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LE A H I EDU
R PÉDIATRE
FMC Ophtalmologie pédiatrique
N° 308
Année 2022-1/ Prise en charge ophtalmologique
janvier-février
Bimestriel/Tome LVI des anciens prématurés
SOMMAIRE Après un premier rendez-vous l’an dernier , nous nous retrouvons pour aborder trois Pr Matthieu
sujets capitaux de l’ophtalmologie pédiatrique : la prise en charge ophtalmologique des Robert,
Ophtalmologie pédiatrique PU-PH,
anciens prématurés, les larmoiements chez le nourrisson, et enfin les conjonctivites de CH Necker-Enfants
Prise en charge ophtalmologique
l’enfant. Ces trois sujets remplissent les critères de sélection que nous nous étions fixés : malades,
des anciens prématurés
Les larmoiements chez le nourrisson, des situations plus que fréquentes en consultation pédiatrique, mais qui sous le masque ophtalmologie
de la banalité, cachent parfois de véritables urgences médicales ou chirurgicales. pédiatrique, neuro-
les conjonctivites de l’enfant..........1
ophtalmologie,
Prise en charge ophtalmologique Je remercie vivement mes co-auteurs du service d’ophtalmologie du Pr Brémond-Gignac strabologie
des anciens prématurés.................1 à l’Hôpital Necker-Enfants malades où nous avons la chance de travailler, pour ces textes Faculté de
La prématurité, un facteur de risque pratiques et clairs et pour les cas cliniques adjacents. C’est un plaisir quotidien que de médecine de Paris
de troubles visuels...........................1 robertmatthieu@
travailler main dans la main avec nos collègues pédiatres ; formons le vœu en ce début yahoo.fr
Le suivi minimal d’année d’interactions toujours plus fructueuses entre nos deux spécialités !
ophtalmopédiatrique.....................3
Le suivi pédiatrique : dépister
une amblyopie ou un strabisme
d’apparition plus tardive................4
Prise en charge ophtalmologique
Cas cliniques : questions................5
des anciens prématurés
Cas cliniques : réponses................5
Larmoiements du nourrisson
Comment raisonner ? Quand La prématurité est un facteur de risque de développement de troubles visuels. Outre M. Alexandre
et à qui adresser ?...........................6 les lésions de rétinopathie du prématuré qui peuvent conduire jusqu’à une cécité Dentel
Certains larmoiements doivent et Dr Alejandra
irréversible, le développement d’une amblyopie, l’apparition d’un strabisme et/ou Daruich,
être adressés à l’ophtalmologiste
de troubles neurovisuels doivent aussi être dépistés de façon systématique. Un suivi Service
en urgence......................................6
minimal ophtalmo-pédiatrique est donc préconisé dans les premières années de vie d’ophtalmologie
Les conjonctivites............................6 (Pr Brémond-Gignac)
des anciens prématurés. Le dépistage de l’amblyopie et du strabisme peut être réali-
Larmoiements chroniques CH Necker-Enfants
associés à des sécrétions...............6 sé lors des consultations pédiatriques. Dès qu’un point d’appel ophtalmologique est malades,
La dilatation néonatale du sac retrouvé lors de ces examens, un avis spécialisé rapide est requis puisque le délai de APHP, Paris
lacrymal...........................................6 prise en charge conditionne les possibilités de restauration visuelle.
Cas cliniques : questions................8
Points clés
Cas cliniques : réponses................8
Conjonctivites du nourrisson ➊ Les anciens prématurés sont plus à risque de troubles de la vision, même en l’absence
et de l’enfant : prise en charge d’une rétinopathie du prématuré.
pratique............................................9
➋ Un suivi ophtalmologique minimal est nécessaire durant les premières années de vie,
Les conjonctivites néonatales........9
avec des examens clés vers 9-12 mois d’âge corrigé, 2 ans et demi-3 ans et 4-5 ans.
Les conjonctivites du nourrisson
et de l’enfant..................................10 ➌ Le dépistage de l’amblyopie et du strabisme fait partie de l’examen pédiatrique général
Conclusion..................................... 11 des anciens prématurés.
Cas cliniques : questions..............12 ➍ Des troubles neurovisuels séquellaires sont possibles et peuvent se manifester plus
Cas cliniques : réponses..............12 tardivement.
➍ Un dépistage visuel pédiatrique anormal doit conduire à un avis spécialisé rapide.
Directeur de la publication :
Dr Véronique Desvignes
La prématurité, un facteur rétrogéniculées (malvoyances corticales
Rédacteur en chef : de risque de troubles visuels et/ou sous-corticales) et oculomotricité
Dr Liliane Cret (strabisme).
Composition et Impression : La prématurité constitue un facteur de En effet, on estime que plus de 35 % des
Vassel Graphique risque indéniable de développement de prématurés nés avant 27 semaines d’amé-
Bd des Droits de l’Homme troubles ophtalmologiques. L’ensemble norrhée (SA) présentent des anomalies
BP 58 – 69672 Bron cedex
du système visuel est concerné : globe ophtalmologiques à l’âge de 6 ans, contre
www.vasselgraphique.com
oculaire (lésions de rétinopathie du pré- 6 % en population générale [1]. Le tableau 1
Édité par maturé, arrêt du développement macu- résume les différentes atteintes visuelles
l’Association française
laire, troubles réfractifs), voies visuelles relatives à la prématurité.
de pédiatrie ambulatoire - AFPA
2 Bourrelet surélevé
3 Néovascularisation
Papille
4 Décollement de rétine partiel
Fovéa
En cas d’anomalie lors de ces examens ou en cas ophtalmologique des enfants prématurés en met-
Prise en charge ophtalmologique des anciens prématurés
de ROP, un suivi régulier sera nécessairement établi tant l’emphase sur le rôle du pédiatre.
par l’ophtalmologiste. La figure 1 récapitule le suivi
Figure 1. Suivi ophtalmo-pédiatrique d’un ancien prématuré né avant 32 semaines d’aménorrhée, en période néonatale puis post-natale. Les interventions
du pédiatre sont figurées en bleu. SA = semaines d’aménorrhée. ROP = rétinopathie du prématuré.
[5] Early treatment for retinopathy of prematurity cooperative group. Revised indications for the treatment of retinopathy of prematurity:
Cas cliniques : questions deux parents qui ont récemment observé une déviation
permanente de ses yeux. Il ne se plaint de rien. En dehors
Cas 1 de l’examen oculomoteur, l’examen neurologique est ras-
surant. Vous parvenez à prendre cette photographie.
Larmoiements du nourrisson
Larmoiements du nourrisson
Dr Romain Touzé Certains larmoiements doivent être par hypersécrétion sont largement dominés en
et Dr Bruno Fayet
Service d’ophtalmologie adressés à l’ophtalmologiste en urgence fréquence par les conjonctivites.
(Pr Brémond-Gignac)
CH Necker-Enfants malades, Œil avec une rougeur péri-kératique Larmoiements chroniques associés
APHP, Paris
Toutes les atteintes cornéennes (érosion, corps à des sécrétions
étrangers…), inflammatoires (uvéites) seront
responsables d’un larmoiement aigu clair par Mais sans autre signe oculaire associé, ils évoquent
hypersécrétion, disparaissant lorsque cessera la une imperméabilité lacrymo-nasale.
stimulation trigéminale. Les larmoiements par défaut d’évacuation des larmes
sont très souvent chroniques, souvent asymétriques, et
Larmoiement clair mais avec signes ocu- existent depuis la naissance. L’imperméabilité/imperfo-
laires associés. ration lacrymo-nasale (ILN) résulte en une stase lacry-
Il faut absolument éliminer un glaucome congéni- male se caractérisant par un larmoiement accompagné
tal. Un larmoiement clair ne doit pas pour autant de sécrétions. Il s’agit-là d’anomalies anatomiques sur
rassurer a priori s’il n’est pas strictement isolé. Il faut le système d’évacuation des larmes, notamment au
traquer des symptômes oculaires associés : photo- niveau du canal lacrymonasal et de la valve de Hasner.
phobie et buphtalmie (un œil ayant un volume plus Deux signes sont très évocateurs :
important que la norme, avec mégalocornée, i.e. − le contraste œil blanc et sécrétions (souvent
augmentation du diamètre cornéen). Cette triade abondantes) ;
de symptômes chez un nourrisson, est fortement − la récidive peu après l’arrêt des traitements anti-
évocatrice d’une pression intraoculaire trop éle- biotiques, locaux ou généraux.
vée. La cornée peut montrer des signes d’œdème En effet, ces sécrétions sont très souvent prises pour
(aspect opaque ou bleuté) ; l’atteinte pouvant être des conjonctivites et répondent bien aux lavages et
uni-ou bilatérale. De par sa gravité, le glaucome dit aux antiseptiques locaux. À l’examen, une pression
congénital nécessite impérativement un avis spé- digitale de bas en haut sur la zone médio canthale
cialisé en urgence compte tenu de son pronostic mettra en évidence un reflux canaliculaire de mucus.
sombre en cas de retard à la prise en charge : opa- Il convient de distinguer les formes permanentes des
cité cornéenne définitive et neuropathie optique formes intermittentes. S’il existe des intervalles libres
irréversible menant à la cécité. Les principes du de tout larmoiement, il ne s’agit probablement pas
traitement seront de tout mettre en œuvre afin d’une obstruction anatomique totale. Tout rhume ou
de diminuer cette pression intra-oculaire ; il s’agit autre cause d’œdème de la muqueuse nasale déclen-
d’une urgence chirurgicale. chera les symptômes qui disparaîtront avec la cause.
Les larmoiements clairs mais sans aucun signe oculaire L’ILN peut se compliquer d’eczéma des paupières
associé suggèrent une imperforation méatique ou une et plus rarement d’abcès du sac lacrymal (dacryo-
sténose canaliculaire (congénitale ou acquise). Un cystite aiguë).
examen à la lampe à fente portable fera le diagnostic.
La dilatation néonatale du sac lacrymal
Les conjonctivites
Dacryocystocèle : elle se manifeste par une masse réni-
Œil rouge associé aux sécrétions. La rougeur tente, bleutée, située sous le tendon canthal médial. La
conjonctivale s’associe volontiers à une hyperhé- pression sur le sac lacrymal ne provoque pas de reflux
mie conjonctivale accompagnée de secrétions de mucus. La dilatation du sac lacrymal communique
plus ou moins purulentes. Cette inflammation de avec une protrusion dans la fosse nasale, sous le cornet
la conjonctive pouvant être d’origine virale, bac- inférieur (« sablier lacrymal »). Les formes bilatérales ou
térienne ou encore allergique. Les larmoiements surinfectées nécessitent une consultation en urgence
Larmoiements du nourrisson
Figure 1 : Les larmes sont secrétées par la glande lacrymale pour être évacuées dans le nez via un système complexe : les voies lacrymales
excrétrices. Il existe deux points ou méats lacrymaux, supérieur et inférieur, menant aux canalicules supérieurs et inférieurs, respectivement,
pour s’unir en un canal d’union. Ces éléments constituent la portion horizontale des voies lacrymales. Ce canal d’union se jette alors dans le
sac lacrymal via la valve de Rosenmüller, constituant la portion verticale. Ce dernier se termine par le canal lacrymo-nasal se jetant dans les
fosses nasales, sous le cornet inférieur, via la valve de Hasner.
en milieu spécialisé. En effet, la respiration étant exclusi- de collyre bactériostatique associé aux lavages ocu-
vement nasale chez le nourrisson, les formes bilatérales laires. L’utilisation de collyres antibiotiques n’est pas
peuvent réaliser une obstruction des fosses nasales recommandée en première intention. Le massage
comparable à une atrésie des choanes. antérograde (de haut en bas) peut être proposé
durant les premiers mois de vie. En cas d’échec, il
faut alors envisager un sondage des voies lacrymales
ayant pour but de rétablir la continuité lacrymale.
Classiquement, celui-ci peut être réalisé en consul-
tation avant l’âge d’un an, et nécessite une brève
anesthésie générale après l’âge d’un an.
Figure 2. Dacryocystocèle typique, réalisant une masse bleutée, située
sous le tendon canthal médial. Tout larmoiement, qu’il soit aigu ou chronique,
nécessite un avis spécialisé. Seule la suspicion de
Dans 60 à 90 % des cas, l’ILN est spontanément
glaucome congénital est une urgence. Le reste des
résolutive avant l’âge de 6 mois, en partie grâce à
larmoiements pourra être reçu en consultation pro-
la croissance du massif facial. Cependant, au-delà
grammée sauf en cas de complications, notamment
d’un an, les cas de résolution spontanée sont rares.
infectieuses, du sac lacrymal.
Le traitement des symptômes repose sur l’instillation
Cas cliniques : questions 9- Vous leur expliquez que ce sont probablement des
Larmoiements du nourrisson
conjonctivites à répétition
Cas 1 10- Vous leur expliquez que c’est probablement une imper-
foration lacrymonasale
Cas 3
Cas 1
Réponse 3
On remarque aisément une impression de gros œil. Il
s’agit là d’une buphthalmie importante avec mégalo
cornée et œdème cornéen. Tout larmoiement clair, avec
photophobie et buphthalmie, même modérée, uni- ou
bilatéral, doit faire consulter en urgence un ophtalmo-
Vous voyez en consultation ce nourrisson de 7 mois pour logue pédiatrique. Il s’agit d’une urgence chirurgicale ;
larmoiement chronique. A l’interrogatoire, les parents en cas de prise en charge tardive, les dégâts occasionnés
vous rapportent que l’œil gauche pleure en permanence, par cette hypertonie oculaire néonatale peuvent être
sans intervalle libre de tout symptôme, plus que l’œil droit irréversibles. En cas de doute, il vaut mieux envoyer l’en-
qui pleure à chaque rhume. Les secrétions sont perma- fant en urgence par excès que le contraire.
nentes (en dehors de traitements) et en plus accentuées
par les rhumes. Ce jour, celui-ci a justement un rhume. Cas 2
Réponse 1,4,5 et 8,10
u Quel traitement oculaire pourriez-vous proposer ? Il s’agit de la présentation typique d’une imperforation
1- Lavage oculaire au sérum physiologique seul lacrymonasale (ILN) prédominant à gauche. On note la
2- Lavage physiologique et collyre rifampicine et massages discordance entre les secrétions importantes et l’œil qui
rétrogrades est blanc. L’ILN congénitale est très souvent asymétrique,
3- Collyre rifampicine seul évoluant depuis la naissance, avec un larmoiement per-
4- Lavage oculaire au sérum physiologique et collyre manent ou intermittent associé à des exacerbations avec
bactériostatique sécrétions en cas de rhume. Le traitement des crises
5- Lavage oculaire au sérum physiologique et collyre bac- peut reposer sur le lavage physiologique seul, ou en
tériostatique et massages antérogrades association avec des collyres bactériostatiques s’il existe
6- Quelle prise en charge leur proposez-vous ? Surveillance simple des sécrétions. Les collyres antibiotiques ne sont pas
7- Consultation avec un ophtalmologue en urgence recommandés en première intention, pouvant sélection-
8- Consultation avec un ophtalmologue sans urgence ner des germes. Enfin, le massage antérograde est réalisé
dans l’optique d’ouvrir la valve de Hasner à l’aide de la
pression exercée et transmise. Bien que les massages ophtalmologique urgent est nécessaire. Il faut
Les conjonctivites néonatales méritent une mention La moindre suspicion de conjonctivite néonatale à
particulière en raison de leur étiologie, majoritai- Gonocoque ou Chlamydia nécessite la réalisation d’un
rement représentée par des germes responsables frottis conjonctival et la mise en route du traitement
d’infection sexuellement transmissibles avec les curatif sans attendre étant donné le risque de séquelles
conjonctivites à Neisseria gonorrhoeae et à Chlamydia cornéennes, donc visuelles, sévères.
trachomatis, et de leur gravité potentielle.
Références
[1] Salmon JF. Kanski’s - Clinical Ophthalmology - A systemic approach. 9e. 2020. 916 p.
Conjonctivites du nourrisson et de l’enfant
[2] Robert P-Y, Sabatier A. Conduite à tenir devant une conjonctivite infectieuse. EMC - Ophtalmol. janv 2011;8(2):1‑12.
[3] Sauer DA. Les conjonctivites infectieuses de l’enfant. Point Sur. 2013;7:3.
[4] Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé. Collyres et autres topiques antibiotiques dans les infections oculaires
superficielles. 2004 juill.
[5] LaMattina K, Thompson L. Pediatric conjunctivitis. Dis Mon. juin 2014;60(6):231‑8.
[6] Mortemousque B, Stoesser F. Conjonctivites allergiques. EMC - Ophtalmol. janv 2007;4(4):1‑18.