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Revue de la métallurgie n° 11, novembre 1945, pp.

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NOTICE Georges CHARPY


BIOGRAPHIQUE (1865-1945)

Georges C h a r p y vient de m o u r i r . Ainsi disparaît le sition et l'influence de l'écrouissage et d u recuit sur


plus éminent métallurgiste français, l'un des précur- ces laitons ; la constitution des antifrictions et ses rela-
seurs de la physico-chimie, le doyen de la section des tions avec leurs propriétés. Ici, il est conduit à tracer les
Applications de la Science à l'Industrie de l'Académie premiers diagrammes ternaires d'alliages, notamment
des Sciences. p l o m b - é t a i n - b i s m u t h . Pour ces études, Charpy créa le
Lorsqu'en 1918, H e n r i L e Chatelier et Emile Picard four électrique à résistance bientôt utilisé dans tous les
proposèrent la création de cette section, immédiatement laboratoires. Il développa l'emploi systématique du
trois noms s'imposèrent : ceux de Maurice Leblanc, couple pyrométrique L e Chatelier pour la mesure
Auguste Râteau, Georges C h a r p y ; tous trois furent exacte des températures. Il perfectionna le microscope
élus en novembre et décembre 1918. Georges Charpy Nachet d u point de vue éclairage, alors que le microscope
était bien c o n n u de l'Académie ; elle l'avait élu corres- L e Chatelier n'existait pas encore ; puis, u n peu plus
pondant p o u r la section de chimie, dès 1913. tard, en 1903, reprenant avec M . G r e n e t l'étude de la
Georges C h a r p y naquit à Oullins (Rhône), le 1 sep- e r
dilatation des aciers, il modifia très heureusement, du
t e m b r e 1865 ; son père était capitaine de vaisseau ; point de vue chauffage et dispositif de mesure, la
son grand-père, ancien élève de l'Ecole Polytechnique technique utilisée par H . L e Chatelier.
était officier d u G é n i e . D u r a n t les longs voyages du père C'est en août 1898 que Georges Charpy entre dans
de famille, sa mère venait habiter les environs de Lyon, l'industrie : il devait rester vingt ans à la Compagnie de
où se trouvait d'ailleurs u n e partie de sa famille, n o t a m - Chatillon-Commentry-Neuves-Maisons : ingénieur prin-
ment un cousin, Adrien Charpy, professeur à la Faculté cipal, puis directeur des usines Saint-Jacques à Mont-
de Médecine et auteur d ' u n traité d'anatomie longtemps luçon, directeur des usines d u Centre et enfin sous-
classique. Il se destine t o u t d'abord à l'Ecole Navale, directeur technique de la Compagnie. Vers cette époque
y est reçu et démissionne. Il entre en 1885 à l'Ecole (1899), il m e fut d o n n é de l'approcher chez Henry
Polytechnique ; il y d e m e u r e comme préparateur de L e Chatelier ; c'était au m o m e n t de la création des
chimie d u r a n t dix années et est reçu docteur ès sciences laboratoires des usines D e Dion et Bouton, alors que je
en Sorbonne avec une thèse sur les solutions salines visitais intensément les principaux laboratoires français
(1892). Cette m ê m e année, il est attaché au laboratoire et étrangers. Je fis alors mon premier séjour à Montluçon,
central de la Marine et oriente immédiatement ses j ' y retournai assez souvent, sûr de l'accueil si cordial
recherches vers la Métallurgie. A cette époque, après les qui m'était réservé et des précieux enseignements que
premiers travaux de la Commission des Méthodes j ' y recevrais. Ai-je besoin de dire combien je fus immé-
d'Essais, la Société d ' E n c o u r a g e m e n t p o u r l'Industrie diatement attiré par cette intelligence qui irradiait, par
Nationale, sous la forte impulsion d ' H e n r y L e Chatelier, cette âme de chef qui savait ce qu'il voulait ?
décidait de patronner des recherches relatives aux Il m'est difficile de suivre tous ses nombreux tra-
métaux et à leurs alliages. vaux ; je voudrais cependant fixer l'attention sur les
Il publie alors plusieurs mémoires devenus bientôt plus remarquables et les plus importants par leurs
classiques : la corrélation entre les transformations des conséquences.
aciers et les modifications apportées par là t r e m p e aux Le nom de C h a r p y restera attaché à l'essai de choc sur
propriétés mécaniques ; la variation des propriétés des barreaux entai|lés et à la notion de résilience. Si André
alliages de cuivre et de zinc en fonction de la c o m p o - L e Chatelier proposa le premier l'éprouvette entaillée

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NOTICE BIOGRAPHIQUE

sur la face opposée à l'impact (1892), et si Frémont appelée alors « Standardisation », Charpy voulut bien
construisit le premier mouton permettant de mesurer préparer tout ce qui avait trait aux cahiers des charges
l'énergie consommée dans la rupture (1898), Charpy des produits sidérurgiques et m ê m e aux profilés. Il
préposa différents types d'éprouvettes qu'adopta le avait d'ailleurs, dès 1907, attiré l'attention sur l'intérêt
Congrès des Méthodes d'Essais t e n u à Copenhague de l'unification des conditions de réception.
en 1909 ; d'autre part, il créa le mouton pendule qui est Il y a, dans la magnifique carrière d u savant dont
assurément l'appareil le plus répandu et le plus facile à nous déplorons la perte, des années particulièrement
vérifier. heureuses : elles furent consacrées au professorat.
Signalons brièvement ses premières observations sur E n 1920, il est appelé à l'importante chaire de Métal-
la structure des eutectiques qu'il compara aux cryohy- lurgie Générale et de Sidérurgie de l'Ecole Nationale
drates, ses très longues recherches sur la réduction des Supérieure des Mines ; en 1922, il revient à l'Ecole
oxydes de fer par le carbone et l'oxyde de carbone et sur Polytechnique comme professeur de chimie ; cet ensei-
la cémentation. Précisons quelques-unes de ses conclu- gnement dura quatorze ans ; j'ai su toute la joie que
sions : il examine l'action de différents céments et m o n t r e lui avait procuré cette nomination. Il faut souligner ici
que l'on peut transformer intégralement l'acier en sa valeur pédagogique, la clarté de ses exposés, la
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carbure de fer, F e C (1903) ; la même année, il étudie correction et la précision de son langage, aussi bien que
l'action cémentante de l'oxyde de carbone ; en 1909, il le plan de son exposition. Il fut vraiment u n professeur
développe ses recherches ; en 1910 et 1911, il publie remarquable dont le souvenir vit profondément dans la
avec Bonnerot le résultat de ses expériences relatives mémoire de ses élèves.
à la cémentation par le carbone p u r . D'ailleurs, de multiples conférences faites en France
Ces recherches sur la cémentation conduisirent leur et à l'étranger et son fameux Traité de Chimie en collabo-
auteur à une application de première importance : la ration avec H . Gautier, qui fut pendant de si n o m -
fabrication des blindages de faible épaisseur (1902). breuses années le seul livre destiné aux candidats aux
L'un de ses travaux, dont le t e m p s n'affaiblira pas grandes Ecoles, avaient bien attiré l'attention sur son
l'importance, a trait au degré de corroyage, prouvant talent d'exposition.
qu un excès de diminution de section augmente très Ses conseils étaient particulièrement recherchés ; il
nettement la différence entre les propriétés mécaniques fut administrateur de la Société Loy et Aubé, des Forges
en long et celles en travers (1916). Signalons encore les d'Allevard, de la Société des tubes de Vincey, président
mémoires sur les gaz occlus dans les produits métal- directeur général des Etablissements Métallurgiques de
lurgiques, la formation du graphite dans le recuit des la Gironde et président de la Société de Recherches et de
fontes, la préparation du graphite, la nature de l'oxyde Perfectionnements Industriels. Il avait bien voulu
graphitique, l'oxydation des houilles et la formation d u accepter de faire partie d u Comité de perfectionnement
coke (1917). de notre Revue à laquelle il donna plusieurs mémoires
L'organisation rationnelle du travail devait être importants. Et dans notre dernière conversation, quelques
l'aboutissement de ses travaux. Après l'organisation de jours avant sa mort, il me parlait d u petit volume auquel
ses laboratoires, tout à fait remarquable, Charpy conçut il travaillait : Notions Elémentaires de Sidérurgie, avec la
et mit en pratique la méthode d'organisation par le collaboration de M . Pingault et qui doit paraître très
commandement continu, dont les applications variées prochainement.
ont démontré la valeur et les résultats. U n e vie si laborieuse lui valut maintes récompenses
Entre-temps, Charpy perfectionne régulièrement des Sociétés Savantes françaises et étrangères, notam-
l'outillage de ses usines : fours à avancement mécanique, ment de la Société d'Encouragement pour l'Industrie
tours à grille mécanique, etc., et développe extraordinai- Nationale, et de la Société des Ingénieurs Civils de
rement la pyrométrie. Il fut vraiment un organisateur France. Les hautes qualités morales et le parfait esprit
remarquable. Aussi, lorsqu'au d é b u t de 1915, je fus de désintéressement de Georges Charpy sont cause
chargé de créer u n important atelier de traitements qu'il n'obtint au cours de sa vie que les distinctions qui
thermiques d'obus, je fis à Montluçon u n séjour des ne se briguent pas et q u ' à sa mort, après soixante ans
plus profitables ; grâce aux conseils reçus et aux exemples de labeur éminent, le premier métallurgiste de France
vécus, je pus remplir rapidement la mission qui m était n'était encore qu'officier de la Légion d'honneur.
confiée aux chantiers de Penhoët-Saint-Nazaire. M e serait-il permis d'ajouter que, dans la vie de
D'ailleurs, d u r a n t la guerre 1914-1918, Charpy est Georges Charpy, l'existence familiale occupait une place
chargé de la direction de toutes les fabrications d ' a r m e - prépondérante. Ses petits-enfants et ses deux arrière-
ment dans les usines d u Centre. petits-enfants étaient la joie de ce grand-père qui,
Il quitte la Compagnie de Chatillon-Commentry- jusqu'à la dernière heure, eut le privilège de garder
Neuves-Maisons en 1918. L'année suivante, il est intacte toute sa superbe intelligence. Puis-je aussi
nommé sous-directeur et m e m b r e d u Comité de Direc- souligner que ne se comptent pas ceux dont il a adouci
tion, puis administrateur de la Compagnie des Aciéries l'existence ?
de la Marine et d ' H o m é c o u r t . L'œuvre de Georges C h a r p y subsistera à côté de celle
Lorsqu'en 1917, Clémentel me chargea, comme d ' H e n r y L e Chatelier, son maître qui avait p o u r lui
directeur des services techniques de son Ministère, de une affection particulière. L a métallurgie mondiale
la première organisation relative à la Normalisation prononcera souvent son nom ; l'Institut de, France

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R E V U E D E M É T A L L U R G I E

gardera précieusement son souvenir ; ses amis, qui à u n hommage à Georges Charpy. Le Président du
unissent leur peine à celle de M m e Charpy et de ses Comité des Arts Chimiques, M . Dubrisay qui a succédé
enfants, n'oublieront point tous les services qu'a rendus à M . Charpy dans l'une des chaires de Chimie de l'Ecole
le savant et l'homme de bien. Polytechnique, l'un de ses collaborateurs immédiats,
Léon GUILLET. M . Jacqué, Maître de Conférences à la même Ecole'
M . G r e n e t qui participa à divers travaux de Charpy
P. S. — La Société d ' E n c o u r a g e m e n t p o u r l ' I n d u s - et le président de la Société retracèrent la vie et l'œuvre
trie Nationale a consacré l'une de ses séances de l'éminent savant.

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