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Pathologie mentale
et problématique fondamentale
À partir de la rentrée 1952, après avoir obtenu un diplôme
de psychologie et l’agrégation de philosophie, Foucault est
chargé d’un cours de psychologie à l’université de Lille et à
l’École normale – grâce aux soutiens de Jules Vuillemin et
de Louis Althusser. Le futur auteur de Pour Marx est, depuis
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Anthropologie et ontologie
Les deux articles que je viens d’évoquer – le texte « exis-
tentialiste », « Introduction à Traum und Existenz », et le
texte « marxiste », « Maladie mentale et personnalité » – se
présentent comme de véritables réponses aux premiers travaux
de Foucault. Ou plutôt, ils semblent permettre la remise
en question, à la lumière de l’« ontologie fondamentale »
heideggérienne, du paradigme « humaniste » que partagent
la plupart des orientations philosophiques en vogue dans
l’immédiat après-guerre – notamment le marxisme et la
phénoménologie existentialiste.
Dans sa préface au livre de Binswanger, Foucault annonce
vouloir « situer l’analyse existentielle dans le développement
[plus général] de la réflexion contemporaine sur l’homme »
et « montrer, en suivant l’inflexion de la phénoménologie
vers l’anthropologie, quels fondements ont été proposés à
la réflexion concrète sur l’homme » 54. Ce projet n’est pas
clair ; il semble appartenir à une phase de transition de la
pensée foucaldienne, une phase sans doute aporétique.
Dans sa préface à Binswanger, Foucault écrit lui-même que
« la ligne de partage » entre Dasein et Menschsein, entre
« ontologie et anthropologie », paraît « difficile à tracer » ;
il avoue que les « conditions ontologiques de l’existence
font problèmes », déclarant d’un ton prophétique se réserver
« d’autres temps pour les aborder » 55.
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Cette refonte épistémologique touche aussi bien le
concept d’aliénation, que Foucault avait abondamment
utilisé jusqu’en 1954. L’emploi de ce concept, centrale
chez Hegel et Marx, se fonde sur le postulat suivant : il
existe une identité ou essence humaine susceptible de servir
d’étalon, à partir de laquelle juger du degré de dépossession
ou d’aliénation des hommes. Aussi ce concept constitue-t-il
la pièce maîtresse d’une philosophie de l’histoire qui reste
anthropocentrique, qui laisse subsister le concept d’homme,
tel un résidu anhistorique.
Or, cette catégorie se trouve violemment récusée dans
l’Histoire de la folie, notamment dans le dernier chapitre
intitulé « Le cercle anthropologique » qui fait apparaître
Nietzsche en un coup de théâtre. Foucault y fait la généalogie
du dispositif anthropologique qui structure les savoirs sur
l’homme – y compris la psychiatrie et la psychologie –
depuis la fin du XVIIIe siècle. Ce dispositif se condense
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Notes
1. Lettre du 15 avril 1963, Fonds Jean Hyppolite, Bibliothèque de
l’École normale supérieure.
2. Michel Foucault, « Jean Hyppolite. 1907-1968 », in Dits et écrits,
t. 1, Paris, Gallimard, 1994, p. 779-785.
3. Michel Foucault, L’Ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971.
4. Michel Foucault, « Jean Hyppolite. 1907-1968 », in Dits et écrits,
op. cit., t. 1, p. 785.
5. « Nous sommes plus d’un à être en dette à l’égard de Jean
Hyppolite », Michel Foucault, L’Ordre du discours, Paris, Le Seuil,
1972, p. 75.
6. Cf. Didier Éribon, Michel Foucault 1926-1984, Paris, Flammarion,
1989, p. 35.
7. Le nom de Foucault n’est cité qu’une seule fois par Hyppolite, dans
une conférence de 1965 où il mentionne « les meilleures réussites
dans l’histoire du savoir, les archéologies du savoir : Foucault » (voir
« La situation de la philosophie dans le monde contemporain », in
Figures de la pensée philosophique, t. II, p. 1035).
8. Avec plusieurs autres, cette thèse est conservée dans le Fonds Jean
Hyppolite à la Bibliothèque de l’École normale supérieure.
9. Lettre du 15 avril 1963, op. cit.
10. Dans son En devenant Foucault. Sociogenèse d’un grand
philosophe (Paris, Croquant, 2006, p. 45), José-Luis Moreno Pestaña
observe que se référer à Hyppolite en tant que maître est l’un « de
ces gestes intellectuels qui servent de ciment rituel à une génération
intellectuelle ».
11. Anson Rabinbach, « Heidegger’s letter on humanism as text and
event », New German Critique, no 62, 1994, p. 3-38.
12. Pour une analyse plus détaillée du présumé « humanisme » de
Kojève et des supposées interprétations « humanistes » de Heidegger
pendant les années 1930 et 1940, voir Stefanos Geoulanos, An Atheism
that Is Not Humanist Emerges in French Thought, Stanford, Stanford
University Press, 2010.
13. Tandis qu’après la Libération, entre 1944 et 1948, la plupart des
essais sur « l’existentialisme » cherchaient à savoir si Sartre était ou
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est celui du “fait” humain, si on entend par “fait” non pas tel secteur
objectif d’un univers naturel, mais le contenu réel d’une existence
qui se vit et s’éprouve, se reconnaît ou se perd dans un monde qui
est à la fois la plénitude de son projet et l’” élément” de sa situation.
L’anthropologie peut donc se désigner comme “science de faits”, du
moment qu’elle développe de manière rigoureuse le contenu existentiel
de la présence au monde. La récuser de prime abord parce qu’elle
n’est ni philosophie ni psychologie, parce qu’on ne peut la définir ni
comme science ni comme spéculation, qu’elle n’a pas l’allure d’une
connaissance positive ni le contenu d’une connaissance a priori, c’est
ignorer le sens originaire. »
55. Ibid., p. 67.
56. Michel Foucault, Maladie mentale et personnalité, Paris, PUF,
1954, p. 2.
57. Ibid., p. 69.
58. Ibid., p. 92.
59. Ibid., p. 102.
60. À ce propos Foucault écrit : « Vouloir détacher le malade de
ses conditions d’existence, et vouloir séparer la maladie de ses
conditions d’apparition, c’est s’enfermer dans la même abstraction ;
c’est impliquer la théorie psychologique et la pratique sociale de
l’internement dans la même complicité : c’est vouloir maintenir le
malade dans son existence d’aliéné. La vraie psychologie doit se
délivrer de ces abstractions qui obscurcissent la vérité de la maladie
et aliènent la réalité du malade ; car, quand il s’agit de l’homme,
l’abstraction n’est pas simplement une erreur intellectuelle ; la vraie
psychologie doit se débarrasser de ce psychologisme, s’il est vrai
que, comme toute science de l’homme, elle doit avoir pour but de le
désaliéner. » (Ibid., p. 110)
61. Didier Éribon, Michel Foucault 1926-1984, op. cit., p. 48.
62. Georges Politzer, La Crise de la psychologie contemporaine,
Paris, Éditions sociales, 1947.
63. Entretien avec Gilles Barbedette et André Scala, « Le retour de
la morale » (in Michel Foucault, Dits et écrits, op. cit., t. 2, p. 703) :
« Heidegger a toujours été pour moi le philosophe essentiel. J’ai
commencé par lire Hegel [i. e. la traduction et le commentaire
d’Hyppolite] puis Marx [i. e. le Marx propre à la vulgate du PCF et
du « Cercle Politzer » d’Althusser], et je me suis mis à lire Heidegger
en 1951 ou 1952 (grâce à Hyppolite et Vuillemin) ; et en 1953 ou
1952, je ne me souviens plus, j’ai lu Nietzsche [...]. Tout mon devenir
philosophique a été déterminé par la lecture de Heidegger. Mais je
reconnais que c’est Nietzsche qui l’a emporté. [...] J’avais essayé
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