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VETCLI-186; No. of Pages 8 ARTICLE IN PRESS


Revue vétérinaire clinique xxx (xxxx) xxx—xxx

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CAS CLINIQUE

Prise en charge et évolution d’un


lymphome oculaire supposé isolé par
chimiothérapie chez un chat夽
Management and evolution of an intraocular lymphoma presumed to be
solitary by chemotherapy in a cat Running title : Prise en charge et évolution
d’un lymphome oculaire chez un chat

C. De Decker a, J.B. Hennequin b,∗

a
Royal Canin, 650, avenue de la Petite-Camargue, 30470 Aimargues, France
b
Service de médecine, centre hospitalier vétérinaire Anicura-Nordvet, 1 rue Delesalle, 59110
La Madeleine, France

Reçu le 24 septembre 2021 ; accepté le 14 décembre 2021

MOTS CLÉS Résumé Un chat mâle castré de 4,5 ans est présenté en consultation d’urgence pour une
Chat ; rougeur oculaire droite. Après examen ophtalmologique, une masse irienne est mise en évi-
Lymphome ; dence. L’analyse cytologique de l’humeur aqueuse permet de diagnostiquer un lymphome qui
Uvée ; semble, après la réalisation d’un bilan d’extension, être uniquement uvéal. Un protocole de
Œil ; chimiothérapie est mis en place. Neuf semaines plus tard, le chat ne présente plus de lésion
Tumeur intraoculaire oculaire et une chimiothérapie d’entretien est instaurée. Trois ans et demi après le diagnostic,
la tumeur n’a pas récidivé.
© 2021 AFVAC. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

夽 Crédits de formation continue. — La lecture de cet article ouvre droit à 0,05 CFC. La déclaration de lecture, individuelle et volontaire,

est à effectuer auprès du CNVFCC (cf. sommaire).


∗ Auteur correspondant. Centre hospitalier vétérinaire Anicura-Nordvet, 1 rue Delesalle, 59110 La Madeleine, France

Adresses e-mail : camillededecker@yahoo.fr (C. De Decker), jb.hennequin@anicura.fr (J.B. Hennequin).

https://doi.org/10.1016/j.anicom.2021.12.001
2214-5672/© 2021 AFVAC. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Pour citer cet article : C. De Decker and J.B. Hennequin, Prise en charge et évolution d’un lymphome oculaire supposé
isolé par chimiothérapie chez un chat, Revue vétérinaire clinique, https://doi.org/10.1016/j.anicom.2021.12.001
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C. De Decker and J.B. Hennequin

KEYWORDS Summary A 4.5-year-old neutered male cat is brought in consultation for a redness of the right
Cat; eye. After an ophthalmological examination, an irian mass is found. The cytological analysis
Lymphoma; of aqueous humour leads to the diagnosis of a lymphoma that will be considered as only uveal
Uvea; after performing an extension work-up. A chemotherapy protocol is implemented. Nine weeks
Eye; later, the cat has no more eye damage and maintenance chemotherapy is initiated. Three and
Intraocular tumor a half years later, the tumor did not relapsed.
© 2021 AFVAC. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction
Les tumeurs oculaires sont nombreuses et variées chez les
chats. Parmi les tumeurs intraoculaires, les tumeurs pri-
mitives les plus fréquentes sont les mélanomes de l’uvée
tandis que les lymphomes sont eux, les tumeurs secon-
daires les plus fréquemment rencontrées [1—5]. Ils se
manifestent généralement par la formation d’une masse
blanche à rosé sur l’iris, par la présence d’une uvéite anté-
rieure et/ou postérieure, d’un glaucome, d’un décollement
rétinien. . . en fonction des différents segments atteints. Le
lymphome intraoculaire est considéré, par la plupart des
auteurs, comme étant une atteinte métastatique de l’œil
à l’occasion d’un lymphome multicentrique et les cas de
lymphome intraoculaire isolé ne sont que très peu décrits
[1,2,6,7]. Ainsi, généralement, même en cas d’atteinte iso-
lée de l’œil prouvé par un bilan d’extension complet, il
est considéré que celle-ci l’est seulement parce qu’elle est
précoce, et qu’un processus généralisé en lien avec ce phé-
nomène aura lieu dans le futur [1,2,6,8,9].
Le but de cette description clinique est de présenter la
démarche diagnostique et le traitement d’un cas de lym-
phome uvéal considéré comme isolé. Figure 1. Aspect de la masse irienne droite lors de la première
consultation.

TVM, Lempdes, France) sont prescrits matin et soir, et


Observations cliniques un contrôle ophtalmologique est prévu quelques jours plus
tard.
Anamnèse
Examen ophtalmologique
Un chat mâle castré européen de 4,5 ans est présenté en
consultation d’urgence en avril 2018 pour une rougeur ocu- Lors du contrôle, trois jours plus tard, le chat présente un
laire droite d’apparition brutale. examen à distance normal de l’œil gauche et un blépharos-
La consultation met en évidence une masse rosée pasme discret de l’œil droit.
adhérente à la face antérieure de l’iris droit, en région La réponse au test du clignement à la menace est pré-
ventro-temporale. Cette masse est discrètement vasculari- sente bilatéralement.
sée sur son pourtour et mesure environ 5 mm de diamètre Les réflexes pupillomoteurs directs et consensuels sont
(Fig. 1). L’examen général de l’animal est, quant à lui, normaux sur les deux yeux.
tout à fait normal. Après la réalisation d’un test à la fluo- L’examen rapproché de l’œil gauche montre des struc-
rescéine (fluorescéine sulfate de sel de sodium 1,5 mg, tures oculaires normales.
Fluodrop® colorant ; TVM, Lempdes, France) qui s’avère être L’œil droit montre des conjonctives calmes, une cor-
négatif sur les deux yeux, un traitement anti-inflammatoire née lisse et brillante avec un test à la fluorescéine négatif.
topique (framycétine sulfate 6300 UI/mL, dexaméthasone Son examen biomicroscopique (Portable Slit Lamp SL-14® ;
phosphate disodique 1 mg/mL, Fradexam® collyre, TVM, Kowa Compagny, Tokyo, Japan ; éclairage diffus et éclai-
Lempdes, France), une antibiothérapie systémique (amoxi- rage fente de 0,8 mm et 0,2 mm) montre une masse rosée
cilline sulfate de trihydrate 40 mg, acide clavulanique irienne dans l’angle ventro-temporal mesurant environ 5 mm
sulfate de sel de potassium 10 mg, Clavaseptin® comprimé, de largeur et 3 mm de hauteur. Une anisocorie discrète est
Vetoquinol, Lure, France) et une antibiothérapie topique visible en ambiance éclairée (myosis droit modéré), for-
(chloramphénicol 10 mg, Ophtalon® pommade ophtalmique, tement accentuée lors du passage en ambiance assombrie

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(mydriase droite incomplète). La couleur de l’iris droit est


jaunâtre (l’iris gauche normal est vert clair). La chambre
antérieure ne présente aucun signe d’uvéite.
La pression intraoculaire (PIO) est de 18 mmHg à gauche
et de 20 mmHg à droite (mesurée au Tonovet [Tonovet icare ;
Icare, Tuike, Finland]). Le test de Schirmer I (Test de Schir-
mer ; Virbac, Carros, France) est de 16 mm/min à gauche et
de 14 mm/min à droite.
L’examen bilatéral du fond d’œil ne montre aucune
anomalie (examen du fond d’œil en ophtalmoscopie indi-
recte à l’aide d’un casque et d’une lentille de 20 dioptries
après dilatation pupillaire à l’aide de tropicamide collyre
0,5 % [Mydriaticum® 0,5 % collyre, Théa phrama, Clermont-
Ferrand, France]).
Compte tenu de l’aspect de la lésion irienne, une masse
d’origine inflammatoire ou tumorale est suspectée. Parmi
les hypothèses tumorales : le mélanome irien achromique, Figure 2. Échographie oculaire transpalpébrale de l’œil droit lors
le sarcome oculaire félin post-traumatique, une tumeur de la première consultation.
primaire du corps ciliaire et le lymphome irien sont prio-
ritairement envisagés.

Examens complémentaires
Certaines des hypothèses diagnostiques faisant référence
à des processus inflammatoires, néoplasiques secondaires
ou, pouvant montrer un potentiel métastatique, un bilan
sanguin complet (hématologique et biochimique) est réa-
lisé afin de détecter d’éventuelles signes d’atteinte d’autres
organes. Ce dernier ne révèle pas d’anomalie significative.
Les virus de la leucose féline (FeLV) et de
l’immunodéficience féline (FIV) pouvant prédisposer à
l’apparition de lymphomes chez le chat et pouvant être
responsables d’uvéites, un SNAP test Combo plus (Idexx® )
est réalisé. Il se révèle doublement négatif.
Afin d’explorer le potentiel invasif de la masse, un exa-
men échographique transpalpébral à l’aide d’une sonde Figure 3. Échographie oculaire transpalpébrale de l’œil droit lors
linéaire est réalisé (AplioTM 300, Toshiba ; sonde linéaire de la première consultation.
PLT-1204BT, 12 MHz) après anesthésie topique à la tétra-
caïne collyre (Tetracaïne 1 % collyre unidose ; TVM,
Lempdes, France). L’examen de l’œil gauche ne montre pas
d’anomalie. L’examen échographique de l’œil droit montre
une masse irienne développée jusqu’à l’angle irido-cornéen
mesurant 6,6 mm de longueur axiale et 4,2 mm de hauteur
(Fig. 2 et 3). Aucune autre modification de structure n’est
notée.
Enfin, une cytoponction de la masse associée à un pré-
lèvement d’humeur aqueuse est réalisée deux jours plus
tard sous anesthésie générale (prémédication : diazepam
à 0,2 mg/kg IV et morphine à 0,2 mg/kg SC ; induction :
injection intraveineuse lente de propofol jusqu’à pouvoir
intuber l’animal ; maintenance : isoflurane 2,5 % — oxy-
gène) pour essayer de déterminer la nature de l’atteinte.
Les prélèvements sont envoyés pour analyse cytologique au
laboratoire Vebio (Arceuil, France). Lors de cet examen, on
remarque que la masse s’est développée et entraîne une
dyscorie plus importante (Fig. 4 et 5). Afin de préserver l’œil
en attendant les résultats de l’examen cytologique et face à
la forte présomption clinique de lymphome uvéal, une injec-
tion de L-asparaginase (Kidrolase® , Jazz Pharmaceuticals,
Lyon, France) est réalisée (400 UI/kg en IM). Figure 4. Aspect de la masse lors de la réalisation de la ponction
d’humeur aqueuse.

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Figure 5. Aspect de la masse lors de la réalisation de la ponction


Figure 6. Aspect de l’œil droit 7 jours après l’injection
d’humeur aqueuse.
d’asparaginase.

Diagnostic
Les résultats de l’examen nous parviennent deux jours plus
tard et révèlent une « Prolifération de cellules rondes
atypiques dont l’origine lymphoïde est prioritairement sus-
pectée ».
Nous sommes donc ici face à une très forte suspicion de
lymphome uvéal.

Bilan d’extension
Les lymphomes oculaires étant le souvent d’origine multi-
centrique chez les chats et les chiens, la réalisation d’un
bilan d’extension est proposée au propriétaire.
Ainsi, un examen échographique abdominal et des
radiographies thoraciques (incidences ventro-dorsale et
latéro-latérale) sont réalisés et ne montrent pas d’anomalie.
Les structures périoculaires n’ayant été contrôlées que Figure 7. Échographie oculaire transpalpébrale de l’œil droit une
semaine après l’injection d’asparaginase.
par l’examen échographique transpalpébral dont la réso-
lution spatiale au delà de l’orbite est limitée, une IRM de
la tête est également réalisée afin d’effectuer un bilan En raison de l’importante régression de la masse irienne
d’extension locorégional. Cet examen, qui a été réalisé après injection de L-asparaginase, considérée comme phase
10 jours après l’injection d’asparaginase, ne révèle aucune d’induction du protocole de traitement anticancéreux, il est
anomalie, la masse uvéale n’étant pas visible sur les coupes. décidé de poursuivre dans la voie d’un traitement médical
et d’essayer de conserver l’œil.
Traitement et évolution Une polychimothérapie particulière est choisie. Elle
consiste en l’utilisation de la L-asparaginase (400 UI/kg IM
Sept jours après l’injection de L-asparaginase la masse n’est en injection unique lors de l’induction, semaine 1) puis de
presque plus visible à l’œil nu (Fig. 6). Une discrète surélé- la Vincristine (0,7 mg/m2 IV toutes les semaines pendant
vation est encore perceptible à l’examen biomicroscopique 3 semaines lors de la semaine 2, 3 et 4 puis toutes les
et la couleur de l’iris droit en partie ventro-temporale 3 semaines après vérification de la numération et formule
reste modifiée. L’anisocorie, après passage d’une ambiance sanguine) associée une corticothérapie per os (predniso-
assombrie en ambiance éclairée, n’apparaît plus. L’examen lone : 1 mg/kg/j en permanence).
échographique transpalpébral montre une masse mesurant Lors des contrôles hebdomadaires, il est constaté que
désormais 3 mm de long et 1 mm de hauteur (Fig. 7). la masse régresse rapidement. Un mois et demi après
Une fois le diagnostic porté et le bilan d’extension le diagnostic, le chat ne présente plus de masse irienne
complet réalisé, un traitement chimiothérapique associé (macroscopiquement et à l’évaluation échographique trans-
ou non à une énucléation est proposé aux propriétaires. palpébrale).

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difficilement différenciables avec ce type de résultat cytolo-


gique : en effet la présence de « cellules rondes atypiques »
est compatible avec une atteinte tumorale comme avec une
atteinte inflammatoire chronique [10]. Dans notre cas, nous
avons priorisé l’hypothèse de l’atteinte tumorale car les
signes cliniques sont apparus de manière aiguë. De plus, les
états cellulaires dysplasiques sont décrits comme pouvant
être des états précancéreux ce qui donne alors tout son sens
à une prise en charge les considérant comme une atteinte
tumorale [11].
Le lymphome est l’une des tumeurs les plus fréquentes
chez le chat : il représente 33 % des néoplasmes, un risque
d’occurrence de 200/100 000 et 50 à 90 % de l’ensemble
des tumeurs hématopoïétiques [1,2]. Il y a cinquante ans,
la présence des lymphomes dans la population féline était
notamment corrélée à la forte prévalence du FeLV. Dans les
années 1980, l’apparition de la vaccination contre la leucose
féline a permis de diminuer la circulation du virus, diminuant
ainsi le nombre de lymphomes liés au FeLV. C’est ainsi que de
70 % de cas de lymphomes positifs au FeLV dans les années
1980, il n’y a plus désormais que 15 à 20 %de lymphomes
« FeLV positifs » depuis une dizaine d’années. Les formes les
Figure 8. Aspect de l’œil droit 6 mois après le diagnostic de plus fréquentes sont aujourd’hui surtout des formes diges-
lymphome uvéal. tives et extraganglionnaires/atypiques [1,6,8,9,12].
La carcinogenèse du lymphome est principalement
Après une série de 5 injections de vincristine favorisée dans les structures hématopoïétiques primaires
(10 semaines post induction) une chimiothérapie métrono- (thymus) et secondaires (nœuds lymphatiques, rate et tissu
mique est initiée : administration de cyclophosphamide à lymphoïde intestinal). Cependant, les lymphomes peuvent
la dose de 12,5 mg/m2 une fois par jour en permanence. présenter diverses localisations, notamment extraganglion-
Après 6 mois de chimiothérapie, le chat est présenté naires, comme c’est le cas du lymphome oculaire. Les
en consultation de contrôle : il va très bien, a pris du lymphomes oculaires représentent 4,5 % des lymphomes
poids ; l’examen oculaire est normal : absence de masse extraganglionnaires, 0,34 % des lymphomes en général et
irienne à l’observation à distance et en biomicroscopie, 20 % de l’ensemble des tumeurs intraoculaires chez le chat
ainsi qu’à l’examen échographique transpalpébralde l’œil [1,4,5,13—15].
droit (Fig. 8). Les mesures de la pression intraoculaire sont Si la prévalence des lymphomes oculaires est bien
dans les intervalles de référence (17 mmHg à droite et à connue, les lymphomes oculaires isolés (LOI), eux, repré-
gauche). Lors de cet examen, un nouveau bilan d’extension sentent un véritable défi dans leur diagnostic et dans leur
a également été réalisé : les radiographies thoraciques et suivi. En effet, dans la plupart des situations, le lymphome
l’échographie abdominale n’ont montré aucune anomalie. oculaire qui semble isolé n’est qu’un stade précoce de lym-
À la suite de ces observations, il est décidé de poursuivre la phome multicentrique qui peut se développer plusieurs mois
chimiothérapie métronomique à la même dose, en perma- à années plus tard [2,7,8,14,16,17]. Ainsi, face à l’absence
nence, théoriquement jusqu’à récidive de la maladie. de certitude devant un lymphome intraoculaire, certains
À ce jour, trois ans et demi après le diagnostic, le chat auteurs préfèrent décrire un « pseudo solitary ocular lym-
est en rémission clinique et sa qualité de vie est optimale phoma » (PSOL) plutôt qu’un « LOI » [16]. L’étude des
selon le propriétaire. LOI demande donc un suivi particulièrement long afin de
s’assurer de l’absence d’apparition d’une atteinte multicen-
trique à distance de l’évènement initial [13,14,18,19]. C’est
Discussion ainsi qu’il a fallu vingt-huit ans à Wiggans et al. pour déter-
La présentation clinique de notre cas et le résultat de miner que les LOI ne représentent que 0,1 % de la totalité
l’analyse cytologique, nous ont rapidement orienté vers des cas de lymphomes (0,06 % chez le chat) [16].
l’hypothèse diagnostique du lymphome intraoculaire. En La rareté des LOI chez le chat est comparable à ce qui
effet, le sarcome oculaire félin a été éliminé du diagnostic est retrouvé en médecine humaine, où les LOI ont une inci-
différentiel car il apparaît dans le cadre d’un ancien trauma- dence de 0,047 cas pour 100 000 habitants/an [20]. Dans
tisme oculaire survenu environ cinq ans avant l’apparition 80 % des cas, les patients atteints de LOI développeront des
des signes cliniques et chez des chats âgés de 7 à 15 ans signes d’atteinte cérébrale, probablement parce que chez
[2]. La tumeur primitive du corps ciliaire quant à elle, a l’humain, l’atteinte rétinienne est systématique dans les cas
un aspect échographique particulier en raison de son ori- de lymphomes intraoculaires primaires et une invasion des
gine « rétro-irienne » qui n’était pas compatible avec les différentes structures peut donc se faire via le nerf optique
images échographiques de notre cas. Le prélèvement cyto- [20—24]. Cette situation est également décrite en médecine
logique, lui, a permis de différencier mélanome, lymphome vétérinaire dans le cas de Giordano et al. où un chat pré-
et inflammation. Lymphome et inflammation sont pourtant sente une atteinte ophtalmique (uvéale et rétinienne) puis

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une dégradation nerveuse centrale causée par une infiltra- l’utilisation du cyclophosmamide à la dose de 250 mg/m2 ,
tion cérébrale lymphomateuse [14,25]. Ainsi, chez l’humain comme dans les protocoles COP ou CHOP, est régulièrement
comme chez le chat, les PSOL peuvent être conséquence ou associée à une anorexie chez le chat, même si les troubles
cause d’une atteinte cérébrale et il donc primordial, face à gastro-intestinaux sont finalement peu fréquents [29,30].
ces cas, de réaliser un bilan d’extension neurologique via la Le protocole L-asparaginase/vincristine/prednisolone uti-
réalisation d’une IRM et d’une analyse du liquide cérébro- lisé ici est un exemple de protocole évitant l’utilisation du
spinal (LCS) [14,16]. Dans notre cas, l’absence d’analyse cyclophosphamide à la dose conventionnelle. Il est particu-
du LCS et la réalisation de l’examen IRM après l’injection lièrement bien toléré et son efficacité a été testée sur des
d’asparaginase sont des points critiquables qui nous ont séries de cas importantes faisant référence à un pourcen-
empêchés, au moment du diagnostic, d’être catégorique sur tage d’entrée en rémission très bon [31]. Dans notre cas,
l’absence d’atteinte cérébrale. aucun effet secondaire spécifique n’a été constaté pendant
À propos du bilan d’extension, la plupart des chats les 10 semaines de traitement. Les recommandations sont
atteints de lymphomes oculaires présentent des signes normalement de continuer ce protocole en permanence,
d’atteinte systémique au moment de l’énucléation. Ainsi, mais compte tenu du coût thérapeutique et de la rémission
dans cette maladie, en plus d’un bilan locorégional, un constatée des signes cliniques, le propriétaire a souhaité
bilan d’extension à distance est nécessaire [4]. Dans notre interrompre le protocole durant la phase d’entretien. Le
cas, les différents examens réalisés (examen échographique passage à une chimiothérapie métronomique a été décidé.
transpalpébral, bilan sanguin, test FIV/FeLV, radiographies Ce choix repose également sur le peu de références biblio-
thoraciques, échographie abdominale, IRM orbitaire et crâ- graphiques relatives aux PSOL et la volonté de prolonger
nienne) n’ont pas montré d’anomalie. On pourra cependant au maximum la rémission observée selon notre suspicion
évoquer des limites à notre prise en charge, en effet diagnostique. Il ne faut pas oublier ici que la prise en
l’échographie abdominale ne s’est pas accompagnée de charge repose sur la forte suspicion diagnostique de PSOL,
biopsies hépatiques et spléniques afin de certifier l’absence et que, à défaut d’énucléation et donc d’analyse histolo-
de métastases et l’examen radiographique présente une gique, nous ne connaissons pas le type de lymphome (B ou
sensibilité bien inférieure au scanner pour la détection de T) ni son grade (haut grade, grade intermédiaire ou bas
métastases thoraciques [26]. grade). Au moment de nos choix thérapeutiques, nous ne
Concernant la rareté des LOI, des études récentes pouvons également pas totalement exclure une autre entité
remettent en cause cet aspect et semblent montrer, au tumorale. L’utilisation du cyclophosphamide à dose métro-
contraire, que la plupart des lymphomes intraoculaires sont nomique permet d’inhiber en partie l’angiogenèse et de
des LOI (64 % des cas chez les chats et 61 % des cas chez réguler l’environnement immunitaire tumoral. Cette uti-
les chiens) [18,19]. Ces études sont peut-être annoncia- lisation du cyclophosphamide (ou du chlorambucil en cas
trices d’une évolution de nos connaissances sur les LOI d’intolérance particulière) se rapproche des protocoles uti-
mais leurs résultats doivent tout de même être interpré- lisés en cas de leucémie chronique, de lymphome (indolent
tés avec précautions. En effet, dans ces études, l’atteinte ou de bas grade) ou d’autres entités néoplasiques et est bien
multicentrique est exclue en se fondant sur l’absence de tolérée par le chat sans effet anorexigène [32,33].
signe clinique et non pas systématiquement sur des examens Un bilan d’extension de contrôle sera conseillé après 1 an
complémentaires (imagerie, bilan sanguin, . . .). Une majo- de traitement mais ne sera pas réalisé par le propriétaire
ration de la prévalence des LOI est donc envisageable dans pour des raisons financières mais également par manque
ces circonstances. de motivation de celui-ci car l’animal semble toujours en
Qu’ils soient isolés ou non, les lymphomes uvéaux sont rémission clinique.
dans les trois quarts des cas des lymphomes à cellules B Chez les chats atteints de lymphome, les taux de réponse
[13,15]. Dans un article portant sur 110 cas de lymphomes complète vont de 50 à 80 %, ainsi qu’un temps de rémis-
extra-nodaux, 5 cas sont recensés comme des PSOL dont sion de 4 à 6 mois et une durée de survie moyenne de 6 à
un lymphome de bas grade rapporté [27]. Une autre source 12 mois, avec le protocole de chimiothérapie combinant
rapporte que les PSOL sont souvent d’évolution indolente la l-asparaginase, la vincristine et la prednisolone. Mais de
[28]. Comme il n’a pas été réalisé d’immunophénotypage nombreux cas (30 à 40 %) s’éloignent de ces chiffres et des
dans ce cas, le choix du traitement a été fonction des don- durées de survie supérieures à deux ans ne sont pas rares lors
nées de la littérature et des connaissances actuelles en de réponse complète à la chimiothérapie [1,8,9,31]. Nous
chimiothérapie : les protocoles COP (C pour Cyclophospha- pouvons nous poser la question de la validité pronostique de
mide, O pour Oncovin : Vincristine et P pour Prednisolone) ces statistiques dans le cadre des PSOL, ces derniers étant
beaucoup utilisés en Europe, et CHOP (COP + doxorubicine) peu référencés.
sont les plus répandus avec des taux d’efficacité simi- Le dernier point à aborder est la question de
laires [1,8,9]. Une préférence pour le COP existe chez le l’énucléation, le risque de développer un processus systé-
chat, chez qui la doxorubicine présente une toxicité rénale mique/cérébral serait-il moindre en cas d’énucléation ? La
spécifique [1]. Des monochimiothérapies existent égale- réponse rapide et complète au traitement a, dans ce cas,
ment (doxorubicine, lomustine, vincristine). La balance donné envie aux propriétaires de conserver l’œil, mais il
risque—bénéfice dans la prise en charge anticancéreuse ne peut être totalement exclu, que ce dernier soit un foyer
(effets secondaires/efficacité) est importante à considérer primaire de propagation tumorale dans le futur. Les données
chez le chat et son évaluation attentive peut conduire à la scientifiques manquent pour une prise de décision argumen-
mise en place de protocoles originaux ayant comme objec- tée, au même titre que pour le mélanome intraoculaire
tif premier le confort de vie de l’animal. Par exemple, où aucune publication n’établit formellement le caractère

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bénéfique de l’énucléation précoce sur le risque de méta- [9] Couto G, Moreno N. Tumeurs specifiques. In: Couto G, Moreno
stase [1]. N, editors. Guide pratique d’oncologie du chien et du chat.
Paris: Med’com; 2014. p. 79—87.
[10] Stiles J. Foundations of clinical ophthalmology: ocular inflam-
mation. In: Gelatt KN, Gilger BC, Kern TJ, editors. Veterinary
Conclusion ophthalmology, Vol. 2, 5th ed. Oxford, UK: Wiley-Blackwell;
2013. p. 444—7.
Outre le diagnostic, l’originalité de ce cas réside dans sa
[11] Kamstock DA, Russell DS, Powers BE. The pathology of neo-
prise en charge. plasia. In: Vail DM, Thamm DH, editors. Small animal clinical
En effet, il a fallu tenir compte du refus d’énucléer oncology. 6th ed. St. Louis, Missouri: Elsevier Saunders; 2020.
(et donc de l’absence de diagnostic de certitude), des p. 61—75.
contraintes financières et de la disponibilité du proprié- [12] Fan TM. Lymphoma updates. Vet Clin North Am Small Anim
taire, tout en gardant en tête l’objectif premier : préserver Pract 2003;33(3):455—71.
la qualité de vie de l’animal le plus longtemps possible. [13] Ota-Kuroki J, Ragsdale JM, Bawa B, Wakamatsu N, Kuroki
L’oncologie « adaptative » est une notion capitale à inté- K. Intraocular and periocular lymphoma in dogs and cats: a
grer, au cas par cas, dans la prise en charge carcinologique retrospective review of 21 cases (2001—2012). Vet Ophthalmol
2014;17(6):389—96.
des animaux de compagnie et peut nous amener à pres-
[14] Giordano C, Giudice C, Bellino C, Borrelli A, D’Angelo A, Gia-
crire des traitements originaux afin d’accompagner dans
nella P. A case of oculo-cerebral B cell lymphoma in a cat. Vet
le temps nos patients et leurs propriétaires. À l’instar Ophthalmol 2013;16(1):77—81.
de la médecine humaine et afin de répondre à une [15] Grahn BH, Peiffer RL, Cullen CL, Haines DM. Classification
demande grandissante des propriétaires d’être le moins of feline intraocular neoplasms based on morphology, his-
invasif possible dans la prise en charge oncologique de leur tochemical staining, and immunohistochemical labeling. Vet
animal, il est également possible de faire appel au concept Ophthalmol 2006;9(6):395—403.
d’oncologie « intégrative ». Ce concept mêle aujourd’hui [16] Wiggans KT, Skorupski KA, Reilly CM, Frazier SA, Dubielzig RR,
des approches conventionnelles et non conventionnelles, Maggs DJ. Presumed solitary intraocular or conjunctival lym-
comme l’acuponcture, la phytothérapie et l’ostéopathie phoma in dogs and cats: 9 cases (1985—2013). J Am Vet Med
Assoc 2014;244(4):460—70.
dans le but de maintenir la qualité de vie de l’animal et nous
[17] Malmberg JL, Garcia T, Dubielzig RR, Ehrhart EJ. Canine and
permet d’offrir un accompagnement médical ou paramédi-
feline retinal lymphoma: a retrospective review of 12 cases.
cal non négligeable respectant les volontés des propriétaires Vet Ophthalmol 2017;20(1):73—8.
[34]. Le suivi de l’efficacité de nos choix thérapeutiques est [18] Musciano AR, Lanza MR, Dubielzig RR, Teixeira LBC, Durham AC.
évidemment indispensable afin de les justifier. Clinical and histopathological classification of feline intraocu-
lar lymphoma. Vet Ophthalmol 2020;23(1):77—89.
[19] Lanza MR, Musciano AM, Dubielzig RR, Durham AC. Clinical and
Déclaration de liens d’intérêts pathological classification of canine intraocular lymphoma. Vet
Ophthalmol 2018;21:167—73.
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. [20] Levasseur SD, Wittenberg LA, White VA. Vitreoretinal lym-
phoma: a 20-year review of incidence, clinical and cyto-
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