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ACTU  ENTREPRISES  GÉNÉRAL

PLAN LARGE

Les entrepreneurs découragés


face à l'inertie politique
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Via les autres fournisseurs, la hausse des prix de l'énergie a un gros effet domino, souligne Thierry Huet (biscuiterie
Desobry), ©Emy Elleboog

MICHEL LAUWERS | 31 août 2022 17:56

La crise de l'énergie mériterait des réponses similaires à celles apportées à la pandémie,


estiment nombre de patrons de PME. Leurs marges sont réduites à peau de chagrin.

Q
ue ce soit dans la biscuiterie, la brasserie, les salons de coiffure, les boulangeries
ou les librairies, tous les entrepreneurs voient leurs factures d'énergie flamber. Et
redoutent la suite. Témoignages...
Biscuiterie Desobry: politiques absents

La biscuiterie Desobry a vu ses factures d’électricité et de gaz multipliées par trois pour
atteindre 1,7 à 1,8 million d’euros par an, contre quelque 600.000 euros auparavant. "Sur un
chiffre d’affaires annuel de 30 millions, cela représente un surcoût de 1,2 million, auquel il
faut ajouter l’impact indirect, c’est-à-dire la hausse des prix de nos fournisseurs, explique
son CEO Thierry Huet. Le prix du sucre a doublé, par exemple, ce qui renchérit aussi celui du
chocolat. L’effet domino est colossal."

L’indexation des salaires vient s’ajouter à


cela, ce qui rend la situation très difficile et
touche aussi nos industries à l’exportation:
elle est nettement plus élevée que les pays
voisins (4% en France, soit deux fois moins), ce
qui creuse notre compétitivité.

"Nous essayons bien sûr de répercuter ces


hausses sur nos prix de vente, nous y sommes
obligés, mais regardez ce qui se passe entre
Danone et quelques grands distributeurs: et
vous imaginez bien que nous n’avons pas le
Thierry Huet, le CEO des biscuiteries Desobry. ©Emy
même rapport de force que Danone." Dans
Elleboog l’agro-alimentaire, les marges bénéficiaires
tournent autour de 3% ; quand les coûts
représentent 70% du chiffre d’affaires et qu’ils
augmentent globalement de 20%, l’effet
devient rapidement ingérable. "C’est simple", reprend Thierry Huet, "si vous ne pouvez pas
répercuter cela dans vos prix, vous courez à la faillite".

Dans ce contexte, le dirigeant digère mal les


"Nous en avons marre discours du fédéral et notamment du ministre
d’entendre ces gens qui nous de l’Économie Pierre-Yves Dermagne. "Nous
donnent plein de conseils. en avons marre d’entendre ces gens qui nous
donnent plein de conseils, dit-il. Qu’ils
Qu’ils entreprennent eux-
entreprennent eux-mêmes avant de le faire."
mêmes avant de le faire."
Allusion aux déclarations du ministre citant
THIERRY HUET
CEO, BISCUITERIE DESOBRY
une analyse de la BNB pour en conclure que les
entreprises continuent à gagner de l’argent,
laissant entendre que la situation est sous
contrôle. "Des chiffres basés sur 2021, poursuit
Thierry Huet, alors qu’on est en 2022 et que les
difficultés se sont accélérées ces derniers mois. En comparaison, son homologue français se
soucie des entreprises, lui. Je trouve ces déclarations choquantes. Nous sommes dans un
État mal géré, où la part des dépenses publiques dans le PIB est de quelque dix points plus
élevée qu’aux Pays-Bas. Nous sommes en train de payer cette inertie politique, ce manque de
courage, cette absence de vision."

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Salons Imagin'Hair: augmenter les tarifs

Les salons de coiffure sont eux aussi fort affectés par les prix de l’énergie. "L’acompte que
nous payons pour l’électricité a triplé tandis qu’au décompte annuel, on est passé d’un
remboursement de 1.000 euros par salon à un débours de 2.900", témoigne Patrick
Dumont. L’homme exploite deux salons Imagin'Hair sur Bruxelles, emploie huit
personnes et est par ailleurs vice-président de la fédération nationale des coiffeurs. "Un de
nos salons est situé dans un centre de commercial, il est équipé de cassettes d’air conditionné
pour le chaud et le froid. On chauffe à l’électricité et en consomme beaucoup par ailleurs:
pour la production d’eau chaude, l’éclairage (qui doit être maximal), les sèche-cheveux, les
casques et les climazons… Et comme la plupart des salons, on est locataire: pas de possibilité
de recourir à des panneaux solaires, etc."

Les coiffeurs avaient déjà dégusté en 2020 et 2021 à cause du covid, et ils continuent de subir
une baisse du chiffre d’affaires d’environ 10% cette année en raison, notamment, du recours
toujours intense au télétravail. "Après deux années covid, encaisser une indexation de 8%
et la hausse de l’énergie est quasi ingérable", estime Patrick Dumont. Et forcément plus
difficile à gérer pour les coiffeurs qui emploient du personnel, soit environ 4.000 des 23.100
coiffeurs que compte la Belgique. La plupart exercent le métier en tant qu’indépendant en
solo.

Est-ce à dire qu’il devra licencier une partie de


"Après deux années covid, ses huit travailleurs? "C’est toute la question,
encaisser une indexation de répond-il. Nos salons sont ouverts depuis 30
8% et la hausse de l’énergie est ans. Je vais essayer de maintenir le personnel le
plus longtemps possible. Je vais augmenter
quasi ingérable."
nos tarifs. Je suis condamné à le faire chaque
PATRICK DUMONT
FONDATEUR ET GÉRANT, SALONS DE année, voire deux fois par an, mais ce faisant,
COIFFURE IMAGIN'HAIR
mes salons deviennent moins compétitifs face
aux indépendants sans personnel."
Sa rentabilité est en recul constant, on l'aura compris. "S'il y a encore une indexation, je
risque d'enregistrer ma première perte en 30 ans." Et il pronostique aussi la poursuite de la
réduction du nombre de coiffeurs employeurs.

Espace papier: produits à prix fixes

Face à l'envolée des prix de l'électricité, du gaz et du mazout de chauffage, les libraires sont
coincés aux tournures pour une raison spécifique à leur activité. "Plus de 80% des produits
que nous vendons ont des prix fixes: le tabac, les jeux, la presse, les livres, les cartes de
chargement de portable, explique Xavier Deville qui exploite la librairie Espace Papier et
préside Prodipresse, l'organisation professionnelle des libraires-presse francophones. Nous
ne pouvons donc pas répercuter la hausse de nos coûts sur nos prix de vente alors que nos
coûts liés à l'énergie ont fait fois deux ou fois trois."

Également rabotées par l'indexation, leurs marges sont réduites à peu de chose. À part
diminuer le niveau de chauffage en magasin, les quelque 2.000 libraires indépendants
n'ont pas beaucoup de mesures correctrices possibles. Licencier du personnel reste
malheureusement une option, sauf que... ils emploient peu de personnel. "Il faut compter
deux personnes et demie par librairie, patron inclus."

Autre remède envisageable, négocier des


"Nombre de libraires qui hausses de prix pour l'an prochain? "Oui,
résistaient jusqu'ici vont nous en discutons déjà avec nos fournisseurs,
trouver la tâche impossible, je mais c'est loin d'être évident, répond Xavier
Deville. Pour la Loterie, la réponse est non et
le crains."
c'est du reste compliqué pour elle, ça doit
XAVIER DEVILLE
PRÉSIDENT DE PRODIPRESSE passer par arrêté royal, etc. Pour les produits de
tabac, le gros des augmentations va aux accises.
En presse, les éditeurs subissent aussi la forte
hausse du prix du papier et du coup, certains
d'entre eux réduisent déjà le nombre de titres
en librairie. Quant aux cartes de chargement, c'est anecdotique dans notre activité (on
perçoit 1 ou 2% de commission)."

"Nombre de libraires qui résistaient jusqu'ici vont trouver la tâche impossible, je le crains",
conclut le président de Prodipresse. Et s'ils élargissent un peu plus la gamme de produits
distribués, comme ils l'ont déjà fait ces dernières années? "La période n'y est pas propice, les
clients ont des fins de mois difficile et se serrent déjà la ceinture."
Brasserie Saint-Feuillien: négocier les prix

Dans leur processus de fabrication, les brasseurs jouent beaucoup avec les températures et
consomment donc beaucoup d'énergie, gaz et électricité surtout. Une brasserie de taille
moyenne comme Saint-Feuillien a vu ses factures d'énergie bondir de quelque 70% ces
derniers mois et ce, malgré qu'elle bénéficie pour une partie d'entre elles de contrats fixes.
"Globalement, nous enregistrons une hausse pondérée de nos coûts de 25%", calcule son CEO
Edwin Dedoncker. Quand ses contrats à prix fixes viendront à échéance et si rien ne change,
sa facture va encore s'alourdir.

"Nous devrons augmenter nos prix, c'est


clair", poursuit-il. Cela signifie renégocier avec
la grande distribution, l'horeca et à l'export.
"Notre objectif n'est évidemment pas de
regagner de la marge, mais de répercuter sur
nos clients une partie de la hausse des coûts.
Nous sommes par ailleurs en train d'investir
dans la construction de la nouvelle brasserie:
une partie de l'investissement est consacrée à
réduire nos coûts d'énergie, ce qui s'avère
d'autant plus pertinent aujourd'hui. Et on ne
fera aucune concession sur la qualité."

Edwin Dedoncker, CEO des brasseries Saint-Feuillien.


©anthony Dehez En raison du chantier, la brasserie a constitué
anticipativement beaucoup de stocks, pour
parer à l'interruption de la production, ce qui
devrait l'aider un peu dans le contexte actuel.
Elle subit à plein, en revanche, l'impact de l'indexation des salaires. "J'espère qu'on a atteint
les pics de l'inflation", termine Edwin Dedoncker.

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Boulangeries Carrément Bon: les aides covid en exemple

Les boulangeries souffrent aussi beaucoup


"Ils ont beaucoup aidé les des prix de l'énergie. Grandes et petites...
entreprises lors de la crise Florence Fernémont dirige Carrément Bon,
pandémique, et maintenant, un réseau de cinq boutiques de boulangerie
artisanale, complété par un site de production
avec point de vente à Suarlée. "En un an, à
ils ne le feraient plus face à consommation égale, nos factures de gaz et
cette nouvelle crise?" d'électricité ont triplé", témoigne-t-elle.
"Aujourd'hui, nous arrivons tout juste à joindre
FLORENCE FERNÉMONT
FONDATRICE ET CEO, CARRÉMENT BON les deux bouts."

Son entreprise emploie 35 personnes et a


réalisé récemment un important
investissement avec déménagement du site de production sur le parc économique d'Ecolys,
ce qui a eu entre autres pour conséquence qu'elle a dû renouveler son contrat d'électricité.
"L'enchérissement des prix de l'énergie nous pose des difficultés car nous travaillons avec des
marges modérées. Avec l'indexation, l'équation des coûts devient difficile alors que
fondamentalement, nous avons une vision d'avenir bien définie, avec des valeurs et un
projet entrepreneurial à caractère artisanal, et que nous voulons croître."

Comme les autres chefs d'entreprise interrogés,


elle ne peut répercuter l'ensemble des hausses
de coûts sur ses clients finaux, qui se
répartissent entre particuliers, horeca, épiceries
fines et traiteurs. "Il y a une barrière
Florence Fernémont, CEO de Carrément Bon © Sofie Van psychologique qu'on ne peut franchir, et nous
Hoof
évoluons aussi dans un secteur hyper-
concurrentiel, face notamment aux fabricants
de pain industriel."

Elle n'a toutefois aucune intention de licencier du personnel, ni de produire moins. Elle
souhaiterait au contraire recruter, mais fait face... à une pénurie de candidats, une
situation qu'elle a du mal à comprendre en regard du nombre de sans-emploi. "Je n'ai jamais
entendu un responsable politique dire que le travail a du sens, qu'il peut être passionnant et
motivant", regrette-t-elle.

De même, elle s'interroge sur les réactions de nos gouvernements face au covid et face à la
crise de l'énergie: "Ils ont beaucoup aidé les entreprises lors de la crise pandémique, et
maintenant, ils ne le feraient plus face à cette nouvelle crise?"

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Flambée des prix de l'énergie: quelle stratégie adopter pour votre


facture d'acompte?
Leonidas: on ne touche pas au prix consommateur

Le point de vue est différent chez Leonidas. Les factures d'électricité de la chocolaterie
bruxelloise ont également triplé pour atteindre "des niveaux absolument extravagants",
convient son CEO Philippe de Selliers. Mais contrairement à la majorité de ses confrères ou
concurrents, il ne veut pas répercuter ces surcoûts sur ses clients.

"Nous voulons protéger le consommateur car


"Nous voulons protéger le lui aussi doit payer plus cher ses propres
consommateur car lui aussi factures", déclare-t-il. "Nous avons toujours
doit payer plus cher ses essayé de proposer la meilleure qualité au prix
le plus abordable possible et cette stratégie
propres factures."
nous a toujours réussi. Nous voulons créer des
PHILIPPE DE SELLIERS
CEO, LEONIDAS moments de bonheur pour tous, c'est dans
notre ADN."

Comment résoudre la quadrature du cercle?


"En augmentant notre chiffre d'affaires et nos volumes", répond-il. "Cette année, nous
pensons faire progresser ceux-ci de 5%. Cela nous permettra de compenser la perte de marge
due aux coûts additionnels. Nous visons un objectif 2022 comparable à 2021, mais avec des
volumes en hausse de 5%."

Pour faire monter les volumes de pralines écoulées, le chocolatier compte actionner plus
d'un levier: ventes prévues en hausse en Belgique et en France (où il veut ouvrir 200
magasins sur 5 ans), parts de marché en progression dans le créneau "travel retail"
(boutiques dans les aéroports...), retour du tourisme à Bruxelles, campagnes de marketing
renforcées.

Source: L'Echo

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