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L’interdiction de l’abaya dans les écoles de France place les musulmans au cœur d’une nouvelle

polémique politique
La présence permanente de l’islam et des musulmans dans le débat public en France révèle la
marginalisation politique de ceux qui sont désormais présentés comme une menace au pluralisme
démocratique. De fait, ni le poids démographique et économique de cette communauté, ni les
mesures qu’ont tenté de mettre en place certains gouvernements comme celui de Jean-Pierre
Chevènement ou de Nicolas Sarkozy n’ont réussi à sortir la communauté musulmane, et en
particulier nord-africaine, de ces décennies de stigmatisation et de marginalisation.
La rentrée s’est cependant ouverte pour les Français sur un grand débat politique causé par la
décision du ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse Gabriel Attal en date du 28 août
interdisant le port de l’ « abaya » à l’école, tenue qu’il qualifie de signe religieux.
Le ministre entrant, à qui ont incombé l’éducation et l’enseignement fin juillet, a déclaré lors d’un
entretien avec TF1 que « porter l’abaya, signe religieux, à l’école, c’est tester les limites de la
République, en visant l’école, forteresse laïc. → porter l’abaya à l’école [est un] geste religieux
visant à tester la République sur le sanctuaire laïc que doit constituer l’école. Vous rentrez dans
une salle de classe, vous ne devez pas être capable d'identifier la religion des élèves en les
regardant. » Il a insisté sur sa volonté de mettre en place des « directives claires au niveau national »
pour les chefs d’établissements.
Gabriel Attal, nouveau ministre de l’Éducation, a expliqué dans sa note à ces derniers que la priorité
devait être au dialogue avec les élèves et leurs parents ; l’expulsion ne vient qu’en dernier recours,
seulement en cas d’échec des discussions/ quand tous les moyens de dialogue ont été épuisés. À
l’origine de cette décision, la publication par le ministère de l’Éducation nationale de données sur
les atteintes à la laïcité à l’école, en hausse de 120 % depuis 2021. Et l’abaya, ample robe à
manches longues en vogue chez les jeunes musulmanes, est au cœur de cette augmentation.
Ces chiffres reflètent les 5 000 signalements pour atteinte à la laïcité émanant de 513 établissements
scolaires, la plupart du second degré, adressés ministère de l’Éducation nationale. Un nombre
record, qui a culminé durant le mois de ramadhan et les autres fêtes musulmanes, à l’occasion
desquelles les jeunes filles sont nombreuses à revêtir cet habit traditionnel.
Des mesures fermes
Face à ces chiffres, le Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République, instance
gardienne de la laïcité dans les établissements scolaires, avait réagit. Dans une note confidentielle
dont l’existence a été dévoilée dans Le Monde, le Conseil a recommandé dès juin 2022 au ministre
de l’Éducation nationale de prendre des mesures « fermes » pour remédier à la situation. (À noter
que) Pap Ndiaye, alors ministre, a refusé d’interdire l’ « abaya », position qui lui a coûté son poste,
selon certains.
Pour rappel, le 15 mars 2004, le Parlement français adoptait à 494 voix contre 36 la loi interdisant le
port de tout signe religieux au sein des établissements scolaires publiques, ce qui comprend le voile
musulman, la kippa juive et la croix chrétienne. Or, la polémique porte seulement sur le voile
musulman. Selon Libération, dans son édition du 5 septembre, plus de 300 élèves se sont présentées
à l’école vêtues d’une abaya en dépit de la décision ministérielle, et 67 d’entre elles ont préféré
rentrer chez elles plutôt que de l’enlever.
De leur côté, les syndicats d’enseignants sont restés prudents face à ces décisions, affirmant que
l’enseignement souffre de « problèmes plus importants que l’abaya » comme la crise des effectifs,
qui prive les établissements scolaires français de 300 enseignants tous les ans.
Une décision bien accueillie par la droite
Coté politique, le président Emmanuel Macron, interviewé sur la chaîne d’un youtubeur/influenceur
populaire parmi les jeunes, a fait le lien entre l’assassinat en 2019 du professeur d’histoire-
géographie Samuel Paty et le port de signes religieux à l’école. « Je ne fais aucun parallèle entre les
actes de terrorisme et la tenue portée par des jeunes filles musulmanes, explique-t-il. Je vous dis
juste que la question de la laïcité dans notre école est une question profonde. » « Nous ne laisseront
rien passer, déclare-t-il encore durant sa visite à un lycée professionnel à Orange, dans le Vaucluse.
On sait qu’il y aura des cas […] par négligence peut-être, mais […] [nous] devons être
intraitables. »
Pour sa part, la cheffe du gouvernement Elizabeth Borne réfute toute « stigmatisation » et
discrimination contre les musulmans. « Je veux dire les choses très clairement. Il n'y a aucune
stigmatisation. Chacun de nos concitoyens, quelle que soit sa religion, a toute sa place dans notre
pays, » a-t-elle assuré dans un entretien à RTL. Le ministre de l’Économie Bruno Lemaire a, à son
tour, déclaré sur BFMTV : « ça fait des années que l’islam politique nous teste, teste nos limites,
teste notre capacité de résistance […]. Il est bon qu’un […] ministre de l’Éducation nationale,
responsable de l’école, de la formation de nos enfants, […] dise stop à l’islam politique. »
C’est la droite qui a toutefois accueilli la décision du Gabriel Attal le plus chaleureusement, et au
premier rang la famille politique du ministre, puisqu’il a reçu le plein soutien d’une multitude de
personnalités de la droite française, notamment de l’ancien président Nicolas Sarkozy. Ce dernier
l’a félicité de sa décision tout en critiquant son prédécesseur Pap Ndiaye, qui avait « laissé les
proviseurs s’enliser dans des situations impossibles. » Éric Ciotti, président des Républicains, a
quant à lui écrit sur le réseau social X, anciennement Twitter : « Le communautarisme est une lèpre
qui menace la République. Nous avions réclamé à plusieurs reprises l’interdiction des abayas dans
nos écoles. Je salue la décision du Ministre de l’Éducation nationale […]. » Naturellement, les chefs
de l’extrême-droite ont fortement approuvé cette décision, en premier lieu Éric Zemmour, président
du parti d’ultradroite Reconquête, qui a assuré Gabriel Attal de son « soutien total », en l’appelant à
« aller plus loin ». « L’interdiction des abayas est un premier bon pas si elle est appliquée, a-t-il
déclaré sur X. [Nous] allons même plus loin en proposant la généralisation du port de l’uniforme
pour éviter toute provocation islamique à l’école. »
La position du député Grégoire de Fournas, membre du Rassemblement national, parti
d’extrême-droite présidé par Marine Lepen, ne diffère guère. Ce dernier a profité de la polémique
pour rappeler sur X que cette décision va dans le bon sens, « mais sans arrêter l’immigration, c’est
vider la mer avec une petite cuillère. » « Nous n’aurions pas à nous réjouir de l’interdiction du port
de l’abaya si nous ne subissions pas une politique d’immigration massive. Cette mesure va dans le
bon sens mais ne résoudra pas le problème de fond », a renchéri son collègue des Bouches-du-
Rhône, Romain Baubry.

La gauche divisée
De l’autre côté, c’est de Jean-Luc Mélenchon, président du parti de gauche radicale La France
Insoumise, qu’émanent les critiques les plus acerbes. Il a ainsi exprimé, sur les réseaux sociaux, sa
« tristesse de voir la rentrée scolaire politiquement polarisée par une nouvelle absurde guerre de
religion entièrement artificielle à propos d'un habit féminin. À quand la paix civile et la vraie laïcité
qui unit au lieu d'exaspérer ? »
Mathilde Panot, députée et présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, va de le sens de M.
Mélenchon en déclarant que le nouveau ministre Gabriel Attal avait une « obsession » avec les
musulmans, et « plus précisément les musulmanes ». « Il a délaissé tous les problèmes dont souffre
l’enseignement comme la crise des effectifs ou la baisse du niveau scolaire pour se concentrer sur
les jeunes musulmanes et la façon dont elles s’habillent. » Sa collègue, la députée Clémentine
Autain, considère même que Gabriel Attal a créé « une police du vêtement ». Manuel Bompard,
coordinateur de LFI, a annoncé que son parti se préparait à saisir le Conseil d’État pour attaquer
cette réglementation jugée anticonstitutionnelle et contraire au principe de liberté individuelle.
La gauche n’est cependant pas unanime sur ce sujet. Les avis sont divisés : alors que LFI et Les
Verts se sont opposés à la décision ministérielle, le Parti Communiste et le Parti Socialiste l’ont
appuyée, choix justifié au nom de la laïcité par le député socialiste Jérôme Guedj et par le président
du PC Fabian Roussel.

Une loi de lutte contre le séparatisme islamiste !


Le fait est que cette polémique autour du port de l’abaya n’est pas la première tache de ce genre sur
le mandat d’Emmanuel Macron. En octobre 2020, le ministre de l’Intérieur Gerald Darmanin avait
avancé un projet de loi anti séparatiste contre le repli communautaire qui avait fait beaucoup de
bruit/beaucoup fait parler/fait couler beaucoup d’encre et a été définitivement adopté à l’Assemblée
nationale en juillet 2021.
Aujourd’hui officiellement nommée « loi confortant le respect des principes de la République »,
elle était à l’origine appelée loi de « lutte contre le séparatisme islamiste ». À l’époque, Gerald
Darmanin avait déclaré qu’elle présentait « une action concrète contre le repli identitaire et la
progression de l’islamisme extrémiste, idéologie contraire aux principes et aux valeurs
fondamentales de la République. » Si les opposants à cette loi, majoritairement de gauche, ont
considéré qu’elle prenait les musulmans pour cible et traduisait une vision étroite de la laïcité, le
gouvernement français en a tout de même justifié l’adoption car elle « promouvait les valeurs de la
République laïque » : explication identique à celle avancée pour soutenir l’interdiction de l’abaya,
dont le port « menace la laïcité de l’État. »
Beaucoup ont vu dans cette « loi confortant le respect des principes de la République » une
évolution dangereuse criminalisant les musulmans de France. Elle prévoit en effet cinq ans
d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende pour toute personne menaçant, violentant ou
intimidant un élu ou un agent du service public dans le but de se soustraire aux règles des services
publics, ce qui inclut : refuser de se faire examiner par un médecin du sexe opposé, mettre en place
des horaires de piscine réservés aux femmes, ou encore proposer des menus de substitution dans les
cantines scolaires. Annie Genevard, députée de droite, est même allée jusqu’à proposer d’ajouter à
cette loi de « lutte contre le communautarisme musulman » l’interdiction des danses
traditionnelles/populaires maghrébines et africaine et des drapeaux étrangers lors des mariages.
Les critiques ont même fusé à l’international, en particulier suite au discours d’Emmanuel Macron
dans lequel il a déclaré : « l’islam est une religion qui vit une crise aujourd’hui, partout dans le
monde ». À noter que la loi sur le séparatisme a manqué de causer une crise diplomatique entre
Paris et Ankara, le président turc Recep Tayyip Erdoğan l’ayant qualifiée de « coup de guillotine
infligé à la démocratie française ». Elle a en outre été dénoncée par une multitude de groupes de
défense des droits de l’homme, y compris Amnesty International, dont la chargée de plaidoyer
officielle Anne-Sophie Simpère a déclaré la loi « arbitraire/abusive ».
Le site de journalisme indépendant Mediapart a de plus révélé que cette loi a permis jusqu’à présen
la suspension d’activité d’associations caritatives et de commerces tenus par des musulmans, ainsi
que la fermeture d’écoles coraniques et de mosquées. Parmi les nombreuses associations
musulmanes qui ont fait l’objet d’une enquête, 900 environ ont été fermées, et 55 millions d’euros
d’amende ont par ailleurs été prélevés/saisis en tout.
Le modèle laïc français
Rappelons que la France a adopté une laïcité particulièrement stricte, consacrée très tôt dans
l’histoire contemporaine du pays par la loi de 1905, et ce suite à un conflit avec le clergé. Ainsi la
laïcité a-t-elle pour rôle de séparer la religion de la vie publique, ce qui inclut l’absence totale de
signes religieux dans l’espace publique, ce qui inclut tous les établissements publics, y compris
scolaires.
D’autre part, la hausse de l’immigration musulmane en France, en introduisant une diversité
nouvelle dans la société française, contribue grandement à engendrer ces crises. De fait, pour faire
face à ces changements, certains ont adopté des approches aggravantes fondées sur l’hostilité face
aux immigrés et la défiance croissante envers les musulmans.
Pareillement, ce modèle de laïcité stricte entrave la liberté de religion des musulmans pratiquants
qui suivent la loi islamique, comme l’a montré une étude récente conduite par Statista publiée en
mars 2023. Selon cette étude, 58 % des personnes se considérant musulmanes sont pratiquants,
contre seulement 15 % des catholiques. En outre, 80 % de cette proportion de musulmans déclare ne
pas consommer d’alcool, et 60 % d’entre eux prient tous les vendredis.
S’est également exprimé sur le sujet le chercheur Joseph Massad, qui explique que « la crise de la
France face à l’islam est l’héritage de 200 de brutalité coloniale. C’est une tradition laïque
perpétuée en France depuis des lustres. » Selon lui, Emmanuel Macron n’est pas le premier
dirigeant français à vouloir « libérer » l’islam : il s’inscrit en cette matière dans la lignée de
Napoléon, qui avait envahi l’Égypte en prétendant vouloir « libérer » le pays de la tyrannie des
mamelouks.
De fait, il suffit de comparer la France avec les démocraties occidentales voisines pour cerner
l’étendue des différences, de la diversité et de la confrontation entre les États européens abritant de
large communautés musulmanes. Peut-être la différence la plus marquée se trouve-t-elle dans le
modèle anglo-saxon qui reconnaît l’Église sans pour autant bannir les signes religieux dans les
espaces publics comme privés.
Même en Espagne, alors que l’utilisation de croix chrétiennes dans les écoles a été interdite par la
loi de 2010 énonçant le principe de laïcité, le ministère de l’Éducation a préféré laisser une marge
de manœuvre aux régions pour les régulations au lieu de mettre en place des directives au niveau
national. Lorsqu’il s’agit des traditions religieuses espagnoles, fortement ancrées, et de la
multiplication des églises, les polémiques autour de la liberté de pratique sont quasi-inexistantes.
Deux affaires seulement ont fait parler, toutes deux concernant des élèves qui se sont vues interdire
l’entrée dans l’école parce qu’elles portaient le voile, l’une à Madrid en 2010, et l’autre dans la
région basque en 2014, le problème ayant été résolu par l’admission de ces élèves dans une école
privée.
De son côté, l’Allemagne, dans son histoire contemporaine, est un pays attaché au respect des
minorités, dans lequel il n’existe pas de séparation entre l’Église et l’État : en contrepartie, les
minorités religieuses ont le droit de contester toute loi qu’ils considèrent abusive. Récemment, la
presse a relayé le cas à Hambourg d’une jeune fille qui a gagné son procès après avoir porté plainte
pour refus d’entrée à un examen sous prétexte qu’elle portait le voile.
En Suède, la constitution autorise le port des signes religieux, quels qu’ils soient, dans l’espace
public comme privé. La Cour suprême de Suède avait même condamné une municipalité en Scanie,
au sud du pays, pour avoir interdit à des femmes musulmanes de travailler car elles portaient le
voile. Toujours en Scandinavie, au Danemark, le port de la burqa couvrant le visage est interdit sous
peine d’amende depuis 2018. Cet habit est également interdit en Norvège et en Finlande, mais d’un
autre côté, la fédération finlandaise de football offre aux joueuses des voiles adaptés au sport pour
les encourager à pratiquer cette discipline.

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