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Hans H. Skei, Traduit de l’anglais par François Muller
Dans Études Germaniques 2010/4 (n° 260) , pages 721 à 737
Éditions Klincksieck
ISSN 0014-2115
ISBN 9782252037591
DOI 10.3917/eger.260.0721
© Klincksieck | Téléchargé le 18/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.178.227.119)
Hans H. SKEI ∗
In this essay I offer a brief introduction to Scandinavian crime writing, with heavy
emphasis on the last couple of decades, before I move on to a brief and very general
survey of Norwegian crime fiction from its beginning to the mid-1970s. Most attention
is, however, given to contemporary Norwegian crime writing.
* Hans H. SKEI est professeur de littérature comparée, traducteur, critique littéraire, pré-
sident du Club Riverton depuis 2008, ILOS, Oslo universitet, Postboks 1003 Blindern,
NO-0315 OSLO ; courriel : h.h.skei@ilos.uio.no.
Perspectives en Scandinavie
sens du devoir, ainsi qu’une volonté de faire ce qu’il faut pour ne pas
sombrer.
Bon nombre des meilleurs romans policiers scandinaves ont une
dette envers Sjöwall et Wahlöö, pour le meilleur et pour le pire. Des
convictions idéologiques, de longs développements sur la vie privée
des officiers de police, les soucis, la maladie et la crainte pour ceux que
l’on aime : tout cela a pu contribuer à ce que l’on appelle « le polar à
ulcères » dans la fiction criminelle, en référence aux perturbations de
Martin Beck dans la série en dix volumes de Sjöwall et Walhöö. Mais
ces romans ont aussi montré aux auteurs scandinaves que notre héritage
commun, nos valeurs communes, notre regard jeté sur le monde peu-
vent apporter quelque chose de nouveau, de sérieux et d’important à un
genre populaire qui a surtout produit une littérature de divertissement.
Les « valeurs scandinaves » : l’Etat-providence, la sécurité sociale, les
avantages sociaux, l’intérêt porté aux personnes seules et défavorisées,
même les questions environnementales et les prétendues valeurs vertes
sont parvenues à s’introduire dans les scénarios des romans policiers.
En fin de compte, le point le plus important, c’est qu’à partir du milieu
des années 70 un grand nombre d’auteurs talentueux se sont tournés
vers le roman policier et ont décidé de poursuivre dans cette voie. Dans
les années 90, ces écrivains, presque tous masculins, furent rejoints par
une nouvelle génération d’écrivains féminins doués et volontaires, qui
ont contribué à la très grande qualité et au prestige du roman policier
scandinave après le tournant du siècle.
Le fait que dans la littérature scandinave nous avons au moins
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2. Titre intraduisible. Il reprend deux vers d’une comptine du style « Am, stram,
gram... »
nouveaux venus d’après l’an 2000, dont certains ont choisi d’écrire des
thrillers ou encore des romans d’aventure, et ce avec un grand succès.
Les femmes qui ont changé le roman policier norvégien peuvent
être rattachées à une tradition internationale relativement récente.
Sara Paretsky et Sue Grafton sont entrées dans un domaine, ou un
genre, qui était aux alentours des années 1980 exclusivement masculin :
le roman noir ou hardboiled, et elles ont joué un rôle de précurseurs.
P. D. James a prouvé elle aussi que l’investigation et la découverte de
crimes horribles n’étaient pas des tâches réservées aux hommes, et si les
premiers ouvrages publiés par ces femmes ne peuvent être qualifiés de
féministes au sens propre du terme, il n’en demeure pas moins qu’elles
ont mis en scène des femmes dans des situations totalement nouvelles
pour elles. Ce n’est, bien entendu, pas un hasard si Hanne Wilhelmsen,
la policière d’Anne Holt, est lesbienne et entretient une relation sui-
vie avec une autre femme. Kim Småge avait écrit un roman féministe
assez violent et très impressionnant dans les années 1980 — Nattdykk
(Plongée nocturne) — pour lequel elle avait reçu le prix Riverton, bien
qu’il faille considérer ce roman comme plutôt marginal. Par la suite elle
créa une policière crédible et très compétente dans la personne d’An-
nekin Halvorsen, qui élucida à Trondheim des crimes dont certains
avaient été commis par des hommes qui exploitaient et même haïs-
saient les femmes. Le premier roman d’Unni Lindell (Slangebæreren) a
pour cadre un refuge pour femmes battues et violées. Cela ne suffit pas
à prouver que pour la même période les livres écrits par des femmes
ont un programme différent de ceux écrits par des hommes. Cela mon-
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non pas parce qu’elle déplace les limites du genre et tente même de le
briser, mais parce qu’elle implique le lecteur à un niveau plus profond
de compréhension, de crainte et d’excitation qu’il n’est d’usage dans
ce genre de littérature. Ses meilleurs livres sont destinés à devenir des
classiques de la fiction criminelle norvégienne, et cela vaut aussi pour
les ouvrages dans lesquels elle sape certaines des conventions essen-
tielles du genre.
La nouvelle génération d’auteurs de polars depuis les années 1990
comprend, à quelques exceptions près, des auteurs prolifiques. La plu-
part d’entre eux ont écrit une demi-douzaine d’ouvrages, voire davan-
tage. En général, ils sont restés fidèles à leurs héros, qu’ils travaillent
seuls ou en équipe, et ils ne sont que rarement passés d’un héros qui a
connu le succès dans une série à un autre. Ainsi les lecteurs se sont fami-
liarisés avec les inspecteurs de police et les livres sont souvent publiés
comme un épisode d’une série où figure tel ou tel détective.
Un certain nombre des auteurs féminins que nous avons mention-
nés ont connu un grand succès international, et même, pour certaines
d’entre elles, dans les pays de langue anglaise. Elles ont très rapidement
conquis un marché chez nos voisins, surtout en Suède, et l’apparition
d’une génération entière de nouveaux talents féminins est effective-
ment à mettre sur le compte de leurs consœurs norvégiennes qui les
avaient précédées. Cependant, il y a un écrivain masculin qui a connu,
tant en Norvège que dans la plupart des pays occidentaux, un succès plus
considérable encore que tous les auteurs femmes réunis, c’est Jo Nesbø.
De Flaggermusmannen (L’homme chauve-souris, 1997) — l’ouvrage a
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