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Entrevue avec André Martin. La chaîne logistique : une vision, une passion!

Article in Gestion · January 2006


DOI: 10.3917/riges.313.0105

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Martin Beaulieu
HEC Montréal - École des Hautes Études commerciales
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Entrevue avec André Martin.


La chaîne logistique : une vision, une passion !
Propos recueillis par Sylvain Landry et Martin Beaulieu

Dans ce numéro de la revue Gestion Les auteurs


consacré à la gestion de la chaîne logis-
tique, il nous apparaît incontournable Sylvain Landry est professeur titulaire à HEC Montréal.
de donner la parole à André Martin, un Martin Beaulieu est professionnel de recherche au Groupe de recherche CHAÎNE à HEC Montréal.
intervenant québécois qui a marqué la
mise au point des pratiques de logis-
tique intégrée au cours des dernières des sociétés du commerce de détail Walton. Cet entretien cherche donc à
décennies. En effet, voilà plus de 30 ans comme Coca-Cola, Colgate Palmolive, faire le pont entre les réalisations du
que M. Martin œuvre dans le domaine Philips, RJR/Nabisco, Michelin, Procter passé, l’état actuel des pratiques et les
de la logistique et de la distribution. À & Gamble, Sears, Canadian Tire ou Wal- développements futurs.

DU CÔTÉ DE L’ENTREPRISE
l’usine montréalaise des Laboratoires Mart. ■ Vous venez tout juste de publier
Abbott, il a conçu et implanté la pre- Outre ces mandats en entreprise, M. en compagnie de Mike Doherty et Jeff
mière application de ce qui sera connu Martin a donné de nombreuses présen- Harrop un livre intitulé Flowcasting
sous le nom de distribution resource tations et animé plusieurs séminaires the Retail Supply Chain1. Pouvez-
planning (DRP) ou planification des en Amérique, en Europe et en Australie vous nous expliquer ce concept de
ressources de distribution. Le système afin d’exposer les plus récents con- flowcasting?
DRP est une méthode utilisée pour pla- cepts et applications dans le domaine Pour bien comprendre cet outil, la
nifier et calculer les besoins en réappro- de la chaîne logistique. Dans son désir première chose à faire est de visualiser
visionnement de produits d’un réseau de communiquer sa vision de la chaîne une chaîne logistique de l’usine jus-
de distribution ainsi que l’ensemble des logistique, il a rédigé trois livres. En qu’aux tablettes d’un détaillant. Le flow-
ressources critiques d’un système de 1983, il publiait DRP: Distribution casting est un système permettant de
distribution. Resource Planning: Distribution modéliser les entrées et les sorties des
Au début des années 1980, André Management’s most Powerful Tool et, produits à chacun des maillons de la
Martin quitte les Laboratoires Abbott en 1994, Infopartnering : The Ultimate chaîne. Ainsi, c’est un modèle, comme
pour se joindre au groupe-conseil Oliver Strategy for Achieving Efficient Consumer on dit en anglais, of the flow casting of
Wight. C’est à titre de consultant qu’il Response. Tout récemment, au prin- inventory; c’est pourquoi j’ai eu l’intui-
réussit une nouvelle première en 1983 en temps 2006, il publiait Flowcasting the tion de retenir ce terme.
implantant un système DRP entre deux Retail Supply Chain. Ce dernier livre se Ce système permet de gérer la vélo-
entreprises du secteur du commerce de voulait la démonstration de la mise en cité du produit et de la contrôler. À
détail : le grossiste American Hardware œuvre de sa vision de la chaîne logis- partir du moment où une entreprise
Gestion, volume 31, numéro 3, automne 2006

Supply (qui est devenu Servistar et qui tique comme un écosystème dont peut avoir une vélocité constante dans
a été acheté par la firme True Value) et les maillons sont tous connectés aux son réseau, elle peut se permettre de
le distributeur Mass Merchandiser (qui points de consommation. réduire le niveau des stocks. Le flowcas-
est maintenant une composante de la Vu la vaste expérience profession- ting permet de gérer le réseau en entier
firme McKesson). En fait, M. Martin a eu nelle et les réalisations d’André Martin, et d’abaisser continuellement le niveau
l’occasion de mener plus de 40 implan- un entretien avec lui devient un voyage des stocks. Mais pour faire cela, il faut
tations de systèmes DRP. De telles au cœur de l’histoire de la gestion de la que tous les gens soient reliés entre eux,
expériences ainsi que d’autres mandats chaîne logistique en compagnie de ses c’est-à-dire du magasin à l’usine. Il faut
liés à la gestion de la chaîne logistique grands acteurs : les Oliver Wight, Joseph aussi faire une mise à jour régulière des
l’ont conduit à travailler avec de gran- Orlicky, Jay Forrester et même Sam données dans le système. Cela amène le
106 premier principe, soit que chacun des a une chose qui joue en leur faveur : ils comprendre certaines choses qui sont
maillons de la chaîne ( fournisseurs, ont des systèmes qui fonctionnent. À la encore aujourd’hui mal saisies par bien
fabricant, distributeurs) puisse visua- fin du mois, quand ils ferment les livres des gens. Entre autres, j’ai appris qu’un
liser ses décisions logistiques et celles et qu’ils veulent produire des états réseau de distribution est naturelle-
des autres acteurs, d’où l’importance financiers, il faut que les livres «balan- ment intégré, qu’on s’en rende compte
de saisir tout le réseau de distribution cent». Si cela ne balance pas, c’est qu’il y ou non. Dans un des exemples de l’arti-
dans un seul système d’information. a un problème quelque part et qu’il faut cle, Forrester démontrait que des ventes
Enfin, le flowcasting se veut une le trouver et le résoudre. en magasin qui varient de plus ou
alternative au forecasting (prévision). Quand j’ai commencé à gérer des moins 10 % comparativement aux pré-
En visualisant la chaîne logistique de activités de production, j’ai découvert visions vont générer une amplification
cette façon, on constate qu’il y a seu- un monde qui était totalement à l’in- de la production à l’usine de l’ordre de
lement un endroit où la demande est verse du mien. Les systèmes étaient 40 % près de six mois plus tard. Malgré
réellement incertaine : le magasin au dans la tête du personnel, et s’il y des moyens de communication moins
bout de la chaîne. À cet endroit, on doit avait des choses écrites, elles tenaient sophistiqués qu’aujourd’hui, les varia-
se poser la question : qu’est-ce que le sur des bouts de papier. On dépendait tions aux points de consommation vont
consommateur va acheter aujourd’hui? beaucoup de l’expérience des gens et finir par se rendre jusqu’à l’usine. Si le
À partir de ce constat, je propose que de leurs connaissances pour faire fonc- réseau est naturellement intégré, alors
les entreprises mettent toutes leurs tionner la production. Cette situation ce sont les êtres humains qui créent
énergies et toutes leurs connaissances m’inquiétait. des règles et des normes qui causeront
à obtenir la meilleure prévision possi- C’est à partir de ce moment-là que toutes sortes de malaises et de problè-
ble de ce qu’achètera le consommateur je me suis mis à consulter de nombreux mes à l’intérieur de la chaîne2.
– c’est là où on doit faire la prévision des ouvrages et articles et à m’inscrire à des Ainsi, à cette époque où Oliver
ventes. Pour tous les autres maillons du séminaires traitant de la gestion de la Wight et moi sommes à concevoir ce
réseau, on peut faire des calculs. Il s’agit production. Je me disais qu’il y avait qui deviendra le système DRP, j’ai ren-
ici du deuxième principe du flowcas- sûrement quelqu’un qui avait élaboré contré Joseph Orlicky et je lui ai exposé
ting. des approches de gestion qu’on pour- ce que nous faisions alors. Quand j’ai eu
L’idée paraît simple, mais quand on rait utiliser. Puis, un jour, en 1974, j’ai terminé, je lui ai demandé : «Qu’est-ce
la compare à ce qui est fait aujourd’hui entendu parler d’Oliver Wight. Il offrait que vous en pensez?» Il m’a répondu :
dans le domaine du commerce de détail, un séminaire d’une semaine quelques «Tu es sur la bonne voie parce qu’on
c’est un autre monde. Actuellement, fois par année à Boston. C’est là que ne devrait jamais faire de prévisions là
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plusieurs personnes font des prévisions j’ai trouvé ce que je cherchais. C’était la où on peut faire des calculs!» Ça, je ne
de ventes : les gens du marketing, de la première fois que j’entendais quelqu’un l’ai jamais oublié. Cette phrase : «On ne
finance, de la production, de la distri- parler de la production de façon struc- devrait jamais faire de prévisions là où
bution, etc., et cela à tous les maillons turée. Je voyais qu’il existait une appro- on peut faire des calculs» est devenue
de la chaîne. Le flowcasting modifiera che où on pouvait espérer en venir à mon modus operandi depuis les 30 der-
les pratiques de gestion du réseau de gérer la production. À cette époque, cela nières années. Je me suis dit : «Si j’appli-
distribution. portait simplement le nom de require- que ce principe à l’ensemble du réseau
■ Voilà plus de 30 ans que vous ment’s planning. Les outils présentés de distribution, ça veut dire qu’on
œuvrez dans le domaine de la logis- par Wight étaient basés sur les travaux devrait faire des prévisions uniquement
tique. Comment, au fil des ans, votre de Joseph Orlicky au moment où il tra- au bout du réseau; éventuellement, on
réflexion a-t-elle évolué? vaillait pour IBM dans les années 1960. calculera le reste.» Ça m’a pris 30 ans
Ne le dites à personne, mais j’ai une ■ À ce moment-là, vous travailliez pour en arriver à cette conclusion.
formation en finance [rires]. Jusqu’en pour les Laboratoires Abbott à ■ Vous avez également eu l’occasion
1967, mon expérience était totalement Montréal où vous avez implanté le de rencontrer Sam Walton.
du côté financier et comptable, princi- système DRP? C’était en 1984, je travaillais alors
palement dans des entreprises manu- C’est exact. Mais à l’époque, ce que pour une firme de consultation, et un
facturières. Cette année-là, mon patron nous développions ne portait même de nos clients avait organisé une ren-
de l’époque m’a demandé de remplacer pas de nom. J’avais déjà procédé à des contre avec la direction de Wal-Mart.
le directeur de la production qui venait améliorations de la production, mais Le client en question était un impor-
de quitter l’entreprise. Ma première comme nous étions une usine de type tant fabricant de produits de con-
Gestion, volume 31, numéro 3, automne 2006

réaction a été de lui indiquer que je ne make to stock ( fabrication pour les sommation. Lors de cette rencontre,
connaissais rien dans ce domaine. Il m’a stocks), j’avais l’intuition que les amélio- j’ai eu la chance de m’asseoir à côté de
répondu que j’allais bien trouver une rations les plus importantes de la pro- M. Walton. Je n’ai pu m’empêcher de
façon de me débrouiller! duction proviendraient d’un meilleur lui poser une question qui me trottait
J’ai alors découvert un monde très contrôle de notre réseau de distribu- dans la tête depuis longtemps. Je lui
dynamique qui changeait tous les jours. tion. ai demandé : «Si vous aviez à dire quel
Ça m’a fasciné, mais en même temps j’ai À ce moment, je me suis rappelé un est l’objectif le plus important de votre
eu un choc quand j’ai compris la façon article publié en 1958 dans la Harvard entreprise, qu’est-ce que ce serait?» Il
dont le tout était géré. On peut dire ce Business Review par Jay Forrester : m’a répondu : «C’est très simple. Ce que
qu’on veut des «comptables», mais il y Industrial Dynamics. Cet article m’a fait je veux faire dans mon entreprise, c’est
d’acheter mes produits, de les vendre et bicyclette peut très bien faire l’affaire. données dans un délai de deux heures, 107
d’être payé avant que je paie mes four- Mais si vous voulez vous rendre à la mais il devait le faire de façon économi-
nisseurs. C’est tout3.». même destination dans un délai de cinq que. Autrement dit, le détaillant ne pou-
Quand on y pense bien et qu’on ana- minutes, ça va prendre quelque chose vait se permettre d’acheter 10 des plus
lyse tout ça, ce sont les principes et les de pas mal plus performant. gros ordinateurs jamais fabriqués pour
concepts du juste-à-temps et de MRPII Alors, il y a 16 ans, j’ai laissé ma pra- faire fonctionner le système. Cela ne
(manufacturing resource planning) mis tique dans le domaine de la consulta- donnait rien d’avoir un bon programme
ensemble; c’était ça, son idée. Ça m’avait tion. J’ai travaillé avec des collègues, s’il fallait dépenser des dizaines de mil-
frappé. Pourquoi? Parce que lorsqu’un notamment Darryl Landvater, pour lions de dollars dans l’infrastructure
détaillant achète un produit et qu’il développer des outils informatiques. technologique. Aujourd’hui, nous avons
le met dans son entrepôt, ce produit On s’est cassé la gueule, comme on dit. surmonté ces deux contraintes.
ne fait pas d’argent. Le produit fait de Deux fois plutôt qu’une. Mais en même ■ Il s’agissait de trouver une solu-
l’argent quand il bouge. Wal-Mart veut temps, ces projets m’ont appris suffi- tion vraiment adaptée au monde de
augmenter la vélocité de ses produits. samment de choses pour que j’aie le la distribution plutôt que de partir
C’est ça, la clef. goût de continuer. Je me disais que si, d’une logique manufacturière qui
■ Un peu plus tôt, vous avez indiqué un jour, on pouvait briser le mur tech- ne faisait pas le poids. Le magasin
que cela vous avait pris 30 ans pour nologique, alors il serait possible d’avoir devenait en quelque sorte le point de
arriver au bout de votre vision, soit un réseau intégré. départ du projet?
de remplacer les prévisions par des ■ Comment vous y êtes-vous pris? C’est intéressant ce que vous men-
calculs, sauf au bout du réseau, pour Il faut comprendre qu’au départ, tionnez là parce que j’ai longtemps
le détaillant. Qu’est-ce qui explique quand on vous demande de développer pensé que le point final du réseau était le
que cela ait pris tout ce temps? un système informatique, vous appli- magasin. Aujourd’hui, je m’aperçois que
Quand j’ai voulu intégrer la planifi- quez vos connaissances. Nos connais- le magasin, c’est mon point de départ.
cation des stocks des magasins à l’in- sances provenaient de nos expérien- Mais il a fallu que je me rende jusqu’au
térieur de mon réseau, j’ai compris que ces dans le domaine manufacturier. Il magasin pour le comprendre. Et dans
nous n’avions pas à l’époque les outils aurait fallu travailler à l’envers. Mais un sens, quand on regarde un réseau
informatiques pour le faire. Pour vous ça, nous ne le savions pas. Nous l’avons de distribution, on voit que le maga-
donner un exemple, chez Abbott, nous appris par la suite. sin, c’est le début de l’information… et
gérions un réseau de 12 centres de dis- Nous avons donc commencé à réflé- la fin de la livraison. C’est le début et la
tribution. Dans chaque centre, il y avait chir différemment. Je savais qu’au bout fin du réseau. Toute l’information qu’on

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environ 5 000 produits, ce qui donne du compte, le système devait être mis utilise pour gérer le réseau provient du
une combinaison de 60 000 produits- à jour quotidiennement. Alors nous magasin. Et toute la production passera
localisations. Toutefois, dans le com- nous sommes dit : «Tous les jours, il à travers tous les maillons de la chaîne
merce de détail, on parle de millions de faut gérer le réseau. Je dois gérer des pour terminer sa course au magasin.
combinaisons de la sorte. Aujourd’hui, millions de combinaisons produits- ■ Maintenant que vous avez trouvé
dans un seul magasin Wal-Mart, on localisations. Et j’ai deux heures pour une réponse au défi technologique
peut trouver jusqu’à 75 000 produits, et le faire! Comment est-ce que je peux y de la gestion de la chaîne logistique,
si on multiplie ce nombre par les 3 500 arriver?» quelles sont les prochaines étapes?
magasins, ça vous donne une idée de Nous nous sommes donc donné un Par exemple, qu’arrivera-t-il des
l’ampleur des calculs qui doivent être objectif de traiter 100 millions de pro- comportements qui entraînent des
faits. duits-localisations dans un délai de distorsions dans la chaîne logistique
Les systèmes informatiques de type deux heures. Alors, nous avons consti- et que vous évoquiez plus tôt?
ERP (enterprise resource planning) qui tué une base de données en nous ins- C’est une très bonne question. Cela
existent aujourd’hui sont très perfor- pirant d’informations transmises par va prendre un certain nombre d’années
mants, mais leur point de référence est un détaillant. À la fin des années 1990, avant qu’on puisse éliminer ces prati-
le même : les volumes de transactions la première fois que nous avons fait ques commerciales. Il y a des motiva-
qu’on trouve à l’intérieur des compa- fonctionner notre système, ça a pris 19 tions économiques derrière tout ça. Par
gnies manufacturières. Comme je viens heures pour générer le résultat. Nous exemple, un représentant des ventes
de le dire, ce sont des ordres de gran- étions encore très loin de notre objectif. aura intérêt à proposer un rabais à
deur qui ne se comparent même pas Sans entrer dans les détails, pour com- l’achat d’un chargement complet même
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avec le volume qu’on observe chez un primer de façon spectaculaire le temps si le client n’a peut-être besoin que du
seul grand détaillant. La structure de de traitement, nous avons réfléchi aux quart du camion. Si le rabais est inté-
tels systèmes n’a pas été conçue pour informations vraiment nécessaires et ressant, l’acheteur va l’accepter. Si je
traiter une telle quantité de données à l’horizon de planification utile pour suis chargé de la production, j’ai avan-
dans un délai raisonnable. prendre de bonnes décisions pour le tage à produire la plus grande quan-
Attention, je ne dis pas que ces sys- secteur du commerce de détail. tité possible parce que cela me permet
tèmes ne sont pas bons. Si vous me Mais j’aimerais préciser un autre de profiter d’économies d’échelle.
dites : «Mon objectif est de me rendre élément qui entrait en ligne de compte Toujours dans le domaine de la vente,
du point A au point Z, dans un délai de lorsque nous avons développé notre sys- il y a également les fins de mois, ou les
deux heures», je vous répondrai qu’une tème. Il devait non seulement traiter les fins d’année financière, qui encouragent
108 les représentants des ventes à vendre Cette idée de collaboration est
3. En fait, l’idée était de vendre assez vite la marchan-
dise afin d’obtenir les sommes suffisantes pour profi-
le plus possible, puisqu’ils sont souvent essentielle à la mise en œuvre d’un sys- ter des politiques de rabais consentis par les fournis-
rémunérés selon des bonis. Ils vont tème comme le flowcasting. Elle rejoint seurs pour le paiement rapide.
donc essayer de placer le plus de stocks certains principes du CPFR (collabo-
possible pour atteindre leurs objectifs rative planning, forecasting, and reple-
de ventes. nishment). Cette idée de collaboration
Dans tous les cas, on vend du stock ne signifie pas que ce soit nécessaire-
dont le réseau n’a pas besoin. Ces pro- ment le détaillant qui démarre le tout;
duits sont vendus pour des motifs éco- le fabricant peut lancer un projet. Le
nomiques, mais aussi pour contrer la fabricant devra prendre conscience du
concurrence. Si je suis un fabricant et fait qu’il aura à convaincre ses princi-
que je réussisse à remplir les tablettes paux clients afin de tirer le plein poten-
de mon produit, ça veut dire qu’il y a tiel d’économies possibles, alors que le
moins d’espace pour mon concurrent. détaillant peut profiter de gains plus
Il s’agit alors de produits qui ne sont immédiats. Le fabricant doit attein-
pas achetés pour répondre aux besoins dre une certaine masse critique, selon
immédiats des consommateurs. Le plus mes observations, entre 40 % et 60 % de
drôle dans tout ça, c’est que le consom- son chiffre d’affaires, pour dégager des
mateur ne sait même pas qu’on fait ces bénéfices vraiment intéressants.
choses-là. Tout se déroule à l’extérieur Mais par-dessous tout, ce qui est très
du magasin, si je peux dire. Ça se passe important, c’est qu’à un moment donné
entre le fabricant et le détaillant, et les le fabricant et le détaillant se rencon-
stocks sont poussés dans le réseau jus- trent et qu’ils collaborent, car il faut que
qu’au moment où on se rend compte ce soit un travail d’équipe. Je maintiens
qu’il faut faire quelque chose pour s’en qu’on ne pourra pas espérer réduire les
débarrasser, parce qu’il y en a trop. coûts dans le réseau de distribution s’il
Mais en définitive ce qui va arriver n’y a pas un mariage entre le détaillant
– et c’est là un des bénéfices du flow- et le fabricant. Cela demandera un lien
casting –, c’est que le consommateur de confiance énorme. Et je dois vous
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lui-même va dicter combien de stocks avouer qu’aujourd’hui, l’industrie, sur-


on doit maintenir dans le réseau. Avec tout dans le domaine de l’alimentation,
un système tel que le flowcasting, tout n’est pas rendue là. Mais ça ne prendra
devient visible, et toutes ces pratiques qu’un acteur d’envergure qui décidera
commerciales qui perturbent le réseau d’appliquer ces principes pour que les
vont en quelque sorte faire surface. autres suivent.
C’est à ce moment-là que les gens vont ■ Même après 30 ans dans le
commencer à poser des questions. On domaine, on sent encore beaucoup
pourra alors essayer de régler les pro- d’enthousiasme dans vos propos;
blèmes un à un. Mais tout ça ne se fera vous ne semblez pas être rassasié.
pas du jour au lendemain. Cependant, Quels sont les prochains défis pour
comme je le dis toujours, si un problème André Martin?
existe, tant et aussi longtemps qu’on le On sait aujourd’hui que le système
cache, on ne pourra pas le résoudre. fonctionne. Pour les prochaines années,
■ Comment peut-on changer les je veux convaincre certains acteurs de
comportements des principaux l’industrie de faire une expérience à
acteurs de la chaîne logistique? grande échelle. Parce que nous sommes
Les métiers en tant que tels ne rendus là. Nous sommes rendus au
changeront pas. C’est la façon dont point de l’implantation, de la mise en
on évalue et dont on récompense les œuvre.
Gestion, volume 31, numéro 3, automne 2006

efforts des gens qui doit changer. Par


exemple, les représentants des ventes Notes
devraient être récompensés en fonction
des ventes qu’ils réalisent auprès des 1. Les personnes désireuses d’obtenir un complément
consommateurs, et non en fonction des d’information sur ce dernier ouvrage peuvent télé-
charger les cinq premiers chapitre du livre en consul-
stocks qu’ils vendent aux détaillants. tant le site Internet suivant : http ://www.flowcas-
Ils devraient également être récom- tingbook.com/.
pensés pour le travail d’équipe qu’ils 2. Ce phénomène d’amplification des variations de la
accomplissent avec le détaillant afin de demande est connu sous les noms de Forrester effect
réduire les coûts dans le réseau. ou bullwip effect.

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