Vous êtes sur la page 1sur 4

> Cas clinique EN CLINIQUE

Épanchement de
chylomicrons dans la chambre
antérieure consécutive à l’administration
d’émulsion lipidique intraveineuse
chez un chat intoxiqué à la perméthrine
A. NECTOUX, DV, Résidente ECVECC, L’intoxication à la perméthrine est à l’origine de signes cliniques
Unité SIAMU
nerveux graves motivant une prise en charge d’urgence pour
A. BARTHÉLEMY, DV, PhD, Ingénieur
de recherche décontaminer et limiter ces derniers.

u
Unité SIAMU
VetAgro Sup Campus vétérinaire
1 avenue Bourgelat n chat européen mâle entier de 10 mois est présenté en consultation
69280 Marcy-l’Étoile d’urgence pour des tremblements non intentionnels importants évoluant
depuis 3 heures.
Déclaration de lien d’intérêts sous
la responsabilité du ou des auteurs :
Néant. Cas clinique Examen clinique
A l’admission, le chat est hypovigi-
Le chat ne présente aucun antécédent. lant, en décubitus latéral. Il présente
Le matin même, un quart de pipette une manifestation de signes nerveux
d’un antiparasitaire externe (Advantix paroxystiques importants (tremble-
OBJECTIFS PÉDAGOGIQUES petit chien®, Bayer, France) est appliqué ments marqués de l’ensemble du corps
> Être capable d’(e) : sur la peau du chat en région intersca- ou crise convulsive continue) ainsi
pulaire. qu’une mydriase bilatérale. Sa tempéra-
• connaître la prise en charge d’une ture rectale est de 37,7 °C.
intoxication à la perméthrine chez L’antiparasitaire contient 100 mg d’imi-
le Chat ; daclopride et 500 mg de perméthrine. Traitement
• informer des effets secondaires
possibles consécutifs à Quatre heures plus tard (temps d’ab- Une oxygénothérapie par flow by est
l’administration d’émulsion sence de la propriétaire), le chat est mise en place, puis l’animal reçoit une
lipidique intraveineuse. retrouvé en décubitus latéral avec des injection IV de midazolam à 0,5 mg/kg,
tremblements non intentionnels géné- sans effet sur les tremblements. Il reçoit
ralisés et une hypovigilance. ensuite une injection IV de 2 mg/kg de
propofol suivie par une perfusion conti-
Le vétérinaire traitant est consulté et
nue de propofol à 0,1 mg/kg/min.
réalise une tonte de la zone d’applica-
tion du spot-on ainsi qu’un shampoing Un shampoing est à nouveau réalisé à
de l’ensemble du corps avec du liquide l’aide d’eau à température ambiante et
vaisselle. d’un shampoing physiologique pour
animal.
Il réalise une injection intraveineuse (IV)
de diazépam à 0,3 mg/kg, sans effet, puis En parallèle, une perfusion intravei-
CRÉDITS DE FORMATION CONTINUE une injection IV de propofol à 1 mg/kg neuse d’émulsion lipidique (Mediali-
La lecture de cet article ouvre droit à et transfère l’animal au service de soins pide 20 %®[H], BBraun, France) (PHOTO
0,05 CFC. intensifs de VetAgro Sup (SIAMU). 1), est mise en place à l’aide d’un bolus

15
(xx) PratiqueVet (2021) 56 : xx-xx
EN CLINIQUE > Cas clinique

Photo 1. Medialipide
20 %, émulsion
lipidique
intraveineuse
commercialisée par
BBraun®.

Photo 2. Chat présenté pour une intoxication à la perméthrine, recevant des perfusions continues de
propofol et d’émulsion lipidique intraveineuse dans une cage à oxygène.

de 2 mL/kg pendant 5 minutes puis Au cours de la première nuit d’hospitali- de vigilance de l’animal s’améliore pro-
d’une perfusion continue à un débit de sation, la perfusion continue de propo- gressivement pour se normaliser com-
0,25 mL/kg/min pendant 1 heure. L’en- fol est progressivement diminuée mais plètement en fin de nuit.
semble de ces mesures permettent de le chat présente à nouveau des trem-
blements, ce qui motive une deuxième L’examen clinique révèle une discrète
stopper les tremblements. Le chat est
administration d’émulsion lipidique, ataxie des quatre membres ainsi qu’une
ensuite placé dans une cage à oxygène
selon le même protocole initial. lipidose de la chambre antérieure des
(PHOTO 2).
deux yeux, plus marquée à gauche (PHO-
Des mesures hygiéniques permettent Dès le lendemain matin, la perfusion TO 3).
de maintenir sa température corporelle continue de propofol est complètement Un test à la fluorescéine est réalisé et
entre 37 °C et 38,5 °C. Sa vessie est arrêtée et le chat ne présente plus aucun est négatif. La pression intraoculaire est
vidangée par taxis et il est changé toutes tremblement. Il reste cependant hypovi- mesurée et se révèle dans les normes
les 4 heures de décubitus afin d’éviter gilant et couché en décubitus latéral. dans les deux yeux.
l’apparition d’escarres. Un lubrifiant
oculaire est appliqué toutes les 2 heures Au cours de la nuit suivante (soit envi- La fonction visuelle semble discrè-
sur les yeux. ron 36 heures après l’admission), l’état tement altérée mais le clignement à

3A 3B
Photos 3. Épanchement de chylomicrons dans la chambre antérieure (3A), plus marquée sur l’œil gauche (3B).

16
PratiqueVet (2021) 56 : xx-xx (xx)
> Cas clinique EN CLINIQUE

la menace est normal et l’animal est


capable d’éviter des obstacles. Encadré 1. Liste des causes possibles d’uvéite antérieure chez le Chat [11].
Étant donné son bon état général, il
est rendu à ses propriétaires, 48 heures ■ Traumatisme
après son admission, sans traitement Contondant, pénétrant
médical à poursuivre. ■ Infectieux
Virus immunodeficient félin, virus leucémique félin, péritonite infectieuse
Huit jours après sa sortie, la lipidose de féline, Toxoplasma gondii, Cryptococcus neoformans, Coccidioides immitis,
la chambre antérieure a complètement Blastomyces dermatitidis, Leishmania infantum
disparu et le chat est en très bon état
■ Néoplasique
général. Mélanome irien diffus, sarcome oculaire primaire, adénome ou
adénocarcinome primaire des corps ciliaires, lymphosarcome, processus
métastatique
Discussion ■ Anomalie du cristallin
Cataracte, luxation du cristallin
L’utilisation des ■ Divers
Idiopathique, périartérite, ophtalmomyiasis
émulsions lipidiques dans
l’intoxication à la
perméthrine
Cependant, la cause exacte de l‘intoxica- relation inverse entre influx de sodium et
tion à la perméthrine chez le Chat reste température [3].
La toxicité de la perméthrine inconnue, ce défaut de glucuronoconju-
La perméthrine est un biocide (insecti- gaison hépatique ne saurait expliquer la Les trémulations ou convulsions doivent
cide) utilisé chez le Chien pour éliminer toxicité de la perméthrine (les métabo- être stoppées par des benzodiazépines
les parasites externes (notamment puces lites de la perméthrine étant a priori non (midazolam ou diazépam), qui modulent
et tiques). Elle fait partie de la famille des toxiques). les effets du neurotransmetteur GABA en
pyréthroïdes de synthèse de type 1 et pos- se fixant sur le site GABAA de son récep-
Bien que peu de données existent sur les teur. Cependant, ces molécules peuvent
sède plusieurs mécanismes d’action [1] :
doses minimales toxiques, il semblerait exacerber les signes nerveux et n’ont
■ fixation réversible sur les canaux qu’une exposition cutanée à 100 mg/ qu’une durée de demi-vie très courte
sodiques au sein des membranes axo- kg (DL50) de perméthrine chez un chat (quelques minutes).
nales des nerfs, à l’origine d’une pro- peut entraîner son décès [2]. Cette dose
longation de la conduction en sodium est atteinte avec l’administration d’1 mL En l’absence de réponse clinique, l’utili-
provoquant des décharges nerveuses d’un spot-on concentré à 45 % de permé- sation de barbituriques (pentobarbital ou
répétées ; thrine, pour un chat de 4,5 kg. phénobarbital) ou de méthocarbamol,
■ augmentation du relargage d’un neu- Près de 88 % des chats intoxiqués par la un myorelaxant, est également décrite
rotransmetteur périphérique inhibiteur, perméthrine présentent des trémula- [4].
l’acide gamma-aminobutyrique (GABA) ; tions, tremblements ou signes de convul-
Les barbituriques entraînent une forte
■ inhibition des canaux récepteurs de sion. Ces signes peuvent persister entre
dépression cardio-respiratoire et sont à
GABA et du glutamate et inhibition des 2 heures et 5 jours [2].
utiliser avec prudence. Le méthocarba-
canaux calciques voltage dépendants. mol est peu disponible en Europe et doit
Ceci induit une augmentation de la La prise en charge d’une être administré par voie orale.
concentration intracellulaire en calcium intoxication à la perméthrine
et une augmentation du relargage de Pour maintenir un effet sédatif et myo-
neurotransmetteurs, à l’origine d’une Du fait de l’absence d’antidote, la prise relaxant, des agents anesthésiques tels
dépolarisation postsynaptique prolon- en charge d’une intoxication à la per- que le propofol ou la dexmédétomidine
gée. méthrine comprend prioritairement la peuvent être utilisés en perfusion conti-
décontamination par la réalisation de nue, comme dans notre cas [5].
Après une absorption orale ou transcu- shampoings.
tanée, la perméthrine est métabolisée
par des oxydases et des estérases micro- Certains auteurs préconisent également
L’intérêt des émulsions lipidiques
de tondre largement la zone d’appli-
somales hépatiques, puis subit une
cation. Un séchage et des mesures de
dans la prise en charge des
hydroxylation et conjugaison hépatique
en glucoronides. réchauffement doivent être mis en place intoxications
rapidement afin d’éviter une hypother-
Le chat possède une déficience enzyma- L’utilisation d’émulsion lipidique intra-
mie.
tique en glucuronide transférase, ce qui veineuse (ELI) dans le traitement des
pourrait expliquer sa sensibilité accrue à En effet, cette dernière peut exacerber intoxications à la perméthrine a été ini-
cette molécule [1]. les effets de la perméthrine du fait d’une tialement décrite en 2012 [6].

17
(xx) PratiqueVet (2021) 56 : xx-xx
EN CLINIQUE > Cas clinique

Les ELI sont composées de moyennes et tration de l’ELI. La lipidose cornéenne MÉMO
longues chaînes de triglycérides dérivées est un dépôt de lipides, prioritairement
n La perméthrine est à l’origine de
d’huiles de plantes. Elles sont également de cholestérol dans l’épithélium ou le
trémulations, tremblements et
utilisées dans la nutrition parentérale, en stroma cornéen. convulsions chez la majorité des chats
tant que source d’acides gras. intoxiqués.
Cependant, ces dépôts sont souvent
Dans la prise en charge des intoxications, répartis de façon hétérogène et la résolu- n La prise en charge d’une intoxication à
plusieurs mécanismes d’action des ELI la perméthrine comprend une
tion clinique s’effectue en plusieurs mois. décontamination rapide et le traitement
sont décrits [7] : Les ELI sont composées de triglycérides des signes nerveux.
■ la “navette lipidique” : l’ELI forme une et induisent une hypertriglycéridémie n Les émulsions lipidiques
phase lipidique au sein du plasma qui transitoire. intraveineuses (ELI) permettent
attire les molécules xénobiotiques pré- d’accélérer l’élimination du toxique et de
Ceci, associé au fait que les anomalies normaliser plus rapidement l’état
sentes dans les tissus cibles (cœur, cer-
oculaires sont diffusément homogènes clinique.
veau) et les conduit vers des tissus de
sur les deux yeux est prioritairement en n Peu d’effets secondaires sont rapportés
stockage (muscles, tissus adipeux), les
faveur d’une lipidose de la chambre anté- lors d’administration d’ELI en médecine
métabolise (foie) ou les excrète (rein). vétérinaire, tels que l’hyperlipémie et
rieure.
Ce mécanisme d’action dépend du coef- l’épanchement transitoire de
ficient de solubilité lipidique (LogP) du Chez le Chien, les uvéites lipidiques sont chylomicrons dans la chambre antérieure
rapportées lors d’hyperlipémie associée de l’œil.
xénobiotique. Ainsi, l’utilisation d’ELI
serait indiquée lorsque le toxique pos- à une effraction de la barrière héma-
sède un LogP > 1, bien que certains cas to-aqueuse, bien que certains auteurs
remettent en cause la nécessité d’une >>À LIRE...
d’efficacité des ELI pour un faible LogP
soit décrits. A noter que la perméthrine uvéite préexistante [10]. 1. Linnett PJ. Permethrin toxicosis in cats.
Aust Vet J. 2008 ; 86 : 32-5.
possède un LogP de 6,5 ; Les uvéites lipidiques sont principale-
2. Sutton NM et coll. Clinical effects and
■ l’“hypermétabolisme” : l’ELI altère la ment décrites chez des chiens atteints de outcome of feline permethrin spot-on
voie d’action du monoxyde d’azote, diabète, d’hypercorticisme, d’hypothy- poisonings reported to the veterinary
vasodilatateur systémique. Elle possède roïdie, de pancréatite ou de postopéra- poisons information service (VPIS), London.
des effets cardiotoniques directs et mini- toire de phacoémulsification [10]. J Feline Med Surg. 2007 ; 9 : 335-9.
mise les lésions de reperfusion. 3. Whittem T. Pyrethrin and pyrethroid
Chez le Chat, les uvéites antérieures sont insecticide intoxication in cats. Comp Contin
L’ensemble de ces effets tend à soutenir des affections oculaires très fréquentes Educ Vet Pract. 1995 ; 17 : 489e492
le système cardiovasculaire, améliorer la et sont associées à une dysfonction de la 4. Boland LA, Angles JM. Permethrin toxicity :
fonction myocardique et maintenir une barrière hémato-aqueuse [11]. retrospective study of 42 cases. J Feline Med
pression artérielle permettant d’augmen- Surg. 2010 ; 12 : 61-71.
ter l’élimination du toxique. Elles peuvent notamment être consé-
5. Ceccherini G et coll. Intravenous lipid
cutives à un traumatisme, un processus
Plusieurs études rapportent l’utilisation emulsion and dexmedetomidine for
infectieux ou néoplasique (ENCADRÉ 1). treatment of feline permethrin intoxication :
d’ELI lors d’intoxication à la perméthrine
Leur expression clinique peut être a report from 4 cases. Open Vet J. 2015 ;
chez le Chat, permettant une normalisa- 5 : 113-21.
variable et leurs séquelles sont parfois
tion plus rapide des signes cliniques, par
subcliniques. 6. Haworth MD, Smart L. Use of intravenous
rapport aux animaux non traités avec des lipid therapy in three cases of feline
ELI [5,6]. L’épanchement de chylomicrons dans permethrin toxicosis. J Vet Emerg Crit Care
la chambre antérieure pourrait donc (San Antonio). 2012 ; 22 : 697-702.
Les effets secondaires des être expliqué soit par la concordance 7. Gwaltney-Brant S, Meadows I. Intravenous
émulsions lipidiques d’une hypertriglycéridémie transitoire lipid emulsions in veterinary clinical
importante consécutive aux deux admi- toxicology. Vet Clin North Am Small Anim
L’apparition d’effets secondaires après nistrations consécutives d’ELI avec une Pract. 2018 ; 48 : 933-42.
l’administration d’ELI reste anecdotique uvéite subclinique préexistante, soit par 8. Seitz MA, Burkitt JM. Persistent gross
en médecine vétérinaire. L’hyperlipémie l’hypertriglycéridémie importante seule, lipemia and suspected corneal lipidosis
transitoire est la plus rapportée, pouvant following intravenous lipid therapy in a cat
soit par une autre affection systémique à with permethrin toxicosis. J Vet Emerg Crit
persister plusieurs jours. l’origine d’une hyperlipémie. Care (San Antonio). 2016 ; 26 : 804-8.
Seuls deux rapports de cas décrivent l’ap- L’association d’une hypertriglycéridémie 9. Yuh EL, Keir I. Hypertriglyceridemia and
parition de complications oculaires suite avec une uvéite semble plus probable transient corneal lipidosis in a cat following
à l’administration d’ELI chez des chats intravenous lipid therapy for permethrin
chez un jeune chat ayant accès à l’exté- toxicosis. Can Vet J. 2018 ; 59 : 155-8.
intoxiqués à la perméthrine [8,9]. rieur, bien qu’aucune démarche diag-
10. Violette NP, Ledbetter EC. Lipemic uveitis
Ces cas décrivent une lipidose cornéenne nostique recherchant une uvéite n’ai été and its etiologies in dogs : 75 dogs. Vet
apparue 36 à 42 heures après l’adminis- réalisée. Opthalmol. 2019 ; 22 : 577-83
11. Stiles J. Feline ophthalmology. In : Gelatt
KN, ed, Veterinary ophthalmology, Vol 2,
Fifth ed. Ames, IA : John Wiley & Sons ; 2013 :
1477-559

18
PratiqueVet (2021) 56 : xx-xx (xx)

Vous aimerez peut-être aussi