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Recensions et notes de lecture

Dans Stratégique 2016/1 (N° 111), pages 191 à 203


Éditions Institut de Stratégie Comparée
ISSN 0224-0424
ISBN 9791092051148
DOI 10.3917/strat.111.0191
© Institut de Stratégie Comparée | Téléchargé le 14/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 129.0.99.158)

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ACTUALITÉS DE LA STRATÉGIE

Recensions et notes de lecture

 Louis Sicking, La Naissance d’une thalassocratie. Les Pays-Bas et


la mer à l’aube du Siècle d’Or, Paris, Presses universitaires de
Paris-Sorbonne, octobre 2015, 350 p., 26 €.
 Marie-Hélène Labbé, Le Traumatisme irakien. Tony Blair à
l’heure de vérité ?, Paris, Presses universitaires de Paris-Sorbonne,
2016, 116 p., 7,90 €
 Josselin Monclar, Paradis perdus, Paris, L‘Éditeur, février 2016,
310 p., 19 €.
 Williamson Murray et Peter R. Mansoor (Eds), Hybrid Warfare.
Fighting Complex Opponents from the Ancient World to the
Present, Cambridge University Press, Cambridge, 2012, 321 p.
 Richard Gagnon (Dir.) Penser la guerre au futur, Presses de
l‘Université Laval, Québec, 2016, 270 p.
 Christopher Coker, Future War, Polity, Londres, 2015, 248 p.
 Mickaël Aubout, Les Bases de la puissance aérienne 1909-2012,
Coll. « Stratégie aérospatiale », La Documentation Française,
Paris, 2015, 452 p.
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Recensions

Louis Sicking, La Naissance d’une thalassocratie. Les Pays-


Bas et la mer à l’aube du Siècle d’Or, Paris, Presses universitaires
de Paris-Sorbonne, octobre 2015, 350 p., 26 €.

En préfaçant ce livre consacré aux origines de la puissance


maritime néerlandaise, Olivier Chaline souligne avec raison « qu’il
n’existait pas auparavant de réflexion aussi englobante sur l’histoire
maritime des anciens Pays-Bas au XVe et XVIe siècles ». C‘est en effet le
XVII siècle qui retient prioritairement – voire focalise – l‘attention, dès
e

lors qu‘il est question d‘évoquer la manière dont, s‘appuyant sur


l‘Océan, les Pays-Bas devinrent l‘une des principales puissances euro-
péennes. « L’éclat du Siècle d’Or néerlandais, note ainsi Olivier Cha-
line, éblouit suffisamment pour que la question de ses origines ne soit
pas posée avec force. Elles semblent se confondre avec l’épopée des
gueux de mer, les rebelles protestants du Nord dressés contre Philippe
II. Pourtant, la thalassocratie hollandaise n’est pas sortie toute armée
de la lutte de Guillaume d’Orange et de ses partisans contre la
monarchie espagnole. » Ce sont précisément les fondements mal con-
nus de ce surgissement de puissance qu‘explore avec talent et clarté
Louis Sicking, maître de conférences en histoire médiévale et moderne
à l‘université de Leyde et professeur d‘histoire du droit international
public à l‘université libre d‘Amsterdam. Écrit directement en français
tout en profitant de sources néerlandaises abondantes, ce qui lui donne
tout son prix, l‘ouvrage nous fait traverser la période qui voit les Pays-
Bas passer de Charles Quint à la République des Provinces-Unies, avec
pour ambition de transcender le cadre des histoires nationales belge et
néerlandaise. Celles-ci, en effet, renvoient respectivement à l‘étude des
Pays-Bas « septentrionaux » protestants et « méridionaux » catholi-
ques, en se modelant sur une distinction qui n‘existe pas avant le XVIIe
siècle. En rendant aux Pays-Bas bourguignons puis espagnols des XVe
et XVIe siècles leur unité, en réinsérant cet espace dans le temps long
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des échanges économiques, politiques et techniques européens, l‘auteur
parvient à une synthèse particulièrement éclairante des causes profon-
des de la puissance thalassocratique néerlandaise.
Louis Sicking regrette avec raison que la géopolitique soit « un
domaine largement négligé dans l’historiographie des anciens Pays-
Bas ». La première partie du livre, consacrée aux « espaces », tente de
redresser cette lacune, et détaille les contraintes géographiques qui
conditionnent la politique des villes marchandes des Pays-Bas dans leur
quête de prospérité, au travers des entrelacements – atlantique, baltique,
méditerranéen – du commerce maritime européen. Le chapitre IV de
l‘ouvrage, qui s‘intéresse à « la frontière maritime des Pays-Bas et la
défense côtière », se révèle de ce point de vue tout à fait passionnant.
194 Stratégique

On comprend comment l‘annexion du duché de Gueldre par Marie de


Hongrie, réalisée en 1543, a pour résultat, en reliant Hollande et Frise,
de modifier totalement la géostratégie des anciens Pays-Bas. La
Zuidersee devenant une mer intérieure, la Hollande connaît ce que
Sicking qualifie de « révolution géopolitique » : Dès lors, observe-t-il,
« les conditions étaient réunies pour organiser une stratégie de défense
qui se révèlera déterminante Ŕ à l’exception d’une courte période pen-
dant la Révolte des Pays-Bas Ŕ pour la sécurité nationale néerlandaise
jusqu’en 1939. Cette stratégie « nationale » reposait en grande partie
sur le comté de Hollande. La « Vesting Holland » ou « Forteresse
Hollande » devait être défendue coûte que coûte en s’appuyant sur les
provinces voisines comme zone-tampon. » Nantis d‘une frontière
océanique désormais spécifique et d‘une profondeur terrestre relative
mais continue, adossés et accrochés à la côte, les Pays-Bas voient peu à
peu se dégager les chemins d‘accès à une configuration de puissance
proprement thalassocratique. Les acteurs de cette mutation seront
d‘abord les villes marchandes, fières de leur identité et la défendant
jalousement. À une échelle plus locale, la question des accès – et de
l‘enclavement – s‘impose ici, que ce soit au travers de l‘étude passion-
nante de la position stratégique de l‘île de Walcheren, « clé des Pays-
Bas », ou des efforts patients et obstinés de Bruges, Middelbourg et
Delft, éloignées du rivage, pour contrôler leurs avant-ports respectifs et
garder un contact souverain direct avec la mer. La deuxième partie de
l‘ouvrage, plus structurelle, est celle des « intérêts ». Quels sont les
réseaux et les circulations qui irriguent l‘espace économique et mar-
chand néerlandais du XVe au XVIe siècle ? De l‘étude des relations de la
Hollande avec la Hanse jusqu‘à la constitution progressive, au tournant
de 1550, de groupes d‘intérêt maritime appuyés sur la gestion des
risques et des assurances du transport, Sicking montre de manière con-
vaincante qu‘il faut relativiser le rôle de la Révolte dans le décollage
postérieur de la puissance maritime commerçante des Provinces-unies.
En réalité, les fondements de cette puissance sont déjà en place dès la
première partie du XVIe siècle. À partir des profits tirés du commerce
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baltique, les Néerlandais, quoique placés sous la domination des
Habsbourg, ont établi leur mainmise sur le commerce maritime atlanti-
que dès avant les luttes qui conduiront à leur indépendance : « Entre
1521 et 1559, alors que les Habsbourg et les Valois se font la guerre,
les Hollandais se sont petit à petit approprié le transport des biens de
haute valeur entre les Pays-Bas et l’Espagne, grâce à une gestion plus
efficace des risques maritimes que leurs concurrents. Le succès
hollandais dans la navigation vers l’ouest, conclut Louis Sicking, était
un état de fait avant 1550. » La dernière partie de l‘ouvrage, centrée sur
les « pouvoirs » et en grande partie sur la guerre, intéressera particuliè-
rement les stratégistes. Le chapitre XI, consacré à « la coopération
navale entre Henri VIII et Charles Quint », doit être cité ici, pour
Recensions 195

l‘éclairage qu‘il nous donne d‘une recherche d‘intégration interarmées


et interalliés avant la lettre, au travers du détail de campagnes et d‘opé-
rations combinées de débarquement réalisées par les Anglo-Néerlan-
dais et dirigées contre l‘ennemi français. Illustré de cartes en couleur
d‘une très grande finesse, parvenant à combiner vue d‘ensemble et cas
d‘études locaux, La Naissance d’une thalassocratie, modèle de synthè-
se érudite maîtrisée, mérite sans le moindre doute de se voir salué, tant
par les historiens que les stratégistes.

Olivier ZAJEC

*
* *

Marie-Hélène Labbé, Le Traumatisme irakien. Tony Blair à


l’heure de vérité ?, Paris, Presses universitaires de Paris-Sorbonne,
2016, 116 p., 7,90 €

L‘invasion de l‘Irak par les États-Unis et le Royaume-Uni en


2003 restera comme l‘une des décisions de politique étrangère les plus
controversées du début du XXIe siècle. Avec plus de dix ans de recul, et
après l‘échec patent de la « Global War on Terrorism », de nombreux
commentateurs se demandent aujourd‘hui ce qui aurait pu advenir du
Moyen-Orient si les puissances anglo-saxonnes n‘avaient pas décidé,
sur la base de renseignement biaisés et d‘une intense campagne de
relations publiques internationales confinant à la manipulation, de faire
chuter le régime de Saddam Hussein. Que doivent les souffrances de la
population irakienne et la division du pays à la vision qui s‘imposa
alors, sur la base d‘une lecture idéologique et antistratégique des rela-
tions internationales ? L‘État Islamique existerait-il, si un véritable
débat avait eu lieu en Occident sur l‘opportunité du regime change
« démocratique » coercitif de 2003, et le véritable sens stratégique de la
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mode conceptuelle de la « contre-insurrection » qui, associée dans la
même logique, tenta de colmater les conséquences politiques de la
GWOT sur les théâtres extérieurs qu‘elle avait investis ? Auteur
d‘ouvrages consacrés au nucléaire, Marie-Hélène Labbé, membre de
l‘Institut d‘études stratégiques de Londres, se penche dans cet ouvrage
de la toute jeune collection de poche des essais des PUPS sur le pro-
cessus décisionnel qui mena, du côté britannique, au choix d‘une entrée
en guerre plus que hasardeuse. Son propos a le mérite et l‘originalité de
s‘appuyer sur les documents récemment rendus publics par la commis-
sion Chilcot, chargée de faire la lumière sur les décisions du gouver-
nement Blair qui présidèrent à l‘entrée en guerre du Royaume-Uni en
Irak (auditions publiques de hauts responsables, déclarations écrites et
archives déclassifiées). En attendant la remise officielle du travail de
196 Stratégique

cette commission à David Cameron d‘ici l‘été 2016, Marie-Hélène


Labbé tire parti des sources d‘ores et déjà disponibles et montre en
premier lieu ce qu‘eut d‘éminemment solitaire la décision de Tony
Blair. Dans la lignée des travaux classiques de Graham Allison sur
l‘Essence de la décision, nous sommes ici témoins de l‘importance des
conceptions idéologiques personnelles des maîtres de l‘exécutif, y
compris dans un système démocratique censé voir fonctionner de nom-
breux contre-pouvoirs – ce qui ne sera pas le cas. La description de la
méthode dite du « sofa governement » de Blair met en lumière le
fonctionnement décisionnel volontairement informel du Premier minis-
tre anglais, qui préfère discuter des enjeux politiques et stratégiques, y
compris les plus importants, non en réunion de cabinet, mais autour
d‘une tasse de thé : « La formule, précise Labbé, avait l’avantage de
pouvoir débattre de questions sérieuses en petit comité, limitant aussi
le risque de fuites et contournant ses opposants au sein du cabinet, au
premier rang desquels Gordon Brown, le chancelier de l’Échiquier,
avec lequel il entretenait des relations exécrables. » Mais ce cloison-
nement avait des défauts plus importants que celle de la simple et
classique concurrence entre membres d‘un même cabinet. La préféren-
ce calculée pour l‘informel menait en effet à « rompre avec la collé-
gialité qui fait qu’un gouvernement se sent solidaire des décisions
prises en cabinet, phénomène d’autant plus regrettable quand il s’agit
de l’enjeu fondamental qu’est l’entrée en guerre d’un pays. »
Les documents de la commission Chilcot, mis en perspective par
Labbé, montrent également la duplicité ou le manque de courage de
nombre de membres du cabinet, tels le ministre des affaires étrangères
Jack Straw, qui au courant dès 2002 des plans américano-britanniques
de renverser à tout prix Saddam Hussein, déclarera pourtant en février
2003 lors des manifestations anti-guerre – un million de manifestants –
vouloir « explorer chaque piste pour éviter la guerre ». La documen-
tation confirme également l‘influence disproportionnée prise par le
célèbre conseiller en communication de Blair, Alastair Campbell, et le
conseiller pour les affaires étrangères David Manning. L‘influence de
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ces deux hommes dans la marche à la guerre est désormais reconnue,
mais la responsabilité en incombe bien à Tony Blair, comme le mon-
trent les options qu‘il privilégie lors de nombre de réunions secrètes en
comité restreint organisées en 2002 (celle du 23 juillet étant particu-
lièrement illustrative de la volonté de suivisme des options américaines,
en pleine conscience de la violation du droit international). L‘intégralité
de l‘ouvrage montre que la logique d‘entrée en guerre anglaise en 2003
a été tout à la fois illégale du point de vue du droit international, anti-
stratégique du point de vue des intérêts réels du pays, et antidémocra-
tique compte tenu de la pratique solitaire du pouvoir qu‘elle a révélée,
« mélange de messianisme décalé, voire d’improvisation, qui a choqué
les Britanniques dès que les pertes humaines se sont multipliées et que
Recensions 197

les opérations militaires dans la région de Bassorah se sont révélées un


fiasco ». Au fond, comme l‘exprime très clairement Marie-Hélène
Labbé dans ce livre aussi synthétique que révélateur, il y a encore plus
grave : « La décision de Blair d’intervenir en Irak fut fondée sur un
mensonge. Au terme de cette étude, nous savons que Blair, quand il
s’est présenté au Parlement, a délibérément exagéré, au prix du men-
songe, la menace que pouvaient représenter les armes de destruction
massive en Irak. La raison qu’il y avait donnée pour la légalité de la
guerre ne tenait donc pas. Bush le savait également, ainsi que ses
conseillers. Or, pour cela, ils n’ont pas été sanctionnés. (…) On peut
certes penser, conclut l‘auteur sur la base des sources analysées, que
toute diplomatie repose sur des mensonges et que le réalisme doit
prévaloir sur la probité candide. Ce raisonnement, largement répandu,
fait bon marché à la fois de l’éthique éventuelle des dirigeants et de
l’exigence des populations : elle nourrit le désenchantement de la
politique et donc du monde. On ne peut pas y souscrire ».
Sans diminuer le mérite de l‘étude de Marie-Hélène Labbé, ni le
fond de vérité que comporte ce dernier jugement, nous nous permet-
trons ici de faire remarquer qu‘elle se trompe sur les termes qu‘elle
emploie. Ce n‘est pas par excès, mais bien par manque de réalisme que
MM. Bush et Blair sont partis en guerre, allumant un incendie moyen-
oriental que personne, aujourd‘hui, ne sait plus comment éteindre. Ce
n‘est pas par excès, mais par manque de réalisme, qu‘ils ont confondu
Morale et Politique au nom de « l’éthique » des relations internatio-
nales et de l‘exportation de la démocratie universelle. Cette tentation
confusionniste n‘a pas disparu avec le retrait de la scène publique des
deux dirigeants anglo-saxons. Elle s‘est donnée à voir en Libye en
2011, avec les conséquences que l‘on sait aujourd‘hui ; en Syrie en
2013, également, lorsque la France voulut « punir » Bachar el-Assad
sans solution concrète et réaliste de remplacement. Elle pourrait encore,
malgré les dures leçons de la séquence irako-afghane, prendre le pas
sur la diplomatie prudentielle et la prise en compte réaliste des intérêts
stratégiques de la France et de l‘Europe. Le mérite de ce livre est de
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montrer de quel prix se paient ces errements du sens stratégique.

Olivier ZAJEC

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Josselin Monclar, Paradis perdus, Paris, L’Éditeur, février


2016, 310 p., 19 €.

À la croisée du roman, de la chronique de politique étrangère, de


l‘histoire et de la réflexion civilisationnelle, Paradis perdus est un livre
198 Stratégique

passionné, consacré au destin contemporain des chrétiens du Liban.


Débarqué au pays des Cèdres par amitié, un jour de l‘été 1992, Josselin
Monclar y restera par amour. A-t-il jamais eu le choix ? Dès ses
premières déambulations dans une capitale libanaise toujours marquée
par la guerre, le narrateur sent confusément qu‘il serait vain pour lui de
résister à l‘appel profond, incompréhensible, qu‘il ressent pour l‘atmos-
phère et la grandeur tragique du creuset de lumière et de sang qu‘est le
Liban. Il entreprend dès lors de faire partager au lecteur la chronique
des rencontres qui, en quelques vingt-cinq ans, vont transformer sa vie.
Naviguant entre les évocations tendues d‘une guerre officiellement
terminée et d‘une paix en trompe-l‘œil, éclairant les sentes obscures de
la politique étrangère et les ingérences des voisins régionaux du Liban,
abordant sans excessive langue de bois la réalité des relations entre les
musulmans et leurs compatriotes chrétiens, ainsi que la déception
sourde ressentie par ces derniers envers l‘Occident, le récit emboîte les
scènes et les dialogues pour faire apparaître le mal-être d‘un réduit
montagneux et marin où l‘hospitalité dissimule – de plus en plus mal,
malgré les sourires – la peur d‘une destruction prochaine, celle des
équilibres qui fondaient le pacte confessionnel libanais. Cet arrière-plan
géopolitique et stratégique surplombe et colore l‘exposition de
moments plus intimes, empreints d‘une fragile sérénité. Ce qui n‘était
jusque-là que découverte se fait alors dévoilement, puis révélation, qui
verra Monclar confondre, en une même évidence solaire, l‘amour d‘un
pays et celui d‘une femme.
Paradis perdu vaut pour l‘absence de demi-mesure qui marque
tous ses personnages. Dans les derniers chapitres, le dialogue entre
Boutros, le patriarche maronite, et l‘équipe de commerciaux pour le
moins sophistiqués venus de France afin de conclure avec son aide un
important contrat, est représentatif de la volonté de l‘auteur de ne pas
ménager le convenu. Mais tous les caractères de ce livre, aussi accusés
soient-ils, s‘effacent devant la puissance tutélaire du récit : Beyrouth,
véritable héroïne de ces pages, à travers laquelle le narrateur s‘acharne
à perdre son chemin pour mieux retrouver sa boussole. Une Beyrouth
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écartelée entre les temporalités et les univers mentaux disjoints de ses
communautés rivales, mais qui, comme tout cadre de tragédie classi-
que, parvient à préserver une miraculeuse unité de lieu. Beyrouth
intemporelle, « rêve brisé d’éternité » comme l‘écrit l‘auteur, image
d‘un Liban plus tout à fait pays mais encore, pour quelques temps,
patrie, pour ceux qui s‘appliquent à la mériter. Denis Tillinac, qui
préface ce récit, a sans doute raison : on ne sort pas indemne de cette
lecture. Peut-être faudrait-il préciser, pour être juste, que cette trans-
formation relève, non d‘une privation ou d‘une mutilation, mais tout au
contraire d‘un agrandissement de la compréhension et de la sensibilité.

Olivier ZAJEC
Recensions 199

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Williamson Murray et Peter R. Mansoor (Eds), Hybrid


Warfare. Fighting Complex Opponents from the Ancient World to the
Present, Cambridge University Press, Cambridge, 2012, 321 p.

La guerre hybride est devenue à la mode depuis quelques années,


et en particulier depuis son instrumentalisation dans le cadre de la crise
ukrainienne, afin de qualifier le comportement russe. Pourtant, si le
concept remonte formellement à 2005 et aux premiers travaux de F.
Hoffman, il rend surtout compte de quelque chose de nettement plus
ancien. Paradoxe de l‘affaire, le concept est surtout utilisé aujourd‘hui
par des politistes n‘ayant pas nécessairement la profondeur de leurs
anciens, dont on disait dans les années 1980 qu‘ils étaient les premières
sources du renouvellement de l‘histoire. Aussi, lorsque des historiens
s‘emparent du concept, ils montrent autant sa pertinence que sa variété
dans l‘histoire. Hybrid Warfare est composé de neuf chapitres, en
commençant par la conquête de la Germanie par les Romains. Les
suivant reviennent sur le cas irlandais au XVIIe siècle ; la révolution
américaine ; la guerre « péninsulaire » entre les troupes anglo-espa-
gnoles et celles de Napoléon ; la contre-guérilla de l‘Union durant la
guerre de Sécession ; la guerre de 1870 du côté allemand ; les opéra-
tions coloniales britanniques de 1700 à 1970 ; l‘expérience japonaise et
Chine dans les années 1930 et enfin la guerre du Vietnam.
L‘angle d‘approche est d‘autant plus intéressant qu‘il ne s‘agit
pas tant de caractériser ce qu‘est la guerre hybride sous un angle
théorique – ce que la littérature a déjà largement fait – mais bien de
voir quel type de réponse a été adoptée pour y faire face. L‘enjeu est ici
crucial dès lors que, trop souvent, la réponse contemporaine à ce type
d‘opération est bornée par une inculture stratégique faisant osciller
entre contre-insurrection (à tout le moins, sa variante centrée sur les
populations) et opérations régulières ; là où les réponses qu‘a apporté la
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pratique montre une infinie palette de nuances. C‘est toute l‘importance
de la conclusion de W. Murray, qui montre la réalité d‘un processus de
durcissement des opérations là où les représentations communes ont
tendance à sous-estimer tant les capacités que la volonté de l‘ennemi.
Ce qui conduit l‘auteur à une conclusion qui peut sembler évidente
mais qui mérite d‘être entendue : « ne combattez pas une guerre
hybride tant que les intérêts les plus fondamentaux de l’État ne sont
pas en jeu » (p. 307).
L‘ouvrage peut cependant être critiqué à plusieurs égards.
D‘abord, parce que le manque d‘une infrastructure théorique conduit
les auteurs à voir de l‘hybridité dans ce qui n‘en est pas néces-
sairement. On peut avoir du mal à suivre certains contributeurs sur
200 Stratégique

l‘hybridité supposée de certains groupes ou mouvements auxquels font


face les États ; et l‘on se demande si le titre « hybrid warfare » n‘a pas
été adopté pour profiter du relatif enthousiasme autour du concept.
Ensuite, parce que ce manque d‘infrastructure théorique conduit à ne
voir en « l’hybridité » que les logiques de « guerre couplée », qui sont
certes extrêmement intéressantes et tout à fait utiles dans nombre de
cas ; mais qui ne sont pas les seules logiques à l‘œuvre en guerre
hybride. À certains égards d‘ailleurs, l‘ouvrage de W. Murray et P.R.
Mansoor constitue la prolongation de l‘excellent Compound Warfare :
That Fatal Knot, (T.M. Huber (Eds.), Combat Studies Institute, Com-
mand and General Staff College, Fort Leavenworth, September 2002.
Symptomatiquement, plusieurs exemples historiques, sans doute
plus récents – quoique parfois contemporains du Vietnam – mais nette-
ment plus emblématiques d‘opérations hybrides ne sont pas traités. Les
cas du Sahara occidental ; de la Rhodésie du Sud ; des mouvements
angolais ; ou encore et sans être exhaustif, de la Tchétchénie auraient
pu constituer des expériences intéressantes – sans même parler des
expériences « étatisées », comme la Yougoslavie ou l‘Albanie. Pour
autant, si le lecteur garde à l‘esprit que le champ d‘investigation des
auteurs est étroit, il peut y gagner une belle vision de ce que peut être la
complexité de la guerre irrégulière et des manières de la contrer. J.
Henrotin.

Joseph HENROTIN
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Notes de lecture

Richard Gagnon (Dir.) Penser la guerre au futur, Presses de


l’Université Laval, Québec, 2016, 270 p.

Si les débats autour de la RMA semblent dépassés, il n‘est que


de voir la rémanence du concept de « transformation » - qui est sa
concrétisation dans les armées – ou encore les travaux autour de
l‘AirSea Battle qui constituent, en quelque sorte, un retour au
« business as usual » après les opérations afghanes et irakiennes. De ce
point de vue, si la terminologie a changé, ce dont elle rend compte n‘en
a pas moins poursuivi son chemin. Aussi, l‘ouvrage dirigé par R.
Gagnon est-il intéressant à plusieurs égards. Premièrement, par le
traitement critique de la question, autant par des chercheurs – et en
particulier des doctorants – que par des militaires. Deuxièmement, par
la variété des sujets abordés. En dix chapitres, les co-auteurs reviennent
certes sur la genèse de la RMA, son cadrage théorique et, classique-
ment, sur la guerre de l‘information (R. Garon) ou encore, inévitable-
ment, les drones, mais aussi sur des aspects plus spécifiques. Trois
chapitres reviennent ainsi sur la place du soldat, historiquement moins
traitée dans la littérature sur la RMA, en s‘interrogeant tour à tour sur
sa fonction militaire (S. Munger), mais aussi d‘un point de vue
philosophique/ontologique (C. Pilon) ou encore sur sa place dans la
cybersécurité (H. Loiseau). Sous la plume de S. Jourdain, on note
également un chapitre très intéressant sur les aspects liés au leadership,
essentiel pour les armées, mais qui tend aussi à avoir été éclipsé par des
débats plus marqués par l‘efficacité technico-tactique des technologies
que par l‘efficacité des armées en tant que « systèmes d’hommes ». Au
final, l‘ouvrage, s‘il peut être marqué par la sémantique parfois
excessive – pour ne pas dire inappropriée – des études critiques, offre
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un regard qui intéressera tous ceux travaillant sur la guerre régulière.
De facto, cette « guerre pensée au futur » semble, comme le débat sur
la RMA, en disjonction avec les pratiques stratégiques de nos
adversaires…

Joseph HENROTIN

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202 Stratégique

Christopher Coker, Future War, Polity, Londres, 2015, 248 p.

Professeur de relations internationales, Christopher Coker est


bien connu de ceux qui cherchent un regard acéré sur des questions que
d‘autres laisseraient, en vertu de leur difficulté, de côté. C‘est ici le cas
une fois de plus, l‘auteur tâchant de comprendre quelles seront les
technologies de combat futures. Il ne le fait cependant pas en partant de
rien pour se concentrer sur les questions à la mode. Au contraire, il
livre une vision centrée sur l‘interaction entre science-fiction – science-
faction dirait Rémi Sussan en constatant qu‘elles sont prescriptrices de
l‘action – et technologies en cours de développement. Le résultat est
dynamique et se focalise sur les technologies liées aux « corps
combattants » : nanotechnologies, combattant augmenté, représentation
de l‘ennemi ou encore robotisation et logiques post-humaines. Le point
de vue est avant tout explorateur et montre le poids des logiques liées
aux prophéties auto-réalisatrices : ce qui est martelé comme « le futur »
en devient la représentation partagée, et finit par diriger les
programmes de recherche. En ce sens, le propos de l‘auteur – qui est
déjà une belle démonstration en soi – aurait peut être gagné à montrer
que ces représentations ne sont pas universellement partagées. De
facto, la vision qu‘il propose court le risque de reproduire les logiques
positivistes d‘un « progrès » linéaire, s‘entendant forcément comme
une suite d‘avancées vers un « mieux ». Or, en matière de technologies
militaires, le « mieux » implique parfois de « reculer » : c‘est toute la
problématique du combat hybride. De même, le traitement de son objet
par l‘auteur amène à s‘interroger sur une guerre devenue tactico-
technicienne, d‘où l‘innovation conceptuelle et stratégique serait
absente. Ce serait faire un mauvais procès à l‘auteur que de le lui
reprocher : son introduction fixe clairement un cadre dont il ne
s‘éloigne pas. Par contrecoup cependant, la vision, aussi saisissante
qu‘inquiétante, qu‘il offre des armées futures ne manquera pas
d‘interloquer le stratégiste. Un ouvrage résonnant comme un signal
d‘alarme qui se lit aussi facilement qu‘il inspire nombre de réflexions
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et qui paraît au bon moment.

Joseph HENROTIN

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Notes de lecture 203

Mickaël Aubout, Les Bases de la puissance aérienne 1909-


2012, Coll. « Stratégie aérospatiale », La Documentation Française,
Paris, 2015, 452 p.

La géostratégie aérienne est le parent pauvre de la stratégie


particulière du même nom : certes, il y a bien eu quelques tentatives de
théorisation, chez Clément Ader mais plus spécifiquement chez George
T. Renner, mais l‘affaire est essentiellement restée lettre morte. Or, le
propre de l‘ouvrage de Mickaël Aubout, capitaine de l‘armée de l‘Air
et docteur en géographie, est non seulement de produire une théorie de
la base aérienne mais aussi de voir comment elle s‘insère dans les
réseaux de puissance. Pour ce faire, l‘auteur procède à une analyse
historique mais aussi stratégique des bases aériennes françaises (mais
pas uniquement : il tente ainsi une très convaincante typologie à
l‘échelle mondiale), sur le territoire métropolitain comme dans
l‘empire, en temps de paix comme en temps de guerre, jusqu‘à nos
jours. Ce faisant, il n‘oublie pas d‘examiner les aspects bureaucratiques
de la question. De fait, l‘organisation spatiale des bases aériennes sur
les territoires va répondre à plusieurs générations de directives où la
rationalité stratégique ne l‘emporte pas toujours sur les traditions ou les
impératifs d‘aménagement territoriaux ou d‘économie locale. La base
aérienne est ainsi un fait politique total, que M. Aubout comprend dans
l‘ensemble de ses dimensions, ce qui fait toute la richesse de l‘ouvrage.
Il est d‘autant plus à recommander qu‘il le premier du genre en
français, est particulièrement fouillé, que la seule bibliographie vaut
l‘achat, et qu‘il fourmille d‘informations historiques. Bien écrit et
dense, il est accompagné de 61 figures et cartes en couleur. Un très
beau travail de recherche qui mérite largement d‘être lu non seulement
par les géographes mais aussi et surtout par toutes celles et ceux qui
s‘intéressent au fait aérien, dont démonstration est faite qu‘il ne peut se
penser sans ses bases.
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Joseph HENROTIN

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