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Bulletin de la Société Nationale

des Antiquaires de France

Les fêtes décennales de Septime Sévère


André Chastagnol

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Chastagnol André. Les fêtes décennales de Septime Sévère. In: Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de
France, 1984, 1986. pp. 91-107;

doi : https://doi.org/10.3406/bsnaf.1986.9067

https://www.persee.fr/doc/bsnaf_0081-1181_1986_num_1984_1_9067

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A. CHASTAGNOL. - LES FÊTES DE SEPTIME-SE VERE 91

Pour M. Jean Lafaurie, m. r., il devait s'agir plutôt de cire molle,


et plus exactement d'un gâteau de cire d'abeille, probablement échauffé
avec les doigts.
M. Christian de Mérindol, a. c. n., souligne la forme particulière
(un long rectangle aux angles arrondis) du sceau de l'ordre du Croissant
fondé à Angers par René d'Anjou, sceau connu aujourd'hui par un
dessin paru dans le Bulletin de la Société en 1897, p. 184.
En réponse à une question de M. Joël Le Gall, m. r., le baron Pi-
noteau précise que le titre de « chevalier des ordres du Roi » indique
que le titulaire est chevalier du Saint-Esprit et de Saint-Michel. Lors¬
qu'on indique « chevalier de l'ordre du Roi », il s'agit de l'ordre de Saint-
Michel.

M. Louis Carolus-Barré, m. h., ayant fait remarquer que les sceaux


portent souvent des empreintes digitales, M. de Mérindol signale que
l'empreinte du pouce est souvent relevée dans les sceaux conservés aux
Archives départementales de Meurthe-et-Moselle ; on a parfois pensé
que c'était une coutume germanique.

Séance du 25 avril.

M. André Chastagnol, m. r., présente une communication sur


Les fêles décennales de Septime-Sévère (pl. VII, 3-4).
Dion Cassius nous enseigne que les jubilés décennaux et vi-
cennaux des empereurs avaient leur origine dans le fait qu'en
janvier 27 avant J.-C. Auguste avait reçu du Sénat et du peuple
son Imperium légal pour dix ans ; ce pouvoir lui avait ensuite été
renouvelé pour dix autres années et ainsi de suite. Chacun de ces
renouvellements donnait lieu, ajoute le même historien, à la
célébration d'une fête. La pratique du renouvellement décennal
fut abandonnée par Tibère, qui cependant maintint la périodicité
de la fête : « les successeurs (d'Auguste), bien qu'ils n'aient plus été
nommés pour une période définie, mais en une seule fois pour toute
leur vie, fêtèrent néanmoins toujours chaque dixième année comme
s'ils renouvelaient alors leur pouvoir souverain », et X)ion précise
à ce moment que ces festivités décennales et vicennales étaient
encore célébrées dans les mêmes conditions à son époque, c'est-àr
dire sous les règnes de Septime-Sévère et de Caracalla 1.
De ce témoignage on peut tirer quatre informations essentielles :
1) Le lien originel avec Yimperium, quoique devenu bientôt

(E.
p.
(milieu
1.11-12.
Frézouls,
Dion,
du IIIe-milieu
53,éd.),
16, 2-3.
Crisedu
Cf.etIVe
A.
redressement
Chastagnol,
siècle aprèsdans
Les
J.-C.),
jubilés
les provinces
Strasbourg,
impériaux
européennes
1983,
de 260
p. 11-25,
à 337,
de l'Empire
spéc.
dans
92 25 AVRIL

théorique, ne fut jamais complètement oublié et s'observe encore,


longtemps après l'époque sévérienne, sous le gouvernement de
l'usurpateur Carausius dans les vœux qui lui sont adressés en
290, pour sa cinquième année de règne, sur des monnaies lui
souhaitant carrément vingt ans de pouvoir, avec la légende
MVLTis xx iMp(em) 1.
2) Chaque année était célébré le jour anniversaire de la récep¬
tion de Y imperium, le dies imperii, qui donnait lieu à des souhaits
et à des réjouissances dans tout l'Empire. Si nous n'en avons pas
de témoignage pour les débuts mêmes du nouveau régime poli¬
tique, la correspondance entre Pline le Jeune et Trajan nous
montre que cette pratique était bien établie au début du ne siècle,
puisque Pline fait état de cette occasion rituelle en chacune des
deux années où il s'est trouvé ce jour-là en Bithynie2, Mais, c'est
évident, ces festivités locales du dies imperii restaient limitées ;
les fêtes appelées decennalia et vicennalia avaient une tout autre
ampleur et donnaient lieu principalement à des cérémonies et des
jeux plus spectaculaires en présence même de l'empereur, c'est-à-
dire à Rome. Il va de soi qu'elles intervenaient, dans l'année qui
convenait, au dies imperii, célébré en cette circonstance avec un
faste beaucoup plus grand.
3) Dion Cassius nous montre comment, sous le règne d'Auguste,
le compte des années se faisait. Dans la façon de calculer des An¬
ciens, le jour de l'attribution de Vimperium, en l'occurrence le
13 janvier 27, était considéré comme le premier dies imperii. Le
renouvellement décennal n'intervint donc pas, comme dans notre
manière de compter, le 13 janvier 17, mais —■ pour nous, en fait,
au bout de neuf ans et non pas de dix — le 13 janvier 18. L'histo¬
rien précise, dans le déroulement de son récit, que c'est bien en 18
qu'eut lieu la fête décennale3. Pierre Grenade s'est trompé en
croyant que cela supposait qu'Octave avait reçu son Imperium
décennal en 28 et non en 27 ; c'est à tort en effet qu'il réfutait

incertitude
cycle
10
White,
81
p. 1.
3.
2.
171.
; bis),
W.
Ii.
çicennal
Dion,
Pline,
The
Eck,
Paris,
I. C.,
des
54,
Ep.,
Letters
Senatoren
au1976,
V,
dates,
12,
X,
IIIe
2,of
4-5.
52p.
Carausius,
Pliny
siècle,
R.et212;
von
Syme,
53.;Vespasian
dans
A.
En
a historical
Tacitus,
nos
Chastagnol,
110
Aîon.
395-396
et bis
111,
Le
Oxford,
and
temps
Hadrian
en
;I.social
620.
I.,
111 chez
1958,
p.et
Cf.
commentary,

14.
les
112
Vestigia
J.-P.
t. Romains
II,
ou p.
Callu,
en659-660
»,112
Oxford,

13),
Réflexions
Caesarodunum
et Munich,
113.
; N.
1966,
Sur
Sherwin-
sur
p.1970,
cette
80-
un
»,
A. CHASTAGNOL. - LES FÊTES DE SEPTIME-SE VÈRE 93

sur ce point le témoignage de Dion1. La fête décennale a toujours,


par la suite, été célébrée au début (et non à la fin) de la dixième
année. De même, les fêtes vicennales, tricennales..., ont pris place
au bout de 19, 29... ans. Celles d'Auguste, nous dit le même auteur,
ont eu lieu effectivement en 8 avant J.-C., puis en 3 et 13 après
J.-C. 2. S'il y a ainsi neuf ans et non pas dix entre la prise de Yim-
perium et la première fête, il y a ensuite dix années pleines d'une
fête à l'autre.
4) Dion nous apprend au surplus, par la même occasion, que
les corégents qu'Auguste a associés plus ou moins à ses pouvoirs,
s'ils ont pu recevoir un Imperium, toujours limité par rapport au
sien, n'étaient cependant pas autorisés à célébrer pour eux-mêmes
des fêtes décennales ou vicennales. Tibère — le seul qui eut l'hon¬
neur d'illustrer ce cas pendant plus de neuf ans sous le règne de
son père adoptif — n'entra donc dans le système qu'après la mort
de celui-ci, si bien que, devenu l'empereur principal — avec V Im¬
perium supérieur qui fut transféré par le Sénat du prince défunt
sur lui dans la séance mémorable que nous a décrite Tacite3 — ,
il considéra le jour de cette séance, au mois d'août, comme son
dies imperii. En conséquence, c'est au bout de neuf années après
14, en août 23, qu'il célébra sa fête décennale, ainsi que Dion
l'assure de manière très explicite : « Quand les dix ans de son gou¬
vernement eurent pris fin, il ne demanda aucun vote pour le re¬
nouvellement, car il ne désirait pas recevoir le pouvoir par tranches,
comme avait fait Auguste ; néanmoins, il célébra la fête décen¬
nale »4.
L'historien bithynien nous enseigne donc que ces règles ou
principes, inaugurés sous les principats d'Auguste et de Tibère,
sont demeurés sans modification majeure jusqu'à l'époque des
Sévères.
Il signale encore la fête vicennale de Tibère en 33 5, puis, alors
qu'il n'avait jamais manqué de noter chacun de ces jubilés depuis
celui de 18 avant J.-C., il cesse dès lors de fournir la moindre indi¬
cation à ce sujet jusqu'à la fête décennale de Septime Sévère dont
il fut le témoin oculaire. L'abandon, fâcheux pour nous, de cette

1. Dion,
2.
3.
4.
5. P. Grenade,
Tacite,55,
57,
58,
Ann.,
6, 1Essai
24, 1.1-2.
;I, 55,
11-13.
sur
12, les
3 ; 56,
origines
28, 1.du principat, Paris, 1961, p. 182-220.
94 25 AVRIL

façon de faire s'explique certainement par deux raisons complé¬


mentaires : d'une part, la source qui lui apportait les précisions
nécessaires, lui faisait désormais défaut ; le premier jubilé non
mentionné marquait la dixième année du règne de Claude en 50,
et peut-être la source de base suivie jusque-là s'arrêtait-elle avant
cette date ; d'autre part, on doit tenir compte du fait que, depuis
la première partie du gouvernement de Claude, — et plus préci¬
sément la fin de l'année 47, — nous n'avons plus le texte original
de Dion, mais seulement un résumé que nous ont transmis des
auteurs byzantins très postérieurs qui ont pu négliger certaines
allusions rapides leur paraissant d'un intérêt très secondaire.
Quoi qu'il en soit, en dehors même de Dion, nous ne disposons
d'aucun témoignage émanant d'une source littéraire quelconque
sur les jubilés décennaux et vicennaux jusqu'au début du nie siècle.
Toutefois, mais seulement depuis le règne d'Antonin le Pieux, la
numismatique vient alors à notre secours par des émissions moné¬
taires qui se réfèrent expressément, par leurs types et légendes de
revers, à ces festivités et aux vœux publics formulés en ces occa¬
sions.
Si l'on retient, comme il faut le faire, les principes énoncés par
Dion Cassius, c'est en juillet 147 qu'Antonin a célébré ses decen¬
nalia, mais il faut remarquer que les pièces dont la légende de
revers évoque ces primi décennales ( ludi ) du règne ont été frappées
et émises, d'après le chiffre de la puissance tribunicienne, en 148
et en 149 1 ; on en a souvent déduit trop hâtivement que la fête
avait eu lieu sous ce règne, non pas à la date normale au bout de
neuf ans de gouvernement, mais à la fin de la dixième année,
en 148, puisqu'elle avait été répétée en 149, comme si une « année
sainte » se trouvait encadrée par deux jubilés successifs appelés
l'un et l'autre decennalia 2. Cette répétition du jubilé est une vue
de l'esprit qui ne s'appuie sur aucun argument valable, comme je
l'ai montré ailleurs3. En outre, le déplacement d'une année, de
147 à 148, est contredit assurément par les affirmations de Dion,
qui ne met aucune solution de continuité entre les pratiques du
temps d'Auguste et de Tibère et celles de l'époque sévérienne. Il
est donc préférable de penser que le jubilé décennal a bien été

Anlonins,
1. Les
2.
3. R.
En I.jubilés
dernier
dans
C., III,
R.impériaux
lieu,
Antonin,
É. M. Rächet,
Α., 82,
derios
1980,
260171-172
« àDecennalia
p.337,
200-242,
; loc.
853 L,(p.
»spéc.
p.
et tr.
«12,
Vicennalia
p.
XI)17214.
; et184
22. (p.
» sous
tr. XII).
la dynastie des
A. CHASTAGNOL. -- LES FETES DE SEPTIME-SÉ VÈRE 95

célébré en 147, mais qu'il a été seulement en quelque sorte commé¬


moré par une émission dans chacune des deux années suivantes ;
les pièces n'étaient pas frappées avant la fête pour être mises en
circulation lors du jubilé : elles étaient frappées, puis répandues
après coup.
La question se pose de la même façon pour les vicennalia d'An-
tonin. On ne connaît pas de pièce datée par la XXe puissance tri-
bunicienne, en 157 ; les monnaies sont ainsi toutes, à nouveau,
« coramémoratives » et mentionnent non seulement la XXIe et la
XXIIe puissance tribunicienne en 158 et en 159, mais également
la XXIIIe, en 160 1, ce qui suffit à ruiner la thèse d'une répétition
unique, car il faudrait alors en envisager une seconde. Disons

.
plutôt qu'Antonin a fait préparer l'émission des vicennales après
leur célébration ; peut-être a-t-il alors prévu une émission commé-
morative en chacune des années suivantes et, dans ce cas, sa mort
le 7 mars 161 aurait empêché qu'il y eût des monnaies « coramé¬
moratives » du jubilé vicennal pour sa XXIVe puissance tribuni¬
cienne.
Marc-Aurèle s'est inscrit à ce point de vue, dans la même tra¬
dition. C'est certainement le 7 mars 170 qu'ont été célébrées nor¬
malement les fêtes décennales du règne, mais, de même, aucune
monnaie à légende spécifique ne fut émise en cette année-là. L'évé¬
nement fut commémoré par une seule grande émission, compre¬
nant, comme pour son prédécesseur, à la fois des aurei, des ses¬
terces et des as, pendant la XXVe puissance tribunicienne de
l'empereur-philosophe, en 171, cette fois sans autres frappes dans
les années suivantes 2. Le cas de Commode est, sans doute, plus
complexe parce qu'il a usé pour la première fois d'un double com-
put pour le calcul de ses années de règne et a multiplié les émissions
jubilaires. D'une part, en effet, il a pris pour point de départ,
dans la même ligne que ses prédécesseurs, la mort de Marc-Aurèle
et le moment où il était devenu l'empereur principal ; d'autre part,
il a aussi fêté des decennalia neuf années après son association
au pouvoir par son père, ce qui s'explique par le fait qu'il a été
le premier corégent à porter le titre d'Auguste. Cependant, s'il a
ainsi célébré des decennalia à la fois le 27 novembre 185 et le
17 mars 189, on retrouve dans chaque cas des émissions commé-

306-307
1. R. ;I.1033-1034
2. C.,
C., III,
III, Antonin,
Marc-Aur.,
; 1037 ; 1041-1042
n°s n°s
203 243-251
(p.; tr.
1062
XXI)
; 1003-1008
(p. tr.
; 291-295
XXIII).
; 1014-1018.
; 1018-1020 (p. tr. XXII) ;
96 25 AVRIL

moratives dans les années suivantes. Nous laisserons de côté ici


le fait — qui a compliqué singulièrement les interprétations de ce
règne sur le plan monétaire — qu'il a en outre frappé, depuis 180,
des pièces formulant des vœux décennaux précédant la fête elle-
même χ.
Nous en arrivons ainsi aux fêtes décennales de Septime-Sévère,
qui furent célébrées avec un éclat inhabituel neuf années après la
proclamation de cet empereur par les troupes, le 9 avril 202 et les
jours suivants. Le souverain, qui s'était couvert de gloire dans sa
campagne victorieuse contre les Parthes de 197 à 199, s'était at¬
tardé en Orient pendant deux ans ; il venait tout juste d'arriver à
Rome depuis Antioche quand les festivités eurent lieu, ce qui
prouve que celles-ci avaient été minutieusement prévues et pré¬
parées depuis un certain temps en l'absence même du prince.
Il faut surtout noter dès l'abord que toutes les monnaies qui se
rapportent par leur légende aux decennalia proprement dits et aux
vœux afférents datent bien de l'année 202, explicitée par la men¬
tion de la Xe puissance tribunicienne et du IIIe consulat. Elles
consistent en aurei, deniers, sesterces et as 2. Or, il n'y eut pas,
dans les années ultérieures, de pièces « commémoratives » de l'évé¬
nement. Il y a donc là une rupture très remarquable avec les usages
qu'Antonin avait inaugurés et que Marc-Aurèle et Commode
avait conservés.
Surtout, nous connaissons ce jubilé beaucoup mieux que les
précédents, parce que Dion Cassius, témoin oculaire, nous en a
fourni une description vivante et que, à un moindre degré, certains
détails ont été ajoutés ensuite par un autre historien grec, Héro-
dien.
Il nous faut partir du texte de Dion Cassius 3, dont voici la tra¬
duction :
« A l'occasion du dixième anniversaire de son règne, Sévère
gratifia l'ensemble de ceux qui bénéficient des distributions de
blé et les soldats de la garde d'un nombre de pièces d'or égal pour
chacun à celui des années du règne, ce dont il se glorifia haute-

Antonias
519-520.
1924,
2.
3.
1. Dion,
11.
Cf.
I, p.
I.A.
Billons
et167
C.,
76,
les
Chastagnol,
IY,
; Sévères,
1, t.d'Alexandrie
1-5.
II,
1, Sévère,
p. dans
115.
Les R.
jubilés
nos
: N.,
J.186;
Vogt,
6edécennaux
308-310;
série,
Die26,
Alexandrinischen
et607
1984,
vicennaux
; 831
p. ;112.
832.desAurei
Münzen,
empereurs
de Laodicée
Stuttgart,
sous les:
A. CHASTAGNOL. - LES FETES DE SEPTIME-SÉ VÈRE 97

ment. Et, à vrai dire, il est exact que jamais personne ne leur avait
distribué autant, puisque, pour cette libéralité, furent dépensés
cinquante millions de drachmes (= 200 millions de sesterces). On
célébra également le mariage d'Antonin, le fils de Sévère, avec
Plautille, fille de Plautien. La dot que ce dernier offrit à sa fille
égalait le total nécessaire pour doter cinquante femmes de rang
royal. Nous avons vu ces présents pendant qu'on les transportait
à travers le Forum jusqu'au Palais. Nous fûmes pour l'occasion
conviés en ce dernier lieu à un banquet de style mi-impérial mi-
barbare, où l'on servit, outre les viandes cuites habituelles, des
viandes crues ainsi que divers animaux vivants. Il y eut égale¬
ment alors des spectacles variés en l'honneur du retour de Sévère,
de ses décennales et de ses victoires. Au cours de ces spectacles,
soixante sangliers de Plautien luttèrent les uns contre les autres
à un signal donné et beaucoup de bêtes sauvages furent tuées,
dont un éléphant et un corocottas. Ce dernier animal vient des
Indes, et c'est alors la première fois, à ma connaissance, qu'il fut
introduit à Rome ; sa couleur procède de celle de la lionne et de
celle du tigre, l'aspect de ces animaux est un mélange tout à fait
curieux de chien et de renard. Toute la « piscine » du théâtre avait
été équipée en forme de bateau de façon à ce qu'on puisse intro¬
duire et évacuer quatre cents animaux à la fois ; puis le bateau
était brusquement escamoté et alors s'élançaient ours, lionnes,
panthères, lions, autruches, onagres, bisons (ce sont des sortes de
bœufs, d'origine et d'aspect barbares), si bien que l'on vit en tout
sept cents animaux, tant sauvages que domestiques, courant en
même temps de tous côtés et qui se faisaient massacrer. Car, pour
correspondre à la durée de la fête qui fut de sept jours, il y eut
aussi sept fournées de cent animaux chacune ».
Le passage, beaucoup plus bref, d'Hérodien se présente comme
suit 1 :
« Il fut accueilli en triomphateur par le peuple de Rome, avec de
grandes acclamations et marques de dévotion. Il accorda au peuple
des sacrifices et cérémonies religieuses ainsi que des réjouissances
au cours desquelles il procéda à de généreuses distributions d'ar¬
gent et offrit des jeux sacrés pour fêter ses victoires ».
C'est la première et pour ainsi dire la seule fois qu'une analyse
des cérémonies propres à un jubilé de cette sorte nous est présentée.

1. Hérodien, III, 10, 1-2. Cf. aussi III, 8, 9.


ANT. BULLETIN -- 1984 7
98 25 AVRIL

Les decennalia sont marqués d'abord, affirme Dion, par des lar¬
gesses faites à la plèbe frumentaire et aux prétoriens, sous la forme
d'un congiaire en tout point exceptionnel ; chacun reçut dix aurei.
L'historien nous indique la somme totale, fabuleuse, qui fut dé¬
pensée pour l'occasion : 200 millions de sesterces, ce qui implique —
V aureus valant cent sesterces — un chiffre de 200.000 bénéficiaires,
y compris les 15.000 soldats du prétoire 1. C'est sous le règne de
Néron, d'après Suétone et Tacite, que les prétoriens avaient obtenu
le blé gratuit 2 ; ils ont donc été inclus désormais dans le nombre
des ayants-droit aux distributions ; si, comme on le pense d'ordi¬
naire, ce nombre est demeuré fixé à 200.000 ainsi qu'il l'était sous
Auguste3, cela voudrait dire que, entre temps, celui des membres
de la plèbe urbaine domo Roma inscrits au registre de la frumenta-
tio avait diminué et n'était plus, en 202, que de 185.000.
Dion insiste donc sur le caractère inhabituel de ces cadeaux, du
moins quant à leur ampleur. Hérodien confirme que Sévère pro¬
céda à « une généreuse distribution de monnaie ». Ce n'est sans
doute pas la première fois que de telles largesses, il est vrai beau¬
coup moins importantes, étaient accordées au peuple romain et
aux soldats en une telle occasion. Il semble bien toutefois que le
congiaire en monnaie d'or pour les prétoriens, probablement en
deniers et sesterces pour la plèbe (à raison de 250 deniers ou
1.000 sesterces = dix aurei pour chaque plébéien) se soit alors
réalisé selon un processus nouveau. En effet, les précédents, s'il
y en eut, avaient consisté en une distribution des pièces alors en
usage dans la circulation normale. Comme nous avons vu, aussi
bien sous Antonin que sous Marc-Aurèle, puis Commode, les pièces
émises en commémoration des jubilés l'étaient postérieurement au
jubilé lui-même. Tout laisse penser qu'il n'en fut plus ainsi avec
Septime-Sévère. Si l'on comprend bien l'évolution, les aurei, de¬
niers et sesterces alors répandus furent frappés avant la fête, et
cette fois selon les types évoquant la circonstance, afin qu'ils
puissent être distribués et mis en circulation entre les mains des
bénéficiaires le jour même du jubilé. On s'explique de la sorte qu'il

l'Empire,
militaire
M. 1.Durry,
2.
3. Cf. D.
Suétone,
Dion,
dans
Genève,
Les
55,
Vanl'Empire
Ner.,
cohortes
10,
Berehem,
1939,
1. 10;prétoriennes,
romain
p.Tacite,
Les
29. distributions
auAnn.,
IIIe
Paris,
siècle
XV,1938,
de 72,

bléM.
p.1.
et 269.
S.
d'argent
Cf.N.D.A. Van
àF. la»,Berehem,
plèbe
1937), romaine
p. L'
127-128
annone
sous;
A. CHASTAGNOL. - LES FETES DE SEPTIME-SÉVÈRE 99

n'y eut plus d'émissions comméruoratives dans les années posté¬


rieures et que les pièces du jubilé sévérien portent uniquement la
date de 202. Cette nouvelle pratique demeura en vigueur par la
suite.
Les sénateurs n'étaient pas oubliés : ils furent tous invités dans
le Palais impérial du Palatin à un banquet plantureux dont le
caractère original fut qu'on y mangea des viandes crues et même
des animaux vivants (probablement des huîtres et crustacés ou
de petits poissons) à côté des chairs cuites traditionnelles. On ne
saurait dire s'il y avait eu déjà des festins organisés lors des jubilés
antérieurs, faute d'information à ce sujet.
Comme on pouvait s'y attendre, le « clou » des décennales fut
les jeux donnés pour l'occasion aux frais tout à la fois de l'empe¬
reur et de son préfet du prétoire Plautien. Dion décrit seulement
les spectacles qui eurent apparemment pour cadre le Colisée et
furent marqués par l'exhibition et le massacre des sept cents ani¬
maux en sept jours, par l'aménagement insolite, en forme de na¬
vire, de l'arène de l'amphithéâtre — c'est ainsi, en effet, à pre¬
mière vue, que l'on comprend l'expression ή δεξαμενή ή έν τφ θεάρφ
(littéralement : le « plan d'eau » du théâtre) — et par la présenta¬
tion des fauves inédits et quelque peu mystérieux qu'étaient pour
les Romains le corocottas (une sorte de hyène) 1 et, à un moindre
degré, le bison. Il est sûr que des ludi avaient été organisés lors
des jubilés antérieurs puisque des monnaies de 148, 171 et 184
célèbrent, sur leur légende de revers, les primi décennales (ludi) 2
et une autre de 159 des ludi décennales3 , mais Dion nous montre
que Septime-Sévère fit un effort particulier pour que les spectacles

décrit
617-618
derts,
Milan,
signalée
Antonin
l'on
F.
Augusta,
était
première
gusta,
s'inspire
1.Kolb,
2.
3. accepte
B.
Le
P.
déjà
t.comme
Ronn,
1912,
; L.
I.
corocottas
III,
par
le
directement
1006-1008.
fois
Literarische
Ronn,
connu
C.,
Strack,
Pieux
l'Histoire
p.
l'indication
Stuttgart,
1968,
à III,
un Rome
12,
1972,
mâtiné
depa
àn°s
p.Untersuchungen
Antonin,
Pline
Rome
raît
de
Beziehungen
en
17,
p.
Auguste,
29-30
1937,
celui
de
de
156.
202.
être
l'Ancien
n.chien
dans
Dion
nos
1,
et
de
p.
Cf.
Sans
une
qui
pl.
Anton.
Dion
242,
630;
l'amphithéâtre,
et
E.
selon
zwischen
hycne
avoir
(Ν.
46,
n'exclut
de
zur
Merten,

et
633;
loup
1-2.
H.,
Pius,
laquelle
römischen
invente
650;
encore
rayée
I,Cassius
et
634;
Zwei
pas
10,
8,
unde
F. un
été
à30
que
Gnecchi,
ce
1817;
9,Heerscherfeste
croisement
partir
Reichsprägung
l'Inde.
corocottas
Dio,
vu
et
dans
qui
le45
àtexte
Marc-Aurèle,
serait
de
Herodian
;Rome
les
Une
IVIII,
lui
medaglioni
de
spectacles
aurait
de
; un
bête
même,
hyène
inl'Histoire
dans
72des
und
der
anachronisme
été
delenos
et II.
Historia
etle
die
107),
ce
même
donnés
romani,
vude
corocottas
548-550;
Jahrhun¬
nom
Historia
Auguste
pour
lionne.
qui
sens,
Au¬
par
est
II,
la
le
si
100 25 AVRIL

surpassent de beaucoup ce qui avait été fait jusque-là dans les


occasions semblables.
Le bateau dressé au milieu du monument servait en particulier
à cacher aux regards de la foule les quatre cents animaux qui y
avaient été préalablement camouflés. L'escamotage du navire
rapidement exécuté créait l'effet de surprise avec l'invasion bru¬
tale de toute l'arène par ces bêtes étranges et variées. Il y avait
ainsi une exhibition des animaux avant qu'entrent en scène les
venatores chargés de simuler un combat contre certains d'entre eux,
puis d'en massacrer une partie. L'épisode des sangliers de Plau-
tien constitua peut-être le prologue du programme. Telles furent,
au moins pour l'essentiel, les péripéties de la première journée. Les
jours suivants furent marqués chacun par une çenatio.
Or, Jean Babelon a reconnu que le spectacle principal du pre¬
mier jour était représenté sur un aureus connu par plusieurs exem¬
plaires (dont un volé en 1831 au Cabinet des Médailles de Paris),
pièce qu'il faut donc dater de 202 (pl. VII, 4) 1. On y observe au
droit le buste de Septime-Sévère, avec la légende severvs pivs avg.
Le revers, à la légende Laetitia temporvm, montre en son centre
une galère placée non pas dans l'amphithéâtre, mais dans le cirque
où elle encadre la spina dont on reconnaît les ornements et monu¬
ments qui la décorent. Quatre quadriges tournent autour d'elle.
L'historien, certes, ne mentionne pas les courses de chars ; il dut
cependant y en avoir et, de toute façon, la monnaie en présente
une de manière stéréotypée pour que le cirque soit plus facile à
identifier. Le navire est accompagné d'un animal à droite, d'un
autre à gauche, et six autres occupent côte à côte la partie infé¬
rieure de la pièce. Parmi eux, « il ne nous est pas difficile de recon¬
naître l'autruche, les lions, les bisons », assure J. Babelon, qui
ajoute malicieusement : « Est-ce aller trop loin dans l'exégèse et
trop concéder à l'imagination que d'y reconnaître également, à
droite, le fameux corocottas qui souleva tant de curiosité? » Ainsi
donc, le θέατρον dont parle Dion serait en fait le Cirque Maxime
plutôt que l'Amphithéâtre Flavien. La disposition du navire y
trouve en effet, à première vue, plus aisément sa place et, comme
l'a bien vu J. Babelon, « la carène de la galère que l'on édifia sur
le cirque englobait la spina ». L'emploi du mot ή δεξαμενή (= un

dans
1. R.
J. Babelon,
N., 5e s., A
8, 1945,
proposp. d'un
149-152.
« aureus
Cf. R.» de
I. C.,
Septime-Sévère
IV, 1, Sévère,aun°type
274 deet lapl. galère,
7, 10.
A. CHASTAGNOL. - LES FETES DE SEPTIME-SÉ VERE 101

plan d'eau) par Dion peut alors se rapporter aux bassins aménagés
couramment sur la spina et autour d'elle dans ce type d'édifice 1.
L'historien décrit sans doute essentiellement le Cirque Maxime et
les spectacles qui y furent donnés ; toutefois, le mot lui-même
laisse penser que des spectacles de venatio se déroulèrent aussi dans
l'amphithéâtre, et que le théâtre fut peut-être également utilisé.
L 'aureus représente une scène qui est ainsi comme une vue cava¬
lière et symbolique de l'ensemble de la fête. Voilà en tout cas une
belle illustration du texte de Dion. Notons que la même émission
comporte, avec le même revers, des pièces au droit de Caracalla
et à la légende antoninvs pivs avg, et d'autres, plus rares, au
droit de Geta, à la légende ρ septimivs geta caes.
Enfin, parmi les cérémonies qui caractérisaient une telle fête,
il en est une que Dion Cassius passe sous silence mais qu'Hérodien
a notée. Elles sont toujours accompagnées d'un contexte religieux
et donnent lieu en particulier à des sacrifices destinés à remercier
les dieux pour le temps écoulé, à les implorer pour les années à
venir, à exaucer les vœux formulés pour la santé du prince, ses
succès et, plus généralement, la gloire et la félicité de l'Empire.
C'est ce sacrifice, ou cette libation, qui est représenté le plus sou¬
vent au revers des monnaies depuis le règne d'Antonin et qui figure
encore sur le numéraire frappé et émis en 202.
On ne saurait douter que Sévère a voulu donner à toutes ces
cérémonies un caractère éclatant, d'une manière beaucoup plus
ostensible que ses prédécesseurs. Ce qui explique et justifie ce sur¬
croît de faste, c'est le fait — sur lequel insistent les deux auteurs —
que la fête décennale fut jumelée avec deux événements qui don¬
naient lieu tout normalement eux aussi à des réjouissances et des
rites et qui, pour la première fois à ce qu'il semble, furent célébrés
à la même date que le jubilé décennal : le triomphe parthique de
l'empereur et les noces du prince héritier, Caracalla.
Le triomphe est évoqué sobrement par Dion Cassius et par
Hérodien. Ce dernier signale les jeux offerts pour la victoire du
prince 2. Dion note que les spectacles alors organisés furent donnés
non seulement pour le dixième (ou plutôt, dans notre optique, le
neuvième) anniversaire de l'avènement, mais aussi en l'honneur

M.2.
1. É.Voir
Cf.F.A.aussi
R.Chastagnol,
Α.,III,
88, 8,1976,
9.Lesp.inscriptions
259-276, spéc.
constantiniennes
p. 266. du cirque de Mérida, dans
102 25 AVRIL

du retour victorieux d'Orient et des succès militaires que l'Empe¬


reur avait remportés, lu Histoire Auguste, s'inspirant plus ou moins
de la source qu'elle suit à cet endroit (Marius Maximus ou un autre
auteur inconnu), fournit quelques précisions complémentaires
dont certaines paraissent suspectes. Le Sénat, selon le biographe
de Sévère, offrit au prince l'honneur du triomphe ; l'empereur
l'aurait alors refusé sous le prétexte que, souffrant de la goutte
ou d'une autre maladie des articulations, il n'aurait pas pu sup¬
porter les cahots du char lors de la montée vers le Capitole *. En
fait, les cérémonies triomphales eurent bien lieu, même si — détail
à ne retenir que sous précaution — Septime-Sévère n'aurait pu
prendre place en personne, debout sur son char, à la pompa. Si
l'on en croit le même auteur, Caracalla aurait été associé à la céré¬
monie et aurait même obtenu, lui aussi, le triomphe pour une vic¬
toire sur les Juifs bien que le passage de l'armée en Palestine eût
été une simple promenade militaire2 ; il put dans ces conditions
suppléer éventuellement son père sur le char, et ce dernier aurait
atteint le Capitole à pied, çeluti ovansz. L'arc de triomphe de
Septime-Sévère au Forum romain fut peut-être commencé en
cette année même ou un peu auparavant, et fut en tout cas inau¬
guré l'année suivante comme le prouve son inscription, mention¬
nant la XIe puissance tribunicienne du souverain. Selon Richard
Brilliant, ses bas-reliefs représentent en plus des épisodes de la
campagne parthique la pompa triomphale du 9 avril 202 4 ; on
peut en douter, car ni les empereurs ni le char triomphal ne
figurent sur le panneau concerné, et les voitures qu'on y observe
évoquent plutôt le train des équipages dans le cours d'une expé¬
dition militaire. L'arc tétrapyle de Lepcis Magna est peut-être
plus probant à cet égard : il est possible que l'artiste ait représenté
la procession du triomphe romain ou s'en soit inspiré ; sur le char,
Sévère est debout, accompagné de ses deux fils, Caracalla et

phum,
entre
in
et
III,
quod
2.
3.
4.
1.the
137-147,
9,C.
Hist.
Ibid.,
consistere
triomphe
Roman
decreverat,
1.I. L.,
Aug.,
16,
14,
pl.VI,
Forum
in
744-59.
etidcirco
Sei,'.,
1033
: curru
Filio
ovation,
veluti
(«Memoirs
16,
=Sur
affectas
quod
sane
ovans
I.6 le
L.
: etDeferentibus
Plutarque,
concessit
S.,urbem
triomphe
in
articulari
of425.
Syria
the Cf.
ingressus
ut
Amer.
Marcellus,
de
resR.
triumpharet
morbo
sibi
Sévère,
bene
Brilliant,
Academy
patribus
Capitolium
non
gestae
22.
cf.posset.
; The
cui
fuerant
aussi
triumphum
at Arch
senatus
Rome
petit.
l'allusion
aofSevere.
»,Sur
Septimius
ludaicum
idcirco
29,la1967),
d'Hérodien,
distinction
recusavit,
Severus
trium¬
p. 30
Λ. CHASTAGNOL. - LES FETES DE SEPTIME-SE VERE 103

Géta (pl. VII, 3) 1, ce qui ne veut certes pas dire que la scène se
soit déroulée effectivement à Rome de cette manière ; mais, comme
on pense d'ordinaire, elle se réfère plutôt à Yadventus de l'empe¬
reur et de sa famille à Lepcis lors de son voyage africain quelques
mois seulement plus tard.
C'est à coup sûr de propos délibéré que la procession classique
du triomphe eut lieu le jour même des décennales. Cela ne s'était
jamais vu auparavant. Toutefois, le 12 octobre 166, Commode
avait été nommé César (avec son jeune frère Annius Yérus) le
jour du triomphe de Marc-Aurèle et Lucius Vérus sur les Parth.es,
puis la proclamation du même Commode comme Auguste avait
été réalisée le jour du second triomphe de l'empereur philosophe,
ce qui révélait déjà le lien qui s'imposa ensuite entre les cérémo¬
nies du triomphe et celles des anniversaires impériaux2. Caracalla
avait été élevé au rang d'Auguste pour sa part le 28 janvier 198,
alors même que son père obtenait le titre de Parthicus maximus3.
Ces coïncidences recherchées visaient à exalter la félicité de l'em¬
pereur et la protection manifeste que les dieux lui conféraient par
la victoire sur ses ennemis.
Dion signale enfin que le mariage de Caracalla et de Plautille,
fille de Plautien, fut fixé délibérément au même moment, ce qui
ne pouvait qu'accentuer le caractère bienheureux de la fête4. Les
cadeaux dotaux offerts par le préfet du prétoire furent transportés
en grande pompe par le Forum jusqu'au Palais du Palatin, exhibés
au passage sur des plateaux hissés à bout de bras par des servi¬
teurs, en présence d'une foule immense au sein de laquelle, à une
place privilégiée, I>ion Cassius fut témoin oculaire de l'événement ;
peut-être l'historien se tenait-il alors au milieu des sénateurs
devant la curie. C'est aussi la première fois à notre connaissance
que les noces d'un empereur ou d'un prince héritier furent fixées
le jour d'un anniversaire impérial et, plus précisément, d'un jubilé
décennal.
Ces innovations montrent à suffisance que Septime-Sévère

Milan,
J.
1948,
aux1.Guey,
2.
3.
4. fêtes
R.p.1964,
Cf.
Hérodien
Bianchi
A.
60-70.
28
décennales.
Birley,
janvier
p. signale
32-33
Bandinelli,
Marcus
Septimius
98-28
etévidemment
pl. janvier
Aurelius,
28,E.
Severus,
33Vergara
et
198
aussi
Londres,
35.
the
ouleAfrican
Cafïarelli
lemariage,
siècle
1966,Emperor,
des
en
et
p. Antonins,
198
III,
G. Caputo,
etLondres,
10, 269.
5, dans
mais
Leptis
1971,
R.sans
É. Magna,
p.Α.,relier
le 215
50,;
104 25 AVRIL

a voulu conférer à son jubilé un retentissement plus grand que


celui de toutes les fêtes données par ses prédécesseurs et faire de
lui l'apogée de son règne, la date symbolique qui marquait sa
gloire personnelle et le succès complet de ses armes comme de
sa politique et, en voyant plus loin, l'affirmation solennelle du
principe dynastique en faveur de sa famille.
Il est évident, en effet, que son fils aîné, Caracalla, Auguste
alors depuis quatre ans, fut associé aux vota proférés pour l'occa¬
sion. Car il convient de placer également en avril 202 les deniers
et les bronzes au droit de Caracalla (antoninvs pivs avg) dont
les revers expriment des vota svscepta χ 1. Une des pièces est
datée par la 5e p. tr. On observe d'ailleurs que la même légende,
qui se réfère ainsi à Caracalla, se rencontre aussi sur des monnaies
qui présentent au droit le buste et les noms de Septime-Sévère
lui-même2. Au surplus, le revers Laetitia temporvm de la pièce
d'or qu'a commentée J. Babelon se retrouve avec le même type
de la galère et des animaux sur des droits au nom et à l'effigie
de Caracalla (antoninvs pivs avg) et de Géta (p septimivs geta
caes), l'ensemble datant du même moment3.
Les cérémonies de 202 ont été un jalon important dans l'évo¬
lution qu'ont connue les grandes fêtes impériales, car les innova¬
tions apportées par Septime-Sévère ont été maintenues et parfois
développées dans les périodes suivantes. Le triomphe a été jumelé
aux decennalia ou aux vicennalia à diverses reprises : au moins
si l'on se fie aux sources qui nous le disent, ce fut le cas pour les
décennales de Gallien en 262 4, les vicennales de Dioclétien en
303 5, les décennales de Constantin en 315 (date de dédicace de
l'arc de Constantin à Rome) 6, pour les vicennales du même
Constantin en 326 7. Le mariage de Constance II avec la sœur de
Julien a eu lieu le jour des tricennales de Constantin en 335 8.

sance
1. R.tribunicienne.
I. C., IV, 1, Caracalla, nos 150-151 ; 325 ; 478-479. Le n° 68 pour la 5e puis¬
2. Ii. I. C., IV, 1, Sévère, n°s 186 et 832.
3. I{. I. C., IV, 1, Caracalla, n° 133 ; Géta, n° 43.
4. Ilist. Aug., Gall., 7, 4 à 9, 5. Cf. Ε. Merten, op. cit., p. 4-100.
5. Eutrope, IX, 27, 2; Lactance, De mortib. persec., 17, 1. Cf. A. Chastagnol,
Les années régnales de Maximien Hercule en Égypte et les fêtes vicennales du 20 no¬
vembre 303, dans R. N., 6e s., 9, 1967, p. 54-81, spéc. p. 64-65.
6. Avec les inscriptions de l'arc ; cf. A. Chastagnol, Les jubilés impériaux de 260
à 337, 1983, p. 18.
7. Zosime, II, 29.
8. Eusèbe de Césarée, Vita Constantini, IV, 49.
A. CHASTAGNOL. ■ —- LES FÊTES DE SEPTIME-SE VERE 105

C'était toujours à Rome, avec la montée sur le Capitole, que se


déroulaient au me siècle les cérémonies principales, rehaussées
par la présence effective de l'empereur, même si ces fêtes étaient
honorées le même jour en toute l'étendue de l'Empire, dans les
camps comme dans les villes. Dioclétien abandonna le séjour de
Rome et préféra vivre à Nicomédie ; c'est néanmoins à Rome
qu'il vint célébrer en 303 ses vicennales et son triomphe. Constan¬
tin fit de même en 315, et, s'il ne put le faire en 325, il tint excep¬
tionnellement à répéter la fête l'année suivante et vint solennelle¬
ment à Rome lui aussi pour la circonstance alors qu'il n'y rési¬
dait pas le reste du temps x. Mais, en 335, c'est à Constantinople
qu'il célébra personnellement ses tricennales 2. Gratien est encore
venu à Rome en 376, semble-t-il pour ses décennales 3, mais c'est
alors un cas isolé. Auparavant, Constance II était en effet à Arles
pour ses tricennales en 353 4, Valentinien Ier à Trêves pour ses
décennales en 373 5.
Notons en outre que, depuis Postume en Gaule en 262, les
empereurs, Césars aussi bien qu'Augustes, célébraient des fêtes
quinquennales au bout de quatre ans de règne, parce que, au
milieu du ine siècle, un souverain avait rarement la certitude
ou même l'espoir de parvenir aux neuf années pleines de gouver¬
nement : les quinquennalia leur paraissaient, en cette époque
tragique, capables de conjurer le sort6. Or il n'est pas sans intérêt
de constater que Constantin a envoyé ses deux fils Crispus et
Constantin II (ce dernier âgé seulement de quatre ans) à Rome
pour qu'ils y soient présents l'un et l'autre, sans leur père, le
jour de leurs quinquennalia en 321 7, pratique qui s'est perdue
par la suite.
Néanmoins, les fêtes jubilaires sont encore attestées en plein
ve siècle. L'empereur les célébrait désormais dans ses résidences

1956),
de
cf.
quennalia
Christianitas
1.
3.
4.
5.
7.
2.
6.
Licinius,
O.Chron.
Symm.,
Chron.
Cf.
Ammien,
A.
Nazarius,
Seeck,
p. Chastagnol,
A.
231.
» des
dans
Piganiol,
Min.
Min.,
Regesten
Rel,
(Mélanges
XIY,
Paneg.
trois
Mosaïque,
13,
(éd.
I,Les
Césars
5,L'Empire
p.
2.Lat.,
der
Mommsen),
1.jubilés
J.Trêves
235
Kaiser
Straub),
Recueil
(Crispus,
Χ(Chron.
(IV).
impériaux
chrétien,
est
undH.
alors
I,Cf.
Berlin,
Päpste,
Pasch.).
Licinius
p. A.
Stern,
2e
lade
232éd.,
résidence
Chastagnol,
1982,
260
Paris,
Stuttgart,
; Cf.
II,
saint
Paris,
àp.
A.
337,
Constantin
1982,
367-374.
Chastagnol,
Jérôme,
habituelle
1972,
p.
1919,
ibid.,
p.13-14.
97-102,
p.p.p.II),
Chron.
225.
244.
de
20Les
Valentinien
;spéc.
dans
Id.,
«(éd.
decennalia
p.
Romanitas-
LesHelm
101-102.
« quin¬
Ierde:»
106 25 AVRIL

habituelles : Ravenne pour l'Occident, Constantinople pour


l'Orient 1. Aussi est-il tout à fait remarquable que la tradition
ancienne ait été reprise en l'année 500 par le souverain barbare
de l'Italie, Théodoric, qui, s'il avait fixé sa capitale à Ravenne,
vint spécialement à Rome pour y fêter ses tricennalia au début
de sa trentième année de règne comme roi des Ostrogoths. Pour
l'occasion, il célébra un triomphe à la mode romaine et ordonna
que fussent distribués au peuple de la Ville Eternelle 120.000 bois¬
seaux de blé chaque année2. Trois cents ans après Septime-Sévère,
les pratiques inaugurées en 202 se perpétuaient donc encore sous
des formes plus ou moins renouvelées et adaptées aux circons¬
tances.

M. Jean-Pierre Callu, m. r., s'étonne que la fête des décennales d'An-


tonin le Pieux ne donne pas lieu à une émission monétaire, mais que
celle-ci intervienne dans les deux années qui suivent. Comment expli¬
quer des
sinon comme
émissions
des commémorations
se plaçant un, deux
sur leoumode
trois mineur
ans après
de l'événement?
la cérémonie,
M. Chastagnol répond qu'il y a des commémorations annuelles,
comme celle du Dies imperii sous Trajan, mais qu'elles constituent
des fêtes à caractère bien plus limité. Il s'oppose pour sa part à l'idée
d'une répétition des fêtes décennales un an après.
M. Marcel Le Glay, m. r., a relevé que Dion Cassius à la différence
d'Hérodien, ne donne aucun caractère religieux à ces fêtes ; mais ce
trait est assez fréquent chez cet historien. M. Le Glay attire d'autre
part l'attention
char traditionnelsur
de leY adventus.
fait que le char de triomphe est plus élevé que le
M. Gilbert Picard, m. r., fait remarquer que la représentation de
l'empereur sur son char de triomphe, contrairement à la tradition, ne
figure pas sur les reliefs de l'arc du Forum. Sans doute faut-il penser
qu'un groupe de bronze figurait au sommet de l'arc. Mais, comme
M. Chastagnol, il n'est pas convaincu par l'interprétation de R. Bril¬
liant ( The Arch of Septimius Severus in the Roman Forum, dans Memoirs
of the American Academy in Rome, XXIX, 1967) qui reconnaît sur la
frise une représentation de pompa.
M. François Braemer, m. r., vivement intéressé par les remarques
de M. A. Chastagnol, insiste sur les problèmes posés par les décors des
arcs, même sans soulever les rapports entre ces derniers et leur date

1. Sur les décennales de Théodose II à Constantinople en 411, Cliron. Min., II,


p. 70 ; sur les tricennales d'Honorius à Ravenne en 422, Chron. Min., I, p. 656, 89 ;
sur les décennales de Valentinien III en 434, un médaillon contorniate : A. Alföldi,
Die Kontorniaten, Leipzig, 1942, p. 126 et 174, nos 204 et 415 ; A. et E. Alföldi, Die
Kontor niai-Medaillons, I : Katalog, Berlin, 1976, pl. 190, n° 4.
2. Anon. Vales., II, 67. Cf. E. Stein, Histoire du Bas-Empire, t. II, Paris, 1949,
p. 133.
R. GANDILHON. - L'ÉGLISE DE NUISEMENT-AUX-JBOIS 107

d'élévation, et en tenant compte du temps nécessaire à leur construc¬


tion. La frise de l'arc de Septime Sévère, à Rome, est placée trop bas.
Son traitement est assez différent de celui des panneaux représentant
les campagnes de l'empereur. Elle figure un défilé de chariots de trans¬
port, tout à fait différent de celui de l'arc de Lepcis Magna qui serait
moins éloigné de ce qu'on attend d'une représentation de pompa. De
toute façon les grandes différences dans les dimensions, le style, les
procédés
même à l'intérieur
techniquesde entre
ces derniers
les divers
— incitent
types deà reconnaître
représentations
un assem¬
—■ et
blage de panneaux. C'est ainsi qu'il se demande si les panneaux ornés
de barbares guidés par des romains jeunes portant la coiffure de Marc
Aurèle jeune du type du Forum romain n'auraient pas été exécutés
antérieurement à la construction, pour un autre monument (et éven¬
tuellement copiés pour obtenir le nombre réclamé par l'architecte) afin
que l'espace à décorer soit rapidement couvert. Les problèmes posés par
l'identification des grands panneaux historiques expliqueraient la pose —
sous eux ■— d'une frise de personnages au canon trapu et de caractère
rustique, au dernier moment, comme l'indiquerait son style et son trai¬
tement de caractère postérieur aux précédents. Ces constatations le
rendent, comme M. A. Chastagnol, prudent dans l'interprétation des
arcs, notamment de celui du Forum romain.
M. François Baratte, m. r., évoque l'impact artistique des fêtes
décennales de Septime Sévère. Il songe à la construction en forme de
navire installée dans le Cirque. On en trouve des échos aussi bien sur des
émissions monétaires que dans des décors sur la céramique (J. W. Sa-
lomonson, dans BABesch, 47, 1972, p. 109-112).
M. Jean Lafaurie, m. r., rappelle que Jean Babelon avait cherché à
identifier sur les monnaies, quelques-uns des sept cents animaux qui
avaient été produits à l'occasion des decennalia.
M. François Chamoux, président, souligne, en conclusion, la valeur
historique, souvent méconnue, de l'œuvre de Dion Cassius et la qualité
de son témoignage.

Séance du 2 mai.

M. l'abbé Antoine Ruais, présenté par Dom J. Dubois et


M. A. Lapeyre, est élu associé correspondant national pour le
département du Maine-et-Loire sur le rapport de M. J. Vezin.
M. René Gandilhon, a. c. n., présente ensuite une communi¬
cation intitulée L'église de Nuisement-aux-Bois (Marne). Démon¬
tage, transfert, reconstruction (pl. Y).
En vue de régulariser le cours de la Seine et de diminuer l'im¬
portance de ses crues, des barrages-réservoirs destinés à retenir
d'importants volumes en hautes eaux, ont été réalisés au cours
du xxe siècle. C'est dans ce but que fut établi un projet devant
utiliser une cuvette naturelle à fonds argileux existant dans une

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