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Management, Taylor
La mutualisation logistique :
entre théories et pratiques
Marie-Pascale SENKEL
Université de Nantes – LEMNA – EA 4272
marie-pascale.senkel@univ-nantes.fr
Bruno DURAND
Université de Nantes – LEMNA – EA 4272
bruno.durand@univ-nantes.fr
Thi le HOA VO
Université de Rennes – IGR-IAE – CREM UMR CNRS 6211
thi-le-hoa.vo@univ-rennes1.fr
sité des acteurs et des modalités d’interaction ce que leur performance soit meilleure que si
entre eux n’autorisent pas à limiter ces inte- elles avaient agi indépendamment les unes des
ractions à l’affrontement « puisque d’autres autres (Simatupang et Sridharan, 2002).
formes de relation existent qui comme l’évite- Selon Simatupang et Sridharan (2002), une
ment ou la coopération revêtent une impor- supply chain collaborative se définit par sa
tante pratique indéniable ». Les stratégies de structure et ces auteurs distinguent trois types
coopération se traduisent par des comporte- de collaborations possibles : les collabora-
ments collaboratifs aux formes variées. L’ob- tions verticale (entre acteurs d’une même sup-
jet de ce travail n’est pas de donner une ply chain), les collaborations horizontales
définition de chacune de ces formes de colla- (entre entreprises d’un même marché) et les
boration. collaborations transversales (collaborations
qui pour être plus flexibles combinent et par-
Les conséquences de la relation tagent des ressources à la fois en vertical et en
coopérative horizontal, c’est-à-dire au sein d’un réseau
Deux types d’analyse des bénéfices à retirer logistique). Dans l’étude PIPAME (2011), des
de l’orientation relationnelle sont observa- exemples spécifiques aux organisations
bles. Une première tendance évalue l’impact logistiques sont fournis pour les deux grandes
de la relation sur la performance de l’entre- types de collaboration :
prise, une seconde l’évalue en termes d’ob- • collaboration verticale : CPFR (Collabora-
tention d’un avantage concurrentiel. tive Planning Forecasting and resplenish-
ment), GPA (Gestion Partagée des
Coopération et performance Approvisionnements), CMI (Collaborative
Mohr et Spekman (1994), dans leur étude sur Managed Inventory)
les partenariats réussis, cherchent à savoir jus- • collaboration horizontale : elles visent prin-
tement ce qu’est un “partenariat réussi”. Ils cipalement la mutualisation des moyens ou
utilisent deux indicateurs pour le caractériser : des structures dans le but de massifier les
un indicateur “objectif”, comme le volume flux (Gestion Mutualisée des Approvision-
des ventes entre les partenaires, et un indica- nements, Pooling, Multipick ou Multidrop)
teur de satisfaction. Ces mesures sont à rap- Bahrami (2002) apporte un complément à
procher de la “performance économique” et cette typologie en introduisant l’environne-
de la “performance politique” proposées par ment dans lequel la collaboration a lieu (com-
Robicheaux et Coleman (1994). pétitif vs non-compétitif) et il propose ainsi
Coopération et avantage concurrentiel quatre grands types de collaboration.
Un certain consensus existe pour voir dans les Selon Cruijssen, et al. (2007) la collaboration
relations de type coopératif un moyen d’obte- verticale a été largement étudiée dans les tra-
nir un avantage concurrentiel (Ganesan, vaux sur la collaboration logistique. Néan-
1993, 1994; Mohr et Spekman, 1994; Morgan moins, que ce soit dans la presse
et Hunt, 1994). La question n’est cependant professionnelle comme dans la presse acadé-
pas close car des voix dissonantes s’élèvent. mique, de nombreux exemples et travaux por-
Ainsi Lyons, et al. (1990) ont une vision plus tant sur les coopérations horizontales
modérée des apports de la relation. Elle pré-
sente des avantages et des inconvénients pour Figure 1 - Typologie des collaborations au sein des supply chains
chacune des parties.
Le phénomène collaboratif est particulière-
ment présent dans la chaîne logistique
puisque l’idée même de supply chain est
indissociable de celle de coordination entre
les différents participants de la chaîne logis-
tique globale.
La collaboration logistique
De nombreuses définitions de la collaboration
logistique existent. Elles insistent toutes sur
les éléments suivants : Il s’agit de deux (ou
plusieurs) firmes indépendantes, qui décident
de planifier et exécuter conjointement des
opérations de la chaînes logistiques de façon à Source : Bahrami (2002), page 220
paraissent. Ces coopérations semblent rents, à des périodes différentes (Hall, 1987).
permettre de réduire les coûts, augmenter la Comme le souligne Pan (2010), cette défini-
qualité de service et diminuer les émissions de tion est proche de celle, actuelle, de Pooling
gaz à effet de serre. Selon une étude menée par (mutualisation des moyens de transport pour
Eyefortransport, seulement 15% des chargeurs optimiser les chargements des véhicules et
et 14% des prestataires de services logistiques réduire les coûts). Hall (1987) propose trois
interrogés pensent que des collaborations types différents de stratégies de consolida-
logistiques horizontales ne seront pas mises en tion : Consolidation des stocks par transport
place d’ici les 5 prochaines années (Eyefor- direct », « Consolidation par les moyens de
transport, 2010). Selon cette même étude, la transport », « consolidation en réseau » (Pan,
mise en place de collaborations horizontales au 2010). On retrouve une classification simi-
sein de la supply chain pourrait en améliorer laire chez Pooley et Stenger (1992). Néan-
radicalement la performance. moins la notion de mutualisation va au-delà
du simple pooling (même s’il en est une des
Les travaux sur la mutualisation logistique applications les plus visibles), puisqu’elle
concerne toute à la fois la mise en commun de
« Une coopération est de nature horizontale si
moyens physiques (entrepôts, plate-forme,
elle fait l’objet d’un accord ou de pratiques
camions…), d’organisations (schémas logis-
concertées conclus entre des concurrents
tiques), mais aussi « des données nécessaires
existants ou potentiels. (…) Souvent, une coo-
à la gestion », souvent à des tiers. L’objectif de
pération horizontale peut produire des avan-
cette mise en commun est l’amélioration de la
tages économiques substantiels lorsqu’elle
performance économique et environnemen-
devient un moyen de partager les risques, de
tale de la chaîne logistique (Pan, 2010).
réaliser des économies de coûts, d’accroître
les investissements, de mettre en commun un
savoir-faire, d’améliorer la qualité et la diver- La lecture des différents travaux relatifs à la
sité des produits et de lancer plus rapidement collaboration horizontale montre qu’elle est
des innovations sur le marché » (Commission un phénomène multi-dimensionnel. Les théo-
Européenne, 2001). Selon le rapport de Eye- ries mobilisées pour tenter d’expliquer la mise
fortransport (2010), les exemples de collabo- en œuvre de telles pratiques sont variées
rations horizontales sont nombreux : partage (Tella et Virolainen, 2005). Elles couvrent le
de connaissances, d’expériences et d’exper- champ de la nouvelle économie institution-
tise, consolidation des flux de marchandises, nelle en se référant à la théorie des coûts de
partage des moyens de transport et des capaci- transaction (analysant sous l’angle du coût la
tés des réseaux logistiques…On retrouve meilleure stratégie de coopération), à la
cette variété d’applications de la collaboration théorie de l’agence (analysant le contrat et les
horizontale chez Tella et Virolainen (2005) : dangers de l’asymétrie de l’information) mais
consolidation des flux en entrepôt, sur la surtout à la théorie des jeux (analysant les
plate-forme ou dans les moyens de transport conditions permettant l’allocation des coûts et
ou encore collaboration au niveau des achats des gains qui font qu’un des participants à la
… sont autant d’exemples de collaborations coopération n’a pas intérêt à la quitter). L’ana-
logistiques horizontales. Mitchell et al. lyse de la littérature montre que cinq grandes
(1992) rappellent que l’un des objectifs de ces thématiques sont étudiées qui sont décisives
collaborations horizontales est la recherche de pour le compréhension de la collaboration : la
gain par la mutualisation des ressources. Dans structure (théorie de l’agence), le choix du
la suite de notre travail nous nous concentrons partenaire (théorie des jeux), l’asymétrie de
sur les phénomènes de consolidation des flux l’information et la confiance (théorie des
que ce soit au niveau de l’entrepôt ou des coûts de transactions, théorie de l’agence et
moyens de transport, que nous dénommons théorie des jeux), les coûts de la coopération
« mutualisation logistique ». (théorie des coûts de transactions), l’alloca-
tion des gains et des coûts (théorie de l’agence
L’étude de Hall (1987) montre que le sujet de et théorie des jeux). Visser (2010) regrette
la consolidation des flux est une préoccupa- néanmoins que dans l’analyse des collabora-
tion ancienne des managers. Dans cette étude, tions (quelles soient horizontales ou vertica-
100% des répondants affirment que les straté- les), les recherches ne prennent pas en compte
gies de consolidation de flux sont très impor- plus souvent le facteur humain (confiance,
tantes car elles permettent des réductions de engagement, confidentialité…) et ne se
coûts. Il définit la consolidation comme la focalisent finalement que sur les aspects
combinaison, dans un seul véhicule, d’articles coût/bénéfice. Elle est rejoint en cela par
produits et consommés à des endroits diffé- Prakash et Deshmukh (2010).
devrions donc plus parler de collaboration tique.com2, site conçu pour aider les PME
latérale que de collaboration horizontale. souhaitant mutualiser à trouver le bon parte-
• La forme de la collaboration est plutôt du naire. Il vient d’être traduit en anglais afin de
type Contrat. Dans un seul cas un GIE a été lui donner une dimension européenne. Que
créé. Il conviendrait ici de connaître main- nous nous placions du point de vue des pou-
tenant plus précisément le contenu du con- voirs publics, des prestataires, des industriels
trat rédigé. ou des distributeurs, chacun a de bonnes rai-
• L’espace de collaboration est plutôt natio- sons de promouvoir la mutualisation logis-
nal. tique.
• La durée de la collaboration est en
Des situations de mutualisation logistique
moyenne ici de plus de 3 ans. Nous avons
différentes selon le type d’entreprise
fait le choix de retenir des cas sur lesquels
les industriels et/ou les PSL avaient choisi Nous devons dans un premier temps faire le
de communiquer, ce qui peut fausser les constat d’un nombre de cas important dans les
chiffres et ne tient absolument pas compte produits de grande consommation que ce soit
des échecs. dans le secteur alimentaire, Hygiène-Beauté,
• Une mention explicite dans quatre cas du ou bien Entretien de la maison… Les cas étu-
rôle essentiel de la confiance entre les par- diés montrent deux situations différentes :
tenaires dans la réussite du projet mais aus- • le cas d’entreprises de taille relativement
si du rôle important que peuvent jouer les importante qui en regroupant leur flux es-
dirigeants des entreprises en se mobilisant saient d’acquérir un avantage concurrentiel
pour ces projets de mutualisation (3 cas). sur leur marché ou face à un client exigeant,
Comme autres facteurs sont également la grande distribution alimentaire ou spé-
évoqués : les cultures d’entreprise proches, cialisée
les points de livraison communs, les pro-
duits complémentaires ou au moins compa- • le cas des PME qui se regroupent pour mu-
tibles, la nécessité de revoir les conditions tualiser leurs activités logistiques et notam-
de livraison du distributeur. ment le transport.
leur apportera une plus grande efficacité présenté ici. Il ne se réfère qu’à des collabora-
économique et environnementale. tions horizontales qui sont en cours de vie et
qui sont suffisamment satisfaisantes (au
Une synthèse du modèle est présentée en moins pour l’une des parties) pour qu’elle ait
Figure 2. envie de communiquer à son sujet. Simatu-
pang et Sridharan (2002) rappellent que les
relations (comme les produits) ont un cycle de
Conclusion vie. Il serait intéressant d’analyser des rela-
Grâce à un retour entre théories et pratiques, tions à différents moments de leur cycle de vie
ce travail permet de proposer une première afin d’avoir une meilleure compréhension de
version d’un modèle visant la compréhension phénomènes qui leur permettent de vivre,
des relations collaboratives horizontales dans croître et s’éteindre.
le domaine des activités logistique de distri- Nous souhaitons revenir sur le caractère nova-
bution ou de d’approvisionnement. L’étude teur des collaborations horizontales car on ne
des collaborations verticales faisait souvent peut s’empêcher de penser, lorsque nous
référence à la notion de pouvoir (Maloni et entendons parler de centre de consolidation
Benton, 2000). Il semble que dans les collabo- ou de multi-pick, aux solutions mises en place
rations horizontales cette dimension soit par l’industrie automobile dans les années
moins prégnante. Dans les modèles présentés quatre-vingts pour assurer un approvisionne-
dans les différentes études, il y a en général ment fiable des unités d’assemblage, éviter la
une égale répartition du pouvoir entre les par- saturation des aires de déchargement autour
ticipants à la collaboration (Krajewska, et al., de ces sites et ne payer le stock aux fournis-
2007). Nous avons essayé de réintrégrer cette seurs qu’une fois celui-ci livré sur le site d’as-
dimension dans le modèle proposé car elle semblage. On parlait alors de Magasin
nous semble inhérente à toute compréhension Avancé Fournisseur (MAF) et de tournées de
des relations verticales comme horizontales. collecte.
Ce travail exploratoire présente un certain
nombre de limites que nous essaierons de Bibliographie
lever ultérieurement. Comme le rappelle
Patricia Daugherty, il manque un travail sur Agarwal, R. et Ergun, Ö., (2010), Network
les collaborations qui ont échoué ou celles qui design and allocation mechanisms for carrier
n’ont pas apporté autant qu’espéré (Daug- alliances in liner shipping, Operations
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Marie-Pascale SENKEL est maître de conférences en Sciences de Gestion à l’Université de Nantes et membre du Laboratoire d’Economie et
Management de Nantes-Atlantique (LEMNA). Elle est responsable de la Licence Professionnelle Achat Industriel et Logistique à l’IUT de
Saint-Nazaire. Ses recherches portent sur la stratégie logistique, notamment dans le canal de distribution et sur l’intégration des préoccupa-
tions RSE/DD dans la supply chain.
Bruno DURAND est maître de conférences en Sciences de Gestion à l’Université de Nantes où il dirige le Master 2 Logistique Internationale à
l’UFR de Langues (Département LEA). Administrateur de l’ASLOG (Association Française de la Logistique), il poursuit ses travaux de re-
cherche au sein du LEMNA (Laboratoire d’Economie et de Management de Nantes Altantique), plus particulièrement dans le domaine de la
logistique du commerce en ligne et celui de la logistique urbaine.
Thi Le HOA VO est maître de conférences en sciences de gestion à l’IGR-IAE de Rennes, Université de Rennes 1. Ses travaux de recherche
portent essentiellement sur la modélisation dynamique des flux logistiques dans un contexte incertain. Elle est auteur et co-auteur de diverses
publications scientifiques sur la modélisation et la simulation dans le domaine du Supply Chain Management (articles, chapitres d’ouvrages
collectifs et communications).