Vous êtes sur la page 1sur 3

RAAD Lina, 2015 « Investissement dans la vie locale des classes moyennes et appropriation de

l’espace en banlieue rouge parisienne », Urbanités.

Lina Raad est docteur en géographie et aménagement depuis 2014, et post-doctorante au sein du
Labex Futurs Urbains, dans le groupe de travail Justice, Espace, Discriminations, Inégalités. Ses
recherches portent essentiellement sur les transformations sociales, les quartiers populaires de la
banlieue parisienne et les dynamiques de gentrification.

L’article « Investissement dans la vie locale des classes moyennes et appropriation de l’espace en
banlieue rouge parisienne » de Lina Raad, paru dans Urbanités en 2015 traite de l'inscription locale
des classes moyennes en banlieue rouge parisienne, de leur appropriation de l’espace et de leur
investissement dans la vie locale, et illustre leur accaparement de ces espaces par des exemples.

La géographe, à partir des études menées, cherche à démontrer comment l’implication de ces classes
moyennes dans leur espace local leur permet de se l'arroger et en quoi cela leur y confère une
domination symbolique. Elle éclaire aussi les pdv de ces classes moyennes quant aux produits de leur
ancrage et à leur rapport à la mixité sociale, en les reliant à leurs trajectoires résidentielles et sociales.
Lina Raad a écrit cet article à partir d’une enquête de terrain réalisée dans les communes de Bagnolet
et de Saint-Denis (cf. carte) entre 2009 et 2014, d’entretiens avec des ménages de classes moyennes,
précisément 57, et de points de vue de chercheurs. Elle débute sa thèse par une recontextualisation
de la situation et des termes et aborde ensuite le rapport de ces classes moyennes à la domination
symbolique à laquelle elles aspirent par leurs investissements. Enfin, elle expose le rôle des politiques
locales par rapport à cela grâce à deux exemples locaux.

Tout d’abord, la banlieue rouge est une ceinture de municipalités autour de Paris dominées par la
présence du Parti communiste à partir de 1920, notamment dans la vie locale des formes de
sociabilité. Elle a longtemps été caractérisée par des politiques de redistribution sociale en faveur de
la classe ouvrière, en particulier dans l'habitat. Depuis 1970, cette banlieue rouge a été marquée par
de profondes transformation économiques et sociales qui ont déstabilisé le communisme municipal,
en raison de la désindustrialisat° et de la disparition de la classe ouvrière. Dans les années 1990,
certains des quartiers de la banlieue rouge ont donc connu une hausse de la pauvreté et d’autres une
gentrification en expansion, de par les politiques locales qui visaient à attirer des classes moyennes
tout en essayant de conserver la présence de classes populaires.

Ces classes moyennes se sont ainsi installées dans la banlieue rouge, dans les centres anciens de
Bagnolet et Saint-Denis, le quartier neuf de la Plaine Saint-Denis et le quartier des Coutures au sud de
Bagnolet. Elles ont pris activement part à la vie locale afin de s’approprier l’espace et d’asseoir une
certaine domination symbolique, participant à embellir l’image de la banlieue rouge et à la
redynamisation de sa vie locale, ce qui va dans le sens des objectifs des politiques de l’habitat.
L’article et l’expérience de l’autrice montrent également qu’elles sont très hétérogènes, disposent de
capitaux divers, entre autres culturels et sociaux, et occupent des professions telles que les
professions intermédiaires et celles du secteur public.

L’investissement des classes moyennes dans la vie locale des quartiers populaires : exprimer une
domination symbolique :
L’autrice décrit une intensité notable dans les différents investissements des classes moyennes,
comme leur présence dans des associations de parents d’élèves, dans leur copro, dans la démocratie
participative, et dans l’exercice d’un militantisme associatif et politique : des activités qui concernent
2/3 des ménages interrogés. Cet investissement est pratiqué avec plusieurs objectifs exposés ici
correspondant aux diverses activités : les classes moyennes cherchent à influencer les politiques
locales et à améliorer le territoire par la démocratie participative. Aider les populations démunies et
améliorer le cadre de vie fait de l’autre côté partie des objectifs de certains militants associatifs, les
militants politiques désirant plutôt s’immiscer dans la politique locale. Dans cette dynamique, le
militantisme des classes moyennes cherche parfois à encourager la gentrification de cette banlieue
qu’elles occupent. La démonstration de ces pratiques par l’autrice cherche à dévoiler le profit de
domination symbolique que ces classes moyennes en tirent. Grâce à ces activités, des relations
sociales dans le quartier sont développées, Lina Raad emploie l’exemple de Guy, un résident investi
qui a pu nouer des liens mais dont les propos trahissent en même temps une fausse mixité sociale et
la formation de communautés peu inclusives : « bobos militants blancs ». L’homogénéité sociale de
ces réseaux appuie la domination symbolique désirée par les classes moyennes. Dans l’article, le mot
« symbolique » est rattaché au rapport entre les agents sociaux , à leur volume de capital global et à
l’inégale répartition des capitaux dans les groupes sociaux, ce qui permet de différencier des
positions de dominé/dominant chez ces acteurs sociaux.

Le soutien des politiques locales dionysiennes aux stratégies d’appropriation de l’espace des classes
moyennes :
Par ailleurs, l’investissement des classes moyennes dépend des politiques locales des terrains, à
Bagnolet ces classes moyennes ont peu de possibilités pour s’investir à cause d’un manque
d’initiatives
et car la municipalité n’aide pas, contrairement à Saint-Denis où beaucoup de possibilités permettent
aux classes moyennes de s’impliquer et de s’octroyer les espaces publics, comme celles citées
précédemment, Lina Raad y constate ainsi un véritable soutien des politiques locales et démontre un
lien particulier entre la municipalité et la population : en quoi les classes moyennes sont les
interlocuteurs privilégiés de ces municipalités. L’autrice perçoit donc un accaparement de l’espace par
les classes moyennes mais aussi un lien crucial entre appropriation symbolique et matérielle, des
notions imbriquées car « l’occupation matérielle d’un espace permet de le marquer
symboliquement ».
De ce fait, des lieux avec un fonctionnement autonome et essentiels aux classes moyennes illustrent
cela à Saint-Denis : l’instauration d’un petit marché biologique et la création du 6B.

Le petit marché biologique de la place parmentier : l’appropriation de l’espace public par les classes
moyennes orchestrée par la municipalité :
L’implication des classes moyennes dans la démocratie participative locale, dans la démarche-
quartier (on en compte 14 à Saint-Denis), leur a permis la monopolisation de la Place Parmentier car,
en 2007, des plaintes de classes moyennes sont observées dans la démarche quartier de Porte de
Paris, à Saint-Denis, à cause de rassemblements de jeunes. Sa directrice favorise donc l’appropriation
de cette place par les résidents grâce à un groupe de travail et aida dans la communication à
l’intérieur de celui-ci ; l’article met ici en exergue cette association des deux. Parmi ces classes
moyennes, une résidente âgée, Michèle, s’est plainte et a joué un rôle central dans ce groupe de
travail visant à créer un petit marché biologique ; il prit place de septembre 2007 à janvier 2009 et
prit fin car son objectif était rempli : la réappropriation de la place, démontrant un esprit de
domination symbolique des classes moyennes par le matériel. Ce marché et ses activités
constituaient cependant un lieu ne rassemblant que les classes moyennes et excluant les jeunes, les
classes populaires, et les personnes issues d’immigration, cela montre l’appropriation sélective de
l’espace et le mal que les municipalités ont à inclure l’ensemble de la population dans la vie locale.
L’autrice s’appuie sur des chercheurs pour démontrer que ces rassemblements ne participent qu’à
l’accentuation des différences de relations de la municipalité avec la petite classe moyenne blanche
d’un côté et les autres populations de l’autre. Cela démontre donc la corrélation et l’harmonie entre
les objectifs des classes moyennes et ceux de la municipalité et prouve qu’une partie des classes
moyennes désire elle-même une sécession des autres populations, un « entre-soi ».

Le 6b : la création d’un lieu culturel par les classes moyennes :


Enfin, l’article présente le 6B, un grand lieu de création et de diffusion culturelle créé en 2009 et
devenu pérenne, installé dans un immeuble inoccupé part du projet Gare-Confluence. Il propose
plusieurs évènements, certains ayant rencontré un fort succès, comme la Fabrique à Rêves, et
accueille 170 résidents, des professionnels de la culture mais aussi des associations. Il a, selon Lina
Raad, fortement participé à l’amélioration de l’image de Saint-Denis et à sa gentrification. Malgré
l’objectif de développer des liens avec tous les habitants, il est dit que le 6B est essentiellement
fréquenté et géré par des classes moyennes avec un capital culturel élevé, qualifiés de « bobo » par
une résidente. Ce lieu leur donne la possibilité d’encore une fois exercer une domination symbolique
sur l’espace qu’ils s’approprient et révèle la présence d’une stratégie d’appropriation de leur part. Il
contribue à la transformation de l’image de Saint-Denis et la montre telle une ville populaire qui
accueille dorénavant des classes moyennes. Dans la même perspective, ce lieu est soutenu par la
communauté d’agglomération Plaine Commune qui le pense capable de rendre la ville plus attractive
et le considère représentatif de la culture. Le terme de « reconquête » est employé par rapport à
l’espace public, et l’autrice soulève les questions générées par cette formule ambiguë. L’une de ces
formes de « reconquête » s’illustre en effet par le fait que plusieurs enquêtés sont venus s’installer à
Saint-Denis après avoir travaillé ou fréquenté le 6B, cela dénote le rôle déterminant du 6B dans
l’ancrage et dans les choix résidentiels de certains habitants. En effet, l’article illustre encore ici dans
quelle mesure les classes moyennes procèdent à une appropriation du territoire, et ce avec l’aide de
la municipalité qui les favorise et les utilise pour « lutter » contre les « populations indésirables »
dans le cadre de la démocratie participative. Cela conduirait à une sorte de ségrégation socio-spatiale
et l’autrice, par ces exemples, expose en quoi les classes moyennes, de par leur appropriation et leur
modélisation du territoire à leur image, sont un moyen pour la municipalité dyonisienne de
redynamiser la vie locale tout en les favorisant aux classes populaires pour rendre le territoire plus
attractif.

Terrains d’enquête : Communes de Saint-Denis et de Bagnolet.


(Raad, 2015).

Vous aimerez peut-être aussi