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com/liberation O @libe Libération Mercredi 4 Octobre 2023

Par
DOVALFON

Mythique
La voix est envoûtante. La
parole virevolte, s'attarde,
s'essouffle, re prend, se
casse pour soudain s'envo-
ler dans un monologue
faussement humble qu'on
jurerait impromptu. L'audi-
toire est captivé, hypnotisé
même, on entend dans cer-
tains enregistrements la
respiration de l'étudiant
proche de son magnéto-
phone, dans d'autres des
exclamations de surprise
ou d'admiration, proches
de l'extase. Nous sommes
dans le haut-lieu de l'expé-
rimentation post-Mai 1968,
la nouvelle université de
Vincennes, créée par décret
le 7 décembre 1968, pour
être rasée et ensevelie sous
30 centimètres de terre par
les CRS et les bulldozers,
cam ions, concasseurs et
pelles hydrauliques le
27 août 1980. Il n'en reste
rien. Rien sauf la parole du
maître, Gilles Deleuze, phi-
losophe qui allait devenir
en France et encore plus
aux Etats-Unis un gourou,
non, un dieu. Son cours
hebdomadaire de trois heu-
res d'affilée, ouvert à tous et
De 1970 à 1987, les cours du philosophe ont donné
parfaitement corn préhensi· naissance à de multiples enregistrements audio,
ble même pour des néo-
phytes, qu'ils soient syndi- sans toutefois bénéficier d'une retranscription
calistes révolutionnaires ou
étudiants défoncés, allait «officielle». Un premier volume, publié jeudi,
migrer aux locaux autorisés
par le pouvoir, l'université regroupe son cours de 1981 sur la peinture.
Paris-VIII Vincennes-Saint·
Denis. Enregistrées reli-
gieusement par nombre
d'entre eux, ses conféren-
ces sont pourtant restées Par digeait pas ses cours, à la différence Webdeleuze. Beaucoup de ses audi- provise, alors qu'il s'appuie sur un
mythiques, comme certai- FRÉDÉRIQUE ROUSSEL de Michel Foucault par exemple. Et teurs ont témoigné du charisme de texte parfois écrit à la virgule près.
nes performances de Bob
Marley, d'Yves Klein ou de , est un peu comme si Gilles
de nombreux auditeurs ont capté
in vivo le cours légendaire hebdo-
sa voix, rauque et douce à la fois, en
raison de problèmes respiratoires
Si Deleuze n'avait devant lui que de
brèves notes et quelques livres, il
Maria Callas. «La philoso-
phie semblait naître de la
bouche même de Deleuze,
C Deleuze quittait de nou-
veau la salle de cours. Sa
voix s'est volontairement tue le 4 no-
madaire que Deleuze a tenu de 1970
à 1987 à l'université expérimentale
de Vincennes, construite après
qui renforçaient paradoxalement
l'envoûtement. «C'est qu'il y avait
plein de voix dans sa voix, dit David
préparait et répétait ses cours. L'oral
pourrait se comparer à une explora-
tion minière, qui consiste à creuser
comme d'une source d'eau vembre 1995, mais elle restait vi- Mai 68, puis de Saint-Denis à partir Lapoujade, qui a assisté aux cours de dans toutes les directions, puis à en
claire. Le long travail de vante dans ses enregistrements. Ces de 1980 quand la première fut rasée Deleuze à partir de 1985. Tantôt sa ramasser les scintillements. L'écrit
préparation était rendu in- captures sonores n'avaient jamais en trois jours par Chirac. voix est celle d'un type au bistrot du permet, lui, un dépôt de sens, avec
visible, et Deleuze créait la été transcrites, le philosophe s'y Le philosophe s'était épanoui dans coin, tantôt elle devient savante, tan- les pépites de l'orpaillage. Il permet
pensée en parlant, il parlait était opposé. Les Editions de Minuit l'e ffervescence de Vincennes où le tôt elle devient musicale avec des ef- aussi de montrer la profondeur de
philosophie comme on parie publient jeudi le premier volume de tutoiement était de rigueur, comme fets caverneux intenses, tamôt elle la pensée, de se rendre compte de
anglais ou espagnol», nous cette transmutation de l'oral à l'écrit. les interpellations d'un public poli- devient comique, presque une voix de tout le travail fourni. des références
raconte Robert Maggiori avec Sur la peinture, un cours pro- tisé post-soixante-huitard composé clown, tantôt elle bondit sur une idée à d'autres penseurs, à peine men-
dans ce numéro. Fidèle à la noncé de mars à juin 1981. dans une d'étudiants. mais aussi d'artistes, de à toute vitesse. Il me semble qu'il tionnés, mais qui sous-tendent les
philosophie se transmet- édition préparée par David Lapou- chômeurs, de curieux, de visiteurs était le seul de ses contemporains à cours. Ceux de Deleuze complètent
tant par la parole au lieu de jade, professeur à l'université Paris-1 étrangers, etc. Deleuze n'aimait pas disposer d'un tel registrededramati· aussi les livres qu'avait publiés le
l'écrit, telle qu'elle a été Panthéon-Sorbonne (lire page 5), «les gardiens de casseue», disait-il salion de la pensée. On était loin d'un philosophe. «Le lecœurde Deleuze,
définie par Platon, Deleuze qui avait déjà édité deux recueils de devant les magnétophones qui fleu- cours classique de philosophie.» écrit David Lapoujade, dans la pré-
avait interdit la reproduc- textes posthumes (l'Ile déserre el au- rissaient son bureau. Mais l'instant sentation de cette édition.y rencon-
tion imprimée de ses tres textes, 2002; Deux Régimes de de grâce que constituaient ses inter- PRÉPARATION, RÉPÉTITION tre bien souvent des explications qui,
cours. Dès lors, fallait-il fous, 2003). ventions suscitait le désir de le cap- Que signifie le fait de rendre cette par leur grande clarté, aident à une
publier un livre les rassem- ter. A la différence aussi d'autres in- vocalisation neutre, littéralement compréhemion renouvelée des ou-
blant, après un travail de «GARDIENS DE CASSETTE» tellectuels dont les cours n'ont pas sans voix, en l'imprimant sur le pa- vrages.» Des décennies après l'at-
retranscription annotée Cette entreprise a cela de particu1ier été enregistrés ou ne sont pas acces- pier? Cette forme de symphonie, mosphère survoltée et sidérée des
et minutieuse de celui qui qu'elle nécessitait de partir d'une sibles, les audios de ceux de Deleuze qui était aussi la qualité des cours de séminaires deleuziens, passer ses
avait «plein de voix dans reproduction technique, ô combien ont été mis en accès libre dès les bal- Foucault ou Jankélévitch, peut don- cours à l'écrit permet de continuer
sa voix»? précieuse car Gilles Deleuze ne ré- butiements d'Internet sur le site ner l'impression que l'orateur im- à faire vivre sa pensée. ...,
Libération Mercredi 4 Octobre 2023
«Sur la peinture», une plongée
dans la toile du philosophe
Au printemps 1981, Deleuze
tient dans les nouveaux locaux
de Paris-VIII à Saint-Denis un
cours sur les liens entre
peinture et philosophie. Ces
huit séances font l'objet d'un
recueil aux Editions de Minuit.
st-ce que la couleur est un concept?
((
E Je ne sais pas. Qu'est-ce qu'un con-
cept de couleur? Qu'est-ce que la
couleur comme concept? Si la peinture ap-
porte ça dans la philosophie, où est-ce que ça
va entrainer la philosophie? Je veux dire :
comment/aire? Il y a évidemment un pro-
blème:parlerde la peinture. Qu'est-ce que ça
veut dire, parler de la peinture? Je crois que
ça veut dire précisément:Jormerdes concepts
qui sont en rapport direct avec la peinture, et
avec la peinture seulement.» A la fin de l'an-
née 1%9, Gilles Deleuze est nommé maître de
conférences titulaire au sein du départe-
ment de philosophie de la nouvelle université
de Vincennes, crée par décret le 7 décem-
bre 1968, suivant le dessein du ministre Edgar
Faure qui, sans doute pour «canaliser» l'éner-
gie révolutionnaire des étudiants de Mai, vou-
lait revaloriser l'innovation pédagogique, la
modernité et l'interdisciplina rité.
C'était près d'un champ de tir, dans un terrain
cédé par le ministère de la Défense à la mairie
de Paris. Là sont bâtis à la hâte les murs d'une
faculté <iexpérimentale», une anti-Sorbonne
qui devait tous les faire t omber, les murs de
l'ancien monde. Mais les choses ont tourné
autrement, au point de deven ir ins upporta-
bles aux yeux du pouvoir gaulliste-pompido-
lie n. Comment un lieu d'enseignement pou-
vait-il ê tre souk, campement nomade, mee-
ting ininterrompu, c rèche, fumoir. a rène?
Comment tolérer une semblable ccchien lit)),
une liberté si débridée, tant d'anarchie, de
joyeux chaos d'où naissaient dans le désordre
une myriade d'idées folles? Comment laisser
en vie une université où les cours magistraux
se voyaient proscrits, qui accueillait non-ba-
cheliers, éternels étudiants, ouvriers, pay-
sans, chômeurs, curieux, artistes, auditeurs
libres de toutes nationalités? Qu'on descende
ce chaudron du feu!
«NEF DES FOUS» ENFOUIE
DANS LA FORÊT
De fait, à la suite de la décision (prise dès 1976)
de Jacques Chirac, maire de Paris, et d'Alice
Saunier-Seïté, ministre des Universités du
~ 3
gouvernement Raymond Barre, compagnies
de CRS, bulldozers, camions, concasseurs et
pelles hydrauliques arrivent le Z1 août 1980 sur
les lieux. En trois jours, le centre expérimental
est dét ruit, rasé au sol, recouvert de 30 cm de
terre. U n'en restera r ien. Aujourd'hui, ce qui
avait été qualifié de «nef des fous» est enfoui
sous des parcelles forestières, méconnu et in-
visible des usagers du bois. Les enseignements
sont tra nsférés à Saint-Denis: ainsi «Vincen-
nes» devient l'université Paris-VIII Vincennes-
Saint-Denis. Fin d'une épopée, début d'une
histoire. Dece que d'aucuns estimaient n'être
qu'un <crepaire de gauchistes», sont nées en ef-
fet mille nouveautés, mille alliances inédites
entre les disciplines, philosophie, mathémati-
ques, nouvelle histoire, psychanalyse, infor-
matique, arts plastiques, cinéma, qui après
l'ébullition vincennoise sèmeront à tout vent.
La «forêt pensance» de Vincennes-Saint-Denis
était en effet bien peuplée: Michel Foucault,
Michel Serres, Jean-François Lyotard, Fran-
çois Châtelet, Hélène Cixous (qui y fonda le
Centre d'études fém inines), Jacques Rancière,
Alain Badiou, Serge Leclaire, Robert Linhart,
Jean-Claude Passeron, Hourya Sinaceur,
Jeannette Colombe!, les mathématiciens De-
nis Guedj et Claude Chevalley (fondateur du
groupe Bourbaki), Henri Labo- Suite page 4

Suite de la page 3 rît, André Miquel, Robert
Castel, Yves Lacoste, Madeleine Rebérioux,
Tzvetan Todorov, Noam Chomsky... Et bien
s0r Deleuze.
FORÊT DE MAGNÉTOPHONES
Dès la rentrée 1970, Gilles Deleuze, sollicité
par Foucault et Châtelet, donne un cours heb-
domadaire à Vincennes, qu'il continue à as-
surer jusqu'en 1987, après la «m igration)) à
Saint-Denis (1980). Tous ceux et celles qui ont
pu assister à ces cours (de trois heures) gar-
dent précieusement le souvenir non d'un
happening mais d'une fête de l'intelligence
et de la créativité: la philosophie semblait
naître de la bouche même de Deleuze, comme
d 'une source d'eau claire. Le l ong travail de
préparation était rendu invisible, et Deleuze
créait la pensée en parlant, il «parlait philoso-
phie» comme on parle anglais ou espagnol.
Gêné par une insuffisance respiratoire, il évi-
tait les grands amphithéâtres: il faisait cours
dans de petites salles, pleines à craquer, avec
devant lui une table où étaient posées quel-
ques feuilles de notes, les livres dont il voulait
lire des extraits et une forêt de magnétopho-
nes, placés là par l'auditoire. Grâce à ces enre-
gistrements (certains disponibles en ligne sur
le site webdeleuze.com), les cours ont été lar-
gement écoutés. Mais pour les entendre, les
travailler, les comprendre, il fallait une trans-
cription écrite aussi fidèle que possible, qui
conservât «les inflexions du propos oral» et
ôtât tout ce qui pouvait nuire à la lisibilité (in-
terjections, hésitations, incorrections...). On
en dispose désormais, grâce au travail de bé-
nédictin de David Lapoujade, professeur à Pa-
ris-1, auteur de plusieurs ouvrages sur De-
leuze, éditeur des volumes posthumes de ses
textes, entretiens et lettres, qui offre l'irnpec-
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cable édition critique des Cours mars-
juin 1981 du philosophe: Sur la peinture.
«Je ne suis pas sûr que la philosophie ait à ap·
porter quoi que ce soil à la peinture. Je ne sais
pas. Ce n'est peut-êtrepas comme ça qu'il faut
poser la question. J'aimerais mieux poser la
question inverse, à savoir: la possibilité que la
peinwreait quelque chose à apporter à la phi-
losophie.» Quel est ce «quelque chose,> que la
peinture serait seule à donner à la philoso-
phie ? Ce n'est pas une réponse que propose
Deleuze dans ces huit séances de 1981, mais
un véritable «parcours de pensée» - comme
on dit «parcours de santé» - une circumnavi-
gation guidée (ou une «modulation») autour
de notions, de thématiques et d'artistes (Cé-
zanne, Van Gogh, Turner, Gauguin, Klee, Ba-
con, Delacroix, Caravane, Michel-Ange, Seu-
rat, Pollock...) qui donne le tournis, et fait
naïvement se demander: mais comment arri-
ve+on à «dire tout ça», comment dans la
pensée, alors que le discours semble se dé-
ployer sur le mode fluent de l'improvisation,
peuvent se créer tant d'idées inouïes, hors li-
gne. sidérantes, au moment même où on
tente de dire ce qu'est l'acte créateur? Prenons
la catastrophe. Est-ce que la peinture a un
rapport paniculier avec elle? Dans certaines
toiles, la catastrophe elle-même est représen-
tée, «pare,xe1nple quand la peinture découvre
les montagnes: tableaux d'avalanches, ta-
bleata de tempêtes», quand Turner s'intéresse
non à la mer mais aux tempêtes, quand on
montre des «déséquilibres locaux», un verre
«dont on dinût qu'il va tomber, un rideau dont
dirait qu'il va retomber» ou la «poterie saoule»
de Cézanne, I'«étrange déséquilibre de ses
pots, comme s'ils étaient saisis à l'aurore, à la
naissance d'une chute>. Mais ce n'est pas cela
qui compte. Le plus important, c'est cette «ca-
tastrophe secrète» qui affecterait l'«acœ mê,ne
de peindre au plus profond». Pourquoi l'acte
de peindre passerait-il par le chaos? Parce que
«quelque chose doit en sortir»: et «ce qui en
sort, c'est la couleur». Des fois. ça ne sort pas,
la couleur ne monte pas en «gammes ascen-
dantes» (Cézanne), l'armature se délite, les
plans «tombent les uns sur les autres», la «ca-
tastrophe s'étale», «ça fait une bouillie», «c'est
w, marais, un marécage, w1 gâchis», autre-
ment dit: «Les couleurs qui ne montent pas,
c'est la grisaille».
Mais la grisaille-chaos, la grisaille-confusion
est-elle une couleur? Delacroix: l'ennemi de
toute peinture est le gris. Cézanne: on n'est
pas un peintre tant qu'on n'a pas peint un gris.
En fait, «ilya le gris des couleurs quise mélan-
gent, qui est legrisdelëchec», et «unautregris
qui serait comme le gris du brasier, un gris es-
sentiellement lumineux d'où les couleurs sor-
tent», soit un «gris blanc-noir» soit u n «gris
vert-rouge» - et Deleuze de passer ensuite au
«point gris» de Paul Klee, tantôt chaos. «occu·
pant la totalité du visible», tantôt centre,
«œuf», «matrice des dimensions». Voilà :
«L'acte de peindre, c'est l'acte qui prend le
point gris pour lefixer, pourenfaire le centre
des dimensions. C'est l'acte quifait sauter le
point gris par-dessus lui-même et, à ce mo·
ment-là, engendre l'ordre ou l'œuf»
COMMENT CHERCHE
LE PHILOSOPHE
Voilà qui ne donne qu'une pâle idée du pro-
pos de Deleuze, si articulé, insolite, exigeant,
et certes moins aisé à saisir que ce que son au-
ditoire pouvait «écouten>, aimanté par la voix
même du professeur. Mais Sur la peinture est
un document précieux. D'une part parce qu'il
révèle la dynamique même de la recherche de
Libération Mercredi 4 Octobre 2023
Delel.17.e (comme le montrent les notes de David
Lapoujade qui, chaque fois que c'est utile,
font le lien entre l'enseignement et les ouvra-
ges du philosophe, publiés ou en préparation :
deux ans après le cours sur la peinture paraî-
tra le premier tome de Cinéma, L'Image-Mou-
vement). D'autre part parce qu'il témoigne de
la façon dont un philosophe «cherche», dont,
tel un mineur de fond, il travaille, creuse,
fouille la matière sédimentée pour localiser,
extraire, puis polir gemmes et pépites, à sa-
voir, ici, les concepts: catast rophe, chaos,
point gris, digital, code, analogie, modula-
tion, troisième œil, espaces-signaux, couleur-
poids, diagramme... «Vous voyez, le dia -
gramme, c'est cette zone de nettoyage qui/ait
catastrophe sur le tableau, c'est-à-dire efface
tous les clichés préalables,fussent-ils des cli-
chés virtuels. Il emporte tout dans une catas-
trophe et c'est du diagramme, c'est-à-dire
l'instauration de ce Sahara dans le tableau,
que va sortir ce que Bacon appelle la Figure
[...}Chacun sail ce que cést qu'un diagramme
de Van Gogh: c'est ce monde infini de petites
hachures, des petites virgules, des petits trois
qui vont tantôt faire palpiter le ciel, tantôt
gondoler la terre, tantôt entrainer complète·
ment w1 arbre...»
C'est le 8 juin 1981 que Gilles Deleuze arrête
le cycle de cours sur la peinture à Paris-VIII
Vincennes-Saint-Denis. Il y parle de couleurs-
structure et de couleurs-force, d'aplat, de tons
rompus et de ton vifs. «Voyez, en tout cas, que
les modulations de couleur, il yen a beaucoup.
Voilà. Reposez-vous bien.»
ROBERT MAGGIORJ
GILLES DELEUZE. SUR LA PEINTURE-
COURS MAIIS-IUlN 1981. Edition préparée
par David Lapoujade, Minuit, 352 pp., 26 €
Libération Mercredi 4 Octobre 2023 ~ 5

«Ses cours s'adressaient à tout le monde, les problèmes abstraits et les

aborder de la manière la plus
concrète possible.

sans besoin d'un savoir préexistant» Pourquoi est·il le philoso-

Par son langage que, d'autant plus indispen-
très accessible sable que Deleuze est parfois
allusif. li fallait indiquer pré-
et ses effets cisément quels auteurs Uuti-
oratoires, Deleuze lisait, ceu x qu'il citait pen-
opérait une dant u ne séan ce bien sûr,
«démystification» mais aussi ceux qu'il ne citait
du savoir, selon pas mais dont il s'inspirait.
David Lapoujade. Exlst e-1-U de nombreux
enregistrements?
rofesseur à Paris-l- Chaque semaine son bureau
qui concerne les interven-
tions du public, le parti pris
était assez simple. Elles ont
été insérées dans le corps du
texte lorsqu'elles étaient en
rapport direct avec le cours
ou bien lorsqu'il s'y intéres-
sait. Elles ont été rejetées en
n ote lorsque Deleuze expli-
que les ra isons pour
lesquelles elles n'ont pas
Préparait-il ses cours?
Oui, énormément. Son cours
n'était pas rédigé. 11 venait
avec quelques feuilles sur
lesquelles il jetait des coups
d'œil rapides, mais c'est tout.
Mais, comme il l'explique
dans l'.4.bécédaire, il répétait
beaucoup ses cours, au sens
où il devait maîtriser la
trame logique qu'il allait sui-
Pourquoi ses cours
étaient-ils atypiques?
Je crois qu'une partie de son
succès, outre la notoriété que
lui a apporté l'.4.nti-Œdipe,
tie nt au fait que ses cours
s'adressaient à tout le monde.
N'imponequipouvait lessui-
vre. même si, par momen ts,
ils devenaient ardus. Ses
phrases étaient délibérément
phe le plus emblématique
de Vincennes?
J ustement parce que ses
cours s'adressaient à tout le
monde, parce qu'il refusait
d'enseigner dans u n amphi-
théâtre trop professoral, qu'il
est resté dans un préfabriqué
en bord de route lorsque Vin-
cennes a été brutalement
trans planté à Saint-Denis,
mais aussi parce qu'il voulait
que les disciplines se croisent
et s'empruntent mutuelle-

P Panthéon-Sorbonne,
David Lapoujade are-
transcrit des enregistrements
du philosophe pour produire
la première édition non «sau-
vage» de son cours, Sur la
peinture.
Pourquoi ses cours
n'avaient pas été publiés?
Deleu ze ne le voulait pas et
les ayants droit ont respecté
cette volonté aussi long-
temps qu'ils l'ont pu. Par
amitié, Deleuze avait auto-
risé Richard Pinhas [musi -
cien dont il était très proche.
ndlr} à mettre en ligne ses
cours et des re-
transcriptions.
Plus tard, ce fut
l'université de
Saint-Denis qui
proposa égale-
ment des re-
transcriptions
de ses cours,
puis la Biblio-
t hèque natio-
nale de France
qui mit en ligne la totalité
des enregistrements dont on
dispose à l'heure actuelle. Ici
ou là, se sont mises à paraître
d es éditions sauvages des
cours à l'étranger, qui n'en
proposaient pas des versions
suffisamment fiables. Il est
alors devenu évident pour les
ayants droit qu'il fallait pro-
poser une édition des cours.
Qu'apporte la publication?
C'est que la forme livre
change considérablement la
perception des cours. C'est
une affaire de rythme. Sauf à
disposer d e beaucoup de
temps devant soi, il est diffi-
cile de percevoir l'unité, la
continuité et la cohérence
des séances lorsqu'on les
écoute les unes après les au-
tres, tandis que la forme livre
montre à quel point ses cours
sont construits et obéissent
à une profonde logique. On
pourrait penser qu'il y a une
forme de déperdition dans le
passage de l'oral à l'écrit. Il
est vrai que l'on perd une
partie du jeu des intonations,
des effets de dramatisation,
si importants chez Deleuze,
mais une partie seulement.
était encombré d e magnéto-
phones. Il doit donc exister
beaucoup d'enregistrements.
d'intérêt. Enfin, elles ont été
supprimées lorsqu'elles ne
présentaient aucun intérêt
vre, savoir comm ent il allait
enchaîner, passer d'un point
à un autre. Bien sûr, il y avait
pauvres, au sens où elles
étaient dépourvues de l'appa-
reil rhétorique de l'enseigne-
ment des savoirs. En ce sens,
il a toujours défendu l'exis-
tence de Vincennes quand les
Nous disposons de la totalité par rapport au cours et qu'il des moments d'improvisa- ment universitaire. Ce n'était gouvernements n'ont pas
des séances à partir du mo- ne leur do nnait aucun pro- tion, mais toujours dans pas de la démagogie, mais cessé de vouloir la détruire.
ment où il enseigne à Saint- longement. Dans ce cas, elles cene trame dont il ne perdait une sorte de démystification: Recueilli par
Denis. En revanche, il y a sont brièvement résumées. jamais le fil. ne pas se laisser intimider par FRÉDÉRIQUE ROUSSEL
beaucoup de séan ces man-
quantes à Vincennes. J'en
profite pour lancer un appel
à toute personne qui dispose-
rait d 'enregistrements anté-
rieu rs à 1980, qu'elle se fasse
connaître auprès des Edi-
tions de Minuit.
Pourquoi avoir commencé
par le cours de 1981?
Parce qu'il était
une bonne ma-
ILYA UNE
nière d 'entrer
dans la pensée
de Deleuze.
PREMIÈRE À TOUT
C'est aussi l'un
des plus direc-
tement accessi-
OFFRE BUSINESS PREMIÈRE
13 bles, à la dif-
férence d'un
cours s ur Leib-
niz ou Spinoza
qui aurait pu sembler réservé
à des spécialistes, ce qui n'est
pourtant pas le cas.
Comment avez-vous pro-
cédé?
J'ai d'abord beaucoup écouté
les cours pour corriger les er-
reurs des retranscriptions
existantes. Je les ai parfois
écoutés de très nombreuses iCHANGU 1/0TRI 81UITSANS FRAIS EN GARI, PROFmz D 'UN ESPACE
fois, un peu commeTravolta JUSQU'AU DIRNIIR MOMINT1" CALME ETTOUTCONFORT'"
dans Blow Out qui se repasse
indéfiniment une bande
parce qu'il n'est passûrdece
qu'il a entendu. Je disposais
seulement du matériau so-
no re qu'on trouve en ligne.
C'est un premier t ype
d'écoute. Ensuite, il fallait
trouver un mode de retran-
scription qui conserve !'ora-
lité, mais à condition qu'elle
soit lisible. Il fallait donc sup-
primer certaines redites ou
hésitations. Il fallait parfois UNE VOITVRE DÉDIÉE POUR ACCÉDEZ À DES CONTENUS
reformuler des phrases qu'il UNE AMBIANCE CALME ET IDÉALE IIIXCWSIFS DANS 1/0TRE
interrompt pour les repren- POUR 1RAVAIUIR OU SE REPOSER"' ISl'AQ WIFI DÉDIÉ 1"
dre autrement . C'est un
deuxième type d'écoute: de-
viner dans ses intonations le
moment où teUe formulation
RENDEZ vous SUR LE SITE ET l'.APPLICATION .:,es nef connect,
EN GARES, BOUTIQUES, AGENCES DE VOYAGES AGRÉÉES SNCF ET PAR ThÉPHONE.
lui paraît meilleure qu'une (1) hhange et 1emboursement sans frais Jusqu'à 30 minutes après le dépan Voir conditions sur le site SNCF
autre, prononcée un peu
avant ou un peu après. Ou ~?J~ii,l:ic~;ra~~,b~~1~!e~~~~~:i~,:rm:::; -~1-~:~~:~ t~~~es:~l~e~:sPr~~~:f~~~~~x,~:,~i~ct~i~ t:~r:~a~~i~ TGV

On y gagne en revanche de
saisir plus intensément l'ex-
traordinaire pédagogie de ses
cours. A cela, il faut ajouter
un important appareil criti-
1nQui
Business Première. (4) Offre disponible sui les trains TGV INOUI en France et ll's TGV INOUIvers l'Eu,of){! êquipt\s
bien les intonations où on du wifi. TGV INOUI est une marque enre~strèe de SN(f Voië!eurs. Tous droits de reproduction rés!'rvés. SNCF
sent qu'il se fout complète- ~~~~i~~p~:-aëti~a~i9aj1f21~1~1Bo:n~t~dne~.r~l~p~2/~~i~1izt,~us le numéro 519 037 584 - 4, rue
ment de ce qu'il est train de
dire parce qu'il pense à ce
qu'il va dire ens uite. En ce