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Le roman policier norvégien dans le contexte scandinave

hier et aujourd'hui
Hans H. Skei, Traduit de l’anglais par François Muller
Dans Études Germaniques 2010/4 (n° 260) , pages 721 à 737
Éditions Klincksieck
ISSN 0014-2115
ISBN 9782252037591
DOI 10.3917/eger.260.0721
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Études Germaniques 65 (2010), 4, p. 721-737

Hans H. SKEI ∗

Le roman policier norvégien dans le contexte scandinave


hier et aujourd’hui

In this essay I offer a brief introduction to Scandinavian crime writing, with heavy
emphasis on the last couple of decades, before I move on to a brief and very general
survey of Norwegian crime fiction from its beginning to the mid-1970s. Most attention
is, however, given to contemporary Norwegian crime writing.

Denne artikkelen er en kort innføring i skandinavisk kriminallitteratur, med


sterk vekt på de siste par tiårene, før den gir en kort og svært generell oversikt over
norsk kriminallitteratur fra begynnelsen til midt på 1970-tallet. Mest oppmerksom-
het får den nyeste norske krimlitteraturen.

Dans cet article, je commencerai par présenter brièvement la littéra-


ture policière des pays scandinaves, en me concentrant plus particuliè-
rement sur les deux dernières décennies. Je donnerai ensuite un aperçu
très général du roman policier en Norvège depuis ses débuts jusqu’au
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milieu des années 1970, et je m’attarderai surtout sur le polar norvé-
gien contemporain, à propos duquel je n’hésite pas à désigner les dix-
quinze dernières années comme étant l’âge d’or du roman policier, du
roman d’aventure et du thriller norvégiens. Non seulement le nombre
d’ouvrages publiés dans une année moyenne est plus élevé qu’il ne l’a
jamais été, mais ces ouvrages sont l’œuvre d’écrivains professionnels,
ils sont souvent de très grande qualité et se vendent si bien qu’ils pour-
raient constituer une menace pour le roman « sérieux». Par ailleurs, les
romans policiers norvégiens sont traduits en de nombreuses langues,
ils ont été favorablement accueillis par la critique et sont devenus des
bestsellers dans des pays tels que l’Allemagne, la France, et récemment
dans le monde anglo-saxon.

* Hans H. SKEI est professeur de littérature comparée, traducteur, critique littéraire, pré-
sident du Club Riverton depuis 2008, ILOS, Oslo universitet, Postboks 1003 Blindern,
NO-0315 OSLO ; courriel : h.h.skei@ilos.uio.no.

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722 LE ROMAN POLICIER NORVÉGIEN

Perspectives en Scandinavie

Il est pratiquement impossible de comparer ou de distinguer les


longues traditions des littératures policière et criminelle des différents
pays scandinaves. En effet la littérature populaire ne laisse pas de tra-
ces particulières dans l’histoire culturelle ou littéraire et ces ouvrages,
ainsi que leurs auteurs, sont généralement vite oubliés. Par ailleurs on
ne saurait affirmer dans quelle mesure les différents pays s’inspirent les
uns des autres ou s’influencent les uns les autres. En revanche, on peut
se pencher sur les développements récents qu’ont connus nos pays pour
déterminer s’il existe des dénominateurs communs ayant contribué au
grand succès du roman policier scandinave, aussi bien chez nous qu’à
l’étranger. Depuis Sjöwall et Wahlöö et leur « roman d’un crime » en dix
volumes, il y a plusieurs décennies, les romans policiers suédois ont joui
d’une audience internationale. C’est justement là que l’essor du roman à
énigme et du roman à suspense norvégiens a vraisemblablement trouvé
l’essentiel de sa motivation et de son inspiration. L’Islande n’avait rien
de tel jusqu’au milieu des années 1990, mais avec Arnaldur Indridason,
elle s’est découvert un auteur très talentueux de renommée internatio-
nale. Les ouvrages finlandais dans ce domaine ne sont presque jamais
traduits et restent de ce fait inaccessibles aux lecteurs des pays voisins.
Quant aux romans policiers danois, ils n’ont pas connu le même succès
international que ceux publiés en Suède et en Norvège, mais les Danois
ont néanmoins apporté leur contribution à ce genre d’une autre manière,
à savoir par d’excellentes séries et films pour la télévision.
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Il serait certes possible de citer différents courants, ainsi que des
noms, et de reconnaître, pour chaque pays, des périodes au cours des-
quelles la littérature policière a atteint des sommets, mais il semble plus
raisonnable de limiter notre investigation au roman policier de ces der-
nières années. Il y a de nombreuses raisons pour procéder de la sorte. Il
faut signaler tout d’abord que, ces dernières années, les contacts ont été
plus étroits entre les auteurs, les critiques et les associations nationa-
les d’auteurs, surtout depuis que l’Association Scandinave des Auteurs
de Romans Policiers (Skandinaviska kriminalsällskapet) a été créée en
1991. Le nombre des traductions de la plupart des grands romans poli-
ciers norvégiens en suédois (et inversement) s’est considérablement
accru, et désormais on trouve aussi sur les rayons des librairies des pays
respectifs le meilleur de la production danoise et islandaise traduite
en suédois et en norvégien. Il semble qu’il y ait une influence mutuelle
ou réciproque parmi les auteurs de romans policiers, et les différences
nationales ne sont probablement plus aussi importantes qu’elles
l’étaient autrefois. Cela n’a rien d’étonnant dans un genre littéraire qui
est, somme toute, très stéréotypé, et même si certains auteurs s’effor-
cent d’en étendre les limites et d’en pallier les insuffisances, la plupart
des romans policiers scandinaves ne transgressent pas les frontières du
genre, du moins si l’on ne définit pas ce genre de façon trop rigide.

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Durant les deux ou trois dernières décennies, la fiction policière


scandinave a connu un développement sans précédent en volume, en
qualité et en popularité. C’est peut-être une erreur de rechercher des
éléments qui pourraient d’une façon ou d’une autre caractériser, voire
définir la fiction criminelle scandinave. Il n’en demeure pas moins que
l’énorme intérêt que rencontre cette production littéraire à l’étranger
— de Sjöwall et Wahlöö à Henning Mankell, Håkan Nesser, Jo Nesbø,
Unni Lindell, Karin Fossum jusqu’à Stieg Larsson — peut nous orien-
ter dans la bonne direction : les lecteurs trouvent à ces romans un trait
commun qui n’est pas nécessairement le scénario criminel lui-même ou
la manière de l’élucider. On peut risquer une hypothèse : les lecteurs
étrangers trouvent dans ces livres quelque chose d’exotique, et cet exo-
tisme peut à son tour être mis en relation avec leur réalisme et leur
prise de conscience des phénomènes sociaux, qui viennent s’ajouter aux
descriptions des paysages et des modes de vie.
Quelle est la nature de la relation entre ces romans scandinaves
modernes et les deux grandes traditions du genre : le roman d’enquête
et le roman « dur à cuire » (hardboiled) ? De nos jours, on ne peut plus
s’attendre à rencontrer un détective qui résout un crime par son intui-
tion ou par ses dons d’analyse d’une extrême subtilité. Pourtant il serait
erroné d’affirmer que l’on ne retrouve plus, dans les scénarios criminels,
des enquêtes qui aboutissent sur la base d’indices, d’infimes pièces à
conviction ou grâce à un solide sens déductif et une grande vivacité
d’esprit. Les romans policiers traditionnels ont dominé en Scandinavie
jusque dans les années 1960 et ils survivent dans des livres où ce sont
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des officiers de police qui mènent l’enquête et où les meurtres sont
commis par des psychopathes ou des sociopathes. Des éléments du
roman policier traditionnel continuent à être utilisés par de brillants
auteurs — Hammett, Chandler, MacDonald — dans des fictions crimi-
nelles qui s’en tiennent aux règles formelles de base, et où l’enquête, au
centre de la narration, est menée par des officiers de police. Le roman
scandinave peut avoir un ou deux policiers comme personnages princi-
paux, et d’autres fonctionnaires de police du même district ou du même
quartier peuvent leur donner un coup de main, mais il faut noter que
l’on n’a que très rarement affaire à des romans de procédure policière
dans la tradition d’Ed McBain. Il faut aussi remarquer que dans les
romans policiers scandinaves les enquêteurs privés sont peu nombreux
et que rares sont les récits à la première personne où le narrateur est
aussi celui qui mène l’enquête. On ne trouve par conséquent presque
pas d’exemples du genre hardboiled sous sa forme la plus pure. Les
héros sont tout aussi faillibles qu’auparavant, et leur faiblesse peut
être révélée de façon plus spectaculaire encore ; pourtant le système
lui-même au sein duquel ils opèrent les aide à résoudre les crimes et à
avoir le dernier mot.
Pour résumer, le roman policier scandinave est un mélange d’un
grand nombre de genres et de traditions, une forme hybride qui a connu

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un grand succès. Les enquêtes sur toutes sortes de crimes constituent


toujours le cœur de ces œuvres, et si l’on met à part une quantité impor-
tante de livres qui reculent les limites du genre et où subsiste un doute
sur l’identité du coupable, la plupart des affaires criminelles sont réso-
lues, les motifs et les intentions sont expliqués — même si en fin de
compte le lecteur reste sur l’impression qu’il vit dans un monde dange-
reux dans lequel le crime ne connaîtra jamais de fin.
On peut dès lors se demander si, dans cette forme hybride, il existe
quelque chose qu’on pourrait considérer comme un dénominateur
commun du roman policier scandinave de ces dernières années. Les
livres, les crimes et leur élucidation sont si variés et si différents qu’il est
impossible d’utiliser cette éventuelle similitude pour le caractériser. On
pourrait dire que la vie privée et toutes sortes de problèmes domesti-
ques constituent une valeur sûre dans la plupart de ces livres et que les
romans policiers, sur une période assez longue, reflètent généralement
plus ou moins fidèlement les changements qui affectent une société. On
ne trouve pas beaucoup de critique sociale comparable à celle qu’on a
largement connue dans les années 1970, quand certains romans poli-
ciers prirent une tournure politique, mais on trouve effectivement des
descriptions superficielles, entachées de préjugés et plutôt anodines de
la société dans laquelle sont commis ces crimes. Cela n’a toutefois rien
de surprenant dans ce genre littéraire à la fois populaire et stéréotypé,
et on n’a aucune raison de s’en offusquer. Et pourtant il est hors de
doute que le roman policier scandinave sérieux fait fond, dans une plus
large mesure que son homologue britannique ou américain, sur les des-
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criptions et même sur la critique de la société où se commettent ces
crimes ; il n’aborde pas nécessairement des problèmes ni ne critique la
façon dont est organisée la société, mais il décrit les crimes en termes
réalistes sur un arrière-fond qui, d’une façon ou d’une autre, reflète les
problèmes et les défis de nos sociétés à l’époque à laquelle ces livres
ont été écrits. C’est ce qui explique que nombre de ces romans sont
politiquement corrects et que certains auteurs pensent même pouvoir
améliorer la société à travers le roman policier. Malheureusement les
centaines de milliers de lecteurs qui adorent ces livres les lisent proba-
blement pour les sensations fortes et les plaisirs qu’ils leur procurent et
non pour qu’ils leur ouvrent l’esprit.
Quelques critiques ont affirmé que le roman policier scandinave
porte toujours sur des problèmes sociaux et que les enquêteurs eux-
mêmes, hommes ou femmes, officiers de police pour la plupart, sont
excessivement inquiets et témoignent d’un intérêt social, voire existen-
tiel qui ne fait que compliquer leur travail. Au lieu d’admettre sans état
d’âme ou même cyniquement qu’ils doivent déambuler dans les rues
minables de la ville et faire le sale boulot, ils se préoccupent de leur pro-
pre rôle, hésitent, ont des doutes, et ce même au beau milieu d’enquêtes
en cours. Certains d’entre eux se tournent vers l’alcool, d’autres devien-
nent cyniques, mais dans leur for intérieur subsiste toujours un solide

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sens du devoir, ainsi qu’une volonté de faire ce qu’il faut pour ne pas
sombrer.
Bon nombre des meilleurs romans policiers scandinaves ont une
dette envers Sjöwall et Wahlöö, pour le meilleur et pour le pire. Des
convictions idéologiques, de longs développements sur la vie privée
des officiers de police, les soucis, la maladie et la crainte pour ceux que
l’on aime : tout cela a pu contribuer à ce que l’on appelle « le polar à
ulcères » dans la fiction criminelle, en référence aux perturbations de
Martin Beck dans la série en dix volumes de Sjöwall et Walhöö. Mais
ces romans ont aussi montré aux auteurs scandinaves que notre héritage
commun, nos valeurs communes, notre regard jeté sur le monde peu-
vent apporter quelque chose de nouveau, de sérieux et d’important à un
genre populaire qui a surtout produit une littérature de divertissement.
Les « valeurs scandinaves » : l’Etat-providence, la sécurité sociale, les
avantages sociaux, l’intérêt porté aux personnes seules et défavorisées,
même les questions environnementales et les prétendues valeurs vertes
sont parvenues à s’introduire dans les scénarios des romans policiers.
En fin de compte, le point le plus important, c’est qu’à partir du milieu
des années 70 un grand nombre d’auteurs talentueux se sont tournés
vers le roman policier et ont décidé de poursuivre dans cette voie. Dans
les années 90, ces écrivains, presque tous masculins, furent rejoints par
une nouvelle génération d’écrivains féminins doués et volontaires, qui
ont contribué à la très grande qualité et au prestige du roman policier
scandinave après le tournant du siècle.
Le fait que dans la littérature scandinave nous avons au moins
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trois séries en dix volumes, voire davantage, avec les mêmes inspec-
teurs de police, pourrait être considéré comme la preuve absolue de
l’influence de Sjöwall et de Wahlöö. Mais il faut également se rappeler
que presque tous nos auteurs ont choisi de recourir à des personnages
que l’on retrouve tout au long de la série, et c’est ainsi que d’un roman
à l’autre réapparaissent des héros pour élucider des crimes, des héros
qui se développent, vieillissent, emmènent leurs progénitures au jar-
din d’enfants, divorcent et se remarient, sont alcooliques, et combat-
tent aussi bien leurs propres démons que des criminels sans scrupules.
Une part de la fascination qu’exercent ces œuvres est manifestement
liée à ces personnages que les lecteurs suivent d’un roman à l’autre —
Kurt Wallander, van Veeteren, Cato Isaksen, Harry Hole, ou Erlendur
Sveinsson, pour n’en nommer que quelques-uns de ceux qui figurent
sur la longue liste des inspecteurs populaires très compétents du roman
policier des dernières années.
Le roman policier scandinave est évidemment perçu, dans ce que
j’ai expliqué ci-dessus, avec un parti pris norvégien. Mais je pense effec-
tivement que tous ces romans ont quelque chose en commun, qui les
distingue des ouvrages d’autres pays. Avec tant d’excellents auteurs et
tant de livres, les différences sont toutefois probablement plus grandes

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encore que les ressemblances. Le succès international qu’ont connu


tous ces auteurs scandinaves de ces dernières années — avec au som-
met la trilogie de Stieg Larsson — est peut-être la preuve indéniable
que le roman policier suédois et norvégien se trouvent actuellement à
un niveau jamais atteint auparavant.
Ce succès n’est pas sans rapport avec l’augmentation du nombre de
traductions entre les pays scandinaves, et il ne faut pas oublier non plus
que beaucoup de ces livres sont devenus des séries télévisées et même
des films. Par ailleurs, la coopération au sein de la SKS avec un prix
annuel pour le meilleur ouvrage, a également joué un rôle important.
Non pas que cette coopération ait amélioré l’écriture en soi, mais elle
a conduit à une plus grande interaction entre les auteurs eux-mêmes.
Cette énorme popularité signifie aussi que les auteurs d’un pays sont
invités à se rendre dans les autres pays où ils font la promotion de leurs
ouvrages et participent à des discussions et à des débats.
Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, le Danemark semble
être actuellement dans une situation différente de la Norvège ou de la
Suède, mais je laisse à mes collègues danois le soin de présenter la situa-
tion de leur pays et je me tourne maintenant vers la production spécifi-
quement norvégienne. Je donnerai un bref résumé de son histoire, puis
je me concentrerai — là encore — sur les dernières décennies.

Le roman policier norvégien : la tradition


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Bien qu’il soit tentant de chercher les origines du roman policier
norvégien dans un roman de 1840 Mordet paa maskinbygger Roolfsen
(Le meurtre du constructeur de machine Roolfsen) de Mauritz Hansen,
il serait probablement plus juste de dire que c’est dans les premières
décennies du vingtième siècle que le roman policier est devenu ce qu’il
est aujourd’hui, c’est-à-dire une manière d’écrire et un genre propre,
et ce grâce à Sven Elvestad, plus connu de nos jours sous son nom
de plume Stein Riverton. L’Association norvégienne des auteurs de
romans policiers s’appelle « le Club Riverton », ses meilleurs romans
sont des œuvres remarquables qui valent toujours la peine d’être lues,
ne serait-ce que parce que dans ces romans sont apparus pour la pre-
mière fois — très en avance sur leur temps — les détectives, l’intrigue
et les élucidations qui ont recours à ces objets de la modernité que sont
les trains, les avions et l’électricité. Bien plus : inspirés probablement
par l’un ou l’autre des récits de Conan Doyle avec Sherlock Holmes,
les récits et les romans de Riverton, qui paraissaient sous forme de
feuilletons dans les journaux avant d’être publiés comme livres, ont
introduit quelques détectives qui ont changé et se sont développés au
fil du temps, mais qui constituaient des personnages fiables auxquels
les lecteurs prenaient un vif intérêt. L’un de ces détectives, Knut Gribb,

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devint le personnage principal dans les romans du magazine Detektiv-


Magasinet, publiés de 1929 à 1964, et ce détective, le plus célèbre de
tous les détectives littéraires de Norvège, a poursuivi sa carrière dans
de nombreuses réimpressions et même dans des nouvelles et des récits
plus récents plus de cinquante ans après la mort de son créateur, décédé
en 1933 à l’âge de cinquante ans. D’une certaine façon, Stein Riverton
et ses romans policiers peuvent encore être considérés de nos jours
comme l’un des éléments les plus marquants dans l’histoire du roman
policier norvégien. Il est certes possible d’identifier une tradition pres-
que insignifiante avant qu’il n’entre en scène, mais il est plus raison-
nable de dire que tout ne commence qu’avec lui.
Stein Riverton a été le premier auteur norvégien à voir ses romans
traduits en de nombreuses langues. Il a longtemps séjourné en Suède
où il a créé un atelier d’écriture, publiant de la littérature populaire
pour le marché de masse de l’époque. Il a écrit environ une centaine de
fictions policières, dont un petit nombre, qui ont la même longueur que
des romans, sont très supérieurs aux autres par leur caractérisation, leur
intrigue et leur suspense, avec un sens particulier pour ce qui est mena-
çant ou sinistre. Jernvognen (Le Char de fer, 1909), paru en anglais sous
le titre The Iron Chariot ou The Iron Wagon, en est de loin le meilleur,
et il devrait être considéré comme une œuvre fondatrice pour ce genre
de roman au niveau mondial. Riverton a affirmé un jour que le roman
policier était fait pour l’ère des machines et des avions, et il est vrai
que c’est sur les derniers développements scientifiques et technologi-
ques que reposent le crime et le mystère quand le progrès est usurpé
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par des forces maléfiques. Riverton a délibérément essayé de créer la
même atmosphère sinistre que dans Le Chien des Baskerville, et il y
est parvenu en renouvelant de manière inattendue la vieille astuce qui
consiste à faire de la personne qui est la moins suspecte le meurtrier.1
Bien que des centaines de romans policiers aient été écrits pendant
la première moitié du vingtième siècle en Norvège — souvent mani-
festement influencés par des auteurs britanniques, qui ont dominé le
« roman-puzzle » — il y a peu de titres qui sortent vraiment du lot
pendant cette période. On a écrit des livres, ils furent lus et oubliés,
et comme la littérature populaire n’a pas vraiment ses propres institu-
tions, contrairement à l’histoire littéraire, qui est régulièrement révisée
et mise à jour, seuls les spécialistes ont gardé la trace de ces livres et
de leur évolution. Avec le recul du temps, des dizaines d’années plus
tard, on peut peut-être affirmer qu’un petit nombre de romans fort bien
écrits font toujours partie de l’héritage ou de la tradition. Tous ceux
qui s’intéressent à l’histoire du roman policier norvégien s’entendent
pour dire que quelques rares livres publiés avant 1950 sont au même

1. Agatha Christie utilisa la même astuce dix-sept ans plus tard.

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niveau que Jernvognen et méritent de passer à la postérité, et dans ce


petit nombre on cite presque immanquablement une œuvre du poète
André Bjerke, publiée sous son nom de plume Bernhard Borge : De
dødes tjern (Le lac des morts, 1942), ainsi que Historien om Gottlob
(L’histoire de Gottlob, 1941), de Torolf Elster. Signalons que le nombre
de romans policiers publiés pendant les cinq années de l’occupation
allemande est plus important que pendant la période précédente, et
bien plus important encore si on le compare avec la production infime
des décennies de l’après-guerre. On se contentera de rappeler ici que
le livre d’Elster est un thriller expérimental et psychologique, qui nous
permet, à nous lecteurs, de reconstituer patiemment le puzzle d’une his-
toire cohérente qui mêle la politique et la finance internationales à la
veille de la Seconde Guerre mondiale. Il faut signaler aussi qu’André
Bjerke a fait ses débuts en 1941 avec Nattmennesket (L’homme de la
nuit), et que dans tous ses récits d’élucidation il a recours à la psycha-
nalyse freudienne, en y incluant l’interprétation des rêves, ainsi que la
connaissance intime de la plupart des personnages qu’a son héros, Kai
Bugge, un psychologue et limier amateur. Ces livres apportent aussi
la preuve que Bjerke s’intéressait vivement et croyait profondément
aux phénomènes occultes et surnaturels, qui créent une atmosphère de
crainte et d’appréhension. On y trouve aussi des commentaires sur le
genre lui-même et ses possibilités, car il considère que le roman poli-
cier est l’une des formes les plus précieuses et les plus significatives de
toutes les formes littéraires.
Entre 1950 et 1970, il est difficile de trouver un ou plusieurs livres
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vraiment exceptionnels ou dont on pourrait dire qu’ils font partie du
« canon ». Cela ne signifie pas pour autant que pendant cette période
on n’ait pas écrit ni publié de romans policiers, mais face à la sérieuse
concurrence des livres traduits, le nombre des nouvelles publications
norvégiennes est tombé très bas : quelques livres seulement par an.
Dans une histoire détaillée du roman policier norvégien, il faudrait par-
ler de ces livres, les présenter, les évaluer par rapport au canon du genre
et par rapport à l’évolution historique. Mais dans cette vue d’ensemble,
je ne mentionnerai qu’un seul ouvrage de cette période, à savoir Stille
som i graven de Gerd Nyquist (Silencieux comme dans la tombe, 1966).
Gerd Nyquist peut légitimement être considérée comme la représen-
tante d’un groupe assez important d’auteurs femmes qui s’inscrivent
toutes dans la tradition héritée d’Agatha Christie, où un meurtre est
commis, où il fait l’objet d’une enquête pour être finalement élucidé
avec une grande ingéniosité dans un roman presque universitaire ou
littéraire qui décrit un milieu où tout le monde fait partie de la classe
moyenne, voire de la grande bourgeoisie. Pour Willy Dahl, l’un des his-
toriens du roman policier norvégien, ce roman marque aussi la fin de
cette tradition en Norvège. Il estime en outre que la politique et la cri-
tique sociale prennent désormais de l’importance, en même temps que
le thriller international et l’espionnage font leur entrée dans le roman

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policier. C’est probablement vrai, mais seule une poignée de livres de


cette sorte fut publiée dans la décennie suivante, et surtout, un nouveau
changement, beaucoup plus spectaculaire, eut lieu au milieu des années
1970. La situation s’améliora sur toute la ligne : des publications plus
nombreuses, de meilleure qualité, de nouveaux sujets, des énigmes plus
élaborées, des détectives et des enquêteurs plus intéressants. L’influence
de la tradition du polar hardboiled est évidente, tout comme l’influence
du roman policier classique. Pour un certain nombre d’écrivains, le
genre créé par Hammett et Chandler semblait être le plus efficace de
tous les genres si l’on voulait critiquer la société et s’efforcer de la chan-
ger. Même la politique radicale parvint à prendre pied dans ce genre
populaire, bien que l’idée qu’elle puisse changer le lecteur — et donc
aussi le monde — fût rapidement oubliée. Depuis, la fiction criminelle
a eu « pignon sur rue » et son développement et ses progrès de 1975 à
nos jours sont tout à fait remarquables. Nous allons maintenant exami-
ner de plus près ses deux différentes phases, et nous allons voir s’il est
possible de trouver les raisons ou les causes, institutionnelles ou autres,
qui expliqueraient ce changement spectaculaire.

Première phase : 1975 - 1990

Ce ne fut peut-être ni important ni décisif, mais l’Association des


auteurs de romans politiciens norvégiens Rivertonklubben fut créée en
1972, et sa finalité était manifestement d’œuvrer à l’amélioration du
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roman policier norvégien. En 1972 parurent quatre romans mêlant le
crime et le suspense, mais seul l’un d’eux pouvait être qualifié de roman
« criminel », à condition toutefois de considérer l’enquête, l’investiga-
tion et l’élucidation d’un mystère comme les ingrédients indispensables
du genre. Quelques années plus tard, les progrès étaient réels. En plus
du bon travail de l’Association et de ses membres, une des raisons qui
expliquent ce succès fut la sélection réfléchie et réussie de romans tra-
duits et publiés en livres de poche par notre plus importante maison
d’édition, qui créa pour ce faire une nouvelle collection : Den svarte
serie (La Série Noire). Celle-ci ne tarda pas à publier des romans nor-
végiens, ainsi que des ouvrages considérés à l’époque comme politi-
quement radicaux, car ils critiquaient la société et le système politique.
La publication de l’ensemble des dix volumes du « roman du crime »
de Sjöwall et Wahlöö dans la Série Noire fut une preuve éclatante de
l’usage du roman policier que pouvaient faire des écrivains talentueux
ayant un programme politique. Les deux Suédois se sont sans conteste
inspirés d’écrivains aussi différents que Simenon et Ed McBain, et le
fait qu’ils ont écrit des romans policiers et qu’ils sont devenus de plus
en plus critiques envers l’État-providence suédois au fur et à mesure
que se développait la série peut être considéré comme le facteur-clé
pour le renouveau du genre. En l’espace de quelques années la scène

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730 LE ROMAN POLICIER NORVÉGIEN

toute entière de cette littérature en Norvège allait changer. Peu après,


la Série Noire publia un vieux roman noir norvégien très particulier
Mitt navn er Knoph (Mon nom est Knoph), datant de 1918, et dont
l’auteur était l’un de nos plus grands poètes, Olaf Bull. André Bjerke
— déjà cité, qui publiait ses romans policiers sous le pseudonyme de
Bernhard Borge — en rédigea la présentation. Plus important encore :
Tor Edvin Dahl publia un polar d’enquête, Etterforskning pågår (Une
enquête est en cours), véritable réplique norvégienne au couple sué-
dois. Par la suite, Dahl écrivit une série de romans saisissants, mais
assez simples. Rétrospectivement, et maintenant que les inspecteurs de
police de toutes sortes dominent le roman policier norvégien depuis
les années 1980, l’importance de ces romans précurseurs ne devrait pas
être sous-estimée.
Un autre facteur, certes mineur, mais significatif, fut l’annonce d’un
concours pour l’année 1973, probablement pour voir s’il était possible
d’inclure des ouvrages norvégiens dans la Série Noire. En 1975 les trois
meilleurs livres ayant participé à la compétition furent effectivement
publiés dans la Série Noire. Deux de ces livres sont aujourd’hui plus ou
moins tombés dans l’oubli, mais l’auteur qui a remporté le deuxième
prix est devenu l’un des meilleurs, et aussi le plus productif et le plus
respecté de tous les auteurs norvégiens contemporains de romans poli-
ciers : Gunnar Staalesen. Il a fait ses débuts avec ce livre, Rygg i rand, to
i spann,2 où apparaissent pour la première fois les inspecteurs Dumbo
et Maskefjes. Ils ont été créés sur le modèle de policiers rustres qui
patrouillent ensemble dans un grand nombre de romans d’Ed Mc Bain
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et de certains de Sjöwall et Wahlöö. Ils figurent aussi dans deux autres
livres. Mais la plus belle réussite de Staalesen débuta en 1977 quand il
introduisit son détective privé Varg Veum dans Bukken til havresek-
ken (Le Loup dans la bergerie) ; ce roman fut suivi en 1979 par l’un
des meilleurs livres dans ce qui est devenu aujourd’hui une très lon-
gue série ayant Varg pour héros : Din, til døden (Pour le meilleur et
pour le pire). Bien que Staalesen soit presque le seul à mettre en scène
un détective privé qui raconte à la première personne les histoires de
crime et leur élucidation, le simple fait qu’il soit parvenu à transplanter
dans une petite ville norvégienne ce héros américain — pour lequel
Philip Marlowe de Chandler a servi de modèle — est tout à fait remar-
quable. Varg Veum est ainsi un personnage très littéraire qui agit dans
les limites et en fonction des contraintes des stéréotypes du roman noir,
mais en même temps, son comportement diffère de celui de ses rus-
tres de prédécesseurs. Il sait que quelqu’un doit faire « le sale boulot »
quand la police ne le fait pas, et il sait aussi que cela demande une
grande intégrité et un sens moral élevé.

2. Titre intraduisible. Il reprend deux vers d’une comptine du style « Am, stram,
gram... »

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ÉTUDES GERMANIQUES, OCTOBRE-DÉCEMBRE 2010 731

Un petit nombre d’auteurs norvégiens se manifestèrent à peu près à


la même époque, et pendant de longues années ils furent à peu près les
seuls à n’écrire que des romans policiers. Gunnar Staalesen fut rejoint par
Jon Michelet et Fredrik Skagen, et nous avons déjà mentionné E. Dahl,
encore que ce dernier ait continué sa carrière d’écrivain « sérieux » et
n’ait publié ces dernières années que peu de romans policiers. D’autres
auteurs ont connu des succès éphémères, mais ceux qui avaient débuté
leur carrière à la fin des années 1970 ont été rejoints un peu plus tard
par une foule d’écrivains, hommes ou femmes, qui ont amené le roman
policier norvégien à des niveaux jamais atteints jusque-là.
Un événement décisif se produisit à peu près à cette même époque.
Tout à coup, l’intérêt des auteurs de romans policiers s’était déplacé : ils
abandonnèrent les histoires énigmatiques de détectives pour se tourner
vers des récits centrés sur des actes criminels, récits qui décrivaient les
problèmes induits par les changements sociaux. Cette nouvelle orien-
tation était accompagnée d’une critique explicite d’une évolution qu’ils
n’appréciaient pas. Les héros de la plupart de ces nouveaux livres sont
des inspecteurs de police. Mais on assista aussi à un renouvellement
dans la rédaction des thrillers et des récits d’aventures, centrés cette
fois sur les provocations, les menaces et le suspense.
Il faudrait citer ici beaucoup de noms et beaucoup de livres, mais
avec le recul il est peut-être préférable de se limiter aux personnages
des séries ou aux « héros » que les auteurs norvégiens ont créés entre
1975 et 1990. Les écrivains qui dominent cette période sont ceux qui ont
publié régulièrement et qui mettent en scène le même personnage, bien
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que l’on trouve aussi de nombreux livres publiés par d’autres auteurs
qui ne font que des incursions occasionnelles dans ce genre littéraire.
Nous avons déjà mentionné l’étonnant détective privé du Bergen de
Staalesen, Varg Veum. On pourrait citer également Vilhelm Thygesen
de Jon Michelet, un policier tout à fait intéressant, avec une carrière
mouvementée, qui connut un grand succès aux alentours des années
1980 avant de réapparaître dans un très bon roman deux décennies plus
tard. Anders Reknes, le policier de Tor Edvin Dahl, n’est peut-être pas
le plus mémorable, mais on peut suivre les merveilleuses aventures du
gredin Morten Martens, l’anti-héros de Fredrik Skagen, souvent aux
prises ou travaillant de concert avec Christian Rønnes dans les forces de
police de Trondheim. Dans une série qui réunit jusqu’à dix titres, Gert
Nygårdshaug laissa Frederic Drum démontrer ses capacités d’œnolo-
gue et de cryptologue, tandis que Pål Gerhard Olsen créait Aron Ask
et le faisait travailler dans la même ville que Varg Veum !
La situation changea de façon spectaculaire dans les années 1970,
mais il fallut encore environ une décennie pour que le roman noir
atteigne le niveau de qualité auquel il est parvenu aujourd’hui. Durant
les années 1980 la fiction criminelle, y compris le thriller et les récits
d’aventure, s’imposa auprès des lecteurs, dans les médias et dans les

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732 LE ROMAN POLICIER NORVÉGIEN

institutions littéraires comme un genre supérieur à tous les autres


genres de la littérature populaire. Les critiques se mirent à évoquer un
genre « littéraire criminel », pour bien le distinguer de la production de
masse des livres de poche ou des ouvrages traduits. Rétrospectivement,
on peut dire que les livres des années 1970 et 1980 s’en tiennent aux
règles traditionnelles, ainsi qu’aux stéréotypes tant pour l’enquête que
pour l’élucidation des affaires criminelles. Quand le genre se développa
dans les années 1990 et suivantes, l’expérimentation stylistique et nar-
rative, la multiplicité des points de vue et des voix permirent de créer
suspense et mystification grâce à des moyens nouveaux et surprenants.
Les auteurs de sexe féminin étaient au premier rang, inspirées peut-
être par leurs consœurs comme P. D. James et Minette Walters. Mais,
plus important encore, de nouveaux auteurs créèrent leurs propres
héros ou anti-héros, la plupart étant d’ailleurs des officiers de police, de
sexe masculin ou féminin, et progressivement les investigations furent
menées dans des environnements nouveaux, dans la mesure où ces
enquêteurs devaient souvent se déplacer pour venir en aide aux polices
locales dans l’élucidation des crimes. Le roman policier norvégien est
par conséquent moins cantonné en milieu urbain que ne le veut la tra-
dition qu’il poursuit et développe.

Seconde Phase : Les années 1990 et suivantes — un âge d’or du


roman policier norvégien.
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Les auteurs qui avaient débuté dans les années 1970 ne furent
rejoints que par un petit nombre de nouveaux auteurs qui privilégiaient
comme forme littéraire le roman policier. Au début des années 1990 on
vit apparaître un grand nombre de nouveaux auteurs qui montrèrent
la voie pour les années à venir. Ils faisaient preuve d’une grande assu-
rance, ils savaient écrire et leurs récits se déroulaient dans des villes
qu’ils connaissaient parfaitement pour y avoir grandi ou vécu, et par-
fois même ils expédiaient leurs inspecteurs de police dans les coins et
les recoins les plus reculés du pays. Dans la fiction romanesque, Oslo,
Bergen et Trondheim ont été les scènes d’un plus grand nombre de
crimes que dans la réalité, mais on a aussi trouvé d’ignobles assassins
dans des petites communautés villageoises de l’ensemble du pays. Des
policiers avaient à résoudre des affaires criminelles, quels que soient
les endroits où elles avaient eu lieu, et à quelques exceptions près, ils
n’ont presque pas de concurrents dans le roman policier norvégien
contemporain.
En plus du détective Varg Veum créé par Staalesen, qui poursuivit
son activité dans de nombreux ouvrages jusque dans les années 1990 et
même jusqu’au tournant du siècle, Kjersti Scheen introduisit en 1994
une femme détective privée avec un personnage qui est presque une

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ÉTUDES GERMANIQUES, OCTOBRE-DÉCEMBRE 2010 733

parodie — Margaret Moss — dans Teppefall (Rideau !). En 1996, dans


Gylne tider (Des temps en or), Jan Mehlum mit en scène un avocat, qui
est aussi détective et travaille à Tønsberg, et avec un sens aiguisé de
l’ironie, il lui donna le nom de Svend Foyn, célèbre armateur qui, au
XIXe siècle, était installé dans cette même ville et fut le fondateur de la
chasse à la baleine moderne. Frederic Drum, le héros de Nygårdshaug,
poursuit son ingénieux travail d’élucidation jusqu’en 2006, date à laquelle
fut publié le dixième volume de la série (Rødsonen, La Zone rouge).
L’honnêteté nous oblige à dire ici que presque tous les grands romans
policiers norvégiens centrés sur l’investigation ont pour « héros » des
officiers de police. Parmi eux certains travaillent en étroite collabora-
tion avec un collègue, et il arrive même que nous voyions l’équipe tout
entière au travail ; néanmoins, c’est toujours un seul inspecteur qui a un
rôle aussi essentiel que l’était celui des détectives d’autrefois. Le lecteur
entre souvent dans l’intimité de ces héros, car leur vie privée est décrite
avec davantage de détails que ne l’exige le genre.
Ces héros, qui sont-ils ? Ce sont par exemple Cato Isaksen dans
une série policière d’Unni Lindell, dont le premier volume a paru en
1996 (Slangebæreren, Le porteur de serpent) ; Konrad Sejer, qui appa-
raît dans de nombreux livres de Karin Fossum, le premier publié en
1995 (Evas øye, L’œil d’Eva) ; Knut Moen, dans les romans de Jørgen
Gunnerud, depuis Raymond Isaksens utgang (La sortie de Raymond
Isaksen, 1994) jusqu’à Byen med det store hjertet (La ville au grand
cœur, 2009 ) ; Hanne Wilhelmsen, dans une série de romans d’Anne
Holt ; Harry Hole dans presque tous les romans publiés par Jo Nesbø,
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et dont le premier s’intitule Flaggermusmannen (L’homme chauve-sou-
ris, 1997). On pourrait en citer beaucoup d’autres, mais tournons-nous
maintenant vers les auteurs les plus importants et les meilleurs livres
des années 1990, avant de donner quelques indications sur les courants
et les tendances ultérieurs à l’année 2000. Il est évidemment trop tôt
pour faire un bilan des années les plus récentes. Un recul est nécessaire
si l’on veut se prononcer de manière objective.
Les auteurs talentueux et féconds qui ont commencé leur carrière
dans les années 1970 et 1980 ont bouleversé la façon d’écrire des
romans policiers norvégiens et ils ont posé les fondations de ce que
j’ai appelé un âge d’or, qui a commencé au début des années 1990. De
nouveaux auteurs les ont rejoints et ont contribué de manière signifi-
cative à la vitalité et à la richesse du roman policier norvégien de ces
quinze dernières années. Nous en avons déjà mentionné quelques-
uns. Si nous voulons allonger notre liste, il nous faut commencer par
des auteurs de sexe féminin : Kim Småge, Anne Holt, Unni Lindell,
Karin Fossum, Pernille Rygg et Magnhild Bruheim. Un certain nombre
d’écrivains masculins ont débuté à la même époque, à savoir : Kjell Ola
Dahl, Jørgen Gunnerud, Jo Nesbø, Jan Mehlum et Kurt Aust. Tous ces
auteurs ont dominé la période, bien qu’ils aient été aussi en bonne com-
pagnie avec les écrivains de la génération précédente, ainsi qu’avec les

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734 LE ROMAN POLICIER NORVÉGIEN

nouveaux venus d’après l’an 2000, dont certains ont choisi d’écrire des
thrillers ou encore des romans d’aventure, et ce avec un grand succès.
Les femmes qui ont changé le roman policier norvégien peuvent
être rattachées à une tradition internationale relativement récente.
Sara Paretsky et Sue Grafton sont entrées dans un domaine, ou un
genre, qui était aux alentours des années 1980 exclusivement masculin :
le roman noir ou hardboiled, et elles ont joué un rôle de précurseurs.
P. D. James a prouvé elle aussi que l’investigation et la découverte de
crimes horribles n’étaient pas des tâches réservées aux hommes, et si les
premiers ouvrages publiés par ces femmes ne peuvent être qualifiés de
féministes au sens propre du terme, il n’en demeure pas moins qu’elles
ont mis en scène des femmes dans des situations totalement nouvelles
pour elles. Ce n’est, bien entendu, pas un hasard si Hanne Wilhelmsen,
la policière d’Anne Holt, est lesbienne et entretient une relation sui-
vie avec une autre femme. Kim Småge avait écrit un roman féministe
assez violent et très impressionnant dans les années 1980 — Nattdykk
(Plongée nocturne) — pour lequel elle avait reçu le prix Riverton, bien
qu’il faille considérer ce roman comme plutôt marginal. Par la suite elle
créa une policière crédible et très compétente dans la personne d’An-
nekin Halvorsen, qui élucida à Trondheim des crimes dont certains
avaient été commis par des hommes qui exploitaient et même haïs-
saient les femmes. Le premier roman d’Unni Lindell (Slangebæreren) a
pour cadre un refuge pour femmes battues et violées. Cela ne suffit pas
à prouver que pour la même période les livres écrits par des femmes
ont un programme différent de ceux écrits par des hommes. Cela mon-
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tre plutôt que la critique sociale et la volonté de coller au plus près du
monde tel qu’il est ont une importance réelle, même dans des livres qui
sont de la vraie fiction et restent très près des règles et des stéréotypes
de ce genre littéraire.
Certains s’étonneront peut-être, mais à tort, qu’un grand nombre
d’auteurs féminins choisissent pour héros et pour personnages de leurs
romans des inspecteurs de sexe masculin. En fait, ce choix n’a guère
d’importance, et peut-être serait-il plus judicieux de chercher des poli-
cières dans les romans écrits par des hommes. Quant aux différences de
style ou de stratégies narratives, on ne trouvera pas de variations signi-
ficatives entre les femmes et les hommes. En revanche, on peut détec-
ter chez les auteurs de sexe féminin une tendance générale à écrire
des récits plus compliqués et moins linéaires. Il arrive assez souvent
que le lecteur suive l’assassin jusqu’au moment précis où le crime est
commis, ce qui fait qu’au départ, il en sait plus que la police, qu’il suit
ensuite pas à pas durant sa difficile enquête. Les assassins déséquilibrés,
voire les authentiques psychopathes dépravés augmentent le suspense
ainsi que l’atmosphère d’incertitude et de crainte. Le maître du roman
noir psychologique, qui recourt souvent à des femmes âgées à l’esprit
tordu est Karin Fossum. Elle est à plusieurs égards le meilleur de tous
les auteurs féminins dans cette catégorie et pour cette période, et ce

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ÉTUDES GERMANIQUES, OCTOBRE-DÉCEMBRE 2010 735

non pas parce qu’elle déplace les limites du genre et tente même de le
briser, mais parce qu’elle implique le lecteur à un niveau plus profond
de compréhension, de crainte et d’excitation qu’il n’est d’usage dans
ce genre de littérature. Ses meilleurs livres sont destinés à devenir des
classiques de la fiction criminelle norvégienne, et cela vaut aussi pour
les ouvrages dans lesquels elle sape certaines des conventions essen-
tielles du genre.
La nouvelle génération d’auteurs de polars depuis les années 1990
comprend, à quelques exceptions près, des auteurs prolifiques. La plu-
part d’entre eux ont écrit une demi-douzaine d’ouvrages, voire davan-
tage. En général, ils sont restés fidèles à leurs héros, qu’ils travaillent
seuls ou en équipe, et ils ne sont que rarement passés d’un héros qui a
connu le succès dans une série à un autre. Ainsi les lecteurs se sont fami-
liarisés avec les inspecteurs de police et les livres sont souvent publiés
comme un épisode d’une série où figure tel ou tel détective.
Un certain nombre des auteurs féminins que nous avons mention-
nés ont connu un grand succès international, et même, pour certaines
d’entre elles, dans les pays de langue anglaise. Elles ont très rapidement
conquis un marché chez nos voisins, surtout en Suède, et l’apparition
d’une génération entière de nouveaux talents féminins est effective-
ment à mettre sur le compte de leurs consœurs norvégiennes qui les
avaient précédées. Cependant, il y a un écrivain masculin qui a connu,
tant en Norvège que dans la plupart des pays occidentaux, un succès plus
considérable encore que tous les auteurs femmes réunis, c’est Jo Nesbø.
De Flaggermusmannen (L’homme chauve-souris, 1997) — l’ouvrage a
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reçu à la fois le prix norvégien et scandinave du meilleur roman policier
de l’année — jusqu’à Panserhjerte (Cœur blindé, 2009), tous ses livres
ont connu des tirages élevés et les lecteurs attendent à chaque fois avec
la plus grande impatience de nouvelles aventures, de nouveaux fris-
sons, de nouveaux désarrois de leur héros perturbé et épisodiquement
alcoolique, Harry Hole, et ils veulent voir comment il réussit une nou-
velle fois à s’échapper de justesse. Son chef-d’œuvre est très certaine-
ment Rødstrupe (Rouge-gorge, 2000), qu’un vote populaire a consacré
quelques années après sa publication comme le meilleur polar norvé-
gien de tous les temps. Une autre « canonisation » du même genre, mais
par un jury restreint, a consacré l’ouvrage de Karin Fossum Elskede
Poona (L’épouse indienne, 2000) comme le chef d’œuvre du polar. Il ne
faudrait pas prendre tout cela trop au sérieux, mais l’attribution de ce
prix reste néanmoins un indice de la grande qualité du roman policier
de cette période — une période que je n’hésite pas à considérer comme
l’âge d’or du roman policier norvégien. Peut-être que Rødstrupe est le
roman le plus typique de cette époque. C’est un roman long et com-
plexe. Le narrateur et le rythme de la narration changent souvent, et
il évolue librement entre le temps présent et un passé indispensable à
la compréhension de l’élucidation des crimes. Quant à Elskede Poona,
c’est un mélange heureux et peu courant d’une histoire d’amour et

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736 LE ROMAN POLICIER NORVÉGIEN

d’une enquête criminelle qui se passe dans une petite communauté où


chacun a quelque chose à cacher, ce qui fait qu’à la fin on ne sait pas
vraiment si le coupable est bien la personne arrêtée par la police. Dans
cette affaire, le travail de la police n’est peut-être pas de la meilleure
qualité, mais Konrad Sejer, l’inspecteur que met en scène Fossum, est
le personnage le plus sympathique et le plus fiable de tous les inspec-
teurs de police du polar norvégien actuel. Harry Hole, dans le livre de
Nesbø, est un personnage d’une tout autre trempe. Mais son intuition
et sa capacité d’élucidation sont si grandes qu’elles lui évitent de perdre
son emploi, malgré toutes ses querelles avec ses supérieurs et malgré
ses accès d’alcoolisme. Il semblerait que les lecteurs aient été fascinés
par ce personnage et il peut être considéré à plus d’un titre comme un
mélange inhabituel mais très efficace des héros du roman policier qui
l’ont précédé.
Entre vingt et trente nouveaux polars paraissent chaque année en
Norvège depuis le milieu des années 1990. Ils ont été publiés par de
petites et de grandes maisons d’édition, ils ressemblent à s’y tromper à
des romans ordinaires et ils sont distribués par les mêmes canaux que
la « grande » littérature. Parmi eux, beaucoup ont été désignés « livres
du mois » dans différents clubs de lecture. Les plus populaires d’entre
eux se vendent en Norvège à plus de 200.000 exemplaires, et la plupart
se vendent relativement bien, du moins si on les compare aux romans
ordinaires. Un bon nombre de nouveaux auteurs sont venus au roman
policier après l’an 2000, et certains ont connu un succès immédiat, alors
que pour d’autres, il va falloir attendre qu’ils publient d’autres livres
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pour qu’on sache de quoi ils sont capables. Je n’allongerai pas démesu-
rément la liste, mais je vais tout de même citer quelques auteurs pro-
metteurs. Tom Kristensen a commencé sa carrière avec des thrillers
qui rappellent ceux de John Grisham, mais dans ses meilleurs livres
— Profitøren (Le Profiteur, 2005) — il arrive à utiliser certains aspects
du thriller dans un roman où il est question de crime, d’investigation
et d’élucidation. Knut Faldbakken, qui avait derrière lui une longue
carrière de romancier quand il publia son premier roman policier, a
connu un grand succès avec d’excellents romans situés dans des lieux
qu’il connaissait bien et en mettant en scène la police locale. Les pre-
miers romans de Jorunn Thørring sont également très prometteurs, tout
comme les authentiques romans policiers très saisissants de Jørn Lier
Horst. Jonglant entre différentes formes de thriller et très conscient du
genre qu’il utilisait, Tom Egeland a rencontré un grand succès inter-
national avec ses récits mêlant le suspense, la menace et l’aventure.
Lucifers evangelium (L’évangile de Lucifer, 2009) est un excellent
exemple de ce que l’on peut faire dans un roman d’aventure quand on
y associe des éléments apparentés à la science-fiction.
Il y a davantage de thrillers et de récits d’aventures dans le roman
policier et le roman à suspense norvégiens après l’an 2000 que durant
la décennie précédente, mais le roman policier dans sa forme hybride

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ÉTUDES GERMANIQUES, OCTOBRE-DÉCEMBRE 2010 737

— un mélange qui tient à la fois du roman de procédure policière et du


genre hardboiled mais renferme aussi des éléments du roman de détec-
tive — en est la forme dominante. Il n’y a rien actuellement qui invite
à penser que ce genre puisse beaucoup changer à l’avenir, et cela s’ex-
plique par le fait qu’il s’agit d’une littérature d’un genre très conven-
tionnel et stéréotypé, et que la littérature populaire se répète souvent
quand elle est entourée de succès. Il y a pourtant de bonnes raisons
d’être attentif à ce qui va se passer dans un proche avenir, ne serait-ce
que parce qu’en général un âge d’or ne dure pas éternellement.
(Traduit de l’anglais par François Muller)
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