocatastase et
le feu purificateur, ils rejettent plus facilement ce dernier, mais le feu du
purgatoire n'est en aucun cas directement attribué à Origène 13.
Mais la note de Manuel doit surtout être rapprochée de deux de ses
propres œuvres où est abordée la question du purgatoire : c'est d'abord le
traité (inédit) sur le purgatoire — περί του δτι ούκ εστί μετά θάνατον
πυρ πουργατόριον, η καθαρτήριον, ως τίνες ύποτίθενται... 14 — qui
est antérieur à 1511 :
περί δε του λεγομένου παρά τισι πουργατορίου ήγουν καθαρτηρίου
δ'
πυρός, παρέλκον αν ε'ιη και περί τούτου μακρηγορεΐν, δπου γε
πρώτος μεν αυτός ό Χριστός και Θεός ημών εν εύαγγελίοις τουτ'
αναιρεί συν πολλή τη περιουσία· έπειτα ό μέγας απόστολος Παύλος,
και εφεξής οι διδάσκαλοι και θεολόγοι της Χρίστου εκκλησίας συν
πολλή τη επεξεργασία τη εις το εύαγγελικόν ρητόν πλατυνόμενοι
σαφηνίζουσι και τη εναντία δόξη, ώς προσάντει της αληθείας,
έξελέγχουσί τε και αντιμάχονται πολλοίς τοις έπιχειρήμασι καΐ ώς
φλυαρίαν ώριγένειον άποσείονταΐ" άλλ' δμως και τα περί τούτου θεία
θέντες ρητά, καταπαύσωμεν τον λόγον [...] και δη παρίτω ήμΐν ό
άγιώτατος Βουλγαρίας επίσκοπος και είπάτω την του ευαγγελικού
ρητοΰ εννοιαν του και άπελεύσονται οΰτοι εις χόλασιν αίώνιον, οί δε
δίκαιοι, εις ζωήν αίώνιον φησι γαρ προς ταύτα* τί φήσουσιν οί τέλος
της κολάσεως είναι τιθέμενοι; άκουέτωσαν του κυρίου λέγοντος· και
άπελεύσονται οΰτοι εις κόλασιν αίώνιον, και αίσχυνέσθωσαν ώς
τούτω άντιφθεγγόμενοι1 «ώσπερ γαρ οί άγιοι απαυστον χαράν, ούτω
και οί αμαρτωλοί [f. 261r] αληκτον εχουσι κόλασιν, καν Ώριγένης
φλυαρώ λέγων οτι εστί τέλος κολάσεως και ούκ άει τιμωρηθήσονται οί
αμαρτωλοί, αλλ' εσται δτε εις τον των δικαίων τόπον είσελεύσονται
δια της κολάσεως καθαρθέντες» 15.

11. V. notamment art. Purgatoire dans DTC XIII, col. 1253-1256 [A. Michel] et
col. 1329-1331 [M. Jugie].
12. Papadopoulos-Kerameus, art.cit., p. 85 n° 17.
13. Pour Marc Eugénicos, v. les deux discours sur le purgatoire tenus au Concile de
Florence, éd. L. Petit, PO 15, Paris 1920, p. 47, 1. 12-14, 48, 1. 24-27, 51, 1. 12-13, 53,
1. 9-12, 60, 1. 6-10, 143, 1. 31-35, 150, 1. 15-20 ; Scholarios, quant à lui, rejette catégor
iquement une identification entre l'apocatastase et le feu purificateur, cf. les deux traités
tardifs sur le Sort des âmes après la mort, dans Georges Scholarios, Œuvres complètes,
éd. L. Petit, M. Jugie, X. A. Siderides, I, Paris 1928, p. 512, 1. 37-513, 1. 8, et sur l'État
des âmes intermédiaires ou du Purgatoire, ibidem, p. 531, 1. 30-532, 1. 3 et p. 537, 1. 32-
34.
14. Papadopoulos-Kerameus, art.cit., p. 80 n° 1.
15. Paris, gr. 2193, ff. 260v-261r. Traduction : «Sur ce que certains appellent le purgat
oireou le feu purificateur, il serait sans doute superflu de faire de longs discours, puisque
248 CHRISTIAN FÖRSTEL

Un autre parallèle nous est fourni par la réponse de Manuel à la pro


fession de foi du dominicain romain François ('Απολογία και
ανατροπή των κεφαλαίων του φράρ Φραντζέσκου) qui date de
1523 16. Le quatrième article de la profession de foi du dominicain sou
ligne en effet la nécessité de croire au feu purificateur («Καθαρτικον
πυρ προ της κρίσεως πιστευτέον») et la réponse de Manuel est la sui
vante : ούδ'
"Ετι καθαρτήριον πυρ όλως υπάρχει μετά θάνατον και την
ένθένδε άπαλλαγην και άποβίωσιν. Τοΰτο γαρ της Ώριγένους
αίρέσεώς έστιν αποκύημα, διό ώς βλάσφημον και άντίθετον τΐ) θεία
άληθεία μακράν άπερρίφη της καθ' ήμδς ορθοδόξου αγίας
'Εκκλησίας, καΐ τους ούτω φρονουντας τφ άναθέματι ένδίκως
ύποβάλλομεν [...] Εί δ' ?)ν τοιούτον τι πΰρ καθαρτήριον μετά θάνατον
των ψυχών προ της κρίσεως, ώς φρονείτε ύμεϊς κακώς, αϊ ψυχαί δέ
πδσαι τώ του χρόνου άπείρω μήκει έκαθάρθησαν αν, καΙ ουδεμία εν
τώ της κρίσεως ευρέθη καιρώ κολάσει υπόδικος. "Ωστε μάτην
λέλεκται τώ Κυρίω το Και άπελεύσονται οδτοι εις κόλασιν αιώνων, οι
δε δίκαιοι εις ζωήν αίώνιον 17.

Néanmoins, l'intérêt de Manuel pour Origène n'est pas seulement


négatif: un deuxième manuscrit parisien témoigne d'une attitude plus
constructive. Il s'agit du Paris, gr. 945, qui renferme outre une partie de

le Christ notre Dieu lui-même l'a rejeté avec beaucoup de précision dans les évangiles.
Ensuite le grand apôtre Paul et après lui les maîtres et les théologiens de l'Église du
Christ, ont clarifié ce point en s'étendant avec tout le soin qui convient sur la lettre de
l'évangile. Et ils ont réfuté et combattu avec beaucoup d'arguments la croyance adverse
comme étant contraire à la vérité. Et ils l'ont rejetée comme un délire origénien.
Néanmoins, arrêtons le cours de notre discours en exposant les paroles divines sur cette
question... Et que vienne à notre aide le très saint évêque de Bulgarie [Théophylacte
d'Ochrida] pour nous dire le sens de cette parole évangélique, à savoir "et ceux-ci s'en
iront à une peine éternelle et les justes à une vie éternelle". A propos de ce passage, il dit
en effet ceci : que diront ceux qui défendent la thèse selon laquelle la peine a une fin ?
Qu'ils écoutent le Seigneur qui dit : ceux-ci s'en iront à une peine éternelle, et qu'ils aient
honte de s'y opposer. "De même en effet que les saints connaissent une joie sans terme,
de même les pécheurs subissent une peine éternelle, même si Origène, dans son délire,
prétend qu'il y a une fin de la peine et que les pécheurs ne sont pas punis éternellement,
mais qu'ils finissent par rejoindre le lieu des justes après avoir été purifiés par la
punition [Théophylacte d'Ochrida, Commentaire sur l'évangile selon Matthieu, PG 123,
433 A-B]"».
16. Cf. C. G. Patrinelis, art. cit., p. 23-24.
17. PG 140, 480 Α-B (d'après E. Le Moyne, Varia Sacra, Leyde 1685). Je n'ai pas eu
accès à l'édition gréco-russe de l'archimandrite Arsénios, Moscou 1889, cf.
Papadopoulos-Kerameus, art. cit., p. 81. Traduction: «De même le feu purificateur
n'existe absolument pas après la mort et la séparation d'avec le corps qui s'ensuit. Cette
doctrine est en effet un rejeton de l'hérésie origénienne : c'est pourquoi on l'a jugée
depuis longtemps blasphématoire et contraire à la vérité divine de notre sainte Église
orthodoxe et nous avons avec raison jeté l'anathème sur ceux qui l'admettent... Si un tel
feu purificateur existait pour les âmes avant le Jugement comme vous avez le tort de le
penser, toutes les âmes seraient purifiées dans l'étendue infinie du temps et aucune ne
serait soumise à la justice le jour du Jugement. Si bien que le Seigneur aurait dit sans rai
son ceci : "et ceux-ci s'en iront à une peine éternelle et les justes à une vie éternelle"».
NOTE SUR DEUX MANUSCRITS PARISIENS 249

la Philocalie, les huit livres du Contre Celse : Paul Koetschau a montré


que ce manuscrit était une copie du Paris. Suppl. gr. 616, mais il commet
l'erreur de le dater de la fin du 14e siècle. Deux notes placées à la fin du
manuscrit 18 nous permettent pourtant de connaître plus précisément
l'histoire du manuscrit. La première est une mention de don de l'hiéro-
moine Joachim : + το παρόν βιβλίον υπάρχει έμου και άνατίθημι
τοΰτο εις την | θείαν μονήν του παμμεγίστου ταξιάρχου υπέρ
ψυχι|κης σωτηρίας των έμών γονέων καΐ έμου του αμαρτωλού: - |
'Ιωακείμ ιερομόναχος : -. Joachim a donc donné le manuscrit qui était
en sa possession à un monastère (non identifié) dédié à saint Michel 19.
Or cette note est immédiatement suivie par une autre, plus fondament
ale pour nous : είσι δε τα γράμματα του μεγάλου ρήτωρος (sic).
Pour Koetschau, cette deuxième note est de la main de Manuel le
Rhéteur, qui aurait donc été l'un des possesseurs plus tardifs du manusc
rit. En réalité, elle est incontestablement de la même main que la ment
ion de don qui la précède et sa signification est également claire, «είσι
δέ τα γράμματα του μεγάλου ρήτωρος» veut bien dire que le manusc
rit est de la main du grand Rhéteur. Avant de donner son manuscrit au
monastère Saint-Michel, Joachim a donc noté ce fait comme pour donner
plus de valeur à son don. L'examen du manuscrit confirme amplement
cette attribution : le codex est écrit par trois mains, la principale étant
bien celle de Manuel le Rhéteur (pi. II). Nous sommes donc en présence
d'un nouvel autographe de Manuel de Corinthe.
La répartition des trois mains dans le manuscrit montre immédiate
ment que Manuel est le maître d' œuvre de la copie, les deux autres
copistes étant manifestement de simples collaborateurs. Manuel a en
effet copié les ff. lr-4v, soit le début de la Philocalie, et les ff. 48r-325r,
soit tout le Contre Celse ainsi que deux extraits de Y Exhortation au mart
yre et un fragment de Jean Climaque. Le changement de main entre
Manuel et son premier collaborateur se fait au milieu du premier quater
nion (f. 4 / f. 5). Les deux collaborateurs ont copié ff. 5r-23v, 1. 5, ff. 24r-
39V pour le premier, et f. 23\ 1. 5 à fin, ff. 40r-47v pour le second.
Mais à quelle date a été copié le Paris, gr. 945 ? Une note marginale
de première main en marge du Contre Celse, VI, 26 rappelle la note
polémique du Paris. Suppl. gr. 616 : Manuel écrit ceci : σημείωσαι την
είσαγωγην του πουργατορίου πυρός (pi. II)20. Mais rien ne prouve
que cette note est postérieure à celle que Manuel a portée sur le manusc
rit qui lui a servi de modèle et la note du Paris. Suppl. gr. 616 ne
contient de toute manière aucun élément permettant de la dater.
Il est toutefois tentant de formuler quelques hypothèses : dans l'intr
oduction de son édition du Contre Celse, Koetschau a ainsi proposé
d'identifier le Par. Suppl. gr. 616 avec le manuscrit que Ianos Lascaris a

18. F. 325r.
19. Koetschau, Textüberlieferung, p. 47-48.
20. F. 232r. Cf. Koetschau, Textüberlieferung, p. 56.
250 CHRISTIAN FÖRSTEL

vu à Vatopédi en 1491 21 et dont le contenu est en effet le même. Le peu


que l'on sait sur l'histoire ultérieure du manuscrit parisien semble plaider
en faveur de cette hypothèse : le Par. Suppl. gr. 616 apparaît en effet
pour la première fois de façon indiscutable sur la liste des livres que
Minoïde Mynas dépose en août 1842 dans le magasin des frères Abbot à
Thessalonique 22. Or un grand nombre des manuscrits figurant sur cette
liste sont de provenance athonite, et quelques-uns proviennent plus pré
cisément du monastère de Vatopédi 23. Une objection toutefois subsiste :
le seul catalogue des livres de Vatopédi antérieur aux expéditions de
Minoïde Mynas, celui qu'a rédigé le futur patriarche de Jérusalem
Chrysanthos Notaras vers 1700 24, ne signale aucun manuscrit d'Origène.
Mais ce catalogue ne recense qu'une partie (une cinquantaine) des
manuscrits présents à Vatopédi : son silence n'est guère significatif. Si
l'on est donc en droit de penser que le Paris. Suppl. gr. 616 se trouvait à
Vatopédi dès 1491, il n'en est pas moins probable, étant donné les fonc
tions de Manuel de Corinthe, que sa copie, le Paris, gr. 945, ait été réali
séeà Constantinople. La copie de Manuel aurait par conséquent été exé
cutée avant que le Paris. Suppl. gr. 616 ne quitte Constantinople pour le
Mont-Athos. À titre d'hypothèse, on peut donc proposer 1491 comme
terminus ante quern pour le Paris, gr. 945. L'examen des filigranes, pour
peu concluant qu'il soit, ne contredit pas une telle hypothèse : le filigrane
Balance25 qui alterne avec d'autres types dans le manuscrit est proche
d'un spécimen de 1486 répertorié par D. et J. Harlfinger 26.
Après sa confection, le Parisinus est passé entre les mains d'au moins
deux possesseurs successifs, l'hiéromoine Joachim, puis le monastère de
Saint-Michel : or il est entré dans les collections royales françaises dès le
règne de François Ier27, et donc avant 1547. Cette succession rapide
incite là encore à privilégier l'hypothèse d'une datation relativement
haute dans la carrière de Manuel le Rhéteur.

21. Vatic, gr. 1412, f. 34V : cf. K. K. Müller, Neue Mittheilungen über Janos Laskaris
und die Mediceische Bibliothek, Centralblatt für Bibliothekswesen 1, 1884, p. 333-412 et,
en particulier, p. 397.
22. H. Omont, Mynoïde Mynas et ses missions en Orient (1840-1855), Mémoires de
l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 40, 1896, p. 68.
23. Cf. en dernier lieu M. Rashed, Sur deux témoins des oeuvres profanes de
Théodore II Lascaris et leur commanditaire (Parisinus Suppl. gr. 472 ; Parisinus Suppl.
gr. 460), dans Scriptorium (sous presse).
24 . Éd. K. N. Sathas, Μεσαιωνική Βιβλιοθήκη, I, Venise 1872, p. 269-284, cf. E.
Lamberz, Ή Βιβλιοθήκη και τά χειρόγραφα της, dans 'Ιερά Μεγίστη Μονή
Βατοπαιδίου. Παράδοση, ιστορία, τέχνη, Mont-Athos 1996, II, ρ. 562-574, 672-677 :
ρ. 673 η. 18.
25. P.ex. ff. 51/52.
26. D. et J. Harlfinger, Wasserzeichen aus griechischen Handschriften, I, Berlin
1974, Balance 65.
27. Le manuscrit est relié aux armes de François Ier et il figure dans les catalogues de la
bibliothèque de Fontainebleau, cf. H. Omont, Catalogues des manuscrits grecs de
Fontainebleau sous François Ier et Henri II, p. 1 79 n° 540.
NOTE SUR DEUX MANUSCRITS PARISIENS 25 1

Selon toute vraisemblance, la lecture d'Origène dont témoignent le


Paris. Suppl. gr. 616 et le nouvel autographe de Manuel le Rhéteur, le
Paris, gr. 945, s'insère dans le cadre de l'enseignement de l'école
patriarcale que Manuel de Corinthe dirigeait au titre de ses fonctions de
grand Rhéteur. Elle constitue un exemple éloquent de la persistance de
l'hellénisme à Constantinople dans les premières décennies de la
Turcocratie.
Plus concrètement, l'identification du copiste principal du Paris,
gr. 945 met à notre disposition un échantillon suffisamment important
pour cerner toutes les particularités de l'écriture de Manuel de Corinthe.
Je me contenterai ici de signaler les ligatures αρ (γάρ, cf. p. ex. pi. 1, 1. 3
de la note ; παρά, pi. II, 1. 2, etc.), τρ (τροπικώς, pi. II, 1. 2), το (το, pi.
I, 1. 2 ; τάλαντσν, pi. II, 1. 3, etc.), le sigma oncial en ligature avec une
voyelle (ύπεισάγοντι, pi. I, 1. 2 ; οσάκις, pi. II, 1. 3, etc.) et λα
(κόλασιν, pi. I, 1. 8 ; κολάσεως, pi. II, 1. 6, etc.). Or ces caractéristiques
paléographiques permettent maintenant de reconnaître avec certitude la
main de Manuel de Corinthe dans un groupe de manuscrits célèbres que
l'on savait liés au grand rhéteur, mais dont on ignorait jusqu'ici le vrai
copiste.
Dans son étude fondamentale sur la tradition textuelle du traité Περί
ατόμων γραμμών, paru en 1971, Dieter Harlfinger avait le premier
reconnu dans les Mosquenses 6, 8, 239 et Y Alexandrinus 87 une édition
constantinopolitaine du Corpus aristotelicum copié par un seul copiste
— Y Anonymus 3 de Harlfinger28 — et datant, selon la mention de Γ in
diction qui figure sur le volume conservé à Alexandrie, de 1454/1455,
1469/1470 ou 1484/1485. Quelques années plus tard, en 1976, dans sa
description du manuscrit d'Alexandrie pour le premier volume de
Y Aristoteles graecus, Jürgen Wiesner identifiait, avec référence à
D. Harlfinger, Andronic Aléthinos comme copiste et attirait l'attention
sur la note à la gloire de Manuel le Rhéteur qu'un de ses élèves a appo
séeà la fin du manuscrit29. Enfin, la dernière indication qui me soit
connue est celle de Angel Escobar, qui dans sa thèse inédite sur la tradi
tion du Περί ενυπνίων*0 reprend l'attribution à Andronic Aléthinos, tout
en proposant, là encore avec référence à Harlfinger, le nom de Manuel de
Corinthe 31, mais sans trancher entre les deux attributions.

28. D. Harlfinger, Die Textgeschichte der pseudo-aristotelischen Schrift Περί


ατόμων γραμμών. Ein kodikologisch-kulturgeschichtlicher Beitrag zur Klärung der
Überlieferungsverhältnisse im Corpus Aristotelicum, Amsterdam 1971, p. 56 et 418.
29. P. Moraux, D. Harlfinger, D. Reinsch, J. Wiesner, Aristoteles graecus. Die grie
chischen Manuskripte des Aristoteles, 1 : Alexandrien-London, Berlin-New York 1976, p.
1-2.
30. A. Escobar, Die Textgeschichte der Aristotelischen Schrift Περί ενυπνίων. Ein
Beitrag zur Überlieferungsgeschichte der Parva Naturalia. Inauguraldissertation..., Freie
Universität, Berlin 1990, p. 45.
31. «<Andronikos Alethinos>... oder <Manuel Korinthios>».
252 CHRISTIAN FÖRSTEL

Or la comparaison détaillée entre l'autographe parisien de Manuel et


Y Alexandrinus 32 ne laisse subsister le moindre doute à ce sujet : on
retrouve bel et bien dans Y Alexandrinus non seulement l'allure générale
de l'écriture du Parisinus, mais aussi toutes les particularités graphiques
que nous avons énumérées plus haut. Manuel de Corinthe est donc égale
ment le copiste des quatre volumes de la grande édition constantinopoli-
taine d'Aristote que l'on peut maintenant dater de 1484/1485 33.
Aristote et Origène : l'intérêt de Manuel de Corinthe pour ces deux
auteurs éclaire d'un jour nouveau non seulement le personnage du grand
rhéteur lui-même, mais aussi l'enseignement dispensé par l'école patriar
cale à la fin du 15e et au début du 16e s. Pour Manuel, ces nouvelles
identifications font apparaître un profil proche de celui de Scholarios,
qui a non seulement été un grand aristotélicien, mais aussi un lecteur et
copiste (?) ou du moins annotateur d'Origène 34. Tout comme Scholarios,
Manuel porte aux écrits d'Origène un intérêt qui va bien au-delà du rejet
de l'apocatastase. Le grand rhéteur devait sans doute souscrire à la fo
rmule que Scholarios, dans une annotation du Vaticanus gr. 1742 35,
emprunte à Cassiodore : là où Origène parle bien, personne ne parle
aussi bien que lui, là où il parle mal, personne n'a fait pire (Ώριγένης
δπου καλώς εΤπεν, ουδείς κάλλιον, και οπού κακώς, ουδείς
χείρον) 36.

Christian Förstel
Bibliothèque nationale de France

32. Je remercie Marwan Rashed d'avoir mis à ma disposition d'excellentes photogra


phies en couleur d'une partie du manuscrit d'Alexandrie.
33. Cette datation est confirmée par l'examen des filigranes de Y Alexandrinus, comme
me l'apprend Marwan Rashed.
34. V. note suivante.
35. Le Vatic, gr. 1742 est entièrement de la main de Scholarios selon G. Mercati,
Appunti scolariani, dans Opère minori, IV, Vatican 1937, p. 72-106 : p. 93-97, mais cette
attribution n'est, à ma connaissance, ni rejetée, ni acceptée dans les études successives sur
les copistes grecs de la Renaissance, et, en dernier lieu, dans E. Gamillscheg, e.a.,
Repertorium der griechischen Kopisten 800-1600, 3 : Handschriften aus Bibliotheken
Roms mit dem Vatikan, Vienne 1997. Quoi qu'il en soit, il suffit ici de signaler que la
glose de Scholarios est signée Γενναδίου.
36. Scholarios, Oeuvres, VIII, Paris 1936, p. 503. La citation est de Cassiodore,
Institutiones, c. 1 .
NOTE SUR DEUX MANUSCRITS PARISIENS 253

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254 CHRISTIAN FORSTEL

Planche 2. Pam. gr 945, f. 232r.

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