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D2- Identifier la maturité logistique de l’entreprise

De la fragmentation des activités à une fonction transversale

Dans la première phase, la logistique est fragmentée, c’est-à-dire que les activités logistiques sont
réparties entre les grandes fonctions traditionnelles de l’entreprise que sont généralement le marketing, la
production et la finance. Au sein de ces grandes fonctions, un ou plusieurs services, généralement
considéré(s) comme subalterne(s), ont en charge une partie des opérations de transfert physique et de
contrôle. Chaque fonction prend donc ses décisions en matière de conduite des flux physiques avec la
contrainte de la coordination avec les autres fonctions. Cette coordination est difficile compte tenu des
objectifs parfois contradictoires entre les fonctions. A titre d’exemple, la fonction marketing, dans sa
volonté de satisfaire le consommateur, pousse à la constitution d’une gamme à la fois plus large (des
petites voitures citadines aux grandes berlines dans le cas de l’automobile) et plus profonde (choix des
options, motorisation…), alors que les directions industrielles privilégient une plus grande standardisation
des produits qui facilite les économies d’échelle.

Dans la deuxième phase, la logistique est structurée comme une fonction à part entière en charge soit de
la logistique aval (distribution) soit de la logistique amont (approvisionnement). La logistique de distribution
est « le point de départ de l’ensemble du processus de régulation car il lui incombe la prise en charge des
exigences des marchés auxquels l’entreprise se confronte […] ; elle procède à l’analyse fine de la
demande finale dont elle tend à maîtriser les aléas et fluctuations et qu’elle cherche à satisfaire avec des
objectifs de meilleures conditions de coût et de qualité de service » (Colin et Paché, 1988). La logistique
d’approvisionnement « va de l’organisation de la production à la conception de ‘ biens’ exigés par le
marché, en passant par la définition de rapports de coopération avec des fournisseurs souvent éloignés
mais impliqués dans un processus logistique commun » (Colin, 1997).

Le choix de la structuration d’une fonction logistique en charge soit des approvisionnements, soit de la
distribution est fonction de plusieurs variables : la place dans la chaîne logistique, le pouvoir relatif vis-à-
vis des autres membres de cette chaîne, et enfin, le positionnement stratégique adopté par l’entreprise.
L’exemple du secteur de l’industrie agro-alimentaire permet d’illustrer cette structuration. A l’aval de la
chaîne alimentaire, les distributeurs doivent faire face aux variations de la demande pour éviter les
ruptures en magasin. Ils ont donc initialement structuré une fonction logistique en charge de la distribution
des magasins et ont reporté, sur les industriels, la responsabilité des approvisionnements de leurs
entrepôts. Contraints et responsabilisés par les distributeurs, au travers d’un éventail de sanctions (du
simple avertissement au déréférencement, pour une présentation détaillée des relations entre les
producteurs et les distributeurs), les industriels de deuxième transformation (fabriquant les produits
achetés par les consommateurs dans le cadre de notre illustration) ont également structuré une fonction
logistique en charge de la distribution vers les entrepôts de la grande distribution. Ainsi, la politique des
distributeurs continue à structurer les échanges au sein de la chaîne logistique en faisant émerger des
fonctions chez les industriels en charge de la distribution physique des produits. Cette démarche, au-delà,
de la réalité sur la visibilité des marchés, a donné lieu à une confirmation empirique de l’effet Forrester
(également appelé effet « bullwhip ») lequel consiste à observer une augmentation croissante des stocks
en amont pour se prémunir d'éventuelles ruptures dues à des variations de niveau de consommation. Le
célèbre Massachussetts Institute of Technology of Boston avait, dans le cadre d’un jeu de simulation
(Beergame), illustré ce phénomène dans le secteur de la distribution de boissons. L’influence des
distributeurs, est, en revanche, souvent moindre sur les industries de première transformation. Pour ces
dernières, la problématique essentielle est de fiabiliser les approvisionnements en provenance du monde
agricole. Elles ont donc, tout naturellement, structuré en fonction logistique en charge de ces
approvisionnements. Parfois aussi, l’émergence d’une fonction logistique en charge des
approvisionnements est affaire de symbole.
Dans la phase précédente, si le fait d’avoir intégré un ensemble d’activités dans une même démarche de
gestion a permis de réaliser d’incontestables économies, il n’en demeure pas moins que les difficultés de
coordination existent toujours au sein de l’entreprise. D’un côté comme de l’autre, les contraintes
d’approvisionnements et distribution vont peser sur les plannings de production et conduire à la
constitution des stocks aux interfaces fonctionnelles (matières premières, encours, produits finis).

La troisième phase de développement de la fonction logistique est donc, celle d’une intégration globale du
processus logistique interne, des approvisionnements à la distribution. La fonction logistique a dès lors
pour mission d’assurer la continuité et la fluidité du flux physique sous la contrainte d’une maîtrise des
coûts devenue indispensable dans un contexte de compétition accrue. Pour réaliser cette mission, les
logisticiens doivent se coordonner en permanence avec les autres responsables fonctionnels qui
influencent sur le pilotage du flux physique (direction des achats, direction industrielle, direction
marketing…). Cette question des arbitrages entre une fonction logistique transverse et les autres fonctions
est l’une des origines de l’essor du supply chain management.

Dans la quatrième phase, l’évolution de la fonction logistique intègre le dépassement des frontières
organisationnelles de l'entreprise. De la même façon que le processus logistique est transverse aux
fonctions de l’entreprise, le flux physique ne s’arrête pas aux frontières de celle-ci, et il convient alors de
développer une réflexion inter-organisationnelle afin de rechercher des solutions conjointes. Les
démarches plus ou moins partenariales entre industriels, entre industriels et distributeurs, avec ou sans
l’aide des prestataires de services logistiques, sont révélatrices d’une évolution qui préfigure, elle aussi, le
supply chain management.
La diversité des situations et les interrogations actuelles

En effet toutes les recherches et études réalisées sur ce sujet montrent, qu’il existe une très grande
diversité de design organisationnel de la fonction logistique. Face à ce constat, beaucoup considèrent
alors que les entreprises sont individuellement engagées dans un processus de reconnaissance
progressive de cette fonction logistique et que celle-ci va évoluer vers ce modèle de fonction transversale.
Le postulat sous-jacent est que l'évolution, c’est-à-dire le changement organisationnel qui touche la
fonction logistique, engendre le progrès et une meilleure performance. Cette thèse « évolutionniste »
finalement très darwinienne dans le sens où les nouveaux modèles organisationnels seraient plus
performants que les anciens voués à disparaître, est actuellement remise en cause. Dans la lignée de
travaux conduits en anthropologie culturelle, on distingue deux types d’évolution. L’évolution générale
correspond au schéma précédant puisque de nouvelles formes apparaissent qui surpassent les
précédentes. En revanche l’évolution spécifique correspond à des formes nouvelles issues d’une série de
modifications adaptatives sans qu’il y ait une notion de progrès. Deux exemples qui touchent actuellement
la fonction logistique, permettent de l’illustrer :

Le premier exemple concerne l’externalisation des activités logistiques, les stratégies de recentrage sur
le métier (les cores competencies), et le développement d’une offre de services performante de la part des
prestataires, ont conduit les industriels et les distributeurs à massivement externaliser la réalisation des
activités logistiques depuis plus d’une dizaine d’années. La question se pose alors du devenir d’une
fonction logistique dont le responsable ne gère plus directement les activités et les hommes qui les
réalisent, mais, au contraire, a pour mission de piloter un processus réalisé concrètement par un
prestataire extérieur. Cette question est d’autant plus importante que les contrats de prestation sont de
courte durée et qu’il convient donc de renégocier régulièrement avec les prestataires. Dans une période
où la fonction d’achat acquiert une reconnaissance stratégique accrue, la place réelle du responsable
logistique dans cet achat de prestation se pose avec acuité, et avec elle celle de l’évolution de la fonction
logistique. Il semble pourtant important que ces problématiques transversales bénéficient d’individus
dédiés dans l’entreprise, au risque de voir sinon une fragmentation du traitement de ces problèmes.

Le deuxième exemple concerne l’essor du supply chain management. La question se pose du contenu
de la fonction logistique avec l’émergence d’une fonction « supply chain » au sein des entreprises. Une
étude récente sur les offres d’emploi a montré qu’il existait actuellement une tendance à un retour vers
l’exploitation de la fonction logistique, alors que les fonctions « supply chain » s’accaparaient à la fois le
pilotage stratégique des flux et les choix organisationnels qui y sont liés (Livolsi, 2006). Si les supply chain
managers ont une culture logistique, ce retour vers l’exploitation sera sans conséquence pour la fonction :
mais, dans le cas contraire, la performance logistique pourrait avoir à craindre d’une vision simplement
opérationnelle, instrumentale de la fonction.

Ces exemples illustrent les interrogations actuelles sur la fonction logistique. « Prédatrice » pendant de
longues années pour intégrer dans son giron, l’ensemble des activités du processus, la fonction logistique
est actuellement l’objet de pressions simultanées de la part des acheteurs qui considèrent que l’achat de
prestation est de leur ressort, et de la part des supply chain managers qui s’approprient le pilotage
stratégique des opérations et renvoient les logisticiens à la conduite opérationnelle de ses activités. La
diffusion d’une culture logistique auprès des acheteurs et des supply chain managers doit permettre
d’éviter les écueils et, peut-être, de penser la disparition de la fonction logistique (Colin, 1996). Il convient
de faire en sorte que le logisticien reste visible dans la structure afin de faire entendre l’idée de la
transversalité au sein de l’entreprise.

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