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Conférence
Thierry Sarmant L’histoire des monnaies de l’ancienne Russie demeure peu
connue en Occident. Sous le règne de Pierre le Grand s’est mis
en place un monnayage significatif du nouveau régime.
Exprimant le souci de marquer la continuité et la majesté
impériales, il évoluera peu jusqu’à l’avènement de l’URSS 1.
1 Cet article transpose la conférence prononcée par Thierry Sarmant le 28 janvier 2010 dans le cadre du cycle « Histoire de
monnaies », organisé par la BNF sur le site Richelieu. 2 Iaroslav Adrianov, Les Monnaies de cuivre de l’Empire russe des années
1700-1917 : catalogue, Perm, chez l’auteur, 2008 [en russe] ; grand-duc Georges Mikhaïlovitch, Monnaies de l’Empire russe, 1725-
1894, Paris, Feuardent, 1916 ; V. Ouzdenikov, Les Monnaies de Russie, 1700-1917, Moscou, 1992 [en russe]. 3 Cet exposé se limitera
aux aspects typologiques et laissera de côté les questions de métrologie et les aspects économiques et financiers du sujet, qui
nécessiteraient de longs développements. De même, on ne traitera ici que des monnaies intéressant l’Empire russe dans son
ensemble, sans s’arrêter aux monnaies spécifiques, comme celles frappées en Sibérie ou dans le Caucase, ou à celles frappées
dans des pays occupés comme la Moldavie ou la Prusse. 4 « Inventaire des monnoies d’or et d’argent du Cabinet du roy » (BNF,
Méd., Rés., Γ 46). 5 « Nummi ex omni metallo et modulo Cimelio regio additi » (BNF, Méd., Rés., Γ 106).
6 « Médailles en bronze des grands-ducs, empereurs, impératrices et grands hommes de Russie envoyées au Cabinet par M. le comte
de Vergennes en 1776 » (BNF, Méd., Rés., Γ 106). 7 « État des médailles, monnoies et jettons envoyés par le roi à M. de Fontanieu
et par lui remis à M. Bignon, conformément aux ordres de Sa Majesté le 21 avril 1780 » (BNF, Méd., 4 ACM 1-4). 8 Les informations
qui suivent sont tirées des registres d’acquisition manuscrits du Cabinet des médailles. 9 Marie-Félicité Brosset (1802-1880) quitte
la France après la Révolution de 1830 et s’installe en Russie. Membre de l’Académie impériale de Saint-Pétersbourg (1837),
inspecteur des écoles primaires (1841), bibliothécaire à la Bibliothèque impériale (1842), conservateur des monnaies orientales de
l’Ermitage (1851), il publie des travaux sur le Caucase, notamment une importante Histoire de la Géorgie des origines au xixe siècle,
1848-1858. 10 Mikhaïl Alexandrovitch, baron Taube, dit en France Michel de Taube, issu d’une grande famille de l’aristocratie balte,
né à Pavlovsk en 1869, fut professeur de droit international à l’université de Saint-Pétersbourg de 1899 à 1911, directeur au ministère
des Affaires étrangères (1906), membre de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye (1909), ministre adjoint de l’Instruction
publique en 1911, sénateur et conseiller privé en 1915, membre du Conseil de l’Empire en 1917 (Recueil des cours de l’Académie
internationale de droit de La Haye, 1935, III, p. 437-540). Il est mort en 1956. 11 Le grand-duc Georges Mikhaïlovitch (1863-1919),
petit-fils de Nicolas Ier, avait constitué une exceptionnelle collection de monnaies russes. Directeur du musée Alexandre III en 1895,
il fut assassiné par les bolcheviks le 28 janvier 1919.
μ 1,5 μ 1,5
12 Préface, p. III. 13 BNF, Méd., Rés., Ms 43. Non signé, non daté. 14 Paul Casanova (1861-1926), normalien, arabisant, fut titulaire
bibliothécaire au Cabinet des médailles puis titulaire de la chaire de langue et littérature arabes au Collège de France. 15 « Inventaire
des monnaies russes féodales rédigé en 1897 par P. Casanova » (BNF, Méd., Rés., Ms 44). 16 Robert K. Massie, Pierre le Grand :
sa vie, son univers, Paris, Fayard, 1985.
Le portrait impérial
De Pierre le Grand à la Grande Catherine, le
portrait impérial présente quelques traits communs :
il est orienté vers la droite ; les hommes sont vêtus à
l’antique ou en uniforme ; les femmes revêtent la
grande robe de cour et portent un modèle réduit de
la couronne impériale au sommet de la tête. Empe-
reurs et impératrices arborent le cordon bleu de l’or-
dre de Saint-André (ill. 6 à 10). La comparaison entre
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9. Élisabeth, 1741-1762, 10. Pierre III, 1762, pièce d’or 11. Catherine II, 1762-1796,
double ducat de 1758 de 10 roubles, 1762 pièce d’or de 5 roubles de 1777
Droit Droit Droit
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inspirée par le complexe que lui causaient ses disgrâ- semblant, mais aussi peu expressif que les effigies du
ces physiques. Quand, simple grand-duc héritier, il xviiie siècle.
avait visité Versailles, en 1782, il avait pu entendre les Ce phénomène d’effacement de l’image du
courtisans s’étonner de sa laideur. Il existe donc des monarque est tout à fait singulier dans un régime qui
médailles à l’effigie de Paul, l’une frappée en 1778 à se désigne sous le nom d’autocratie, où le souverain
l’occasion de son mariage, une autre datant sans est la clef de voûte des institutions 17. Il faut en cher-
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17 Pour une très complète synthèse, voir Michel Heller, Histoire de la Russie et de son Empire, Paris, Plon, 1997.
de rétablir le portrait impérial à l’avers des monnaies, d’Élisabeth. Dès 1763, Catherine II reprend le chiffre
Nicolas refuse et prescrit d’y laisser l’aigle héraldique de sa belle-mère à l’identique : un E et un I qui ne
de l’Empire 18. La première succession sans à-coups signifient plus « Élisabeth Ire », mais « Catherine [Eka-
depuis Pierre le Grand n’a lieu qu’en 1855. terina en russe] impératrice ». De 1796 à 1801, le
monogramme des monnaies divisionnaires est un Pi
Inscriptions et symboles de l’Empire et un I pour Paul Ier. L’usage du monogramme s’in-
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18 I. Adrianov, op. cit., p. 141-142 (rapport du 6 février 1830, résolution impériale du même jour).
14. Catherine II, 1762-1796, 15. Nicolas Ier, 1825-1855, rouble 16. Alexandre III, 1881-1894, rouble
pièce d’or de 5 roubles de 1777 commémoratif de la colonne Alexandre, 1834 commémoratif de son couronnement, 1883
Revers Revers Revers
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xviiie siècle, vient de l’héritage moscovite. Le mot commémoratif du monument de Nicolas Ier à Saint-
même de « kopek » désigne le lancier qui terrasse le Pétersbourg (1859), celui du couronnement
monstre. La croix de saint André l’Apôtre apparaît d’Alexandre III (1883) (ill. 16), celui du couronne-
brièvement sur les monnaies d’or de Pierre Ier et de ment de Nicolas II (1896), celui du monument
Catherine Ire, par allusion à l’ordre de Saint-André d’Alexandre II au Kremlin (1898). Deux roubles
institué par Pierre le Grand en 1698 à l’imitation de commémoratifs sont frappés en 1912 : l’un pour le
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décrit l’aigle impériale comme une « aigle volant avec modes de représentation occidentaux. Son originalité
les ailes déployées 19 ». L’oiseau ne tient plus dans ses vient de ce que la tradition iconographique propre-
serres le sceptre et le globe terrestre mais des rubans, ment russe n’a jamais entièrement disparu et de ce
des foudres et une couronne de laurier (ill. 17). que les emprunts ont été diversifiés. En numisma-
Cette innovation est restée sans lendemain. Tout tique, comme en matière politique et administrative,
au long du xixe siècle, l’aigle conserve son type tradi- l’influence germanique est prépondérante, mais elle
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