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Remerciement

Me lançant dans ma maîtrise de lettres, je ne savais pas à

quoi m'attendre. J'ai vite découvert un monde surprenant, rempli de

nouvelles expériences et de nouvelles ouvertures. L'aspect le plus

profond et le plus enrichissant de cette période de ma vie et sans

aucun doute la relation que j'ai construite avec mon promoteur

Pr KHADRAOUI SAID. Je le remercie du plus

profond de mon cœur. Je le remercie d'avoir rendre cette expérience

littéraire mémorable.

Je remercie le peintre SAMI .K parce que sans lui ce

travail n'aurait jamais vu le jour.


Dédicace

Que toute personne ayant, de près ou de loin, contribué à ma

formation, trouve ici l'expression de ma gratitude et de ma profonde

considération.
Introduction Générale ……………………………………………..………………………..…07

Chapitre I : Marguerite Duras : Vie et Œuvres

I.1.Présentation de l’auteur ………………………………………………………………..……...12


I.2.Parcours Littéraire de Marguerite Duras…………………….……….…………….…......14
I.2.1. Le Tournant de L'année 1958……………………………………….……..….14
I.2.2. La Consécration du Goncourt………………………………………….....…16
I.2.3.Le Succès de L’Amant……………………………………………….......…..16
I.3. Présentation de L'œuvre……………………………………………………...….20
I.3.1.Résumé de L'œuvre……………………………...…………………………..22

Chapitre II : Le Romancier Et Ses Personnages

II.1 Construire sa déconstruction: Le Personnage dans Le Nouveau Roman…….….…..28


II.1.1.Qu'est Ce qu'un personnage littéraire? …………………………………..…...28
II.1.2 .Personne et personnage…………………………………………………..…28
II.1.3.Le système du personnage : la caractérisation du personnage…………..…...31
II.1.4.Le personnage comme signe………………………………………………..34
II.1.4.1.L'être du personnage :nom et portrait……………………………......….35
II.1.4.1.1.Le nom………………………………………………………………...35
II.1.4.1.2.Le corps…………………………………………………………..…...35
II.1.4.1.3. L'habit……….…………………………………………….………….35
II.1.4.1.4.La psychologie……………….………………………………….…….36
II.1.4.1.5.La biographie………………….………..….…………………….........36
II.1.4.1.6.Fonctions du portrait…………………………………………………..36
II.1.5.L'importance hiérarchique…………………………………………….….…36
II.1. 5.1.La qualification…………………………………………………………..37
II.1.5.2.La distribution………………………………………………………..….37
II.1.5.3.L'autonomie………………………………………………………..……37
II.1.5.4. La fonctionnalité………………………………………………….…….37
II.1.5.5.La prédestination conventionnelle……………………………...…….…37
II.1.5.6.Le commentaire explicite du narrateur………………………………….38
II.1.6. L'analyse sémiologique du personnage selon Philippe Hamon……..……...38
II.1.7.Les fonctions du personnage…………………………………………...…...38
II.1.7.1.La distribution héros / personnage secondaire……………………...…..40
II.1.8 le personnage comme effet de lecture……….………………………………41
II.2. La mort du personnage………………………………………………..……..…...42
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : Poétique de la géométrie
Et d’abstraction

III. 3. La géométrie et le Nouveau roman……………………………………..……......59


III.3.1 Qu'est ce que la géométrie?...........................................................................59
III.3.2 Pour quoi la géométrie?.................................................................................59
III.3.3 Epure Géométrique des personnages dans le nouveau roman :L'Amour …..60
III. 4.Figures géométriques………………………………………………………….…..62
III. 5.Regard géométrique…………………………………………………………….…65
III. 6. Un univers géométrique…………………………………..……………………....68
III.6.1 La géométrie dans le temps……………………………………………….....68
III.6.1.1. Une série de rapports ……………….……………………………..…...71
III.6.2. L'espace durassien…………..……………………………………………....73
III.7. L'abstraction et le Nouveau Roman…………………………..…………………...76
III.7.1 Qu'est ce que les abstractions ?.....................................................................77
III.7.1.1 Origine historique et esthétique…………………………………….…...77
III.7. 2 Pour quoi l'art abstrait?..........................................................................................78
III.8.La mise en écriture du corps dans l'Amour Une estampe de la poétique durassienne
selon rynalle udris :……………………………………………………………………..81
III.8.1.Le corps romanesque de l'Amour: un corps fragmenté……………...…….81
III.9.Figures emblématiques sous le signe de la mer…………………………………...88
III.10.Figures emblématiques sous le signe de la lumière………………………..…….95
III.11.Figures emblématiques sous le signe du feu………………………………… …99

Conclusion ………………………………………………………………………….…..102

Références bibliographiques……………………………………………………....…..105
Introduction

Qui était Marguerite Duras? Duras apparait à la fois comme


une professionnelle de la confession, une véritable praticienne de la
réécriture qui finit même par apparaitre comme le principe fondamental
de toute son œuvre.

Duras est plutôt provocatrice, soucieuse d'une rénovation


esthétique car à partir de Moderato Cantabile (1958), ce roman présente
le transitoire et le fugitif à la fois.

Un barrage contre le Pacifique, Hiroshima mon amour, l’Amour,


l'Amante Anglaise, l'Amant, l'Amant de la Chine du Nord et la Maladie
de la Mort, Duras ne cesse de brouiller cette énigme fondatrice, qu'il
s'agisse de l'amour filiale, de l'amour régressif, de l'amour transgressif et
de l'amour interdit.

Les récits durassiens- car à partir de l’Amour on peut plus parler


de romans- s’épuraient jusqu’au vertige, nouveau méandre, nouvelle
conversion, L’Amour dépasse les limites de la destruction, tant dans
l’univers qu’il construit que dans sa forme, on s’aperçoit en effet que
Marguerite Duras continue à provoquer chez les lecteurs en général une
certaine perplexité qui peut se transformer en sentiment de frustration. En
reprendre l’Amour, une œuvre ou tout se réduisant à une sorte de voir,
d’où cependant toute réalité extérieure expressément envisageable est
exclue, Duras tisse autour et à l’intérieur de son œuvre un véritable
réseau d’ombres et de lumière qui construisent l’histoire et en même
temps la dé- réalisent, laissant le lecteur donner des caractéristiques
nouvelles et paradoxales. L’Amour risquerait de priver le lecteur du choc
qu’il peut éprouver lors d’une lecture directe et sans

Préparation, choc qui nous parait une chance d’entrer dans le vif de la
problématique d’où vient la fascination qu’exercent les personnages
fantômes de L’Amour dans notre musée imaginaire ? Par quels procédés
magiques les personnages durassiens nous semblent-ils venir du songe et
s’incarner dans la « propreté immaculée du vide 1 » ? Et pourquoi
L’Amour se valorise-t-elle si volontiers en cherchant à s’apparenter à la
géométrie et à l’art abstrait ?

1
Duras Marguerite, cité par Gisèle Bremondy in l’Arc N°=98, revue publiée avec le concours du centre
national des lettres et avec l’aide de l’office régional de la culture, Provence, côte d’Azur,
Duponchelle 1990, p51.
7
Introduction
A ces questions, trois hypothèses peuvent être données : répétons du
moins ici que nous formulions à propos du personnage dont la présence
est si forte : Salutaire dans la mesure que le roman est
devenu l’« aventure d’une écriture »1 Cette démarche devient mutilante
si elle conduit à faire l’impasse sur la puissance de l’Amour.

L’œuvre de Margueritte Duras ne s’écrit pas linéairement ; d’une


part parce que la même histoire est reprise plusieurs fois et d’autre part
parce que la mémoire y est absente, en tant que porteuse de souvenir
permanent.

Telles sont nos hypothèses de départ, les indications biographiques,


les discours globaux sur l’œuvre s’avèrent impuissants à faciliter la
pénétration de celle- ci. En un mot, les méthodes d’approches
traditionnelles sont ici inopérantes. Pour entreprendre cette étude qui se
propose de les vérifier, on s’est inspiré de nombreuses théories de la
géométrie et de l’art abstrait, deux domaines bien connus et distinctes(les
mathématiques et la peinture).

Heureusement, ce mémoire ambitionne de souligner la diversité des


formes revêtues par le dialogue de l’écriture durassienne et de l’art
abstrait et de montrer combien ce dialogue fécond a non seulement été
producteur d’une nouvelle œuvre mais a souvent conduit les deux arts à
s’interroger sur leurs codes respectifs et tenter de les dépasser par une
forme hybride.

Cette étude nous apporte à la fois une autre méthode et une


explication satisfaisante. Il faut donc rechercher un angle d’attaque
spécifique, et ne pas travailler en dehors du texte mais sur le texte : il ya
toujours lieu d’engager une discussion analytique et descriptive. Cette
étude se veut donc remédier à cette lacune dans le but d’offrir une
réflexion qui rende compte de toute la complexité de la question.

L’objectif de ce mémoire sera donc de mettre en lumière la


relation étroite entre l’Amour, la géométrie et l’art abstrait, responsable de
son dynamisme particulier. Il s’agira de regarder l’Amour comme un
tableau, en variant l’approche, en s’attachant à certains détails, en
cherchant l’angle optimal, et surtout en gardant la conviction qu’il est
possible de le revoir de tout autre façon.

1
Ricardou, Jean, Problèmes du nouveau roman, seuil, Paris, 1967, p111.
8
Introduction

Pour atteindre cet objectif nous suggérons de diviser notre tache en trois
chapitres : le premier s’intitule Marguerite Duras: vie et œuvres. Ce
chapitre comporte un aperçu biographique et son parcours littéraire et la
présentation de l’Amour et le succès de l’Amant en 1984.

Le deuxième chapitre intitule le romancier et ses personnages


comportera quatre points majeurs: construire sa déconstruction: le
personnage dans le nouveau roman. Dans ce chapitre nous avons voulu
regrouper les études plus strictement théorique, centrées autour de la
question du personnage, qu’est ce qu’un personnage littéraire ? Le
personnage comme signe, l’analyse sémiologique du personnage selon
Philippe Hamon, les fonctions du personnage et le personnage comme
effet de lecture, le point d’application demeure précis il ressemble des
textes compris entre Alain Robbe-Grillet et Marguerite Duras (texte
d’Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute, Michel Butor, Marguerite
Duras) sur la mort du personnage.

Le troisième chapitre intitule jeux de construction-déconstruction :


poétique de la géométrie et d’abstraction comportera quatre points
essentiels la géométrie et le nouveau roman, un univers géométrique,
l’abstraction et le nouveau roman et figures emblématiques dans un
univers géométrique dont les formes géométriques ne conçoivent pas

Seulement comme des figures composées et comprises de lignes et de


points, mais outre, ces figures sont présentées par la force de
l’imagination, c’est dans l’immobilité d’un sujet l’Amour que les formes
géométriques prennent peu à peu leur mobilité, d’une façon abstraite et
surtout intemporelle. Nous verrons ce que permet l’Amour de garder le
secret des personnages puisqu’ils restent du côté du « non –dit », la
pensée de Marguerite Duras se situe entre ce dialogue désiré et ce vide
redouté. A travers l’Amour elle exprime la difficulté de donner un
contenu à l’absence et de s’atteindre soi - même, elle se donne pour objet
d’exterminer le personnage, il n’est qu’une figure emblématique sous le
signe de la mer, de la lumière et le feu.une écriture qui frôle parfois
l’illisible, l’Amour évolue vers une pure expérimentation des formes.
L’œuvre devient une exploration des pouvoirs de la géométrie et la
peinture.

9
Introduction
En conclusion, nous essaierons de valider la supposition de départ
à propos de Duras qui avait orienté notre lecture en présentant l’Amour

comme analogue à celui d’un peintre, ce dialogue donne souvent lien à un


discours critique, fictionnel ou poétique qui en même temps, éclaire
l’Amour pour mieux l’intégrer au sein d’un autre imaginaire, une écriture
qui adapte le silence à ses besoins et exigence propres participe à
consacrer une nouvelle poétique de la géométrie et de l’art l’abstrait.

Pour appuyer notre investigation, une bibliographie générale et


une autre référentielle ont été indispensables. Il s’agit principalement des
ouvrages critiques sur Marguerite Duras, et d’écrits théoriques sur le
Nouveau Roman, d’autre sur la peinture et la géométrie. Si ce mémoire a
été une initiation, il a largement rempli son office.

01
Chapitre I : Marguerite Duras : vie et œuvres

I.1Présentation de l'auteur1
Marguerite Duras, pseudonyme de Marguerite Donnadieu, Elle laisse
entendre à travers toute son œuvre, dans une obsédante continuité: cette attente,
comme dans l'hésitation ou le recueillement, avant d'énoncer : Romans, théâtre,
films: des textes d'une extrême tension, une écriture limite entre les
questionnements de l'incertain et l'éclatement du vrai, entre l'absolu
dépouillement et l'envahissement du désir; romancière, auteur dramatique et
cinéaste née à Gia-Dinh, prés de Saîgon le 4 Avril 1914, morte à Paris le 3 Mars
1996. Ses parents d'un milieu modeste, sont enseignants, attirés par le rêve
colonial. Sa mère est institutrice, son père qu'elle ne connaîtra guère, professeur
de mathématiques. Le père meurt en laissant trois enfants; l'existence heureuse
de la famille Donnadieu, en "indo", se transforme alors en une vie plus
hasardeuse, plus aventureuse.
Pour subvenir aux pensions des siens, la mère accepte des postes précaires
dans la brousse. "Petits blancs", colons méprisés et misérables, la famille vit
comme les indigènes.
La jungle tout autour devient l'aire de jeux des enfants, tremplin
d'imaginaire lieu de toutes les terreurs, de toutes les fascinations. La mère, dotée
d'un caractère pugnace et autoritaire, achète une concession, fruit de ses
économies de vingt années. Mais ignorante de la coutume du pot-de-vin ou ne
voulant pas, par morale, y céder, elle se fait berner par l'administration qui lui
vend une terre incultivable, harcelée par la mer de chine. La légende s'installe:
plus tard la mer de chine deviendra le Pacifique, et cette mère abusée, une
déesse révoltée contre les dieux, défiant son destin dans une sorte de folie
souveraine.

1
LAFFONT et BOMPLANI, Dictionnaire Encyclopédique de la Littérature Française, Robert Laffont, Paris,
1997.p.p.310.312.

21
Chapitre I : Marguerite Duras : vie et œuvres

En pension à Saîgon, la jeune Marguerite découvre les premiers émois, la


violence de sa sensualité, la force impérieuse du désir. C'est à cette époque
qu'elle rencontrera l'Amant, un riche et jeune chinois, première expérience de
l'amour, mais aussi de la transgression sociale.
Puis elle rentre en France. Son imaginaire est déjà nourri de tout ce qui
construira l'œuvre à venir, de cette histoire de l'enfance, dont la future
romancière tissera inlassablement la trame, la déchirant, la raccommodant: la
lèpre, la jungle, le monde colonial, les palaces blancs, la corruption
administrative, la puissance de la nature, l'irrésistible poussée du désir, la mort,
les parfums.
En 1932, elle se fixe à Paris. Elle prépare une licence de droit, fait des
études de mathématiques, s'inscrit en sciences politiques. En France, elle
découvre l'ennui, garde en elle la nostalgie des îles, des fleuves qui, comme des
résilles, parcourent les terres humides, entretient en elle cette violence dont elle
avait en la révélation, éprouve l'amertume de cette liberté perdue de l'enfance,
vécue sur les "terres du barrage".
Les tensions familiales sont accrues parce que l'auteur ressent très vite
comme une terrible injustice: La préférence que sa mère accorda à son fils aîné,
"un fils superbe, tendre et dévoué". Cette différence dans l'amour, déclara-t-elle
plus tard, fut subie "comme un malheur".
Parce qu'elle prétend qu'un écrivain ne peut écrire sous le nom du père,
elle décide d'emprunter son pseudonyme à un nom de ville du Lot-et-Garonne.
Désormais, elle s'appellera Marguerite Duras. En 1939, elle épouse Robert
Antelme, qui réchappera des camps de la mort à l'issue de la Seconde Guerre
mondiale, et au sujet du quel, elle écrira La Douleur (1985), récit
autobiographique, mais auquel la violence, la souffrance brutale et l'émotion
conféreront une portée universelle. En 1942, elle rencontre Dyonis Mascolo,
dont elle aura un fils, Jean. Sa vocation d'écrivain s'affirme, influencée par les
auteurs américains de la "lost generation", elle écrit, en 1950, Un Barrage
21
Chapitre I : Marguerite Duras : vie et œuvres

Contre le Pacifique, qui reprend, de manière détournée, l'histoire de son enfance


et surtout attribue à sa mère une dimension épique.
Dans son appartement de Saint-Germain des prés qui fut un lieu d'accueil
de résistants, elle reçoit des artistes et des intellectuels: Bataille, Claude Roy,
Edgar Morin, Blanchot….. Dans ces mêmes années, elle milite au parti
communiste, dont elle est un temps secrétaire de cellule puis qu'elle quittera
avec violence. Dès lors elle ne cesse d’écrire. A un rythme soutenu, elle publie
des ouvrages au ton et au contenu très homogènes.
I.2Parcours littéraire de Marguerite Duras
Profondément marquée par sa jeunesse passée en Indochine, son
imaginaire est déjà nourri, inlassable, Marguerite touche à tous les genres: le
roman, mais aussi le théâtre, et le cinéma en faisant fusionner les techniques.
Duras opère "une rupture en profondeur". Comme elle dit. Mais à lire la liste
de ses œuvres, c'est un chant éternel de l'amour. Hiroshima mon amour,
L'Amour, L'amante anglaise, L'Amant, L'Amant de la Chine du Nord.
I.2.1. Le tournant de l'année 1958
A partir de Moderato Cantabile, un tournant très net se constate dans
l'écriture de Marguerite Duras, Duras manifeste l'originalité de son écriture, c'est
le début de ses expériences subtiles, bien qu'elle soit « l'histoire d'un monde sans
histoire »1, ce roman est le plus proche de ce qu'il est convenu d'appeler
l'esthétique du Nouveau Roman, dans l'œuvre de Marguerite Duras. Tentée un
temps très court; en dix jours seulement, Anne Desbaresdes, épouse du
Directeur de la Côte, renouvelle ses rendez-vous insolites au café et les prolonge
au -delà des bienséances, pour le texte proprement dit, Duras s'impose une
grande économie de moyens: ses phrases, qui comportent de moins en moins de
mots.

1
PICON, Gaetan, Les Romans de Marguerite Duras, Mercure de France, 1958, Cité par PAGES-PINDON,
Joelle, in Marguerite Duras, Ellipses, Paris, 2001, p.30.

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Chapitre I : Marguerite Duras : vie et œuvres

Duras comprend que l'écriture théâtrale puis cinématographique, seront


essentielles pour présenter des qualités. Duras met tout son talent à essayer de
recréer son amour perdu donc elle transpose Moderato Cantabile au cinéma.
De même pour le cycle de Lol.V.Stein s'inaugure en 1964 avec Le
Ravissement de LoL.V. Stein, Duras ne cesse de créer un univers de dialogues
lourds de silence, de cris, un univers bouleversé par une mort ou par un désir.
C'est dire que l'esprit n'apparaît guère dans cet univers romanesque.
La psychologie n'y joue à peu prés aucun rôle. En outre, l'inconvénient de ce
génie durassien, c'est la répétition qui entraîne parfois un ennui profond. Son
génie propre est une sorte d'organisation de ses pulsions, et tout cela devient un
problème de langage.
Du vice- Consul (1966) à Savannah Bay (1982), d’India Song (1973) à
Son nom de Venise Dans Calcutta désert (1976), de L’Amour (1971) à la Femme
Du Gange (1973).
Œuvre qui ne cesse de moduler Le chant éternel de L'amour, Duras a beaucoup
répété ses histoires et réécrit ses œuvres en réduisant à des reprises stylisées de
simples coordonnées. Mais aussi Duras en résulte, sous une apparente
complexité, un recommencement très séduisant pour le lecteur.
C'est l'infini modulation de ces œuvres selon Adler c'est la "matrice d'un
imaginaire peuplé de personnages récurrents et d'obsessions taraudantes"1.
Alain Vircondelet s'interroge d'où vient la fascination qu'exercent la vie et
l'œuvre de Marguerite sur ses contemporains?

1
ADLER, Laure, Marguerite Duras, Gallimard, Paris, 1998, P73.

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Chapitre I : Marguerite Duras : vie et œuvres

I.2.2. La consécration du Goncourt


Il a fallu le prix Goncourt attribué en 1984 à L'Amant, véritable
phénomène de société, une narration autobiographique: le souvenir du premier
amour, véritable brouillage des repères autobiographiques et autofictionnels.
C'est le livre aux millions de lecteurs.
Duras affirme: " L'histoire de votre vie, de ma vie, elle n'existe pas […]
"Le roman de ma vie, de nos vies, oui, mais pas l'histoire1".
I.2.3. le succès de L’Amant 2
L’Arc a donc essayé de chercher les raisons de ce succès en interrogeant les
auteurs de ce numéro. L’ensemble des réponses donne une assez bonne idée de
ce qui s’est passé.
MADLEINE BORGOMANO
Il ya une mode de l’autobiographie en ce moment. L’Amant entre dans ce
créneau. Il recèle aussi un certain exotisme. Les lecteurs prennent l’œuvre à un
niveau illusoire. Le succès ne va pas aux véritables qualités du livre, mais à son
côté référentiel. Ceux qui disent du bien ne mentionnent même pas la
construction très subtile, très complexe de l’ouvrage : fait de pièces et de
morceaux, celui-ci n’est pas aussi cohérent qu’on le pense.
GISELE BREMONDY
Histoire d’amour, charnelle, exotique, pleine d’amour aussi, L’Amant a attiré
les lecteurs intéressés par la biographie d’un auteur qui s’est toujours situé hors
de portée de la curiosité publique, dans la non-identification aux personnages,
ou dans une identification non perceptible par autrui, sauf dans un barrage
contre le pacifique. Cette fois on assiste à un passage du non-dit au sensuel où
tout est dit.

1
DURAS.M, L’Amant,Minuit,Paris,1984,P.14.
2
enquette de Françoise PY, Margueritte Duras,L’ARC N°98, revue publiée avec le concours du centre national
des lettres et avec l’aide de l’Office régional de la Culture, Duponchelle ,Provence-côte d’Azur,1990,pp88.90.

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Chapitre I : Marguerite Duras : vie et œuvres

En outre, après l’attribution du Goncourt, le public qui lit systématiquement les


livres primés a trouvé ici une histoire qui se déroule normalement dans les temps
et les lieux…
GILLES COSTAZ
L’Amant touche à un problème d’actualité : celui du racisme. L’anecdote
satisfait à un besoin de romantisme. La lisibilité apparente du livre permet à tous
les lecteurs d’accéder à un auteur tenu pour difficile. Enfin la modicité de son
prix a certainement contribué à favoriser sa diffusion.
MARCELLE MARINI
Le succès de L’Amant peut s’expliquer par une certaine attente du public,
avide de récit vrai- notamment de la part d’écrivains réputés « difficile ». Le
style y est également pour beaucoup ; L’Amant est d’une écriture courante, qui
effleure, « suit la crête des phrases », laisse venir le récit ; de plus, ce sont les
autres livres de Marguerite Duras qui donnent son poids à celui-ci.
Avec L’Amant, comme déjà auparavant avec Moderato Cantabile,
Marguerite Duras a réussi à toucher un public plus populaire ; c’est un livre lu
de manière très diverse.
Enfin le titre, L’Amant, et non « un amant » ou « mon amant », provoque
l’imaginaire, un imaginaire mixte : en utilisant un mot tombé pratiquement en
désuétude dans le vocabulaire courant d’aujourd’hui, Duras suscite une sorte de
nostalgie et un regain de romantisme ; elle redonne une allégresse, une
coloration nouvelle à une situation sentimentale naguère chargée de rêve.
DOMINIQUE NOGUEZ
Parce qu’un je vaux mieux que cent il ou elle.
Parce que les temps ne sont plus à « l’idéologie » et que la vérité intime est de
nouveau à l’ordre du jour.
Parce que l’amour, il n’y a que ça et que ça fait trente ans que duras le dit.
Parce qu’on se voit tous un peu chinois martyrs ou sauvageonne précoce.
Parce sue c’est royalement écrit.
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Chapitre I : Marguerite Duras : vie et œuvres

Parce que 142pages, ça se lit en une nuit et on en parle à des amis le lendemain.
Parce qu’il ya une justice.
Et parce que, tout ça pour 50F, c’est donné.
FRANÇOISE PY
Dans L’Amant, Marguerite Duras se livre aux lecteurs, offre sa face cachée Ŕ
vérité et fantasmes mêlés. Le public est sensible à cette mise à nu, à ce
« rabaissement », d’autant que celle qui s’y prête occupe une position élevée
dans la quête de l’abstraction.
Que l’on quitte les zones de glaciation littéraire- fussent-elle éprouvées par les
chaleurs passantes de la mousson d’été - pour condescendre à respirer l’air
environnant dont s’abreuve tout un chacun, voilà qui justifie, dans une certaine
mesure, la reconnaissance du public.
ISABELLE RAYNAULD
Ce succès apparait comme le résultat d’une réaction « après coup » ; tout se
passe comme si les lecteurs n’avaient pas voulu manquer l’occasion de lire un
ouvrage de Marguerite Duras présenté comme accessible par ses premiers
lecteurs, et comme « décevant » par les partisans intransigeants d’une littérature
plus hermétique. L’exotisme du cadre y a certainement contribué, ainsi que le
caractère intrigant du titre : certains ont même pu penser y trouver des éléments
pornographiques.
MARC SAPORTA
Le nom et la réputation de Marguerite Duras ont pu servir de caution à un
certain voyeurisme : on savait que le livre était autobiographique, apportait des
révélations intimes sur un auteur connu, et traitait des amours d’une très jeune
collégienne avec un homme plus âgé, riche et d’une autre race, dans un cadre
exotique. Mais il ne faut pas exagérer l’importance de ce malentendu : il a
seulement servi de détonateur à un succès initial. Ce qui compte, c’est que la
réputation d’un écrivain, tenu pour compliqué, « intellectuel », engendre une

21
Chapitre I : Marguerite Duras : vie et œuvres

Sorte de frustration dans le public qui attend inconsciemment peut-être,


l’occasion de faire enfin connaissance avec lui.
Ce n’est pas tant l’auteur qui s’est rapproché public (L’Amant n’est pas un livre
dépourvu d’exigence, loin de là) mais le public qui progresse sans cesse dans sa
capacité de lecture. On pense au succès considérable du dernier roman de
Faulkner, Les Larrons ou, dans un domaine très différent, au cas de Queneau Ŕ
tenu pour un écrivain de chapelle jusqu’au moment où parait Zazi dans le métro.
On peut évoquer également le retentissement des Mots de Sartre. Il s’agit sans
doute d’un phénomène de cristallisation du même ordre, étayé par une longue
carrière de cinéaste, de dramaturge et de romancière.

21
Chapitre I : Marguerite Duras : vie et œuvres

I.3. Présentation de l'Amour 1


Nous avons tenté de suggérer pourquoi et comment Marguerite Duras fut
dès son enfance sensible aux souvenirs qui s'attachent aux lieux familiers. Elle
Soufre d'une santé fragile, mais d'une vive intelligence, la solitude, l'Ankylose (2)
l'enferment de plus en plus en elle-même, Duras laisse souffrir jusqu'au terme de
sa vie. Cette somme de souvenirs qui est l'Amour comme le note Laure Adler:
«elle a l'impression d'être abandonnée par ses amis, [..] quand elle commence
L'Amour, physiquement elle ne va pas bien du tout: elle est saisie d'une sorte
d'Ankylose généralisée qu'elle interprète comme de l'hystérie3» (4).

1
DURAS, MARGUERITE, l’Amour. Gallimard, Paris. 1971.
2
Selon Larousse Médical, l'Ankylose : Limitation partielle ou totale de la mobilité d'une
articulation.
Due à des lisions de l'articulation l'ankylose est presque toujours irréversible et ne doit
donc pas être confondue avec la raideur articulaire, qui elle, est transitoire. Elle peut être la
conséquence d'un traumatisme. (Fracture articulaire), d'une inflammation (arthrite aigué ou
chronique, rhumatisme poly articulaire) ou d'une arthrodèse (fusion chirurgicale des os de la
l'articulation).une ankylose partielle peut être améliorée par une kinésithérapie, efficace si elle
est entreprise tôt. Pour les ankyloses complètes, le seul traitement est chirurgical
3
Névrose caractérisé par la conversion corporelle d'un conflit psychique.
L'hystérie tire son mon du mot grec hustera, qui signifie " utérus" dans l'Antiquité, on
croyait que cet organe jouait un rôle particulier dans cette affection. L'étude qu'en firent, à la
fin du XIX siècle, Jean Martin charcot, Josef Breuer et Sigmund Freud a été capitale pour la
compréhension de la sexualité et l'élaboration de la première théorie psychanalytique.
Selon la psychanalyse, l'hystérie résulterait du refoulement d'un conflit œdipien non
résolu. La personnalité hystérique est très influençable malgré une froideur apparente; elle se
réfugie dans l'imaginaire (tendance au théâtralisme, à la mythomanie), souffre d'insatisfaction
sexuelle et joue un jeu ambigu de séduction et de mise à distance. Les crises hystériques, qui
surviennent souvent en public, peuvent revêtir des formes très diverses crise de nerfs, perte de
connaissance, paralysie, convulsions, œdème, troubles circulatoires, etc.
Elles sont sans cause organique: c'est un" langage corporel" par lequel l'hystérique exprime
ses conflits inconscients.

4
Adler, Laure, Marguerite Duras, Gallimard. Paris .1998.p428.

12
Chapitre I : Marguerite Duras : vie et œuvres

Elle y retient, au fil de 130 pages écrites dans la mélancolie, la dépression, le


temps qui passe et dans les photos noircies ne préservent que les moments
privilégiés comme le note aussi Alain Vircondelet: "Souvent, elle se plaint de ce
cerveau qui n'en finit pas de, toujours en action, à faire mal, à faire peur […], et
elle voudrait se perdre, comme les "fous" de L'Amour, qu'elle écrira en 1971"1
Comme le dit Gilles Deleuze " La littérature apparaît alors comme une
entreprise de la santé: non pas que l'écrivain ait forcément une grande santé
[...] mais il jouit d'une irrésistible petite santé [...] qui vient de ce qu'il a vu et
entendu des choses trop grandes pour lui, trop fortes pour lui, irrespirables,
dont le passage l'épuise, en lui donnant pourtant des devenirs qu'une grosse
santé dominante rendrait impossibles" 2
Après ce roman elle va se dédier au théâtre, au cinéma, elle ne reviendra à écrire
que dix ans plus tard, en 1981.

1
Vircondelet Alain, Duras, les éditions François Bourin. Paris.1991.P272.
2
Deleuze Gilles, Critique et clinique, les Editions de Minuit, Paris.1993.P14

12
Chapitre I : Marguerite Duras : vie et œuvres

I.3.1. Résumé de l'œuvre : L’Amour


Trois personnages anonymes forment et déforment un triangle, apparaissent
et disparaissent sur scène, dans une ville au bord de la mer -S. Thala.
Les trois personnages n'ont pas de nom. Le premier est distingué parce
qu'il "regarde". Il sera appelé Le Voyageur. Le deuxième est celui qui
"marche". Il sera appelé le Prisonnier. Et la femme n'aura aucune appellation
spécifique; le narrateur la nommera simplement la femme.
Ils font des mouvements dans la plage, ils vont et viennent, ils regardent
au loin, ils parlent peu. Parfois le voyageur rencontre la femme, parfois il
rencontre le prisonnier, parfois les trois se rencontrent. L'action varie entre
regarder et marcher. L'étrangeté est complète parce qu'on ignore quelle est la
relation entre ces trois personnages, on ne sait pas pourquoi ils s'y sont
rencontrés. Les rares dialogues ne révèlent aucun engagement entre eux. Ce
manque de compromis entre eux traduit un malaise qui devient significatif.
On sait que le voyageur est une personne qui est "revenu".
A la moitié du roman une autre femme arrive avec ces enfants et le voyageur lui
dit qu'il allait l'abandonner, et elle part avec les enfants, après avoir demandé la
raison de ce geste.
Le prisonnier est aussi appelé fou; mais ses actions ne montrent aucun
symptôme de folie.
Même la femme, on ne sait pas pourquoi elle dort en plein air, ni où elle
demeure, rien. Peut-être c'est elle qui est folle? Le prisonnier dit au voyageur
qu'elle habite la prison. Serait-ce un Hôpital, puisque elle est encore malade ?
On sait qu'elle est enceinte et qu'elle ignore qui est le père. Mais cela n'est
pas un problème non plus; ce qui la dérange, c'est qu'elle vomit tout le temps.
Jean Pierrot dit que cette femme enceinte qui dort au bord de la mer, à la
belle étoile, nous rappelle l'inoubliable figure d'un autre roman, le Vice Consul
(1964).

11
Chapitre I : Marguerite Duras : vie et œuvres

La première séquence pourrait être considérée comme une introduction


parce que les trois personnages principaux sont présentés et l'espace est
superficiellement décrit par le narrateur. On a l'impression que l'histoire va
commencer, mais on ne verra que les mouvements continuels et répétitifs des
personnages. Les séquences suivantes ne pourraient pas être groupés comme
développement: l'action se réduit à peine et le lecteur se perd dans ce va-et-
vient des personnages, dans l'absence d'événements.
Un narrateur de troisième personne ne raconte que ce qu'il voit. Il ne sait
que ce que les personnages racontent; on ne connaît que ce que révèle leurs
dialogues non-sens.
Ce n'est qu'à la moitié du roman que des indices commencent à surgir,
cette étrange histoire pourrait être, comme le dit Jean Pierrot, un "prolongement
ou une variation de l'histoire de Lol"1.
Dans un roman antérieur- Le Ravissement de LolV. Stein, l'action se passe
aussi à S.Thala; mais la graphie est différente (S.Tahla); le voyageur serait
Michael Richardson, le fiancé de Lol qui l'avait abandonnée au bal du casino.
Premièrement le narrateur fait référence aux "bals morts" (p38), à la
musique de S.Thala (p40), expression qui remet le lecteur immédiatement au
fameux roman de 1965- Le Ravissement de LolV. Stein
A la moitié du roman, le voyageur fait visite à une dame en robe d'été et aux
cheveux "très Noirs", "Défaits" (P76), et le lecteur se rappelle de la formidable
et inoubliable chevelure de Tatiana Karl, l'amie de Lol.
Ce pendant son nom n'est pas mentionné.
Avec elle le voyageur commente sur la santé de la Femme; elle lui demande:
"Elle n'a jamais guéri?" (p.78). Donc la femme de L'Amour serait Lol.
Dans L'Amour, à la fin du roman, le Voyageur visite le casino.

1
PIERROT, Jean. Le cycle de Lol V. Stein. Marguerite Duras. Josi Corti, Paris 1986.P237

11
Chapitre I : Marguerite Duras : vie et œuvres

Il voulait revoir le lien d'un "bal" où il était allé dix-sept ans avant avec sa
fiancée. Quand il raconte à la femme qu'il y était allé, il lui dit qu'il n'avait pas
pu sortir par la porte par laquelle ils étaient sortis autrefois "séparés".
C'est la seule référence à la cause de la maladie de Lol l'abandon
fondamental du roman antérieur, Le Ravissement de Lol V Stein.
Cette scène correspond dans l'autre roman, à la scène essentielle de la
visite de Lol au Casino avec Jacques Hold, son amant.
Donc, comme dans l'histoire de Lol, on assiste à la quête de mémoire, à la
tentative d'une reconstruction de la mémoire, cette fois du côté de l'homme.
Dans L'Amour, la Femme, après qu'elle s'est couchée avec le Voyageur,
elle se souvient de son voyage à la plage (T. Beach dans l'autre roman), ainsi
que le ravissement, Lol se souvient de son départ de T. Beach après avoir fait
l'amour avec son amant Jacques Hold.
Mais L'Amour n'est pas seulement le "prolongement ou la variation de
l'histoire de "Lol", cela serait en dire peu.
L'étrangeté, le silence de ce roman s'avère significatif. Ainsi, il faut
chercher le sens dans d'autres éléments, vu que le narrateur et les personnages
parlent peu. L'espace se révèle un élément très important parce que la mer sera
le décor de presque toutes les scènes de ce roman.
La mer n'est pas décrite, elle est vue, observée surtout par le voyageur et par la
Femme.
Elle est sombre pendant presque toute la narration; les épithètes utilisées
le montrent et ils vont se répéter plusieurs fois dans le roman.
On dirait qu'ils sont au bord du "gouffre". Le Voyageur est venu à S.Tahla
pour se tuer; la Femme attend un bébé dans des mauvaises conditions, et on ne
connaît rien à l'égard du prisonnier/ Fou sauf qu'il marche tout le temps, on ne
sait pas pourquoi.
La ville S.Thala est une étrange ville: donc on n'est pas sûre d'être devant
une ville vraie, symbole de toutes les villes modernes, ainsi, c'est une vision
11
Chapitre I : Marguerite Duras : vie et œuvres

apocalyptique de la vie. La vie en communauté n'étant plus possible, les


grandes villes avec leurs complexités.
Les mouvements de personnages semblent, au contraire, un jeu de cache -
cache. Une succession de va -et- vient, sans aucun but, aucun sens.
Donc L'Amour dépasse l'histoire de Lol et s'avère une réflexion sur ce que
pourrait être ce sentiment, ce désir, autrefois, inépuisable, intense, qui
maintenant même à la folie ou à la mort. Un sentiment qu'on ne verra pas ici. Ce
que le lecteur trouve dans ce roman c'est exactement l'absence de L'Amour. Les
rapports entre la Femme et le Voyageur montrent quelques tendresses mais pas
d'engagement; les caresses n'arriveront qu'à la fin du roman de manière très
subtile. Marguerite Duras fera une pause; elle n'a plus à dire, elle est épuisée.

11
Chapitre II : le romancier et ses personnages

II.1 Construire sa déconstruction : Le personnage dans le nouveau


Roman

Le personnage de roman est un être de fiction anthropomorphe. Cet être


romanesque se donne à lire comme un autre vivant.la question du personnage est
au centre des préoccupations d’un siècle, il est vraiment difficile d’imaginer un
récit sans personnage. Nous allons étudier, d’une part, qu’est ce qu’un
personnage littéraire ? Ses types, les fonctions du personnage, d’autre part, les
mécanismes à l’œuvre dans le codage du rapport émotionnel entre personnes
fictives et lecteur.
Le personnage a été le point central de nombreuses approches du fait littéraire.
Comme le personnage est une donnée essentielle, on ne saurait parler de la mort
du personnage sans se référer à la conception traditionnelle du personnage
romanesque.
II.1.1 Qu’est ce qu’un personnage littéraire ?

Le personnage existe-t-il autrement que comme une réalité psychique calquée


sur le model des personnes réelles ?

En fait, la notion de personnage est floue et multiforme : «être de fiction, crée


par le romancier ou le dramaturge, que l’illusion nous porte abusivement à
1
considérer comme une personne réelle »

« C’est un être de papier. Sa relation avec la réalité est variable ; il peut être
une fiction pure, une composition à partir de plusieurs « modèles », un
personnage historique intégré sous son nom à l’histoire racontée [……] Ou
inversement un personnage dont le nom est fictif mais qui recouvre le portrait
d’une personne existante »2

1
Gardes-Tamine, Joelle et Marie Claude, Hubert, Critica : dictionnaire de critique littéraire, Cérès, Tunis, 1998,
pp.213-214.
2
Milly, Jean, Poétique des textes, Armand Colin, Paris, 2005. p.42.

28
Chapitre II : le romancier et ses personnages

Ou encore « on appelle communément l’individu de l’espèce humaine que nous


sommes une personne .on pourrait donc définir schématiquement le personnage
d’un roman comme la personne fictive qui remplit un rôle dans le
développement de l’action romanesque »1

En fait, la notion de personnage est multiforme : le héros épique, proche de


l’univers des dieux ; les personnages de la tragédie classique sont imprégnés de
cette majesté légendaire (Cinna, Horace,…).

Le personnage de la comédie et ses surnoms fantaisistes (Chérubin, Estragon,


Lucky,…….), n’est pas moins imaginaire par contre l’ « anti-héros » dans l’anti-
théâtre a une signification abstraite et symbolique.
En ce sens, le héros ou l’anti-héros sont des personnages artificiels, littéraires.
Le personnage de l’époque réaliste se rapproche plus de l’homme concret par
exemple les personnages de Flaubert : Emma Bovary, une jeune insatisfaite,
nourrit ses fantasmes à partir de lectures romantiques mal assimilées et rêve à
l’ivresse que ne doit pas manquer de procurer la vie parisienne.

Marie Arnoux dans l’Education sentimentale, personnage central du roman,


espoir récurrent de Frédéric, son comportement est bien différent de celui autres
femmes mises en scène dans le roman. Si elle est l’objet d’un amour quasi
mystique de la part de Frédéric, Mme Arnoux n’en pas moins un être humain,
pétrie de faiblesse.

Salammbô dans Salammbô, c’est une héroïne, au sens sacré ou mythologique du


terme.

Narr’Havas est le roi des Numides, et Matho incarne les barbares, Ecartelée
entre le « civilise » et le « sauvage », entre un désir refoulé et le souci de sa
dignité, Salammbô demeurera victime de cette contradiction.

A l’époque contemporaine, une réaction se fait sentir, qui donne au


personnage un statut ambigu et énigmatique « les visages anonymes qui hantent
le nouveau roman interpellent le lecteur qu’ils ne le reflètent »1i

1
Goldenstein, Jean-Pierre, Lire le roman, De Boeck, Paris, 2005. p.50.

29
Chapitre II : le romancier et ses personnages

Chez Beckett, chez Le Clézio, le personnage réduit à une initiale ou à une voix.
Ionesco mélange ces différentes hypostases du personnage dans Rhinocéros.

II.1.2 Personne et personnage

On appelle communément l’individu de l’espèce humaine que nous sommes


une personne. Au théâtre et dans le roman, la personne humaine est représentée,
donc tout roman exprime une conception de la personne qui dicte à l’écrivain de
choisir certains formes et confère à l’œuvre son sens le plus large et le plus
profond : on pourrait donc définir schématiquement le personnage comme la
personne fictive qui remplit un rôle dans le développement de l’action
romanesque ;il tient un rôle fondamentale dans le pacte de lecture parce que
« cette figure de papier est montrée agissante, parlante, souffrante, aimante
comme un humain réel »1

Le personnage représente aussi bien un type social, un caractère, une force


mythique et des idées que des personnes : ce sont des signes.

« Le personnage, en tout point semblable à une personne humaine, aurait donc


une existence propre, une « épaisseur psychologique »2

Tomacheveski notait que « les personnages portent habituellement une teinte


émotionnelle [……].Attirer les sympathies du lecteur pour certains d`entre eux
et sa répulsion pour certains autres entraîne immanquablement sa participation
émotionnelle aux événements exposés »3

1
Tisset, Carole, Analyse linguistique de la narration, Sedes, Paris, 2000, p.26
2
..Beaumarchais, Jean-Pierre et Al. Dictionnaire des littératures de langue française, Bordas,Paris.1999.p.1864
3
Achour, Christiane et Amina Bekkat, Clefs pour la lecture des récits, Tell, Algérie, 2002. p.45.

30
Chapitre II : le romancier et ses personnages

II.1.3 Le système du personnage : la caractérisation du personnage

Pour amener les personnages à la vie fictive du récit, donc ils ne sont pas
crées un à un : ils forment un ensemble organisé selon une structure propre à
chaque récit « caractériser un personnage de roman, c’est lui donner, bien que
dans la fiction, les attributs que la personne qu’il est censé représenter
posséderait dans la vie réelle »1

Il faut dresser la liste des personnages et les classer selon leurs


ressemblances et les différences qui les opposent. Quels sont les signes
constitutifs du personnage ?

Pour ce faire, le roman recourait à deux sortes de caractérisation : la


caractérisation intrinsèque et la caractérisation indirecte.

La caractérisation intrinsèque : C’est avant tout le portrait proprement dit


« dont l’inventaire lexical a correspondu à des règles diverses mais précises
(les « caractères », au XVII siècle, le topos de la beauté féminine idéalisée, au
XVIII siècle, la fiche minutieusement établie ; à l’époque du réalisme, etc.2) »

-Le comportement : (les actifs et les passifs, les forts et les faibles, les idéalistes
et les calculateurs).

- La situation sociale : (ouvriers et bourgeois, exploiteurs et exploités, officiers


et soldats)

-La situation dans le groupe : (l’individu isolé e le groupe uni)

-L’âge : vieux, jeune,…

-L’idéologie : (les révolutionnaires et les traitres)

-L’antériorité : donner un passé à un personnage lui donne de l’épaisseur ainsi le


héros se construit pour se mettre en valeur l’un des autres : Il forme des
contrastes ou se complète l’un l’autre (Jacques le fataliste et son
maître)

1
Opcit, Lire le roman. p.59.
2
. Opcit, Dictionnaire des littératures de langue française, p.1865

31
Chapitre II : le romancier et ses personnages

-Les traits physiques et particularités

-La compétence linguistique.

La caractérisation indirecte. «La caractérisation est plus souvent implicite


qu’explicite éparse au niveau du dire, du faire, du regard des autres et peut être
aussi des sous-entendus et du non-dit »1

Il suffit de comparer ces deux exemples tirés de Lucien Leuwen : « l’abandon


était rare chez lui »et « il faut me méfier de mes premiers mouvements,
se disait-il »2

Dans le premier cas, la qualité du héros fait partie du portrait donc la


déclaration de l’auteur est transparente. Dans le second cas, à partir d’une
compétence culturelle ou un tel type de pensée est ressenti comme
symptomatique de la résistance à l’abandon, la caractérisation est déduite
indirectement.

Si donc le portrait n’est autre qu’une description, le personnage, lui, ne


saurait se réduire à cette vision superficielle.

Les traits constitutifs du personnage de roman font appel à des marques


intrinsèques extrinsèques qui appartiennent à plusieurs niveaux narratifs,
descriptifs ou discursifs. On peut les résumer ainsi :

1
Ibid.p.1865
2
Ibid.

32
Chapitre II : le romancier et ses personnages

Tableau n°01
Le personnage dans l’approche psychologique

Traditionnelle

axes Origine
Sexe idéologie Argent
géographique
Personnages

P1 + + + +

P2 + + + +

P3 + Ø Ø Ø

P4 + + Ø Ø

P5 + + Ø Ø

Source : Barthes, Roland et al, Poétique du récit, éd du Seuil, Paris, 1977.p.130.

Ce tableau, qui rend compte des caractérisations physiques et psychologiques du


personnage, doit être complété par l’article de Philippe Hamon « pour un statut
sémiologique du personnage »

Son tableau qui note horizontalement les qualifications des personnages et


verticalement les personnages (ou les plus essentiels lorsqu’ils sont trop
nombreux) permet les comparer, de faire apparaître leur système de construction
dans l’œuvre puisque la signification de chacun se construit par rapport aux
autres.

33
Chapitre II : le romancier et ses personnages

Tableau n°02
Les fonctions des personnages dans le récit

Fonctions Récep- Mande- Accepta- Récep- Récep- Lutte


victo-
tion ment tion tion tion
rieuse
d’un d’un d’une d’un
adjuvant
personnages contrat informa- bien

tion

P1 + + + + + +

P2 + + + + + +

P3 + + + + Ø Ø

P4 + + Ø Ø Ø Ø

P5 + Ø Ø Ø + Ø

P6 + 0 0 + + +

n…

Source : Barthes, Roland et al, Poétique du récit, éd du Seuil, Paris, 1977.p.131.

II.1.4 Le personnage comme signe

Le personnage « signe » du récit, se prête en effet à la même classification


que les signes de la langue.

On peut classer les personnages d’un récit en trois catégories :

-Les personnages-référentiels reflètent la réalité ou des représentations fixes .Par


exemple Napoléon dans les Misérables.

- Les personnages embrayeurs renvoient à l’auteur ou au lecteur dont ils


dessinent la place dans la fonction .Par exemple Waston, narrateur-témoin des
aventures de Sherlock Holmes.

34
Chapitre II : le romancier et ses personnages

-Les personnages –anaphores qui assurent l’unité et la cohésion du récit .Par


exemple Merlin dans le cycle arthurien.

Le personnage est appréhendé par Philippe Hamon comme « un signifiant


discontinu renvoyant à un signifié discontinue »1

On peut donc retenir les trois champs d’analyse suivants :

- Le faire (rôle et fonction).

- L’être (nom, dénomination et portrait).

- L’importance hiérarchique (statut et valeur).

II.1.4.1. L’être du personnage : nom et portrait

II.1.4.1.1. Le nom

Le nom qui suggère une individualité, l’élimination du nom a pour


conséquence de déstabiliser le personnage, il sera réduit à un pronom anonyme
(« il » ou « elle ») ou un nom de ville (« Hiroshima ») Chez Duras.

II.1.4.1.2. Le corps

Son portrait physique passe d’abord la référence au corps. Il peut être


beau, laid, difforme, humain ou non humain. «Ainsi la laideur de Quasimodo
dans Notre Dame de Paris, loin d’être des indices de dévaluation, sont au
contraire des marques d’exception qui placent ces personnages au de là de la
condition commune »2

II.1.4.1.3. L'habit

La référence à l'habit renseigne non seulement sur l'origine sociale et


culturelle du personnage mais aussi sa relation au paraître. Par exemple les
personnages de Zola : ceux qui portent la casquette (les ouvriers) et ceux qui
portent le chapeau (les bourgeois)

1
Hamon, Philippe, Pour un statut sémiologique du personnage, éd du Seuil, Paris, 1977.pp.124.125
2
Jouve, Vincent, Poétique du roman, Armand Colin, Paris, 1998, p.90.

35
Chapitre II : le romancier et ses personnages

II.1.4.1.4. La psychologie

Le portrait psychologique est essentiellement fondu sur des modalités.


C’est la que se construit la relation du lecteur aux êtres romanesques «C'est le
lien du personnage au pouvoir, au savoir, au vouloir et au devoir qui donne
l'illusion d'une "vie intérieur" »1 . L`intérêt du portrait psychologique est de
créer un lieu affectif entre le personnage et le lecteur. Il suscitera, selon les cas,
admiration, pitié ou mépris.

II.1.4.1.5. La biographie

En faisant référence au passé, en donnant la clé de son comportement et


de préciser le regard que le narrateur porte sur lui. Précisions que le portrait
biographique "fondé sur un équilibre entre le dit et le tu es le lieu de tous les
effets de suspense"2

Les différents paramètres qui composent un portrait ne sont pas présents


pour tous les personnages et d ans tout récit, par exemple, on a peu
d'indications sur l'apparence de Chauvin dans Moderato Cantabile de
Marguerite Duras; donc il faudra se demander pourquoi, dans tel roman un
personnage est décrit sur le plan psychologique et pas sur le plan physique, ou
sur le plan vestimentaire et pas sur le plan biographique.

II.1.4.1.6. Fonctions du portrait

Le portrait fonctionne de la même façon que la description. Dans le Roi


des Aulnes, le portrait de Tiffauges a une valeur explicative. On peut trouver une
valeur évaluative (chez Balzac) et une valeur symbolique (chez Hugo).

II.1.5 L'importance hiérarchique.

L'analyse sémiologique porte aussi sur le problème de la hiérarchie entre


les différents acteurs du récit selon Philippe Hamon, L'"héroïté" d'un
personnage est identifiable à travers six paramètres qui relèvent tous de la "mise

1
Ibid.p.90.

2
Ibid. p.91.

36
Chapitre II : le romancier et ses personnages

en texte». Le héros se distingue d'abord par une série de traits différentiels


concernant la qualification, la distribution, l'autonomie et la fonctionnalité.

II.1.5.1. La qualification

C'est la fonction de la quantité et de la nature des caractéristiques


attribuées au personnage. On se demande si telle figure est plus ou moins décrite
que les autres et si elle présente des signes particuliers, blessure ou un physique
exceptionnel par exemple le rire luciférien du Vice Consul de Duras

II.1.5.2. La distribution

Il faudra examiner si un personnage apparaît plus ou moins souvent ou


plus ou moins longtemps, mais surtout ă quels endroits il est présent .Par
exemple deux passages d'opposition (l'hiver et le printemps, l`abattement et
l'espoir) qui dévoilent l'enjeu du roman.

II.1.5.3. L'autonomie

Est aussi un indicateur de l' héroïté .Il conviendra donc de s'interroger sur
les modes de combinaison entre les différents acteurs, le héros est le seul lien
entre les multiples personnages secondaires qui surgissent de page en page dans
le récit.

II.1.5.4. La fonctionnalité

La fonctionnalité entreprend des actions importantes lorsque le


personnage remplit des rôles habituellement réservés au héros donc c'est une
fonctionnalité différentielle. Philippe Hamon ajoute la prise en compte de deux
critères utiles à l’identification du héros : la prédésignation conventionnelle et le
commentaire explicite du narrateur.

II.1.5.5. La prédésignation conventionnelle

La prédésignation conventionnelle se retrouve dans certains romans très


codifiés ou le héros se définit par un certain nombre de caractéristiques
imposées par le genre. Par exemple, les romans de formation mettent en avant
un jeune adolescent qui découvre la vie (Frédéric Moreau chez Flaubert).

37
Chapitre II : le romancier et ses personnages

II.1.5.6. Le commentaire explicité du narrateur

Le narrateur use son autorité sur le récit pour présenter sans ambiguïté un
personnage comme héroïque, par exemple le narrateur stendhalien joue de ces
dénominations qui donnent le lien affectif qui unit le narrateur à son héros.

II.1.6 L'analyse sémiologique du personnage selon Philippe Hamon

Le personnage
L’être Le faire L'importance hiérarchique
* le nom * les rôles thématiques * la qualification
* les dénominations * les rôles actantiels * la distribution
* le portrait * l'autonomie
 le corps * la fonctionnalité
 l'habit * la prédésignation conventionnelle
 le psychologique * le commentaire explicite du narrateur
 le biographique

Source : Vincent Jouve, Poétique du roman, éd Arman colin, Paris, 2007, p95.

II.1.7 Les fonctions du personnage


Le personnage a un rôle dans le récit et c'est pour remplir un certain
nombre de fonctions qu'il y apparaît.

A.J. Greimas construit un modèle dit actantiel, reformulant les propositions de


Propp, "axé sur l'objet du désir, visé par le sujet et situé comme objet de
communication, entre le destinateur et le destinataire "1.

1
Opcit. Lire le roman, p.52.

38
Chapitre II : le romancier et ses personnages

Tableau n°03
Le modèle actantiel d’A.J.Greimas.

AXE ACTANT COMMENTAIRE CONDUITE

Sujet –S à l'origine de l'action


Vouloir Désir
Objet -O le but de l'action

Adjuvant L'aide à l'action


Pouvoir Participation
Opposant L'obstacle à l'action

Destinateur L'impulser le
savoir communication
Destinataire Le bénéficiaire

Source : Achour, christiane et Bekkat, Amina, Clefs Pour la lecture des récits,
convergences critique II, éd du Tell, Algérie, 2002, p.48.

Un actant peut être manifesté par plusieurs acteurs et inversement, un


acteur peut représenter plusieurs actants, selon les séquences du récit et
l'évolution de l'histoire.
Schéma actantiel d’A.J.Greimas.

Source :Achour, christiane et Bekkat, Amina, Clefs Pour la lecture des récits, convergences
critique II, éd du Tell, Algérie,2002,p.48.

La mise en tableau des qualifications des personnages-acteurs sera confrontée


Complémentairement avec une mise tableau de leurs fonctions

39
Chapitre II : le romancier et ses personnages

Tableau n°04
La distinction entre l’être et le faire du personnage dans l’analyse du récit.

Modes de A B C D E F
détermi-
nation Qualifi Qualifi- virtu- Virtua- action Action
-cation cation alité lité unique réitérée
Personnages unique réitérée unique réitérée

P1 + Ø + Ø Ø Ø

P2 + Ø Ø + Ø +

P3 Ø + Ø + Ø +

P4 Ø + Ø + Ø

Source : Barthes, Roland et al, poétique du récit, éd du Seuil, Paris, 1977.p.135.

Il est donc difficile d'évacuer toute référence à la notion classique de personnage


défini par ses caractéristiques spécifiques.
Donc C'est A. J. Greimas qui a peu à peu éliminé le concept de personnalité :
"le personnage n'a pas d'essence psychologique mais est définissable d'abord
par ses actions"1

II.1.7.1. La distribution héros /personnage secondaire :


"A l'époque classique, le héros se définit comme le ou les protagonistes qui vient
(ou viennent) en tête de la hiérarchie des personnages"2

Dans un roman, le héros si l'on s'accorde généralement à le définir comme le


personnage le plus important, qu'est ce qui permet d'évaluer cette importance?

Ou encore le héros sera celui "qui provoque la compassion, la sympathie, la


joie, le chagrin du lecteur"3

1
Op.cit.p 1865.

2
Ibid.
3
Ibid.

40
Chapitre II : le romancier et ses personnages

Le héros se distingue d'abord par une série de traits différentiels


concernant :
Sa place dans le récit (Le plus souvent c'est le premier nommé; l'héroïne sera la
première vue, ou plutôt décrite), sa fonction dans le système des rôles(Le héros
est alors le seul personnage qui coïncide avec la première personne), et la
quantité et le choix des marques stylistiques ; on peut désigner deux axes
opposés : La surabondance des signes et l'économie des signes selon Sagan "je
n'aime pas décrire physiquement mes héroïnes. Il faut qu'elles puissent se
dessiner dans l'imagination du lecteur"1 ou " le culte de la liberté du héros
échappant à la volonté de son créateur a savamment été entretenu par les
écrivaines même"2Et c -Levi- Strauss " le héros du roman, c'est le roman lui-
même" 3

II.1.8 Le personnage comme effet de lecture :


Vincent Jouve entend "repenser la question du personnage à travers la
lecture"4, en analysant le personnage comme effet de lecture, c'est s'intéresser à
la façon dont il est reçu par le lecteur, le personnage du roman exige une
véritable" recréation" imaginaire de la part du lecteur. L'image que le lecteur a
d'un personnage, les sentiments que ce dernier lui inspire (affection; sympathie,
rejet, condamnation) sont très largement déterminés par la façon dont il est
présenté, évalué et mis en scène par le narrateur.
Le personnage accédait progressivement à l'autonomie d'une personne
réelle :" plus nos personnages vivent et moins ils nous sont soumis "5 écrivait
François Mauriac.

1
Ibid.
2
Ibid.
3
Zeraffa, Michel, Personne et personnage, Klincksieck, Paris, 1969, p.457.
4
Toursel, Nadine et Jacques, Vasseviere, Littérature: textes théoriques et critiques, Armand Colin, Paris, 2008,
p. 173.
5
Allemand. Roger-Michel, Le nouveau roman, Ellipses. Paris, 1996, p.50.

41
Chapitre II : le romancier et ses personnages

II.2La mort du personnage

L'expression de "Nouveau Roman" recouvre des entreprises fort


divergentes. Cette étiquette collective signale un certain nombre de refus à
l'égard du roman traditionnel dans les années 50et 60.Vers 1950, un changement
de climat s'effectue avec l'apparition des jeunes écrivains qui ne se sentent pas à
l'aise dans la France d'après la Libération.Le roman existentialiste révèle ses
faiblesses, Sartre ne suscite plus le même intérêt, l`engagement révèle son
inefficacité.
Le nouveau roman a été précédé par "l'antiroman ", tel qu'il est définie par
Sartre, en 1949 dans sa préface au portrait d'un inconnu de Nathalie Sarraute .Né
à la fois de la crise des valeurs morales et culturelles et du développement des
moyens de communication « L'antiroman exprime la perte de la belle confiance
réaliste dans la compréhension du monde et dans la possibilité de la traduire en
langage »1
Les termes désignant les œuvres publiées par les futurs Nouveaux
Romanciers, allant de l'"anti-roman"(Sartre) ou de l’''allitérature"
(Claude Mauriac) à l’"école du regard" (Barthes) et à la littérature objectale.
"Nouveau Roman" qui demeurera associée à l'entreprise. Robbe-Grillet et
Jérôme Lindon s'emparent de l'appellation et lui confèrent cette fois un sens
positif.On regroupe sous cette étiquette des romanciers comme Nathalie
Sarraute, Marguerite Duras, Michel Butor, Alain Robbe-Grillet, Jean Ricardou,
Claude Ollier, qui constituent un groupe, on peut ajouter Samuel Beckett,
Robert Pinget et Claude Simon.
"A partir de Proust, de Kafka , de Joyce , le roman se complexifie et n'offre plus
au lecteur les repères habituels"2
Grâce aux théorisations de Robbe-Grillet (Pour un nouveau roman, 1963),
de Butor (Répertoire I et II 1960-1964) et Jean Ricardou (Problèmes du
Nouveau Roman, 1967) le nouveau roman est reconnu trois précautions doivent
être prises quand on parle du " nouveau roman"
1- il n'a pas surgi brutalement en 1953 avec Les Gommes d'Alain Robbe-
Grillet .D'ailleurs à cette date Nathalie Sarraute, Claude Simon avaient déjà

1
Théma encyclopédie Larousse, Larousse, Paris, 1997, p.128.
2
Butor, Michel cité par Kebrat, Marie-Claire, in Leçon littéraire sur l'emploi du temps, PUF, Paris, 1995, p.10.

42
Chapitre II : le romancier et ses personnages

publié des romans et Robbe-Grillet lui-même avait écrit un régicide, qui avait
été refusé par les éditeurs et ne sera publié que plus tard.
2- il n'y a pas eu d'école du Nouveau Roman. Alain Robbe-Grillet, Claude
Simon, Nathalie Sarraute, Marguerite Duras et Michel Butor, ces écrivains, très
divers, n'ont en commun que le projet de renouveler, chacun à sa manière, les
formes romanesques Robbe-Grillet et son livre "Pour un nouveau roman" a
permis une clarification esthétique et théorique.
3- Marguerite Duras est une très bonne représentante, d'un roman nouveau,
dont les nouvelles techniques romanesques reparaissent discrètement dans son
œuvre Moderato Cantabile en particulier.
En 1957, Alain Robbe-Grillet rejette parmi "les notions périmées" le
personnage de roman."Aucune des grandes œuvres contemporaines ne
correspond en effet sur ce point aux normes de la critique"1
Alain Robbe-Grillet agit contre les principes du roman traditionnel en
remettant en question le statut du personnage "croit on d'ailleurs que c'est par
hasard que ces trois romans sont écrits à la première personne ?). Beckett
change le nom et la forme de son héros dans le cours d'un même récit.Faulkner
donne exprès le même nom à deux personnes différentes. Quant au K. du
château, il se contente d'une initiale, il ne possède rien, il n'a pas de famille pas
de visage ; probablement même n'est-il pas du tout arpenteur"2
Le personnage du roman, du moins le personnage tel qu'on le voyait au
XIX siècle, fait d'un nom propre, d'une hérédité, d'une profession, d'un caractère
qui lui dicte son visage et ses actions.
"C'était important, un caractère, d'autant plus important qu'il était d'avantage
l'arme d'un corps à corps, l’espoir d'une réussite, l'exercice d'une domination.
C’était quelque chose d'avoir un visage dans un univers ou la personnalité
représentait à la fois le moyen et la fin de toute recherche"3
Dans un univers où l'homme est un numéro matricule, dit il ,le personnage
disparait : il donne des initiales pour identifier nombre de ses personnages :
A...dans La Jalousie (1957),"le romancier crée son propre jeu .Même
perception de lecteur très vive mais incomplète, pour le regard anonyme "4

1
Robbe-Grillet, Alain, Pour un nouveau Roman, Minuit, Paris, 2006, p. 27.
2
Ibid. p. 28.
3
Ibid.
4
Bancquart, Marie-Claire et Pierre, CAHNE Littérature française du XX siècle, PUF, Paris, 1992, p. 407.

43
Chapitre II : le romancier et ses personnages

comme de personnages cohérents, reconnaissables, "les individus se définissent


par les rapports simples qu'ils entretiennent entre eux :un mari, une femme, son
amant, [...].Pour combler ces manques et ses vides, l'auteur se livre, mètre en
main, à une description géométrique des lieux ,des objets et de leur
emplacement, de la course du soleil et de l'ombre aux diverses heures de
journée".1

«Ainsi les yeux de A... devraient rencontrer la fenêtre grande ouverte qui
donne sur le pignon ouest, face à laquelle elle se coiffe devant la petite table
agencée pour cet usage, munie en particulier d'une glace verticale qui réfléchit
le regard en arrière, vers la troisième fenêtre de la chambre, la partie centrale
de la terrasse et l'amont de la vallée.
La seconde fenêtre, qui donne au midi comme cette dernière, est
seulement plus proche de l'angle sud-ouest de la maison ; elle aussi est ouverte
en grand. Elle montre le côté de la table-coiffeuse, la tranche du miroir, le profil
gauche du visage et les cheveux défaits qui tombent librement sur l'épaule, le
bras gauche qui se replie pour atteindre la moitié droite de la chevelure.
Comme la nuque s'incline de biais sur ce côté, le visage se trouve légèrement
tourné vers la fenêtre. Sur la plaque de marbre aux rares traînées grises sont
alignés les pots et les flacons, de tailles et de formes diverses ; plus en avant
repose un grand peigne d'écaillé et une seconde brosse, en bois celle-ci, à
manche plus long, qui présente sa face hérissée de soies noires.»2
A et X dans L’Année dernière a Marienbad (1961), L, N, M dans
L’Immortelle ; « le stéréotype de l’orient. Admire-t-on une mosquée ancienne,
on apprend que cette ancienneté est fausse .Le cimetière ou se trouve « l »est-il
lui aussi un faux cimetière pour touristes ?en ruines, ou en
restauration ? « L »est-elle morte au volant, ou étranglée au cours d’une scène
de sadisme par « N » ?chaque image est évidente, mais l’ensemble ne
« tient »« pas »3. On devait en avoir une preuve éclatante avec dans le
Labyrinthe (1959), l’auteur insiste sur le caractère fictionnel d’une histoire ou
se mêlent le réel et le virtuel. « Un soldat, chargé de remettre aux parents d’un
de ses camarades tué un coffret de lettres et d’objets sans valeur, erre dans les

1
Nadeau, Maurice, Le roman français depuis la guerre, Gallimard, 1970, p.150.
2
Robbe - Grillet, Alain La. Jalousie, Minuit, Paris1957, p. 66
3
Opcit, Littérature française du XX siècle, p. 408.
44
Chapitre II : le romancier et ses personnages

la neige ».1 ce soldat n’a pas de carte d’identité militaire et le numéro


d’immatriculation sur sa capote n’est pas le sien, puisque le vêtement n’est pas a
lui. « Démarche d’autant plus confusionnelle que le soldat délire »2.
Ce que l’auteur suggère par le titre l’arrivée dans une ville plus labyrinthique
que la neige en efface tout relief, le soldat veut remettre à la famille d’un
camarade une boite dont le contenu, à la fin se révélera sans importance.
« En se bornant à nous donner des images, rien que des images qui, au lieu de
se succéder, s’associent, s’emboîtent, se catapultent, se chevauchent,
se mêlent»3.
Nathalie Sarraute tentait à donner aux personnages dans « Portrait d’un
inconnu »1948 « au moins un nom, d’abord, pour les identifier » : Mais non,
« je ne peux pas il est inutile de tricher... »4, ici le narrateur observe des
personnages (un père et sa fille) dont il ne peut délimiter les contours parce
qu’ils se confondent, s’affrontent et ne sont jamais véritablement eux-mêmes,
« une parfaite réalisation en cette œuvre […] d’où pourra apparaître l’essence
lointaine de l’homme, qui est à la fois ce qu’il a de commun avec tous les
Hommes et qui est son bien unique et particulier »5 De même dans « l’Ere du
soupçon »1956 une réflexion sur la notion de personnage « l’essai est au départ
pour Sarraute une expérience personnelle, une délibération avec elle-même, car
il s’agit pour elle d’expliquer par son expérience d’écrivain et de lectrice
pourquoi elle n’a pas pu écrire un roman sur le mode traditionnel »6.
Comme elle notait :« J’ai été amenée ainsi à réfléchir ne serait-ce que pour me
justifier ou me rassurer ou m’encourager - aux raisons qui m’ont poussée à
certains refus, qui m’ont imposé certaines techniques, à examiner certaines
œuvres du passé, du présent à pressentir celles de l’avenir, pour découvrir
àtraverses elles un mouvement irréversible de la littérature et voir si mes
tentatives s’inscrivaient dans ce mouvement »7

1
Opcit, Le roman français depuis la guerre, p.151.
2
Ibid.p.408.
3
Ibid .; p.409.
4
Sarraute, Nathalie,Portrait d’un inconnu,cité par Allmand,Roger-Michel,in le Nouveau Roman,éd ellipses,
Paris,1996,p.77.
5
Ibid., p. 411.
6
Yanoshevsky, Galia, Les discours du Nouveau Roman, Presse universitaires du septentrion, Paris, 2006, p.43.
7
Ibid.

45
Chapitre II : le romancier et ses personnages

Dans Martereau(1953), est un récit qui se passe de toute anecdote dont les
humains qu’on voit s’y agiter : un grand père, sa petite fille, ou le dénommé
Marterau ne possèdent même pas de frontières individuelles. « Oui , qui ?je me
le demande aussi...et puis non ,ce n’est pas vrai, je le sais depuis
toujours…mois.
Je ne suis rien...personne, figurez–vous...un vide un appel d’air... »1
Nathalie Sarraute décrit « les mouvements de forces vivantes, d’appétits ou de
désirs qui tantôt s’affrontent, tantôt s’agglomèrent tantôt se divisent, à la façon
de ces êtres organiques placés tout au bas de l’échelle animale qui se rétractent
sous l’action d’un acide ou poussent au loin leurs pseudopodes »2.
Dans « Tropisme »1939 au travers de personnages non définis, Nathalie
Sarraute suggère l’existence d’un « sous –monde » une analyse de la « sous
conversation »il ya des paroles que l’on dit pas « on y voit des humains en
groupes (Femmes Jacassant dans un salon de thé, passants contemplant une
vitrine) agites de soubresauts divers, déterminés par le lieu, la circonstance ;la
« situation »3
Derrière la simplicité humble de Tropisme, « on peut voir une ambition absolue
de l’artiste moderne qui refuse de s’enfouir, encore une fois, dans l’exploration
vaine et vieillie des passions de l’histoire et de la mémoire »4. Car l’homme
n’est pas un caractère ni une histoire « il est cette existence incertaine d’elle –
même qui se ressaisit dans son identité se vide souvent de sa relation
authentique à elle –même pour s’abandonner au bavardage »5.
Dans le Planétarium(1959),l’auteur démontre que le langage conventionnel
et les comportements en société cachent des passions violentes mais aussi la
haine :la relation à autrui, qui est tyrannie agressivité, ici, les individus sont plus
visibles «ce que l’auteur suggère par le titre même de son roman c’est que
chacune de ces individualités se meut , autonome et fermée, à l’intérieur d’un
système ou elles s’attirent, se heurtent, se repoussent, le plus souvent avec une

1
Opcit, le nouveau roman, p. 50.
2
Opcit, Le roman français depuis la guerre, p. 152.
3
Ibid., p. 152.
4
Opcit, Littérature française du XX siècle, p.411.
5
Opcit.le Nouveau roman, p.411.

46
Chapitre II : le romancier et ses personnages

grande violence »1 et aussi « ce monde du combat acharné, meurtrier est en


même temps un monde clos, prisonnier »2.
Nathalie Sarraute aura mis en œuvre toutes les ressources de l’intelligence et de
la sensibilité au service de la littérature du moi « conscience de l’univers et éclat
inutile »3
«Voici les Guimiez. Un couple charmant. Gisèle est assise auprès d`Alain.
Son petit nez rose est ravissant. Ses jolis yeux couleur de pervenche brillent.
Alain a un bras passé autour de ses épaules. Ses traits fins expriment la droiture,
la bonté. Tante Berthe est assise prés d’eux. Son visage, qui a dû être beau
autrefois, ses yeux jaunis par le temps son tournés vers Alain. Elle lui sourit. Sa
petite main ridée repose sur le bras d`Alain d`un air de confiance tendre.
Mais en éprouve en les voyants comme une gêne, un malaise. Qu`est ce
qu`ils ont ? On a envie de les examiner de plus près, d`étendre la main…Mais
attention. Un cordon les entoure. Tant pis, il faut voir. Il faut essayer de
toucher…Oui c`est bien cela, il fallait s`en douter. Ce son des effigies. Ce ne
son pas les vrais Guimiez.
Attention pas de folies. C`est interdit de toucher aux poupées. En doit les
contempler a` distance. Il y a des gardiens partout, les voila` déjà qui fixent sur
les curieux leur regard hébété. S`il se penche par-dessus le cordon, s`il
s`entendent la main vers ses faux Guimiez, les gardiens vont actionner le
dispositif d`alarme, les cars de police vont arriver. Les policiers vont agiter leurs
têtes de poupées : Pourquoi avez-vous voulu toucher au faux Guimiez ?
Répondez. Il n`osent pas répondre. C’était pour les abîmer ? Vous vouliez
abîmer, salir les faux Guimiez ? Ce couple charmant.»4
«L’auteur brouille la réalité que ces images sont chargées d’exprimer, ruine
cette réalité en tant que support »5.
A la différence du Robbe-Grillet, qui entend rester à la « surface » du
monde, Nathalie Sarraute suggère l’existence d’un « sous –monde » doué d’une
vie frénétique, la parole déguise la pensée de l’homme.

1
Op.cit., Le roman français depuis la guerre, p. 153.
2
Ibid.
3
Op.cit, Littérature française du XX siècle, p. 415.
4
Nathalie Sarraute, Le Planétarium, Gallimard, Paris, 1959, pp.243-244.
5
Opcit, Le roman français depuis la guerre, pp.151-152.

47
Chapitre II : le romancier et ses personnages

Robbe-Grillet er Michel Butor, deux romanciers qui n’ont rien en


commun, «Non seulement je suis un parisien explique Butor, mais je suis aussi
un cheminot .Mon père était dans l’administration des chemins de fer.
Pendant toute ma jeunesse, c’était le seul moyen de transport raisonnable pour
moi, pour ma famille »1.
«Naître dans le chemin de fer»2
«C’est donc naître dans le romanesque»3
Michel Butor attaque violemment les thèses de Robbe-Grillet (Voyeur).
Il veut renouveler le genre parce qu’il donne une grande importance au «mode
objectif», il crée un univers paradoxale ou le personnage ne parvient pas à
déchiffrer les signes qui lui sont données, il croit aussi aux relations qu’ils
entretiennent les personnages entre eux. Pour lui, « c’est plutôt ce monde qui a
changé, notamment dans ses catégories principales : l’espace et le temps »4.
On trouve dans l’écriture de Michel Butour que « Le récit superpose ainsi deux
séries temporelle, et deux personnages le héros Jaques Revel celui qui vit, et le
narrateur Jaques Revel celui qui écrit »5.
Il pense que c’est très difficile de se débarrasser du temps, c’est ce
complexe « être-temps» que Michel Butor cherche à exprimer.
Dans L’Emploi du Temps (1956), le héros note les événements qu’il a vécus
dans la ville anglaise de Bleston : « recomposition à la fois patiente acharnée et
impossible »6.
L’auteur cherche le génie du lieu. Le premier texte commence ainsi : « Il faut
donc que j’en vienne à parler de Cordoue, à donner une première forme
forcément insatisfaisante à tous ces murmures qui continuent que continueront
sans doute pendant des années d’éveiller en moi le nom de cette ville et le
souvenir de mes parcours ou de mes haltes à l’intérieur de son réseau de rues
blanches [….], le souvenirs de mes patients mais trop brefs efforts pour la lire,
pour en tirer la nourriture que j’étais certains d’y trouver »7.

1
Opcit, Leçon littéraire sur l'emploi du temps, pp.3-4.
2
Ibid. p.4.
3
Ibid., pp.3-4.
4
Ibid.p.154.
5
Ibid. p. 1.
6
Op.cit, Littérature française du XX siècle, p.403.
7
Ibid. p. 7.
48
Chapitre II : le romancier et ses personnages

Le «Genie du Lieu »c’est une voix à écouter, un discours à déchiffrer, un


enseignement à recueillir »1. A Bleston ou Jaques Revel a l’impression de
perdre son identité, ce roman ne nait pas de l’observation, il naît de la nostalgie
« parcourir une ville, c’est en même temps parcourir sa mémoire »2.
Jaques Revel essaie de déchiffrer sa propre histoire. « La tentative de reconquête
du temps est une entreprise impossible et le roman lui même manifeste cet
échec : il se termine sans pouvoir s’achever, dans un ressassement dramatique
qui figure la tentative désespérée d’en finir vraiment, et l’impossibilité de
parvenir à cette fin »3.
« je me suis redressé, les jambes un peu écartées pour bien prendre appui sur ce
nouveau sol, regardant autour de moi : à gauche, la tôle rouge du Wagon que je
venais de quitter, l’épaisse porte qui battait, à droite, d’autres voies avec
quelques éclats de lumière dure sur les rails, et plus loin […] l’immense voûte
de métal et de verre, dont je devinais les blessures au-delà des brumes ; en face
de moi enfin, au dessus de la barrière que l’employé s’apprêtait à fermer juste
après mon passage la grande horloge…. »4.
Ce récit présente les traits essentiels du récit fantastique. « J’ai fait un étrange
rêve à son sujet (au sujet de George Burton), le soir même de cet accident dont il
a été la victime. Je me trouvais dans Brown Street au moment de la plus grande
affluence ; je tenais entre mains ce volant (celui de la Morris noire de chez
Matthews and Sons ) […], mais je n’était plus maitre de ma direction, j’avais
les bras paralysés, je fonçais tout droit au milieu de cette foule qui s’enfuyait en
panique à mon approche, et j’ai vu un homme qui traversait au loin devant moi
un homme que je ne pourrais pas éviter, je le sentais […] tout à coup, il a
disparu ; alors j’ai pu remuer de nouveau, j’ai repris les commandes, et j’ai
réussi à m’échapper par une rue à droite .Or le visage de mon cauchemar, je l’ai
compris des mon réveil, n’était autre que celui de George Burton […]. Quand
j’ai appris, la semaine suivante, par les journaux, qu’il avait était renversé par
une automobile, le vendredi à six heures vingt dans Baron Street, j’ai en un
moment d’horrible angoisse, je me suis demandé si ce que j’avais pris pour un
rêve n’était pas la réalité, si ce n’était pas moi le coupable, moi dans un moment

1
Ibid., p.51.
2
Ibid. p.8.
3
Op.cit, Le roman français depuis la guerre, p. 155.
4
Op.cit, Leçon littéraire sur l'emploi du temps, p.16.

49
Chapitre II : le romancier et ses personnages

de folie ; et je ne suis parvenu à me rassurer qu’après avoir minutieusement


reconstitué mon emploi du temps de ce soir-là entre six et sept heures »1.
Le lecteur explore le labyrinthe que Michel Butor a construit. Il crée Bleston
ainsi que son propre univers romanesque.
« je ne puis commencer un roman, dit-il, qu’après en avoir étudié pendant des
mois l’agencement, qu’à partir du moment ou je me trouve en possession de
schémas dont l’efficacité expressive par rapport à cette région qui m’appelait à
l’origine me parait enfin suffisante Muni de […]cette carte provisoire je
commencer mon exploration, je commence ma révision car ces schémas eux –
mêmes dont je me sers, et sans lesquels je n’aurais pas osé me mettre en route ,
ce qu’ils me permettent de découvrir m’oblige à les faire évoluer, et ceci peut se
produire des la première page, et peut continuer jusqu’à la dernière correction
sur épreuves ….. »2.
La Modification (1957) innove de façon provocante dans la forme : un
récit à la deuxième personne du pluriel de politesse (vous), c’est une lente
transformation intérieure d’un homme qui, parti pour Rome, il poursuit un
itinéraire intérieur, se décide à laisser les choses en l’état : va-t-il quitter sa
femme et rejoindre sa maîtresse ? Il avait pris le train avec un grand élan
intérieur qui lui faisait imaginer une nouvelle vie.
Durant le voyage, ses observations, ses réflexions, ses souvenirs et même ses
rêves qui font la nouvelle perception de l’espace et du temps. Un véritable
enchevêtrement de la chronologie.
Michel Butor a repris cette expression de William James : «le romancier
est un homme pour qui rien n’est perdue».
Cette superposition de souvenirs et de lieux forme labyrinthe.
Claude Simon réclame explicitement du genre romanesque, il s’éloigne
délibérément de la tradition du roman français de type balzacien Après la
rencontre avec Robbe-Grillet, Michel Butor, Robert Pinget et quelques autres,
il s’accorde pour refuser certaines conventions narratives et proposer un
« Nouveau Roman » qui exige une modification radicale des habitudes de
lecture.

1
Ibid, p.50.
2
Opcit, Leçon littéraire sur l'emploi du temps, p.100.

50
Chapitre II : le romancier et ses personnages

Encouragé par les Editions de Minuit, ou il publie Le Vent (1957), un


personnage tente vainement de reconstituer un drame qu’il n’a pas lui-même
vécu. Du passé, il ne reste que des bribes, des souvenirs épars, on trouve que le
temps s’est aboli, les paroles ont été présenté comme des « figures ». Une
écriture alourdie, surchargée, il vise à bouleverser le lecteur.
Dans La Route des Flandres (1960), un soldat nommé Georges, auteur de la
débâcle de l’armée française en 1940, tout un passé se presse dans la mémoire
du narrateur.
Il multiplie les rafales de participes présents et d’adjectifs qualificatifs : « ...le
canon sporadique frappant dans les verges déserts avec un bruit sourd
monumental et creux comme une porte en train de battre agitée par le vent dans
une maison vide, le paysage tout entier inhabité vide sous le ciel immobile, le
monde arrêté figé s’effritant se dépiautant s’écroulant peu à peu par morceaux
comme une bâtisse abandonnée, inutilisable, livrée à l’incohérent, nonchalant
impersonnel et destructeur travail du temps ».
« C’est dire inversement que toutes variantes opèrent, dans le récit outre les
effets déjà analysés, une manière d’enlisement épars »1.
Claude Simon s’efforce de faire affleurer dans les mots, dans une matière de
langage dense et obscure.
Le narrateur d’Histoire (1967) dans une maison familiale désertée, il évoque une
journée banale de la vie quotidienne, une seule coulée textuelle ou se foisonne le
désordre de la mémoire, les images son enfance viennent se superposer.
Simon mêle son écriture d’une « transcription du contenu d’une mémoire avec
toutes les images qui peuvent coexister dans la conscience. D’où le passage
continuel et discontinu d’une image à l’autre et le télescopage du temps.
L’écriture cherche à traduire le flux mental : phrases longues entrecoupées de
parenthèses, de points de suspension, dialogues rapportés sans ponctuation »2.
«Au-delà de la fenêtre de plus en plus embuée, vous sentez que tombe
toujours la neige, mais un peu moins drue. Passe une gare dont vous ne pouvez
lire le nom.
Vous vous redressez, courbatu, déjà fatigué, songeant qu’il va falloir
subir encore toute une nuit à cette place dure. Vous regardez votre montre : Il
n’est que trois heures et demie, encore près d’une heure avant la frontière,
encore quatorze heures avant l’arrivée. Voici que passe un court tunnel.

1
Ricardou, Jean, Le nouveau roman suivi des raisons de l’ensemble, Seuil, Paris, 1973, p. 144.
2
Potelet, Hélène, Mémento de littérature française, Hatier, Paris, 1990, p. 140.

51
Chapitre II : le romancier et ses personnages

Un des deux garçons veut sortir, c’est le plus âgé, c’est Henri, c’est ainsi
que sera Henri dans un ou deux ans, mais mieux mis, plus élégant, parceque
vous lui avez donne une bien meilleure éducation, certes un peu moins costaud,
mais ce n’est pas cela qui le gênera avec les diplômes qu’il aura, et le fait que
vous soyez séparé de sa mère ne vous empêchera pas de continuer à le voir
quand vous voudrez, quand cela vous plaira à tous les deux, au lieu que ce la
soit cette pesante obligation chaque soir à table, au lieu que ce soit dans cette
pesante et bruyante cohabitation, de continuer a surveiller ses études, de le
pousser dans la vie un peu plus tard, de lui donner tout l’appui possible, ne
l’empêchera pas de vous rendre visite quand vous serez installe chez Cécile, de
venir déjeuner chez vous, de vous emmener voir de quelle façon il aura arrangé
sa chambre, quinze place du Panthéon, un jour ou il saura qu’Henriette est
sortie ;
Le fait que vous soyez séparé de sa mère ne veut empêchera pas au bout d’un
certain temps, vous savez que cela ne pourra pas vous en empêcher, de venir la
voir quelquefois ; vous vous cacherez de Cécile.
Voici que passe un autre tunnel un peu plus long.»1

Pinget dans (In : Nouveau Roman hier aujourd’hui : «tout ce qu’on peut
dire ou signifier ne m’intéresse pas mais la façon de le dire »2.
«Point n’est donc besoin de multiplier les exemples pour voir que les
personnages néo-romanesque n’ont plus grand-chose d’humain : ils deviennent
des " lambeaux informes, [des] ombres tremblant [des], spectres [des] goules» 3.
Dit Sarraute dans Portrait d’un Inconnu.
Claude Simon dans la Route des Flandres, Le Palace, Histoire cherche
« la perception confuse, multiple et simultanée du monde »4. Tel est le projet
initial de Claude Simon.
Le narrateur d’Histoire retrouve la maison familiale désertée, les images
de son enfance viennent en une seule coulée textuelle :
« […] assises là dans leurs fauteuils pliants aussi sévères aussi rigides que
dans le solennel décor du salon, aussi irréelles avec leurs sombres robes leurs

1
Michel Butor, la Modification, Minuit, «Double», Paris.1957 (réédition, 1985), pp. 155.156
2
Opcit, le nouveau roman, p. 51.
3
Ibid., p.52.
4
Opcit, Littérature française du XX siècle, p.425.

52
Chapitre II : le romancier et ses personnages

écharpes claquant dans le vent, tout (le tardif soleil de septembre, le sable blanc,
le bruit frais des vagues ,les cris des enfants, les éclaboussures) irréel aussi, leurs
voix dolentes, irréelles chuchotant toujours, me parvenant comme si elles
n’avaient jamais arrêté ,n’arrêteraient jamais, continuant à chuchoter et à Gémir
entre les murs au papier maintenant moisi, à demi décollé ,taché de rectangles,
d’ovales palis, à la place des tableaux décrochés […] »1
Dans Moderato Cantabile (1958) c’est une non histoire d’amour, l’amour
comme possibilité –impossibilité dans le texte, Duras évoque les déambulations
d’un homme, non nommé, autour de la maison :« les premiers hommes
entrèrent. L’enfant se fraya un passage à travers eux, curieux, et arriva jusqu'à sa
mère, qui le prit contre elle dans un mouvement d’enlacement machinal.
- Vous êtes Madame Desbaresdes. La femme du directeur d’Import Export
et des fonderies de la Côtes. Vous habitez boulevard de la Mer.
Une autre sirène retentit, plus faible que la première, à l’autre bout du quai. Un
remorqueur arriva. L’enfant se dégagea, d’une façon assez brutale, s’en alla en
courant.
- Il apprend le piano, dit-elle. Il a des dispositions, mais beaucoup de
mauvaise volonté, il faut que j’en convienne.
Toujours pour faire place aux hommes qui entraient régulièrement très
nombreux dans le café, il se rapprocha un peu plus d’elle. Les premiers clients
s’en allèrent. D’autres arrivèrent encore. Entre eux, dans le jeu de leurs allées et
venues, on voyait le soleil se coucher dans la mer, le ciel qui flambait et l’enfant
qui, de l’autre cote du quai, jouait tout seul à des jeux dont le secret était
indiscernable à cette distance. Il sautait des obstacles imaginaires, devait
chanter.
- Je voudrais pour cet enfant tant de choses à la fois que je ne sais pas
comment m’y prendre, par où commencer. Et je m’y prends très mal. Il faut que
je rentre parce qu’il est tard.
- Je vous ai vue souvent. Je n’imaginais pas qu’un jour vous arriveriez
jusqu’ici avec votre enfant.

1
Simon, Claude, Histoire, cité par Bancquart, Marie-Claire et Pierre, Cahne, in Littérature française du XX
siècle, pp425 .426

53
Chapitre II : le romancier et ses personnages

La patronne augmenta un peu le volume de la radio pour ceux des derniers


clients qui venaient d’entrer. Anne Desbaresdes se tourna vers le comptoir, fit
une grimace, accepta le bruit, l’oublia. »1
On retrouve chez Duras le même phénomène « il y a toute une période ou
j’ai écrit des livres, jusqu’à Moderato Cantabile, que je ne reconnais pas […]
j’écrivais comme on va au bureau chaque jour, tranquillement ; je mettais
quelques mois à faire un livre et puis, tout à coup ça a viré. Avec Moderato
c’était moins calme »2.
Duras inaugure un nouveau rapport à la création, elle réduit la
caractérisation à des personnes personnels « elle » et « il » dans Hiroshima Mon
Amour .
Scénario écrite pour le film d’Alain Resnais une française « elle » et un
japonais «lui» qui vivent une brève histoire d’amour à Hiroshima.
En ouverture, deux phrases se font écho,
« Lui-tu n’as rien vu à Hiroshima. Rien.
« Elle - J’ai tout vu .Tout »3.
Négation contre affirmation. C’est un détour d’une histoire d’amour particulière
le désir de vivre et la soif de bonheur.
Dans le Ravissement de Lol .V.Stein(1964) le roman débute très
classiquement :
« lol v .Stein est née ici, à S.Tahla, et elle y a vécu une grande partie de sa
jeunesse .Son père était professeur à l’université. Elle a un frère plus âgé qu’elle
de neuf ans– je ne l’ai jamais vu – on dit qu’il vit à paris. ses parents sont
morts »4
Dès le deuxième paragraphe, la voix d’un narrateur qui demeure non
identifié et souligne l’incertitude du récit.
« Je n’ai rien entendu dire sur l’enfance de lol V.Stein qui m’ait frappé,
même par Tatiana Karl, sa meilleure amie durant leurs années de collège […].
Je ne crois plus à rien de ce que dit Tatiana, je ne suis convaincu de rien.

1
Marguerite Duras, Moderato cantabile, Minuit, Paris «Double» 1958(réédition, 2001), pp.31-32.
2
Pages-Pindon, Joëlle, Marguerite Duras. Ellipses, Paris, 2001, p. 23.
3
Duras, Marguerite, Hiroshima mon amour, scénario et dialogues, Gallimard, Paris, 1960, p 22
4
Duras, Marguerite, Le ravissement de lol V Stein, Gallimard, Paris, 1964, p. 11

54
Chapitre II : le romancier et ses personnages

Voici, tout an long, mêlés, à la foi, ce faux semblant que raconte Tatiana
Karl et ce que j’invente sur la nuit du Casino de T.Beach. A partir de quoi je
raconterai mon histoire de lol V. Stein. »1

Dans la Vie Tranquille, le personnage narrateur se définit lui-même ainsi :


« Je n’étais personnes, je n’avais ni nom ni visage. En traversant l’août, j’étais :
rien. Mes pas ne faisaient aucun bruit, rien n’entendait que j’étais là, je ne
dérangeais rien. Au bas des ravines coassaient les grenouilles vivantes, instruites
des choses d’aout, des choses de mort »2.
De même dans L’Amour (1971) ; les personnages devenant de simples
coordonnées, une figure géométrique s’impose dès le début :
« Un homme
Il est debout, il regard : la plage, la mer.
La mer est basse, calme, la saison est indéfinie, le temps, lent. […]
Entre l’homme qui regarde et la mer, tout au bord de la mer, loin,
quelqu’un marche. […]
A gauche, une femme aux yeux fermés.
Assise […].
Du fait de l’homme qui marche, constamment, avec une lenteur égale, le
triangle se déforme, se reforme, sans se briser jamais »3.

De façon comparable, le Molloy de Beckett qui oublie jusqu’à son nom,


« il m’arrivait d’oublier non seulement qui j’étais, d’oublier d’être »4.
A l’inverse, dans « La Maison de rendez-vous de Robbe-Grillet, le personnage
peut prendre plusieurs identités, lady Ava devient Lady Bergmann, Eva
Bergamann ou Jacqueline.

Nathalie Sarraute va dans le sens d’une abstraction accrue : anonymat des


personnages, absence d’intrigue et de décor. Le dialogue, devenu un véritable

1
Opcit, Le ravissement de lol V Stein, pp. 11 et 14
2
Duras, Marguerite cité par Roger-Michel, Allemand in Le nouveau roman, p. 50.
3
Marguerite, Duras, L’Amour, Gallimard, Paris, 1971, pp.9.10
4
Ibid.

55
Chapitre II : le romancier et ses personnages

code pour l’imagination, incite le lecteur à entrer dans l’ouvre et a en créer pour
lui-même les mouvements intérieurs.

L’ouvre de Michel Butor, passionnante et multiple, se renouvelle par de


constantes recherches, il explore le « génie des lieux », développant la
description de l’espace, qui tenait déjà une place importante dans ses premiers
récits.

Les premières œuvres de Robbe Grillet à l’exception des Gommes, sont


marquées par le faible nombre de patronymes. Tout se passe comme si le
romancier tenait à maintenir la plupart de ses personnages dans l’anonymat ses
romans sont totalement dépourvus de ces types humains dont le tempérament
détermine le comportement et l’histoire.

Claude Simon pouvait sa patiente exploration du passé avec Le


Palace(1962), l’attention de Simon se concentre sur le travail de l’écriture elle-
même.

En s’appuyant sur le langage le plus familier avec ses résonances « réaliste »,


Pinget évoque non sans humour tout en jouant avec virtuosité des divers
possibles de la narration.

Marguerite Duras passe d’un genre à l’autre et sort même du cadre de la


littérature India seng, « Texte, théâtre, film », 1973, luttant contre les mots pour
suggérer l’inexplicable et brisant la narration au profit d’images successives et
fragmentaire.

56
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction

Figures emblématiques dans un univers


géométrique 58
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
III.3. La géométrie et le Nouveau Roman
Duras n’écrit plus un « roman », mais des textes relevant plutôt de
l’écriture poétique. Dans l’Amour(1971), elle explore et garde les habitudes d’un
géomètre et d’un peintre : elle décrit, elle situe, elle mesure. De plus,
l’abstraction du réel se définit, en peinture et en poésie, par une mise en abime
du regard. Avec l’aide paradoxale des sciences dite « exactes », Duras a réussi à
identifier le regard lavé, c’est un regard sans l’entrave de choses ni d’idées.
C’est surtout un regard sans retour et sans détour.
Barthes souligne la convergence entre ce qu'on appelle les "deux types
d'intelligence […] la mathématique et la littérature"
« Dans la mathématique, il y a une richesse d'imagination énorme, des grands
modèles de pensée logique, une pensée qui arrive à se faire d'une façon très
vivante, uniquement sur les formes et sans tenir compte des contenus. Tout cela
intéresse au plus haut point la littérature. Et, dans la littérature, il y a de plus en
plus un mouvement vers des formes de pensée mathématique.
Il y a un niveau où mathématique et littérature se rejoignent»1.
III.3.1 Qu'est ce que la géométrie?
Science mathématique qui étudie les relations entre points, droites,
courbes, surfaces et volume de l'espace. Et aussi l'étude de certains aspects des
courbes et des surfaces abstraites selon de méthodes particulières ou en vue
d'applications déterminées.
III.3.2 Pourquoi la géométrie?
Alain Robbe-Grillet, Claude Simon, Michel Butor et Pinget avouent qu'au
départ le récit c'est à-dire le Nouveau Roman ne se présente pas comme un
projet bien élaboré au quel il faudra donner forme par la suite, mais comme une
forme comme une figure que l'on remplit de contenu après, donc il s'agit d'une
littérature objective, il ne s'agit plus de représenter la réalité, de dépeindre des
passions, mais au contraire de créer un univers dans un triangle. Ici la révélation
n'est encore que partielle, mais déjà une nouvelle forme de création, aux confins
d'un univers géométrique regard géométrique, Duras adopte une précision de
géomètre qui condamné à elle seule un thème essentielle.

1
Barthe. Roland, cité par Trouvé. Alain in le roman de la lecture, critique de la raison littéraire, Mardaga,
Belgique, 2004, P.21.

59
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
III.3.3 Epure géométrique des personnages dans le Nouveau Roman :
" L'Amour " :
L'écriture devient une sorte d'exorcisme contre le mal de vivre, la solitude
et l'incommunicabilité, fléaux du monde contemporain.
Le Nouveau roman hait l'idée de "héros ", le personnage cesse d'être le
centre du récit : il pourrait à la rigueur n'être plus que l'objectif de la géométrie
qui représente le personnage par sa projection sur trois plans perpendiculaires.
Autrement dit, la représentation de l’Amour ou d'un passé marqué par une
homographie d'un plan projectif réel, cette représentation des applications
linéaires en dimensions 3 fournit la forme ci-dessous d'après le nombre et la
nature de leurs points fixes.
M

R F

F: la Femme aux yeux fermes


R: l’homme qui regarde
M: l'homme qui marche

Duras s'est tourné vers la géométrie, peut être plus apte à rendre cette
exploration méticuleuse. Les trois personnages fantômes ne sont pas des
personnes composés systématiquement.
Le personnage durassien est constitué par une absence de caractère, une
absence d'identité et absence de volonté qu'il le rend à la fois une forme
géométrique qui se vide de toute motivation d'ordre sentimental.
Remarquons tout de suite que la femme aux yeux fermés s'oppose à
l'homme qui regarde en ce sens que, comme nous le verrons, ces derniers n'ont
à peu prés aucun lien avec d'autres qu'eux-mêmes, tandis que la femme aux yeux
Fermés et l’homme qui marche et l'homme qui regarde nous ne saurons rien en
dehors des rapports géométriques qu'ils sont avec autrui.

60
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction

Suivant comme fil conducteur les notions de la géométrie et


d'homographie, Duras démontre dans un langage simple et moderne, une
représentation d'une grande souplesse et d'une grande fécondité, l'ambiguïté est
assumée, c'est l'indéfinition, cette indéfinition dégage l'essentiel et guide
naturellement vers des formes rapides et élégantes de la géométrie plane.

Points fixes et droites stables Commentaires

Trois points fixes M, F, R formant un


M triangle

R F

61
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
III.4. Figures géométriques

L’Amour explore des formes nouvelles. Dés le début, la figure du triangle


s’impose, la valeur du chiffre trois dans les relations entre les personnages n’est
que géométrique.

« Un homme
Il est debout, il regard : la plage, la mer.
La mer est basse, calme, la saison est indéfinie, le temps, lent. […]
Entre l’homme qui regarde et la mer, tout au bord de la mer, loin,
quelqu’un marche. […]
A gauche, une femme aux yeux fermés.
Assise […].
Du fait de l’homme qui marche, constamment, avec une lenteur égale, le
triangle se déforme, se reforme, sans se briser jamais »12.

L’homme qui regarde, l’homme qui marche et la femme aux yeux fermés
sont des figures géométriques tracées sur le sable de la plage de S.Thala.

Marguerite Duras n’a cessé d’inventer une écriture épurée, on peut trouver
étrange qu’une telle écriture qui décrit une décomposition sans espoir et des
figures conduisant à une impossibilité d’être.

Duras nous livre des figures, des glissements, des gestes, des phrases et,
lorsqu’il s’agit des figures géométriques, le texte ne contient aucune explication.

«Trois, ils sont trois dans la lumière obscure, le réseau de lenteur…»

(p1).

Les contradictions, les ruptures, les énigmes sans réponse s’amoncellent,


c’est cette obscurité qui fera le principal mérite de ce roman ?

Dès lors, Duras tente, avec l’Amour, de donner, non seulement par le
langage, mais par la disposition des éléments du langage, les mots, les lettres,
l’œuvre durassienne est une série de constructions-déconstructions
intellectuelles très consciemment inconsciemment élaborées.

1
Duras, Marguerite, L’Amour, Gallimard, 1971.PP 09-10

62
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
La psychologie n’y joue à peu prés aucun rôle. En outre, l’inconvénient de
ce génie, C’est une grande monotonie qui entraîne parfois un ennui profond.

«Le glissement régulier du triangle sur lui-même prend fin». (p 11)

« Le triangle se défait, se résorbe. Il vient de se défaire ». (p 11)

Cette œuvre, en effet, est à la fois forme et observation ; elle est le monde
et Duras Car la grande découverte de Duras, C’est que le monde est en nous,
qu’il est nous-mêmes. Quand aux êtres, sont des figures, C’est nous qui leur
donnons leurs dimensions ; l’indifférence les efface, l’amour et la mort, les
réduisent mesurèment.

La mélancolie discerne et leurs limites qu’ils peuvent prendre en nos


propres vies.

«Le triangle se défait, se résorbe. Il vient de se défaire : en effet, l’homme


passe, on le voit, on l’entend». (p 11)

63
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction

Le regard géométrique
64
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
III.5. Regard géométrique
Le monde de Duras a la précision et la netteté des scènes angoissantes à
force d’étrangeté, justement parce que les regards sont représentés avec une
minutie apparente. Le roman est parcouru par de nombreuses scènes où le rôle
du regard est dominant.
Peut-être le regard est particulièrement impuissant puisqu’il ne permet pas
une pensée, il faut avoir recours aux mots.
Le roman met les relations d’un personnage à son environnement visuel.
D’une part, on relèvera les indices du monde extérieur en insistant sur un
regard géométrique.
«Un homme
Il est debout, il regarde : la plage, la mer.
Ses yeux sont clairs.
Il ne bouge pas, il regarde». (P 09)
«L’homme qui regardait passe entre la femme aux yeux fermés et l’autre
au loin, celui qui va, qui vient, prisonnier». (P 11)
«L’homme doit regarder la femme aux yeux fermés posée sur son chemin.
Oui. Le pas s’arrête. Il la regarde.
La femme est regardée». (P 12)
«L’homme qui regardait ferme les yeux à son tour sous le coup d’une
tentative qui l’emporte, le soulève, soulève son visage vers le ciel». (P 13)

Le lecteur de L’Amour ne peut manquer d’être frappé par des personnages


regardés par d’autres personnages.
«Elle regarde.(…) Il s’arrêtait, il ‘arrête.
Il se retourne, il voit, il regarde lui aussi, il attend, il regarde encore, il
repart, il vient». (P17)
«Ils regardent tout autour d’eux la lumière arrêtée, illuminante». (P18)

65
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
«Le regard bleu revient, il se pose avec insistance sur le voyageur».
(P19)

«Elle se tient, le visage vers le sable. Lui regarde vers la digne celui qui
s’éloigne]… [
Il le regarde longtemps». (P 24)
«Elle le regarde lui, le voyageur, elle scrute les vêtements, le visage, les
mains». (P 27)
D’autre part, on démontre le paradoxe des yeux fermés « or, et c’est la
conséquence ultime de cette poétique du regard, à partir du moment où l’on ne
voit vraiment qu’en fermant les yeux »13C’est chez duras « qu’à partir du
manque on donne tout à voir »24
«A gauche, une femme aux yeux fermés. Assise». (P 10)
«Le triangle se ferme avec la femme aux yeux fermés». (P10)
«L’homme qui regardait passe entre la femme aux yeux fermés et l’autre
au loin, celui qui va, qui vient, prisonnier». (P 11)

1
Burgelin pierre, Lire Duras, Presse universitaire de Lyon ,2000.P104.
2
Ibid.p.105.

66
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction

Le temps géométrique
67
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
III.6. Un univers géométrique
L’Amour est-il fait pour la lecture ou pour la représentation?
Le thème de l'espace et du temps domine d'emblée, Duras obsédée par la
géométrie des instants.
III.6.1 la géométrie dans le temps
Avec L'Amour, c'est encore une utilisation du temps, en l'occurrence
l'enchaînement bizarre de formes, qui nous interroge sur la nature même du
récit. Mais l'imagination du lecteur est bientôt solliciter tantôt par le triangle,
tantôt par la ville S-Thala, ou cette histoire se déroule. « […] dans le roman
traditionnel, on a toujours pensé d'une façon à mon sens naïve, qu'il s'agissait
simplement de traduire de la durée. A la page une naissance du bonhomme, à la
dix, ses premières amours, etc. Pour moi il ne s'agit pas du tout de traduire du
temps de la durée, mais de rendre de simultané.»15.
L’Amour a beau mettre en valeur la géométrie dans le temps en offrant
une forme circulaire qui compose le roman, cette série de moments censée nous
maintenir dans un perpétuel présent n'est pas interchangeable. « Les romanciers
contemporains considèrent volontiers le temps non plus seulement comme le
simple cadre de l'action, mais comme un élément de réflexion consubstantiel au
roman : remettre en question le temps, c'est repenser la nature même du
genre»26. C'est pour cette raison, l'Amour de Marguerite Duras comporte de
moins en moins de repères temporels. " Dans un nouveau roman, il serait
aberrant de tenter de reconstituer une chronologie de la narration. […] Le seul
temps véritable est celui l'écriture, la seule durée, celle du livre même"37.
Il s'agit alors, selon l'expression de Sarraute, d’"ouvrir le moment " on a souvent
voulu voir dans la peinture un art de l'espace et dans le roman un art du temps.
Jean Hytier notait qu'un roman "est une œuvre de langage qui se déroule dans le
temps"48.
De fait, Duras géomètre systématiquement le temps de l'histoire et,
refusant une représentation linéaire du temps, recours à une représentation
abstraite, Duras a choisi d'évoquer L'Amour, en s'appuyant sur des indicateurs
temporels volontairement maintenus dans le flou.
1
Simon. Claude cité par Roger-Michel, Allemand in Le nouveau roman, Ellipses. Paris, 1996, p. 60.
2
REY. Pierre Louis, Le Roman, Hachette. Paris, 1992, p.127.
3
Opcit, Le nouveau roman. p. 60.
4
Opcit, Lire le roman, p.131.

68
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
« Le jour baisse » (p10)

« Nuit » (p21)

« Nuit toujours » (p22)

« Jour » (p23)

« Du temps passe » (p30)

« Trois jours au cours desquels il ya un dimanche » (p31)

« Trois nuit. Au matin, des mouettes sont morte sur la plage » (p32)

« Soleil. Soir, c’est avec le soir qu’elle reparait » (p32)

« Nuit » (p40)

« Nuit .S .Thala désert » (p 41)

« Le silence commence par un espacement des temps » (p47)

69
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction

L’espace durassien
70
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
III.6.1.1. Une série de rapports19
Les temps de la fiction et de la narration sont unis par une série de
rapports que l'on peut représenter graphiquement pour la simplification de
l'exposé, non sans laisser ainsi dans l'ombre maints problèmes techniques qui,
dans la réalité de l'écriture, s'avèrent nettement plus complexes. Nous
emprunterons à Jean Ricardou l'utilisation de schémas bi-axiaux qui malgré
l'arbitraire de leurs représentations (et notamment la question du chois des unités
pour les axes)n’en constitue pas moins des outils de réflexion appréciables pour
l'étude de la temporalité romanesque ainsi que des instruments de travail
pédagogique de tout premier choix.
Soient deux axes, que l'on supposera parallèles, orientés dans le même
sens. On portera sur l'un (N) les unités du temps de la narration (a, b, c, etc.) et
sur l'autre (F) celles du temps de la fiction (a', b', c', etc.).
La représentation graphique des liens qui unissent les divers segments axiaux
rendra compte schématiquement de la succession des séquences du texte, de la
vitesse du récit, des divers emplois de la temporalité dans la narration.
Envisageons tout d'abord le cas très fréquent où l'ordre de la narration ne
correspond pas à celui de la chronologie événementielle.
La figure de base s'ordonne alors auteur des trois principales dimensions
temporelles : le présent, le passé et l’avenir. Le présent fictionnel détermine
donc une sorte de degré zéro de la temporalité autour du quel s'articulent un
"avant " et un "après " consécutifs dans la narration correspondent trois
segment : a', b', c' discontinus sur l'axe de la fiction (figure 1)

N.
a b c

F. b' a' c'

1
Voir Jean Ricardou, «temps de la narration, temps de la fiction», Problème du nouveau roman, Seuil, Paris
1967.P.161-170. Dans une section d’un ouvrage ultérieur, « l’extension scripturale», Le nouveau roman.

71
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
Après avoir examiné (figure1) considérons à présent les questions dans
l'Amour, l'eau et le sable qui sont d'abord paysage et décor. Mais plus que cela,
ils sont ce qu'ils ne désignent pas directement ; ils sont le temps, l'espace vide.

Figure -2-
Un nouvel univers durassien renvoie à un monde possible, à un système
fini, les fragments de l'Amour sont envahis par des micromouvements des
personnages- fantômes dans un ressassement infini des mots à l'instar des
regards. Un nouveau monde précis est mis en place dans ces structures
géométriques (triangle, rectangle, cercle).
Duras fournit l'illusion d'un temps tandis qu'il fonde la réitération du
remâchement perpétuel.

Il s'agit d'une vie mal dite, mal entendue, menée dans la tristesse, peut être
pas entièrement, peut –être qu’elle s'est déroulée sur la plage, dans la lumière et
pas seulement ici. Son histoire est parsemée d'images abstraites, de souvenirs
d'autres temps, d’autres personnages.

72
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
III.6.2. L’espace durassien

L'espace révèle un élément très important, la mer sera un contexte spatial,


et une indication d'un décor de presque toutes les scènes de L'Amour.
La mer est la dimension du vécu, c'est l'appréhension d’un lieu où se déploie
L'Amour. " Les romans, figuratifs dans leur grande majorité, ne manquant pas,
quant à eux, d'indiquer au lecteur où et quand se déroule l'action rapportée".1 10
" L'utilisation de l'espace romanesque dépasse pourtant de beaucoup la simple
indication d'un lieu. Elle fait système à l'intérieure du texte alors même qu'elle
se donne avant tout, fréquemment, pour le reflet fidèle d'un hors-texte qu'elle
prétend représenter"2.Duras utilise un espace ouvert qui laisse ses personnages,
des personnages- fantômes, apparaissent et disparaissent dans une ville au bord
de la mer S.Thala. Les trois personnages emblématiques durassiens sont tous
marqués par les rapports qu'ils entretiennent avec la mer.
Ces relations s'expliquent de manière significative pour la femme aux yeux
fermés, la mer est d'abord un élément néfaste qui n'a été jamais accueillante ou
berçante, elle est presque sombre pendant toute la narration.

Mais aussi, la mer est liée à la représentation qu'elle se fait de la tristesse


et a donc des connotations négatives. Dans L'Amour, la mer est un élément
destructeur, on dit qu'on est au bord d'un gouffre quand on est "devant un
danger grave et éminent"2 11

Ainsi on distingue à travers ces personnages le caractère polyvalent de la


mer, sa qualité génératrice de vie mais aussi son coté destructeur ; le voyageur
est venu à S.Thala pour se tuer ; la femme attend un bébé et on ne connaît rien à
l'égard du prisonnier / fou que Duras affirme c'est une suppression de la douleur.
Dans L'Amour, le lecteur apprend qu'il est en quelque sorte très liée à la mer.

Il est vrai que la mer n'est pas décrite, ni présentée concrètement, mais il y a
un parallèle explicite entre le personnage et la mer.
Cette présence c'est-à-dire la mer est très sensible parce que le lecteur
apprend peu les choses, il ne sait pas pourquoi l'étrangeté et le silence de
1
Opcit, Lire le roman, p.103.
2
Ibid.

73
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
L'Amour en relation avec la mer s'avère significatif. Donc, pas de temps défini,
juste l'illusion d'un jour et nuit, d'un présent, pas d'espace décrit.
"Pour le romancier, décrire c'est à la fois fatalement écrire et choisir"112
Si ce n'est pas S.Thala, juste l'illusion aux grandes villes avec leur complexité,
une vision qui reflète un vide intérieur.
En ce qui concerne la mer, Duras a fortement souligné son caractère
destructeur. Tout cela renvoie à un univers géométrique, répétitif, cet univers
meuble ce monde en s'y intégrant presque complètement.
Cet univers d'aspect apocalyptique par excellence, devient le lien ou toute issue
ne reste qu'imaginaire.

« Il est debout, il regarde : la plage, la mer » (p 09)

« Il est basse, calme » (p 09)

« La mer, la plage, il ya des flaques, des surfaces d’eau calme isolées » (p09)

« La mer, le ciel, occupent l’espace » (p10)

« La mer est déjà oxydée par la lumière obscure » (p11)

« Au matin, des mouettes sont morte sur la plage. Du côté de la digne, un dieu,
le chien mort est aux piliers d’un casino bombardé » (p 32)

« C’est après l’orage, la mer est mauvaise » ((p32)

« Il entre dans l’espace clos, seul, la porte se referme. Tout à coup, avec lui,
l’iode de la mer, le sel, la fulgurance bleu des yeux du plein jour, de nuit
pleine » (p38)

« La mer monte entre les berges de vase » (p 41)

1
Opcit, Lire le roman, p.110.

74
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction

Pour quoi l’art abstrait


75
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
III.7.L’Abstraction et le Nouveau Roman
Alors que les grands mouvements du début du XX siècle, fauvisme,
expressionnisme, cubisme, futurisme, sont historiquement situés et datés,
produits, en un même lieu, de l'activité des années 1911-1913 voient
l'élaboration par Frantisek Kupka les Delaunay, Picabia D'une abstraction
dynamique et colorée.
Madame Delaunay aimait à dire que les cercles lumineux que projetaient
les réverbères sur le pavé mouillé de paris avaient été un choc visuel, magnifié
en peinture par le disque (1912) et les Formes circulaires de l'un, les prismes
électriques de l'autre groupe, même restreint, l'abstraction est un phénomène
multiforme, naissant de démarches singulières, quasi synchrones, en divers
foyers européens.
Entre 1914 - et 1919 Mondrian l'expérience cubiste à son terme, il
continue à "travailler l'art abstrait dans une série d'arbres, de maisons, de
façades, d'églises,…etc. Néanmoins – avoue-t-il je sentais que je peignais
encore en impressionniste et que je continuais à exprimer des sentiments
personnels et mon la pure réalité"113.
Voila tracées de la manière la plus pertinente les lignes directrices du problème
de l'art abstrait.
La vie se détermine esthétiquement et dans le domaine l'art,
communication et valeur s'incurvent l'une vers l'autre et réciproquement, pour se
fondre en une représentation lui coagule en événement les actes, les attentes, les
expériences de l'homme.
Van Doesburg affirme que "l'art, tout comme la science et la technique, est un
moyen d'organiser la vie en général. L'art est une expression de l'énergie
créatrice omniprésente et réelle, qui organise le processus de la vie humaine, ou
mieux est un instrument du processus opératoire général"214
La conception universaliste de l'art-Anthony Kok, ami de van Doesburg et
collaborateur du DE STJIL, dira que "toute forme (tout objet) n'est autre qu'une
coagulation de l'universel"315.
Rompant avec la tradition figurative, des peintres et des sculpteurs comme
Piero Dorazio (1927), Carla Accardi (1924) et Pietro Cansagra (1920) se
1
Stjil, Mondrian école de la Haye, Bookking international, 1994, p.2.
2
ibid.
3
ibid., pp. 02-03.

76
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction

consacrent à un art où la forme prévaut sur le contenu et qui ne prétend plus


délivrer un quelconque message.
"Les trames graphiques de Dorazio, les patterns d'Accardi ou les sculptures
bidimensionnelles de Consagra rejettent à la fois la rhétorique militante du
néoréalisme et l'austérité de l’abstraction géométrique"116.
L'artiste reconnaît une dimension concrète comme le fruit d'une abstraction de la
réalité sensible, mais comme la traduction immédiate, dans la forme et dans la
couleur, des intuitions de l'artiste.
De tout temps, peintres et sculpteurs ont connu et utilisé le pouvoir que
possèdent les lignes, les volumes, les couleurs de constituer des ensembles
ordonnés, capables d'agir par eux-mêmes sur la sensibilité et la pensée.
Ces assertions sont motivées par la conviction que "notre civilisation est à un
tournant, nous sommes arrivés au terme de l'ancien, la rupture entre l'ancien et
le nouveau est absolue et définitive"217.
De même dans le nouveau Roman ;" le monde, il est tout simplement "318.
Selon les Nouveaux Romanciers, cette réalité, opaque, est très difficile à saisir
par le langage, leur écriture est entachée d'incertitudes, à tous les niveaux de la
fiction. Il y a un niveau ou peinture et littérature se rejoignent.

III.7.1 Qu'est ce que les abstractions?


Nom donnée à la l'une des principales tendances qui se sont affirmées
dans la peinture et la sculpture du XX siècle.
III.7.1.1 Origine historique et esthétique :
On peut situer son avènement aux environs de 1910, lorsque Kandinsky
peint une aquarelle (paris, M. N. A. M.) où toute référence au monde extérieure
est délibérément supprimée. Presque en même temps, la forme abstraite trouve
sa justification sur le plan de l'esthétique :
C'est en 1908, en effet, que parait à Munich l'ouvrage de Wilhem Worringer
(à l'origine sa thèse de doctorat, soutenue à Berme) Abstraction et Einflühlung.

1
FERRARI, Silvia, L’art du XX siècle peinture, sculpteurs, architecture, les grands mouvements, Club France
loisirs, Paris, 2000, p. 88-89.
2
Ibid.
3
Robbe-Grillet, Alain, Pour un nouveau Roman, Minuit, Paris, 2006, p.28

77
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
A partir de la notion d’Einflühlung, déjà formulé dans la philosophie allemande,
qui exprime une sorte de communion, entre l'être humain et le monde extérieur,
reflet d'un équilibre spirituel, l'auteur conçoit un état d'âme opposé.
III.7.2 Pourquoi l'art abstrait?
Pour Bill, l'art est écrit en langage mathématique, tout comme l'était la
nature pour Galilée, mais, de même que la nature est source d'émotions, la
mathématique est source de merveille.
Max Bill, ne se prive d'aucun canal d'expression : il est architecte, peintre,
sculpteure, graphiste, designer, chef d'orchestre, en ce sens, il est une des
personnalités exemplaires de cette époque.
La subjectivité de la vie, avec un certain nombre de caractères romantiques,
s'impose encore contre la raison et, dans l'art abstrait, elle ne peut que considère
le réel objectif comme un adversaire : vie et réalité sont donc deux catégories
bien distinctes, qui ne peuvent communiquer et qu'on ne peut relier.
Il faut signaler que l'abstraction, prise dans le sens de tendance qui abolit toute
apparence propre à rappeler la réalité empirique, mais aussi c'est une abstraction,
sans aucun doute, qui passe la main à l'irrationnel, ou flou imprécis des états
d'âme.
Il faut même insister sur le fait que ce sont justement les artistes que l'on
qualifie d'abstraits qui, plus que tous les autres, souhaitent que l'esthétique
investisse tous les domaines vitaux, et qu'il se prodiguent non seulement pour
l'interdisciplinarité, mais aussi pour la confusion entre formes inutiles et formes
utiles. C'est un peu le problème de toutes les grandes écoles modernes à
ouverture consciente.

78
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction

Figures emblématiques dans un univers


géométrique
79
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction

Le corps romanesque de l’amour ‫׃‬

un corps fragmenté

80
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
III.8. La mise en écriture du corps dans l'Amour:

Une estampe de la poétique durassienne selon Rynalle Udris :

L'écriture durassienne fait du corps de la femme aux yeux fermés et d'un


homme qui regarde et l'homme qui marche la base de son écriture. Duras dévoile
le degré de présence physique, le personnage réduit à un regard, le paradoxe du
regard.

L’individu n'est plus défini par des mobiles psychologiques, il se réduit à


un langage du corps, la série de ses gestes et des mouvements. Le langage lui-
même est débouche sur la présence physique.

III.8.1. Le corps romanesque de l'Amour : un corps fragmenté.

L'étude du corps romanesque de l'Amour se fait interrogation de la présence


d'un corps fragmenté, cette présence physique rendant compte de 124 unités
lexicales.

124 unités
lexicales Nº Duras, Marguerite, Gallimard, 1971 page
écrites pour le
physique
41 01 "Il regarde" 09
manifestations 02 "l'homme qui marche ne regarde pas" 10
pour les yeux 03 "une femme aux yeux fermés" 10
04 "l'égarement de son regard" 15
05 "elle ouvre les yeux" 15
06-07 "ses yeux sont bleus, d'une transparence
frappante" 17
08 "le regard bleu est d'une fixité 18
engloutissant"
09 "son regard bleu inspecte à son tour
l'espace" 29
10 " ses yeux s'ouvrent douloureusement" 34
11 " la fulgurance bleue des yeux" 38
12 " les yeux bleus à leur tour se
remplissent de larmes" 39
13 "elle dort les yeux ouvert" 49
14 " son regard absent" 49
15 "ses yeux brillent" 65

81
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction

16 " la fixité du regard ne se modifie pas" 67


17-18-19 " ses yeux sont très sombres, fardés de
noir, fosses sans fond" 74
20 " ses yeux sont d'une transparence 80
liquide" 85
21 " le regard implore" 93
22 " ses yeux sont presque fermés" 102
23 "elle lève les yeux" 107
24 " elle regarde le sol" 107
25 " elle recommence à regarder" 109
26 "elle se à regarder " 109
27 " elle regarde comme forcée de le faire" 109
28 " les yeux à moitié fermés" 114
29 "les paupières frémissent" 114
30 "les paupières tremblent légèrement" 115
31 " ils regardent sans voir" 116
32 " ses yeux restent rivés" 116
33-34 " les yeux clairs, déjà lassés" 117
35 " l'homme doit voir la violence des yeux" 117
"le voyageur regarde le fond du couloir"
36 " elle referme les yeux " 117
37 " les yeux, en effet, s'ouvrent de plus en 128
38-39 plus" 130
" le voyageur le regarde avec une
40-41 attention extrême" 116

30 pour le 01 " son visage est distinct" 09


visage 02 " visage blanc" 12
03 " soulève son visage" 13
04 " son visage se révulse" 13
05 " touche le visage" 35
06 " le visage se détourne" 36
07 " la couleur revient sur son visage" 36

82
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction

08 " elle relève légèrement le visage" 58


09 " le visage se ferme" 72
10 " le visage devient méconnaissable" 76
11 " le visage est glacé" 85
12 " son visage tendu" 99
13 " le voyageur détaille le visage" 116
14 " le visage vers le sable" 24
15 " un sourire pur balaie son visage" 33
16 " un changement de visage se produit" 76
17 " le sourire s'est collé en plein visage" 76
18 " elle retourne le visage contre le sable" 113
19 " elle tend le visage en avant" 77
20 " dans le visage brulé" 80
21 " se cache le visage dans ses mains" 90
22 " la tension des visages restée égale" 91
23 " elle essuie son visage" 109
24 " c'est autour du visage" 77
25 " elle voit mal son visage tendu" 99
26 " elle passe la main sur son visage" 88
27 " elle arrive très près de son visage" 88
28 " son visage ne porte aucune trace de
fatigue" 70
29 " le voyageur se penche sur le visage
endormi" 129
30 " son visage est indistinct" 09

28 pour la 01 " sa voix est claire" 16


voix 02 " il parle d'une voix forte" 18
03 " le ton exprime un violent espoir" 18
04 " sa voix sans écho" 19
05 " la voix au timbre limineux" 20
06 " les lèvres sont sevrées" 23
07 " la voix éclate sans écho" 25
08 " la voix continue" 43
09 " cette voix sans suite, elle circule dans 43
l'ile" 43
10 " se mêle à la plante" 46
11 " ses lèvres sont entrouvertes" 46

83
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction

12 " les lèvres se sont refermées"


13 " d'une force très grande le prive de voix"
14-15-16 " la voix est lente, douce et cassée" 82
17-18 " la voix est basse, blanche" 83
19-20 " sa voix est unie, sans timbre" 85
21 " la voix est foudroyée" 87
22 " l'autre voix d'enfant" 91
23-24 " la voix est neutre, machinale" 21
25 " la voix est calme" 121
26 " une voix de femme" 71
27 " la voix est incertaine" 67
28 " ils parlent à mi-voix" 98
22 pour les 1 " mains à moitié enfouies dans le sable" 12
mains 2 " il montre de la main" 18
3 " le voyageur lève la main" 19
4 " elle scrute les vêtements, le visage, les
mains" 27
5 " elle touche la main" 27-28
6 " elle lève la main" 35
7 " la main retombe" 36
8 " elle lève la main" 37
9 " sa main tremble" 40
10-11-12 " reprend, écrit:" 40
13 " tend la main vers le voyageur" 67
14 " elle lâche sa main" 86
15 "elle pose la main sur les yeux" 114
16 "elle tient à la main un flacon" 88
17 " sa main à elle posés sur le sable est
salie de noir" 95
18 " vos mains sont noires" 95
19 " elle essuie son visage avec sa main" 109
20 " il s'appuie sur sa main libre" 113
21 " il enlève sa main" 114
22 " sa main est restée enterrée près du sac
blanc" 115

10 pour le
corps 01 "mains à moitié enfuies dans le sable,
immobiles comme le corps" 12
2 " ils vont autour du corps endormi" 48
3 " le corps s'emporte" 66

84
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction

4 " une douleur irrésistible semble traverser


le corps" 72
5 " il a devant lui le corps tout entier" 77
6 " il la serre contre son corps" 106
7 " il le verse sur son corps" 114
8 " son corps encore en vie" 74
9 " le corps suit les yeux" 130
10 " a distinguer le sable de la mer, puis, la
mer de la lumière, puis son corps de mon
corps" 131

9 pour la tète 1 " il a tourné la tête " 14


2 " elle lève la tête" 17
3 " la tête est parfaitement endormi" 46
4 " pose sa tête sur sa poitrine" 46
5 " pose sa tête sur son épaule" 54
6 " la tête levée" 54
7 " il tire la tête de son coté" 55
8 " jette sa tête dans ses bras repliés" 121
9 " il place sa tête dans le creux de son bras 128

7 pour les 1 " elle a relevé légèrement son bras" 14


bras 2 " le bras est retombé" 14
3 " entre les deux bras" 40
4 " avance les bras comme s'il voulait" 121
5 " jette sa tète dans ses bras repliés" 121
6 " elle touche son bras" 123
7 " elle retourne dans le creux de son bras" 128

85
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction

7 pour la 1 " le dessin des mots est très clair" 16


bouche 2 " un choc sourd arrive des embouchures"
"il a essayé de vomir?" 22
3 " la bouche s'ouvre, aucun sonne sort" 29
4 " ses mâchoires se serrent pour ne pas
5 pleurer" 67
" la bouche rit " 73
6 " la bouche est entrouverte sur l'avidité 80
7 sans bornes de la connaissance" 91
4 pour les 1 " des cheveux très noirs, défait" 71
cheveux 2 " coiffée" 104
3 " mes cheveux noirs teints en noir" 77
4 " les cheveux gris" 116

2 pour les 1 " elle se tient les jambes allongées" 12


jambes 2 "ses jambes sont nues" 74

2 pour la 1 " pose sa tète sur sa poitrine" 46


poitrine 2 " elle pose son visage contre sa poitrine" 57

2 pour les 1-2 " ses pieds sont nus sur la pierre de la
pieds terrasse" 74

Il est possible de remarquer l'importance du regard, de la voix qui rend la


communication non-verbale. Le regard est comme une manifestation mécanique
et la voix est absente.

86
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction

Le regard bleu

87
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
III.9. figures emblématique sous le signe de la mer

A travers toute son œuvre l’Amour elle exprime la difficulté de donner’ un


contenu a l’absence, Duras se situe entre ce dialogue désiré et ce vide redouté.
L’Amour se situe entre la mer, la lumière et le feu.

Pour pouvoir apprendre plus sur ce que font et pensent les trois personnages
c'est-à-dire : la femme enceinte aux yeux fermés, l'homme qui regarde et
l'homme qui marche, il sera mieux instruit sur l'état de la mer. Duras évoque
seulement la plage sablonneuse de la ville S.Thala.

Beaucoup de phrases qui précisent que la mer est calme, que la marée est
basse, la mer s'approche ou encore que le bruit de la mer recommence. Un peu
d'intrigue et la forte présence de, la mer deux traits qui donnent au texte son
caractère particulier.

«La mer est déjà oxydée par la lumière obscure, de même que le ciel. Trois,
ils sont trois la lumière obscure, le réseau de lenteur.

L'homme marche toujours, il va, il vient, devant la mer, le ciel, mais


l'homme qui regardait a bougé.
Le glissement régulier du triangle sur lui-même prend fin:
Il bouge.
Il se met à marcher.
Quelqu'un marche, près.
L'homme qui regardais passe entre la femme aux yeux fermés et l'autre au loin,
celui qui va, qui vient, prisonnier. On entend le martèlement de son pas sur la
piste de planches qui longe la mer. Ce pas-ci est irrégulier, incertain.
Le triangle se défait, se résorbe. Il vient de se défaire: en effet, l'homme passe,
on le voit, on l'entend.
On entend: le pas s'espace. L'homme doit… (p11)

« Au- delà de la digue, une autre ville, bien au-delà, inaccessible, une
autre ville, bleue, qui commence à se piquer de lumières électroniques. Puis
d'autres villes, d'autres encore: la même.
Il a atteint la digue.il ne l'a pas dépassée.
Il s'arrête. Puis, à son tour, il s'assied.

88
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
Il s'est assis sur le sable face à la mer. Il cesse de regarder quoi que soit, la plage,
la mer, l'homme qui marche, la femme aux yeux fermés.
Pendant un instant personne ne regarde, personne n'est vu:
Ni le prisonnier fou qui marche toujours le long de la mer, ni la femme
aux yeux fermés, ni l'homme assis.
Pendant un instant personne n'entend, personne n'écoute.
Et puis il y a un cri:
L'homme qui regardait ferme les yeux à son tour sous le coup d'une tentative qui
l'emporte, le soulève son visage vers le ciel, son visage se révulse et il crie»
(p13).
«Un cri. On a crié vers la digue.
Le cri a été proféré et on l'a entendu dans l'espace tout entier, occupé ou vide. Il
a lacéré la lumière obscure, la lenteur. Toujours bat le pas de l'homme qui
marche, il ne s'est pas arrêté, il n'a pas ralenti, mais elle, elle a relevé légèrement
son bras dans un geste d'enfant, elle s'en est recouvert les yeux, elle est restée
ainsi quelque secondes, et lui, le prisonnier, ce geste, il l'a vu: il a tourné la tête
dans la direction de la femme.
Le bras est retombé.
L'histoire. Elle commence. Elle a commencé avant la marche au bord de la mer,
le cri, le geste, le mouvement de la mer, le mouvement de la lumière.
Mais elle devient maintenant visible. C'est sur le sable que déjà elle s'implante,
sur la mer.
L'homme qui regardait revient.
De nouveau on entend son pas, on le voit, il revient de la direction de la
digue.son pas est lent.son regard est égaré» (p14).

« Elle montre devant elle, la mer, la plage, la ville bleue, la blanche


capitale derrière la plage, la totalité.
Il se retourne: l'homme qui marche le long de la mer a disparu.
Il fait encore un pas, il s'appuie au mur.
Il est là, à ses cotés.
La lumière change d'intensité, elle change.

89
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
Elle blanchit, elle se change, change. Il dit:
- La lumière change.
Elle se tourne vers lui, à peine, elle parle.
Sa voix est claire, d'une douceur égale qui effraierait.
- vous avez entendu on a crié.
Son ton ne demande pas de réponse. Il répond.
- J'ai entendu.
Elle se retourne vers la mer.
- Vous été arrivé ce matin.
- C'est ça.
Le dessin des mots est très clair. Elle montre autour d'elle, l'espace, elle
explique: » (p 16).

Le voyageur montre une fascination pour la mer que pour la femme enceinte:
« La colère, la plainte vient de cesser.
Un dernier flot de paroles sort de lui.ses yeux brillent et se ferment, face à la
paix des eaux.
- Objet du désir absolu, dit-il, sommeil de nuit, vers cette heure-ci en général
ou qu'elle soit, ouverte à tous les vents- il s'arrête, il reprend- objet de désir,
elle est à qui veut d'elle, elle le porte et l'"embarque, l'objet de l'absolu désir.
Ses yeux s'ouvrent. Il se tourne vers cet autre homme, le voyageur, puis vers elle
qui dort, puis son regard traverse SThala, se perd.

Ils vont autour du corps endormi.


Ils s'approchent, le regardent. Le ciel devient parfaitement clair.
Ils sont assis près du corps endormi.les lèvres se sont refermées. La respiration,
patiemment, se fraie une voie dans la respiration de l'ensemble.
Il la regarde comme un instant avant il regardait la mer, avec une passion
insensée. Le voyageur demande: » (p 48).

- « Quelque fois c'est calme ici.


On dirait qu'elle commence à oublier l'hôte.
- On n'entend rien.

90
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
Elle la montre, c'est la mer du matin, elle bat, verte, fraiche, elle avance, elle
sourit, elle dit:
- La mer.
Elle s'arrête de nouveau. Il continue à marcher. Elle recommence à regarder
derrière.
- Venez encore.
- Je dois repartir.
Elle ne suit jamais que l'autre homme de S.Thala, elle doit avoir peur de suivre
le voyageur.
Il s'assied, il l'appelle.
- Venez près de moi. Nous nous arrêterons là.
Elle vient. Elle s'assied prés de lui. Elle se tait.
Puis elle cherche sur la plage cet autre homme.» (p56)

Duras est une créatrice imaginaire à travers la mer. On peut en effet noter
l’importance de la mer, un espace qui évoque encore « symbole de la dynamique
de la vie. Tout sort de la mer et tout y retourne: lieu des naissances, des
transformations et des renaissances. Aux en mouvement, la mer symbolise un
état transitoire entre les possibles encore informels et réalités formelles, une
situation d'ambivalence, qui est celle de l'incertitude, du doute, de l'indécision et
qui peut se conclure bien ou mal. De là vient que la m er est à la fois l'image de
la vie et celle de la mort"1
Pour la première fois, il ya l'occurrence du pronom "elle"; "elle sourit, elle dit"
renvoient à la femme, mais par contre "elle bat": c'est la mer, "elle avance"
s'applique à la femme et la mer à la fois. Le fusionnement de la femme aux yeux
fermés avec la mer, donc, un emploi ambigu du pronom elle.
"L'engouffrement de la mer" (p 44)
" L'engouffrement du sel perd de sa force" (p 47)
La répétition de ce mot nous indique la condition psychologique des trois
personnages parce que rien n'est suggéré dans l’Amour.
L'insistance sur la mer est signification c'est Bachelard qui dit:" l'imagina-tion
du malheur et de la mort trouve dans la matière de l'eau une image matérielle
particulièrement puissante"2
1
Chevalier, Gheerbrant. Alain, Dictionnaire des symboles, Robert Laffont, Paris 1982, p623.
2
Bachelard, Gaston, L'eau et les rêves, José corti, Paris ,1949.P122.

91
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
On peut comprendre le malaise, l'homme qui regarde la femme aux yeux
fermé et l'homme qui marche sont tous en proie à une douleur secrète et
énigmatique.
La femme et l'homme sont toujours étouffés par un ennui insondable dans
les contraintes de la vie sociale.
Une écriture bouleversante, syntaxe disloquée, phrase elliptique, une
grammaire très primitive qui semble être définitivement la manière durassienne.
Dans la moiteur insupportable dans "la saison indéfinie"(p09) et dans "le temps
lent"(p09) une douleur indicible en un cri désespéré aux limite de la folie.
Pareil immobilisme apparait plus clairement encore dans l'Amour.
« …Regarder la femme aux yeux fermés posée sur son chemin.
Oui. Le pas s'arrête. Il la regarde.
L'homme qui marche le long de la mer et seulement lui, conserve son
mouvement initial. Il marche toujours de son pas infini de prisonnier.
La femme est regardée.
Elle se tient les jambes allongées. Elle est dans la lumière obscure, encastrée
dans le mur. Yeux fermés.
Ne ressent pas être vue. Ne sait pas être regardée.
Se tient face à la mer. Visage blanc. Mains à moitié enfouies dans le sable,
immobiles comme le corps. Force arrêtée, déplacée vers l'absence. Arrêtée dans
son mouvement de fuite. L'ignorant, s'ignorant.
Le pas reprend.
Irrégulier, incertain, il reprend.
Il s'arrête encore.
Il reprend encore.
L'homme qui regardait est passé. Son pas s'entend de moins en moins.
On le voit, il va vers une digue qui est aussi de la femme que l'est d'elle le
marcheur de la plage. Au- delà de la digue, une autre ville, bien au-delà,
inaccessible, une autre ville, bleue, qui commence à se piquer de lumières
électroniques. Puis d'autres villes, d'autres encore: la même.
Il a atteint la digue.il ne l'a pas dépassée.
Il s'arrête. Puis, à son tour, il s'assied.
Il s'est assis sur le sable face à la mer. Il cesse de regarder quoi que soit, la plage,
la mer, l'homme qui marche, la femme aux yeux fermés.
Pendant un instant personne ne regarde, personne n'est vu:
Ni le prisonnier fou qui marche toujours le long de la mer, ni la femme aux yeux
fermés, ni l'homme assis.
Pendant un instant personne n'entend, personne n'écoute.

92
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
Et puis il y a un cri:
L'homme qui regardait ferme les yeux à son tour sous le coup d'une tentative qui
l'emporte, le soulève son visage vers le ciel, son visage se révulse et il crie.
Un cri. On a crié vers la digue.
Le cri a été proféré et on l'a entendu dans l'espace tout entier, occupé ou vide. Il
a lacéré la lumière obscure, la lenteur. Toujours bat le pas de l'homme qui
marche, il ne s'est pas arrêté, il n'a pas ralenti, mais elle, elle a relevé légèrement
son bras dans un geste d'enfant, elle s'en est recouvert les yeux, elle est restée
ainsi quelque secondes,
Et lui, le prisonnier, ce geste, il l'a vu: il a tourné la tête dans la direction de la
femme.

Le bras est retombé.


L'histoire. Elle commence. Elle a commencé avant la marche au bord de la mer,
le cri, le geste, le mouvement de la mer, le mouvement de la lumière.
Mais elle devient maintenant visible. C'est sur le sable que déjà elle s'implante,
sur la mer.
L'homme qui regardait revient.
De nouveau on entend son pas, on le voit, il revient de la direction de la
digue.son pas est lent.son regard est égaré». (pp12-14)
«- Je ne viens jamais de ce côté-là.

Il se pose, il regarde.
Brusquement il voit le hall.
Tout autour de lui, le hall.
Il le regarde.
Ses yeux brillent. L'obscurité est presque totale.il regarde comme en plein jour.
Longuement.
Il bouge.
Il va vers le balcon, il se retourne, regarde encore fixement. Revient encore.
Passe encore devant le voyageur assis dans la pénombre, ne le voit plus, ne voit
que le hall.
Tout à coup, il s'immobilise au milieu de la piste, montre l'espace, d'écrit…
(p65)
- «A mon avis, l'île est sortie en premier-il montre la mer de là.S.Thala est
arrivée après, avec la poussière il ajoute- vous savez? Le temps…
Le silence commence par un espacement des départs de bateaux.il dit:

93
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
- Le silence commence par un espacement des temps.
La plainte vient de s'espacer.
- Regardez.
Une vallée d'eau commence à se bâtir entre les berges de vase. Aux
embouchures, une différence commence à se voir: la mer s'ourle de blanc, le sel
se répare, ne pénètre plus. Les pentes d'eau sont comblées». (p47)

94
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
III.10. figures emblématiques sous le signe de la lumière

Les trois personnages, la femme aux yeux fermés, l'homme qui marche et
l'homme qui regarde évoluent sous le signe de la lumière.
Pourtant, le lecteur apprend qu'il est en quelque sorte lié à la lumière. Il est
vrai que Duras géomètre même la lumière et le soleil à la fois: "Entre lui et eux,
il ya un rectangle de soleil"(p89)," personne ne franchit le rectangle de
lumière"(p89)," la femme traverse le rectangle de lumière"(p90)
Toujours inexplicable, cette douleur en lumière, lumière obscure, cette
lumière qui n'éclairait pas, qui change d'intensité et change encore.
Nous verrons que ces trois personnages sont tous marqués d'une façon ou
d'autre, par les rapports qu'ils entretiennent avec la lumière.
Ainsi, on distingue à travers ces personnages le caractère polyvalent de la
lumière qui traduit le pouvoir maléfique, mais aussi elle pourrait nous montrer
l'ambiance apocalyptique qui se dégage ces trois personnages.
Le signe de la lumière touche ici à l'indicible." la lumière est mise en relation
avec l'obscurité, pour symboliser les valeurs complémentaires ou alternantes
d'une évolution"1, mais "si la lumière solaire meurt chaque soir, elle renait
chaque matin et l'homme assimilant son destin à celui de cette lumière, prend
par elle espérance et confiance en la pérennité de la vie et de sa puissance"2

« La mer est déjà oxydée par la lumière obscure, de même que le ciel.
Trois, ils sont trois la lumière obscure, le réseau de lenteur.
L'homme marche toujours, il va, il vient, devant la mer, le ciel, mais l'homme
qui regardait a bougé.
Le glissement régulier du triangle sur lui-même prend fin:
Il bouge.
Il se met à marcher.
Quelqu'un marche, près.
L'homme qui regardais passe entre la femme aux yeux fermés et l'autre au loin,
celui qui va, qui vient, prisonnier.
On entend le martèlement de son pas sur la piste de planches qui longe la mer.
Ce pas-ci est irrégulier, incertain.

Le triangle se défait, se résorbe. Il vient de se défaire: en effet, l'homme


passe, on le voit, on l'entend.

1
Opcit , Dictionnaire des symboles ,p585.
2
Ibid.p5887

95
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
On entend: le pas s'espace. L'homme doit
Regarder la femme aux yeux fermés posée sur son chemin.
Oui. Le pas s'arrête. Il la regarde.
L'homme qui marche le long de la mer et seulement lui, conserve son
mouvement initial. Il marche toujours de son pas infini de prisonnier.
La femme est regardée.
Elle se tient les jambes allongées. Elle est dans la lumière obscure,
encastrée dans le mur. Yeux fermés.
Ne ressent pas être vue. Ne sait pas être regardée.
Se tient face à la mer. Visage blanc. Mains à moitié enfouies dans le sable,
immobiles comme le corps. Force arrêtée, déplacée vers l'absence. Arrêtée dans
son mouvement de fuite. L'ignorant, s'ignorant.
Le pas reprend.
Irrégulier, incertain, il reprend.
Il s'arrête encore.
Il reprend encore.
L'homme qui regardait est passé. Son pas s'entend de moins en moins.
On le voit, il va vers une digue qui est aussi de la femme que l'est d'elle le
marcheur de la plage. Au- delà de la digue, une autre ville, bien au-delà,
inaccessible, une autre ville, bleue, qui commence à se piquer de lumières
électroniques. Puis d'autres villes, d'autres encore: la même.
Il a atteint la digue.il ne l'a pas dépassée.
Il s'arrête. Puis, à son tour, il s'assied.
Il s'est assis sur le sable face à la mer. Il cesse de regarder quoi que soit,
la plage, la mer, l'homme qui marche, la femme aux yeux fermés.
Pendant un instant personne ne regarde, personne n'est vu:
Ni le prisonnier fou qui marche toujours le long de la mer, ni la femme aux yeux
fermés, ni l'homme assis.
Pendant un instant personne n'entend, personne n'écoute.
Et puis il y a un cri :
L'homme qui regardait ferme les yeux à son tour sous le coup d'une tentative qui
l'emporte, le soulève son visage vers le ciel, son visage se révulse et il crie.
Un cri. On a crié vers la digue.
Le cri a été proféré et on l'a entendu dans l'espace tout entier, occupé ou vide. Il
a lacéré la lumière obscure, la lenteur. Toujours bat le pas de

L’homme qui marche, il ne s'est pas arrêté, il n'a pas ralenti, mais elle, elle a
relevé légèrement son bras dans un geste d'enfant, elle s'en est recouvert les
yeux, elle est restée ainsi quelque secondes, et lui, le prisonnier, ce geste, il l'a
vu: il a tourné la tête dans la direction de la femme.

96
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
Le bras est retombé.
L'histoire. Elle commence. Elle a commencé avant la marche au bord de la mer,
le cri, le geste, le mouvement de la mer, le mouvement de la lumière.
Mais elle devient maintenant visible. C'est sur le sable que déjà elle s'implante,
sur la mer.
L'homme qui regardait revient.
De nouveau on entend son pas, on le voit, il revient de la direction de la
digue.son pas est lent.son regard est égaré.»(p11-12-13-14)

«Il se réveille avec le jour, il est seul. Eux sont déjà partis vers leur
labeur, l'investissement des sables de S.Thala, objet de leur parcours.
Soir. Lumière d'or.
Elle l'attend sur le chemin de planches, face à l'hôtel, tournée vers S.Thala. Il
vient vers elle. Elle dit:
- Je suis venu vous voir pour ce voyage.
Elle regarde au-delà de l'hôtel et des parcs, l'enchainement continu de l'espace,
l'épaisseur du temps. Elle ajoute:
- Ce voyage à S.Thala, vous savez.
Il voit mal son visage tendu vers l'épaisseur.
- Je n'y suis jamais revenue depuis que j'étais jeune.
La phrase reste suspendue un instant, puis elle se termine:
- J'ai oublié.
Elle cesse de regarder S.Thala. Elle lui sourit. Il demande:»(p99)
- « L'été.
Ils se taisent. Elle le regarde. Il dit:
- On ira quand vous voudrez.
Elle s'éloigne sur le chemin de planches. La brise continue, fraiche, à couvrir la
plage, la lumière baisse sous un ciel clair.

Trois jours. Lumière d'or.


Trois jours au cours desquels rien n'arrive, que le rongement incessant qui croit
avec la lumière, décroît avec elle.
Soleil fixe sur S.Thala. Vent. Lumière d'or fixe, fouettée par le vent. Odeur
déterrée des eaux.
La mer bat, forte, sous le ciel nu, les sables se soulèvent, courent, crient, les
mouettes de la mer luttent contre le vent, leur vol est ralenti.
L'endroit du mer reste vide, la place est éclairée.

97
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
Puis le vent tombe, les sables, de nouveau, sont paisibles. La mer se calme,
l'enchainement continu étal au soleil sa putréfaction. » (p101)

Engagé dans un processus de dépossession, angoisse profonde, ce dernier


peut se réduire à n'être plus qu'un mouvement.
Les trois personnages ne veulent, ne sachent ou ne peuvent pas exprimer cette
douleur indicible.

La mort c'est la seule réponse possible: "Au matin, des mouettes sont
mortes sur la plage. Du coté de la digue, un chien. Le chien mort est face aux
piliers d'un casino bombardé. Au-dessus, le ciel est très sombre, au dessus du
chien mort. C'est après l'orage, la mer est mauvaise"(P32)

98
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
III.7. figures emblématiques sous le signe du feu
Le dépouillement d'éléments est significatif: l'incendie, la mer, la
lumière, donc la répétition de ces mots nous indiquerait la situation des
personnages parce que rien n'est suggéré de leur condition psychologique sauf
que le voyageur est venu à S.Thala pour se tuer, la femme attend un bébé dans
des mauvaises conditions et le prisonnier qui marche tout le temps.
La présence du feu est sans doute significatif et nous recourrons à la
poétique du feu, pour Gaston Bachelard " l'amour est la première hypothèse
scientifique pour la reproduction objective du feu et avant d'être le fils du bois,
le feu est le fils de l'homme……la méthode du frottement apparait comme la
méthode naturelle. Encore une fois, elle est naturelle parce que l'homme y
accède par sa propre nature. En vérité, le feu surpris en nous avant d'être arraché
au ciel…… la vie du feu, tout entière en étincelles et en saccades, ne
rappelle……..
Elle pas la vie de la fourmilière?
Au moindre évènement, on voit les fourmis grouiller et sortir
tumultueusement de leur demeure souterraine; de même, à la moindre secousse
d'une phosphore on voit les animalcules ignés se rassembler et se produire en
dehors sous une apparence lumineuse"1et G. Durand distingue avec Bachelard,
deux directions ou deux constellation psychiques dans la symbolique du feu:
"comme on vient de le dire, par percussion ou par frottement. Dans le premier
cas, il s'apparente une valeur de purification et d'illumination; il est le
prolongement igné de la lumière. Pure et feu ne sont en sanscrit qu'un même
mot"2
"Le symbole du feu purificateur et régénérateur"3,"le feu, dans les rites
initiatiques de mort et renaissance, s'associe à son principe antagoniste l’eau"4
" La signification sexuelle du feu est universellement liée à la première
technique d'obtention du feu par frottement, en va et vient, l'image de l'acte
sexuel "5

«L'autre enfant lève le bras et indique la direction de la rivière tout en


regardant l'homme:
- C'est un incendie, c'était à cause de l'incendie.
Un cri isolé: la mère. Elle crie qu'il faut partir.

1
Ibid, p 437.
2
Ibid.
3
Ibid, p435.
4
Ibid, p436.
5
Ibid, p437.

99
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction
- Partons d'ici.
Les enfants parlent calmement dans le hurlement des sirènes et les cris de la
femme:
- Ils cherchaient quelqu'un qui était avec toi.
- Une femme qui s'est sauvée, ils avaient peur.
La femme crie:
- Partons de cet endroit je n'en peux plus.
Les enfants ne l'entendent pas.
Elle arrive vers eux:
- Allez, venez, on s'en va.
Elle arrive, elle les bouscule avec force. Le petit garçon tombe. Elle le ramasse,
le fait tenir debout, le pousse, prend la petite fille,…» (p92).
« …Sur son visage. Elle ne s'aperçoit pas de la présence du voyageur.
C'est quand il s'assied près d'elle qu'elle le voit.
Il se tait. Elle dit:
- Une femme est venue avec des enfants.
Il fait signe: oui. Elle le voit à travers les larmes. On dirait qu'il a froid dans la
chaleur immobile. Il ne regarde rien, le sable.
- Ils sont repartis.
- Oui.
Loin, au-dessus de la mer, des zones d'ombre. Le ciel se couvre. Puis il pleut
sous les zones d'ombre. Elle regarde. Elle pleure.
- Vous non plus vous n'avez plus rien maintenant
Il ne lui répond pas.» (p94)
« Dimanche. Le bruit ne croit pas à S.Thala. Il y a du vent. Puis il pleut.
Le voyageur marche dans S.Thala la pluie.
Il ne les rencontre pas.
Une nuit. Un jour.
Le voyageur ne les voit nulle part dans l'espace, le temps, de S.Thala.
Une nuit noire.
Elle passe, devant l'hôtel.
Le voyageur est sur le balcon, il la voit passer sur le chemin de planches, son
ombre se détache sur la mer.
Elle marche lentement, continument vers la digue. Elle ne se retourne pas vers
l'hôtel.

100
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction

Elle va, dans la nuit, droit.


L'enfant, c'est l'enfant, sa naissance.
Lui, l'autre, cette nuit, la suite. Elle avance, elle l'ignore. Il suit. Elle fonce,
bestiale, elle va.
Elle disparait derrière la masse noire de la digue, elle se perd dans les sables, le
vent illimité.» (p68).

Duras se trouve en situation d’interrogation permanente devant l’être


qui ne se laisse plus dompter par un regard de chair.son regard est en plus
figurateur mais transfigurateur a l’instar de la question qui pénètre les formes
géométriques dans ce qu’elles portent de non-dit non dicible et de non visible,
dans ce qu’elles changent en permanence de forme, d’état et de sens.

101
Chapitre III : jeux de construction-déconstruction : poétique
de la géométrie et d’abstraction

L’amour

102
Conclusion

L'Amour effraie au premier abord, car son écriture est cassée


blanche, et même pauvre. A cet égard, L'Amour paraitra peut-être d'une
lecture difficile, à ceux qui, habitués aux récits linéaires, seront
déconcentrés par un roman ou le personnage se réduit à une forme
géométrique. L'Amour décevra surement les amateurs de réponses
précises aux questions simples, Duras s'interroge en temps sur les
étrangetés des personnages ou, le lecteur craint de se perdre.

La structure savante de ce "roman-squelette"1, "texte hybride"2, nous


invite, non pas à un jeu de construction déconstruite à plaisir par une
romancière intelligente qui a une réflexion proprement mathématique.
Les personnages se réduisent à une épure.

L'écriture Durassienne se cherche en dehors d'elle-même, elle


emprunte à d'autres modes d'expression, comme la peinture (l'art
abstrait), des possibilités spécifiques, mais elle explore aussi des
techniques particulières qui vont jusqu'à la création d'un nouvel espace
de l'imaginaire et de l'écriture. Duras fait abstraction de la représentation
directe de la femme aux yeux fermés, l'homme qui regarde et l'homme
qui marche. A la nécessaire complexité de L'Amour tiennent donc son
sens et sa beauté: une narration elliptique et discontinue, laisse apparaître
les forces vives du désir ou la peinture constitue une référence essentielle
car elle est à la fois un art créateur d'images, un triangle se déforme, se
reforme, sans se briser jamais, c'est précisément son sens aigu de ses
trois lignes relationnelles qui nourrissent sa force créatrice.

Duras écrit L'Amour comme on ferait un tableau, une véritable


composition qui naît de la figure géométrique et non seulement dessinée,
mais également dite, développant une grande capacité à observer
inlassablement ce triangle, le même triangle, le même tableau, jusqu'à un
degré de fascination dont témoigneront le plus souvent l'action du
marcheur, de la femme aux yeux fermés et du regard bleu, une
représentation corporelle du mouvement obsessionnel des trois
personnages. L'Amour exige une modification radicale des habitudes de

1
Expression utilisée par Annette de La Motte dans : Au-delàs du mot : « une écriture du silence».
2
Marguerite,Duras, la vie matérielle, éd .P.O.L,1987,p45

201
Conclusion
lecture; la réflexion sur la peinture et l'écriture se mêle pour donner au
langage un pouvoir de rendre sensible la simultanéité de la rencontre
émerveillée mais fugitive de la femme aux yeux fermés, l'homme qui
regarde et l'homme qui marche ; ce qui pourrait être l'âme profonde des
personnages. Donc, il y a dans L'Amour une profonde ressemblance avec
la peinture abstraite.

Duras voyait en son œuvre L'Amour un pivot de sa création « elle


voulait faire un livre physique, organique et avouera a la fin de sa vie a
son amie Jean Pierre Ceton qu’elle aurait du commencer par ce livre ou
finir par lui»13

Duras a tendance soit à sortir du domaine romanesque pour tenter d


autres expériences soit une sorte de laisser-aller, laisser faire : de donner,
en somme libre cours à la dérive des textes « refus certes : mais non pas
un refus théorisé, plutôt un refus instinctif, viscéral, des limites, des
barrières, des frontières et des grilles »2 le résultat est ici une dissolution
de plus en plus nette de la forme romanesque au profit de «l aventure d
une écriture», « l’écriture a toujours été sans référence aucune ou elle est
(…) Elle est comme au premier jour. Sauvage. Différente ».3

Trois traits caractérisent le génie durassien :

1-L’originalité. Le génie durassien produit hors la loi, hors les règles, ses
productions sont sans modèle, sauvages et déréglées. Elle ne cesse de
brouiller les frontières.

2- exemplarité. L’Amour n’est pas l exemplaire d une règle, L’Amour est


exemplaire d un pouvoir de créer qui, ne peut qu’éveiller les aptitudes
créatrices des autres génies. Son génie fait école sans être lui-même
d’aucune école

3-Abscondité. Le génie durassien n’est que ténèbres à lui-même, il


produit sans savoir comment il produit, comme le disait Picasso de lui-

1
Adler Laure, Marguerite Duras, Gallimard, Paris 1998, p646
2
Dambre Marc et Monique Gosselin Noat cité par Borgomano Madeleine in l’éclatement des genres
e
au XX siècle, Presses de la Sorbonne nouvelle; Paris 2001, P216.
3
Duras ,Marguerite Ecrire Gallimard, Paris 1993.p38.

201
Conclusion

même, il ne cherche pas il trouve, il a une manière qui est comme sa


leçon de ténèbres. Son écriture, en accompagnant une marche vers le

vide, s’est, elle aussi, comme évidée, réduite à sa forme la plus


dépouillée c’est la fascination du vide. Duras vise le trait parfait, une
figuration de l’espace, l’espace entourant le trait est plus important que la
figure tracée, l’espace comme un cheminement du désire.

Dans L’Amour l’écriture tend à s’effacer, à laisser place à ce qui se


donne à voir : le rapport au «point » dans l’espace, le rapport au trait et à
l’espace ambiant, le rapport à la figure, à sa présence intrinsèque et à son
évanescence d’apparition parfaite et fugitive échappant à l’entendement.

Il semble évident que ce qui s’énonce et ce qui s’interroge ici sous le


terme d’Epure géométrique s’applique parfaitement à la géométrie,
l’écriture durassienne et la peinture abstraite.

Enfin, nous ne manquerons pas de reconnaitre que notre analyse de


cette œuvre déconcertante a ouvert notre intérêt sur de nouvelles pistes de
recherches, à savoir: les variations des couleurs et de la matière des
visages des personnages, classées entre la couleur blanche et noire.

Est-ce que ce sont les intermittences du cœur chez Duras…Et tant


d'autres sujets auxquels notre recherche future ne manquera pas de
s'intéresser.

201
Conclusion

Cet homme a le pas régulier d’un


prisonnier

201
Bibliographie
Références bibliographiques .

Bibliographie de Marguerite Duras

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Le Marin de Gibraltar, roman, éd. Gallimard, 1952.
Les Petits chevaux de Tarquinia, roman, éd. Gallimard, 1953.
Des journées entières dans les arbres, suivi de : Le Boa - Madame Dodin - Les
Chantiers, récits, éd. Gallimard, 1954.
Le Square, roman, éd. Gallimard, 1955.
Moderato cantabile, roman, éd. de Minuit, 1958.
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Dix heures et demie du soir en été, roman, éd. Gallimard, 1960.
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Une aussi longue absence, scenario et dialogues, en collaboration avec Gerard
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L'Après-rnidi de Monsieur Andesmas, récit, éd. Gallimard, 1962.
Le Ravissement de Lol V. Stein, roman, éd. Gallimard, 1964.
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« Quarto », 1997. Théâtre IV : Vera Baxter - L'Eden Cinéma - Le Théâtre de
L'Amante anglaise. Adaptations de Home, d'après David Storey, de La Mouette,
d'après Anton Tchèkhov, éd. Gallimard, 1999.

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Présidente : Michèle Ponticq.

Adresse : Marie de Duras. B.P 18-47120 Duras.

Site internet : http://www.pays de duras.com/Html/Patrimoine/Duras.htm.

Les revues :

Stéphane cordier, Margueritte Duras, L’ARC N°98, revue publiée avec le


concours du centre national des lettres et avec l’aide de l’Office régional de la
Culture, Duponchelle, Provence-côte d’Azur.

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