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Pierre ISELIN
Pierre ISELIN, « Seeming parted » (III, ii : 209) : la vision double dans A Midsummer
Night’s Dream, ÉA 55-4 (2002) : 387-397. © Didier Érudition.
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Invisibles des humains sur scène, ces créatures de l’ombre sont visibles
du public, qui surmonte non seulement cette contradiction, mais aussi
l’invraisemblable disparité d’échelle entre le discours sur leur taille
d’insecte, et la réalité scénique qui les représente de taille humaine.
Cachée et exposée, bienveillante et malveillante, de taille humaine et de
taille minuscule, la fée est représentée selon le mode stéréoscopique
déjà évoqué, faisant coïncider deux images distinctes associées au
même signifiant. On peut ajouter à ces lectures anamorphiques celle
de ces créatures liées aux métamorphoses, telles Philomèle, invoquée
par les fées pour bercer leur reine (II, ii : 13), image de la féminité vio-
lentée réduite à une voix, ou la sirène, autre voix de femme au charme
fatal, qui induit la vision d’Oberon (II, i : 150). La fable dramatique est
d’autre part assez schématiquement construite autour du double, en ce
qui concerne les jeunes Athéniens dont la gémellité passagère cause
les erreurs du désir, réputé aveugle, et celle de Puck, puisque ce dernier
confond Demetrius et Lysander, comme ceux-ci rendent interchan-
geable l’objet de leur désir. L’expérience de la nuit en forêt provoque
donc d’une part l’indistinction du regard et la confusion (au double
sens de méprise et de chaos), et le déni d’identité et d’image : Helena
se prend pour un ours dont la laideur effraie les animaux sauvages (II,
ii : 101), ne reconnaît plus sa tendre amie d’enfance, et se croit victime
d’une machination (III, ii : 192-219), Lysandre ne reconnaît plus la
belle Hermia (III, ii : 260), qui à son tour ne le reconnaît pas : « Am I
not Hermia? Are you not Lysander? » (III, ii : 273).
Enfin, d’une intrigue à l’autre, s’établissent des analogies qui sont
plus ou moins suggérées par la distribution. Dans un article de 1991,
Calderwood a développé l’hypothèse selon laquelle les deux couples
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1. Les cinq occurrences de « chink » dans le corpus, deux des trois occurrences de
« cranny », l’unique occurrence de « to blink » et de « crannied » sont situées dans la
scène 1 de l’acte V, où a lieu la représentation de Pyramus and Thisbe.
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57) ; au contraire, elle contredit Thésée sur le récit fou mais cohérent
des jeunes gens, et sur les enjeux du spectacle théâtral.
La diversité de la réception sur la scène de A Midsummer Night’s
Dream est donc en relation avec la complexité et l’évanescence des
spectacles, dont rien de substantiel ne demeure. Le réveil des amants,
l’amnésie de Nick Bottom, l’étonnement de Titania thématisent le
spectateur de A Midsummer Night’s Dream, « a dreamer conscious of
his dream, looking with parted eye at the representation of a bottom-
less experience that he must both share and suspect » (Gilman 165).
Pris dans une perspective double, il a une double conscience critique ;
mi-engagé, mi-détaché, le public est à son tour un monstre hybride.
Pierre ISELIN
Université de Paris IV-Sorbonne
BIBLIOGRAPHIE