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Au pays de l'aigle à deux têtes

Monnaies de l'Empire russe au Cabinet des médailles, 1700-1917


Thierry Sarmant
Dans Revue de la BNF 2010/3 (n° 36), pages 46 à 55
Éditions Bibliothèque nationale de France
ISSN 1254-7700
ISBN 9782717724516
DOI 10.3917/rbnf.036.0046
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μ5

1. Alexandre Ier, 1801-1825, rouble de 1812


Droit
BNF, Monnaies, Médailles et Antiques, Monnaies russes, n° 1198

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Au pays de l’aigle à deux têtes
Monnaies de l’Empire russe
au Cabinet des médailles, 1700-1917

Conférence
Thierry Sarmant L’histoire des monnaies de l’ancienne Russie demeure peu
connue en Occident. Sous le règne de Pierre le Grand s’est mis
en place un monnayage significatif du nouveau régime.
Exprimant le souci de marquer la continuité et la majesté
impériales, il évoluera peu jusqu’à l’avènement de l’URSS 1.

L ’histoire des monnaies russes est singulière-


ment décalée dans le temps par rapport à celle
de la numismatique occidentale. Le monnayage de
La collection de la BNF
Le médaillier de la Bibliothèque nationale de
France offre un bon observatoire de ce monnayage.
type médiéval s’est en effet maintenu dans l’État Comparativement, la collection de monnaies russes
russe jusqu’à 1700. C’est à partir de cette date que de la BNF est plus riche que la série espagnole ou la
Pierre le Grand a fait prévaloir un nouveau système série anglaise. Pourtant, ces pièces n’y sont entrées
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monétaire dont l’organisation et la typologie s’inspi- que tardivement.
raient de différents modèles européens. Ce système a Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, les monnaies
subsisté, au prix de quelques évolutions, jusqu’à la de Russie conservées dans nos médailliers se comp-
chute de la Russie impériale en 1917 2. taient sur les doigts d’une main, tandis que les mon-
Ces deux coïncidences chronologiques – réfor- naies des États d’Europe occidentale étaient collectées
mes pétroviennes en amont, révolution de 1917 en depuis les années 1660. La collection de Louis XIV,
aval – nous incitent à examiner ce monnayage moins base des séries du Cabinet des médailles, ne compor-
sous un angle étroitement numismatique qu’au tait aucune monnaie russe, qu’il s’agisse du mon-
prisme de l’histoire politique et de l’histoire des repré- nayage médiéval ou des monnaies contemporaines
sentations. Comme celles d’autres pays, les monnaies du Roi-Soleil 4. Les premières entrées connues eurent
impériales russes ont été beaucoup plus qu’un instru- lieu, en petit nombre, dans le courant du xviiie siècle.
ment d’échange ; elles ont été un medium de commu- Le 30 juin 1736, l’abbé Bignon donna au Cabinet
nication politique et l’expression de l’idéologie du deux médailles d’or de Pierre le Grand 5. En 1776, le
régime autocratique 3. comte de Vergennes envoya une série de médailles en

1 Cet article transpose la conférence prononcée par Thierry Sarmant le 28 janvier 2010 dans le cadre du cycle « Histoire de
monnaies », organisé par la BNF sur le site Richelieu. 2 Iaroslav Adrianov, Les Monnaies de cuivre de l’Empire russe des années
1700-1917 : catalogue, Perm, chez l’auteur, 2008 [en russe] ; grand-duc Georges Mikhaïlovitch, Monnaies de l’Empire russe, 1725-
1894, Paris, Feuardent, 1916 ; V. Ouzdenikov, Les Monnaies de Russie, 1700-1917, Moscou, 1992 [en russe]. 3 Cet exposé se limitera
aux aspects typologiques et laissera de côté les questions de métrologie et les aspects économiques et financiers du sujet, qui
nécessiteraient de longs développements. De même, on ne traitera ici que des monnaies intéressant l’Empire russe dans son
ensemble, sans s’arrêter aux monnaies spécifiques, comme celles frappées en Sibérie ou dans le Caucase, ou à celles frappées
dans des pays occupés comme la Moldavie ou la Prusse. 4 « Inventaire des monnoies d’or et d’argent du Cabinet du roy » (BNF,
Méd., Rés., Γ 46). 5 « Nummi ex omni metallo et modulo Cimelio regio additi » (BNF, Méd., Rés., Γ 106).

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Thierry Sarmant

Le retard a été rattrapé au cours du xixe siècle,


lors même que le Cabinet continuait de donner la
priorité, comme il l’a fait tout au long de son histoire,
à l’accroissement des séries gréco-romaines et fran-
çaises. Les principales acquisitions eurent lieu à l’ini-
tiative de savants français installés en Russie ou de
notables russes séjournant en France 8. Au début de
1847, l’orientaliste Marie-Félicité Brosset offrit une
série de monnaies de cuivre allant de Pierre le Grand
à Nicolas Ier 9. En 1861, le Cabinet reçut en dépôt la
collection de monnaies russes de la bibliothèque de
l’Arsenal.
μ 1,5
Dans les années 1890-1910, la collection bénéfi-
cia grandement de l’atmosphère positive créée par
2. Pierre Ier, 1689-1725, rouble de 1705
Droit l’alliance franco-russe. En 1892, W. Plitzine offrait
BNF, Monnaies, Médailles et Antiques, Monnaies russes, une collection de 83 monnaies russes en cuivre des
n° 774
années 1730 à 1800 ; en 1898, Alexis Petrovitch Skan-
doff, conseiller de collège à Moscou, donnait un lot
de monnaies russes, polonaises et lituaniennes ; en
1903, le baron de Taube 10 céda une importante col-
lection de près de cinq cents monnaies russes allant
de Pierre Ier à Nicolas II, estimée à 660 francs et
15 centimes, et reçut en échange un lot de monnaies
hellénistiques, romaines et russes, doubles du dépar-
tement, pour une valeur équivalente. En 1912, un
amateur, M. Duval-Foulc, offrit une importante col-
μ 1,5
lection de médailles et de monnaies russes de Pierre
le Grand à Alexandre III, riche de plusieurs centaines
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3. Pierre Ier, 1689-1725, ducat de 1720
Droit
de pièces. La même année, dans le cadre de ses fonc-
BNF, Monnaies, Médailles et Antiques, Monnaies russes, tions au ministère russe des Affaires étrangères,
n° 826
Taube envoya une série de pièces d’or, d’argent et
de cuivre des années 1909 à 1912. C’est à la même
époque que le grand-duc George Mikhaïlovitch, qui
bronze de Riourik à Élisabeth 6. En 1780, Louis XVI peut être considéré comme le fondateur de l’étude
fit remettre à la bibliothèque les séries numismatiques scientifique de la numismatique russe 11, fit don au
conservées à Versailles, principalement des médailles Cabinet des médailles de son vaste recueil des mon-
de Louis XIV et de Louis XV. Cette collection com- naies russes et en patronna une traduction française
prenait deux monnaies d’or russes, respectivement abrégée, parue en 1916. Dans la préface de ce volume,
de 1712 et 1739, huit monnaies d’argent et une mon- Ernest Babelon, alors directeur du Cabinet des
naie de cuivre 7. médailles, décrivait l’entreprise comme « le symbole

6 « Médailles en bronze des grands-ducs, empereurs, impératrices et grands hommes de Russie envoyées au Cabinet par M. le comte
de Vergennes en 1776 » (BNF, Méd., Rés., Γ 106). 7 « État des médailles, monnoies et jettons envoyés par le roi à M. de Fontanieu
et par lui remis à M. Bignon, conformément aux ordres de Sa Majesté le 21 avril 1780 » (BNF, Méd., 4 ACM 1-4). 8 Les informations
qui suivent sont tirées des registres d’acquisition manuscrits du Cabinet des médailles. 9 Marie-Félicité Brosset (1802-1880) quitte
la France après la Révolution de 1830 et s’installe en Russie. Membre de l’Académie impériale de Saint-Pétersbourg (1837),
inspecteur des écoles primaires (1841), bibliothécaire à la Bibliothèque impériale (1842), conservateur des monnaies orientales de
l’Ermitage (1851), il publie des travaux sur le Caucase, notamment une importante Histoire de la Géorgie des origines au xixe siècle,
1848-1858. 10 Mikhaïl Alexandrovitch, baron Taube, dit en France Michel de Taube, issu d’une grande famille de l’aristocratie balte,
né à Pavlovsk en 1869, fut professeur de droit international à l’université de Saint-Pétersbourg de 1899 à 1911, directeur au ministère
des Affaires étrangères (1906), membre de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye (1909), ministre adjoint de l’Instruction
publique en 1911, sénateur et conseiller privé en 1915, membre du Conseil de l’Empire en 1917 (Recueil des cours de l’Académie
internationale de droit de La Haye, 1935, III, p. 437-540). Il est mort en 1956. 11 Le grand-duc Georges Mikhaïlovitch (1863-1919),
petit-fils de Nicolas Ier, avait constitué une exceptionnelle collection de monnaies russes. Directeur du musée Alexandre III en 1895,
il fut assassiné par les bolcheviks le 28 janvier 1919.

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Au pays de l’aigle à deux têtes. Monnaies de l’Empire russe au Cabinet des médailles, 1700-1917

μ 1,5 μ 1,5

4. Pierre Ier, 1689-1725, médaille de 1724


Droit et revers
BNF, Monnaies, Médailles et Antiques, Médailles russes, n° 87

de l’alliance politique et militaire de la France et de la Le système monétaire de Pierre le Grand


Russie, glorieusement unies pour revendiquer la L’histoire du monnayage impérial russe com-
liberté des peuples et abattre l’hydre germanique, qui mence avec les réformes entreprises par Pierre le
menaçait d’opprimer le monde 12 ». Grand pour moderniser la Russie et en faire une
On n’a pas retrouvé trace, en revanche, d’acqui- puissance européenne de premier plan. Dans cette
sitions importantes effectuées après la Première politique de puissance, les premières réformes sont
Guerre mondiale auprès de la communauté russe d’ordre militaire : Pierre crée alors une armée et une
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émigrée. Il n’est pas impossible, cependant, que cer- marine qui vont lutter avec succès contre la Suède, le
taines pièces de la collection, d’une qualité exception- principal compétiteur de la Russie dans le nord de
nelle, proviennent d’anciennes collections privées l’Europe. Les réformes du jeune tsar ne s’arrêtent pas
prestigieuses, comme celle du comte polonais Eme- à la guerre : elles touchent l’organisation de la société
ryk Hutten-Czapski ou celle du grand-duc George et de l’État et tous les aspects de la vie quotidienne.
Mikhaïlovitch. Le mimétisme avec l’Occident devient une règle de
Le premier inventaire des monnaies russes de la fer. Il en va ainsi du costume : au mépris du climat,
Bibliothèque nationale, datable du milieu du xixe siè- le tsar impose l’abandon des caftans et des fourrures
cle, comporte 479 pièces, du Moyen Âge à 1850 13. En et les remplace par l’habit à la française. Les visages
1897, Paul Casanova 14 rédige l’inventaire des seules rasés et les perruques se substituent aux barbes et
monnaies russes féodales jusqu’en 1547 15. Les 430 piè- cheveux longs 16.
ces de ce catalogue sont rangées suivant l’ordre adopté Le système monétaire subit une révolution aussi
par Oriéchnikov dans son Catalogue des monnaies du complète. Rien ne subsiste de l’ancien système
Musée impérial russe de Moscou, paru en 1896. médiéval, sinon quelques éléments du vocabulaire.
Dans son état actuel, la collection couvre l’en- La base du système est une monnaie d’argent
semble des règnes qui se sont succédés entre Pierre de grande taille, le rouble, que son poids et son
le Grand et Nicolas II et comprend un échantillon- module apparentent au thaler allemand (ill. 2). Inno-
nage appréciable des différents monnayages d’or, vation plus révolutionnaire encore, ce rouble se sub-
d’argent et de cuivre. divise suivant un système décimal : il correspond à

12 Préface, p. III. 13 BNF, Méd., Rés., Ms 43. Non signé, non daté. 14 Paul Casanova (1861-1926), normalien, arabisant, fut titulaire
bibliothécaire au Cabinet des médailles puis titulaire de la chaire de langue et littérature arabes au Collège de France. 15 « Inventaire
des monnaies russes féodales rédigé en 1897 par P. Casanova » (BNF, Méd., Rés., Ms 44). 16 Robert K. Massie, Pierre le Grand :
sa vie, son univers, Paris, Fayard, 1985.

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Thierry Sarmant

100 kopeks de cuivre. Seront frappées des pièces


d’argent de 50 et 25 kopeks et des monnaies de cuivre
de 5, 2 et 1 kopeks. Pierre le Grand introduit égale-
ment la frappe de l’or : la monnaie d’or, nommée
tchervonets, est un décalque du ducat de l’Empire
germanique (ill. 3). En 1724, un an avant la mort
de Pierre, est créé l’hôtel des monnaies de Saint-
Pétersbourg, installé dans un des bastions de la forte-
μ 1,5
resse Pierre et Paul. C’est de cet hôtel, encore en
fonction aujourd’hui, que vient la majorité des mon-
5. Catherine Ire, 1725-1727,
naies conservées à la BNF. ducat de 1726
La typologie des monnaies suit l’évolution des Droit
BNF, Monnaies, Médailles et Antiques,
prétentions politiques du tsar. En 1701, Pierre s’inti- Monnaies russes, n° 849
tule « le tsar Pierre Alexéiévitch, autocrate de toutes
les Russies » ; en 1707, c’est « le tsar Pierre Alexéié-
vitch, souverain de toute la Russie ». En 1721, après
la paix victorieuse avec la Suède qui clôt la longue Les souverains de l’Empire russe
guerre du Nord, Pierre reçoit du Sénat le titre de 1700 à 1917
d’« empereur de toutes les Russies ». Dès 1722, la
légende du rouble devient de ce fait « Pierre Alexéié- Pierre Ier, 1689-1725
vitch, empereur et autocrate de toutes les Russies ». Fils du tsar Alexis Mikhaïlovitch.
Mais le titre d’empereur est apparu sur un monu-
ment numismatique quatre ans avant d’avoir été Catherine Ire, 1725-1727
Veuve de Pierre Ier.
conféré officiellement à Pierre le Grand : il est utilisé
dans la légende de la médaille gravée par Jean Duvi- Pierre II, 1727-1730
vier à l’occasion de la visite du souverain à la Mon- Petit-fils de Pierre Ier.
naie des médailles du Louvre en 1717 : la légende
latine porte « Pierre Alexéiévitch, tsar, empereur de Anne Ivanovna, 1730-1740
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Nièce de Pierre Ier.
la grande Russie ».
Au revers des monnaies de Pierre le Grand, on Ivan VI, 1740-1741
retrouve l’aigle à deux têtes que la Russie moscovite Arrière-petit-neveu de Pierre Ier.
a adoptée comme emblème après la chute de l’Em-
Élisabeth, 1741-1762
pire byzantin et le mariage d’Ivan III avec Sophie
Fille de Pierre Ier.
Paléologue (1472). En dehors de la titulature et du
type de l’aigle, il n’y a plus rien ou presque de la Pierre III, 1762
Russie traditionnelle dans le monnayage du tsar Petit-fils de Pierre Ier (en ligne féminine).
réformateur. Au droit, on trouve la tête ou le buste du
Catherine II, 1762-1796
souverain, comme en Occident, tantôt vêtu à l’anti- Femme puis veuve de Pierre III.
que avec couronne de laurier et drapé, tantôt à la
moderne, ou le plus souvent selon un compromis Paul Ier, 1796-1801
entre ces deux modes. Fils de Pierre III.
En comparant les monnaies de Pierre avec celles
Alexandre Ier, 1801-1825
frappées dans le reste de l’Europe sous son règne ou Fils de Paul Ier.
peu auparavant, on peut préciser les sources d’inspi-
ration du monnayage. La première effigie de Pierre Nicolas Ier, 1825-1855
sur le rouble d’argent – visage d’aspect juvénile, buste Fils de Paul Ier.
à mi-corps, habit occidental très simple – imite sans Alexandre II, 1855-1881
doute les portraits de ses adversaires suédois, les rois Fils de Nicolas Ier.
Charles XI et Charles XII. Les portraits suivants,
ceux de la fin du règne de Pierre Ier et ceux de Pierre II, Alexandre III, 1881-1894
Fils d’Alexandre II.
empruntent leur composition aux thalers impériaux
des derniers Habsbourg en ligne directe : Léopold Ier, Nicolas II, 1894-1917
Joseph Ier et Charles VI. Fils d’Alexandre III.

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Au pays de l’aigle à deux têtes. Monnaies de l’Empire russe au Cabinet des médailles, 1700-1917

La couronne impériale représentée sur les mon-


naies et les médailles n’est pas la vieille couronne de
type byzantin, la coiffe de Monomaque, mais une
nouvelle couronne, imitée de celle de l’empereur ger-
manique Rodolphe II. Cette nouvelle couronne
apparaît ainsi sur la médaille du couronnement de
Catherine Ire comme impératrice en 1724 (ill. 4).
Le monnayage nous aide ainsi à mesurer l’im-
portance relative des différentes influences occiden-
tales qui se sont exercées sur l’Empire russe dans la
première moitié du xviiie siècle. On sait que Pierre le
Grand a puisé à toutes les sources : Suède, Allema-
μ 1,5
gne, Hollande, Angleterre, France. Mais, dans le pro-
jet politique, dans l’organisation politique et militaire,
6. Pierre II, 1727-1730, rouble de 1727
ce qui l’emporte, c’est l’influence allemande. Le dis- Droit
cours officiel de la Russie impériale duplique les pré- BNF, Monnaies, Médailles et Antiques, Monnaies russes,
n° 858
tentions universalistes du Saint Empire romain
germanique.

Le portrait impérial
De Pierre le Grand à la Grande Catherine, le
portrait impérial présente quelques traits communs :
il est orienté vers la droite ; les hommes sont vêtus à
l’antique ou en uniforme ; les femmes revêtent la
grande robe de cour et portent un modèle réduit de
la couronne impériale au sommet de la tête. Empe-
reurs et impératrices arborent le cordon bleu de l’or-
dre de Saint-André (ill. 6 à 10). La comparaison entre
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tableaux officiels, d’une part, monnaies et médailles
de l’autre, semble indiquer que les graveurs flattent μ 1,5
moins leurs modèles que les peintres. Le portrait est
réaliste, mais impersonnel. Il n’y a aucune recherche
7. Anna Ivanovna, 1730-1740,
d’expression ou de vérité psychologique semblable à rouble de 1732
celle qu’on peut voir dans certains monnayages occi- Droit
BNF, Monnaies, Médailles et Antiques, Monnaies russes,
dentaux contemporains, français ou anglais. Faut-il n° 872
imputer ces caractéristiques au médiocre talent des
graveurs ? Il s’agit plutôt de l’expression du rôle attri-
bué au portrait du monarque, qui n’est pas de rap-
procher le souverain de son peuple, mais d’exprimer
la majesté et la continuité impériale.
Les effigies de Catherine II (1762-1796) présen-
tent de ce point de vue un intérêt particulier. Dans les
premières années, le portrait de la souveraine adopte
un mimétisme presque parfait avec celui d’Élisabeth Ire
(1741-1762), comme pour effacer le bref règne du
germanophile Pierre III (ill. 11). Ce n’est que dans les
années 1780 que l’effigie numismatique de l’impéra-
trice se personnalise et se calque sur un nouveau type,
μ 1,5
dérivé lui aussi des grands portraits de cour.
La série inaugurée par Pierre le Grand s’inter-
rompt brusquement en 1796, quand Paul Ier, fils et 8. Ivan VI, 1740-1741, rouble de 1741
Droit
successeur de Catherine, refuse de faire figurer son BNF, Monnaies, Médailles et Antiques, Monnaies russes,
effigie sur les monnaies. Cette décision lui aurait été n° 902

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Thierry Sarmant

μ 1,5 μ 1,5 μ 1,5

9. Élisabeth, 1741-1762, 10. Pierre III, 1762, pièce d’or 11. Catherine II, 1762-1796,
double ducat de 1758 de 10 roubles, 1762 pièce d’or de 5 roubles de 1777
Droit Droit Droit
BNF, Monnaies, Médailles et Antiques, BNF, Monnaies, Médailles et Antiques, BNF, Monnaies, Médailles et Antiques,
Monnaies russes, n° 983 Monnaies russes, n° 1004 Monnaies russes, n° 1070

inspirée par le complexe que lui causaient ses disgrâ- semblant, mais aussi peu expressif que les effigies du
ces physiques. Quand, simple grand-duc héritier, il xviiie siècle.
avait visité Versailles, en 1782, il avait pu entendre les Ce phénomène d’effacement de l’image du
courtisans s’étonner de sa laideur. Il existe donc des monarque est tout à fait singulier dans un régime qui
médailles à l’effigie de Paul, l’une frappée en 1778 à se désigne sous le nom d’autocratie, où le souverain
l’occasion de son mariage, une autre datant sans est la clef de voûte des institutions 17. Il faut en cher-
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doute de son avènement au trône, mais aucun por- cher les raisons plus loin que dans la psychologie
trait monétaire. L’empereur disparaît des monnaies : anecdotique de Paul Ier. Il tient en fait à une véritable
son portrait n’y figure pas ; son nom même en est crise de la légitimité dynastique, qui mine l’autocratie
absent. Sur les monnaies d’or et d’argent, l’effigie est dès après le règne de Pierre le Grand. On sait que
remplacée par un rectangle portant une invocation Pierre a fait mettre à mort son fils et unique héritier,
tirée des psaumes : « Non à nous, non à nous, mais à le tsarévitch Alexis, qui s’opposait à sa politique d’oc-
ton nom (donne la gloire) » (ill. 12) ; le seul mono- cidentalisation forcenée. La Maison des Romanov
gramme impérial, placé tantôt au droit et tantôt au s’est éteinte en ligne masculine avec Pierre III, en
revers, identifie le souverain. 1730. L’épouse de Pierre le Grand, qui lui succède en
L’effacement de l’empereur se prolonge après le 1725, n’a pas une goutte de sang russe ; tous les
règne de Paul Ier. Ni Alexandre Ier (1801-1825) ni règnes suivants sont entachés d’illégitimité : la suc-
Nicolas Ier (1825-1855) ni Alexandre II (1855-1881) cession se fait par les femmes, à coups de révolutions
n’inscrivent leurs portraits sur les monnaies frappées de palais et d’assassinats politiques. Le doute plane
pour l’ensemble de l’empire. Les seuls portraits également sur le lignage de Paul Ier, dont on a mur-
numismatiques d’Alexandre Ier et de Nicolas Ier que muré qu’il ne pouvait être le fils de Pierre III.
nous possédions appartiennent soit à des monnaies Cette crise de la légitimité se poursuit au xixe siè-
commémoratives, frappées par leur successeur, soit, cle. En 1801, Alexandre Ier ne monte sur le trône qu’à
pour Alexandre, à des monnaies frappées en Polo- la faveur du meurtre de son père. Son frère Nicolas Ier
gne. L’effigie impériale ne reparaît sur les monnaies lui succède en 1825, après le retrait de son aîné
d’or et d’argent que sous Alexandre III et Nicolas II Constantin et grâce à l’échec de la tentative révolution-
(ill. 13). Désormais, comme en Occident, le portrait naire des décembristes. Quand en 1830, le ministre des
se limite à un profil sans ornement, parfaitement res- Finances, le général Kankrine, suggère au souverain

17 Pour une très complète synthèse, voir Michel Heller, Histoire de la Russie et de son Empire, Paris, Plon, 1997.

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Au pays de l’aigle à deux têtes. Monnaies de l’Empire russe au Cabinet des médailles, 1700-1917

μ 1,5 μ 1,5 μ 1,5

12. Paul Ier, 1796-1801, pièce 13. Nicolas II, 1894-1917,


d’or de 5 roubles de 1798 pièce d’or de 25 roubles de 1896
Droit et revers Droit
BNF, Monnaies, Médailles et Antiques, BNF, Monnaies, Médailles et Antiques,
Monnaies russes, n° 1151 collection Beistegui, n° 1061

de rétablir le portrait impérial à l’avers des monnaies, d’Élisabeth. Dès 1763, Catherine II reprend le chiffre
Nicolas refuse et prescrit d’y laisser l’aigle héraldique de sa belle-mère à l’identique : un E et un I qui ne
de l’Empire 18. La première succession sans à-coups signifient plus « Élisabeth Ire », mais « Catherine [Eka-
depuis Pierre le Grand n’a lieu qu’en 1855. terina en russe] impératrice ». De 1796 à 1801, le
monogramme des monnaies divisionnaires est un Pi
Inscriptions et symboles de l’Empire et un I pour Paul Ier. L’usage du monogramme s’in-
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Après avoir parlé des portraits impériaux, il nous terrompt par la suite, ne réapparaît qu’en 1839, sous
faut évoquer les inscriptions, les ornements et les Nicolas Ier, et se poursuit sous Alexandre II, Alexan-
symboles qui figurent sur les monnaies d’or, d’argent dre III et Nicolas II, sous la forme d’un N, d’un A II,
et de cuivre. A III puis d’un N II.
En dehors de la titulature impériale, les inscrip- Quant à l’idée de réunir plusieurs monogrammes
tions figurant sur les monnaies russes ont une portée pour former un nouveau motif, elle appartient aussi
le plus souvent utilitaire. Il s’agit de la date, exprimée à l’Occident. La croix formée de quatre Pi au revers
à partir de 1707 en chiffres romains, de la dénomina- d’un rouble de Pierre le Grand a sans doute pour
tion et de la valeur de la monnaie, de son poids d’ar- origine la croix formée de huit L marquée au revers
gent et de l’acronyme identifiant l’atelier émetteur : d’un écu de Louis XIV frappé à partir de 1690. Cette
CPB pour Saint-Pétersbourg, EM pour Ekaterin- croix formée de quatre Pi reparaîtra sous le règne de
bourg, etc. Pierre II au revers des roubles d’argent, et sous
La personne du souverain est évoquée par son Paul Ier comme une alternative au portrait impérial.
monogramme ou venzel, qui apparaît régulièrement L’idée de former une croix avec différents écus-
sur les monnaies de cuivre. Il s’agit là encore d’un sons est également empruntée à la numismatique
emprunt à la numismatique occidentale, comme l’in- occidentale : on la trouve aussi bien en Suède qu’en
dique le mot polonais venzel, qui signifie « nœud ». Grande-Bretagne. C’est sur ce modèle que sont
Depuis le xvie siècle, le motif du monogramme cou- conçues les pièces d’or du règne d’Élisabeth et de
ronné est courant en Europe occidentale sur les mon- Catherine II (ill. 14). Les autres symboles marqués
naies, mais aussi sur les tapisseries, les meubles, les sur les monnaies appartiennent davantage à la tradi-
objets d’art. Le monogramme simple du souverain tion russe. L’image de saint George terrassant le
s’impose sur les monnaies de cuivre à partir du règne dragon, qui orne les monnaies divisionnaires du

18 I. Adrianov, op. cit., p. 141-142 (rapport du 6 février 1830, résolution impériale du même jour).

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Thierry Sarmant

μ 1,5 μ 1,5 μ 1,5

14. Catherine II, 1762-1796, 15. Nicolas Ier, 1825-1855, rouble 16. Alexandre III, 1881-1894, rouble
pièce d’or de 5 roubles de 1777 commémoratif de la colonne Alexandre, 1834 commémoratif de son couronnement, 1883
Revers Revers Revers
BNF, Monnaies, Médailles et Antiques, BNF, Monnaies, Médailles et Antiques, BNF, Monnaies, Médailles et Antiques,
Monnaies russes, n° 1070 Monnaies russes, n° 1371 Monnaies russes, n° 1835

xviiie siècle, vient de l’héritage moscovite. Le mot commémoratif du monument de Nicolas Ier à Saint-
même de « kopek » désigne le lancier qui terrasse le Pétersbourg (1859), celui du couronnement
monstre. La croix de saint André l’Apôtre apparaît d’Alexandre III (1883) (ill. 16), celui du couronne-
brièvement sur les monnaies d’or de Pierre Ier et de ment de Nicolas II (1896), celui du monument
Catherine Ire, par allusion à l’ordre de Saint-André d’Alexandre II au Kremlin (1898). Deux roubles
institué par Pierre le Grand en 1698 à l’imitation de commémoratifs sont frappés en 1912 : l’un pour le
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l’ordre français du Saint-Esprit. monument d’Alexandre III devant la cathédrale du
Le xixe siècle n’apporte que peu d’innovations Christ sauveur, l’autre pour la célébration du cente-
iconographiques. L’aigle impériale devient le motif naire de 1812. Le dernier rouble de la série date de
presque unique figuré au droit des monnaies d’ar- 1913 : il commémore le tricentenaire des Romanov
gent. Au revers, on trouve généralement une inscrip- et porte les effigies accolées de Nicolas II et de Michel
tion entourée d’une couronne de feuilles de chêne et Romanov.
de laurier surmontée de la couronne impériale du L’aigle à deux têtes, si souvent représentée de
modèle fixé au commencement du xviiie siècle. À Pierre Ier à Nicolas II, ne reste pas identique à travers
partir du règne d’Alexandre III, les légendes adoptent le temps. La première aigle des monnaies pétroviennes
une graphie de style néorusse, ce qui correspond à un est encore une aigle moscovite de type byzantin. Elle
mouvement général dans l’architecture et les arts n’a d’abord au-dessus d’elle que des couronnes ouver-
décoratifs. tes d’un style assez fruste. Elle tient dans ses serres un
Les seules créations interviennent lors de la sceptre et un globe terrestre similaires à ceux qui ser-
frappe de monnaies commémoratives, où portraits et vent lors du couronnement du monarque. Bientôt, le
monuments sont représentés. Le prototype de ces dessin de l’aigle s’affine et se rapproche de celui de
monnaies est le rouble commémoratif frappé lors de l’aigle impériale du Saint Empire. Par la suite, l’animal
l’inauguration de la colonne Alexandre de Saint- ne cesse de s’enrichir. À partir du règne d’Anna Iva-
Pétersbourg (ill. 15) édifiée entre 1830 et 1834 en novna, l’aigle est surchargée d’un écu aux armes de
l’honneur d’Alexandre Ier sur le modèle de la colonne Moscou, entourée du cordon de l’ordre de Saint-
Vendôme de Paris. Suivront le « rouble de famille » André. Le type de l’aigle ainsi fixé se maintient à
de 1835, où figurent les portraits de Nicolas Ier et des l’identique pendant près d’un siècle entre le règne
membres de sa famille, le rouble commémoratif du d’Anna Ivanovna et celui d’Alexandre Ier (ill. 1).
monument du champ de bataille de Borodino (1839), Il n’est altéré qu’entre 1826 et 1839 par l’emploi
le rouble de mariage du grand-duc héritier Alexandre sur certaines pièces d’un dessin d’inspiration néo-
avec Marie de Hesse-Darmstadt (1841), le rouble classique fixé par un ukase de Nicolas Ier. Ce texte

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Au pays de l’aigle à deux têtes. Monnaies de l’Empire russe au Cabinet des médailles, 1700-1917

μ 1,5 μ 1,5

17. Nicolas Ier, 1825-1855, 18. Alexandre II, 1855-1881,


pièce d’or de 5 roubles de 1830 pièce d’or de 25 roubles, 1876
Droit Droit
BNF, Monnaies, Médailles et Antiques, BNF, Monnaies, Médailles et Antiques,
Monnaies russes, n° 1317 collection Beistegui, n° 1058

décrit l’aigle impériale comme une « aigle volant avec modes de représentation occidentaux. Son originalité
les ailes déployées 19 ». L’oiseau ne tient plus dans ses vient de ce que la tradition iconographique propre-
serres le sceptre et le globe terrestre mais des rubans, ment russe n’a jamais entièrement disparu et de ce
des foudres et une couronne de laurier (ill. 17). que les emprunts ont été diversifiés. En numisma-
Cette innovation est restée sans lendemain. Tout tique, comme en matière politique et administrative,
au long du xixe siècle, l’aigle conserve son type tradi- l’influence germanique est prépondérante, mais elle
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tionnel, enrichi des armes des royaumes et provinces est contrebalancée par d’autres influences, scandina-
qui composent l’Empire russe. À partir de 1828, ves, anglaises ou françaises.
l’aigle impériale porte six écus sur les ailes : ce sont, L’impression générale laissée par ce monnayage
de gauche à droite, les armes du royaume de Kazan, est celle d’une grande stabilité : stabilité des dénomi-
du royaume d’Astrakhan, du royaume de Sibérie, du nations monétaires, stabilité et uniformité des repré-
grand-duché de Finlande, du royaume de Cherso- sentations symboliques. On pourrait même parler
nèse taurique et du royaume de Pologne. À partir de d’une relative pauvreté du message véhiculé par les
1857, le nombre d’écus est porté à huit (ill. 18). monnaies de l’ancienne Russie, les aigles à deux têtes
On remarque une ultime transformation du type revenant avec une obsédante régularité.
dans la seconde moitié du siècle. Les deux têtes de Ce qui prévaut dans la numismatique de l’Em-
l’aigle, effilées suivant la tradition byzantine, voisi- pire russe, ce n’est ni l’exaltation du souverain, ni
nent alors avec des têtes plus carrées, adoptées sous celle de la dynastie, ni même l’affirmation de la reli-
l’influence de l’héraldique allemande et polonaise. gion orthodoxe, c’est la proclamation de la pérennité
C’est le type des armoiries officielles de l’Empire impériale. Les empereurs passent, plus ou moins
russe telles qu’elles sont représentées à la fin du remarquables, plus ou moins effacés, mais l’empire
xixe siècle et jusqu’à la chute du régime. et ses prétentions universalistes subsistent.
Quand l’empereur sera devenu dramatiquement
Le monnayage de l’Empire russe apparaît tout au inférieur à sa tâche, la dynastie et le régime s’écrou-
long de son histoire comme un monnayage sous leront, mais l’État et l’Empire leur survivront en pre-
influence. Comme les autres institutions de l’Empire, nant un autre nom : celui d’Union des républiques
il est adapté presque entièrement des systèmes et des socialistes soviétiques.

19 Ibid., p. 141 (ukase du 11 juillet 1826).

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