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Les Cahiers de la publicité

Ouvertures sémiologiques
Georges Péninou

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Péninou Georges. Ouvertures sémiologiques. In: Les Cahiers de la publicité, n°14, La recherche publicitaire va-t-elle
changer de siècle ? pp. 50-54.

doi : 10.3406/colan.1965.5193

http://www.persee.fr/doc/colan_1268-7251_1965_num_14_1_5193

Document généré le 15/10/2015


ouvertures

semiologiques

par Georges PÉNINOU


Directeur du Département des Recherches de Publicis

Sémiologie : le mot a fait fortune, mais il lui reste à obtenir ses


grades. En lui-même, la curiosité qu'il a fait naître et les succès
d'estime qu'il a remportés encouragent à poursuivre les recherches.
Parler de l'avenir de ce qui se cherche encore un présent, et tenter
de fixer les règles de son fonctionnement est donc un peu hasardeux,
mais on peut l'imaginer, moins en fonction de ce que sont les études
semiologiques (quelques travaux expérimentaux destinés à éprouver
une méthode d'analyse), qu'en fonction des considérants qui les
animent.

Une recherche portant sur l'exprimant.

Il convient d'abord de prendre le terme même de sémiologie dans


un sens extensif : une recherche ayant pour objet les signes
publicitaires; une recherche portant, par conséquent, sur l'exprimant.
En soi, ce terme implique une extension des préoccupations de la
recherche publicitaire jusqu'alors peu portée à s'intéresser, au moins
méthodiquement, aux constituants de la création. Cette annexion
devrait logiquement s'affirmer dans les années à venir au point que
l'analyse de l'expression publicitaire devrait usuellement faire partie
intégrante des programmes de travail des cellules de recherche, et des
problèmes dont elles sont normalement appelées à connaître.
Il est probable d'ailleurs, et ce, tant que des méthodes d'analyse
réellement satisfaisantes en seront encore à se chercher, que l'on
manifestera cette préoccupation même en l'absence d'une réelle
faculté d'y pouvoir répondre. Mais, faire preuve, vis-à-vis des signes
publicitaires, de ce même « doute méthodique » dont la recherche
dut à des époques différentes envelopper la détermination du message
et sa politique de diffusion, constitue, en soi, un phénomène d'une

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grande importance; il matérialise la tentative de soumettre le
processus publicitaire dans son entier à un examen rationnel, sans en
dispenser, comme cela reste encore trop souvent le cas, la phase
proprement expressive.

Nouvelle frontière.

Une frontière : disciplinaire, conceptuelle, technique, pourra donc


vraisemblablement se dessiner avant peu, entre recherches
psychologiques et recherches semiologiques; les premières fixant, dans le
cadre d'une recherche publicitaire, ce que devraient être les valeurs
à signifier, les secondes se préoccupant des conditions formelles de
transmission de ces valeurs. Ici réside le grand apport de la réflexion
sémiologique il convient d'employer ce terme de réflexion pour
bien montrer qu'il s'agit plus pour l'instant d'une ouverture d'esprit
vers un champ de recherches, que d'une discipline; a fortiori, d'une
science dont on opérerait en publicité une transposition mécanique.
Une telle démarcation comparable à bien des égards à celle qui
s'est opérée entre études de marché et études de motivations il y a
une dizaine d'années pour le plus grand profit des unes et des autres
devrait permettre une plus grande clarification des objectifs
d'étude, partant une meilleure chance de les bien atteindre. Il est de
fait que les psychologues, ou bornèrent leurs préoccupations au choix
du contenu sans se prononcer sur son expression formelle; ou se
risquèrent à apprécier celle-ci en fonction de catégorisations elles-
mêmes psychologiques (valeur d'attention, valeur d'intérêt, etc.); ou
n'évitèrent le procès psychologique (dont l'utilité en tout état de cause
n'est pas contestable) qu'au profit du procès esthétique. La novation
consiste précisément à considérer la création exclusivement dans ce
à travers quoi elle s'exprime : les signifiants eux-mêmes, envisagés
comme vecteurs du sens, à attester et s'il y a lieu parfaire la
solidarité du signe et du sens.

Nouveau testing.

Il est probable par exemple que le testing publicitaire divergera


en deux branches complémentaires, et consécutives, faisant l'une et
l'autre appel à des préoccupations mais aussi des conceptualisations
spécifiques, l'une s'attachant à la pertinence du thème (l'exprimé),
l'autre à la pertinence de sa transmission matérielle (l'exprimant).
C'est en effet le testing qui dans l'éventail des études publicitaires
est appelé à se prononcer sur la matérialité de la création, sur les
valeurs représentées. En fait, il est demeuré empreint d'équivoque,
faute d'une discrimination des deux plans sur lesquels il avait à
s'exercer : plan des signifiés et plan des signifiants.
La sémiologie n'est en définitive qu'un certain mode de lecture et
d'analyse de matériels publicitaires. Son économie de moyens est

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frappante; elle ne requiert en fait que la consultation attentive des
publicités déjà émises, auxquelles il faut nécessairement recourir.

Nouvelle pige.

Paradoxalement, la sémiologie, discipline neuve et qui se voudrait


stricte, réhabilitera la plus empirique, la plus ancienne des activités
de recherche : la pige. Celle-ci s'en trouvera d'ailleurs transformée :
les principes de découpage et de classement qui y président devront
probablement être révisés, en tout cas complétés : quelque
intéressante qu'elle puisse être, la consultation de pages documentaires
consacrées à un objet ou un produit est moins instructive finalement
que la consultation d'images classées en fonction des valeurs à
transmettre. Ce sont ces classements qui fournissent réellement les
témoignages les plus convaincants de l'existence d'une « langue
publicitaire » qu'il resterait à déchiffrer patiemment.

Rien ne s'oppose en principe, sinon le temps, et le nombre


considérable des éléments à manipuler, à ce que l'on répertorie, dans un
premier stade, quelques-unes des grandes fonctions de la publicité, ou
quelques-uns des grands signifiés qu'elle véhicule : sous l'angle de
l'expression qu'on leur a donnée, comment exprime-t-on la
présentation? l'excellence? la nouveauté? la douceur? la fraîcheur? Un
lexique de l'imagination publicitaire devient concevable, dans lequel
se trouveraient le recensement des formes utilisées, l'inventaire des
pratiques observées, voire les règles de syntaxe. Car l'imagination
publicitaire est loin d'être aussi généreuse et débridée qu'on le pense :
finalement, le créateur publicitaire fait appel à un nombre
relativement limité de signes : c'est plus dans leur combinaison que dans
leur sélection qu'il manifeste son talent.

Apprendre à raisonner les signes.

Une conscience plus nette vis-à-vis des problèmes de l'image


publicitaire, considérée comme support de communication,
s'instaurera, au même titre qu'elle s'exerça antérieurement sur la proposition
d'axe ou la proposition de plan média. Sans doute essaiera-t-on de la
mieux contrôler, parce qu'on en comprendra mieux l'incidence dans
le procès de communication : les créateurs apprendront à raisonner
leurs signes, tout comme on a raisonné les thèmes, les axes, les média.
Ils les raisonneront dans une double optique de pertinence (adoption
de la bonne forme, élimination des contre-signes) et d'efficacité
(sélection des signes à communication optimale).
Le rôle de l'image dans la transmission correcte du message est
primordial, en raison du fait qu'elle est, généralement, l'élément sur
lequel se fixe en premier l'attention et véhicule le plus les messages
de connotation. Or, l'image permet ou ne permet pas, permet bien ou
permet mal au message de se délivrer : apprendre de deux images

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parentes, celle qui est un bon véhicule et celle qui ne l'est pas, c'est
trouver des règles de fonctionnement des signes des codes qui
peuvent avoir valeur prédictive.
L'expérience (pourtant réduite) nous a déjà montré, par exemple
dans les messages de présentation, que certaines annonces n'étaient
pas bonnes, que le sens ne pouvait s'y bien délivrer et que la
transmission s'y engageait mal. Tout laisse penser que l'on soumettra les
images à cette épreuve de conformité. On admettra une discipline
de l'image comme on a admis une discipline du raisonnement : la
publicité évoluera vers une rationalité de l'image.
Ce qui a été dit au niveau de l'image, on l'étendra normalement
au domaine de l'argumentation, qui est aussi mal connu que celui
de l'image, et dont la dissection formelle n'a pas été à proprement
parler entamée. Sur ce point, l'ignorance des systèmes de persuasion
est totale; aucune recherche n'a, véritablement, été entreprise : tout
se passe donc comme s'il était indifférent de faire jouer tel ou tel
procédé argumentaire.
Et si l'on a pu parler du succès d'une argumentation, d'un
accrochage, d'un slogan, on l'impute généralement au contenu du message
en question, plus qu'à la figure elle-même ou au procédé qui lui est
sous-jacent.
A la base de ces futures recherches sur la logique publicitaire, il
y a la nécessaire constatation que la publicité n'est pas langage du
vrai, mais simplement langage de l'opinable. Elle est donc par
excellence de nature rhétorique dans le sens où on a pu la définir comme
logique du préférable : l'adhésion à l'idée ou au produit recherchée
passe de ce fait par le canal d'une argumentation dont la
décomposition analytique reste à faire et dont la fonctionnalité reste à
découvrir, et qui relevait autrefois de la science perdue du discours.
Ces quelques perspectives ouvertes suffiraient à montrer que si la
linguistique peut être à l'origine d'une partie de ces recherches et si
les notions qui en dérivent peuvent avoir valeur opératoire en
publicité, l'étude de l'expression va bien au-delà.
La linguistique offre toutefois l'avantage de proposer déjà un corps
de concepts précis et opérants, dont l'extension au domaine
publicitaire et notamment au domaine des images, même si elle fait
problème, est d'un intérêt incontestable.

Un concept germinatif.
Dans tous les domaines de la recherche, le progrès décisif a
toujours été dû à l'utilisation de concepts germinatifs, avant d'être dû
à l'utilisation de techniques. Dans le domaine de l'expression, on en
est encore à ce stade premier où les notions de base essaient de se
mettre en place. Mais elles modifient déjà, pour qui veut bien en
exploiter les propriétés, la teneur du dialogue qui s'institue entre
recherche et création, en lui permettant de s'inscrire dans le champ
de préoccupations directes, immédiatement accessibles, des créateurs.

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Ceux-ci n'ont pas à craindre que la sémiologie, qui peut leur
apprendre une plus grande maîtrise et un meilleur gouvernement de
leurs signes, mutile leur < liberté d'expression »; en fait, il y a bien
longtemps que la liberté en matière d'expression a cessé d'être
licence, et qu'elle n'est plus que l'exploitation la plus heureuse d'un
champ des possibles préalablement restreint. La communication
publicitaire a finalement gagné à ces examens intelligents qui ont
affecté le contenu du message et sa mise en mouvement dans l'espace,
et dont rien ne s'oppose qu'ils n'affectent aujourd'hui la forme qu'il
emprunte. Le paradoxe serait, au contraire, que ces examens
s'arrêtent à ce stade, alors que la communication, jusqu'alors préparée,
s'établit et se parachève dans et par le signe. On comprendrait mal
qu'il n'ait pas, à son tour, et d'autant mieux, fait l'objet d'un procès
d'habilitation.

Georges PÉNINOU.

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