Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Mehdi Bouzoumita
Dans Stratégique 2016/1 (N° 111), pages 63 à 87
Éditions Institut de Stratégie Comparée
ISSN 0224-0424
ISBN 9791092051148
DOI 10.3917/strat.111.0063
© Institut de Stratégie Comparée | Téléchargé le 14/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.99.158)
Mehdi BOUZOUMITA
1
Question de l‘empereur des T‘ang au général Li Wei-kong ou Li Wei-kong wen-
touei in Les Sept traités de la guerre, traduit du chinois et commenté par Jean Lévi,
Paris, Hachette, 2008, p. 524.
2
Carl Schmitt, Théorie du partisan, Paris, Flammarion, p. 208.
64 Stratégique
3
Martin Rink, « The Partisan‘s Metamorphosis : From Freelance Military Entre-
preneur to German Freedom Fighter, 1740 to 1815 », War in History, janvier 2010,
vol. 17, n° 1, p. 6-36.
4
Jean Guitton, La Pensée et la guerre, Paris, Desclée de Brower, 1969, 227 p.
Mao et la guerre révolutionnaire 65
APPRENTISSAGE RÉVOLUTIONNAIRE
5
Curzio Malaparte, Technique du coup d’État, Paris, Grasset, 2008 (1931), p. 46,
58.
6
Mao, « Enquête sur le mouvement paysan du Hunan », in Gérard Chaliand, Mao
stratège révolutionnaire, Paris, Éd. du Félin, 2002, p. 14. Ce volume contient ce que
nous appelons la Trilogie, c‘est-à-dire les textes de 1936 et 1938 qui lorsqu‘ils seront
cités comme suit : Problèmes (1936 ou 1938), feront référence à l‘édition de G.
Chaliand.
7
Sébastien Haffner, « La guerre nouvelle », in François Joyaux (dir.), Cahier de
l’Herne, Mao Tse-Toung, Éd. de l‘Herne, Paris, 1972, p. 236.
8
Voir Philip Short, Mao Tsé-Toung, Paris, Fayard, 2005, p. 179-187.
66 Stratégique
11
Harold Tanner, « Guerrilla, Mobile, and Base Warfare in Communist Military
Operations in Manchuria, 1945-1947 », The Journal of Military History, vol. 67, n° 4,
p. 1197-1198.
12
Hu Chi-Hsi, L’Armée rouge, op. cit., p. 13.
13
Quotations from Chairman Mao Tse-Tung, Peking, Foreign Language Press,
1966, p. 60.
68 Stratégique
des hommes de valeur, si elle était concevable sur le plan tactique, alors
elle devait être menée. En fait, la logique politico-stratégique comman-
dait de les attaquer. Mais il fallait s‘accorder sur le type de cibles, et
elles furent distinguées en trois groupes : les villes clés, les grandes
villes les et villes tout court. Les deux premières catégories sont
divisées en villes d‘importance primordiale (Wuhan, Nanchang et
Changsha) et villes d‘importance secondaire (Jian, Ganzhou, Fuzhou).
Peut-on voir là une préfiguration de sa théorie de la contradiction qui
distingue contradiction principale et contradiction secondaire ? En tout
cas, l‘occupation quarante-cinq jours durant de la ville de Jian, où le
Guomindang tenait l‘un de ses plus importants quartiers généraux, mit
l‘Armée au contact de 1 million de paysans. 10 000 soldats furent
recrutés. En février-mars 1932, après avoir levé le siège devant la ville
de Ganzhou, Mao et Zhu n‘en ordonnent pas moins, le 20 avril, une
nouvelle attaque qui plus est contre une ville clé, Zhangzhou. Cette
fois, c‘est un véritable arsenal dont s‘empare son armée, quand des
prises antérieures ne résultaient qu‘en vivres et machines à écrire.
Première conclusion : la stratégie générale militaire d‘encerclement des
villes à partir des campagnes n‘excluait donc pas leur attaque et leur
occupation proprement dites, dès la phase historique dite de faiblesse.
L‘accumulation d‘armes et de soldats choisis est toujours consécutive à
la prise d‘une ville ; le type de ville attaquée évolue à mesure que
l‘Armée rouge gagne en assurance : entre 1929-1930, ce sont essentiel-
lement les chefs-lieux ; entre 1931-1932, ce sont les villes clés d‘im-
portance secondaire qui sont visées avec plus ou moins de réussite. De
la prise et du contrôle temporaire, surtout temporaire, des villes, dépen-
dait, dans le contexte des successives campagnes d‘extermination
lançaient par les nationalistes, le développement qualitatif en hommes
et en armes, donc la survie même de l‘Armée rouge. La ville est donc le
lieu où se recoupe, où se donne à voir la dialectique stratégique que
Mao est en train de forger au fil des combats : pressuré sur le plan
macro-historique et politique par des Nationalistes qui ont les faveurs
de Moscou, le mouvement révolutionnaire chinois doit, sur le terrain,
© Institut de Stratégie Comparée | Téléchargé le 14/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.99.158)
14
Hu Chi-Hsi, L’Armée rouge, op. cit., p. 40.
Mao et la guerre révolutionnaire 69
De la guerre révolutionnaire
© Institut de Stratégie Comparée | Téléchargé le 14/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.99.158)
15
Gao Wenquian, Zhou Enlai. L’ombre de Mao, Paris, Perrin, 2010, p. 91.
16
Ibid., p. 106.
17
Ibid., p. 100.
18
Jung Chang et Jon Halliday, Mao. L’histoire inconnue, Paris, Gallimard, 2006,
p. 24.
70 Stratégique
guerre, cette « grande affaire des nations » selon Sun Tzu. Le dévelop-
pement de son intelligence du fait politique en dépendait : la Chine
continue de vivoter dans cette grande Transformation qui la travaille
depuis la fin du XVIIIe siècle, et elle semble sur le point de se démem-
brer sous l‘effet conjugué de forces locales, régionales, nationales et
globales que Mao va s‘efforcer d‘analyser. N‘ayant pas reçu de forma-
tion spécifique comme Zhu De ou Lin Biao, Mao n‘est ni un technicien
ni un spécialiste de la guerre, ou un intellectuel introduit dans les
arcanes institutionnelles comme Zhou Enlai qui occupe, dès 1924-
1925, un important poste à l‘Académie militaire de Whampoa. Mao est
un autodidacte. Il réinvestit la pratique et la pensée militaires. Ce
réinvestissement, en dehors d‘un cadre institutionnel préétabli, est le
fruit de l‘expérience que nous venons de survoler. En émerge un dis-
cours conceptuel, philosophique et stratégique certes classique, mais
auquel il donne ses propres définitions, d‘ailleurs pas forcément éloi-
gnées ou différentes de celles de ses prédécesseurs.
Mao n‘écrivait sans doute pas pour rivaliser avec les plus grands
stratégistes chinois, mais pour formuler une pratique totale et ration-
nelle de la guerre révolutionnaire. La théorie stratégique maoïste est
une théorie pratique (conception en vue de l‘action) et une pratique
théorique (action en vue de réaliser les principes de la révolution, mais
aussi reconnaissance des impasses ou des imperfections théoriques au
cours de l‘action et préparation d‘une nouvelle conception). Sa raison
d‘être est donc d‘éclairer, de préparer, de servir l‘action, tout autant que
d‘accepter son verdict, de s‘y soumettre pour reprendre l‘action. Mao
se rallie au raisonnement de Staline : « … la théorie devient sans objet
si elle n’est pas rattaché à la pratique révolutionnaire ; de même,
exactement, que la pratique devient aveugle si sa voie n’est pas éclai-
rée par la théorie révolutionnaire. »19 De la Trilogie, c‘est-à-dire ses
conférences transcrites dans ses trois plus grands essais, Problèmes
stratégiques de la guerre révolutionnaire en Chine (1936), Problèmes
stratégiques de la guerre de partisans contre le Japon et De la guerre
prolongée (1938), émerge une synthèse politico-stratégique, celle des
© Institut de Stratégie Comparée | Téléchargé le 14/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.99.158)
19
Joseph Staline, Des principes du léninisme, tome III, cité par Mao, De la pratique
in Mao, L‘Herne, op. cit., p. 205.
Mao et la guerre révolutionnaire 71
secteurs de la vie sociale. »24 Mao est le produit d‘une société qui, sans
doute, considère la guerre comme un mal absolu et nécessaire, mais
dont l‘harmonie, et celle du monde, sont depuis longtemps troublées.
La guerre n‘est plus un choix, elle est l‘être, le devenir de la Chine, du
monde : « Les guerres géantes, écrivait-il à vingt-quatre ans, dureront
aussi longtemps que la terre et le ciel et ne s’éteindront jamais… Le
pays doit être détruit, puis reconstitué… Cela s’applique au pays, à la
nation et à l’humanité. La destruction de l’Univers est analogue… Les
gens comme moi appellent sa destruction de leurs vœux, parce que
lorsque l’univers ancien sera détruit, un univers nouveau se formera.
N’est-ce pas bien préférable. »25 La guerre, jadis confinée sur le champ
de bataille, s‘infiltre dans les pores de la société. C‘est ainsi que Mao,
s‘il n‘utilise pas ce concept de guerre intégrale, n‘en parle pas moins de
« guerre d’interprétation dans les domaines militaire, politique, écono-
mique et culturel »26 : l‘ensemble des relations sociales sont détermi-
nées par la violence, matière première de la révolution et de la guerre
que celle-ci cherche néanmoins à régler. Guerre et révolution ne sont
pas de même nature : la première est une convention, repose sur le droit
et la loi ; la seconde est une négation et une redéfinition des conven-
tions, une suspension du droit et de la loi, enjeux de l‘affrontement. La
guerre révolutionnaire consiste à créer un nouveau contrat social, à
prendre possession d‘une société. Elle doit se croire, se prétendre et
s‘offrir comme société nouvelle. La guerre révolutionnaire est une
maïeutique. Elle implique une stratégie dans la guerre : séduction des
masses ; insémination de la conscience de classe, mais aussi de la
conscience nationale reformulée ; conduite des combats et des opéra-
tions ; et une stratégie de la guerre : protection de la grossesse ; accou-
chement de nouvelles forces armées ; protection du nourrisson, Le
Parti-Armée qui doit conduire la guerre sur le plan mondial. La guerre
révolutionnaire ne connaît qu‘une issue : l‘anéantissement/ extermi-
nation de l‘altérité, ou la conversion par la conduite de l‘action sociale
globale qui doit donc convaincre par le logos, par la monopolisation
des images, des symboles et de l‘histoire elle-même. Car Mao sait, ou
© Institut de Stratégie Comparée | Téléchargé le 14/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.99.158)
24
Hervé Coutau-Bégarie, Traité de stratégie, op. cit., p. 502, n. 37.
25
Jung Chang et Jon Halliday, Mao, op. cit., p. 27-28.
26
De la guerre prolongée, Paris, Éd. du Sandre, 2008, p. 79.
Mao et la guerre révolutionnaire 73
27
Mao, Problèmes stratégiques de la guerre révolutionnaire en Chine (1936),
p. 52.
28
Ibid., p. 53.
29
Mao, « Une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine » in Mao (G. Chaliand),
p. 45.
30
Clausewitz, « Stratégie » in De la révolution à la restauration. Écrits et lettres,
Paris, Gallimard, 1976, p. 63 ; De la guerre, (trad. Denise Naville), p. 181.
31
Problèmes (1936), p. 58-59.
74 Stratégique
36
Problèmes (1936), p. 113.
37
Ibid., p. 107.
76 Stratégique
38
Traité, op. cit., p. 324. Concentration à laquelle Mao consacre tout une section du
chapitre V de Problèmes (1936), p. 105.
39
Ibid., p. 102.
40
Problèmes stratégiques de la guerre de partisans contre le Japon (1938 in G.
Chaliand, op. cit., p. 130).
41
Problèmes (1936), p. 88.
42
De la guerre prolongée (1938), Œuvres choisies, II, op. cit., p. 191.
Mao et la guerre révolutionnaire 77
43
De la guerre prolongée (1938), éd. du Sandre, op. cit., p. 98.
44
Hervé Coutau-Bégarie, Traité, op. cit., p. 879.
45
Mao, Problèmes de la guerre et de la stratégie (1938), in Œuvres choisies, II, op.
cit., p. 244.
46
De la contradiction (août 1937) in Mao l’Herne, op. cit., p. 142.
78 Stratégique
sont le reflet dans notre esprit de la réalité objective. Tout ce qui est en
dehors de notre esprit est réalité objective. »49 Il est remarquable de
constater, sous réserve qu‘une possible inversion n‘ait pas été opérée,
que ses premières conceptions philosophiques exposées en 1937,
notamment sur le bond dialectique, aient été préalablement exprimées
en 1936 dans Problèmes stratégiques : de la réalité objective, contin-
gente, instable de la guerre, Mao remonte à une vérité plus haute qui,
en retour, valide la permanence véritable de cette réalité militaire.
Considérons le passage suivant, écrit en 1936 : « La juste disposition
des troupes en vue du combat découle de la juste décision du com-
mandant ; cette juste décision découle de la juste appréciation de la
situation, appréciation fondée elle-même sur une reconnaissance minu-
tieuse et indispensable, dont les renseignements ont été passés au
crible d’une réflexion systématique. Le commandant utilise tous les
moyens d’information possibles et nécessaires ; il pèse les informations
recueillies, rejetant la balle pour conserver le grain, écartant ce qui est
fallacieux pour ne garder que le vrai, procédant d’une chose à une
autre, de l’externe à l’interne. »50
Le maître-mot qui en ressort est connaissance, objet vers lequel
tendent et le capitaine et le penseur. Ce passage, antérieur, annonce ses
lignes de De la pratique (juillet 1937) : « Pour refléter pleinement une
chose dans sa totalité, pour refléter son essence et ses lois internes, il
faut procéder à une opération intellectuelle en soumettant les riches
données de la perception sensible à une élaboration qui consiste à
rejeter la balle pour garder le grain, à éliminer ce qui est fallacieux
pour conserver le vrai, à passer d’un aspect des phénomènes à l’autre,
du dehors au-dedans. »51 La méthode de préparation et de conduite des
forces est dialectique. Elle procède de la théorie de la contradiction,
c‘est-à-dire, du refus de l‘examen unilatéral. Elle doit prendre en
compte, de façon constante, sa propre situation, passée et présente, en
rapport avec celle de l‘Autre ou des Autres, avec leurs plans, leurs
forces et faiblesses, la manière dont ils les perçoivent, afin de saisir la
réalité mouvante d‘une situation particulière présente et à venir, pour
© Institut de Stratégie Comparée | Téléchargé le 14/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.99.158)
49
Problèmes (1936), p. 59.
50
Ibid.
51
Mao, De la pratique, op. cit., p. 203.
80 Stratégique
52
Problèmes stratégiques de la guerre de partisans contre le Japon (G. Chaliand),
p. 130.
53
Problèmes (1936), p. 81.
54
« La politique fait donc de cet élément tout-puissant qu’est la guerre un simple
instrument ; du terrible glaive de la guerre, qu’il faut soulever à deux mains et de tou-
tes ses forces pour frapper un coup et un seul, elle fait une épée légère et maniable,
parfois un simple fleuret, en usant alternativement des coups, des feintes et des para-
des », De la guerre, p. 704.
55
Problèmes, (1936), p. 69.
Mao et la guerre révolutionnaire 81
56
Mao, Problèmes (1936), p. 114-115.
57
Mao, Problèmes stratégiques de la guerre de partisans contre le Japon, (G.
Chaliand), p. 174.
58
Problèmes (1936), p. 105.
59
Clausewitz, Théorie du combat, cité par Hervé Coutau-Bégarie, Traité, op. cit.,
p. 428.
82 Stratégique
65
Ibid.
66
Lucien Poirier, Stratégie théorie II, Paris, Economica, 1987, p. 113-114.
67
Problèmes (1936), p. 59.
68
De la guerre prolongée, (éd. Sandre), p. 88-89.
69
Problèmes (1936), p. 52.
84 Stratégique
70
« La révolution chinoise et le parti communiste chinois », op. cit., p. 328-329.
71
« La révolution chinoise et le parti communiste chinois », op. cit., p. 329-330.
Mao et la guerre révolutionnaire 85
72
Ibid., p. 331-332.
73
Joseph Staline, « Des perspectives de la révolution chinoise » cité par Mao, ibid.,
p. 333.
74
Ibid., p. 332-333.
75
Ibid., p. 334.
86 Stratégique
76
Jean Colin, L’Éducation militaire de Napoléon, Paris, Éd. historiques Teissèdre,
2001 (1901), p. 32, 53 et ss.
77
Andrew Bingham Kennedy, « Can the Weak the Strong ? Mao‘s Evolving
Approch to Asymetric Warfare in Yan‘an », The China Quarterly, n° 196, December
2008, p. 884-899. La pensée stratégique de Mao, absolutisée par la nécessité de la
révolution, n‘en est pas moins pragmatique dans les voies et moyens, opportuniste
quant aux fins. Après 1945, le but de guerre est de participer à un gouvernement
d‘union nationale. Il considère que la guerre prolongée en trois étapes théorisée en
1938 n‘ira pas dans le sens des intérêts du PCC (p. 893-894). Ce n‘est qu‘en novembre
1946 qu‘il parle de « guerre populaire de libération », de la « destruction de Tchang »
et fixe comme but de guerre le « renversement du régime » (p. 895), rendu public en
octobre 1947 (p. 896).
Mao et la guerre révolutionnaire 87
78
John King Fairbank, La Grande révolution chinoise. 1800-1989, Paris, Flam-
marion, p. 41.
© Institut de Stratégie Comparée | Téléchargé le 14/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.99.158)
© Institut de Stratégie Comparée | Téléchargé le 14/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.99.158)