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© Armand Colin, Paris, 1997

© Armand Colin, 2005, 2010


© Armand Colin, 2015 pour la présente édition

Internet : http://www.armand-colin.com

Armand Colin est une marque


de Dunod Éditeur, 5 rue Laromiguière, 75005 Paris

ISBN : 978-2-200-60259-8
Sommaire
Introduction

1| NOTIONS FONDAMENTALES
1. Le signe linguistique

2. Le mot et le morphème

3. Le lexique et la grammaire

4. Le lexique et ses usages

5. Le français fondamental et la statistique lexicale

6. Le lexique et l’univers

2| ÉTUDE DE LA FORME DES MOTS


1. La dérivation

2. La composition

3. L’abréviation et la siglaison

3| ÉTUDE DES RELATIONS LEXICALES


1. La synonymie

2. L’antonymie

3. L’hyperonymie et l’holonymie

4. L’homonymie et la paronymie
5. La polysémie

6. Le sens propre et le sens figuré

7. L’autonymie

4| ANALYSE DU SENS DES MOTS


1. L’analyse sémique

2. La sémantique du prototype

3. Les rapports entre le lexique et la syntaxe

4. La sémantique par rapport à la pragmatique

5| ÉVOLUTION DU LEXIQUE
1. Les couches diachroniques du lexique français

2. La néologie et le néologisme

3. Les néologismes formels et sémantiques

4. L’emprunt

5. L’évolution du sens des mots

6| LA LEXICOGRAPHIE
1. Les différents types de dictionnaires

2. La macrostructure du dictionnaire de langue

3. Le mot-entrée

4. La définition et l’exemple

5. Autres informations données dans l’article de dictionnaire

6. Présentation de quelques dictionnaires actuels


Exercices corrigés

Alphabet phonétique international

Bibliographie succincte

Glossaire des notions importantes

Table des encadrés

Index des principales notions utilisées


INTRODUCTION

La lexicologie, qui étudie les unités lexicales d’une langue, est une
science relativement récente. Ses méthodes sont l’objet de constantes
discussions et les résultats encore partiels. Dans un sens restreint, la
lexicologie est considérée comme une branche de la sémantique qui a pour
objet l’étude du sens des unités lexicales. Selon cette perspective, elle se
confond, en grande partie, avec la sémantique structurale. Dans un sens plus
large et plus généralement accepté, la lexicologie s’intéresse également à la
forme des unités lexicales et même aux relations qui existent entre le
lexique et la syntaxe. Menée dans une perspective historique, la lexicologie
étudie l’apparition de nouvelles unités lexicales et l’évolution du sens des
mots.
Le lexique est situé au carrefour des autres secteurs de la linguistique, la
phonologie et la morphologie pour la forme des mots, la sémantique pour
leur signification et la syntaxe pour leurs propriétés combinatoires. Le
lexique, au lieu de constituer un système au sens strict, forme un ensemble
ouvert et non autonome. C’est pour cela que l’on ne peut pas en donner une
description systématique ou simple, mais seulement des descriptions
complémentaires, selon le point de vue adopté.
Ce manuel, composé de six chapitres, s’adresse en priorité aux étudiants
de lettres du premier cycle et aux candidats aux concours de recrutement de
l’enseignement. Le premier chapitre met en lumière les notions
fondamentales utilisées en lexicologie et leur propose la terminologie la
plus généralement acceptée. Le deuxième chapitre est consacré à l’étude de
la forme des différents types de mots qui caractérisent le lexique de la
langue française. Les relations lexicales que les mots entretiennent entre
eux, ainsi que le sens propre et le sens figuré des mots sont abordés dans le
troisième chapitre. L’analyse sémantique des mots et l’étude des rapports
qui existent entre le lexique et la syntaxe sont présentées dans le quatrième
chapitre. Le cinquième chapitre porte sur l’évolution du lexique et le
sixième sur l’étude des dictionnaires.
À la fin du livre, un certain nombre d’exercices commentés permettent de
pratiquer la discipline de manière active et d’approfondir quelques points
particuliers. Bibliographie et références sont, dans cet ouvrage, très
succinctes. En effet, si celles-ci et des notes sont indispensables dans un
ouvrage de recherche, elles se révéleraient encombrantes dans ce manuel
qui a pour but de donner aux débutants une présentation accessible et
précise de la lexicologie actuelle.
Je tiens à remercier Joëlle Gardes Tamine pour ses remarques et conseils
constructifs.
CHAPITRE 1
NOTIONS FONDAMENTALES
1. Le signe linguistique
2. Le mot et le morphème
3. Le lexique et la grammaire
4. Le lexique et ses usages
5. Le français fondamental et la statistique lexicale
6. Le lexique et l’univers

Avant d’aborder l’étude morphologique et sémantique du lexique, il nous


semble indispensable de définir les notions fondamentales utilisées en
lexicologie. Il nous paraît également important de proposer notre
terminologie. En effet, les discussions suscitées entre linguistes par la
définition de ces notions ne vont pas sans une grande variété dans la
terminologie. Nous essaierons de définir aussi clairement que possible celle
que nous emploierons et, dans une perspective pédagogique, d’utiliser la
plus simple possible.
Au cours de ce chapitre, on mettra d’abord en lumière la nature du signe
linguistique dans l’univers des signes. On s’intéressera ensuite aux
différents types de mots qui constituent le lexique. On verra que parmi les
unités lexicales du français, il y a des mots simples et des mots construits
qui entretiennent des relations paradigmatiques et syntagmatiques avec
d’autres mots. On s’intéressera aussi aux différences qui existent entre le
lexique et la grammaire, ainsi qu’aux usages du lexique et à la notion de
variation. Le volet suivant s’attachera au français fondamental et à la
statistique lexicale. À la fin de cette partie consacrée à la présentation des
notions fondamentales, l’on examinera les rapports qui existent entre le
lexique et l’univers.

1. LE SIGNE LINGUISTIQUE

1.1. L’UNIVERS DES SIGNES

Le signe linguistique appartient à l’univers des signes. Il est important de


distinguer d’abord le signe linguistique des autres signes. Un signe, au sens
le plus large, désigne un élément X qui représente un autre élément Y ou lui
sert de substitut. Dans le vocabulaire technique de la sémiologie (= science
qui étudie tous les procédés ou systèmes de communication et de
signification), un signe est une entité composée de deux éléments
solidaires : une forme et un sens. La forme est un élément perceptible par
les organes sensoriels, par exemple un tracé que l’on peut voir, ou un son,
simple ou complexe, que l’on peut entendre. En fait, il existe de
nombreuses tentatives de classification des signes. Ici, on a choisi d’adopter
le classement qui propose les distinctions suivantes :
– 1) Certains signes sont produits sans volonté de communication et
d’autres impliquent une intention de communiquer. Cette distinction
permet déjà une première approche des signes. En effet, on peut opposer
l’indice au signal. À ce propos, on donne souvent l’exemple du ciel d’orage
(Georges Mounin, Clefs pour la linguistique, Paris, Seghers, 1987, p. 37) :
le ciel d’orage noir et menaçant n’a pas l’intention de communiquer avec le
météorologiste, mais il est cependant l’indice d’une pluie possible. La
fumée est l’indice du feu, les larmes l’indice de la douleur, les boutons sur
la peau l’indice de telle ou telle maladie, etc. L’indice peut être défini
comme un fait immédiatement perceptible qui fait connaître quelque chose
à propos d’un autre fait qui ne l’est pas.
Dans ces exemples, il y a un rapport physique ou d’appartenance entre
l’objet représentant et la chose ou l’idée représentée. Le ciel noir est
étroitement lié à la pluie. La fumée, les boutons et les larmes sont les
conséquences naturelles du feu, de la maladie et de la douleur : la fumée et
les boutons ne sont pas volontaires, les larmes ne sont jamais censées l’être.
Contrairement aux indices non intentionnels, il y a des signes qui
impliquent une volonté de communication. Dans ce cas, on parle de
signaux. On a vu que le ciel d’orage n’a pas l’intention d’annoncer le
mauvais temps, mais cet indice va conduire le responsable de la sécurité
d’une plage à hisser un drapeau rouge. Ce drapeau, qui indique que la
baignade est dangereuse, est donc un fait qui a été produit artificiellement
pour servir d’indice. Alors que la forme du drapeau s’offre immédiatement
à la vue, la signification (= le danger) associée à cette forme doit être
comprise, ce qui suppose un apprentissage préalable. Selon cette
perspective, la canne blanche est le signal de la cécité, la croix verte le
signal des pharmacies, le feu vert le signal du passage libre, le clin d’œil le
signal de la complicité, etc.
– 2) L’intention de communiquer permet donc de faire la différence entre
l’indice et le signal. L’observation des rapports qui existent entre l’objet
perçu et ce qu’il représente permet une deuxième distinction : celle entre le
symbole et le signe. Un Z sur un panneau routier annonce un virage, une
tête de cheval indique une boucherie chevaline, un dessin de cuiller et
fourchette entrecroisées un restaurant. Dans ces trois exemples, il y a un
rapport de ressemblance formelle entre la forme de l’objet représentant et
celui de l’objet représenté. Le Z, la tête de cheval et le dessin de cuiller et
fourchette entrecroisées sont des symboles. Le symbole est un signal qui
marque un rapport analogique, constant dans une culture donnée, avec
l’élément qu’il signifie.
Cependant, il convient de souligner que la plupart du temps il n’existe
aucun lien naturel entre la forme de l’objet représentant et celui de l’objet
représenté. Il n’y a pas de rapport d’analogie entre un drapeau rouge et une
baignade dangereuse, ou entre une canne blanche et la cécité, ou encore
entre une croix verte et la pharmacie. Le drapeau rouge, la canne blanche et
la croix verte sont donc des signes. Il n’y a pas, non plus, de lien d’analogie
entre le signe linguistique cheval [ʃ(ə)val], par exemple, et l’animal désigné
par ce signe. Les indices relèvent des sciences d’observation, et les signes
non linguistiques et les symboles, de la sémiologie. Pour schématiser et
clarifier ces notions, on peut présenter le tableau suivant :
(Source : in Christian Baylon et Paul Fabre, Initiation à la
linguistique, Paris, Nathan, 1990, p. 5.)

Le signe linguistique est un signe particulier dans cet univers des signes,
car le langage humain est un langage incomparablement plus riche, plus
souple et plus efficace que n’importe quel autre langage. Comme tout
système signifiant utilisé à des fins communicatives, les langues sont
organisées sur deux plans :
– celui des formes (ou signifiants)
– et celui des contenus (ou signifiés).
On vient de constater que parallèlement au langage des hommes, il existe
de nombreux autres systèmes de communication non linguistiques. Les
systèmes de symboles ou les systèmes de signes arbitraires en font partie.
La carte routière est un bon exemple des systèmes de symboles : chaque
élément a sa représentation symbolique, les petits avions symbolisent des
aérodromes, les petites touffes d’herbe des marais, les croix des cimetières,
etc. Le code de la route, dans lequel les panneaux circulaires signifient une
injonction, les panneaux rectangulaires une information, les panneaux
triangulaires un danger, et ainsi de suite, forme également un système de
communication non linguistique. En effet, la notion de système implique la
présence de signes stables d’un message à l’autre qui se définissent
fonctionnellement par leur opposition les uns aux autres.
Les langues naturelles se différencient de la plupart des autres systèmes
par la propriété d’être doublement articulées. Chaque langue naturelle
possède un petit nombre de phonèmes (= une unité de la chaîne parlée qui a
une fonction différentielle, mais qui n’a pas de signification).
Phonétiquement, le français possède 19 consonnes (auxquelles viennent
s’ajouter deux consonnes dues à des mots empruntés à l’anglais et à
l’espagnol), 3 semi-consonnes et 16 voyelles. Avec ces 38 unités sonores
(cf. alphabet phonétique international, p. 209), on peut construire une
infinité d’unités lexicales et morphologiques.
Ce type de combinaison s’appelle donc la « double articulation du
langage ». On considère que les unités signifiantes constituent la première
articulation, parce que c’est la couche du langage que l’on appréhende en
premier. C’est elle qui véhicule le sens. Ainsi la suite phonique ou
graphique : Un enfant joue dans le jardin se découpe en six de ces unités :
un, enfant, joue, dans, le et jardin. Ces unités de première articulation sont
généralement appelées morphèmes (= la plus petite unité ayant une
signification dans la langue) pour les distinguer des mots, qui sont souvent
constitués d’un seul morphème (ex. : enfant, jardin, masque, juste), mais
qui peuvent aussi être formés de deux ou de plusieurs morphèmes (enfant-
in, jardin-age, dé-masqu-er, in-juste-ment et anti-constitution(n)-elle-ment).
À un second niveau, les morphèmes s’articulent en segments distinctifs
minimaux appelés « phonèmes ». Dépourvues en elles-mêmes de
signification, ces unités de deuxième articulation ont pour unique fonction
de distinguer entre elles les unités signifiantes de première articulation. Le
mot raison [ʀɛzɔ̃], par exemple, est une combinaison de quatre phonèmes
qui, comme telle, distingue ce mot des autres mots français : cette unité
lexicale s’oppose en tous points à celle qui articule le mot jardin, mais ne se
distingue que par son premier élément, r [ʀ], de celle qui articule le mot
saison [sɛzɔ̃]. Toutes les langues naturelles sont orales avant d’être écrites,
beaucoup de langues ne possèdent pas de forme écrite. Les alphabets dans
les écritures alphabétiques font correspondre, bien que d’une manière
souvent approximative, un nombre à peu près équivalent de lettres. Tous les
énoncés d’une langue ayant adopté ce type d’écriture peuvent donc être
retranscrits à l’aide d’un petit nombre de lettres. La langue française
possède vingt-six lettres, quelques accents et quelques signes de
ponctuation.
La double articulation donne au langage humain la créativité qui lui est
propre, cette capacité d’exprimer par des combinaisons perpétuellement
nouvelles des pensées constamment nouvelles.

1.2. LA NATURE DU SIGNE LINGUISTIQUE

On peut dire, en s’appuyant en partie sur des idées de Ferdinand de


Saussure (Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 1972), que le signe
linguistique se caractérise par les traits suivants :
– a) Il est formé par l’association d’une « image acoustique », appelée
« signifiant » et d’un concept ou « image mentale », appelé « signifié ».
Ces deux faces du signe linguistique sont indissociables, puisque quand on
prononce les sons [ʃ(ə)val], on évoque aussitôt le concept « cheval » et,
inversement, ce concept ne peut exister indépendamment du matériel
phonique. Ces deux faces sont donc solidaires comme le sont le recto et le
verso d’une feuille de papier. Le signe linguistique réfère à un objet du
monde, appelé « référent ».

On doit prendre garde à ne pas confondre le référent et le signifié. Le


référent est un fragment de réalité et le signifié est une représentation de
cette réalité. Le signifié est donc une abstraction, une espèce de réalité
psychologique. Il est plus pauvre et mieux organisé que la réalité. Il
simplifie la complexité du réel et met en évidence l’essentiel en donnant un
premier classement des éléments du monde. Par exemple, le signifié du
signe cheval ne tient pas compte de la diversité des chevaux qui existent,
mais ne retient que ce qui est commun à tous (crinière, sabots, queue…).
– b) Le lien entre signifiant et signifié est arbitraire : il n’existe aucun
rapport interne entre le concept, celui de « cheval » par exemple, et la suite
de sons qui le représente : [ʃ] + [(ə)] + [v] + [a] + [l]. On en veut pour
preuve la variété des dénominations de langue à langue pour une même
réalité signifiée : français cheval, anglais horse, finnois hevonen, suédois
häst. Chaque langue a sa propre façon de nommer le réel.
– c) Le rapport constitutif du signe linguistique peut être considéré
comme conventionnel, puisqu’une fois établi, il s’impose aux usagers qui
sont obligés d’accepter tels quels les signes en usage dans leur
communauté. Toute infraction à la règle admise est sanctionnée
socialement.
– d) Le signe linguistique donne la possibilité de parler d’objets ou de
choses absents ou imaginaires. Quand on parle de chats, de démons ou de
fées, on n’a pas besoin de les voir. On peut même n’en avoir jamais vu.
– e) Le signe linguistique est typiquement humain. Le pouvoir
d’abstraction du signe linguistique fait partie des propriétés qui distinguent
le langage humain du langage des animaux. D’après certains chercheurs, le
gorille possède 22 cris différents, mais chacun d’eux est étroitement associé
à une situation particulière. Aucun animal n’est capable de raconter ou
d’évoquer un événement du passé, ou encore d’exprimer par la voix des
sentiments différents en l’absence du stimulus qui aurait pu les provoquer.
La double articulation permet aussi de distinguer la communication
linguistique humaine et la communication non linguistique animale. Chez
certains animaux, on rencontre un système de combinatoire qui peut
présenter quelques ressemblances avec la double articulation humaine. Un
oiseau qui possède 5 notes de musique peut former, par exemple, 10
messages différents. Mais là s’arrête le processus. Cet oiseau ne composera
jamais un 11e message.
– f) Les signes linguistiques sont la plupart du temps arbitraires (ou non
naturels) puisque l’implication réciproque entre leurs deux faces n’est pas
fondée sur une correspondance naturelle entre la forme du signifiant et les
traits définitoires du signifié. D’une langue à l’autre, la même réalité
notionnelle est souvent exprimée par des formes lexicales totalement
différentes.
Cependant, dans chaque langue, malgré le grand nombre de signes
arbitraires, on rencontre des signes qui entretiennent avec la réalité des
relations moins arbitraires. Dans ce cas, on a affaire à des signes motivés.
Un exemple de motivation du signe linguistique est offert par les
onomatopées qui constituent une frange très marginale du lexique : coucou,
cocorico, meuh imitent respectivement le chant d’un oiseau, du coq et le
meuglement d’une vache. Crac, boum, patatras, tic tac, froufrou, piqueter,
miauler, picoter, murmurer, chuchoter, ronronner, etc. reproduisent des
bruits.
On peut pourtant constater que ces productions imitatives apparaissent
elles-mêmes fortement conventionnalisées. Si la langue française a cocorico
pour imiter le chant du coq, l’anglais a cock-a-doodle-do, l’italien
chichirichi ([kiki-riki]), le japonais kokekokko, le hollandais kukeleku et le
finnois kukkokiekuu. Cela montre que chaque langue interprète le réel selon
ses propres habitudes phonologiques. Le signe linguistique, même motivé,
reste donc conventionnel à l’intérieur d’une même communauté. Les
onomatopées sont rarement compréhensibles aux membres d’une autre
collectivité linguistique.
La motivation du signe linguistique s’observe aussi dans les formes
complexes ou construites. Les signes du lexique français peuvent parfois
apparaître motivés du point de vue morphologique : le pommier est l’arbre
dont le fruit est la pomme, l’abricotier produit des abricots, le cerisier des
cerises, le citronnier des citrons, le châtaignier des châtaignes, etc. De
même, l’ourson est le petit de l’ours et le chaton le petit du chat. Dans ces
exemples, la motivation résulte de l’emploi des procédés de dérivation. Les
mots dérivés, contrairement à leurs bases totalement arbitraires, sont
relativement motivés. Pommier a été formé à partir de pomme à l’aide du
suffixe -ier. Abricotier, cerisier, citronnier, châtaignier, ainsi qu’un grand
nombre d’autres noms d’arbres fruitiers ont été créés de la même façon. Un
signe à motivation relative est donc nécessairement complexe.
La motivation relative se rencontre aussi dans les mots composés
combinant des signes élémentaires immotivés. Contrairement à cent, la
forme composée quatre-vingt-dix-neuf s’interprète analytiquement comme
le résultat de la multiplication de vingt par quatre auquel s’additionne la
somme de dix et de neuf.
La poésie exploite les rapports qui existent entre le niveau phonique et le
niveau sémantique du langage. Autrement dit, elle cherche à mettre les
récurrences phoniques non signifiantes en relation avec le sens et ainsi à
rendre le lien qui existe entre le signifiant et le signifié du signe linguistique
moins arbitraire, plus naturel. Tout le monde sait que les poètes favorisent
les onomatopées, les créations lexicales, les changements de sens, etc.
– g) Qu’il s’agisse de leur structure interne ou de leurs combinaisons, les
signes linguistiques sont linéaires. Ce caractère linéaire du signe est dû à la
nature orale du langage. Il est tout à fait impossible de prononcer
simultanément deux sons, deux syllabes ou deux mots. La manifestation
orale du langage se déroule donc dans le temps. Cette linéarité se répercute
sur la transcription alphabétique qui se déroule dans l’espace : on ne peut
pas écrire les unes sur les autres les différentes unités graphiques de la
langue. Les lettres et les mots se succèdent sur la dimension de la ligne.
Le langage exploite doublement cette dimension unique. D’une part,
quand on emploie les trois phonèmes /p/, /a/ et /l/, leur ordre dans /pal/ «
pal », /alp/ « alpe » et /pla/ « plat » est extrêmement important pour la
signification du message. D’autre part, quand on dit : Pierre bat Paul, cela
ne veut pas dire la même chose que Paul bat Pierre. Cette caractéristique
différencie les langues naturelles humaines de tous les systèmes de
communication qui construisent leurs messages sur la trame de l’espace et
non sur celle du temps.

1.3. LE SIGNE LINGUISTIQUE ET LE RÉFÉRENT

Le signe linguistique est souvent présenté sous forme d’un triangle.


Les signes linguistiques ont la propriété de pouvoir renvoyer aux objets
du monde, extérieurs à la langue ; ces objets sont des référents qui peuvent
être des entités matérielles ou conceptuelles (objets, êtres, processus, lieux,
événements, etc.). Ils relèvent de l’univers extralinguistique réel ou fictif
(par exemple, la licorne ou le dragon). Il est important de souligner que le
processus référentiel de mise en relation d’unités linguistiques et d’unités
extralinguistiques n’est pas unitaire. Selon Catherine Kerbrat-Orecchioni
(L’Énonciation de la subjectivité dans le langage, Paris, A. Colin, coll.
« Linguistique », 1997, p. 35), on peut faire la différence entre une
référence absolue, une référence relative au contexte linguistique et une
référence relative à une situation d’énonciation.
Dans le cas de la référence absolue, l’opération de référenciation se
caractérise par son autonomie. Cela veut dire que le repérage du référent
dépend uniquement des informations contenues dans l’expression
référentielle. Par exemple, la construction référentielle de l’énoncé la rose
est une fleur, ne dépend que de la connaissance des mots et des savoirs
extralinguistiques des interlocuteurs.
Dans le cas de la référence relative, les expressions référentielles ne
disposent pas d’un contenu descriptif suffisant pour permettre un acte de
référenciation autonome. La référence doit se réaliser grâce à des
informations différentes de celles qui sont disponibles dans les unités
linguistiques. Si les données convoquées font partie de l’environnement
linguistque de l’unité référentielle, la référence est dite « relative au
contexte linguistique » ou « anaphorique ». Par exemple, dans l’énoncé
Marine est une fille intelligente, mais elle ne travaille pas assez,
l’interprétation référentielle du pronom elle dépend de la prise en compte
d’un élément du contexte linguistique, le nom propre Marine. Cette
procédure référentielle anaphorique est indirecte dans la mesure où elle
effectue un détour par le contexte linguistique pour désigner le référent visé.
Si les données convoquées coïncident avec l’un des éléments constitutifs
de la situation d’énonciation, la référence est « relative à la situation
d’énonciation » ou « déictique ». Par exemple, si l’on dit Est-ce que tu
aimes ça ?, l’objet désigné par le pronom démonstratif ça est repérable dans
la situation de communication. Cette procédure référentielle est directe, elle
n’est pas médiatisée par une autre forme linguistique présente dans
l’énoncé.

1.4. LES RELATIONS SYNTAGMATIQUES


ET PARADIGMATIQUES

Les mots entretiennent entre eux deux types de relations fondamentales :


les relations syntagmatiques qui s’observent entre les termes d’une même
construction et les relations paradigmatiques qu’on peut établir entre une
unité et toutes celles qui pourraient la remplacer dans un environnement
donné.
Ainsi dans la phrase : La petite fille joue avec son chat, l’adjectif petite
est en relation syntagmatique avec l’article défini la qui le précède et avec
le substantif fille qui le suit. Ce groupe nominal est en relation
syntagmatique avec le verbe joue, et ainsi de suite. Les relations
syntagmatiques affectent donc des éléments qui sont présents dans l’énoncé.
On leur donne souvent le nom de relations in praesentia (lat. : « en
présence »).
Dans la même phrase, l’article défini la est en relation paradigmatique
avec d’autres déterminants : cette, ma, une, notre, etc. ; l’adjectif petite avec
d’autres adjectifs tels que grande, jolie, etc. ; le substantif fille avec des
substantifs comme voisine, cousine, dame, etc. ; le verbe joue avec d’autres
verbes tels que court, danse, etc. Les éléments en relation paradigmatique
sont mutuellement substituables dans un environnement donné, s’y excluent
les uns les autres et forment ensemble un paradigme. Les déterminants la,
cette, ma, une, notre, etc. font partie du même paradigme, tout comme les
adjectifs petite, grande, jolie, etc. Le paradigme est défini comme un
ensemble d’unités virtuellement substituables dans un contexte donné. Les
relations paradigmatiques existent entre des termes qui ne sont pas présents
dans l’énoncé. On les appelle souvent relations in absentia (lat. : « en
absence »). Elles s’opposent par là aux relations syntagmatiques.

2. LE MOT ET LE MORPHÈME

2.1. LE MOT

Le lexique désigne conventionnellement l’ensemble des mots au moyen


desquels les membres d’une communauté linguistique communiquent entre
eux. Cette définition du lexique oblige à donner une définition précise de
l’unité lexicale, du mot en tant qu’élément de base de l’ensemble. La
notion traditionnelle de mot est l’une de celles qui ont tendance à solliciter
le plus constamment l’attention des linguistes. Cette notion, qui semble être
familière et évidente pour le grand public, constitue pour le linguiste une
source de difficultés théoriques considérable. Dans une langue telle que le
français, on arrive à donner une définition simple et rigoureuse du mot
uniquement au niveau de la manifestation graphique, où le mot est un
groupement de lettres, séparé, à gauche et à droite, par un blanc des autres
éléments du texte. Mais on constate très vite que ces segments ne
correspondent pas à une réalité linguistique bien déterminée. Les blancs du
texte ne s’harmonisent que rarement avec les limites du code oral. On peut
malgré tout chercher à mettre en lumière les critères phoniques qui aident
à identifier et à délimiter les unités lexicales dans la chaîne parlée.

2.1.1. POINT DE VUE PHONIQUE

L’accent, les contraintes phonologiques et le coup de glotte démarcatif


peuvent contribuer à l’identification des unités lexicales du point de vue
sonore. Dans un grand nombre de langues, l’accent joue un rôle démarcatif
important. C’est le cas des langues à accent lexical. Dans certaines langues
(ex. : tchèque, finnois, hongrois), l’accent tombe sur la première syllabe du
mot ; dans d’autres, il peut occuper diverses places, mais toujours la même
pour un mot donné (ex. : anglais, italien, russe). Le français est une langue à
accent syntaxique. Si le mot est isolé, l’accent se place toujours sur la
dernière voyelle du mot à l’exception du e caduc. Mais le mot ne fonctionne
que rarement seul : la plupart du temps, il est inséré à l’intérieur d’un
syntagme, d’un groupe et dans ce cas, l’unité d’accentuation est beaucoup
moins le mot que le syntagme.

maisón
une maison rouģe

En outre, en français, en dehors de cet accent dit « interne », non


emphatique, qui est purement linguistique, il existe un accent dit « externe »
ou emphatique qui est lié à des facteurs expressifs et intellectuels. En effet,
l’accent peut être déplacé sous l’effet d’une volonté d’expressivité : l’accent
du mot formidable !, qui frappe normalement la voyelle /a/ de la dernière
syllabe peut très bien passer sur le /o/ initial. En français, le rôle démarcatif
de l’accent dans l’identification des mots est donc très faible.
Les contraintes phonologiques peuvent également aider l’auditeur à
identifier et à délimiter les unités lexicales dans la chaîne sonore. Il y a des
phonèmes et des groupes de phonèmes qui sont possibles à toutes les places
du mot. Dans ce cas, leur valeur démarcative est nulle. En revanche,
certains phonèmes ou combinaisons de phonèmes sont impossibles à telle
ou telle place du mot et peuvent ainsi donner des indications sur les limites
initiales ou finales de l’unité lexicale. Alors que la présence d’un /ø/ ,
possible à toutes les places (ex. heureux, heureusement : [øʀø], [øʀøzmɑ̃ ])
n’enseigne rien, celle d’un /œ/, impossible à la finale absolue, signale qu’on
n’est pas arrivé à la fin d’un mot (cf. Jacqueline Picoche, Précis de
lexicologie française, Paris, Nathan, 1992, p. 14).
Il est intéressant de noter que le mot français isolé peut commencer par
n’importe quelle consonne. Toutefois, les mots commençant par les semi-
consonnes [j, w, ɥ], ainsi que ceux qui ont pour initiale un h dit « aspiré »
sont très rares :

ouaille, ouate, ouest, ouïe, ouistiti, etc.


hachis, haïr, haine, hardiesse, etc.
Ce que l’on appelle aujourd’hui un h aspiré en français, n’est en fait ni
un [h], ni aspiré. Il s’agit d’un phénomène d’absence de liaison (les hachis :
on ne dit pas [lezaʃi]*, mais [le’aʃi]) et d’absence d’élision (on ne dit pas
l’hachis* [laʃi], mais le hachis [lə’aʃi]). Le h dit « muet » permet l’élision
et la liaison, comme dans l’homme [lɔm] et les hommes [lezɔm].
Les trois consonnes nasales [m], [n] et [ɲ] peuvent toutes apparaître à
l’intermédiaire : hameau, anneau, agneau, [amo], [ano], [aɲo] et à la finale
des mots : came, canne, khâgne [kam], [kan], [kaɲ]. Mais, à l’initiale, alors
que les mots commençant par [m] ou [n] sont très nombreux, les mots
commençant par [ɲ], comme gnocchi [ɲɔki], gnôle [ɲol] ou gnognote
[ɲɔɲɔt], se comptent sur les doigts d’une main. En revanche, le h aspiré ne
s’entend jamais dans une autre position qu’au début du mot. D’une façon
générale, les consonnes (occlusives et constrictives) ont du mal à se
maintenir à la finale du mot en français : par exemple, la consonne qui
apparaît dans la flexion [simɑ̃ t+e] (cimenter) ou tombe quand le radical est
nu [simɑ̃ ] (ciment).
Certaines langues (ex. l’allemand) connaissent le coup de glotte
démarcatif qui a pour but de signaler la frontière des mots composant un
syntagme. Ce phénomène est très rare en français (le un, le onze, le harnais,
un haricot : [lə’œ̃], [lə’ɔ̃z], [lə’aʀnɛ], [œ̃’aʀiko]) qui a tendance à favoriser
toutes sortes de liaisons et d’élisions.
Si l’on essaie de trouver des critères phoniques de délimitation du mot,
on risque d’être déçu. Les blancs du texte écrit ne correspondent que
rarement aux limites du code oral. On vient de constater qu’en français le
rôle démarcatif de l’accent dans l’identification des mots est très faible par
rapport aux accents des langues à accent lexical. Les locuteurs peuvent
souvent faire entendre des accents ou effectuer des pauses en des points
différents d’une même séquence sonore. On a également vu que les
contraintes phonologiques ne peuvent aider l’auditeur que partiellement et
que les liaisons et les élisions de toutes sortes ont tendance à contribuer à
effacer les frontières entre les différents mots composant un syntagme.
Les critères sonores ne permettent donc pas aux linguistes d’appréhender
le fonctionnement réel de l’élément mot. En effet, les traits démarcatifs
phoniques ne semblent jouer, dans le découpage en mots de la chaîne
parlée, qu’un rôle secondaire, les critères principaux étant d’ordre
syntaxique et sémantique.

2.1.2. POINT DE VUE SYNTACTICO-SÉMANTIQUE

Dans les paragraphes suivants, on cherchera à mettre en relief les critères


qui aident à identifier et à délimiter les unités lexicales dans la chaîne parlée
en se plaçant sur le plan syntactico-sémantique.
Les unités lexicales sont inscrites comme unités dans le code de la
mémoire du sujet parlant qui doit les reproduire telles quelles, en bloc, dans
le discours. Le locuteur n’a pas la liberté de changer, à sens égal, l’ordre des
éléments dans ces unités (maisonnette, *ettemaison, pomme de terre, *de
terre pomme), ni de les séparer par des insertions (*pomme jaune de terre).
En effet, sur le plan syntaxique on peut isoler des unités de
fonctionnement en utilisant divers critères dont les principaux sont les
procédés d’inséparabilité et de commutation. Ces manipulations ont pour
but de segmenter les unités de la chaîne parlée et de les analyser (cf. Joëlle
Gardes, La Grammaire. Méthodes et notions, « Cursus », Paris, Armand
Colin, 2012).
Le critère d’inséparabilité, c’est-à-dire l’impossibilité d’insérer un
élément quelconque à l’intérieur d’une unité lexicale, fonctionne bien
évidemment pour les unités morphologiquement et graphiquement simples
telles que fille, maison, ministre, moustique, ainsi que pour les unités
morphologiquement composées, mais graphiquement simples, telles que
im-perturb-able, ir-récupér-able, em-poisonn-eur ; mais son rôle essentiel
est de tester le caractère lexical d’unités graphiquement complexes telles
que pomme de terre ou assistante sociale. Il est tout à fait impossible de
dire *pomme jaune de terre ou *assistante très sociale. Cela prouve que le
degré de cohésion des unités lexicales est très fort.
La commutation est une opération linguistique qui permet de remplacer
un élément par un autre :

La pomme de terre est un légume qui contient des vitamines.


Le navet --
La carotte --
Le chemin de fer a coûté cher à l’État.
La route --
L’assistante sociale s’occupe bien des enfants maltraités.
L’infirmière --
Le médecin --

Le critère de commutation, qui permet de mettre en évidence des classes


d’équivalences (pomme de terre, navet, carotte), confirme ce que révèle le
critère d’inséparabilité : lorsqu’une unité complexe est lexicalisée (pomme
de terre, assistante sociale, chemin de fer), c’est-à-dire sentie comme un
mot, elle joue exactement le même rôle qu’une unité simple (navet,
carotte ; route ; infirmière, médecin).
Il faut signaler qu’à l’aide de ces procédures, on peut isoler des unités
lexicales très diverses dans la chaîne parlée. La notion de mot regroupe
donc des éléments différents que la langue fournit au locuteur pour
construire des énoncés :

la, son, notre, puis…


fille, maison, garçon, moustique, ministre, table, chaise, timide…
fillette, maisonnette, anticonstitutionnellement, inséparable, timidité, intimidé…
donnerons, chantera, dansais, courir…
bouilleur de cru, chemin de fer, pomme de terre, machine à coudre…
qu’en dira-t-on, à pas de loup, au fur et à mesure…

Toutes ces unités sont en quelque sorte des unités préfabriquées, stockées
dans la mémoire lexicale du sujet parlant qui les combine pour former des
phrases selon les besoins de la communication. Le mot est donc avant tout
une structure phonique et graphique stable, que l’on apprend à reconnaître
et à reproduire.

2.2. LES MOTS SIMPLES ET LES MOTS CONSTRUITS

La morphologie (du grac morphê « aspect, forme ») est la discipline


linguistique qui étudie les morphèmes (les plus petites unités de
signification de la langue). Le mot, c’est-à-dire la plus petite forme
linguistique ayant une autonomie, peut contenir un ou plusieurs
morphèmes.

2.2.1. LES MOTS SIMPLES

Quand le mot est formé d’un seul morphème, il s’agit, d’après une
terminologie assez courante, d’un mot simple ou (mot
monomorphématique) :

fille, maison, ministre, moustique, timide, garçon, femme…

Le morphème est défini comme la plus petite unité de signification de la


langue. Par exemple, fille [fij] est un morphème qui est segmentable en
phonèmes /f/-/i/-/j/, unités qui de par leur combinaison contribuent à la
signification mais ne sont pas, en elles-mêmes, porteuses d’un sens. Il est
important de noter qu’un mot monomorphématique peut comporter une ou
plusieurs syllabes :

fille [fij], femme [fam]


timide [ti-mid], moustique [mus-tik], garçon [gaʀ-sɔ̃]

Il y a des morphèmes qui ne contiennent qu’un seul phonème. C’est le


cas, par exemple, de la préposition à [a], du pronom y [i] ou de l’article
élidé l’[l], mais, puisque ces unités ont un sens, elles ont un statut différent
du phonème.
On constate que le mot-morphème est une unité à cheval sur deux
niveaux de codification et c’est pour cela qu’il est une source permanente
de confusion. Le morphème constitue bien une unité linguistique, parce
qu’il existe des procédures pour l’isoler. Mais il n’en va pas de même du
mot, qui peut être défini comme la forme linguistique la plus petite qui ait
une autonomie. Le phonème, en effet, n’en a aucune et il en va de même de
bon nombre de morphèmes qui ne se rencontrent jamais à l’état libre et ont
besoin d’entrer en combinaison avec un autre morphème : ainsi en est-il du
morphème -eur que l’on trouve dans coiffeur, du morphème re- que l’on
trouve dans refaire, etc. Un morphème autonome acquiert donc le statut de
mot, de même qu’un phonème qui présente un sens constitue un morphème.

2.2.2. LES MOTS DÉRIVÉS ET LES MOTS FLÉCHIS

Une très grande partie des mots (environ 75 %) du lexique de la langue


française sont composés de deux ou de plusieurs morphèmes. Dans ce cas,
on a souvent affaire à des mots dérivés (type danseur) et à des mots fléchis
(type danserons). La commutation est une opération linguistique qui
permet de segmenter les mots en morphèmes. Danseur, par exemple,
s’analyse en deux morphèmes [dɑ̃ s] - [œʀ], danserons s’analyse en [dɑ̃ s] -
[(ə)ʀ] - [ɔ̃], chacun des segments ainsi dégagés étant porteur d’un sens. La
condition nécessaire, en effet, pour qu’une partie de mot puisse constituer
un morphème est qu’elle puisse être remplacée par un autre élément, donc
commuter avec lui :

dans [dɑ̃ s] -eur [œʀ]


-euse [øz]
-er [e]
etc.

La commutation doit obligatoirement être pratiquée sur les deux parties


du mot :

dans- [dɑ̃ s] -eur [œʀ]


march- [maʀʃ]
chant- [ʃɑ̃ t]
camp- [kɑ̃ p]
etc.

Il est donc nécessaire que les éléments ainsi isolés présentent un sens. Le
morphème -eur dans danseur, chanteur, marcheur, campeur, etc. désigne
l’agent de l’action, celui qui danse, chante, marche, etc. Si une forme se
trouve associée à des sens très différents, on posera des morphèmes
différents. Dans blancheur, fraîcheur, grandeur, largeur, etc., la
commutation permet également d’isoler une forme -eur, mais ce morphème,
au lieu de signifier l’agent de l’action, désigne la qualité de ce qui est blanc,
frais, grand, etc. On est donc en présence de deux morphèmes homonymes
(= deux formes de prononciation identique, mais de sens différent).

• Les différents types de morphèmes

La commutation aide à diviser les morphèmes en deux grandes classes :


– 1) les morphèmes lexicaux ou lexèmes ;
– 2) les morphèmes grammaticaux ou grammèmes.
Les morphèmes lexicaux permettent au mot d’avoir une autonomie
sémantique, tandis que les morphèmes grammaticaux insèrent le mot dans
des séries et indiquent souvent ses relations avec d’autres éléments de la
phrase. Ainsi, dans le mot dérivé danseur, dans- est un morphème lexical
qui permet de distinguer le mot des autres mots de la même série : chanteur,
marcheur, voleur, campeur, etc., tandis que -eur est un morphème
grammatical qui indique l’agent de l’action. Le mot fléchi danserons se
décompose en dans- [dɑ̃ s], morphème lexical exprimant l’idée de
« danser », -er- [(ə)ʀ], morphème grammatical exprimant l’idée du futur, et
– ons [ɔ̃], autre morphème grammatical, exprimant l’idée de la première
personne du pluriel.
Ces deux types d’unités se distinguent par les faits suivants : les
morphèmes lexicaux sont extrêmement nombreux et leur liste est ouverte
dans la mesure où elle accueille régulièrement de nouvelles unités. En ce
qui concerne les morphèmes grammaticaux, ils sont en nombre restreint et
leur liste est fermée. On arrive à les répertorier.

• Les morphèmes grammaticaux

Les morphèmes grammaticaux jouent un rôle décisif dans l’organisation


grammaticale de la phrase, qu’il s’agisse des marques morphosyntaxiques
(nombre, genre, personne, temps et mode) ou des mots-outils qui marquent
les relations entre mots et groupes de mots dans la structure phrastique
(prépositions et conjonctions) ou qui assurent l’actualisation d’une autre
partie du discours (les déterminants). Les morphèmes grammaticaux servent
à transmettre des notions générales souvent axées sur la situation
d’énonciation, contrairement aux morphèmes lexicaux qui véhiculent des
concepts ayant leur spécificité propre.
Il est important de signaler que parmi les morphèmes grammaticaux, on
distingue les morphèmes liés ou affixes (-eur, -ité, -er, -ons), qui ne
peuvent apparaître que dans le cadre de l’unité mot, et les morphèmes non
liés, comme le (article ou pronom), il (pronom de 3e personne), etc.,
auxquels on accorde généralement le statut de mot.

• Les affixes dérivationnels et les affixes flexionnels

Parmi les morphèmes grammaticaux liés ou affixes, on peut distinguer, à


leur tour deux types de morphèmes : les affixes dérivationnels (-eur, -ité)
et les affixes flexionnels (-ons, -ez, -er-…). Les affixes dérivationnels ont
essentiellement une fonction sémantique. Ils servent à créer une nouvelle
unité lexicale à partir d’un mot déjà existant :

chant (er) (verbe) → chant-eur (nom)


passif, -ive (adjectif) → passiv-ité (nom)
légal (adjectif) → il-légal (adjectif)
loyal (adjectif) → dé-loyal (adjectif)

Les affixes qui se placent devant la base sont appelés « préfixes » (il-
légal, dé-loyal), et les affixes qui se trouvent après la base se nomment
« suffixes » (chant-eur, passiv-ité).
Les affixes flexionnels ne créent jamais de nouvelles unités lexicales. Au
contraire, ils indiquent les rapports que la base entretient avec l’énoncé où
elle est employée : par exemple, le morphème de nombre dans un adjectif
indique avec quel substantif cet adjectif est lié : petits enfants. La
morphologie flexionnelle comprend la flexion nominale, c’est-à-dire la
variation de forme (le genre et le nombre) du substantif et de l’adjectif :

cheval, chevaux
chat, chatte
chien, chienne
grand, grande
petit, petite
gros, grosse

et la flexion verbale qui s’occupe des marques des temps, des personnes
et des modes des verbes :

chant-er-ons (-er- : futur, -ons : 1re personne du pluriel)


chant-i-ez (-i- : imparfait, -ez : 2e personne du pluriel)

Un affixe flexionnel ne modifie jamais la catégorie grammaticale de la


base à laquelle il s’adjoint. Si la base est un verbe, l’élément obtenu après
l’adjonction du suffixe reste un verbe. Au contraire, un affixe dérivationnel
peut changer la catégorie de sa base, même si cela ne se produit pas dans
tous les cas.
En ce qui concerne la régularité, on peut constater qu’un affixe flexionnel
entre dans une série close, comme celle des terminaisons verbales, et qu’il
se combine avec toutes les bases d’un même type : toutes les bases verbales
se combinent avec les affixes de la conjugaison. Au contraire, l’adjonction
d’un affixe dérivationnel est beaucoup moins régulière. La langue française
possède les dérivés tels que campeur, marcheur, coiffeur, danseur, etc., mais
*souffreur, *aimeur ou *détesteur n’existent pas.
Il est indispensable de faire la différence entre la base et le radical d’un
mot dérivé. Si l’on retire un affixe à un mot, on obtient la base sur laquelle
il est construit : la base à laquelle s’adjoint le suffixe -ment- dans
affermissement est affermisse (base longue du verbe affermir). La base à
laquelle s’adjoignent le préfixe a- et le suffixe -ir dans ce dernier mot est
ferme. La base est donc un élément qui peut contenir plusieurs morphèmes.
Lorsque tous les affixes ont été enlevés, il reste une base minimale que l’on
appelle « radical ».

2.2.3. LES MOTS COMPOSÉS ET LES LOCUTIONS

Parmi les unités lexicales de la langue française, on peut également


rencontrer des unités qui sont souvent (pas toujours) graphiquement
complexes, mais qui fonctionnent exactement comme les mots
graphiquement simples :

pomme de terre
chou-fleur
chemin de fer
machine à coudre
anthropologue
pourboire
qu’en dira-t-on
à pas de loup

À l’intérieur de ces unités, on peut distinguer les mots composés et les


locutions. La composition peut être définie comme la juxtaposition de
deux éléments qui peuvent servir de base à des dérivés. Certains linguistes
ont tendance à la définir comme la juxtaposition de deux éléments qui
peuvent exister à l’état libre. Cette définition permettrait bien d’y intégrer
des mots comme chou-fleur ou porte-mine, mais pas des mots comme
anthropologue où ni anthrope ni logue ne se rencontrent seuls, alors même
qu’à la différence des suffixes et des préfixes ils peuvent servir de base à
des dérivés : anthropien, logistique, etc. On ne peut donc voir en eux des
affixes. Ce sont des bases dont le fonctionnement est fondamentalement le
même que celui de fleur ou de porte.
Très souvent on classe parmi les mots composés les unités complexes,
principalement nominales, à deux termes (chou-fleur, porte-mine…), et les
unités complexes, uniquement nominales, à trois termes (pomme de terre,
chemin de fer, machine à coudre…). Tous les faits de résultats différents et
de formes plus complexes sont regroupés sous l’étiquette « locutions » (à
pas de loup, qu’en dira-t-on, au fur et à mesure…).
Les mots composés et les locutions sont donc inscrits, à l’instar des mots
monomorphématiques, des mots dérivés et des mots fléchis, comme unités
figées dans le code de la mémoire du sujet parlant. Cela veut dire que l’on
doit les reproduire tels quels, en bloc, dans le discours. Au contraire, le
syntagme libre et la phrase sont des unités qui ne sont pas codées. Leurs
éléments peuvent être choisis, déplacés et intervertis à volonté, dans les
limites de la grammaticalité et de la sémanticité.
Toutes ces différentes sortes d’unités lexicales seront étudiées en détail
dans la partie consacrée à l’analyse morphologique du lexique (p. 46).

2.2.4. LES DIFFÉRENTES PARTIES DU DISCOURS

Le lexique se répartit en classes fonctionnelles traditionnellement


appelées « parties du discours ». Elles concernent la nature du mot,
laquelle s’oppose à sa fonction : chat fait partie de la classe des noms ; il a
la fonction de sujet dans le chat ronronne. En général, la classification
grammaticale distingue huit catégories différentes :
– 1) verbes (mentir, chanter, aimer, courir…) ;
– 2) noms ou substantifs (chat, maison, table, amour, haine…) ;
– 3) déterminants (le, une, ce, mon, nos, deux, plusieurs…) ;
– 4) adjectifs (beau, riche, intelligent, petit, long…) ;
– 5) pronoms (je, il, celui, ceux, le mien, la mienne, nulle…) ;
– 6) adverbes (lentement, vite, peu, beaucoup, vaguement…) ;
– 7) prépositions (à, de, vers, pour, depuis…) ;
– 8) conjonctions (et, mais, quand, parce que…).
Chaque classe peut, à son tour, se subdiviser en sous-classes (ex. :
déterminants articles, dét. démonstratifs, dét. possessifs, dét. indéfinis et
cardinaux, etc.). D’après certaines grammaires, les interjections (ah !, oh !,
eh !…) forment la 9e catégorie grammaticale. Cette classification est valable
pour de très nombreuses langues.
Une partie du discours est une classe d’équivalences qui rassemble les
mots en catégories fonctionnant de façon identique. Les règles
grammaticales s’appliquent ensuite de façon générale à ces classes. La
classification des mots en parties du discours s’établit selon des critères
morphologiques, sémantiques et syntaxiques. Le substantif et le verbe, par
exemple, s’opposent déjà par les morphèmes flexionnels qu’ils mettent en
jeu (genre et nombre pour le premier, personne, temps et mode pour le
second). Ces deux classes s’opposent aussi par leur fonctionnement
syntaxique. Le substantif est régi par le verbe, alors que le verbe ne l’est par
rien. Le substantif et le verbe sont différents aussi du point de vue
sémantique. Le premier renvoie à un être, un individu ou une chose, alors
que le verbe dénote une action, un événement ou un état.
Dans l’ensemble des mots se manifeste la même dichotomie que dans
l’ensemble des morphèmes ; il existe des mots grammaticaux et des mots
lexicaux. En général, les noms, les verbes, les adjectifs et les adverbes font
partie des mots lexicaux. Les pronoms, les déterminants, les prépositions et
les conjonctions sont regroupés parmi les mots grammaticaux.
Les mots lexicaux forment de très loin le sous-ensemble le plus
important. En français, les mots grammaticaux ne dépassent guère la
centaine, bien qu’ils composent à eux seuls 50 % du discours.

3. LE LEXIQUE ET LA GRAMMAIRE

On vient de voir que le terme de lexique peut recouvrir un certain nombre


de notions qui sont dépendantes des critères adoptés dans la description
linguistique. Il est important de signaler aussi que le lexique est très
couramment opposé à la grammaire. Selon cette perspective, il s’agit en
quelque sorte de deux domaines complémentaires : la grammaire fournit les
règles qui permettent de combiner les mots et les groupes de mots pour
former des phrases et le lexique représente l’ensemble des unités qui
constituent son matériau de base.
Cependant, cette distinction n’est pas toujours aussi simple que cela : la
frontière tracée entre ces deux domaines complémentaires a tendance à être
fragile et floue. Lexique et grammaire entretiennent en effet des relations
fort complexes. On peut noter que les grammaires répertorient des listes de
mots (les prépositions, les pronoms, par ex.) dont elles s’attachent à décrire
le fonctionnement, et que dans les dictionnaires, on rencontre couramment
des indications sur le genre des mots, leur accord et leur place dans la
phrase, des articles comme prépositions, adverbes, etc., alors que tous ces
points devraient faire l’objet des grammaires.
En outre, dans les unités lexicales comme blanche, garçons, chanterons,
une partie au moins appartient au domaine de la grammaire ; de même, dans
des mots comme étrangement et diminution, la grammaire reconnaîtra un
segment final qui est à l’origine d’un changement de catégorie. On a vu
dans les paragraphes précédents que les morphèmes se divisent en deux
grandes classes : morphèmes lexicaux et morphèmes grammaticaux. Il va
de soi que la description des morphèmes grammaticaux relève
essentiellement de la grammaire et celle des morphèmes lexicaux du
lexique.
On constate cependant rapidement que les mots répertoriés dans une
grammaire forment une infime partie du lexique et que les règles de
grammaire ne sont pas toutes explicitées dans le dictionnaire. D’autre part,
s’il s’agit d’opposer des règles aux unités auxquelles elles s’appliquent, le
dictionnaire présente généralement de graves lacunes ; on peut s’étonner de
ne pas y trouver la liste complète des unités signifiantes que sont les
morphèmes liés. De plus, bien qu’il soit impossible de parler une langue
sans employer de noms propres, ceux-ci ne sont pas répertoriés dans le
dictionnaire de langue, mais seulement, lorsqu’ils sont notoires, dans
l’encyclopédie.
Soulignons aussi que la plupart des usagers d’une langue parviennent à
maîtriser la grammaire de leur propre langue dont les règles sont en nombre
limité. Ils n’ont aucun mal à reconnaître une phrase incorrecte d’une phrase
correcte. Un grammairien professionnel peut atteindre une compétence
grammaticale optimale. En revanche, aucun usager n’est capable de
maîtriser le lexique de sa langue, parce que celui-ci est formé d’un nombre
d’unités incalculable. Aucun lexicologue ou lexicographe ne peut espérer
acquérir une compétence lexicale optimale. Du point de vue de
l’apprentissage de la langue, on constate que les connaissances
grammaticales sont acquises assez tôt une fois pour toutes, alors que les
connaissances lexicales ne cessent de s’enrichir au cours de la vie de
l’usager.
Les chercheurs ne disposent d’aucune procédure valable pour recenser le
lexique d’une langue à un moment donné. D’après les estimations, le
lexique d’une langue de civilisation comme le français ou l’anglais dépasse
200 000 mots en excluant les noms propres. On pourrait probablement
atteindre facilement le chiffre de 500 000 mots avec les nomenclatures
terminologiques. Or, un usager moyennement cultivé se sert peut-être
uniquement d’un dixième du lexique global.

4. LE LEXIQUE ET SES USAGES

On a pu constater qu’il est impossible de dénombrer tous les mots d’une


langue. Il y a énormément de mots qui ne peuvent fonctionner qu’au sein de
certains groupes de sujets parlants restreints : c’est le cas des termes
scientifiques et techniques, de ceux qui appartiennent aux argots
professionnels, des mots régionaux, etc. ; sans compter les disparités
d’ordre socioculturel qui affectent de manière sensible la connaissance du
lexique, tant sur le plan qualitatif que quantitatif.
Les linguistes distinguent souvent le lexique du vocabulaire. Le lexique
d’une langue doit être considéré, avant tout, comme une entité théorique.
C’est l’ensemble des mots qu’une langue met à la disposition des locuteurs.
Le vocabulaire est, pour sa part, souvent envisagé comme l’ensemble des
mots utilisés par un locuteur donné dans une réalisation orale ou écrite.
Selon cette perspective, le lexique est une réalité de langue à laquelle on ne
peut accéder que par la connaissance des vocabulaires particuliers qui sont
une réalité de discours. Il faut noter également que les linguistes
saussuriens et post-saussuriens ont l’habitude d’opposer la langue au
discours. La langue est un système de signes où les éléments se définissent
par leurs oppositions réciproques. C’est une institution sociale qui n’est pas
actualisée par l’acte de discours. En revanche, le discours est une réalisation
individuelle de ce système.

4.1. L’IDIOLECTE

Chaque locuteur a un vocabulaire, composante lexicale de son idiolecte ;


le vocabulaire d’un individu est unique, aussi bien par la nature que par la
quantité des mots connus. En effet, chacun a une histoire et chacun a subi
des influences différentes tenant aussi bien à son origine géographique qu’à
son origine sociale. On a vu que le locuteur isolé est incapable de posséder
tous les mots du lexique de sa langue. À côté des termes généraux,
susceptibles d’être utilisés par la plupart des usagers, le lexique d’une
langue naturelle contient toujours un grand nombre de termes dont la
signification ne peut être comprise que par ceux qui ont acquis le savoir
nécessaire. Les termes de linguistique, de médecine, de biologie, etc., ne
peuvent fonctionner que parmi les personnes qui ont été initiées à ces
sciences.
On peut donc faire une distinction entre les termes généraux et les
termes spéciaux. Les premiers sont connus et utilisés par la plupart des
usagers, contrairement aux seconds, qui ne sont employés que par des
groupes restreints de spécialistes. Dans ce dernier cas, les linguistes parlent
souvent de « langue technique » ou de « jargon de métier ou de
profession ». On soulignera que ces vocabulaires particuliers doivent être
distingués des argots des spécialistes qui consistent en termes qui semblent
avoir une allure commune, mais auxquels les spécialistes d’un secteur
donné confèrent une signification particulière. Quand l’électricien se sert du
terme jus pour électricité, il utilise un mot de la langue de tous les jours.
On a pu observer que le vocabulaire individuel est relativement réduit.
En effet, il semblerait que, selon le niveau socioculturel des individus, le
vocabulaire varie pour une langue de civilisation entre 3 000 et 40 000
mots. Les termes dont un individu donné se sert généralement appartiennent
à plusieurs catégories différentes : des mots du langage soutenu, des mots
du langage familier ou quotidien, des mots d’argot, des mots triviaux, des
mots grossiers, voire obscènes, des mots techniques… Il semblerait que
chaque usager adulte de la langue française maîtrise à peu près tous les
mots grammaticaux et les mots lexicaux les plus fréquents en discours.
Le vocabulaire individuel contient deux sortes de vocables. Il y a les
mots que le locuteur emploie habituellement. Dans ce cas, les linguistes
parlent de « vocabulaire actif ». Et puis il y a des mots que le sujet parlant
connaît à peine, qu’il comprend lorsqu’ils sont employés par d’autres mais
dont il n’a pas l’habitude de se servir lui-même. Ce sont des mots sur
lesquels il n’exerce plus qu’un « contrôle passif ». C’est pour cela que, dans
ce cas, on parle de « vocabulaire passif ». Parmi ces mots qu’il ne connaît
que passivement, il s’en trouve même qui ne lui sont intelligibles que par le
contexte ou par les circonstances extralinguistiques dans lesquelles ils sont
employés.
Le vocabulaire individuel résulte de l’acquisition que toute personne a
faite des mots rencontrés durant son existence. Les limites de l’expérience
individuelle font que les mots acquis ne sont pas connus dans toutes leurs
acceptions, car les seules acceptions retenues sont celles qui correspondent
à ce que l’individu a vécu.
Selon un certain nombre de linguistes, d’un sujet parlant à l’autre, le
même mot n’a jamais exactement la même signification ni la même valeur
expressive. Quand le locuteur apprend un mot, il tend à l’associer à
l’expérience extralinguistique au cours de laquelle il l’a appris. Le mot est
collé à l’image de l’expérience vécue et, par conséquent, il est affecté de
toutes les adhérences qui vont avec l’expérience.
Le vocabulaire que possède le sujet parlant est d’une certaine façon à
double face. Lors de l’acquisition du vocabulaire, le sujet parlant acquiert,
d’une part, la signification conventionnelle du mot et, d’autre part, tout un
ensemble d’acceptions complémentaires apportées par l’expérience
individuelle du locuteur qui colorent le mot.
Le vocabulaire individuel n’est cependant ni constant ni limité. Au cours
de sa vie, le locuteur perd certains mots et surtout il en apprend d’autres. Le
nombre des termes qu’il sait interpréter varie donc plus ou moins au long
des années et le sens de certains termes change au fur et à mesure que la
signification conventionnelle qui les affecte varie elle-même.
D’après ces observations, on constate que le vocabulaire individuel est
loin d’être homogène. Il est fait d’éléments de haute fréquence et
d’éléments plus ou moins disponibles, de mots dont le sujet possède la
pleine maîtrise et d’autres dont il n’a qu’une connaissance passive. Le stock
des mots qui constituent le vocabulaire individuel est de consistance
variable et cette variance se manifeste à la fois dans la simultanéité et dans
le temps.

4.2. LE LEXIQUE COMMUN ET LE LEXIQUE TOTAL


Après avoir défini la notion d’idiolecte, il est possible d’aborder le
lexique de deux façons. Un grand nombre de linguistes font la différence
entre le lexique commun et le lexique total. Le lexique commun d’un état
de langue donné est formé par tous les mots communs à tous les usagers,
autrement dit par l’intersection des idiolectes. Quant au lexique total, il est
constitué par tous les mots employés par tous les usagers, c’est-à-dire par la
réunion des idiolectes.
Contrairement au lexique commun qui est pauvre et qui fonctionne bien
dans l’ensemble de la société, mais qui exprime peu, le lexique total est très
riche, fonctionne mal dans l’ensemble de la société, mais exprime
beaucoup. Il va de soi qu’un mot rare fonctionne moins bien qu’un mot
fréquent, puisque sa valeur d’échange est moins importante. Un mot qui
fonctionne au sein d’un groupe de 500 individus n’a pas le même statut
sociolinguistique qu’un mot qui fonctionne au sein d’un groupe de dix
millions d’individus, parce qu’il présente toujours des caractères moins
typiques de la langue en question. On peut aller encore plus loin : un
« mot » qui fonctionne pour une seule personne (n’importe quelle
invention) n’est plus une unité de la langue.
On soulignera que le lexique total est un ensemble théorique et idéal dans
la mesure où aucun dictionnaire, aucun linguiste n’est capable de le décrire
et de le dénombrer.

4.3. LA VARIATION

On a vu que les locuteurs appartenant à une même communauté


linguistique n’ont pas forcément tous ni toujours les mêmes pratiques
linguistiques. En effet, l’usage du lexique d’une langue peut varier selon le
temps, le lieu, les groupes sociaux et les situations de communication. La
variation est un concept majeur de la sociolinguistique. Plutôt que de
s’intéresser à la norme, les sociolinguistes se concentrent sur l’usage de la
langue et les usagers de celle-ci.
On dit que la variation est diachronique quand elle a lieu dans le temps.
Ce mot vient du grec dia- qui signifie « séparation, distinction » et de
khrônos « temps ». En effet, le lexique du français contemporain n’est pas
tout à fait le même que celui des périodes précédentes : beaucoup de mots
anciens, qui ne sont plus utilisés ni compris, disparaissent, d’autres mots
nouveaux apparaissent.
La variation est diatopique (grec topikos, de topos « lieu ») si elle a lieu
dans l’espace (le lexique présente des particularités en fonction des régions)
et diastratique si elle est liée aux groupes sociaux (certaines façons de
parler marquent l’appartenance du locuteur à un milieu social plutôt cultivé,
d’autres sont considérées comme populaires, etc).
La variation diaphasique est liée à la situation de communication, qui
peut être, par exemple, plus ou moins formelle ou familière et ainsi
favoriser un vocabulaire plus ou moins recherché ou familier chez un même
locuteur ou entre des locuteurs non différenciés par les autres facteurs.
Il est important de souligner que la frontière entre les différentes
variations n’est pas toujours facile à tracer. Par exemple, les dimensions
diastratique et diaphasique sont souvent confondues et exprimées en termes
de registre ou de niveau de langue. La variation peut être à la fois
diastratique et diatopique si les groupes sociaux analysés sont séparés dans
l’espace (« le langage des cités »). Elle peut être à la fois diachronique et
diaphasique si les groupes sociaux analysés sont séparés par l’âge (« le
langage des jeunes »).
On a vu, dans les paragraphes consacrés au vocabulaire individuel, que
les idiolectes présentent des différences qualitatives que l’on peut regrouper
en types et que les mots qu’un individu donné emploie habituellement font
partie de plusieurs catégories différentes. Chaque usager d’une langue
donnée peut s’apercevoir qu’il comprend mieux les gens de sa région, de
son âge, de son milieu socioprofessionnel que les autres. Certains linguistes
ont coutume d’envisager à l’intérieur du lexique total quatre types de sous-
lexiques :
– 1) ceux des langues régionales ;
– 2) ceux des langues sociales ;
– 3) ceux des langues thématiques ;
– 4) ceux des langues de générations.
Ces quatre types abstraits ont une réalité uniquement en tant que
composantes de chaque idiolecte. On sait très bien que le vocabulaire d’une
religieuse bordelaise de 60 ans diffère, par exemple, de celui d’une
étudiante parisienne de 19 ans. Les types de sous-lexiques à considérer et
leur importance varient avec la langue étudiée : pays plus ou moins
centralisés, société avec ou sans classes, castes, religions, etc.

4.3.1. LES LANGUES RÉGIONALES

Il faut veiller à ne pas confondre les parlers régionaux avec les dialectes
et les patois, dont l’étude fait l’objet de la dialectologie, ainsi que les
langues indépendantes parlées sur le territoire d’un pays. En France, le
breton, l’occitan et le basque sont des langues différentes du français.
Par les usages régionaux du français, on doit entendre les particularismes
régionaux ou régionalismes qui n’existent en tant que tels que lorsqu’une
forme manque à être utilisée sur toute la zone d’extension du français. Les
régionalismes sont la plupart du temps d’ordre lexical, mais on peut
également rencontrer des régionalismes d’ordre phonologique et
syntaxique. Le français tel qu’on le parle à Paris, à Nîmes, à Lille ou à
Bordeaux présente des variations lexicales qui, bien qu’elles ne gênent pas
gravement l’intercompréhension, sont tout de même sensibles quand on
passe d’une région à l’autre. La diversité lexicale concerne largement les
domaines de la vie quotidienne. Dans le lexique de la cuisine, par exemple,
le poisson qui est nommé bar dans le Nord s’appelle loup dans le Midi. De
même, lotte et baudroie sont aussi des appellations différentes pour le
même poisson. Il est amusant de constater qu’il y a des gens qui touillent la
salade, d’autres qui la brassent et d’autres qui tout simplement la tournent.
On peut également la fatiguer ou même la terbouler ! (Henriette Walter, Le
Français dans tous les sens, Paris, Robert Laffont, 1988).

4.3.2. LES LANGUES SOCIALES

Les langues sociales concernent le domaine de variation qui est souvent


affecté par la structuration sociale : on peut remarquer qu’un ouvrier ne
s’exprime pas comme un agriculteur, qui lui-même ne parle pas comme un
professeur d’université. Cette variation sociale, qui se manifeste dans la
langue, découpe la société en fonction des classes sociales.
En général, les langues sociales ont tendance à refléter, dans nos
civilisations surtout, l’opposition de la classe dirigeante, qui est, le plus
souvent, la classe cultivée, aux autres classes. Mais on soulignera que la
répartition peut être différente. Malgré la démocratisation et le brassage
social, on observe, en France, que la bourgeoisie répugne à employer
certains mots courants dans la classe ouvrière. Même l’argot, qui s’est
diffusé dans tous les milieux, s’est trouvé plus ou moins redistribué
sélectivement selon les classes. Le système officiel de l’éducation scolaire
fait respecter la norme de la classe dirigeante.

4.3.3. LES LANGUES DE GÉNÉRATIONS

Toutes les langues naturelles changent de façon permanente, selon les


périodes, soit brutalement, soit imperceptiblement. Ces changements dans
le temps touchent tous les domaines de la langue, mais ils sont
particulièrement sensibles en ce qui concerne le lexique. Certains mots
naissent et d’autres meurent « faute de combattants » : un mot à la mode à
un moment donné est de moins en moins employé au fur et à mesure que
ses usagers vieillissent et disparaissent. Notons pourtant que l’évolution des
langues de civilisation s’est considérablement ralentie sous l’influence
stabilisatrice de l’écrit imprimé et de la création des langues officielles. Des
mots qui auraient dû tomber peu à peu dans le vocabulaire passif des
usagers sont parfois maintenus dans le vocabulaire actif, et des mots depuis
hors d’usage se maintiennent dans le vocabulaire passif.
Si la langue se développe au cours des siècles, c’est qu’elle se développe
d’une génération à l’autre et pour un même sujet parlant de sa naissance à
sa mort. Par les langues de générations, on entend les langues lexicalement
différentes qui sont parlées à un moment donné par les individus d’âges
divers vivant ensemble dans une société. Tout le monde sait que les jeunes
ne s’expriment pas tout à fait de la même façon que les personnes plus
âgées. En effet, une vue rigoureusement synchronique du lexique porte des
traces du temps. Une personne de 60 ans a gardé la plupart des habitudes
langagières de ses vingt ans, presque toutes celles de ses 40 ans, etc. Ces
habitudes sont facilement maintenues par le dialogue avec les personnes du
même âge.
Les échanges entre personnes d’âges différents et le renouvellement
constant du lexique se font grâce à ce double statut, actif ou passif, du
vocabulaire. Le père comprend son fils sans utiliser les mêmes mots et
emploie des mots de sa jeunesse que le fils comprend sans en faire usage.

4.3.4. LES LANGUES THÉMATIQUES

Les langues thématiques regroupent des centres d’intérêt : activités


professionnelles, occupations, loisirs. Ce sous-groupe s’oppose aux trois
autres dans la mesure où le thème qui le définit est extérieur à la fois au
système de la langue et à la situation de ses usagers. C’est le domaine de la
connaissance, quasiment inépuisable, qui rassemble toutes sortes de
terminologies aux limites incertaines ou un nombre considérable de noms
propres qui s’y trouvent liés. Les langues thématiques, en rapport direct
avec le monde, fournissent les éléments du lexique les plus nombreux et les
plus instables, généralement consignés dans les encyclopédies et les
dictionnaires spéciaux.
Parallèlement à tous ces phénomènes, il est intéressant de remarquer que
le vocabulaire se divise à son tour en vocabulaire parlé et vocabulaire
écrit. Les chercheurs affirment que ce dernier est beaucoup plus vaste que
le premier ; l’expression orale semble donc être moins riche en mots que
l’expression écrite. Le sujet qui écrit peut généralement se concentrer pour
élaborer son énonciation et éviter les répétitions, les clichés. Il essaie de
conférer plus ou moins de variété à son expression. Le sujet qui parle est
plus pressé, il n’a pas toujours le temps de soigner son expression.

4.3.5. LE FRANÇAIS DE LA FRANCOPHONIE

La francophonie désigne couramment l’ensemble des pays où une partie


au moins de la population parle le français : cette langue peut être parlée par
une partie de la population, même dans des pays dont elle n’est pas la
langue officielle. Par exemple,
le français est parlé ou compris par une grande partie des Marocains,
même si la langue officielle du Maroc est l’arabe. Le français a aussi une
grande importance dans l’enseignement de ce pays. En dehors de la France
(et ses DOM TOM), le français est la langue officielle, ou l’une des langues
officielles, par exemple, dans les pays suivants : Belgique, Bénin, Burkina
Faso, Burundi, Cameroun, Canada, Centrafrique, Comores, Congo, Côté
d’Ivoire, Gabon, Guinée, Haïti, Luxembourg, Mali, Mauritanie, Monaco,
Niger, Rwanda, Sénégal, Seychelles, Tchad, Togo et Zaïre.
Le lexique du français peut présenter des particularités dans les différents
pays du monde francophone. Certains mots utilisés en France ne sont pas
employés dans d’autres pays francophones et vice-versa. On peut constater
aussi qu’un même référent peut être désigné par des mots différents suivant
les pays. Par exemple, ce que l’on désigne en France par le mot composé
gant de toilette, est désigné au Québec par le mot débarbouillette. En
français parlé en Algérie, le mot cycliste désigne le mécanicien qui vend et
répare les bicyclettes, l’arriviste est un débutant, un novice et le légumier
un marchand de légumes, etc.

Un exemple de la variation diatopique : le français en Algerie


La langue française est présente en Algérie à côté du berbère, de l’arabe dialectal et de l’arabe
standard. La liste suivante en présente quelques particularités lexicales. (Ambroise Queffelec,
Yacine Derradji, Valérie Debov, Dalila Smaali-Dekdouk, Yasmina Cherrad-Benchefra : Le français
en Algérie, Lexique et dynamique des langues, Bruxelles, Editions Duculot, 2002).

Abordage n. m. : Action d’aborder une femme, de lui adresser la parole pour lier connaissance.
Accoutrement n. m. : Habillement. Par extension, habit, vêtement.
Algérianisation n. f. : Remplacement du personnel étranger par des spécialistes algériens.
Ambianceur n. m. : Personne qui met de l’ambiance.
Balloner v. tr. : Rendre une femme enceinte.
Bancabilité n. f. : Aptitude à respecter les contraintes bancaires.
Baptisation n. f. : Fait de donner un nom ou une appellation à une rue, un établissement scolaire
ou culturel.
Branché, e adj., n. : Qui dispose d’une antenne TV parabolique.
Cachet n. m. : Stupéfiant, comprimé pharmaceutique utilisé comme drogue.
Café-goudron n. m. : Café noir très fort.
Capabilité n. f. : Capacité.
Conférencier n. : Participant à une conférence.
Conscientiser v. tr. : Rendre plus conscients une personne ou un peuple.
Dégoûtite n. f. fam. : Dégoût, sentiment de dégoût.
Égaré n. et adj. : Personne qui s’est lancée dans la violence terroriste.
Examination n. f. : Examen.
Exposant n. : Personne qui fait un exposé (dans le cadre d’un séminaire, d’un colloque, etc.).
Jeûneur n. m. : Personne qui observe le jeûne du mois de ramadhan.
Limonaderie n. f. : Fabrique de limonade et de boissons rafraîchissantes.
Nomadisme n. m. : Changement de travail, de domicile, d’appartenance à un groupe.
Poésiade n. f. : Festival de poésie.
Séminariste n. : Personne qui participe à un séminaire ou équivalent (conférence, réunion, journée
d’étude…).
Taxieur, se n. : Chauffeur de taxi.

5. LE FRANÇAIS FONDAMENTAL ET LA STATISTIQUE


LEXICALE

Un certain nombre de chercheurs ont voulu savoir quelle était l’extension


exacte du vocabulaire des usagers d’une langue. Ainsi, une série d’enquêtes
a été mise en place pour déterminer le nombre de mots dont pouvaient se
servir un jeune enfant, un adolescent, une personne d’instruction moyenne,
etc. Mais les sondages effectués ne se sont pas déroulés dans des conditions
satisfaisantes du point de vue méthodique. En revanche, les chercheurs ont
pu procéder avec plus de rigueur scientifique pour déterminer et identifier
les mots français les plus souvent employés.
On a donc encore du mal à savoir combien de mots utilise un Français
« moyen », mais on connaît précisément les mille mots dont il se sert le
plus. Grâce à cette expérience, qui a abouti à la définition de ce qui a été
nommé d’abord le « français élémentaire », puis le « français
fondamental », on a découvert que le vocabulaire se divise en deux types de
mots : ceux de haute fréquence et ceux de basse fréquence (cf.
G. Gougenheim, R. Michea, P. Rivenc et A. Sauvageot, L’Élaboration du
français fondamental, Paris, Didier, 1964 ; Charles Muller, Initiation aux
méthodes de la statistique linguistique, Paris, Hachette, 1973 ; Jacqueline
Picoche, Didactique du vocabulaire français, Paris, Nathan, 1993).

5.1. LES MOTS FRÉQUENTS ET LES MOTS DISPONIBLES

En effet, à partir d’un corpus de textes oraux enregistrés, les chercheurs


ont pu inventorier un grand nombre de termes. Ils ont constaté que certains
mots n’apparaissent qu’une seule fois, d’autres deux, trois, quatre fois.
D’autres surgissent vingt fois et plus. Il existe donc un certain nombre de
mots (environ mille en français contemporain) qui s’emploient
constamment. Tous les locuteurs s’en servent tout le temps. Parmi ces mots,
qui ont souvent reçu la dénomination de « mots fréquents », ce sont les
mots grammaticaux qui atteignent les plus hautes fréquences ; puis les
verbes et enfin les adjectifs et les noms.
À côté de ce petit nombre de mots, qui correspond à la majeure partie des
occurrences, il y a ce que les théoriciens du français élémentaire nomment
les « mots disponibles ». Ces mots ne sont employés dans le discours que
lorsque le sujet parlant en a vraiment besoin. Autrement dit, il les a à sa
disposition, mais ne s’en sert qu’occasionnellement. Or, ces mots
disponibles sont ceux qui expriment des notions plus précises : les parties
du corps, les phénomènes de la nature, les activités spécialisées, etc. Les
chercheurs ont remarqué que parmi ces termes de basse fréquence, il y avait
toute une catégorie de mots très usuels dont l’emploi était lié à une situation
particulière. C’est le cas notamment des mots désignant des choses
concrètes. Tout le monde connaît la signification de mots tels que crayon,
livre, dent ou couteau, mais on peut rester très longtemps sans avoir la
possibilité de les utiliser.
On soulignera que les mots disponibles sont d’ailleurs d’une disponibilité
variable. Cela veut dire que le sujet parlant n’a pas toujours la même facilité
pour les utiliser. Même s’il en a besoin, il n’arrive pas forcément à les faire
venir à temps. C’est pour cela qu’il est souvent amené à remplacer le mot
de basse fréquence qui ne veut pas se faire disponible à temps par un mot de
haute fréquence du vocabulaire général (machin, truc, chose…). D’après les
observations des chercheurs, les mots qui échappent aux sujets parlants sont
surtout des noms propres et ensuite des noms de choses. Il est rare que ce
soit un adjectif, un verbe ou un mot grammatical.
La disponibilité d’un mot est une donnée variable qui ne dépend pas
uniquement de la connaissance que le sujet parlant a du vocabulaire de la
langue, mais aussi des conditions dans lesquelles il s’exprime. S’il est
fatigué, énervé, excité, etc., la disponibilité a tendance à s’effacer. De même
si le sujet parlant est malade. Il est intéressant de constater que, par
exemple, certains aphasiques sont obligés d’avoir recours aux mots de haute
fréquence, parce qu’ils ne réussissent plus, malgré leurs efforts
considérables, à évoquer les mots disponibles. Ce qui paraît surprenant,
c’est que les mots chez les aphasiques disparaissent par couches
successives : les noms propres disparaissent les premiers, puis viennent les
noms de choses, puis les noms abstraits, puis les adjectifs, enfin les verbes.
Les mots grammaticaux sont atteints les derniers.
Afin d’évaluer le degré de disponibilité des mots, les chercheurs ont eu
recours à la méthode de centres d’intérêt : ils ont demandé à des écoliers et
parfois à des adultes, les 20 noms qui leur semblent les plus utiles à
connaître à propos de thèmes tels que « les parties du corps », « les
vêtements », « la maison », « les meubles de la maison », « les aliments et
boissons des repas », etc. L’interprétation de toutes ces données a permis de
formuler des hypothèses sur la structure des vocabulaires observés et,
finalement, sur celle du lexique qu’ils représentent.
Les recherches du français fondamental qui, sous la dénomination de
« français élémentaire » remontent à 1954, se sont révélées extrêmement
fécondes. Elles ont été établies selon une méthode qui accordait beaucoup
d’importance à la fréquence des mots dans la langue parlée et à la recherche
des mots disponibles les plus utilisés. C’est cette méthode qui a donc eu
l’idée de prendre pour base des dépouillements de fréquence la langue
parlée au lieu des textes écrits, comme les chercheurs avaient eu l’habitude
de le faire jusqu’alors. Il fallait enregistrer par des moyens mécaniques la
langue parlée, puis la transcrire. Une fois transcrits, ces textes parlés
pouvaient être traités comme les textes écrits.
Le premier objectif de ces recherches était de répondre à des exigences
de rationalisation de l’enseignement du français langue étrangère. En effet,
la conception qui est à l’origine des vocabulaires de base en général, repose
sur la notion de limitation du vocabulaire et de la grammaire. On a vu que
les langues humaines possèdent un lexique extrêmement vaste. Il y a des
mots que les locuteurs n’emploient jamais. Certains mots se réfèrent à des
notions très peu courantes ou à des circonstances spéciales, etc.
Pour pouvoir assurer la diffusion rapide et efficace d’une langue, on est
donc obligé d’effectuer un découpage qui conserve uniquement ses
éléments essentiels. La statistique des fréquences du vocabulaire offrait un
critère objectif qui permettait de déterminer scientifiquement les mots les
plus usuels. Il est important de préciser que ce français de base, au lieu
d’être un français de « seconde zone », a dès le début été conçu comme un
français authentique et correct. Les professeurs utilisaient les listes de mots
mises au point grâce à ces recherches (ces listes ont ensuite été utilisées
comme base aux méthodes audiovisuelles du Centre de recherche et
d’études pour la diffusion du français, le CREDIF).
Il va de soi que le français fondamental joue également un rôle
considérable dans l’enseignement du français langue maternelle. Les élèves
francophones devraient, en principe, connaître tous les mots de ce
vocabulaire de base. Le but des instituteurs est d’élargir l’inventaire de ces
mots par d’autres listes et de s’en servir comme d’une base solide pour des
explorations complémentaires. Les pédagogues sont convaincus qu’un
enseignement systématique du lexique doit logiquement commencer par
garantir un usage correct des mots les plus fréquents et remonter, par les
jeux des synonymies, des antonymies et des dérivations, vers des mots
moins fréquents.

5.2. LA STATISTIQUE LEXICALE

Un certain nombre de recherches ont montré l’importance du facteur


numérique en linguistique. En effet, les linguistes cherchent de plus en
plus à développer le recours à la numération et à l’usage des statistiques
dans l’étude de tous les faits de langue. Les appréciations purement
qualitatives ou vaguement quantitatives (indications de fréquence ou de
rareté) ne semblent plus suffire.
La numération concerne tous les aspects du langage : de la phonologie
(ex. nombre et fréquence des phonèmes dans une langue donnée) à la
syntaxe (ex. fréquence relative des différentes dispositions possibles dans la
phrase pour les éléments constituants). Elle joue évidemment aussi un rôle
très important dans le domaine du lexique. La statistique lexicale est une
application des méthodes statistiques à la description du vocabulaire. La
lexicologie quantitative peut être pratiquée aussi bien dans le domaine
théorique :
– structure du lexique ;
– sémantique lexicale ;
– stylistique lexicale ;
– lexicologie historique, etc.,
qu’en linguistique appliquée :
– relevé d’index de textes ;
– dictionnaires de fréquences, etc.
La statistique lexicale apporte également une aide considérable à
l’établissement du vocabulaire de base du français fondamental. Signalons
que la plupart des travaux de statistique lexicale consacrés au vocabulaire
de tel ou tel auteur débouchent sur des conclusions stylistiques ou
thématiques. En effet, la statistique permet de résoudre, entre autres choses,
des questions stylistiques sur la richesse objective d’un vocabulaire ; sur les
oppositions stylistiques à l’intérieur d’un même texte ; sur les variations
stylistiques chez un même écrivain ; sur l’individualisation lexicale des
personnes que l’auteur fait parler ; sur la distance qui sépare deux œuvres
d’un même auteur ou même de deux auteurs différents, etc.
Ch. Muller et P. Guiraud sont des pionniers de la lexicologie quantitative.
Ch. Muller a montré l’intérêt que l’on pouvait tirer des méthodes
statistiques dans le dépouillement complet du théâtre de Corneille. Il a pu
observer qu’entre ses tragédies et ses comédies existent de nombreuses
différences significatives dont certaines, notamment dans l’emploi des
pronoms, ont sûrement échappé à la conscience de l’auteur et posent des
questions non encore résolues.
La première démarche de la statistique lexicale est le comptage ou le
dénombrement. Les statisticiens sont souvent confrontés à plusieurs sortes
de problèmes. En effet, le lexique est plus complexe que les autres éléments
du langage. D’une part, le lexique est formé d’un ensemble d’unités ouvert.
D’autre part, le lexique, beaucoup plus que les systèmes phonologique et
morphologique ou la syntaxe, varie d’un locuteur à l’autre et, chez le même
locuteur, d’un moment à l’autre et aussi d’un état de langue à l’autre.
Les statisticiens ne savent comment traiter les unités lexicales plus ou
moins figées qui comportent deux ou plusieurs éléments (mots composés et
locutions). Clin d’œil ne forme qu’un mot dans la conscience linguistique
actuelle, puisque clin n’a plus d’existence propre. Les statisticiens sont
donc tentés d’y voir une seule unité. On pourrait se demander si l’on fait de
même pour coup d’œil, coup d’État, coup d’essai, coup d’épée. On peut
aussi avoir quelques difficultés avec les formes contractées (= réduction par
soudure de deux éléments linguistiques) : au, aux, du et des. Au lieu de
traiter différemment au fils et à la fille, il est certainement préférable de
considérer que chacune de ces deux formes représente une occurrence de la
préposition (à) et une occurrence de l’article (le ou la).
Actuellement, en français comme dans d’autres langues, chaque auteur
de dépouillements lexicaux est contraint de se poser ces questions et de
construire sa propre norme. Par conséquent, deux linguistes qui dépouillent
un même texte d’une certaine étendue, ne parviennent jamais aux mêmes
résultats. S’ils travaillent sur des textes différents, il est tout à fait
impossible de comparer leurs résultats.
Quand on quantifie le vocabulaire d’un texte, on le découpe d’abord en
un certain nombre d’unités dites « mots ». Ce nombre est important parce
qu’il donne une mesure de l’étendue du texte. Ensuite, on regroupe chacun
de ces mots sous un vocable. Il convient de préciser que le terme de « mot »
est réservé aux unités élémentaires, bien distinguées par la typographie et
l’écriture, qui constituent le texte, autrement dit aux occurrences d’un
vocable quel qu’il soit. Le vocable est considéré comme une unité de
lexique, le mot comme une unité de texte. On lit un mot dans un texte, mais
c’est un vocable qui se trouve dans le dictionnaire.
Le fait de regrouper chacun des mots sous un vocable, exige :
– a) la séparation des formes homographes (= mots étant graphiquement
identiques mais sémantiquement différents) appartenant à des vocables
distincts (par ex., dure, adjectif féminin et dure, verbe) ;
– b) le regroupement des formes fléchies appartenant à un même vocable
(par ex., durer, dure, durera, etc.). On réunit facilement les différentes
formes d’un verbe, le singulier et le pluriel d’un substantif, le masculin et le
féminin d’un adjectif, etc.
On obtient ainsi la liste des vocables qui ont au moins une occurrence
dans le texte, avec le nombre de ces occurrences, qui est la fréquence
absolue du vocable ; le nombre des vocables est l’étendue du vocabulaire
du texte.
Le travail de dépouillement se traduit en général par l’établissement d’un
index qui peut être plus ou moins détaillé. Quand l’indexation a été faite
par des moyens mécaniques (généralement mécanographiques), elle ne
fournit qu’un index de formes, liste alphabétique des formes sans
séparation des formes homographes (la forme dure reste ambiguë) ni
regroupement des formes fléchies (dura est placé entre dur et dure). Pour
exploiter ces matériaux bruts, l’utilisateur doit se reporter au texte à l’aide
des références qui suivent chaque forme.
Les index de mots, plus élaborés, reconstituent les vocables, en donnant,
suivant le cas, soit les références de leurs occurrences, soit simplement la
fréquence. Si chaque référence est accompagnée d’un bref contexte, on
obtient une concordance, document qui permet d’apprécier d’un coup
d’œil tous les emplois d’un même vocable dans le texte.

Les mots français de haute fréquence


Lorsqu’on parle des travaux concernant le français fondamental, il ne faut pas oublier de
mentionner le Trésor de la langue française (TLF ) qui est un corpus informatisé de textes
principalement littéraires, écrits entre 1789 et 1965, et contenant 70 317 234 occurrences de mots.
Il s’agit d’une masse documentaire exceptionnelle puisque les travaux antérieurs se fondaient sur
des corpus de 300 000 à 500 000 occurrences, correspondant à un nombre de mots distincts
compris entre 5 000 et 8 000. La particularité du TLF est d’enregistrer près de 70 000 mots
distincts. Il est très intéressant de constater que le lexique est structuré d’une façon pyramidale. En
effet, les mots fréquents (de fréquence supérieure à 7 000) représentent environ 90 % du corpus. Il
n’y en a que 907 sur 70 000 ! Les mots peu fréquents (de 500 à 7 000 apparitions) sont au nombre
de 5 800 et représentent 8 % du corpus. Plus de 40 000 mots sont rares (de 2 à 500 apparitions) : ils
représentent environ 2 % du corpus. Et il y a 20 000 mots qui n’apparaissent qu’une seule fois. La
fréquence d’apparition des 70 000 mots distincts enregistrés par le TLF est donc très inégale. Ces
informations ont beaucoup d’importance pour le développement des stratégies d’enseignement
systématique du lexique.

Voici les 907 mots de très haute fréquence :


– 1) Entre 3 940 365 et 1 006 106 apparitions, 12 mots, dont deux lexicaux : de, la, être, et, que, le,
à, avoir, les, il, ne, je.
– 2) Entre 936 912 et 100 375 apparitions, 62 mots, dont 17 lexicaux :
un, se, des, en, qui, une, dans, ce, du, pas, elle, pour, me, vous, plus, au, on, sur, par, nous, mais,
son, ce, lui, faire, comme, tout, avec, dire, sa, si, y, cette, pouvoir, ses, même, bien, ils, mon, ces,
ou, sans, autre, où, aller, homme, moi, voir, aux, tu, grand, leur, deux, savoir, ma, vouloir, encore,
tous, jour, là, petit, dont.
– 3) Entre 99 819 et 10 025 apparitions, 577 mots, dont 489 lexicaux :
quand, venir, rien, peu, fait, chose, falloir, devoir, aussi, te, temps, vie, cela, croire, femme,
toujours, non, sous, seul, leurs, trouver, toute, parce que, jamais, donner, mes, premier, été
(participe passé), après, prendre, très, heure, quelque, toutes, main, moins, parler, notre, monde,
donc, fois, beau, chez, votre, ainsi, elles, alors, jusque, car, dit (participe passé), ni, yeux, cœur,
aimer, entre, passer, nos, nouveau, cet, puis, trop, quelques, jeune, aujourd’hui ; mettre, enfant, tête,
vers, ça, demander, idée, esprit, moment, mot, tenir, sembler, ami, celui, depuis, devant, trois,
vieux, contre, laisser, point (adverbe), bon, père, rester, penser, ici, entendre, coup, fort, tant, air,
regarder, déjà, amour, dernier, ceux, eux, an, enfin, terre, t’, nuit, répondre, lettre, rendre, celle, soir,
fille, connaître, avant, assez, paraître, maison, beaucoup, pas (nom), mère, oui, voix, vu, vrai, mort,
arriver, porte, ha, force, chaque, sentir, seulement, nom, pensée, mieux, voilà, près, corps, pendant,
côté, haut, attendre, point (nom), lorsque, pourquoi, raison, pied, sens, presque, quoi, état, vivre,
général, chercher, maintenant, sortir, comment, comprendre, nature, pauvre, quel, porter, devenir,
fond, gens, effet, entrer, ciel, loin, monsieur, saint, revenir, place, écrire, eau, livre, plein, lieu,
appeler, bras, pris, chambre, matin, besoin, part, doute, milieu, mille, roi, souvent, ordre, noir,
cependant, ailleurs, vos, sorte, parti, pu, rue, abord, sentiment, quatre, ville, regard, parole, français,
histoire, long, humain, peuple, forme, dès, mouvement, quelle, travail, pourtant, ton (possessif),
tomber, année, reprendre, pays, fait (nom), heureux, commencer, instant, suivre, hé, cause, fils, ho,
affaire, soleil, montrer, ta, partir, cent, plaisir, surtout, ci, mois, mourir, guerre, ouvrir, tour, lire, dix,
propre, maître, loi, autour, manière, famille, vérité, silence, ancien, visage, moyen, fin, suite,
arrêter, rire, longtemps, aucun, autant, dieu, droit, bonheur, servir, puisque, lumière, cinq, jeter,
œuvre, ayant, recevoir, doux, question, mort (adjectif), monter, lever, objet, cher, laquelle, mis,
franc, ombre, personne (pronom), mal (adverbe), afin, feu, reste, bout, agir, mal (nom), table, mer,
mauvais, bruit, personne (nom), perdre, possible, vingt, derrière, donné, action, âme, simple,
souvenir, aucune, bois, bas, vue, joie, écouter, siècle, profond, pièce, argent, continuer, plusieurs,
sourire, frère, face, apercevoir, tel, route, art, ensemble, voulu, grâce, perdu, peur, tirer, société,
politique, reconnaître, peine, chacun, sujet, voici, longue, parmi, ajouter, fleur, œil, armée,
caractère, vent, sang, lit, jouer, telle, marcher, contraire, travers, église, garder, conscience, moral,
tard, exemple, malgré, arbre, présent, entier, tes, manquer, tandis que, espèce, cas, retrouver,
liberté, désir, public, chemin, second, descendre, bientôt, naturel, intérêt, secret, ton (nom), bien,
quitter, cheval, figure, chef, façon, écrit, intérieur, or, plutôt, six, pur, madame, tourner, finir, pareil,
volonté, passion, fenêtre, front, crier, courir, trouvé, froid, nombre, science, rapport, effort, passé,
image, permettre, bouche, celles, venu, dîner, existence, sœur, honneur, mur, triste, blanc, journal,
rouge, songer, peine, bord, connu, offrir, ouvert, libre, mesure, dos, animal, vivant, présenter,
ennemi, apprendre, acte, souffrir, exister, lequel, huit, particulier, étranger, envoyer, vite, douleur,
mari, cri, expliquer, juste, manger, principe, foi, jardin, soi, valoir, compte, fou, dame, oublier,
différent, aussitôt, vraiment, rentrer, minute, pierre, ligne, étant, pousser, gouvernement, habitude,
cour, commun, occuper, compter, nécessaire, empêcher, entendu, vertu, plaire, parfois, travailler,
cheveu, épaule, rêve, écrier, fini, geste, prince, bête, devenu, goût, former, dormir, hier, signe,
larme, puissance, anglais, journée, oser, gros, reçu, couleur, demain, prier, impossible, religion,
malheur, selon, arrivé, partout, rencontrer, répéter, comte, meilleur, ensuite, joli, retourner, changer,
élever, garçon, poète, condition, droite, lèvre, toucher, immense, malade, malheureux, voyage,
bleu, connaissance, beauté, vif, gauche, paix, champ, espérer, religieux, combien, salle, retour, jeu,
dehors, oreille, assis, parti (substantif), demeurer, riche, éprouver, époque, blanche, doigt, large,
duc, auprès, intelligence, apporter, pleurer, coin, certain, foule, quant, genre, quelquefois,
apparaître, juger, importer, soldat, conduire, service, chrétien
– 4) Entre 9 978 et 6 827 apparitions, 274 mots, dont 264 lexicaux :
impression, lendemain, scène, suivant, embrasser, oiseau, génie, faux, phrase, prix, raconter,
craindre, système, causer, papier, montagne, semaine, uns, campagne, terrible, voiture, chanter,
cacher, langue, prêtre, adieu, justice, neuf, essayer, réalité, or (conjonction), opinion, asseoir,
avenir, amitié, charmant, expression, avancer, valeur, voisin, produire, poser, fortune, rose, faute,
allemand, nation, salon, visite, refuser, laissé, attention, expérience, revoir, échapper, quoique, ceci,
conseil, approcher, coucher, mémoire, véritable, difficile, certains, guère, tuer, éternel, sombre,
ouvrage, conversation, situation, présence, remettre, trait, auteur, divers, calme, hasard, inconnu,
garde, payer, aimé, gloire, boire, ministre, empereur, supérieur, gagner, battre, nu, imaginer, fer,
moindre, soin, soudain, hors, propos, musique, faisant, feuille, douter, chère, théâtre, page, divin,
exprimer, dimanche, étrange, découvrir, révolution, accepter, taire, hôtel, imagination, été (nom),
marche, chapitre, seigneur, noble, article, passage, abbé, défendre, mariage, détail, lu, jeunesse,
frapper, étude, être (nom), faible, colère, robe, tendre (verbe), plan, événement, davantage,
occasion, village, île, compris, courage, parlé, vin, chien, vert, train, debout, genou, dur, grave,
matière, tableau, cours, social, circonstance, émotion, espace, sept, vain, avouer, mener, autrefois,
semblable, cesser, vers (nom), docteur, réel, désirer, terme, sauver, arme, resté, sein, réponse,
emporter, prêt, posséder, ignorer, assurer, clair, qualité, tromper, départ, pâte, chargé, école, demi,
désert, saisir, degré, but, élément, jambe, court, envie, fête, sérieux, considérer, grosse, obtenir,
rôle, lourd, dos, tranquille, représenter, appartenir, crime, traverser, remarquer, succès, poésie,
naître, physique, vaste, extérieur, infini, trente, sensation, humanité, classe, somme, annoncer, son
(substantif), empire, passé (substantif), roman, simplement, voyant, hiver, élevé, tendre (adjectif),
facile, retenir, ordinaire, cessé, énorme, titre, château, rendu, disparaître, supposer, médecin, tantôt,
étendre, espoir, palais, usage, philosophie, nez, endroit, quinze, distinguer, égard, univers, certaine,
parfait, certaines, absolument, confiance, chair, prière, maîtresse, venue, misère, murmurer,
puissant, étonner.

6. LE LEXIQUE ET L’UNIVERS

Les mots véhiculent des concepts et permettent ainsi aux hommes de


connaître leur univers. L’expérience que les hommes ont de leur univers est
infinie. Un grand nombre de linguistes cherchent à savoir comment cet
infini est décrit à l’aide du fini. Les mots, signes linguistiques, formés d’un
signifiant et d’un signifié, sont là pour fournir à la fois des catégories de
pensée intermédiaires entre l’unité globale et l’infinie diversité et le moyen
phonique de les identifier.
La conquête de la langue semble s’opérer chez l’homme parallèlement
avec le pouvoir de catégorisation et d’abstraction. Tout mot est une
abstraction. Si un homme voit des objets ou des images d’objets fort
différents entre eux quoique portant le même nom (par ex., un sac à main,
un sac à pommes de terre, un sac en plastique…), il est capable de repérer
l’ensemble des traits qui caractérisent toute la série. Sans ce pouvoir de
catégorisation et d’abstraction, le monde perçu serait chaotique et
perpétuellement nouveau.
L’opération mentale qui consiste à ranger ensemble des éléments
différents se retrouve dans toutes les activités de l’homme (pensée,
perception, parole, action…). Chaque fois que l’homme perçoit une espèce
de chose, il catégorise. Chaque fois qu’il a envie d’effectuer une action,
celle de courir, par exemple, il s’agit d’une catégorie d’action qui se trouve
activée. Catégorisation et catégories sont donc les éléments essentiels de
l’organisation de l’expérience humaine.
La linguistique moderne a mis fin à la vieille notion du lexique considéré
comme un inventaire de mots. Selon cette conception fort naïve, il existerait
une relation biunivoque entre chose et mot, signifié isolé et signifiant isolé ;
le monde s’organiserait en catégories d’objets parfaitement distinctes,
chacune recevant obligatoirement une désignation dans chaque langue. Par
conséquent, les mots auraient chacun, d’une langue à l’autre, des
correspondants exacts pour le sens.
Cette notion de langue-répertoire de mots laisse donc croire que le lien
entre chose et mot se trouve établi par une opération toute simple. Mais,
dans le signe linguistique, la relation entre l’image acoustique et le concept
est beaucoup plus complexe qu’on l’imaginait. La linguistique moderne a
remplacé cette vieille notion par celle du lexique comme structure ou
plutôt comme ensemble de structures.
Depuis Saussure, un grand nombre de linguistes ont l’habitude de
représenter le lexique comme l’ensemble des « pierres irrégulières d’une
mosaïque » ou comme l’ensemble des « mailles plus ou moins serrées d’un
filet ». Cela signifie que dans l’ensemble du lexique se dessinent des sous-
ensembles organisés, des microsystèmes lexicaux dont les éléments
possèdent un dénominateur commun. Il convient de rappeler que le système
est généralement défini comme un tout dont les parties n’ont de sens que les
unes par rapport aux autres ou encore comme un ensemble d’éléments qui
sont tous en relation les uns avec les autres. Un système n’est donc pas une
simple collection d’unités, mais implique relation et organisation. Les
microsystèmes lexicaux sont habituellement appelés « champs
sémantiques ».
Les champs sémantiques peuvent être définis comme l’association d’un
ensemble de termes du lexique (champ lexical) à une notion particulière
(champ notionnel). Par exemple, le champ sémantique des sentiments fera
correspondre au champ notionnel « sentiment » le champ lexical
comprenant les mots amour, haine, indignation, adoration, admiration,
mépris, pitié. Cette façon d’interpréter les choses implique que l’on ne peut
pas vraiment connaître un mot sans le situer, à l’aide de structures de relais,
dans la totalité du lexique. Définir un terme comme l’union d’un certain son
avec un certain concept serait l’isoler du système auquel il appartient. En
effet, le mot isolé acquiert sa signification seulement par l’ensemble des
oppositions qu’il soutient avec tous les autres constituants du champ.
Le lexique découpe donc l’univers en catégories. Il est extrêmement
intéressant de constater que, très souvent, on assiste à des découpages de la
réalité différents selon les langues. Autrement dit, on découvre des écarts
plus ou moins importants entre les champs sémantiques d’une langue à
l’autre. Chaque langue semble être une grille exprimant une vision
particulière du monde.
Ce fait est très souvent illustré par l’exemple de la gamme des couleurs
(Georges Mounin, Les Problèmes théoriques de la traduction, Paris,
Gallimard, 1963). L’arc-en-ciel ne présente aucun seuil exact qui
permettrait de bien délimiter les frontières entre les couleurs. Malgré cela,
la langue française y distingue un ensemble de sept couleurs : violet, indigo,
bleu, vert, jaune, orange, rouge. Le gallois et le breton possèdent un seul
terme, glas, pour la région du spectre où le français situe le bleu et le vert.
L’hébreu ne connaît qu’une couleur, le rouge, en dehors du blanc et du noir.
Le chinois associe cinq couleurs de base, vert, blanc, rouge, noir, jaune, à
cinq éléments, bois, métal, feu, eau, terre, à cinq tons musicaux, à cinq
saveurs et à cinq points cardinaux incluant le zénith. Et pourtant l’œil des
Français, des Bretons, des Gallois, des Chinois, etc. est certainement fait de
la même façon !
Un autre exemple fréquemment présenté met en scène la langue des
gauchos argentins qui possède un champ sémantique de deux cents
expressions pour analyser la diversité des pelages des chevaux. Le français
courant ne dispose que d’une douzaine de termes simples et de deux
douzaines de termes composés pour exprimer la même réalité. On peut dire
que le « filet » linguistique du français n’a, pour saisir cette réalité
linguistique des gauchos, que des mailles dix fois trop larges. Par
conséquent, il différencie dix fois moins, saisit et traduit des réalités dix fois
moins fines.
Ces exemples démontrent clairement que la structure du langage ne
reflète pas automatiquement celle de l’univers. Les langues différentes
expriment par des structures linguistiques différentes des faits physiques
identiques. Le nombre de mots utiles dans tel ou tel domaine semble être
étroitement lié à des mentalités, des activités dominantes, un climat, des
institutions politiques et sociales, etc.
Chaque langue découpe et nomme donc à sa façon l’expérience que les
hommes ont de l’univers. Mais les mêmes études, établies à l’intérieur
d’une même langue, invitent à prendre conscience qu’il existe aussi des
niveaux de l’expérience du monde différents pour des locuteurs différents
appartenant à la même communauté linguistique. Dans ce cas, il est
impossible de parler de vues du monde linguistiquement différentes !
Là où les jeunes citadins ne connaissent peut-être qu’une seule sorte de
céréale, les agriculteurs en différencient et en nomment une très grande
variété (avoine, blé, maïs, millet, orge, riz, seigle, sorgho…). De même, une
esthéticienne possède davantage de termes qu’un ingénieur pour indiquer
les produits de beauté. La structure d’un même champ sémantique n’est
donc jamais déterminée d’un point de vue unique et homogène. Les
variations dues aux individus et aux groupes (classes socioculturelles,
professions…) amènent à définir explicitement l’angle à partir duquel on
découpera le champ envisagé. Ainsi, chaque champ sera recouvert par un
filet linguistique plus ou moins dense selon la nature et la position du
locuteur.
On soulignera que les systèmes lexicaux, plus encore que les autres
systèmes linguistiques, comportent des vides, des redondances et même des
incohérences. Cela ne veut pas dire que le lexique ne soit pas structuré !
Une langue réalise des systèmes incomplets et dissymétriques qui
coïncident avec les besoins majeurs de ses locuteurs dans un type de culture
donné. Le lexique est classificateur. Il n’est pas nomenclature, mais
structure.
En dépit des différences plus ou moins importantes entre les champs
sémantiques d’une langue à l’autre, il existe des universaux
fondamentaux, des traits universels communs qui se retrouvent dans toutes
les langues. Il y a donc des concepts qui possèdent une expression lexicale
dans tous les idiomes. Les chercheurs parlent, entre autres, d’universaux
cosmogoniques : tous les hommes habitent la même planète et possèdent
les mêmes cadres de référence au monde extérieur. En effet, tous les
hommes connaissent la terre et le ciel, le froid et le chaud, la pluie et le
vent, le règne animal et le règne végétal, le jour et la nuit, les parties du
jour, les cycles de la végétation, etc. Il y a également des universaux
biologiques. Tous les hommes ont un corps animé ; tous les hommes
naissent, meurent, se nourrissent, respirent, se reproduisent, etc. Les
chercheurs ont l’habitude de dégager sept champs linguistiques essentiels
en la matière : nourriture, boisson, respiration, sommeil, excrétions,
température et sexe. On voit donc qu’il y a des domaines où c’est la nature
elle-même qui impose et trace les limites du découpage linguistique.
Toutes les langues, semble-t-il, sont capables d’opposer les deux
personnes de l’interlocution au reste de l’univers. Selon toute probabilité, il
y a des universaux psychologiques ; toutes les langues semblent connaître
l’opposition entre le plaisir et la douleur. Il existe aussi des universaux
culturels ; le détenteur du pouvoir a un nom spécifique dans toutes les
langues.
La notion d’universaux s’emploie aussi avec les traits linguistiques
universels, communs à toutes les langues humaines. Dans ce cas, on parle
d’universaux linguistiques. On a vu précédemment que toutes les langues
possèdent un petit nombre de phonèmes à l’aide desquels elles construisent
une infinité d’unités lexicales et morphologiques, etc.

La lexicologie et les différentes écoles linguistiques


Au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, les linguistes, sous l’influence des grands courants
romantiques, s’intéressaient surtout à l’histoire des langues. Ils ne cherchaient pas uniquement à
déterminer les liens de parenté entre les différentes langues, mais aussi à expliquer les changements
intervenus au cours de l’histoire d’une langue particulière. L’histoire des mots consistait avant tout
en la considération d’unités isolées (ex. parler est issu d’une forme de basse latinité paraulare,
elle-même issue du grec parabole).
La linguistique historique se concentrait surtout sur l’évolution des formes comparées (phonétique
et morphologie). On avait l’impression que le mot n’était parfois conçu que comme le siège passif
des lois d’évolution formelle. Petit à petit, les considérations sur l’évolution des sens et sur le
contenu des unités du lexique sont venues s’intégrer à la linguistique historique. Ces considérations
ont abouti à l’apparition d’une « sémantique » (« science des significations » et des « lois qui
président à la transformation des sens »), mot créé un peu plus tard par Bréal (1832-1915). Cette
première sémantique historique a réduit la lexicologie à n’être que l’étude d’un « vaste catalogue ».
La linguistique moderne, fondée par Ferdinand de Saussure (1857-1913), ne rompt pas totalement
avec la tradition comparatiste et historique. C’est en fait dans l’exercice de la linguistique
comparée que Saussure introduit le structuralisme. Selon cette nouvelle perspective, la langue doit
être considérée comme un système, une structure, c’est-à-dire un ensemble organisé où chaque
élément tient sa valeur de ses relations avec les autres éléments. La linguistique doit être surtout
synchronique. Elle doit s’intéresser à un état de langue considéré dans son fonctionnement à un
moment donné du temps. Elle doit également être interne (ne se préoccupant pas des problèmes
externes, comme l’origine des langues, par exemple) et descriptive (non normative). La
linguistique structurale applique la méthode distributionnelle, laquelle classe et caractérise les
éléments de la langue d’après leur aptitude à entrer dans des contextes déterminés (c’est ce que l’on
appelle « distribution ») et à se substituer les uns aux autres (ce que l’on appelle « commutation »).
La grammaire générative et les théories transformationnelles du linguiste américain Noam
Chomsky occupent une place importante dans la linguistique moderne. La grammaire générative
apparaît comme une théorie structuraliste. Elle met en relation deux structures dont l’une est
transformée à partir de l’autre.
En grammaire générative, le lexique fait partie de la composante de base du modèle dont les
phrases vont être issues. En fait, c’est un ensemble d’items munis de traits phonologiques,
syntaxiques et sémantiques qui sont insérés dans la structure engendrée par les règles
syntagmatiques. Selon les tendances, un sous-ensemble plus ou moins important du lexique peut
être obtenu de manière transformationnelle ; c’est le cas de nombreuses nominalisations
(diminu(er) → diminution, mont(er) → montage, etc.), mais cette démarche peut être étendue à des
termes non analysables en surface (faire – devenir – non – vivant → tuer). Dans le langage des
grammaires de l’école de Chomsky, « X devient Y » ou « X se transforme en Y » ne signifie
nullement « X est chronologiquement antérieur à Y », mais simplement : « il est logiquement
commode d’exposer X avant Y ».
La lexicologie guillaumienne dénie la possibilité de réduire à un système le lexique qu’il considère
comme trop complexe et trop enraciné dans la contingence historique. Gustave Guillaume
travaillait sur la genèse et la nature du mot. Il a fondé tous ses travaux sur l’hypothèse qu’un
système de pensée inconscient est sous-jacent aux systèmes sémiologiques et à leur
fonctionnement. Cette théorie appelée « psycho-mécanique » distingue la langue, où chaque
morphème est porteur d’un seul sens, du discours où le système se réalise dans des emplois (ou
effets de sens) variés. D’après cette théorie, toute synchronie porte en elle les germes de son destin
diachronique.
CHAPITRE 2
ÉTUDE DE LA FORME DES MOTS
1. La dérivation
2. La composition
3. L’abréviation et la siglaison

Les mots français peuvent se répartir en mots simples et en mots


construits. On a vu (p. 20) que les linguistes ont l’habitude de retenir
comme mots simples les unités lexicales qui ne peuvent pas être
décomposées en unités significatives plus petites (chaise, ministre, rapide).
En revanche, les mots construits sont constitués de deux ou plusieurs
morphèmes ou mots. Certains termes sont formés par dérivation (passiv-
ité, re-faire, en-col-ure), d’autres sont formés par composition (bébé-
éprouvette, lave-glace, anthropologue). On peut également rencontrer des
locutions ou des syntagmes lexicalisés qui figent une construction
syntaxique (à pas de loup, qu’en dira-t-on).
Toutes les langues naturelles ont une histoire dont on peut reconstituer
les étapes et identifier les tendances et même les lois qui expliquent ses
modifications successives. Le mot « synchronie » signifie un état de langue
considéré dans son fonctionnement à un moment donné du temps, le mot
« diachronie » une phase d’évolution de la langue. Cette séparation
méthodologique de la linguistique en deux branches marque l’opposition
fondamentale entre deux modes d’approche des faits de langage. La
linguistique synchronique analyse les faits linguistiques selon l’axe des
simultanéités et décrit les rapports entre éléments qui coexistent. La
linguistique diachronique étudie les faits linguistiques selon l’axe des
successivités temporelles. Elle tente d’expliquer les changements
survenus dans la langue.
Saussure d’abord, la linguistique structurale ensuite ont accordé la
primauté théorique et méthodologique à la linguistique synchronique sur la
diachronique. Ils ont ainsi contribué à rompre avec une tradition inaugurée
par la grammaire comparée qui concevait la comparaison entre les langues
comme un moyen de reconstituer le passé. En effet, cette primauté de
l’aspect synchronique peut se justifier : pour les sujets parlants, l’état actuel
de la langue est la seule vraie réalité. Ils sont tout à fait capables d’utiliser
correctement leur langue même s’ils ignorent tout de son histoire.
Du point de vue diachronique, la morphologie lexicale recherche
l’origine des mots et retrace leur évolution ; du point de vue synchronique,
elle examine et décrit les mots tels qu’ils se présentent à une époque donnée
dans le système de la langue. Les mêmes mots peuvent être perçus de deux
façons différentes selon la perspective adoptée. Un certain nombre de mots
du français moderne qui sont diachroniquement des mots construits sont
traités en synchronie comme des mots simples, car le mécanisme qui a
assuré leur construction n’est plus perçu ou n’est plus productif. C’est le cas
de biscuit (« deux fois cuit »), de bureau (diminutif formé sur bure), de
heureux (dérivé par suffixation de heur signifiant « chance »).
Historiquement, jamais, lieutenant et saupoudrer sont des mots composés,
mais les usagers qui ne pratiquent pas l’étymologie l’ignorent.
Synchroniquement, il est tout à fait normal de les considérer comme des
mots simples.
Dans ce chapitre, on envisagera successivement les différents types de
constructions de mots :
– la dérivation (suffixale, préfixale, parasynthétique, impropre et inverse)
– la composition (le mot composé, la locution et l’amalgame ou mot-
valise)
– l’abréviation et la siglaison.

1. LA DÉRIVATION
On a vu à plusieurs reprises qu’un mot dérivé est formé par l’adjonction
d’un ou plusieurs affixes soudés à une base. Les affixes se divisent en
préfixes, qui se placent avant la base et en suffixes, qui se trouvent après la
base. La base est l’élément qui reste d’un mot dérivé si on lui enlève ses
affixes. Elle constitue une unité qui, telle quelle ou assortie des désinences
requises, forme un mot dont la nature détermine en retour le
statut catégoriel de la base.
Le substantif passivité a été créé à partir de l’adjectif passive, l’adverbe
agréablement a été formé sur l’adjectif agréable, le verbe durer a été à la
base de l’adjectif durable, le verbe refaire a été construit sur un autre verbe
faire, etc.
Un mot dérivé peut être formé à l’aide d’un préfixe (dé-faire, re-faire),
d’un suffixe (passiv-ité, ramass-age) ou de la combinaison d’un ou
plusieurs préfixes ou suffixes (ir-remplaç-able, anti-constitution(n)-elle-
ment). Ainsi l’affixation peut opérer aussi bien sur des bases simples que
sur des bases déjà élargies par préfixation ou par suffixation. Elle peut aussi
se faire à partir des mots d’origine étrangère, à partir des sigles ou même à
partir des constructions syntaxiques entières :

lat. celer (« rapide ») → célérité, accélérer, décélérer, accélération


strip-tease → strip-teaseuse
swing → swinguer
CAPES → capésien
CGT → cégétiste
jusqu’au bout → jusqu’au-boutiste
Moyen Âge → moyenâgeux

1.1. LA SUFFIXATION

On a vu qu’à l’intérieur de la dérivation, la suffixation se distingue par le


fait que les affixes qu’elle utilise, les suffixes, sont toujours postposés à la
base :

agréable → agréable-ment [agreablə-mɑ̃ ]


dur (er) → dur-able [dyʀ-abl]
maison → maisonn-ette [mɛzɔn-ɛt]
dans (er) → dans-eur [dɑ̃ s-œʀ]

Les suffixes jouent plusieurs rôles. Ils ont évidemment une fonction
sémantique dans la mesure où ils introduisent un changement de sens, mais
ils peuvent présenter plusieurs fonctions supplémentaires. On constate
qu’un certain nombre de suffixes sont aptes à modifier la valeur d’emploi
de la base sans changer totalement son sens. Dans ce cas, l’adjonction du
suffixe n’entraîne pas la création d’un mot dérivé d’une classe
grammaticale différente de celle de la base. Si la base est un substantif, le
mot dérivé est un substantif, si la base est un adjectif, le mot dérivé est un
adjectif, etc. C’est ce qui se passe en particulier avec les suffixes
diminutifs, péjoratifs et collectifs :

rue [ʀy] → ru-elle [ʀɥ-ɛl]


amour [amuʀ] → amour-ette [amuʀ-ɛt]
aigre [ɛgʀ] → aigre-let [ɛgʀə-lɛ]
diable [djɑbl] → diabl-otin [djɑbl-ɔtɛ̃]
barbe [baʀb] → barb-iche [baʀb-iʃ]

blanche [blɑ̃ ʃ] → blanch-âtre [blɑ̃ ʃ-ɑtʀ]


rouge [ʀuʒ] → rouge-âtre [ʀuʒ-ɑtʀ]
vin [vɛ̃] → vin-asse [vin-as]

colonne [kɔlɔn] → colonn-ade [kɔlɔn-ad]


fer [fɛʀ] → ferr-aille [feʀ-ɑj]
feuille [fœj] → feuill-age [fœj-ɑʒ]

Le suffixe peut également restreindre l’aire d’emploi de la base. Si l’on


place le suffixe -eur à gauche de la base verbale souten- du verbe soutenir,
on obtient le mot dérivé souteneur. Tout le monde sait que les utilisations du
verbe soutenir sont extrêmement diverses (maintenir, porter, supporter,
fortifier, remonter, aider, appuyer, encourager, assurer…), tandis que l’aire
d’emploi du substantif souteneur, se limite à un domaine particulier
(« individu qui vit de proxénétisme »).
Certains suffixes jouent le rôle d’indicateurs lexicaux en situant les mots
dans des registres de langue particuliers, par exemple le vocabulaire de la
médecine :

– ite : encéphale [ɑ̃ sefal] « ensemble des centres nerveux contenus dans la boîte crânienne,
comprenant le cerveau, le cervelet et le tronc cérébral » → encéphal-ite [ɑ̃ sefal-it]
« inflammation de l’encéphale »

appendice [apɛ̃dis] « partie accessoire, prolongement d’une structure ou d’un organe »


→ appendic-ite [apɛ̃dis-it] « inflammation de l’appendice »

Les suffixes ont des fonctions grammaticales. Ils jouent assez souvent
un rôle d’indicateurs de classe, dans la mesure où ils sont susceptibles
d’entraîner la création d’une unité lexicale faisant partie d’une classe
morphosyntaxique différente de celle de la base employée comme mot
simple :

fort, forte [fɔʀ, fɔʀt] (adjectif) → fort-ifier [fɔʀt-ifje] (verbe)


blanc, blanche [blɑ̃ ʃ] (adjectif) → blanch-eur [blɑ̃ ʃ-œʀ] (nom)
vert [vɛʀ, vɛʀt] (adjectif) → verd-ir [vɛʀd-iʀ] (verbe)
verdir [vɛʀdiʀ] (verbe) → verdiss-age [vɛʀdis-aʒ] (nom)

Chaque suffixe indique donc la classe morphosyntaxique du dérivé qu’il


sert à fabriquer.
En outre, les suffixes peuvent également avoir une fonction
catégorisatrice, puisqu’ils sont aptes à indiquer le genre grammatical des
dérivés. Par exemple, les noms suffixés en -ance (surveillance, voyance), -
ise (bêtise, sottise, débrouillardise), -tion (finition, adoration), sont
féminins, alors que ceux formés à l’aide des suffixes -age (nettoyage,
ramassage) ou -isme (journalisme, socialisme, libéralisme), par exemple,
sont masculins. L’adjonction de plusieurs suffixes successifs peut provoquer
autant de changements de catégorie grammaticale par rapport au mot de
départ. Ainsi, à partir de l’adjectif rouge, on peut former le verbe rougir, sur
lequel on peut créer le nom rougissement ou l’adjectif rougissant.
Notons aussi que la plupart des suffixes sont généralement attachés à une
ou plus rarement à deux classes grammaticales de bases. Par exemple, le
suffixe -ité est susceptible de s’ajouter uniquement à une base adjectivale
pour former des noms :

passif, -ve → passiv-ité


solide → solid-ité
musical → musical-ité

On rencontre également des suffixes qui peuvent s’ajouter à plusieurs


bases différentes. Dans ce cas, le même suffixe véhicule des instructions
sémantiques très diverses :

montagne (nom) → montagn-ard (nom)


faible (adjectif) → faibl-ard (adjectif)
riche (adjectif) → rich-ard (nom)
brailler (verbe) → braill-ard (nom)
vanter (verbe) → vant-ard (adjectif)

Il est important de remarquer enfin que l’adjonction d’un suffixe à une


base peut entraîner des allomorphes (deux ou plusieurs formes différentes
du même morphème) de la base. Dans l’exemple qui suit, [elefã] et [elefãt]
sont deux formes différentes ou allomorphes d’un même morphème :

éléphant : [elefã] → éléphant-eau : [elefãt-o]

Ce phénomène sera présenté de plus près dans la partie consacrée aux


allomorphes (p. 57).
À partir de bases généralement nominales, verbales et adjectivales, la
dérivation suffixale est susceptible de construire des noms, des verbes, des
adjectifs et des adverbes. On examinera très superficiellement une partie
des différents types de suffixes qui caractérisent la langue française. On
s’est largement inspiré de la présentation de M. Arrivé et al. (La Grammaire
d’aujourd’hui, Paris, Flammarion, 1986). La liste présentée n’a évidemment
pas l’ambition de mettre en relief tous les suffixes du français.

1.1.1. LES SUFFIXES NOMINAUX


Les suffixes nominaux servent à créer des noms à partir des bases
verbales, nominales ou adjectivales. Ces suffixes peuvent véhiculer des sens
très différents :
– Action, résultat de l’action (bases : verbe, nom) :

embrasser → embrass-ade
trouver → trouv-aille
abattre → abatt-is
sigle → sigl-aison
index → index-ation
os → ossa-ture

– Qualité, propriété, fonction (bases : adjectif, nom, verbe) :

bon, bonne → bon-té


courtois, -e → courtois-ie
débrouillard, -e → débrouillard-ise
assistant → assistan-at
diriger → dirig-isme

– Opinion, attitude (bases : nom, adjectif) :

commun → commun-isme

– Partisan d’une opinion ou d’une attitude (bases : nom, adjectif)

social → social-iste

– Agent d’une action (bases : verbe, nom) :

coiffer → coiff-eur
danser → dans-euse

route → rout-ier
lait → lait-ière
céramique → céram-iste

– Instrument, machine, objet fonctionnel (bases : verbe, nom) :

arroser → arros-oir
baigner → baign-oire

plafond → plafonn-ier
café → cafe-tière

– Arbre (ou végétal) producteur (bases : nom) :

pomme → pomm-ier
fraise → frais-ier

– Lieu de fabrication, d’exercice, de vente (bases : verbe, nom) :

fumer → fum-oir
brunir → bruniss-oir
teinture → teintur-erie
buandier → buand-erie

– État (bases : nom) :

esclave → esclav-age

– Collectifs (bases : nom, verbe) :

colonne → colonn-ade
rosier → rose-raie
fer → ferr-aille

manger → mange-aille

– Contenu, mesure (bases : nom) :


assiette → assiett-ée
matin → matin-ée

– Péjoratifs (bases : verbe, nom) :

cumuler → cumul-ard
laver → lav-asse

vin-asse

– Diminutifs (bases : nom) :

lion → lion-ceau
balcon → balconn-et
île → îl-ot

– Habitants d’une région ou d’une ville (bases : nom) :

rom-ain, -e
tex-an, -e
angl-ais

– Âge, anniversaire (bases : numéro) :

centen-aire

1.1.2. LES SUFFIXES ADJECTIVAUX

Ces suffixes servent à créer des adjectifs à partir des bases adjectivales,
nominales et verbales.
– Propriété, relation (bases : adjectif, nom, verbe) :

haut, -e → haut-ain

événement → événemen-tiel
mensonge → mensong-er
Dante → dant-esque

mentir → ment-eur
durer → durat-if

– Intensif (bases : adjectif) :

riche → rich-issime

– Possibilité (bases : verbe) :

lire → lis-ible
manger → mange-able

– Indication du rang, multiplicatif (bases : numéro) :

deux → deux-ième
quatre → quadr-uple

1.1.3. LES SUFFIXES VERBAUX

À l’aide de ces suffixes on forme des verbes à partir des bases


nominales, adjectivales, verbales et même pronominales :
– Action (bases : nom) :

tyran → tyrann-iser

– Action ou état (bases : adjectif, pronom) :

rouge → rouge-oyer
tu → tut-oyer
vous → vou-voyer

– Fréquentatifs, diminutifs, péjoratifs (bases : verbe) :


voler → vol-eter
pleurer → pleur-nicher
vivre → viv-oter

1.1.4. LES SUFFIXES ADVERBIAUX

En français, il n’existe que deux suffixes adverbiaux :


– le suffixe -ons (-on), qui n’est plus productif :

à recul-ons
à tât-ons
à califourch-on

– et le suffixe -ment (-amment, -emment) qui est productif :

petit, -e → petite-ment
grand, -e → grande-ment
vif, vive → vive-ment

Ce suffixe s’ajoute le plus souvent à des adjectifs, comme dans les


exemples précédents. Dans ce cas, c’est la forme du féminin qui est à la
base de la suffixation. Les adjectifs en -ant et -ent, dont le féminin était
autrefois semblable au masculin, forment des adverbes en -amment et -
emment :

abondant → abond-amment
brillant → brill-amment
décent → déc-emment

Parfois le suffixe -ment est ajouté après un nom employé comme


interjection :

diable ! → diable-ment
bigre ! → bigre-ment
vache → vache-ment
Quasiment, formé à partir de l’adverbe quasi, est souvent condamné par
les puristes.

1.2. LA PRÉFIXATION

À l’intérieur de la dérivation, la préfixation se caractérise par le fait que


les affixes qu’elle emploie, les préfixes, sont toujours antéposés à la base :

faire → dé-faire
prendre → re-prendre

Contrairement aux suffixes qui peuvent entraîner la création d’un mot


dérivé d’une classe grammaticale différente de celle de la base, les préfixes
ont très rarement pour effet de modifier la classe grammaticale de celle-ci :

faire → dé-faire
légal → il-légal
moral → a-moral

Si la base est un verbe, le dérivé est également un verbe, si elle est un


adjectif, le dérivé est aussi un adjectif. Les préfixes ne permettent donc pas
de savoir quelle est la nature du dérivé. Les suffixes ont tendance à être
attachés à une ou plus rarement à deux classes grammaticales de bases, on
l’a vu. Quant aux préfixes, ils s’adaptent très facilement à différentes
classes de mots. Par exemple, avec le préfixe dé-, on a aussi bien des verbes
que des adjectifs :

ranger → dé-ranger (verbe)


loyal → dé-loyal (adjectif)

Contrairement aux suffixes, les préfixes n’ont pas de fonction


grammaticale. Ils se bornent à introduire un changement de sens : leur
fonction est donc exclusivement sémantique. On a signalé que les suffixes
ne peuvent jamais s’employer de façon autonome en dehors des mots
dérivés. Certains linguistes répartissent les préfixes en deux catégories : à
côté des ceux qui, comme les suffixes, ne sont pas susceptibles d’un emploi
autonome (dé-, ré-, in-…), il y en a d’autres, comme après-, avant-, contre-,
en-, entre-, sur-, sous-, etc., qui peuvent s’employer également et avec un
sens analogue comme prépositions et adverbes. Ainsi d’après ces linguistes,
sous- est un préfixe dans sous-estimer, mais s’emploie comme préposition
dans Je marche sous la pluie.
Il est important de préciser que traditionnellement, le procédé de
dérivation comprenait uniquement la suffixation, tandis que la composition
englobait l’association de deux termes (chou-rave) et l’adjonction d’un
préfixe à une base (déranger). Cette façon de voir les choses est
diachronique : on sait que dans les langues classiques, un grand nombre de
préfixes sont aussi des adverbes ou des prépositions qui s’emploient de
façon autonome (ab, ad, in, pro, etc.). Mais, si l’on observe les choses en
français contemporain, on constate que la plupart des préfixes n’existent
jamais à l’état libre : re-, dé-, a-… Il n’est donc pas utile de séparer la
préfixation de la suffixation. Selon cette conception, sous-estimer ferait
partie plutôt de la composition.
Sur le plan de la forme, les préfixes peuvent présenter des allomorphes :

dé [de] dé-ranger [de-ʀɑ̃ ʒe]


dés [dez] dés-abuser [dez-abyze],

mais ils n’entraînent généralement pas la présence d’un allomorphe de la


base. Cela est dû au fait que tous les allomorphes des morphèmes en
français se caractérisent par des changements terminaux ou parfois internes,
mais jamais initiaux. Le début des bases en contact avec le préfixe ne peut
donc pas être touché. Ce phénomène sera présenté en détail plus tard
(p. 58).
Comme les suffixes, les préfixes opèrent sur une base pour construire une
signification nouvelle. La liste suivante présentera une partie des préfixes
de la langue française avec un aperçu de leurs sens :
– Absence :

moral → amoral
normal → anormal
– Rapprochement :

joindre → adjoindre
courir → accourir

– Ensemble :

copropriétaire

– Éloignement, à l’intérieur, mise en état :

enlever, emporter
emprisonner, importer
endimancher

– Avant, devant :

prémolaire

– Répétition :

redire, revenir

Il va de soi que cette liste ne se prétend pas exhaustive !

1.3. LA DÉRIVATION PARASYNTHÉTIQUE

Ce mode de formation constitue un cas particulier d’affixation où le mot


dérivé est obtenu par l’adjonction simultanée à une base d’un préfixe et
d’un suffixe. Ainsi le verbe embourgeoiser est formé par l’antéposition du
préfixe em- et la postposition du suffixe -er. De même, le nom encolure est
construit par l’adjonction simultanée du préfixe en- et du suffixe nominal -
ure au nom simple col :

bourgeois → em-bourgeois-er
col → en-col-ure
On peut rencontrer deux types de mots qui possèdent à la fois un préfixe
et un suffixe : enrager et impérissable en face de embourgeoiser et
imbattable. Dans les deux premiers exemples, la suppression du préfixe
aboutit à des bases qui existent en français :

rager et périssable

En ce qui concerne les deux autres exemples, leurs bases n’existent pas à
l’état libre :

*bourgeoiser et *battable

Le mode de dérivation n’est donc pas tout à fait le même pour les uns et
pour les autres. Dans un cas, on posera les étapes suivantes :

0. étape initiale : rage substantif


base
1. suffixation : rager dérivé verbal
2. préfixation : enrager dérivé verbal

et dans le second :

0. étape initiale : base bourgeois substantif


2. suffixation embourgeoiser dérivé verbal
+ préfixation :

L’étape no 1 a été sautée.


La formation parasynthétique peut donner des verbes à partir de noms et
d’adjectifs :

poussière → dé-poussiérer
lune → a-lunir
terre → at-terrir
mou, molle → a-mollir
faible → af-faiblir

Elle peut également donner des adjectifs sur des bases nominales et
verbales :

manquer → im-manquable

Il est à noter que la plupart des linguistes classent parmi les formations
parasynthétiques uniquement les mots dérivés qui sautent l’étape no 1
mentionnée ci-dessus. Les mots créés sur le modèle de embourgeoiser sont
donc des parasynthétiques, puisque *embourgeois et *bourgeoiser
n’existent pas en français. Mais en ce qui concerne les mots formés sur le
modèle du dérivé enrager, ils ne peuvent pas, suivant cette perspective, être
considérés comme des mots parasynthétiques, car leurs bases ont une
existence indépendante. Enrager résulte simplement de l’ajout d’un préfixe
en- à un mot pourvu d’un suffixe, rager.

1.4. LA NOTION D’ALLOMORPHIE

On a vu plus haut (p. 55) qu’un morphème peut avoir deux ou même
plusieurs formes écrites et orales. En effet, la commutation peut isoler des
formes différentes qui présentent un même sens. Dans ce cas, on parle de
« variantes » ou d’« allomorphes ». Pour que l’on puisse parler de deux ou
plusieurs allomorphes d’un même morphème, les formes différentes
présentant le même sens doivent être en distribution complémentaire.
Dans les mots prunier, cerisier, pommier, oranger, pêcher, citronnier, on
arrive, grâce à la commutation, à isoler les éléments -ier [je] et -er [e] (cf.
Joëlle Gardes-Tamine, La Grammaire 1, Paris, Armand Colin, 2010, p. 57).
Ces unités présentent un sens, elles permettent de fabriquer le nom de
l’arbre fruitier à partir du fruit correspondant. Puisque l’on a affaire à deux
formes différentes, aussi bien graphiquement (-ier, -er) et phoniquement
([je], [e]), on peut se demander s’il s’agit de deux morphèmes différents ou
de deux allomorphes du même morphème. L’étude de la distribution fait
apparaître que -ier [je] se trouve après n’importe quelle consonne sauf les
consonnes [ʃ] et [ʒ] après lesquelles on rencontre exclusivement -er [e], qui
ne se rencontre nulle part ailleurs, -ier et -er sont donc en distribution
complémentaire :

après [ʃ] et ailleurs


[ʒ]
– ier [je] – +
– er [e] + –

Cela veut dire que ces deux éléments forment deux allomorphes ou
variantes du même morphème. C’est donc la nature du phonème qui
précède le suffixe qui détermine la présence de tel ou tel allomorphe. Dans
ce cas, la distribution est conditionnée phonologiquement. Quelquefois le
conditionnement est morphologique. Les allomorphes se répartissent alors
selon les morphèmes avec lesquels ils se combinent. Par exemple, le
morphème flexionnel de personne qui correspond à la deuxième personne
du pluriel est généralement -ez ([e]) : (vous) dans-ez, dans-i-ez, dans-er-ez,
dans-eri-ez… Il arrive pourtant que l’on rencontre une autre forme qui
correspond à la même personne : -tes ([t]) : (vous) dans-â-tes, chant-â-tes…
Cette forme ne se rencontre qu’après le morphème de passé simple, â ([ɑ]).
Il est donc conditionné morphologiquement et, puisqu’il s’agit d’une
distribution complémentaire, il faut admettre que -tes et -ez, malgré leur
différence formelle, représentent deux allomorphes d’un même morphème.
Dans les paragraphes qui suivent, on examinera successivement les
allomorphes des affixes et ceux des bases. On a vu qu’aussi bien les
préfixes que les suffixes peuvent présenter des allomorphes (pomm-ier,
orang-er ; dé-gager, dés-armer), mais que seuls les suffixes peuvent
entraîner des allomorphes de la base. Cela est dû au fait que tous les
allomorphes des morphèmes en français se caractérisent par des
changements terminaux ou parfois internes, mais jamais initiaux. Le début
des bases en contact avec le préfixe ne peut donc pas être modifié.

1.4.1. LES ALLOMORPHES DES AFFIXES


Les préfixes ne posent pas de problèmes particuliers parce que la
répartition de leurs variantes se laisse souvent décrire simplement. La forme
du préfixe peut varier selon la nature du phonème suivant : assez souvent,
on assiste à la présence d’une forme brève devant une consonne et d’une
forme longue devant une voyelle :

dé- [de] + consonne : dégager [degaʒe]


dés- [dez] + voyelle : désarmer [dezaʀme]
dé- [de] + consonne : déranger [deʀɑ̃ ʒe]
dés- [dez] + voyelle : désabuser [dezabyze]

Dans certains cas, la nature de la consonne initiale de la base détermine


la présence de tel ou tel allomorphe du préfixe :

il-légal [i(l)-legal]
im-moral [i(m)-mɔRal]
in-variable [ɛ̃-vaʀjabl]
ir-réductible [i-Redyktibl]

Les suffixes posent plus de problèmes. En effet, parfois la répartition de


leurs allomorphes est confuse, puisque dans le même entourage on peut
rencontrer l’un ou l’autre. C’est le cas, par exemple, du suffixe -ité [ite] qui
sert à former des noms indiquant une qualité à partir d’une base adjectivale.
Ce suffixe admet les deux variantes -ité et -té, mais leur répartition ne
dépend pas de la nature des phonèmes qui précèdent :

habile → habileté [abilte] vs mobile → mobilité [mɔbilite]

Dans ces exemples, les deux allomorphes du même morphème : -té et -ité
se trouvent exactement dans le même contexte : après la consonne l. Il faut
savoir que la formation des mots porte, sans doute plus que les autres
secteurs de la langue, les marques de l’histoire. En effet, dans un état de
langue donné, existent de façon concomitante des mots créés à des époques
très différentes. Certains d’entre eux ont été calqués sur des mots latins et
ne reflètent donc pas un processus de dérivation propre au français.
1.4.2. LES ALLOMORPHES DES BASES

Les bases sont susceptibles de changer de forme uniquement si l’on a


affaire à des dérivés suffixés, par suffixation ordinaire ou par dérivation
parasynthétique, on l’a dit. Une partie des allomorphes des bases ne peuvent
être expliqués que par la prise en considération de l’histoire qui permet en
particulier d’opposer dérivation savante (calquée sur le latin) et dérivation
populaire obéissant aux règles ordinaires de la dérivation française.
En effet, pendant le Moyen Âge et jusqu’au XVIe siècle, les savants
avaient tendance à emprunter en les francisant des mots latins. Ces mots
dits de « formation savante » ressemblent toujours beaucoup au mot latin
d’origine. On a formé :

légal sur legem


charité sur carus
épigramme sur epigramma

On verra (p. 138) qu’il existe parfois deux mots français remontant au
même ancêtre latin, l’un de formation populaire, l’autre de formation
savante ; on les appelle « doublets » :

lat. hospitalem → hôtel (populaire) / hôpital (savant)


lat. carus → cherté (populaire) / charité (savant)
lat. legem → loyal (populaire) / légal (savant)

Un doublet est donc un couple de mots issus du même étymon. À


quelques rares exceptions près, comme monasterium, qui a donné moutier
et monastère, les doublets n’ont jamais le même sens. L’un des mots du
couple a été hérité du latin, l’autre lui a été emprunté. Hérité, le mot a subi
l’évolution phonétique du français. Emprunté, même il y a déjà très
longtemps, il n’a subi qu’une adaptation minime aux règles phonologiques
du français.
On constate qu’entre mûr et maturité, cœur et cordial, loi et légal, on
peut relever les alternances vocaliques suivantes :
y/a
œ/ɔ
wa/e

Ces alternances se produisent entre une base seule et une base


accompagnée de suffixes (mûr vs matur-ité, cœur vs cordi-al, loi vs lég-al).
Il est important de préciser que le mot simple mûr, par exemple, vient de
l’étymon latin maturus. Il a suivi l’évolution phonétique normale. Le mot
dérivé maturité, au lieu de s’être formé à partir de ce mot populaire, est issu
directement, et par un processus conscient, du mot latin maturitas. Si l’on
examine la série germanique/allemand, hispanique/espagnol et
nippon/japonais, qui sont des doublets, on s’aperçoit que dans la dérivation,
il n’est pas rare que seul l’un de ces radicaux supporte un affixe :

germaniser (*allemandiser)
hispaniser (*espagnoliser)

Si la forme que présente le dérivé moins l’affixe est très éloignée de la


base de départ, on parle de « supplétion ». Ainsi, dans la dérivation des
verbes en -iser, par exemple, nippon est le suppléant de japonais. En
français, un mot peut parfois avoir deux suppléants, latin et grec : œil, ocul-
(iste) (lat), ophtalmo- (gr.).
Cependant, dans la majorité des cas, la répartition des variantes s’effectue
d’après les règles de l’alternance entre formes longues et formes brèves.
En effet, le conditionnement des allomorphes est souvent phonologique.
Dans ce cas, c’est l’entourage sonore qui détermine la présence de telle ou
telle forme du morphème. La forme de la base dont on part dans la
dérivation est la forme longue, et donc, quand il s’agit d’un adjectif, la
forme de féminin, si l’adjectif n’est pas épicène (= dont la forme ne varie
pas selon le genre) :

lent-e → lentement [lát-má]


chat, chatte → chaton [ʃat-ɔ̃]
dent → dentiste [dɑ̃ t-ist]
Cette forme longue est maintenue devant voyelle, selon la règle
phonologique générale :

plombage [plɔ̃b-aʒ]
polissage [pɔlis-aʒ]

tandis que la forme brève apparaît devant consonne :

peignons [pɛɲ-ɔ̃(z)] vs peinture [pɛ̃-tyʀ]

ou lorsque la base est utilisée seule :

plomb [plɔ̃].

Cependant, la forme longue est maintenue devant la consonne [ʀ] et le


glide [j] :

plombier [plɔ̃b-je]
plomberie [plɔ̃b-ʀi].

Néanmoins, le conditionnement des allomorphes est en partie


morphologique, puisque certains suffixes, bien que commençant par une
consonne, n’entraînent pas l’utilisation de la forme brève, par exemple le
suffixe nominal -ment :

ravissement [ʀavis-mɑ̃ ]
abrutissement [abʀytis- mɑ̃ ].

Lorsque la forme brève est utilisée, on peut voir apparaître des règles
secondaires :
– Changement d’ouverture de la voyelle. Il faut rappeler qu’en français
on distingue deux types de structures syllabiques : les syllabes ouvertes
terminées par une voyelle prononcée (chiffon [ʃi-fɔ̃], deux syllabes
ouvertes) et les syllabes fermées terminées par une ou plusieurs
consonne(s) prononcée(s) (facteur [fak-tœʀ], deux syllabes fermées).
Parfois l’adjonction du suffixe à la base entraîne un changement
d’ouverture de la syllabe :

crème [kʀɛm] → crémier [kʀemje]

Dans cet exemple, la base nominale crème [kʀɛm] ne contient qu’une


syllabe qui est fermée. Le dérivé crémier est composé de deux syllabes
ouvertes cré-mier [kʀe-mje]. (Il ne faut pas confondre les frontières des
syllabes et celles des morphèmes !) Dans la syllabe fermée [kʀɛm], la
voyelle -e est ouverte [ɛ], dans la syllabe ouverte, elle est fermée [e]. La
base présente donc deux allomorphes [kʀɛm] et [kʀem]. Cette règle fait
partie des règles phonologiques générales qui caractérisent la langue
française :

syllabe ouverte/voyelle fermée


syllabe fermée/voyelle ouverte
cé-lèbre [se-lɛbʀ(ə)] → cé-lé-bri-té [se-le-bʀi-te]
aus-tère [os-tɛʀ] → aus-té-ri-té [os-te-ʀi-te]

– Nasalisation. Lorsque la consonne finale de la forme longue est une


nasale, [m], [n] et [ɲ], son absence dans la forme brève est compensée par
un report sur la voyelle précédente d’un trait de nasalité. La voyelle est dite
« nasalisée » :

année [an-e] an [ɑ̃ ]


parfumeur [paʀfym- parfum [paʀfœ̃]
œʀ]
baignade [beɲ-ad] bain [bɛ̃]

Il faut souligner que l’on a mis en relief uniquement une partie des règles
qui jouent un rôle important dans le domaine des allomorphes. Ces
différentes règles ne sont pas particulières à la morphologie dérivationnelle,
il s’agit de règles phonologiques générales qui caractérisent le français.
La morphologie dérivationnelle (comme la morphologie flexionnelle qui
n’intéresse pas vraiment les lexicologues) apparaît relativement simple. Il
s’agit toujours des mêmes mécanismes qui donnent à la morphologie du
français une profonde unité. Cependant, le domaine d’application de ces
règles reste souvent arbitraire. La morphologie dérivationnelle peut donc
être considérée à la fois comme régulière et arbitraire.

1.5. LA CONVERSION (OU DÉRIVATION IMPROPRE)

La conversion – à tort appelée « dérivation impropre » puisqu’elle n’a


aucun caractère morphologique – fait changer un mot de catégorie
grammaticale sans changer sa forme. Dans le boire et le manger, les noms
boire et manger ont été créés par une simple recatégorisation grammaticale
des verbes boire et manger. La modification de la catégorie grammaticale
provoque évidemment un changement de sens. Au niveau sémantique, la
conversion ne diffère pas fondamentalement de la dérivation suffixale ou
préfixale, parce qu’elle permet d’effectuer les mêmes types de construction
de sens nouveaux mais elle n’implique pas les mêmes mécanismes formels.
La conversion touche toutes les classes grammaticales, mais les transferts
les plus nombreux affectent surtout les catégories de noms, d’adjectifs et
d’adverbes. En effet, il y a des noms qui proviennent :
– d’adjectifs : le vrai, le rouge, une blonde, un rapide ;
– de noms propres : une poubelle (nom du préfet de police qui a imposé
l’emploi de cet objet) ;
– de pronoms : le moi, le ça, un rien ;
– de verbes (à l’infinitif ou au participe) : le boire, le manger, un militant,
les assiégés, un accusé ;
– de prépositions : les avants, le pour, le contre ;
– d’adverbes : les pourquoi et les comment, le bien, le mal ;
– de conjonctions : des si, des mais.
On rencontre des adjectifs qui ont été créés à partir :
– de noms : les (yeux) marrons, un (côté) province ;
– d’adverbes : un (homme) bien ;
et des adverbes provenant :
– d’adjectifs : (parler) fort, (chanter) faux, (voter) utile ;
– de prépositions (par effacement du groupe nominal introduit) : (il faut
faire) avec, (je suis) pour ;
– de noms propres : (rouler) Peugeot, (laver) Bonux.
Un certain nombre d’interjections ont été créées à partir :
– de noms propres : Seigneur ! Marie !
– de noms communs : attention ! peste ! merde !
– d’adjectifs : bon !
– de pronoms : ça !
– de verbes : allons ! voyons ! allez !

1.6. LA DÉRIVATION INVERSE (OU RÉGRESSIVE)

Elle consiste à tirer un mot plus simple d’un mot plus long. Dans
l’histoire du français, un grand nombre de noms ont été formés par
suppression du suffixe verbal :

accorder → accord
coûter → coût
galoper → galop
refuser → refus
soupirer → soupir
adresser → adresse
attaquer → attaque
visiter → visite

Dans une perspective purement synchronique, le fonctionnement de ces


couples n’apparaît pas différent de celui de danse/danser où c’est le verbe
qui est formé sur le substantif. Sans connaissances historiques, il est donc
impossible de repérer ce type de dérivation.
La dérivation inverse élimine parfois un suffixe (aristocratie →
aristocrate) ou même un e graphique final qui a des conséquences sur la
prononciation (médecine → médecin, violette → violet).
Certains affixes sont plus productifs que d’autres. Dans ce cas, les
linguistes parlent de « disponibilité » des affixes, il s’agit de leur capacité à
créer de nouveaux dérivés. Pour être productif, un affixe doit se distinguer
clairement des bases auxquelles il est ajouté. La notion de disponibilité ne
doit pas être confondue avec celle de fréquence. En effet, tel ou tel affixe
peut, à un moment donné, être plus fréquent que tel ou tel autre, mais cet
affixe fréquent n’est pas obligatoirement disponible. Il n’est peut-être plus
utilisé dans la fabrication des mots nouveaux.
Par exemple, la disponibilité des suffixes d’action -ment, -tion et -age
semble être très inégale : le suffixe -ment est fort fréquent, mais moins
disponible que -age ou -tion. En fait, le suffixe -age est très disponible,
parce qu’il peut fonctionner à l’intérieur de plusieurs sortes de vocabulaires
(vocabulaire technique : antiparasitage, doublage ; vocabulaire courant :
cafouillage, largage…). Le suffixe -tion s’appuie sur l’existence d’un
suffixe analogue en anglais (indexation, programmation), tandis que -ment
se restreint au champ des attitudes psychologiques ou sociales, ou se
spécialise dans un sens résultatif.
Les affixes disponibles sont souvent des affixes qui peuvent se combiner
avec des bases différentes. Par exemple, le suffixe -isme a la possibilité de
s’ajouter à des bases nominales (revanchisme), à des bases verbales
(dirigisme), à des noms propres (gaullisme) et même à des bases d’origine
savante (autisme).
Il est parfois surprenant de constater que des phénomènes souvent
imprévisibles peuvent rendre disponible un affixe qui était devenu peu
productif. Par exemple, le suffixe nominal -erie n’était presque plus
disponible dans les années soixante. Subitement, à partir des années
soixante-quinze, grâce au développement du commerce, un grand nombre
de dérivés ont été formés à l’aide de ce suffixe : billetterie, carterie,
croissanterie, gadgeterie, jardinerie, juperie, roberie, tablerie.
Le recul d’un affixe est souvent lié au développement d’un autre : les
suffixes -ard et -oire, par exemple, qui servaient à désigner des outils ont
été concurrencés par -eur/-euse. Un affixe devenu peu productif peut
prendre de nouvelles valeurs (littéraires, archaïsantes, péjoratives…) ou être
utilisé dans des situations nouvelles.
Certains chercheurs font remarquer qu’en dehors de quelques rares cas, le
français ne sait plus construire de verbes déverbatifs par suffixation :

chanter → chantonner
écrire → écrivasser
trafiquer → traficoter

Cela ne signifie pas qu’il est incapable de fabriquer de nouveaux verbes


en général, mais qu’il se sert alors soit des déverbatifs construits par
préfixation (dé-/dés, re-/ré-…), soit des dénominatifs (= verbes dérivés à
partir de noms).
À l’intérieur du lexique il y a des mots qui entretiennent entre eux des
rapports plus ou moins étroits. En effet, un certain rangement des notions
s’institue à la faveur de la forme des mots. Ainsi, à partir des bases
verbales, on peut construire des dérivés en -eur qui désignent l’agent de
l’action indiquée par le verbe (chant(er) → chanteur, dans(er) → danseur,
camp(er) → campeur, cour(ir) → coureur…). À l’aide du suffixe -ière (-
ère) on désigne des emplois féminins (couturière, infirmière, lingère…), à
l’aide du suffixe -isme, des concepts savants (séisme, illogisme, naturisme,
traumatisme, formalisme, structuralisme…), etc.
Des assemblages plus ou moins systématiques ont donc tendance à se
dessiner à l’intérieur du lexique autour de centres d’intérêt, d’une part, et de
certaines particularités formelles, de l’autre. Mais il ne faut pas croire que le
lexique de la langue soit parfaitement régulier du point de vue de la
dérivation. En effet, assez souvent on est surpris par des lacunes ou des
formes imprévisibles. Il y a parfois un écart entre les règles mécaniques de
création des dérivés et leur emploi effectif dans la communauté
linguistique. On peut citer l’exemple du dérivé projecteur, formé à partir
d’une base verbale et le suffixe -eur. Ce mot est réservé à un certain type
d’appareils électriques ou audiovisuels, au lieu de valoir, contrairement à ce
que l’on pourrait penser, pour tous les agents de projection. Il y a aussi des
unités lexicales qui pourraient être engendrées par dérivation mais qui ne
sont pas attestées, comme *surdormir au sens « dormir excessivement » ou
*inaimable.
Souvent la langue utilise tel affïxe plutôt que tel autre équivalent, sans
que cette préférence soit réellement explicable : pourquoi changement et
non *changeage ou épandage et non *épandement ?

2. LA COMPOSITION

Parmi les unités lexicales de la langue française, à côté des mots simples
qui ne peuvent pas être décomposés en unités significatives plus petites et
des mots dérivés et fléchis dont l’un seulement des éléments constitutifs est
susceptible d’être employé de façon autonome dans l’énoncé, on peut
également rencontrer des unités composées telles que :

pomme de terre
bébé-éprouvette
aigre-doux
anthropologue
pourboire
qu’en dira-t-on
au fur et à mesure

La composition peut être définie comme la juxtaposition de deux


éléments qui peuvent servir de base à des dérivés. Certains linguistes ont
tendance à la définir comme la juxtaposition de deux éléments qui peuvent
exister par ailleurs à l’état libre. Cette définition-ci permettrait bien d’y
intégrer des mots comme bébé-éprouvette ou canapé-lit, mais pas des mots
comme anthropologue où ni anthrope ni logue ne se rencontrent seuls, alors
même qu’à la différence des suffixes et des préfixes, ils peuvent servir de
base à des dérivés : anthropien, logistique, etc. On ne peut donc voir en eux
des affixes. Ce sont des bases dont le fonctionnement est fondamentalement
le même que celui de canapé ou de bébé.
Un certain nombre de linguistes font la différence entre mots composés
(populaires) et locutions. Il est indispensable de souligner que, malgré les
nombreux critères utilisés pour identifier ces deux concepts, la frontière qui
les sépare reste extrêmement indécise. Nous avons décidé de suivre le point
de vue, assez largement adopté, selon lequel on regroupe parmi les mots
composés populaires les unités à deux termes qui forment des noms (bébé-
éprouvette, canapé-lit) et les unités à trois termes qui sont uniquement
nominales (pomme de terre, chemin de fer, machine à coudre). Les unités
figées complexes appartenant aux autres parties du discours (adjectifs,
verbes, adverbes, pronoms, prépositions, conjonctions, interjections) (aigre-
doux, faire partie), et les formes comportant plus de trois éléments sont
rangées sous l’étiquette « locutions » (à pas de loup, qu’en dira-t-on, au fur
et à mesure).
Les mots composés et les locutions sont donc inscrits, à côté des mots
simples et des mots dérivés, comme unités figées dans le code de la
mémoire du sujet parlant. Cela veut dire que l’on doit les reproduire tels
quels, en bloc, dans le discours. Au contraire, le syntagme libre et la phrase
sont des unités qui ne sont pas codées. Leurs éléments peuvent être choisis,
déplacés et intervertis à volonté, dans les limites de la grammaticalité et de
la sémanticité.
Très souvent, les éléments utilisés dans la composition sont donc
susceptibles d’être employés de façon autonome dans la langue. C’est pour
cela qu’il n’est pas toujours facile de décider si un enchaînement d’unités
lexicales constitue un mot composé ou relève de la combinaison libre
d’unités dans le discours : coffre-fort est un mot composé, mais coffre dur
est un syntagme libre. Les chercheurs se servent des critères graphiques,
morphologiques, syntaxiques et sémantiques pour essayer de tracer la
frontière entre ces deux concepts.
L’orthographe fournit un critère décisif quand les éléments du composé
forment une unité graphique ininterrompue : portefeuille, pourboire. Mais
on est très vite amené à se rendre compte que cette fusion graphique des
termes a un caractère aléatoire : on écrit portefeuille, mais dans porte-
monnaie, porte-jarretelles et porte-parole les unités sont séparées par un
trait d’union.
Le rôle du trait d’union est également important, mais il existe
beaucoup de mots composés qui n’en comportent pas (eau de vie, garde
champêtre, pied de nez, faits divers). En outre, très souvent on assiste à des
variations entre les différents dictionnaires (lieudit, lieu-dit et lieu dit). Cette
alternance entre la présence et l’absence du trait d’union pose des
problèmes en lexicographie. En effet, dans un grand nombre de
dictionnaires, la présence du trait d’union permet au mot d’avoir une entrée
autonome à sa place alphabétique. Inversement, les mots composés tels que
fait divers, salle à manger et arc de triomphe, écrits sans trait d’union, n’ont
pas toujours d’entrée indépendante dans les dictionnaires.
Comme les critères orthographiques se révèlent souvent insuffisants, les
chercheurs ont tendance à se référer à d’autres signes pour décider si tel ou
tel groupe de mots constitue un mot composé ou pas. Étant donné que les
mots composés sont inscrits comme unités dans le code de la mémoire du
sujet parlant, le critère d’inséparabilité, c’est-à-dire l’impossibilité
d’insérer un élément quelconque à l’intérieur d’une unité lexicale, est un
critère souvent utilisé par les chercheurs. Il est tout à fait impossible de dire
*pomme pourrie de terre ou *fait très divers. Le locuteur n’a pas, non plus,
la liberté de changer, à sens égal, l’ordre des éléments dans ces unités
(*éprouvette-bébé, *de terre pomme).
Le critère de commutation, qui permet de mettre en évidence des classes
d’équivalences (pomme de terre appartient au paradigme de carotte, navet,
poireau, etc.), confirme ce que révèle le critère d’inséparabilité : lorsqu’une
unité complexe est lexicalisée, c’est-à-dire sentie comme mot, elle se
comporte, dans ses rapports avec les autres éléments de l’énoncé,
exactement comme une unité simple.
On peut également mentionner d’autres indices qui aident à identifier les
mots composés et les combinaisons libres d’unités dans le discours.
L’existence d’un dérivé suffixal semble être aussi un critère important.
Ainsi, tiers-monde peut être considéré comme un mot composé car il a
donné naissance aux dérivés tiers-mondiste, tiers-mondisme et tiers-
mondisation. Il convient de signaler aussi qu’il est impossible de remplacer
l’un des éléments du mot composé par un synonyme (= un mot qui a le
même sens) ou un antonyme (= un mot qui a le sens contraire). * Jolie-fille
à la place d’belle-fille n’est pas envisageable, ainsi que *mal hébergé au
lieu de mal logé. Si le dernier élément des noms composés est un substantif,
il se présente très souvent sans article : hôtel de ville, robe de chambre,
tenue de soirée.
2.1. LA COMPOSITION SAVANTE

Les mots composés peuvent être d’origine savante, d’origine mixte ou


d’origine entièrement française. Contrairement à beaucoup d’autres langues
qui forment leurs termes techniques et scientifiques nouveaux à partir
d’éléments existant dans la langue, le français favorise la composition par
emprunts aux langues anciennes. Dans ce cas, on parle de « composition
savante ». Les composés savants sont souvent créés par la fusion de bases
grecques ou latines qui ne constituent en général pas d’unités lexicales
autonomes (sauf en cas d’abréviation, comme pour géo ou litho) : les
éléments hémo- et -philie de hémophilie (« maladie héréditaire se traduisant
par une incapacité du sang à coaguler »), par exemple, ne se trouvent que
dans des composés savants comme hémogramme (« résultat de l’étude
quantitative et qualitative des éléments figurés du sang ») et pédophilie
(« attraction sexuelle pour les enfants »).
La spécificité de la composition savante tient à l’emploi presque exclusif
d’éléments empruntés directement au latin et au grec et à une formation qui
tend à respecter les règles de la composition dans ces deux langues.
Cependant, il existe aussi des composés savants qui contiennent un élément
faisant partie du vocabulaire courant : par exemple, sensible dans
hypersensible, tension dans hypotension, etc.
Les éléments latins servant en composition savante sont moins fréquents
que les éléments grecs. La première partie de ces composés se termine
généralement par la voyelle de transition -i :

viticole (viticola) « relatif à la culture de la vigne et à la production du vin »


calorifère (calori- et -fère) « qui porte ou répand la chaleur »
frigorifique (frigorificus) « qui sert à produire le froid »
fumivore (fumus et -vore) « qui absorbe de la fumée »

Les éléments grecs sont extrêmement nombreux, surtout dans les


domaines scientifiques. La voyelle de transition -o relie habituellement les
deux éléments :

bibliophile (de biblio- et -phile) « personne qui aime, recherche et conserve avec soin les
éditions originales »
cleptomane (kleptês « voleur » et -mane, mania « folie ») « personne qui a une propension
pathologique à commettre des vols »
homéopathie (homéo- et -pathie) « méthode thérapeutique qui consiste à soigner les malades au
moyen de remèdes (à doses infinitésimales obtenues par dilution) »
néologisme (néo- et -logisme) « mot nouveau ou sens nouveau d’un mot »

Il existe aussi des composés hybrides formés d’un élément latin et d’un
élément grec :

automobile (auto du gr. autos « soi-même, lui-même » + mobile du lat. mobilis « qui se meut »)
homosexuel (homo du gr. homos « semblable, le même » + sexuel du bas lat. sexualis)
polyvalent (poly du gr. polus « nombreux, abondant » + lat. valens)

ou dans lesquels l’un des deux éléments est français ou peut être
considéré comme tel :

antidater (anti- du lat. « avant » + dater)


archiplein (archi- du gr. « degré extrême, excès » + plein)
juxtaposer (juxta- du lat. « près de » + poser)
minijupe (mini- du lat. minus « moins » + jupe)

Parfois, deux composés synonymes proviennent l’un du latin, l’autre du


grec, comme juxtaposition et parataxe. Il y a des éléments qui peuvent se
placer uniquement au début (acro- dans acrobate) ou à la fin des mots
composés (-mane dans mythomane, mégalomane), alors que beaucoup
peuvent, selon le mot, occuper les deux positions :

phonographe/téléphone
podologie/gastéropode
pédiatrie/orthopédie

2.2. LA COMPOSITION POPULAIRE

Les mots composés peuvent également comporter des mots français qui
ont une existence autonome par ailleurs. Dans ce cas, on a souvent
l’habitude de parler de « composition populaire ». Les éléments assemblés
dans un mot composé forment une unité de sens nouvelle, dont la
signification dépasse celle de ses éléments pris isolément. La composition
en français, contrairement à beaucoup d’autres langues, est rarement le lieu
d’une simple juxtaposition de ses éléments. Les relations sémantiques entre
les deux parties d’un mot composé sont variées : il peut exister, entre deux
éléments nominaux, des rapports attributifs comme dans député-maire (« le
député est maire ») ou des rapports de détermination comme dans pomme
de terre. Quand le premier élément est un verbe, le nom qui suit peut avoir
le statut de complément d’objet comme dans porte-bagages ou essuie-
glace. Quand les deux éléments sont des verbes, ils peuvent être tantôt dans
un rapport de subordination (savoir-faire, laissez-passer), tantôt dans un
rapport de coordination (pousse-pousse, va-et-vient), etc. En fait,
l’interprétation des mots composés français dépend d’abord de la nature
catégorielle et sémantique des constituants et de leur ordre. Voici une liste
des principales structures de composition en français contemporain.
– Nom + nom :
Dans ce type de formation, on peut repérer des rapports attributifs (N1 est
N2) :

canapé-lit
porte-fenêtre
wagon-restaurant
député-maire
bar-tabac

Parfois le deuxième nom est un complément de relation du premier, sans


préposition :

timbre-poste
café-concert
café-crème
poids-plume
pause-café

– Nom + préposition + nom ou verbe à l’infinitif :


pomme de terre
machine à écrire
clair de lune
boîte aux lettres
moulin à vent

Les prépositions utilisées entre les deux termes peuvent signifier


plusieurs choses : la destination, la caractérisation distinctive, l’agent
moteur, etc.
– Adjectif + nom :

bas-fond
basse-cour
belle-fille
bon sens
court-bouillon

– Nom + adjectif :

amour-propre
bande dessinée
coffre-fort
cerf-volant
fait divers

Dans ce type de construction, le deuxième élément peut être un participe


passé ou présent (bande dessinée, cerf-volant).
– Préposition ou adverbe + nom ou verbe :

pourboire
arrière-boutique
sans gêne
quasi-unanimité
sous-préfet
Dans ces noms formés par la combinaison d’un adverbe ou d’une
préposition et d’un nom ou d’un verbe, le premier élément joue, d’une
certaine façon, le rôle d’un préfixe. C’est pour cela que d’après certains
linguistes, ces constructions relèvent plutôt de la dérivation.
– Verbe + nom :
Très souvent, le nom est le complément direct du verbe :

brise-glace
cache-nez
casse-noisette
porte-bonheur
tire-bouchon

Parfois la fonction du nom doit être interprétée différemment :

pense-bête (= chose, marque destinée à rappeler ce que l’on a projeté de faire)


marchepied (= petit banc où l’on pose les pieds quand on est assis)

– Verbe + adjectif ou adverbe ou pronom :

gagne-petit
songe-creux
pisse-froid
passe-partout
fait-tout (ou faitout)

– Verbe + verbe :

laisser-aller
savoir-faire
cache-cache
va-et-vient
savoir-vivre
Les deux verbes de ces constructions peuvent être dans un rapport de
subordination (laisser-aller) ou dans un rapport de coordination (cache-
cache).
Certains linguistes font la différence entre les mots composés
endocentriques (« centrés vers l’intérieur ») et les mots composés
exocentriques (« centrés vers l’extérieur »). Un composé est endocentrique
lorsque la classe d’objet à laquelle il correspond est la même que celle à
laquelle correspond l’élément déterminé de ce composé. Par exemple, le
composé oiseau-mouche est endocentrique, puisque l’oiseau-mouche est un
oiseau. Un composé est exocentrique lorsque la classe d’objets à laquelle il
correspond n’est pas la même que celle à laquelle correspond l’élément
déterminé de ce composé. Le composé rouge-gorge est exocentrique
puisque le rouge-gorge n’est pas une gorge, mais un oiseau.

2.3. LA LOCUTION

On a vu au début de cette partie sur la composition que, selon la


perspective adoptée dans ce livre, seules les unités à deux termes et les
unités à trois termes uniquement nominales sont rangées parmi les mots
composés. Les unités figées complexes faisant partie des autres catégories
grammaticales (verbes, adjectifs, adverbes, pronoms, prépositions,
conjonctions, interjections) et les formes lexicalisées comportant plus de
trois éléments (qu’en-dira-t-on, à pas de loup, tant bien que mal…) sont
classées parmi les locutions. Toutes ces unités complexes, qui sont inscrites
comme unités figées dans le code de la mémoire du sujet parlant et que l’on
doit reproduire telles quelles, en bloc, se comportent, dans leurs rapports
avec les autres éléments de l’énoncé, exactement comme les unités simples.
Ainsi, la locution nominale qu’en-dira-t-on, par exemple, pourrait très bien
être remplacée par le nom simple ragot. Cette unité complexe n’est pas
considérée comme un mot composé tout simplement parce qu’elle comporte
plus de trois éléments. La locution verbale chercher noise est le synonyme
du verbe simple quereller, la locution adverbiale à pas de loup peut se
substituer à l’adverbe simple doucement, etc.
Les locutions peuvent être des :
– locutions nominales : un m’as-tu-vu, le qu’en-dira-t-on ;
– locutions verbales : faire fi de, chercher noise ;
– locutions adjectivales ou (adjectives) : aigre-doux, bon
enfant, médico-social ;
– locutions pronominales : quelque chose, les uns, les autres ;
– locutions adverbiales : en effet, sur le champ, tout à coup,
d’arrache-pied, à l’improviste ;
– locutions prépositives : autour de, à cause de, en raison de, grâce
à, au fur et à mesure ;
– locutions conjonctives : afin que, de même que, pour la raison
que, à supposer que, étant entendu que ;
– locutions interjectives : nom de dieu !, bonté divine !, mais enfin !

2.4. L’AMALGAME OU MOT-VALISE

Il est intéressant de noter que la langue française forme aussi des


amalgames ou mots-valises. Il s’agit d’une construction composée de deux
mots emboîtés l’un dans l’autre, ce qui implique l’effacement d’une partie
de l’un au moins des deux mots.

informatique : informa(tion) et (auto)matique (« science du traitement de l’information »)


clavarder : clav(ier) et (ba)varder (« dialoguer avec d’autres internautes »)
entreprenaute : entrepren(eur) et (inter)naute (« créateur d’entreprise sur Internet »)
mobinaute : mobi(le) et (inter)naute (« internaute qui utilise des terminaux mobiles pour accéder
à Internet »)
pourriel : pou(belle) et (cou)rriel (« Région. (Canada) courrier électronique importun, envoyé à
un grand nombre d’internautes »)
ordiphone : ordi(nateur) et (télé)phone (« téléphone intelligent, smartphone »)

On peut constater qu’il y a des constructions dans lesquelles les deux


éléments ont une partie de leur signifiant en commun (informa + matique,
clav + varder) et des constructions où les deux signifiants n’ont pas de
partie commune (mobi + naute).
Ce processus particulier de composition permet, par exemple, de former
des noms d’animaux et de végétaux hybrides :

lion + tigre → ligre


puma + léopard → pumapard
sanglier + cochon → sanglochon
loup + renard → lounard
mûre + framboise → mûroise
cassis + groseille → caisseille

Il apparaît aussi dans des noms de services, de marques de produits, etc. :

pomme + compote → Pom’pote


craquante + biscotte → Craquotte

Certains auteurs ont créé des mots-valises :

foule + multitude → foultitude (Victor Hugo)


alcool + accolade → alcoolade (Raymond Queneau)
prose + poème → proême (Francis Ponge)

Cette forme de composition, bien connue en anglais depuis longtemps


(transfer + resistor → transistor ; breakfast + lunch → brunch ; motor
+ hotel → motel), semble être de plus en plus fréquente en français.

3. L’ABRÉVIATION ET LA SIGLAISON

Le français se sert aussi de deux autres procédés qui contribuent à la


création lexicale : l’abréviation et la siglaison. En effet, les sujets parlants
éprouvent parfois le besoin de raccourcir les mots qu’ils estiment trop
longs. En retenant juste ce qu’il faut pour que le signe obtenu soit
compréhensible, ils économisent leur dépense articulatoire et mémorielle.

3.1. L’ABRÉVIATION
Ce procédé consiste à exprimer une unité linguistique par un signifiant
qui, tronqué d’un ou plusieurs éléments, conserve le signifié de l’unité de
départ. L’abréviation peut se présenter sous des formes différentes :
a) Quand un objet, un être ou un processus sont désignés par une fusion
de deux ou plusieurs unités lexicales, l’usage tend à réduire cet ensemble
trop encombrant à son terme le plus caractéristique :

générale au lieu de répétition générale


quotidien au lieu de journal quotidien
hebdomadaire au lieu de périodique hebdomadaire
pull au lieu de pull-over
métropolitain au lieu de chemin de fer métropolitain

Les abréviations touchent souvent des mots composés savants :

cinéma ou ciné pour cinématographe


photo pour photographie
stylo pour stylographe
polio pour poliomyélite
micro pour microphone

b) Les unités lexicales graphiquement ininterrompues jugées trop longues


(souvent à partir de trois syllabes) donnent également lieu à des
phénomènes de troncation :

métro pour métropolitain


fac pour faculté
prof pour professeur
bac pour baccalauréat
imper pour imperméable

c) La langue écrite utilise fréquemment des abréviations qui réduisent un


mot à une ou plusieurs lettre(s) :

M pour Monsieur
Mme pour Madame
Dr pour Docteur
F pour franc(s)
p. pour pages
Mgr pour Monseigneur

Certains ouvrages spécialisés comme les dictionnaires et les grammaires,


par exemple, comportent des listes d’abréviations assez longues, dont
certaines sont d’usage courant : c.-à-d., ex., cf., qqch (« quelque chose »),
qqn (« quelqu’un »). Il s’agit ici de commodités d’impression ou d’écriture.
L’abréviation efface généralement les dernières syllabes du mot :
fac(ulté), professeur), amphi(théâtre). Dans ce cas, on parle de « troncation
postérieure » (ou d’apocope). La troncation antérieure (ou aphérèse),
c’est-à-dire la réduction de la partie initiale du mot est plus rare : (auto)bus,
(ca)pitaine, (prin)cipal. La troncation peut également être double :
(ré)frig(érateur) → frigo.
La troncation postérieure est beaucoup plus fréquente que les autres types
de troncation. En effet, c’est elle qui dérange le moins le décodage,
puisqu’un mot se reconnaît plus facilement par sa partie antérieure que par
sa partie postérieure ou médiane : fac et prof sont plus aisément
identifiables que ne le seraient *ulté ou *esseur. Très souvent les dernières
lettres d’un mot ne sont pas nécessaires pour le décoder.
Deux ou trois syllabes sont conservées, parfois une seule : stylo(-bille),
ciné(ma), pro(fessionnel). Cependant, le découpage syllabique n’est pas
toujours respecté. Les mots abrégés manif(estation), fac(ulté), prof(esseur)
se terminent souvent par la consonne initiale de la deuxième ou de la
troisième syllabe du mot entier. L’abréviation a souvent pour résultat de
réduire un mot préfixé à son préfixe, qui prend alors le sens de l’ensemble :
bisexuel (bi). Dans les composés savants, c’est généralement le premier
élément qui est conservé, comme télé(vision) ou homo(sexuel), mais le
découpage n’est pas toujours exact (météo pour météorologie).
L’abréviation a entraîné le développement du pseudo-suffixe -o, par
généralisation du timbre de la voyelle qui apparaît dans promo, interro,
compo, expo, vélo, labo, mélo, etc., d’où des formations telles que mécano
(mécanicien), apéro (apéritif), prolo (prolétaire), hosto (hôpital).
L’homophonie avec le suffixe nominal (-ot) (cheminot, culot), présent dans
les mots populaires (boulot, bécot, frérot), donne à ces termes en -o une
coloration plus ou moins familière. On rencontre parfois d’autres pseudo-
suffixes : cinoche (cinéma), juteux (adjudant).
Les abréviations peuvent servir à leur tour de base pour la formation de
nouveaux mots : bus est l’élément final dans autobus, trolleybus, abribus,
bibliobus ; auto a servi d’élément initial (plus rarement final : lavauto) à de
nombreux mots nouveaux : auto-école, autoradio, autoroute, auto-
stop(peur), etc.
Les abréviations sont souvent utilisées par le langage familier ou
populaire (écoliers, étudiants…). Le jargon de chaque groupe
socioprofessionnel semble également posséder ses mots tronqués. Les
historiens de la langue savent que les formes abrégées ont toujours joué un
rôle considérable dans l’édification du lexique. Un mot tronqué se substitue
souvent progressivement à la forme pleine qui a tendance à sortir de
l’usage : stylo (< stylographe), photo (photographie), métro (< [chemin de
fer] métropolitain). Lorsqu’un nom est tronqué, il est fréquent que l’adjectif
correspondant soit dérivé de la forme pleine : cinéma (nom),
cinématographique (adj.).
Beaucoup de linguistes considèrent que les termes abréviation et
troncation désignent la même chose, d’autres, en revanche, font la
différence entre les deux et considèrent que la troncation est liée à la
construction de mots, tandis que l’abréviation fournit des bases autonomes.
Leur mécanisme est identique (il s’agit de couper un mot), mais leurs
produits ont un fonctionnement et un statut différents dans le lexique.

cent, n.m. (< de centième, avec l’influence de l’anglais) → abréviation


bioterrorisme, n.m. (< bio(logie) + terrorisme) → troncation

Selon cette conception, cent (issu de centième) est un mot abrégé qui a
une existence autonome. La brièveté des mots abrégés est un avantage pour
les locuteurs, mais comme la coupure survient quasiment n’importe où, la
restitution du mot complet est souvent très aléatoire. Le mot bioterrorisme
(« utilisation de l’arme biologique à des fins terroristes ») repose sur la
troncation du mot biologie suivi du mot français terrorisme.
La formation relativement récente du mot téléconférence mérite d’être
examinée de plus près. On constate que le morphème télé- emprunté au grec
(adverbe, « loin ») est devenu un nom français. Cette nouvelle base, issue
par abréviation d’un nom composé, entre à son tour en composition avec
d’autres bases pour former de nouveaux mots (télé(vision)spectateur, etc.).
L’élément télé- fonctionne donc dans le lexique français avec plusieurs
valeurs. Dans téléconférence, télévision ou téléphérique, il a la valeur de
l’adverbe grec qui signifie « au loin, de loin » ; en revanche, dans
téléspectateur, téléfilm, téléjournal, il signifie « télévision » et assume le
statut d’une base nominale, abréviation lexicalisée de télévision.

3.2. LA SIGLAISON ET L’ACRONYMIE

Contrairement aux abréviations qui sont souvent associées au langage


parlé plutôt négligé, les sigles, c’est-à-dire les unités formées par la réunion
des lettres initiales des mots composant des unités lexicales complexes,
semblent caractériser avant tout la langue standard. Ils désignent, entre
autres, des organisations administratives, politiques, syndicales, étatiques,
internationales, etc. En outre, pratiquement tous les domaines d’activité
possèdent leurs sigles.

RSA (Revenu de solidarité active)


PS (Parti socialiste)
CGT (Confédération générale du travail)
HIV (angl. Human Immunodeficiency Virus)
UFR (unite de formation et de recherché)
CVL (conseil de la vie lycéenne)

Les sigles les plus importants sont reconnus par tout le monde, mais
d’autres n’ont de sens que pour des initiés. Combien de locuteurs en dehors
des gens du cinéma et du spectacle connaissent les sigles tels que CNC
(Centre national de la cinématographie), SACD (Société des auteurs
compositeurs dramatiques) ?
En ce qui concerne la prononciation des sigles, on peut constater qu’un
certain nombre d’entre eux se prononcent comme lorsqu’on récite
l’alphabet :

RATP [eratepe]
PC [pese]
PS [peɛs]

Un acronyme est une variété de sigle qui se distingue du sigle


proprement dit par le fait qu’il est prononcé comme un mot, et non lettre par
lettre. Cela implique que la combinaison des consonnes et des voyelles
permet l’articulation des phonèmes et leur fusion en syllabes. UNESCO
[ynɛskɔ] (ang. United Nations Educational Social and Cultural
Organisation) est formé sur le modèle VCVCCV et OTAN [otɑ̃ ]
(Organisation du traité de l’Atlantique Nord) sur le modèle VCV. Certains
acronymes, comme par exemple, ONU (Organisation des Nations unies),
peuvent être prononcés lettre par lettre ou comme un mot. Ce système
rétroagit sur l’écriture des signes non prononçables : B.D. (bande dessinée)
qui a donné bédé.
On peut se demander si les sigles peuvent être considérés comme des
mots, au même titre que les abréviations. Certains restent de simples
associations de lettres sans signification indépendante et d’usage
conventionnel étroitement localisé. Ces unités ne sont généralement pas
classées parmi les mots. D’autres forment des signifiants possédant une
fonction désignative autonome intégrée au système général de la langue
(USA, UNESCO, SNCF, RATP). Les sujets parlants sont souvent incapables
de reconstituer la locution entière correspondant à ces sigles, mais ils
connaissent parfaitement bien leur signification. Certains sigles sont
devenus des mots véritables, comme les termes anglais Radar (Radio
Detecting and Ranging) et Laser (Light Amplification by Stimulated
Emission of Radiations). L’emploi des lettres capitales devient alors inutile.
Quelques sigles fonctionnent comme des noms propres, sans article,
d’autres comme des noms communs.
Les organismes, les entreprises, les associations nouveaux, etc. essaient
de trouver des sigles parlants et efficaces qui s’enregistrent vite et se
retiennent facilement. On a tendance à rechercher de plus en plus des sigles
directement prononçables, dont le signifiant est parfois homonyme d’un
mot existant : CIEL (= Centre international d’étude des langues). Les sigles
totalement entrés dans l’usage donnent souvent naissance à la création de
mots dérivés par suffixation :

CGT → cégétiste
ENA → énarque
CAPES → capésien, capésienne
SMIC → smicard
RMI → érémiste

Toutes les unités lexicales que l’on vient d’examiner – mots simples,
mots dérivés, mots composés, locutions, abréviations et sigles – constituent
ce qu’on appelle souvent le « fonds national du lexique ». Malgré leur
richesse et leur diversité, ces ressources sont concurrencées par celles qui
proviennent des langues étrangères.
CHAPITRE 3
ÉTUDE DES RELATIONS
LEXICALES
1. La synonymie
2. L’antonymie
3. L’hyperonymie et l’holonymie
4. L’homonymie et la paronymie
5. La polysémie
6. Le sens propre et le sens figuré
7. L’autonymie

Dans le chapitre précédent, on a analysé les unités lexicales sous l’angle


morphologique en examinant en détail les différentes sortes de mots qui
caractérisent le lexique de la langue française (mots simples, mots dérivés,
mots composés, locutions, abréviations et sigles). Mais la morphologie
lexicale peut s’accompagner d’un secteur proprement sémantique qui
regroupe et analyse les unités lexicales en fonction de leur sens. On peut
définir la sémantique (du grec sèmantikos, dérivé adjectival de sèmainein
« signifier ») comme l’étude scientifique du sens des mots et des phrases.
Dans ce chapitre, on s’intéressera aux mots qui entretiennent entre eux
des rapports sémantiques plus ou moins étroits : égoïsme et individualisme
ont une relation de sens qui n’existe pas entre égoïsme et beauté ; intelligent
et bête se ressemblent plus que ne le font intelligent et bleu ou court ;
détester, haïr, exécrer ont des rapports de sens que n’ont pas détester et
nager ou marcher. Vénéneux et venimeux sont proches, ainsi que fruit et
pomme. En effet, certains signes entretiennent entre eux des relations
d’identité, d’opposition et d’implication sémantiques (synonymie,
antonymie, hyponymie/hyperonymie, méronymie/holonymie), d’autres
offrent plusieurs significations (polysémie). On peut également rencontrer
des signes qui se ressemblent au niveau formel (homonymie, paronymie).
Dans ce chapitre, on mettra également en lumière les notions de sens propre
et de sens figuré.

1. LA SYNONYMIE

Elle désigne la relation que deux ou plusieurs mots différents ayant le


même sens entretiennent entre eux. En principe, on établit la synonymie en
utilisant une procédure de substitution : on remplace un mot par un autre
dans un même contexte. Ces mots sont synonymes si le sens n’en est pas
modifié. Les synonymes doivent donc appartenir à la même classe
grammaticale.
Il y a une équivalence sémantique entre forte et épicée quand on
remplace :

La sauce est forte


par : La sauce est épicée.

1.1. LA SYNONYMIE ABSOLUE OU APPROXIMATIVE

Comme on ne ressent pas de différence bien nette entre ces deux mots, on
devrait pouvoir les considérer comme synonymes. Mais si l’on examine
avec plus de précision ces deux termes, on s’aperçoit que la notion de
synonymie est difficile à cerner avec rigueur et que les mots appelés
« synonymes » ne commutent pas entre eux dans tous les contextes. Avec
les mêmes mots, on peut construire des phrases où la synonymie disparaît :

Cette femme est forte.


*Cette femme est épicée.
Deux mots peuvent avoir, pour une partie de leurs emplois, une acception
identique alors que, dans d’autres cas, ils ont des sens plus ou moins
divergents. Une distinction doit donc être faite entre les synonymes
absolus, qui sont substituables dans n’importe quel contexte, et les
synonymes approximatifs ou partiels, qui commutent uniquement dans un
ou plusieurs contextes déterminés.
En fait, les cas de synonymie absolue sont extrêmement rares. Ils ne se
rencontrent guère que dans le langage technique ou scientifique. Par
exemple, le vocabulaire de la médecine présente des doublets, les uns
souvent empruntés au latin, les autres au grec (ictère, hépatite). Parfois, des
chercheurs différents forgent des mots différents pour désigner le même
concept (archilexème/hyperonyme).
Globalement, on peut prévoir que si deux mots sont employés
exactement dans les mêmes contextes, l’un d’eux a tendance à disparaître
ou à changer de sens. Si plusieurs signifiants correspondent à un même
signifié, c’est certainement parce que la langue en a besoin : il y a sans
doute entre ces mots des différences plus ou moins sensibles.
La synonymie est donc le plus souvent partielle : l’un des signifiés d’un
mot coïncide avec l’un des signifiés d’un autre. Il convient de préciser que
la plupart des mots sont polysémiques (= possèdent plusieurs sens). Or, la
synonymie, quand elle se rencontre dans de tels mots, ne concerne
généralement qu’une partie des sens. Parmi les nombreux sens du mot fort
(cf. l’exemple cité ci-dessus), on trouve les trois sens suivants :

1. dont l’intensité a une grande action sur les organes des sens ;
2. qui a une grande force intellectuelle, de grandes connaissances (dans un domaine), qui excelle
dans la pratique (de qqch.) ;
3. qui est considérable par les dimensions (corpulent, gros).

Seul le sens 1 se retrouve dans épicé et la synonymie ne porte que sur lui.
On reconnaît donc que dans une langue toute dualité de mots a tendance
à correspondre, au moins sous certains aspects, à une dualité de sens ou
d’emploi. Les caractéristiques sur lesquelles on s’appuie pour distinguer les
synonymes partiels sont de plusieurs sortes. Très souvent ils se laissent
différencier en termes de registres ou de niveaux. On a vu, dans le sous-
chapitre consacré à la notion de variation (p. 29), que chez un même
individu, coexistent plusieurs systèmes, selon la situation de
communication. La notion de niveau de langue désigne les différents types
d’usage distincts selon le milieu socioculturel des locuteurs. En termes de
norme, certains usages sont recommandés, d’autres neutres et d’autres
enfin condamnés par la communauté linguistique. Un dictionnaire
distinguera la plupart du temps les niveaux : « vieux », « classique »,
« littéraire », « poétique », « familier », « populaire » et « trivial »,
éventuellement « soutenu », « vulgaire » et « argotique ». La notion de
registre peut concerner la variation des conduites linguistiques selon le
médium utilisé (écrit vs oral), selon les relations sociales et selon les
domaines de l’expérience (vocabulaire courant vs vocabulaires spécialisés).
En effet, les mots synonymes ne fonctionnent pas toujours dans le même
registre, même si leur équivalence peut être considérée comme totale sur le
plan sémantique. Le choix de l’un ou de l’autre est souvent conditionné par
des paramètres socioculturels ou stylistiques. C’est le cas de migraine et de
céphalée, par exemple. Ces deux noms désignent la même maladie, mais ils
ne sont pas employés par les mêmes locuteurs dans les mêmes
circonstances. Le nom scientifique est surtout utilisé dans une conversation
technique, alors que l’autre est d’usage courant.
Examinons les couples de mots comme :

voiture et bagnole
sel et chlorure de sodium
fille et gonzesse
ennuyeux et emmerdant
avare et parcimonieux

Si le premier terme de chaque couple peut être considéré comme neutre,


le second sera – selon les circonstances et les systèmes de valeur –
considéré comme familier, populaire, vulgaire, scientifique ou littéraire. On
peut être selon les cas ivre, soûl, enivré, bourré, cuit, pété, plein ou rond.
Certains mots sont synonymes seulement dans des emplois
métaphoriques et, par conséquent, dans des contextes tout à fait
particuliers : pain, vie, bifteck, croûte sont synonymes uniquement en tant
que compléments du verbe gagner.
La différence entre deux synonymes peut aussi être géographique.
Soixante-dix et septante ou quatre-vingt-dix et nonante s’opposent par le
fait que l’un est général alors que l’autre marque une origine géographique
limitée (Belgique, Suisse…). Dans le nord ou l’est de la France,
l’expression une paire de est volontiers traitée comme synonyme de deux.
Le poisson qu’on achète sous le nom de merlu dans le Midi s’appelle colin
à Paris. La serpillière peut être nommée wassingue, cinse, loque, panosse,
faubert ou guenille.
En outre, la langue produit sans arrêt des associations stéréotypées, les
collocations :

un esclave est affranchi


un prisonnier est libéré

une branche est ployée


une serviette est pliée

nous abrégeons nos vacances


nous raccourcissons nos vêtements

une forte gelée


une robuste santé

un vigoureux coup de poing

On rompt le pain comme on rompt le silence ; on casse le sucre comme


on casse les pieds ; mais on ne casse pas plus le pain qu’on ne rompt les
pieds… Ces expressions sont figées. Tous ces mots sont sémantiquement
très proches, mais ils ne sont pas interchangeables, ayant été spécialisés par
la langue dans des contextes précis.
Il arrive aussi que le choix entre deux mots soit automatiquement
déterminé par le contexte sans qu’une différence de sens soit sensible. La
différence est alors purement combinatoire. Ainsi on dit :

retour à l’envoyeur
mais : l’expéditeur du colis

La détermination par un complément de nom oblige à remplacer


envoyeur par expéditeur. Dans ce cas, le critère de la substitution, que l’on
considère comme essentiel à la démonstration d’une synonymie, n’est pas
applicable. Il s’agit bien d’une sorte de synonymie, mais la différence des
mots n’est liée qu’à leur distribution, ce qui constitue une de ces
irrégularités dont les langues sont coutumières.
Le problème de la synonymie est aussi directement lié aux tabous. Un
mot tabou est un mot que le consensus social conseille d’éviter en raison
d’une identification plus ou moins consciente du nom à la « chose »
dénotée. Les euphémismes décéder ou s’éteindre remplacent le mot mourir.
Handicapé est volontiers utilisé à la place d’infirme. Ces euphémismes (=
expressions atténuées d’une notion dont l’expression directe aurait quelque
chose de déplaisant, de choquant) dont on se sert pour déguiser une réalité
fâcheuse forment un facteur privilégié de création synonymique.
Les étymologistes, qui connaissent aussi bien l’origine que l’acception
originelle d’un mot, sont parfois amenés à différencier des mots qui
paraissent tout à fait interchangeables dans la conversation courante. Ainsi,
épouvantable, effroyable et horrible peuvent être facilement séparés à leurs
yeux. Le mot horrible est emprunté à un vocable latin qui voulait dire
« avoir les cheveux qui se dressent, les poils qui se hérissent », ce qui suffit
pour séparer horrible d’épouvantable ou d’effroyable. Mais le sujet parlant
ordinaire ne connaît généralement pas cette filiation étymologique et, par
conséquent, cette donnée ne peut pas intervenir dans l’emploi qu’il fait de
ces mots.

1.2. LA DÉNOTATION ET LA CONNOTATION


La notion de dénotation est très souvent définie comme l’aspect
sémantiquement stable du signifié, tout ce qui est commun à tous les
usagers de la langue. La connotation est censée désigner ce qu’il y a de
variable dans ce même signifié, tout ce qui relève des associations d’idées,
de l’affectivité, de la création individuelle. Certains chercheurs parlent de
l’« opposition langue-discours », la dénotation étant la signification de base
d’un mot, la connotation la valeur particulière attribuée au mot par le
contexte situationnel. D’autres voient dans la dénotation l’ensemble des
autres éléments signifiants contenus dans le signifié.
La même personne peut être désignée par les mots mère ou maman ; le
second ajoute au dénoté « ascendant femelle au premier degré » une
connotation de familiarité. Les mots jaunisse et migraine désignent en
français courant des maladies qu’on nomme ictère et céphalée dans le
milieu médical. L’utilisation de ces derniers mots comportera toujours –
sauf entre médecins – une connotation savante. L’emploi du mot chef pour
tête, ou celui de moult au sens de beaucoup donnent à l’énoncé une
connotation archaïque.
L’emploi d’un mot peut donc comporter une connotation savante,
argotique, populaire, familière, courante, soutenue, littéraire, etc. Il y a des
mots qui sont sentis comme archaïques ou néologiques, il y en a d’autres
qui sont plutôt péjoratifs ou mélioratifs.
La plupart de ces connotations sont communes dans la mesure où elles
sont partagées par tous les membres d’une communauté linguistique
donnée. Toutefois, ce qui est considéré comme « courant » par l’un peut
être ressenti comme « soutenu » ou « littéraire » par d’autres. Il y a donc
des connotations qui varient selon les individus ou même les groupes
sociaux entre lesquels se partage la communauté. Tel individu selon les
bons et les mauvais souvenirs de son existence, peut attacher à tel ou tel
mot une valeur péjorative ou méliorative que n’y attachera pas un autre.
Dans ce cas, on parle de connotations « individuelles ».

2. L’ANTONYMIE
L’antonymie apparaît d’une certaine façon comme le contraire de la
synonymie (« antonyme » est l’antonyme de « synonyme »). Elle désigne
une relation entre deux termes de sens contraires. Il importe de souligner
que les mots mis en opposition doivent avoir en commun quelques traits qui
permettent de les mettre en relation de façon pertinente. On ne peut
comparer que ce qui est comparable. Il ne vient pas, par exemple, à l’idée
de rapprocher le nom ordinateur du verbe chanter car ces deux termes n’ont
pas de communauté de sens. Les adjectifs grand et beau ne peuvent pas,
non plus, être considérés comme antonymes. En revanche, blanc et noir,
jeune et vieux, mort et vivant peuvent être comparés.
La relation d’antonymie existe surtout dans les mots qui représentent des
qualités ou des valeurs (beau/laid, bon/mauvais, vrai/faux), des quantités
(peu/beaucoup, aucun/tous), des dimensions (grand/petit, long/court), des
déplacements (haut/bas, droite/gauche, devant/derrière), des rapports
chronologiques (jeune/vieux, avant/après). D’une façon générale, les
dérivés d’antonymes sont également antonymes (jeunesse/vieillesse,
rajeunir/vieillir, clarté/obscurité, richesse/pauvreté).
L’antonymie est logiquement indispensable et joue un rôle essentiel dans
toutes les langues. Elle reflète ce qui semble être une tendance générale
chez l’homme à catégoriser l’expérience en termes de contrastes
dichotomiques. Cependant, cela ne signifie pas que tout mot ait son
contraire.
L’usage propose comme antonymes des mots tels que :

clair/obscur
sot/intelligent
grand/petit
froid/chaud
père/fils
mari/femme
mort/vivant
riche/pauvre

Ces exemples ont quelque chose en commun parce qu’ils dépendent d’un
processus de dichotomisation. Mais si on les examine de plus près, on
s’aperçoit qu’ils sont reliés de diverses manières. La relation d’opposition
n’est donc pas toujours de nature identique : mort et vivant, par exemple,
entretiennent entre eux un rapport d’exclusion, alors que grand et petit
sont dans une relation modulable.
Les points de vue divergent sur le nombre de relations dichotomiques que
doit englober le concept d’antonymie. Les descriptions des signifiés
contraires aboutissent donc à des classements taxinomiques variables selon
les auteurs, en fonction des critères retenus par chacun.
Souvent les antonymes sont classés sur le modèle des synonymes en
antonymes absolus et en antonymes partiels. Si deux termes entretiennent
entre eux un rapport d’exclusion, on a affaire à l’antonymie absolue : vivant
et mort, présent et absent. Quelqu’un qui n’est pas mort, ne peut être que
vivant, etc. Parfois l’opposition ne met en jeu qu’une partie du signifié du
mot. Dans ce cas, on est en présence d’antonymes partiels. Les mots ne
s’opposent que dans certains contextes. Ainsi, libertin peut être l’antonyme
de chaste, de religieux ou de croyant.

2.1. LES DIFFÉRENTS TYPES D’ANTONYMES

On peut aussi proposer un classement qui distingue trois possibilités de


sens contraire : les antonymes peuvent être complémentaires (ou non
gradables), gradables ou réciproques.

2.1.1. LES ANTONYMES COMPLÉMENTAIRES


OU NON GRADABLES

présent/absent
vivant/mort
homme/femme
mâle/femelle
célibataire/marié

Ces termes entretiennent entre eux un rapport d’exclusion en divisant


l’univers du discours en deux sous-ensembles complémentaires. Entre
vivant et mort, présent et absent et mâle et femelle etc., il n’y a pas de
degrés intermédiaires. On ne peut être que vivant ou mort, présent ou
absent, mâle ou femelle.
Le trait caractéristique de ce type de paires de mots est que la négation de
l’un implique l’affirmation de l’autre, de même que l’affirmation de l’un
implique la négation de l’autre. Ainsi :

Jean n’est pas présent implique Jean est absent.


Marc est absent implique Marc n’est pas présent.

Notons que les adjectifs faisant partie de ces antonymes ne peuvent pas
être employés au comparatif ou au superlatif. On ne dirait pas
normalement :

*Nathalie est plus femelle que Brigitte.

Toutefois, la gradation d’antonymes normalement non gradables se


révèle possible dans certains cas. Si l’on déclare : Nathalie est plus femelle
que Brigitte, on compare probablement Nathalie et Brigitte sur la base de
certaines connotations plus ou moins répandues de femelle. Dans ce cas, on
modifie le système linguistique, ne serait-ce qu’au cours
d’une conversation.
Même si l’on admet que la gradation des antonymes généralement non
gradables est possible, cela ne veut pas dire qu’une distinction précise entre
les antonymes non gradables et les antonymes gradables ne puisse être
établie.

2.1.2. LES ANTONYMES GRADABLES

grand/petit
chaud/froid
riche/pauvre
beau/laid
Ces antonymes désignent seulement, aux extrémités d’une échelle, des
points de référence entre lesquels on peut intercaler d’autres termes par
gradation :

froid – frais – tiède – chaud


grand – moyen – petit
s’améliorer – stagner – s’aggraver

La gradation repose sur la comparaison. Contrairement aux antonymes


complémentaires ou non gradables, un adjectif appartenant à cette classe
peut être employé au comparatif ou au superlatif :

Jean est plus grand que Marc.


Patrick est moins beau que Charles.

La proposition Cet homme est riche implique Cet homme n’est pas
pauvre et Cet homme est pauvre implique Cet homme n’est pas riche ; mais
Il n’est pas riche n’implique pas nécessairement la réciproque Il est pauvre,
car l’homme peut n’être ni riche ni pauvre, sa fortune se situant à un degré
intermédiaire. Quelqu’un qui n’est pas grand n’est pas forcément petit : il
peut être de taille moyenne. On peut ne pas perdre ni gagner, mais faire
match nul ; une situation peut ne pas s’améliorer ni s’aggraver, mais
stagner, etc.
La négation de l’un n’implique donc pas obligatoirement l’affirmation de
l’autre, de même que l’affirmation de l’un n’implique pas forcément la
négation de l’autre.

2.1.3. LES ANTONYMES RÉCIPROQUES

La troisième relation de sens que l’on décrit souvent en disant que deux
mots sont le contraire l’un de l’autre, est celle qui lie :

acheter/vendre
mari/femme
père/fils
prêter/emprunter
supérieur/inférieur
devant/derrière

Ces couples de termes expriment la même relation, mais ils se


distinguent par l’inversion de l’ordre de leurs arguments. Le terme acheter
est donc le terme réciproque de vendre, comme vendre l’est d’acheter.

Jean est le mari de Jeanne implique que Jeanne est la femme de Jean.
Si Marc est supérieur à Charles, Charles est inférieur à Marc.
Si Brigitte est devant Philippe, Philippe est obligatoirement derrière Brigitte.

Certains éléments lexicaux ont des relations « permutatives » analogues,


sans qu’il s’agisse de l’implication réciproque. Ainsi, Marie a demandé à
Nathalie « laisse prévoir » que Nathalie a répondu à Marie ; de même
Nathalie a répondu à Marie présuppose que Marie a demandé à Nathalie.
Les prévisions et présuppositions de ce genre sont ordonnées quant à l’axe
du temps ; ce n’est pas le cas de termes réciproques comme donner et
recevoir : au moment où l’on donne, il y a nécessairement quelqu’un qui
reçoit.

2.2. LES TERMES INCOMPATIBLES

On peut décrire la relation de sens qui unit les mots dans les ensembles à
plusieurs éléments tels que :

{rouge, bleu, vert, gris, blanc…} ou


{dimanche, lundi, mardi,…, samedi}

comme une relation d’incompatibilité. Ces ensembles peuvent être


ordonnés sériellement ou cycliquement. L’ensemble de termes que l’on
utilise pour désigner les grades dans l’armée est un exemple d’un ensemble
ordonné sériellement :

{maréchal, général,…, caporal, simple soldat}


Il y a deux éléments extrêmes et tous les autres termes de l’ensemble sont
ordonnés entre deux autres éléments. Les exemples les plus évidents
d’ensembles cycliques ou cycles nous sont fournis par les mots qui
dénotent des unités ou des périodes de temps :

{printemps, été, automne, hiver}


{janvier, février,…, décembre}
{lundi, mardi,…, dimanche}

Tous ces termes sont ordonnés en termes de successivité : le printemps


précède l’été, le samedi suit le vendredi, etc. À la différence des ensembles
ordonnés sériellement, les cycles n’ont pas de membres extrêmes : chaque
élément de l’ensemble est ordonné entre deux autres éléments. Il est vrai
cependant que, par convention, ces ensembles ont généralement un premier
et un dernier élément (janvier…, lundi…).
Il est important de noter que la clarté des oppositions antonymiques peut
être troublée par la polysémie et la synonymie. Le facteur contextuel joue
un rôle considérable dans l’antonymie comme dans la synonymie, puisque
le contexte définit l’axe selon lequel l’antonymie s’établit. Il est souvent
impossible d’expliquer un mot donné sans le remettre dans son contexte.
Un terme peut avoir plusieurs antonymes : si l’on considère le sexe, garçon
est l’antonyme de fille ; si l’on considère l’âge, garçon s’oppose à homme.
Quand un mot est polysème, il a généralement plusieurs antonymes. On
peut prendre l’exemple de l’adjectif fort. Parler de femme forte fait
référence à la force quand l’expression antonymique est femme faible, mais
à la corpulence quand c’est femme mince :

C’est une femme forte : elle a du mal à trouver sa taille en prêt-à-porter.


C’est une femme forte, elle a beaucoup de caractère.

Dur s’oppose non seulement à mou (un sol dur/mou), mais aussi, à
souple (un caractère dur/souple), à tendre (de la viande dure/tendre), à
facile (un problème dur/facile), à doux, etc. ; le contraire de la veille peut
être soit le sommeil, soit le lendemain.
Sur le plan du signifiant, les antonymes peuvent être exprimés par deux
mots sans rapports morphologiques l’un avec l’autre :

bon/mauvais
haut/bas
beau/laid
gros/petit
jeune/vieux

Les antonymes peuvent également être établis par un dérivé formé à


l’aide d’un préfixe négatif :

sain/malsain
armé/désarmé
cohérent/incohérent
lisible/illisible

3. L’HYPERONYMIE ET L’HOLONYMIE

3.1. LA RELATION HYPERONYMIE – HYPONYMIE

L’identité et l’opposition ne sont pas les seuls rapports paradigmatiques


de sens qui lient les mots. On peut aussi s’intéresser à la relation qui associe
un terme plus spécifique à un terme plus général. En effet, la plupart des
mots, en particulier les noms communs et les verbes, ne s’appliquent pas
qu’à un référent unique, mais à une classe de référents et en général à
plusieurs. Par exemple, le moineau appartient à la classe des oiseaux. Ayant
le même référent, moineau et oiseau peuvent alors être employés comme
des sortes de synonymes, bien qu’oiseau soit plus général.
Cette relation peut se décrire en termes de genre et d’espèce.
L’hyperonymie désigne la relation du genre à l’espèce et l’hyponymie, la
relation de l’espèce au genre. Ainsi, oiseau est un hyperonyme de moineau
ou de corbeau, et moineau et corbeau sont des hyponymes d’oiseau.
Hyponyme veut dire en effet « nom subordonné » et hyperonyme « nom
superordonné ».
Moineau, corbeau, rouge-gorge, etc. sont liés entre eux par un élément
fondamental commun de leur signifié, l’élément oiseau, exactement comme
pomme, banane, pêche, abricot, ont en commun l’élément de sens fruit.
Un terme hyperonyme peut dans tout contexte remplacer n’importe
lequel de ses hyponymes, alors que l’inverse n’est pas possible. Dans : J’ai
vu un corbeau, corbeau peut être remplacé par oiseau, mais J’ai vu un
oiseau peut signifier que l’oiseau en question est un rouge-gorge, un
moineau ou n’importe quel autre oiseau.
Il faut évidemment noter qu’un terme hyperonyme d’un autre, comme
oiseau de moineau, peut être hyponyme d’un troisième, comme oiseau de
vertébré, qui, à son tour, peut être hyponyme d’un quatrième, comme
vertébré d’animal (et animal d’être vivant). Les classes elles-mêmes sont
donc souvent emboîtées les unes dans les autres. On voit tout de suite que
moineau est moins général qu’oiseau qui, à son tour, est moins général
qu’animal.
La relation d’hyponymie impose donc une structure hiérarchique à
certains domaines du vocabulaire. Ainsi, l’extension du mot oiseau est plus
grande que celle du mot moineau ; mais inversement la compréhension de
moineau est plus grande que celle d’oiseau. Autrement dit, plus un sens est
complexe, moins les référents auxquels il s’applique sont nombreux. Le
sens du mot moineau comporte des précisions absentes de celui du mot
oiseau. L’hyperonyme est donc plus pauvre sémantiquement mais plus riche
référentiellement que ses hyponymes.
La relation hyponymie-hyperonymie est à la base de la définition
lexicographique dite « par genre prochain » et « différence spécifique » (ou
définition par inclusion). Dans ce type de définition, on donne d’abord la
classe générale à laquelle appartient le mot défini (oiseau) et on précise
ensuite les traits spécifiques qui distinguent le mot défini des autres sous-
classes de la même classe générale (passereau à livrée brune striée de noir)
(cf. p. 172).
On peut se pencher sur la structure hiérarchique de certains domaines
lexicaux. Le mot chaise, par exemple, est l’hyponyme de siège. À son tour,
siège est l’hyponyme de meuble. Mais on peut se demander quel est
l’hyperonyme de meuble. Dans le lexique, on ne trouve que le mot objet,
qui désigne, de façon assez large, toute réalité matérielle non vivante (et qui
peut aussi s’employer abstraitement : l’objet d’une étude). On s’attend à
trouver la classe intermédiaire des objets fabriqués, mais il n’y a aucun mot
courant pour la désigner.
En effet, dans le lexique d’une langue naturelle, il peut exister ce qu’on
appelle des « trous lexicaux ». Cette expression désigne l’absence d’un
terme dans une position donnée dans la structure d’un domaine lexical.

3.2. LA RELATION HOLONYMIE – MÉRONYMIE

Il est important également de mentionner une relation hiérarchique


quelque peu différente de l’hyperonymie/hyponymie : la relation
holonymie/méronymie. On peut citer, par exemple, nez : visage ; toit :
maison, etc. Le mot nez est un méronyme de l’holonyme visage, comme le
mot toit est un méronyme de l’holonyme maison. Le nez fait partie du
visage et le toit de la maison. Dans de tels cas, on fait facilement la
distinction entre la relation hyperonymie/hyponymie et la relation
holonymie/méronymie. On a vu que le moineau est une sorte d’oiseau,
comme l’orange est une sorte de fruit. Mais, il va de soi que le nez n’est pas
une sorte de visage, c’est une partie du visage, comme le toit est une partie
de la maison.
La différence entre ces deux relations est généralement claire quand les
termes en question sont des noms concrets comptables. Mais quand les
mots appartiennent à d’autres parties du discours, la distinction entre les
deux sortes de relation de mots est loin d’être évidente. Les noms abstraits,
comme les noms concrets non comptables, peuvent être envisagés comme
des hyponymes d’un hyperonyme, ou bien comme des méronymes d’un
holonyme. On peut considérer l’honnêteté comme un genre de vertu et
comme faisant partie de la vertu.
Il en va de même pour un bon nombre de verbes qui dénotent des
activités. Par exemple, quand on dit : Mon père aime jardiner, cette
proposition implique qu’il aime arroser, bêcher, biner, bouturer, butter,
désherber, sarcler, semer, tailler, tuteurer, etc. Chacun de ces verbes est un
hyponyme de jardiner et dénote en même temps une activité qui fait partie
de celle que dénote jardiner. Ces verbes peuvent donc être des hyponymes
de l’hyperonyme jardiner ou bien des méronymes de l’holonyme jardiner.

4. L’HOMONYMIE ET LA PARONYMIE

4.1. L’HOMONYMIE

Les relations examinées jusqu’ici jouent entre des termes dont aussi bien
le signifiant que le signifié diffèrent. Avec l’homonymie il s’agit de
relations entre deux ou plusieurs termes ayant le même signifiant, mais des
signifiés radicalement différents.
Selon qu’il s’agit de formes orales ou de formes écrites, il y a lieu de
distinguer l’identité de prononciation, l’homophonie, et l’identité de
graphie, l’homographie :

comte, compte et conte [kɔ̃t]


coq, coque et coke [kɔk]
voie, voix [vwa]

Les mots de ces séries sont homophones sans être homographes. Ils sont
prononcés de la même façon mais écrits de deux ou plusieurs façons
différentes.

parent (nom) et parent (6e pers. du verbe parer)


couvent (nom) et couvent (6e pers. du verbe couver)

Ces mots sont homographes sans être homophones [paʀɑ̃ ]/[paʀ] ;


[kuvɑ̃ ]/[kuv]. Dans les langues à écriture alphabétique comme le français,
l’homophonie et l’homographie vont très souvent de pair :

terme (fin)
terme (mot)
fraise (fruit)
fraise (outil de coupe)
fraise (collerette empesée et plissée)

Ces mots sont donc écrits et prononcés de façon identique. Dans tous les
cas, ces mots présentent des sens différents et sans lien : l’homonymie
suppose une absence de relation sémantique.
On peut parler d’« homonymie grammaticale » si deux affixes ont la
même forme sans avoir le même sens. Ainsi le suffixe -eur dans campeur
est homonyme de celui de blancheur. Dans le premier mot dérivé, le suffixe
-eur nominalise (= transforme en nom) un verbe (camper → campeur) et
désigne un agent (= celui qui fait une action), alors que dans le deuxième
dérivé, -eur nominalise un adjectif (blanche → blancheur) et indique une
qualité (= qualité de ce qui est blanc).
Il faut ajouter que l’on n’a pas coutume de considérer comme
homonymes des mots de forme identique quand leur genre grammatical est
différent, car le genre est traité comme un discriminant formel :

le livre/la livre
le manche/la manche
le tour/la tour

Il est également à remarquer qu’en français il y a des mots qui


connaissent plusieurs orthographes. Dans ce cas, on n’a pas affaire à des
homonymes, mais à des variantes :

clé/clef
cuiller/cuillère
déclancher/déclencher

L’homonymie se rencontre surtout dans des mots monosyllabiques (= qui


ne contiennent qu’une syllabe). Elle devient plus rare à mesure
qu’augmente le nombre des syllabes.
On peut se demander pourquoi l’homonymie est un phénomène si
fréquent dans les langues naturelles. La langue idéale devrait logiquement
être celle où chaque sens ne serait associé qu’à une seule forme et où
chaque forme n’aurait qu’un seul sens, mais elle n’existe pas.
On pourrait penser que l’homonymie dérange la compréhension et cause
obligatoirement une gêne pour les locuteurs et les interlocuteurs, mais en
réalité, la langue arrive à s’adapter très bien à la présence d’homonymes. En
effet, elle n’admet pas n’importe quelle homonymie : elle évite celles qui
provoqueraient des difficultés de communication.
Généralement les mots ne sont pas employés à l’état isolé : ils sont
insérés dans des phrases où ils s’éclairent les uns les autres. Ainsi le
contexte, le sujet traité et la situation de communication dans laquelle se
trouvent les interlocuteurs orientent l’interprétation et permettent de
supprimer les obscurités auxquelles on pourrait s’attendre. La langue tolère
les homonymes dans la mesure où les types de contextes dans lesquels ils
apparaissent sont extrêmement différents les uns des autres. Le contexte sert
donc à l’interprétation de ces mots ambigus qui nécessitent d’être
débarrassés de toute équivoque.
Il faut noter que les homonymes font souvent partie de deux catégories
grammaticales différentes. Si l’on entend la séquence de sons [savɔ̃], par
exemple, on ne distingue pas a priori s’il s’agit du substantif savon (= un
détergent gras) ou si l’on est en présence de la quatrième personne du
présent de l’indicatif du verbe savoir, nous savons. Cette homophonie n’est
jamais gênante parce que les conditions d’emploi de ces deux séquences
sonores identiques ne peuvent pas être les mêmes. Le verbe savons ne peut
être employé qu’en liaison avec un sujet de la quatrième personne, figuré
par un pronom personnel le plus souvent ou référé à un tel pronom. Le
verbe et le substantif n’ont pas la même fonction au sein d’une phrase. Les
constructions grammaticales dans lesquelles sont intégrés ces deux
homonymes servent donc à exclure toute ambiguïté.
Si les homonymes font partie de la même partie du discours, ils
n’appartiennent généralement pas au même domaine sémantique. Dans ce
cas, les exigences au niveau des vraisemblances sémantiques favorisent une
interprétation. Si quelqu’un dit : J’ai fait de la confiture de fraises, on
comprend tout de suite que les fraises en question sont des fruits et non pas
des outils de coupe ou des collerettes empesées et plissées ! Cela ne nous
vient pas à l’idée, non plus, d’interpréter patron comme synonyme de
directeur lorsqu’il s’agit de placer un patron sur un tissu. Afin d’éviter les
ambiguïtés, il suffit de faire appel aux indications liées à la situation, au
contexte ou au sujet traité.
Il est important également de rappeler que l’expression d’un message
oral par les seuls moyens linguistiques est toujours aléatoire. Il est rare
qu’on puisse énoncer le moindre message sans aucun accompagnement
extralinguistique. Les phénomènes prosodiques (les pauses, l’intonation,
etc.) jouent un rôle considérable. Le message oral dépouillé de ces éléments
est voué à l’échec.
Dans la langue écrite, l’orthographe assume une mission analogue.
Souvent, les différences de pure graphie suffisent à écarter tout embarras de
lecture :

– le faix / le fait
– le pois / le poids
– verre / ver / vert / vers / vaire

La complexité de l’orthographe française trouve ici une utilité. Dans


l’ensemble, l’interprétation des énoncés écrits est beaucoup moins liée à la
situation que l’interprétation des énoncés oraux. Contrairement à l’oral,
surtout en conversation où locuteur et auditeur sont en général dans la
même situation, à l’écrit, scripteur et lecteur(s) sont très souvent dans des
situations différentes. La tendance à distinguer par des graphies différentes
des mots différents quoique homophones s’explique dans une certaine
mesure par le moindre secours que fournit la situation à l’écrit.

4.2. LA PARONYMIE

Parler d’homonymie entraîne également à parler de paronymie. Les


paronymes consistent en des termes dont les signifiés sont différents mais
dont les signifiants sont presque identiques :

collision [kɔlizjɔ̃] / collusion [kɔlyzjɔ̃]


allocation [alɔkasjɔ̃] / allocution [alɔkysjɔ̃]
percepteur [pɛʀsɛptœʀ] / précepteur [pʀesɛptœʀ]
recouvrer [ʀ(ə)kuvʀe] / recouvrir [ʀ(ə)kuvʀiʀ]
conjoncture [kɔ̃ʒɔ̃ktyʀ] / conjecture [kɔ̃ʒɛktyʀ]

Cette relation paradigmatique est souvent utilisée syntagmatiquement, en


contexte, lorsque les mots, comme dans les exemples précédents, sont
rapprochés et que l’on joue de leur ressemblance formelle pour laisser
croire à leur ressemblance sémantique. C’est le principe même de la rime en
poésie où les associations sémantiques sont inévitables entre des mots qui
en théorie ne peuvent être mis en relation que sur le plan des sonorités et de
la graphie.
Les paronymes sont la cause de bien des confusions. Le phénomène qui,
tout au long de l’histoire de la langue, a contribué à rapprocher les signifiés
de termes distincts s’appelle l’« attraction paronymique » (cf. p. 155). Il
s’agit d’un phénomène d’attirance qu’un mot (ou une partie de mot) peut
avoir sur un autre de forme voisine (paronyme). Il peut provoquer une
modification de la forme ou du sens du mot. Il est intéressant de constater
que la première syllabe de l’adjectif morbide (du latin morbus, « malade »)
a été « attirée » par le mot mort et le mot morbide a perdu progressivement
le sens de « qui concerne la maladie » pour prendre celui de « qui concerne
la mort ».

5. LA POLYSÉMIE

5.1. LA POLYSÉMIE ET LA MONOSÉMIE

Il est très difficile de parler d’homonymie sans évoquer la polysémie. Ce


terme est utilisé pour décrire le fait qu’une unité lexicale correspond à deux
ou plusieurs significations.
La polysémie, loin de constituer une imperfection des langues naturelles,
forme une propriété caractéristique du vocabulaire général. En fait, elle est
la conséquence normale et obligée de la vie de la langue : les sens naissent
généralement les uns des autres. Puisqu’il est très difficile de créer autant de
mots nouveaux qu’il y a de référents nouveaux dans des situations elles-
mêmes inédites, les usagers de la langue augmentent considérablement, à
l’aide de la polysémisation, les possibilités des unités lexicales qui existent
déjà.
La polysémie, qui est la situation d’un grand nombre de mots, ne gêne
pas le fonctionnement de la langue dans la mesure où les risques
d’ambiguïtés lexicales sont effacés grâce au contexte linguistique ou à la
situation d’énonciation. La polysémie touche toutes les classes syntaxiques
(noms, verbes, adjectifs, prépositions, conjonctions, pronoms) ainsi que les
affixes (-eur dans marcheur désigne celui qui marche et dans blancheur
l’état de ce qui est blanc).
La polysémie s’oppose à la monosémie qui peut être définie comme un
rapport univoque existant entre un signifiant et un signifié.

avoine, avorteur, cajou, calame, cyme, estompe, orchidée, mononucléose, ordinateur…

Ce rapport est loin d’être général, mais il n’est pas non plus exceptionnel.
Il se rencontre souvent dans les vocabulaires techniques ou scientifiques qui
cherchent à éviter toute ambiguïté. Parfois on trouve des dérivés qui ne se
rattachent qu’à une seule des acceptions possibles du mot de base. Une
langue totalement monosémique serait impensable, car elle posséderait un
lexique pratiquement infini.

5.2. UN MOT POLYSÉMIQUE OU PLUSIEURS MOTS


HOMONYMIQUES ?

Sur le plan théorique, la polysémie se distingue clairement de


l’homonymie. En effet, l’homonymie implique deux (ou n) termes :

terme a – signifiant a signifié a


terme b – signifiant b = a – signifié b ≠ a
et la polysémie un seul, avec plusieurs signifiés :

terme a – signifiant a – signifié 1 signifié 2

Malgré cela, il est souvent très difficile de trancher entre les deux
notions, surtout lorsque les sens des termes considérés ne sont ni vraiment
éloignés, ni vraiment proches. Les lexicographes qui confectionnent un
dictionnaire ne savent pas toujours s’ils doivent accorder une ou plusieurs
entrées à tel ou tel élément (voir p. 165). Les chercheurs présentent souvent
plusieurs critères pour faire la différence entre la polysémie et
l’homonymie.

5.2.1. Critères étymologiques

Pour qu’un terme soit polysémique, il faut généralement que ses sens
remontent à un étymon commun. Selon cette perspective, le mot bouton,
par exemple, devrait être considéré comme un mot polysémique (fin XIIe s.,
« bourgeon », de bouter « pousser » → bouton). Pourtant, ce critère de
relation étymologique n’est pas aussi évident qu’on pourrait le penser à
première vue. Avec un même étymon, des termes peuvent avoir des sens si
éloignés que l’on ne peut pas en synchronie poser une seule unité
polysémique :

1. voler : se déplacer dans l’air au moyen d’ailes

2. voler : prendre ce qui appartient à quelqu’un à l’insu de quelqu’un

Les lexicographes ont tendance à réserver pour voler deux entrées. La


même chose se passe avec grève.

1. grève : bande de terrain au bord de l’eau


2. grève : arrêt de travail.

Les deux vols ou les deux grèves sont de même origine, mais ils sont
sentis comme sans rapport entre eux (le rapport sémantique de filiation de
l’un à l’autre s’étant estompé) et ils sont versés au compte des homonymes.
Il n’y a qu’une relation accidentelle et aujourd’hui oubliée entre grève qui
borde l’eau de la mer ou d’un fleuve et l’ancienne Place de Grève à Paris
sur laquelle les ouvriers sans travail se réunissaient jadis et la notion de
cessation volontaire et collective du travail.
En dépit des avantages que le critère étymologique peut avoir à fournir
dans les dictionnaires des détails sur l’histoire des mots, ces informations
n’ont aucune valeur dans l’analyse synchronique des langues. En effet, le
sujet parlant ne connaît pas l’étymologie des mots qu’il utilise et, par
conséquent, la manière dont il les interprète ne peut pas être affectée par ce
qu’il peut savoir au sujet de leur histoire. Toute connaissance historique que
le locuteur pourrait avoir du passé des mots de sa langue reste en principe
sans importance pour l’emploi et l’interprétation de ceux-ci. Il faut
également remarquer qu’il y a des mots dont la provenance historique est
incertaine.

5.2.2. Critères d’ordre sémantique

Le deuxième critère pour établir une distinction entre l’homonymie et la


polysémie est l’existence d’une relation de sens par opposition à l’absence
d’une telle relation. On vient de voir que les sens doivent être suffisamment
proches pour que l’on puisse les attribuer à une seule et même unité. Il faut
également que l’on arrive à expliquer le passage de l’un à l’autre, soit par
une filiation historique, selon leur date d’apparition, soit par une filiation
logique, par extension, par sens figuré. Ainsi on dira que les sens de
délicat : fin, raffiné et fragile, faible sont à rapporter à une même unité
polysémique, la deuxième série de sens étant une extension de la première.
Les locuteurs ont le sentiment que certains sens sont reliés alors que
d’autres ne le sont pas.

5.2.3. Critères formels, syntaxiques et morphologiques

Ces deux critères peuvent s’avérer insuffisants. C’est pour cela que l’on
doit parfois se baser sur des critères formels, syntaxiques et
morphologiques. On peut définir le mot seulement en vertu des formes qui
lui sont associées et de leur fonction syntaxique. Certains lexicographes
considèrent que, si les sens correspondent à des constructions spécifiques et
donnent lieu à des dérivés différents, il faut y voir des termes différents
homonymes. Il est intéressant à ce propos de comparer par exemple le
traitement de pauvre dans le Dictionnaire du Petit Robert et le Dictionnaire
du Français contemporain. Le Petit Robert ne comporte qu’une entrée et
regroupe les différents emplois dans l’ordre suivant :

1. qui manque du nécessaire ou n’a que le strict nécessaire ;


2. pour les choses : qui a l’apparence de la pauvreté ;
3. pauvre de : qui n’a guère ;
4. qui est insuffisant, fournit trop peu ;
5. qui inspire la pitié ;
6. pitoyable, lamentable.

Ce sont les considérations sémantiques qui priment.


Le Dictionnaire du Français contemporain, au contraire, distingue deux
entrées qui s’opposent :
– a) par leur construction : pauvre 1 s’emploie après le substantif (une
famille pauvre), pauvre 2 avant (le pauvre garçon) ;
– b) par leurs dérivés : sur pauvre 1 sont formés pauvrement, pauvreté,
appauvrir, paupérisme, tous sémantiquement apparentés, et sur pauvre 2,
pauvret et pauvrette ;
– c) par leur sens, pauvre 1 regroupant les emplois 1 à 4 du Petit Robert,
pauvre 2 les sens 5 et 6.
On peut constater que la distinction entre homonymie et polysémie est
arbitraire et indéterminée. Dans la pratique, il est quasiment impossible de
disposer de critères rigoureux qui permettent de séparer nettement les deux
cas. Il est souvent simpliste de décréter que tel mot est un polysème et que
tel autre recouvre des homonymes.
L’arbitraire de cette distinction se traduit par les divergences de
classement des différents dictionnaires. En effet, certains dictionnaires ont
tendance à maximaliser l’homonymie en assignant une entrée séparée à
chaque distinction de sens (bouton 1, bouton 2, bouton 3). La grammaire
distributionnelle considère que toute variation régulière dans la distribution
définit une unité lexicale distincte de toutes les autres. Le Dictionnaire du
Français contemporain de Jean Dubois et son équipe a été élaboré selon
cette perspective. L’autre solution radicale consiste à maximaliser la
polysémie. Cela a pour effet de produire un lexique avec beaucoup moins
d’entrées. Le Petit Robert d’Alain Rey suit cette tendance (voir p. 166).

6. LE SENS PROPRE ET LE SENS FIGURÉ

Les mots sont susceptibles de deux sortes de sens, le sens propre et le


sens figuré. Si l’on schématise un peu, on peut dire que le sens propre est le
sens fondamental du mot, le premier, comme par exemple dans la phrase
suivante, le sens du mot voiles :

Un vaisseau comprend une coque et des voiles.

Le sens figuré est un sens second, qui parfois ne peut se comprendre que
dans un contexte particulier :

Je vois cent voiles (= vaisseaux) à l’horizon.

Il faut toutefois prendre garde à ne pas conclure que le sens non figuré
soit une expression première considérée comme « normale », ce qui
pourrait laisser penser qu’un langage idéal serait dépourvu de figures. La
figure ne doit donc pas être définie comme un écart par rapport au bon
usage.
L’étude du sens figuré est traditionnellement réservée à la rhétorique (=
technique de la mise en œuvre des moyens d’expression). Le passage du
sens propre au sens figuré s’obtient par divers mécanismes qui donnent lieu
à différents types de figures, parmi lesquelles on cite souvent les
métaphores, les métonymies et les synecdoques.

6.1. LA MÉTAPHORE

La métaphore peut être considérée comme une figure fondée sur la


ressemblance, la similitude. Elle s’appuie sur des analogies existant dans le
réel ou construites par le sujet parlant. Il est intéressant d’examiner à ce
propos le mot aile. Au sens propre, ailes désigne les organes que possèdent
certaines espèces animales et qui leur permettent de se déplacer et se
soutenir dans l’air. Parmi les sens seconds de ce mot, on trouve entre autres
les ailes d’avion. Malgré les différences qui distinguent ces deux sortes
d’ailes (battantes et fixes), on peut trouver des ressemblances entre elles à la
fois au niveau de leur forme qu’au niveau de leur fonction. Le mot est
employé aussi pour d’autres référents, sur la base d’une simple
ressemblance d’aspect :

ailes du nez
ailes d’une armée ou d’une équipe sportive
ailes d’un bâtiment
ailes d’un moulin

C’est donc par métaphore que dans le mot aile tous ces sens se trouvent
reliés. Tous ces signifiés ont des sèmes en commun.
On peut remarquer que l’esprit humain a la capacité de découvrir sans
cesse des analogies qui permettent d’utiliser un mot existant avec un sens
nouveau, de l’appliquer à de nouveaux référents. Pour que le procédé entre
en jeu, il suffit en effet d’une vague ressemblance concernant par exemple :
– la forme :

les dents d’une scie – les dents de la bouche

– la situation :
les pieds d’une table – les pieds d’une personne debout

– la fonction :

une machine marche – une personne marche

– une propriété, réelle ou supposée :

un jeune loup = un jeune homme ambitieux


un renard = une personne rusée
un mouton = une personne crédule et passive, qui se laisse facilement mener

En effet, un être humain peut être traité de loup, de renard ou de mouton,


entre autres, sur la base des traits caractéristiques qu’on attribue
habituellement à ces derniers référents et qui font partie de la connotation
de ces termes quand ils sont employés au sens propre.
Très souvent, on assiste à la substitution d’un terme abstrait par un terme
concret :

un cœur de pierre pour un caractère insensible


un alibi en béton pour un alibi inattaquable

Mais l’analogie peut aussi concerner deux termes concrets :

le phare de la nuit pour la lune


la petite lucarne pour la télévision

À force d’être répétées, les métaphores peuvent s’user : le sens


métaphorique devient habituel, banal, il entre dans le vocabulaire. Dans ce
cas on parle de « métaphores lexicalisées ». Les métaphores lexicalisées
sont donc celles que donnent les dictionnaires comme faisant partie des
significations du mot. Il arrive même qu’une réalité n’ait de dénomination
que figurée. En effet, certains emplois apparemment figurés sont
originellement des extensions d’emploi pour dénoter un signifié nouveau.
Dès le latin, les dents (dentes) d’une scie, par exemple, étaient désignées du
même nom que les dents des êtres animés. Ce phénomène s’appelle
« catachrèse » :

la bouche d’égout
la tête d’un clou
le nez et la queue d’un avion
le chariot d’une machine à écrire

Aux métaphores lexicalisées ou semi-lexicalisées, donc plus ou moins


figées, s’en ajoutent sans arrêt d’autres, que les sujets parlants produisent
librement. Quand quelqu’un, se promenant dans la campagne, s’allonge
dans un pré, il peut, provisoirement, le dénommer son lit. Dans ce cas, il
s’agit d’une métaphore occasionnelle qui ne peut se comprendre que dans
un contexte particulier.

6.2. LA MÉTONYMIE

Les métaphores impliquent un degré de liberté qui n’existe pas dans les
métonymies ou les synecdoques. Ces deux dernières sont fondées sur des
liens facilement constatables entre les objets. La métonymie est un procédé
par lequel un terme est substitué à un autre terme avec lequel il entretient
une relation de contiguïté. Ce type de relation peut être relativement varié.
On distingue entre autres la métonymie :
– du contenant pour le contenu :

boire un verre pour boire le vin contenu dans le verre


terminer son assiette pour terminer la nourriture contenue dans l’assiette

– du lieu pour l’objet fait dans ce lieu :

du jean pour de la toile de Gênes


du bordeaux pour du vin de Bordeaux

– de l’objet pour la matière dont il est fait :


un jean pour un pantalon fait en jean
un fer pour une épée

– de la cause pour l’effet (ou inverse) :

refroidir pour tuer


descendre pour tuer

– de l’abstrait pour le concret :

cet orgueil (= individu orgueilleux) périt sous l’ongle du vautour

Lorsque l’on désigne sous le nom de bourgogne non plus la région, mais
le vin fait dans cette région, il y a un rapport de contiguïté spatiale entre les
deux qui explique le nom donné au vin. De même le mot jean est-il issu de
Gênes, c’est le tissu fait à Gênes, première métonymie, puis le vêtement fait
en jean, deuxième métonymie. Lorsque dans le vocabulaire populaire, on
donne comme sens à refroidir celui de tuer, il s’agit d’un mécanisme
métonymique. En effet, il existe entre les deux actions, celle de tuer et celle
de refroidir, une contiguïté temporelle, la seconde découlant nécessairement
de la première. Cette figure s’explique donc par une ellipse et par un
déplacement de la référence d’un objet à l’autre.
Il est intéressant de noter que le mot verre a, parmi ses divers sens, le
sens de boisson et aussi celui de récipient en verre. Dans ce dernier cas, il
s’agit d’une catachrèse par métonymie, puisqu’il n’existe pas de
dénomination propre.

6.3. LA SYNECDOQUE

La synecdoque joue sur les relations de contiguïté entre objets (individus


ou événements) qui existent dans le monde. Elle remplace le nom de l’un
des deux objets par celui de l’autre. Les deux objets, à la différence de ce
qui se passe dans la métonymie, ne sont pas indépendants l’un de l’autre et
sont liés par un lien de type définitionnel. On peut distinguer :
– la synecdoque de l’espèce (le nom de l’espèce est pris pour celui du
genre) :

la saison du lilas pour la saison des fleurs

– ou du genre (le nom du genre est pris pour celui de l’espèce) :

Un vagabond entra. L’homme était livide.

On parle parfois d’antonomase, lorsque le nom de l’individu est pris


pour celui de l’espèce :

Quel don Juan ! pour Quel séducteur sans scrupule !


Judas pour traître

– Et la synecdoque de la partie pour le tout :

voile pour bateau


toit ou murs pour logement
lame pour épée

On peut noter que la synecdoque joue souvent sur les rapports du concret
et de l’abstrait On a donc cette figure quand on entend par la jeunesse
l’ensemble des jeunes : la jeunesse est une propriété que les individus
jeunes possèdent forcément.
Il convient de souligner que ces changements de sens sont souvent à
l’origine de la polysémie. Les figures, notamment la métaphore et la
métonymie, parfois aussi la synecdoque, jouent un rôle considérable dans le
changement du sens des mots. Ce point sera étudié de près dans la partie
consacrée à l’évolution du sens (p. 153).

7. L’AUTONYMIE

Il est important de mentionner enfin la relation appelée « autonymie » qui


ne concerne pas le rapport d’un signe avec un autre signe, mais seulement
un usage très particulier d’un signe considéré isolément. Un signe est dit
« autonyme » quand il se désigne lui-même. Il n’est donc pas utilisé pour
renvoyer aux référents. Ainsi, les mots enfant et turbulent n’ont pas le
même comportement dans les phrases :

1. Cet enfant est turbulent.


2. Enfant est un substantif et turbulent est un adjectif.
3. Il y a une assonance entre enfant et turbulent.

Dans la première phrase, enfant dénote un être humain dans l’âge de


l’enfance et turbulent une propriété, alors que dans les deux autres phrases,
les mêmes mots se désignent eux-mêmes. L’antonymie est liée à la
propriété de la langue dite de « réflexivité », par laquelle elle parle d’elle-
même.
Dans l’usage autonymique, les mots et les expressions ont une
interprétation, des propriétés syntaxiques et même des caractéristiques
graphiques particulières :
– Les substantifs perdent leur déterminant et tout signe peut être utilisé
comme sujet d’une phrase.

Enfant est un mot monomorphématique.


Voler est un verbe.

– L’autonymie a pour effet de faire échapper les formes à leur classe


grammaticale d’origine en les transformant en noms propres masculins.
Tout terme autonyme est un substantif masculin singulier.

Intelligente est relativement long.

– L’autonymie est en outre signalée par des indices supplémentaires,


surtout apparents au niveau du code écrit : les caractères italiques (ou,
parfois, gras), les guillemets.
– À l’oral, une pause ou une intonation spécifique signalent l’expression
utilisée de façon autonymique.
L’autonymie est l’un des aspects du métalangage (= langage naturel ou
formalisé qui sert à parler d’une langue, à la décrire) ; en permettant de citer
les formes linguistiques elle en rend possible la description. Une distinction
a été faite dans la logique moderne entre deux niveaux de langage, le
« langage-objet », parlant des objets, et le « métalangage » parlant du
langage lui-même. Mais le métalangage n’est pas seulement un outil
scientifique nécessaire à l’usage des logiciens et des linguistes ; il joue aussi
un rôle important dans le langage de tous les jours. Les sujets parlants
pratiquent le métalangage sans se rendre compte du caractère
métalinguistique de leurs opérations.
CHAPITRE 4
ANALYSE DU SENS DES MOTS
1. L’analyse sémique
2. La sémantique du prototype
3. Les rapports entre le lexique et la syntaxe
4. La sémantique par rapport à la pragmatique

On a vu dans le chapitre précédent qu’à l’intérieur du lexique on peut


rencontrer des mots qui entretiennent entre eux des relations d’identité,
d’opposition et d’implication sémantiques. On a également pu constater
qu’une grande partie des mots offrent plusieurs significations et que certains
autres présentent des ressemblances au niveau formel. Dans l’ensemble du
lexique se dessinent aussi des sous-ensembles organisés, des microsystèmes
lexicaux dont les éléments ont un dénominateur commun. Ces sous-
ensembles sont appelés « champs sémantiques ». Dans ce chapitre, on
présentera d’abord ces ensembles ainsi que les façons de les analyser
(l’analyse sémique et la sémantique du prototype).
On observera également les unités lexicales à partir de leur insertion
dans un cadre syntaxique et on cherchera à savoir dans quelle mesure le
lexique et la syntaxe sont des secteurs interdépendants. On verra que parfois
les propriétés syntaxiques d’un terme, c’est-à-dire les constructions dans
lesquelles il est possible de l’employer, peuvent être un moyen de faire
apparaître des différences de sens. À la fin du chapitre, on réfléchira
rapidement sur la différence entre deux disciplines proches : la sémantique
et la pragmatique.
1. L’ANALYSE SÉMIQUE

La linguistique moderne a mis fin à la vieille notion du lexique considéré


comme un répertoire de mots. D’après cette conception fort naïve, il y
aurait une relation biunivoque entre chose et mot, signifié isolé et signifiant
isolé. Dans le signe linguistique, la relation entre l’image acoustique et le
concept est beaucoup plus complexe qu’on ne l’imaginait. C’est pour cela
que la linguistique moderne a remplacé cette vieille notion par celle du
lexique comme une structure ou plutôt comme un ensemble de
structures.
Il est important de souligner que le terme de « champ » peut recouvrir
des choses très différentes et par conséquent entraîner des ambiguïtés. C’est
pour cela qu’il est indispensable de cerner avec précision les différents
types de champs. On peut définir les champs sémantiques comme
l’« association d’un ensemble de termes du lexique (champ lexical) à une
notion particulière (champ notionnel) ». Par exemple, le champ sémantique
des sièges fera correspondre au champ notionnel siège le champ lexical
comprenant les mots chaise, fauteuil, canapé, tabouret, pouf, banc. Ces
unités lexicales sont placées côte à côte « comme les pierres irrégulières
d’une mosaïque ». Elles recouvrent exactement tout un domaine bien
délimité de significations constitué par l’expérience humaine. On pourrait
concevoir que la totalité du lexique d’une langue soit constituée par
l’articulation de tous les champs lexicaux restreints, puis leur insertion dans
des champs lexicaux de plus en plus généraux.
Les champs sémantiques ne comprennent que des mots appartenant à la
même partie du discours : c’est ainsi que le champ sémantique des sièges,
par exemple, ne regroupe que des substantifs. Le champ sémantique doit
donc être opposé aux champs dérivationnels et aux familles de mots. On
parlera de « champ dérivationnel » si plusieurs mots sont formés par
l’adjonction de préfixes ou suffixes à un même morphème lexical : coiffe,
coiffer, coiffeur, coiffeuse, coiffure, décoiffer, recoiffer, etc. Ces termes sont
unis par une liaison formelle. On utilise l’expression de « famille de mots »
lorsque, en diachronie, on se trouve en présence d’un ensemble de mots
provenant d’un même étymon. Ainsi, le mot latin schola est à la source de
la série : école, écolier, scolaire, scolastique, etc. Il faut veiller à ne pas
confondre synchronie et diachronie (cf. p. XX) : le champ dérivationnel est
synchronique alors que la famille de mots est proprement diachronique.
Les champs sémantiques s’opposent aussi aux champs associatifs qui
regroupent tous les mots gravitant autour d’une notion donnée, comme
gloire, vedette, réussir, arriver, briller, percer, célèbre, légendaire, bonheur,
victoire, triomphe, succès, star, etc. Ces mots, qui sont réunis autour du
thème de la réussite, appartiennent à des parties du discours différentes
(adjectifs, verbes, substantifs).

1.1. LA CONSTITUTION DES CHAMPS SÉMANTIQUES

La définition générale des champs sémantiques est relativement simple,


mais la délimitation concrète des champs particuliers pose souvent des
problèmes. Comment trace-t-on les limites de la notion ? Comment
constitue-t-on le champ lexical ?
Quand on délimite un champ sémantique, on peut adopter deux
démarches différentes. La première est sémasiologique. On part des mots
pour aller vers la détermination de la notion. La deuxième est
onomasiologique. Cette fois-ci, on choisit un domaine (l’art, les véhicules,
les habitations, les sentiments, etc.) et l’on examine les mots qui
lui correspondent.
Pour mieux illustrer ces deux façons de constituer un champ sémantique,
on peut se référer à un exemple connu de Georges Mounin : « Un champ
sémantique : la délimitation des animaux domestiques » (dans La
Linguistique, 1965, nol).
Si l’on adopte la démarche sémasiologique, on part des unités lexicales et
on tente d’aller vers la détermination de la notion. On essaie de recenser
tous les termes disponibles du champ en se basant sur des repérages
étymologiques et dérivationnels, par exemple :

âne, ânesse, ânon, ânier

On propose donc quatre éléments : mâle/femelle/petit/gardien. Il suffit de


penser à porc, chèvre, mouton, cheval, mulet ou bœuf pour constater qu’en
regard de ces quatre éléments proposés on a quelquefois deux ou trois
éléments en série, mais ce ne sont pas les mêmes (mulet / mule / muletier,
mais porc / porcher, ou chien / chienne). Le plus souvent on a des termes
sans relation étymologique entre eux (cheval / jument / poulain / étalonnier,
mouton / brebis / agneau / berger). La démarche à partir des mots et des
séries étymologiques se montre très vite insuffisante. Puisqu’un champ
sémantique n’est ni un champ étymologique, ni une famille de mots, il ne se
constitue pas à partir de critères formels.
Si l’on adopte la démarche onomasiologique, on part de la notion et on
examine les mots qui lui correspondent. La consultation de plusieurs
dictionnaires du français contemporain devrait permettre d’élaborer une
définition précise et complète de la notion « animal domestique » et de
reconstruire la totalité théorique du champ à partir des éléments de
signification d’une telle définition.
Mais on s’aperçoit très vite que les définitions diffèrent d’un dictionnaire
à l’autre. Certains dictionnaires opposent domestique à sauvage, d’autres
identifient domestique et apprivoisé. Mounin, constatant qu’il est
impossible, sur un pareil exemple, de proposer une délimitation du champ
qui soit valable pour tous tranche empiriquement et se borne à étudier une
partie non discutée du champ : X est un animal domestique parce que son
espèce se reproduit habituellement, depuis longtemps, sous la domination
de l’homme. Il tire de cette définition les traits distinctifs essentiels
descripteurs de cette partie du champ et s’appuie sur eux pour rassembler
tous les termes disponibles, dans toutes les séries existantes (terme
générique / mâle / femelle / jeune / parturition / local spécifique / cri
spécifique…).
L’opposition entre ces deux démarches ne peut pas être absolue : dans la
pratique elles s’interpénètrent inévitablement. En effet, les analyses portant
initialement sur des champs onomasiologiques sont souvent amenées à
prendre en considération également des phénomènes proprement
linguistiques, tels que la dérivation, pour structurer les relations entre les
termes étudiés. L’inverse se trouve aussi.
Quand on constitue un champ lexical de façon empirique, plusieurs
questions se posent : faut-il réunir l’ensemble des idiolectes ou un système
réduit à ce qu’ils ont en commun ? Quel registre ou quel niveau de langue
faut-il retenir ? Comment classer les mots polysémiques ? Un idiolecte est
la façon de parler propre à un individu (voir p. 27) Chaque personne, dans
certaines limites évidemment, utilise la langue de façon spécifique. Chaque
personne a un passé, chaque personne a subi des influences différentes, ne
tenant pas seulement à son origine socioculturelle mais aussi à son origine
géographique et aux régions où elle a vécu. En règle générale, il n’est pas
question de prendre en compte les idiolectes, car il est difficile de décrire en
même temps les structures du lexique commun et celles de tel ou tel
idiolecte.
Il est important de signaler aussi que plusieurs systèmes coexistent chez
un même individu selon la situation de communication. On a vu (p. 30) que
l’on peut distinguer plusieurs niveaux et registres de langue. En un même
point d’un champ sémantique, plusieurs mots différents peuvent
correspondre à un même signifié. Les conduites linguistiques changent en
effet, par exemple, selon le médium utilisé (écrit vs oral) ou selon les
relations sociales. Tout le monde admet que l’expression orale, qui est loin
d’être un genre uniforme, présente des particularités par rapport à l’écrit.
Tout le monde sait aussi que l’on ne parle pas de la même façon à ses
enfants qu’à son supérieur hiérarchique.
Il existe aussi des niveaux de l’expérience du monde différents pour des
locuteurs différents (vocabulaire courant vs vocabulaires spécialisés). Là où
les jeunes citadins ne connaissent que quelques poissons, les pêcheurs
différencient et nomment une grande variété de poissons. Là où le Français
moyen ne connaît que la neige, le skieur français distingue et nomme
plusieurs sortes de neige (poudreuse, folle, sèche…). La pratique sociale des
pêcheurs ou des skieurs est liée à une détermination différentielle plus
poussée du même champ de réalité à nommer.
La structure d’un même champ sémantique n’est donc jamais déterminée
d’un point de vue unique et homogène. Les variations dues aux individus ou
aux groupes (classes socioculturelles, professions…) amènent à définir
explicitement l’angle à partir duquel on découpera le champ envisagé.
Ainsi, chaque champ sera recouvert par un filet linguistique plus ou moins
dense selon la nature et la position du locuteur : les pêcheurs ont un filet
linguistique à mailles plus fines que les jeunes citadins en ce qui concerne
les termes désignant les poissons, un médecin possède plus de termes
indiquant les maladies qu’un architecte.
Enfin, l’existence de la polysémie peut également rendre les choses plus
ambiguës. Un mot qui possède plusieurs significations s’applique à
plusieurs champs notionnels et appartient à différents champs lexicaux.
Pour comprendre comment le mot est utilisé, il faut d’abord déterminer de
quel champ notionnel il s’agit dans l’emploi examiné. Ainsi le terme fraise
peut être employé selon les cas dans le champ notionnel des fruits (faire de
la confiture de fraises), dans celui des outils (faire fonctionner la fraise) et
même dans celui des habits (le roi portait une fraise), etc. Il va de soi que
décrire un champ sémantique implique, lorsqu’on rencontre ce type de faits,
que les mots polysémiques soient décrits dans chacun des champs auxquels
ils appartiennent.
Des termes pourront être empruntés d’un champ à l’autre. Ainsi le champ
lexical des termes de couleur comprend plusieurs termes empruntés à celui
des fruits, citron, marron, des fleurs, rose, violette, lilas, et des animaux,
chamois, fauve, etc. Cela signifie qu’à l’intérieur d’un même registre et
d’un même niveau de langue la couleur jaune, par exemple, pourra être
désignée de deux façons (au moins), par un terme spécifique, jaune, et par
un terme d’emprunt, citron, et qu’un même terme pourra renvoyer à des
champs notionnels différents.
Le lexique d’une langue, au lieu de se présenter sous la forme d’une
juxtaposition de champs sémantiques, se présente comme une imbrication,
une superposition partielle de différents champs. Les lacunes et les
chevauchements ne sont donc pas rares. C’est pour cela qu’il est
pratiquement impossible de dégager une classification cohérente et
complète des champs notionnels et lexicaux. Pourtant, ce concept de champ
joue un rôle incontestable en lexicologie en permettant des études lexicales
certes partielles, mais extrêmement utiles.
Il est intéressant de noter aussi que l’on découvre des différences plus ou
moins importantes entre les champs sémantiques d’une langue à l’autre.
Autrement dit, pour un certain nombre de domaines, les vocabulaires des
différentes langues ne sont pas isomorphes : chaque langue découpe et
nomme à sa façon l’expérience que les hommes ont de l’univers. Le nombre
de mots utiles dans tel ou tel domaine dépend des mentalités, des activités
dominantes, des institutions politiques et sociales, du climat, etc.
On cite souvent l’exemple de la langue des gauchos argentins, qui
possède un champ sémantique qui compte deux cents mots pour désigner
les pelages des chevaux. Le français courant ne dispose que d’une vingtaine
de termes pour la même réalité. Le filet linguistique de la langue des
gauchos contient donc deux cents mailles. Celui du français n’aurait, pour
saisir cette réalité linguistique des gauchos, que des mailles dix fois trop
larges : il différencierait sans doute dix fois moins, saisirait et, par
conséquent, traduirait des réalités dix fois moins fines.

1.2. LA DESCRIPTION DES CHAMPS SÉMANTIQUES

Comment décrire le champ sémantique une fois constitué et délimité ?


On a vu qu’auparavant on se bornait à décrire les significations d’une façon
relativement impressionniste. Les lexicographes qui confectionnent un
dictionnaire n’ont pas besoin de faire apparaître si le vocabulaire est
structuré et de quelle façon. Mais cela ne suffit pas, car sur le plan
sémantique, comme sur le plan des formes, les mots sont faits pour
s’employer en énoncés complexes.
La lexicologie structurale a dépassé la conception d’une langue
nomenclature de signes au profit de la notion de sens structurel. On doit
chercher à savoir quelles relations les termes du champ lexical entretiennent
les uns avec les autres et comment ils se partagent la notion : les mots
n’acquièrent leur signification que par l’ensemble des oppositions qu’ils
entretiennent avec les autres unités du champ. C’est seulement par l’étude
de ces interrelations que l’on arrive à déterminer le sens de telle ou telle
unité lexicale.
C’est la phonologie, discipline qui étudie les unités phoniques du
langage, qui a fourni le modèle de la description des champs sémantiques.
Elle permet, en se fondant sur les sons, de dégager avec précision, à
l’intérieur d’une langue donnée, quelques dizaines de phonèmes. Le
phonème est la plus petite unité non signifiante que l’on puisse délimiter
dans la chaîne parlée. Il peut être défini par certaines caractéristiques
phoniques que l’on appelle « traits distinctifs » ou « traits pertinents ».
Les unités pertinentes peuvent être identifiées grâce à la commutation au
sein d’une unité d’ordre supérieur. On a pu voir à plusieurs reprises que la
commutation est une opération utilisée à tous les niveaux de l’analyse
linguistique. Elle sert, après avoir vérifié l’aptitude des éléments de la
chaîne parlée, à entrer dans les mêmes contextes, à montrer si la
substitution d’un élément d’une de ces classes à un autre occasionne ou non
une différence au niveau du sens. On peut dire ainsi que les sons [t], [d] et
[k] sont des phonèmes parce que le remplacement de l’un par l’autre dans
un même contexte [u] s’accompagne d’un changement de sens : toux [tu],
doux [du], coup [ku].
Chaque phonème est composé d’un ensemble de traits qui lui est
particulier et diffère de tous les autres au moins par l’un d’entre eux, ce qui
lui permet d’assurer dans la langue une fonction distinctive. Les trois
phonèmes /t/, /d/ et /k/ ont en commun le trait d’être des consonnes
occlusives ; les traits qui les opposent sont d’une part la voix qui apparaît
dans /d/, mais pas dans /t/ ni /k/ et le point d’articulation dental pour /t/ et
/d/, vélaire pour /k/. Les phonèmes se définissent donc, de façon
relationnelle, par opposition et différenciation. En phonologie, ce qui
compte, ce n’est pas l’ensemble des traits qui caractérisent un phonème,
mais les seuls traits pertinents, ceux qui lui permettent de se distinguer d’un
autre phonème.
Cette démarche a permis de structurer avec précision le système des
phonèmes d’une langue. C’est pour cela que certains chercheurs ont eu
l’idée d’essayer de l’étendre à d’autres secteurs du langage, en particulier à
la sémantique qui n’avait pas de méthode rigoureuse jusque-là.
L’analyse sémique ou componentielle consiste à appliquer à la
substance du contenu des principes de l’analyse phonologique. Du point de
vue de sa signification, chaque mot peut faire l’objet d’un découpage en
traits pertinents sémantiques.
On peut donc tenter de décrire la situation respective des termes du
champ sémantique les uns par rapport aux autres par des traits oppositifs,
semblables aux traits distinctifs de la phonologie. Examinons, par exemple,
la série vue plus haut : siège, chaise, fauteuil, tabouret, canapé, pouf. Tous
ces substantifs partagent le trait : /pour s’asseoir/. Ce qui les distingue est
qu’un certain nombre d’entre eux ont des bras, d’autres non, que certains
possèdent un dossier, d’autres non, que certains sont destinés à plusieurs
personnes, d’autres à une seule, etc. (Bernard Pottier : « Du très général au
trop particulier » dans Travaux de linguistique et de littérature, 1963). Pour
qu’un ensemble d’unités lexicales soit pourvu de signification, il faut que
leurs contenus diffèrent par au moins un trait sémantique.

pour matériau pour une sur avec avec


Sèmes
s’asseoir rigide personne pied(s) dossier bras

Mots :
siège + 0 0 0 0 0
chaise + + + + + –
fauteuil + + + + + +
tabouret + + + + – –
canapé + + – + + 0
pouf + – + – – –

Il convient de souligner que ce type d’analyse n’est pas une définition ;


son objectif est tout simplement de préciser la place, la valeur des termes
les uns par rapport aux autres. Les traits pertinents sémantiques sont appelés
« sèmes », ou « traits sémantiques » ou encore « traits lexicaux ». Ils sont
donc issus de la comparaison de la signification des mots du champ étudié
et ne retiennent qu’une succession d’oppositions (matériau rigide, pour une
personne…). Parmi les sèmes, il y a aussi bien des sèmes génériques qui
caractérisent toute une classe sémantique, que des sèmes spécifiques, qui
permettent de distinguer, à l’intérieur d’une classe, les différents mots.
Dans ce tableau, le sème /pour s’asseoir/ est commun à tous les mots et
indique leur appartenance à la classe. Les autres sèmes servent à opposer les
mots les uns aux autres dans la classe. Dans la terminologie de B. Pottier,
l’ensemble des sèmes génériques s’appelle « classème » et celui des sèmes
spécifiques « sémantème ».
Chaque ligne horizontale de cet exemple représente le sémème (=
l’ensemble des sèmes) d’un mot donné. Ainsi le sème générique /pour
s’asseoir/ et les sèmes spécifiques /matériau rigide/, /pour une personne/,
/sur pieds/ définissent le sémème correspondant au mot tabouret. /pour
s’asseoir/ constitue tout seul le sémème de siège, terme qui peut remplacer
tous les objets dénommés par les autres mots de la liste et qui est donc, par
rapport à eux, l’hyperonyme ou l’archilexème le plus proche. Les autres
mots de ce champ sémantique sont des hyponymes de siège. Si le mot est
polysémique, il a plusieurs sémèmes. Quant aux mots monosémiques, ils
n’ont qu’un sémème.
On sait que la classe des « sièges » elle-même fait partie de celle des
« meubles ». À son tour, cette dernière appartient à la classe des « objets
fabriqués », qui, à un niveau encore supérieur, est incluse dans celle des
« objets physiques ». Le mot siège peut également être pris au sens figuré
(Rome est le siège de la papauté). Il va de soi que dans ce cas, siège ne
correspond pas aux traits vus plus haut /pour s’asseoir/, /objet fabriqué/.
Pottier dit qu’à côté des sèmes fondamentaux qui s’impliquent dans le sens
propre, il y a des sèmes virtuels ou virtuèmes qui apparaissent seulement
dans certains cas spécifiques.
Il est très important de souligner que les champs sémantiques forment, à
la différence du lexique dans son ensemble, des classes closes et stables au
cours de l’analyse : si l’on modifie le nombre d’unités retenu, on est obligé
de proposer une autre analyse. L’introduction de nouvelles unités lexicales
dans la série des sièges, par exemple (pliant ou strapontin) amène à tenir
compte de traits pertinents nouveaux : /pieds articulés en X/, /à abattant/,
etc.
Les traits oppositifs peuvent aussi être linguistiques. Dans ce cas, il
s’agit de distinguer des termes que seule différencie leur appartenance à des
niveaux ou à des registres de langue différents, comme les traits familier,
populaire, technique, littéraire, etc. Ainsi les termes des couples gonzesse et
fille, migraine et céphalée ont le même sens, mais ils se distinguent, les
premiers en ce qu’ils font partie des niveaux et les seconds des registres de
langue différents.
Il est tout à fait possible de contester la validité des grilles, comme celle
de Pottier présentée plus haut. Une telle organisation de traits distinctifs
peut ne pas toujours apparaître comme évidente. En effet, la constitution et
l’analyse des champs sémantiques suscitent quelques difficultés, dans la
mesure où elles sont étroitement liées à l’état des techniques ou des idées
d’une époque donnée. Il va de soi que l’analyse sémique est
particulièrement sensible aux modifications du référent. Certains sèmes qui
sont pertinents à une époque (par ex., /quatre pieds/, pour une chaise),
deviennent non pertinents après l’invention de nouvelles formes (chaise à
un pied circulaire unique, chaises ergonomiques…).
Très souvent les sèmes sont combinables entre eux sans que l’on puisse
établir une hiérarchie. On parle alors de « classification paradigmatique ».
Parfois les traits sont subordonnés les uns aux autres, organisés
hiérarchiquement. Dans ce cas on parle de « classification taxinomique ».
On peut étudier un exemple classique. Il existe en français un certain
nombre de verbes qui expriment, avec des variantes, l’idée de « faire
mourir ». En voici une trentaine :

tuer empoisonner guillotiner


assassiner descendre étrangler
liquider noyer massacrer
égorger asphyxier zigouiller
exterminer refroidir foudroyer
décapiter achever suicider
exécuter terrasser abattre
occire buter électrocuter
poignarder fusiller estourbir
supprimer immoler suriner
Le corpus présente des termes archaïques (occire, estourbir), des termes
familiers ou argotiques (buter, descendre, zigouiller, refroidir, liquider). On
peut déjà opposer les termes par niveaux de langue.
On peut également trouver une certaine hiérarchie, il y a des traits qui
sont subordonnés les uns aux autres. Tuer est le terme générique dont tous
les autres sont des spécificateurs : exterminer, c’est tuer jusqu’au dernier,
exécuter, c’est tuer par décision de justice, etc. On obtient ainsi la taxinomie
suivante :

On peut arriver à dégager d’autres taxinomies partielles :


Mais un verbe comme décapiter peut également appartenir à la série
assassiner, si bien que l’on ne peut faire figurer tous les termes proposés
dans une seule taxinomie où chaque terme n’apparaîtrait qu’une seule fois.
Il y a des termes qui n’entrent dans ce champ que par un usage figuré du
langage et qui, à l’origine, appartiennent à d’autres champs : refroidir,
descendre, abattre. Ces changements de sens, ces figures, se classent en
deux vastes catégories, les métaphores et les métonymies. La métaphore
est fondée sur un rapport de ressemblance : ainsi, lorsque quelqu’un dit :
Cet homme est un serpent, il veut dire qu’« il est mauvais comme un
serpent ». Dans le corpus, l’emploi de liquider pour tuer est fondé sur un tel
rapport : on liquide quelqu’un, on s’en débarrasse, comme on liquide un
fonds de commerce.
Les métonymies sont fondées, elles, sur un rapport de contiguïté, soit
spatiale (contenant/contenu) soit temporelle (cause/effet). Ainsi, dire : boire
un verre pour boire le vin qui est contenu dans le verre, c’est employer une
métonymie, même si celle-ci est si fréquente qu’elle n’est plus ressentie
comme telle. Dans le corpus, refroidir est un exemple de métonymie. Tuer
quelqu’un a pour conséquence de le refroidir. On emploie donc l’effet,
refroidir, pour la cause, tuer.

1.3. LE MODÈLE DE RASTIER

La polysémie et le rôle du contexte dans le fonctionnement des sèmes


sont envisagés systématiquement par le modèle de Rastier (cf. F. Rastier,
Sémantique interprétative, Paris, PUF, 1987 ; C. Baylon et X. Mignot,
Sémantique du langage, Paris, Nathan, 1995, p. 127-129). Comme Pottier,
Rastier oppose les sèmes génériques aux sèmes spécifiques, mais il
prétend que ces deux types de sèmes peuvent être soit des sèmes inhérents,
soit des sèmes afférents (qui ont un statut assez proche de celui des
virtuèmes). En outre, les sèmes afférents peuvent être de deux sortes :
sèmes afférents socialement normés et sèmes afférents contextuels. La
différence entre les sèmes inhérents et les sèmes afférents se traduit par
l’effet qu’a le contexte sur l’interprétation à donner au mot. Le mot neige,
par exemple, comporte /blanche/ parmi ses sèmes inhérents, parce que ce
trait lui appartient en propre. Si le contexte intervient, si, par exemple,
quelqu’un dit : La neige était noire, le sème inhérent /blanche/ doit être
annulé. Mais en l’absence d’indications formelles dans le contexte, le sème
est activé et il faut en tenir compte dans l’interprétation du mot. On dit que
pour les sèmes inhérents, seul est possible un effet négatif.
En ce qui concerne les sèmes afférents socialement normés, seul est
possible un effet positif d’activation. Le contexte d’emploi intervient
uniquement pour activer un sème qui autrement demeure latent. Si, parlant
du renard, on évoque les difficultés qu’on a à le chasser et qui faisaient de la
chasse au renard une activité traditionnellement fort prisée de la bonne
société anglaise, le sème /rusé/ est ainsi mis en relief. Il en va de même si
on qualifie un être humain de renard.
Quant aux sèmes afférents contextuels, ce sont ceux qui, sans faire
partie en propre de l’unité lexicale, lui viennent du contexte. Les sèmes
peuvent en effet se propager d’un mot à un mot voisin, qui se trouve alors
pourvu momentanément d’un sème étranger. Si dans un contexte il est
question d’un renard apprivoisé, les sèmes d’/apprivoisé/ s’ajoutent à ceux
de /renard/, qui pourra alors, sauf indication contraire, les conserver chaque
fois qu’il apparaîtra dans le même texte.
Ce qui rend le modèle de Rastier intéressant, c’est que l’on admet que les
divers sèmes sont, selon le contexte d’emploi, inhibés, activés ou même
transmis. Ainsi, non seulement les sèmes annexes (virtuèmes/afférents),
mais aussi les sèmes fondamentaux eux-mêmes apparaissent ou
disparaissent « à la demande ». Ce phénomène joue un rôle considérable
surtout dans les emplois figurés des unités lexicales :
ex. C’est un jeune loup.

Tous les traits objectifs propres à l’animal (avoir quatre pattes, des poils,
un museau pointu, des oreilles toujours droites, une queue touffue pendante)
sont mis hors circuit, même s’ils demeurent sous-jacents d’une certaine
manière. Le recours au contexte et à la situation permet alors l’effacement
des sèmes fondamentaux et la mise en relief de sèmes secondaires ou
déviants.

Un champ sémantique : la dénomination des animaux domestiques


Georges Mounin a réfléchi sur la délimitation du champ sémantique des animaux domestiques
(« Un champ sémantique : la dénomination des animaux domestiques », dans La Linguistique, no 1,
1965). Il a constaté que l’on peut essayer de recenser tous les termes disponibles du champ en se
basant sur des repérages dérivationnels. Dans ce cas, on obtient le tableau I (cf. p. ci-contre) :

Tableau I : Le champ dérivationnel

NB : Le ? indique les dérivations non productives ou peu


productives dont on peut se demander si elles sont perçues
généralement.

Ce tableau se révèle très vite insuffisant : il met en scène les relations qui
existent entre signifiés de termes motivés morphologiquement (âne / ânesse
/ ânon / ânier, mulet / mule / muletier / mulassier, etc.). Or, structurer le
lexique c’est aussi découvrir les relations qui existent entre signifiés de
termes immotivés (ex. : cheval / jument / poulain / étalonnier, mouton /
brebis / agneau / berger). Les séries dérivationnelles, dans un champ, ne
peuvent donc être qu’une esquisse ou un moyen de vérification.
Puisqu’il semble impossible de délimiter formellement le champ
sémantique, on peut essayer de constituer un champ en mettant en scène
tous les noms qui peuvent commuter avec âne dans l’énoncé définitoire
suivant : « L’âne est un animal domestique parce que son espèce se
reproduit habituellement, depuis longtemps, sous la domination de
l’homme ». On obtient le nom spécifique de chaque animal domestique
(cheval, mulet, bœuf, chèvre, mouton, etc). On doit également mettre en
scène tous les noms qui peuvent commuter dans les définitions suivantes :
– 1. A (m) est le mâle de l’espèce A ;
– 2. A (e) est la femelle de A ;
– 3. A (j) est le petit de A (e) et de A ;
– 4. A (n) est la portée de A (e) ;
– 5. A (p) désigne la parturition chez A (e) ;
– 6. A (c) désigne le cri spécifique de A ;
– 7. A (I) désigne le local spécifique où sont abrités les A.
On obtient ainsi le tableau II qui est constitué sur la base d’exigences
exclusivement biologiques (cf. p. ci-contre).
Ce tableau remplit une grande partie des cases laissées vides par la
structuration dérivationnelle, mais il reste toutefois incomplet. On
s’aperçoit que la biologie même empirique ne peut pas être le seul principe
de la structuration du lexique. Une structuration zootechnique, elle aussi
non linguistique, peut fournir d’autres traits sémantiquement pertinents. En
effet, ce sont des réalités zootechniques, et non plus biologiques, qui
commandent l’apparition de traits sémantiquement pertinents liés à d’autres
dénominations distinctes : mâle châtré (hongre, bœuf, mouton [ ?], chapon,
lapin et chat coupés ou taillés) ; jeune nouveau-né (poussin = poulet ;
agnelet = agneau) ; jeune mâle ou jeune femelle sexuellement différenciés
mais non adultes (taurillon, bouvillon, génisse = veau ; canette = caneton ;
poulette, cochet ou coquelet = poulet ; chevrette = chevreau ; agnelle
= agneau). Si ces réalités zootechniques sont également mises en scène, on
obtient le tableau III (cf. p. 116-117).

Tableau II : Le champ zoologique

NB : Les termes en italique s’ajoutent à ceux du tableau I.


Tableau III : Le champ sémantique des animaux domestiques
* Toutes les fois qu’une case comporte plusieurs termes, l’analyse
en traits sémantiquement pertinents devrait être poussée au-delà du
présent tableau, par exemple : porcherie (caractère industriel),
cochonnier (méridionalisme), etc.
Nota. – En romain, les termes provenant du tableau I (champ
dérivationnel).
En italique, les termes provenant du tableau II (champ obtenu par
des traits zoologiques).
En CAPITALES, les termes obtenus à partir des traits zootechniques
divers.
1.4. LES LIMITES DE L’ANALYSE SÉMIQUE

Les théories sémantiques se heurtent souvent à des difficultés. On a pu


constater que l’étude du sens n’a pas réussi à s’adapter totalement à la
perspective structuraliste. Le lexique ne se laisse pas décrire d’une façon
ordonnée et exhaustive par les mêmes méthodes que les niveaux
morphologique et phonologique d’une langue. En effet, le lexique est
beaucoup plus lâchement structuré que les autres domaines linguistiques.
On a vu que l’analyse en sèmes est très étroitement liée à l’état des
pensées et des techniques d’une époque donnée : certains sèmes pertinents
deviennent non pertinents après l’invention de nouvelles idées ou de
nouvelles formes. On a vu aussi que les variations dues aux groupes ou aux
individus différents obligent à déterminer explicitement le point de vue à
partir duquel le champ envisagé sera découpé et étudié. L’analyse sémique
ne peut donc pas prétendre structurer de façon scientifique l’univers des
significations à l’aide d’une grille unique. Pour qu’elle soit efficace, elle
devrait confronter plusieurs organisations concurrentes d’un même domaine
d’expérience.
Le problème majeur des théories sémantiques semble cependant porter
sur la catégorisation du réel. Il va de soi que les éléments qui constituent
l’univers ne peuvent pas tous recevoir des noms propres. C’est pour cela
qu’ils doivent être organisés en classes plus générales, dont chacune porte
un nom commun valable pour tous les membres de la catégorie : moineau,
rouge-gorge ou oiseau, chaise, fauteuil ou siège.
Les mots véhiculent des concepts et ainsi permettent aux hommes de
prendre une connaissance claire de l’univers. L’expérience que les hommes
ont de leur univers est infinie. On peut donc se demander comment il est
possible de décrire cet infini à l’aide du fini. Les mots, signes linguistiques,
comportant un signifiant et un signifié, sont là pour fournir à la fois des
catégories de pensée intermédiaires entre l’unité globale et l’infinie
diversité et le moyen phonique de les identifier. La conquête de la langue
semble s’opérer chez l’homme parallèlement avec le pouvoir de
catégorisation et d’abstraction. Tout mot est une abstraction, et cette
abstraction peut être rendue sensible en montrant aux hommes des images
d’objets fort différents entre eux quoique portant le même nom : un sac à
main, un sac à pommes de terre, un sac poubelle… Qu’est-ce donc qu’un
sac ? Les enfants semblent, à partir de l’âge de 6 ou 7 ans, devenir capables
de saisir les caractères communs à toute la série. Les jeunes enfants utilisent
plus que leurs aînés les indices perceptifs qui leur sont fournis par les
images d’objets ; plus les enfants sont âgés, plus ils deviennent capables
d’utiliser aussi des attributs, comme la fonction, qui ne sont pas figurés
dans l’image de l’objet (Geneviève Bramaud du Boucheron, La Mémoire
sémantique de l’enfant, Paris, PUF, 1981, p. 212). Sans ce pouvoir de
catégorisation et d’abstraction, le monde perçu serait chaotique et
perpétuellement nouveau !
L’opération mentale qui consiste à ranger ensemble des éléments
différents se retrouve dans toutes les activités de l’homme (pensée,
perception, parole, action…). Chaque fois que l’homme perçoit une espèce
de chose, il catégorise. Chaque fois qu’il a envie d’effectuer une action,
celle de courir par exemple, il s’agit d’une catégorie d’action qui se trouve
activée. Catégorisation et catégories sont donc les éléments essentiels de
l’organisation de l’expérience humaine.
On peut se demander sur quelles bases repose cette répartition en
ensembles. Selon la conception classique, la catégorisation s’effectue sur
la base de propriétés communes. Les membres d’une même catégorie
présentent des traits identiques. Si un objet particulier est perçu comme
étant un oiseau, c’est parce qu’il possède les traits caractéristiques qui
définissent le concept d’oiseau. En effet, la catégorie des oiseaux a
l’habitude de regrouper les animaux qui ont des ailes, un bec, deux pattes,
des plumes, qui pondent des œufs et qui volent. Aussi bien le moineau que
le rouge-gorge présentent ces traits. La catégorisation ainsi conçue répond à
un modèle de conditions nécessaires et suffisantes. Les propriétés
communes sont partagées par tous les membres de la catégorie.
La sémantique structurale européenne est apparentée aux versions de ce
modèle. Dans la mesure où les sèmes sont considérés comme un ensemble
de conditions nécessaires et suffisantes, l’analyse sémique postule que les
frontières des catégories sont clairement délimitées : pour qu’un être vivant
soit nommé oiseau, il doit, en principe, correspondre aux propriétés
énumérées plus haut. Ou pour qu’on objet soit nommé chaise, il doit être
défini à l’aide des conditions nécessaires « quatre pieds », « matériel
rigide », « dossier »… Or tout le monde sait que les choses ne sont pas
organisées d’une façon aussi tranchée.
Le modèle des conditions nécessaires et suffisantes montre donc assez
vite ses limites. Son manque de flexibilité ne lui permet pas de s’adapter
aux cas marginaux. Quand on catégorise un certain référent par un certain
mot, que doit-on faire des référents qui ne correspondent pas tout à fait aux
propriétés majeures de la catégorie ? Ce modèle aurait du mal à classer
l’autruche ou le pingouin dans la catégorie des oiseaux, car ces deux êtres
vivants ne volent pas. Or le fait de voler fait normalement partie des
propriétés de la catégorie « oiseau ».

2. LA SÉMANTIQUE DU PROTOTYPE

2.1. LE PROTOTYPE

À côté de l’analyse sémique s’est développée postérieurement une autre


conception du sens des unités lexicales, la sémantique du prototype. Cette
théorie, qui tente de résoudre certaines des difficultés auxquelles est
confrontée la décomposition en sèmes, a donné du sens une conception plus
souple et par là plus juste. Le pouvoir référentiel des mots s’en est trouvé
mieux expliqué. L’autruche n’est sans doute pas un oiseau parfait, mais elle
est beaucoup plus apte à être dénommée « oiseau » qu’une baleine ou un
lapin, qui ne le sont absolument pas. La sémantique du prototype rompt
avec la conception classique de la catégorisation en proposant une théorie
nouvelle : elle passe des classes, définies par une liste de conditions
nécessaires et suffisantes, à une analyse de catégories dites « naturelles »
qui cherche avant tout à décrire l’organisation interne et externe des
catégories en relation avec leur fonctionnalité. Le processus de
catégorisation, au lieu d’être la découverte d’une règle de classification, est
désormais la mise en valeur de covariations et de similitudes globales et la
formation de prototypes de référence.
La théorie du prototype semble être en train de bouleverser la conception
que l’on a de la capacité de catégoriser et par conséquent, l’idée que l’on se
fait de l’esprit humain en général. Cette théorie, étant une théorie de la
catégorisation, ne doit donc pas être considérée en premier lieu comme une
théorie sémantique du mot. Cependant, les linguistes y voient avant tout une
théorie qui permet de régler le problème du sens lexical. La sémantique du
prototype devient ainsi une théorie sur le sens « linguistique » et tout
particulièrement sur le sens d’un mot.
Eleanor Rosch est une psychologue américaine qui a fait connaître la
théorie du prototype dans les années soixante-dix. C’est Georges Kleiber
qui a fait une synthèse (La Sémantique du prototype, Paris, PUF, 1990) des
travaux suscités par ce courant de pensée dont l’objectif est de s’interroger
surtout sur les points suivants :
– 1) Pourquoi X est-il un oiseau et non un train ou une vache, par
exemple ? Quelles sont les représentations mentales qui correspondent,
dans une société donnée, aux diverses catégories de référents ?
– 2) Pourquoi X est-il nommé oiseau ? On aurait aussi bien pu dire que
c’est un moineau ou un animal…
Il est très important de signaler que ce courant s’intéresse plus à une
description psychologique du référent des mots qu’à leur définition.
L’une des idées centrales de la sémantique du prototype est que parmi les
stimuli que les gens reçoivent, certains types idéaux ou « prototypes » sont
des points d’ancrage pour la perception. Il semble s’agir d’un phénomène
biologique : il existe, par exemple, des couleurs « prototypiques » qui
servent à repérer les autres.
Selon la conception classique, les membres d’une même catégorie ont un
statut égal, puisque chaque membre possède les propriétés requises par la
définition de la catégorie. L’idée fondamentale de la théorie du prototype
est qu’un grand nombre de catégories naturelles sont structurées et que tous
les membres d’une catégorie ne sont pas équivalents. Le prototype est le
meilleur exemplaire communément associé à une catégorie. C’est
l’entité centrale autour de laquelle s’organise toute la catégorie. Les autres
éléments sont assimilés à cette catégorie sur la base de leur ressemblance
perçue avec le prototype.
On peut se demander comment le prototype peut être identifié au sein
d’une société. L’identification est basée sur des tests psychologiques ; elle
s’effectue au moyen d’expériences (réponses chronométrées à des
questionnaires) permettant l’étude systématique des intuitions linguistiques
d’un échantillon représentatif de sujets parlants.
La notion de prototype est donc fondamentalement reliée aux individus.
Ce sont les sujets parlants qui reconnaissent le meilleur exemplaire de telle
ou telle catégorie. Mais on peut se poser le problème de la variation
individuelle. Le prototype ne varie-t-il pas d’un individu à l’autre ? En effet,
quelques variations existent, mais les résultats des expériences sont
cependant relativement stables et permanents chez les sujets parlants d’une
même communauté. On peut constater que :
– les membres prototypiques sont catégorisés plus vite que les membres
non prototypiques ;
– ils servent de point de référence cognitif ;
– ils sont appris en premier par les enfants ;
– et ils sont généralement mentionnés en premier lorsqu’on demande
d’énumérer les membres d’une catégorie.
En Europe et en Amérique du Nord, le moineau est considéré comme le
prototype de la catégorie « oiseau ». Les différents êtres auxquels on peut
référer en employant le mot oiseau se rapprochent plus ou moins de ce
prototype, les divers exemples se distribuant selon des degrés de typicalité.
Chez les oiseaux, l’aptitude à voler est commune, mais il existe des oiseaux
qui ne volent pas, comme l’autruche ou le pingouin.
Les membres d’une catégorie ne sont pas des exemplaires équivalents : il
existe des membres qui sont de meilleurs exemplaires que d’autres. Il y a
donc une hiérarchie qui s’établit à l’intérieur de la catégorie. Le degré de
représentativité d’un exemplaire correspond à son degré d’appartenance à la
catégorie. Et l’appartenance à une catégorie s’effectue sur la base du degré
de similarité avec le prototype. Plus l’élément à catégoriser ressemble au
prototype, plus son appartenance à la catégorie concernée est nette. Les
membres qui ont un degré de représentativité très faible, ceux qui sont donc
de mauvais exemplaires de la catégorie, comme autruche et pingouin pour
oiseau, sont placés à la périphérie de la catégorie. Les exemplaires ayant un
degré de prototypicalité intermédiaire, comme par exemple canari pour
oiseau, se situent à une distance intermédiaire entre le meilleur exemplaire
et les moins bons représentants de la catégorie.
L’approche en termes de prototype n’exclut pas l’analyse sémique, mais
elle implique que certains sèmes sont indispensables, d’autres facultatifs.
On a vu qu’entre l’exemplaire X et le prototype, on peut déterminer une
distance. Si elle est faible, il y a, selon une expression empruntée au
philosophe Wittgenstein, un « air de famille » entre X et l’exemplaire
prototypique. Lorsqu’elle est grande, l’unité de la catégorie, trop
hétérogène, peut être mise en cause.

2.2. LES NIVEAUX DE DÉNOMINATION

La théorie du prototype aborde aussi la question des niveaux de


dénomination. Elle s’interroge sur les distinctions et les généralisations à
partir desquelles l’esprit humain catégorise et appelle l’être volant animal,
oiseau ou moineau. En effet, on a pu constater dans la partie consacrée à la
relation lexicale hyperonymie-hyponymie (p. 88) qu’un même objet peut
être dénommé de plusieurs façons différentes. Il va de soi que ces différents
termes ne se situent pas au même niveau. Certains domaines du vocabulaire
possèdent une structure hiérarchique, les catégories s’emboîtant les unes
dans les autres. Ainsi, le moineau fait partie de la classe des oiseaux, qui, à
son tour, appartient à la classe des animaux. La vaste catégorie des animaux
se subdivise ainsi en espèces et en races.
Si l’on ne s’occupe pas des catégories scientifiques et techniques qui sont
souvent très fines et, par conséquent, très riches en niveaux, il semble,
d’après la théorie du prototype, qu’il y a dans le langage courant trois
niveaux principaux de catégorisation et de dénomination :
– 1) niveau superordonné (ex. : animal) ;
– 2) niveau de base (ex. : oiseau) ;
– 3) niveau subordonné (ex. : moineau, rouge-gorge, aigle, etc.).
Or, l’expérience montre que le sujet parlant emploie plus facilement le
terme du niveau de base oiseau que le nom supérieur animal et que le nom
subordonné moineau, même s’il est tout à fait capable de différencier un
moineau d’autres oiseaux. Le mot intermédiaire oiseau dans la série
hiérarchique animal-oiseau-moineau a donc un statut privilégié.
On comprend bien que l’utilisation du mot oiseau est plus fréquente que
celle des noms de races. Il y a beaucoup de locuteurs qui ne les connaissent
pas. Ils peuvent aussi avoir des difficultés à identifier la race d’un oiseau
qu’ils aperçoivent. Mais on peut se demander pourquoi le nom
superordonné animal n’est pas plus employé : c’est que ce peut référer à des
images très différentes. Entre un éléphant et une souris, par exemple, il y a
un écart considérable.
On peut dessiner sans difficulté un chien, un chat, un oiseau, un homme
ou un arbre (niveau de base). On n’a pas de difficultés non plus à dessiner
un berger allemand, un chat siamois, un moineau ou un sapin (niveau
subordonné). Mais comment dessiner un animal, une plante ou un objet
fabriqué ? En effet, les superordonnés regroupent des exemplaires tellement
différents qu’ils ne peuvent être représentés par une forme unique. Selon la
théorie psychologique du prototype, les sujets parlants utilisent de
préférence des mots qui correspondent à des images facilement
reconnaissables. Un moineau est donc d’abord reconnu comme oiseau
avant d’être reconnu, avec tous les oiseaux, comme animal. On comprend
qu’il soit désigné d’après la catégorie où il est le plus spontanément et le
plus rapidement classé.
La théorie du prototype semble apporter des éléments nouveaux qui
rendent de grands services à la sémantique lexicale :
– Elle est beaucoup moins rigide que le modèle des conditions
nécessaires et suffisantes dans la mesure où les frontières des catégories
sont relativement floues. Ainsi, il n’y a pas de ligne de démarcation précise
entre ce qu’est un X et ce que n’est pas un X. La sémantique du prototype
rend bien compte des cas marginaux qui échappent à la conception
classique, tels que la chaise à un pied ou la chaise à un bras.
– Elle prouve l’existence d’une organisation interne à l’intérieur d’une
catégorie. La fixité centrale du prototype apporte par sa relative permanence
la stabilité structurale nécessaire pour qu’une catégorisation soit efficace et
pertinente.
– Elle permet de réintégrer dans le sens d’un mot des propriétés exclues
par le modèle classique, à savoir les propriétés typiques et stéréotypiques.
– Elle prouve l’existence d’une organisation interne à l’intérieur d’une
catégorie.
– Elle trace une hiérarchie intercatégorielle qui trouve également un écho
nouveau et prometteur dans l’organisation de la hiérarchie lexicale.
Malgré ces points qui font progresser l’analyse sémantique, la théorie du
prototype n’est cependant pas une solution miracle. Comme toutes les
théories sémantiques, elle se heurte à des obstacles qu’elle a du mal à
surmonter.
Quelques critiques lui sont souvent adressées :
– La théorie du prototype fonctionne bien dans certains secteurs : ceux
des phénomènes de perception (cf. adjectifs de couleur), des espèces
naturelles (oiseau, fruit…) et des objets fabriqués. Dans d’autres domaines,
elle s’applique beaucoup plus difficilement.
– Les noms sont aussi plus favorables à cette théorie que d’autres
catégories grammaticales, comme le verbe, par exemple. Il est nettement
plus facile de s’imaginer quel est le meilleur exemplaire d’oiseau que
d’envisager quel est le meilleur exemplaire de dormir ou de dans. Les
verbes, on le sait, présentent de nombreux cas d’hyponymie, tels, par
exemple, assassiner, exécuter par rapport à tuer. On accepte plus facilement
le jugement qui dit qu’un moineau est un meilleur exemplaire d’oiseau, que
celui qui dit qu’assassiner est un meilleur exemplaire de tuer qu’excécuter.
– La méthode des tests psychologiques ne convient que pour des
catégories intermédiaires de noms à dénoté concret (objets naturels et
fabriqués), mais pas pour les genres, ni les sous-espèces. On peut trouver
facilement le prototype de l’oiseau, mais quel est le prototype de l’animal,
du moineau, du meuble, etc ?
– De même, cette théorie convient mal aux mots polysémiques. On a vu
qu’un polysème regroupe sous une dénomination unique plusieurs
catégories. La théorie prototypique a tendance à favoriser la division des
polysèmes. Autrement dit, dans tous les cas où l’unité du mot n’est pas
absolument évidente, on est amené à donner une description autonome de
chaque signification, comme si l’on avait affaire à plusieurs homonymes.
– La théorie du prototype semble négliger les figures, comme la
métaphore et la métonymie. Elle tient les mots non pour des signes mais
pour des étiquettes collées sur le monde réel. Or, le lexique est un
phénomène culturel, non une taxinomie, ni un paradigme.

3. LES RAPPORTS ENTRE LE LEXIQUE ET LA SYNTAXE

Jusqu’ici, on s’est intéressé avant tout au contenu des unités lexicales. On


a vu que dans l’ensemble du lexique se dessinent des sous-ensembles
organisés dont les éléments ont un dénominateur commun. L’étude de ces
champs sémantiques concerne essentiellement les relations que les signes
entretiennent paradigmatiquement (cf. p. 15). On a également pu observer
qu’il y a des mots qui ont entre eux des rapports sémantiques plus ou moins
étroits et qu’il est parfois impossible d’expliquer un mot sans le remettre
dans son contexte.

3.1. LE RÔLE DU CONTEXTE ET DE LA SYNTAXE

L’examen des relations lexicales a donc déjà abordé le problème des


relations contextuelles. Le contexte définit l’axe selon lequel une grande
partie des relations lexicales s’établissent. On peut rencontrer, par exemple,
des mots qui sont apparemment synonymes, mais l’analyse de leurs
distributions (= l’ensemble des environnements dans lesquels l’unité
lexicale est susceptible d’apparaître) permet parfois de les distinguer. On a
vu le cas de l’adjectif épicé (p. 79). Dans un contexte précis, ce mot peut
être remplacé par l’adjectif fort (une sauce épicée = une sauce forte).
Toutefois ces deux mots quasi synonymes ne commutent pas entre eux dans
tous les contextes. Avec les mêmes mots, on peut construire des phrases où
la synonymie disparaît (une femme forte / *une femme épicée).
De même, si l’on étudie comparativement les deux adjectifs
apparemment de sens voisin vide et désert, on constate qu’il existe un grand
nombre de contextes dans lesquels ces deux adjectifs peuvent commuter (cf.
Jean-Louis Chiss, Jacques Filliolet, Dominique Maingueneau, Linguistique
française, Paris, Hachette, 1993, p. 150-151) :

un village
une rue vide ou désert(e)
un couloir
une région

Certains contextes sont réservés uniquement à l’adjectif vide :

une tête
une boîte vide [*désert(e)]
un paquet

Il n’y a pas, en revanche, de contexte où l’on puisse trouver uniquement


désert(e) et non vide. On peut conclure qu’il s’agit ici d’une inclusion de la
distribution de désert(e) dans celle de vide.
En ce qui concerne la paire vif/animé, on s’aperçoit que ces deux
adjectifs peuvent partager certains contextes :

un débat vif ou animé


un match

Dans ces deux environnements, vif et animé s’opposent à terne et


ennuyeux. Il est intéressant de constater que l’on peut trouver l’adjectif vif
dans des contextes d’où l’adjectif animé est exclu :

une douleur
un homme vif, vive [*animé(e)]
un esprit

Inversement, l’adjectif animé figure dans des contextes dont vif est
exclu :

une rue animé(e) (*vif, vive)


un marché

Cette fois-ci, il s’agit d’un cas d’intersection distributionnelle, puisque


ces deux termes, en dehors des emplois qui leur sont propres, peuvent
partager certains environnements.
La description d’un élément lexical ne peut pas se faire correctement sur
le seul plan sémantique car ses propriétés de construction font souvent
partie intégrante de sa définition. En effet, l’étude de la syntaxe (= partie de
la linguistique qui traite des règles qui régissent les combinaisons de mots
en phrases) peut se révéler indispensable pour la compréhension du lexique.
Maurice Gross a effectué des travaux importants dans ce domaine
(Méthodes en syntaxe, Paris, Hermann, 1975).
On a vu que les mots isolés sont presque tous polysémiques et ils
prennent leur sens en contexte, dans le cadre de la phrase. Il est dérisoire de
demander hors de tout contexte ce que signifie, par exemple, le verbe
abattre (cf. Gaston Gross, Manuel d’analyse linguistique, Presses
Univeritaires de Septentrion, Villeneuve d’Ascq, 2012). En revanche, si
l’on précise la nature du complément, le sens devient évident et il diffère
selon les emplois : abattre un arbre (« couper »), abattre un aéronef
(« descendre »), abattre une construction (« démolir »), abattre les cartes
(« déposer »), abattre un animal de boucherie (« tuer »). En effet, l’emploi
d’un mot intègre le lexique, la syntaxe et la sémantique.
On examinera ici les unités lexicales à partir de leur insertion dans un
cadre syntaxique. On verra que souvent les propriétés syntaxiques d’un
terme, c’est-à-dire les constructions dans lesquelles il est possible de
l’employer, peuvent être un moyen de faire apparaître des différences de
sens. Rappelons que les descriptions morphologiques et sémantiques
envisagent les classes de termes semblables (niveau paradigmatique) et
l’étude des rapports entre le lexique et la syntaxe concerne les relations que
les mots entretiennent en contexte (niveau syntagmatique).
La syntaxe s’avère souvent intéressante pour l’étude de la polysémie et
de l’homonymie. En ce qui concerne certains verbes, on peut repérer une
spécialisation de sens avec une différence de construction. Ainsi, on pourra
opposer :

boire du vin, de l’eau et boire


jouer au ballon et jouer

On constate que, lorsque le verbe est construit sans complément, lorsqu’il


est intransitif, le sens du verbe, sauf indication contraire du contexte est
restreint par rapport au verbe transitif possédant un complément : il boit
signifie presque toujours il boit du vin, de l’alcool ; il joue veut très souvent
dire il joue aux courses ou au casino. Les verbes intransitifs de ces
exemples ont, de surcroît, une connotation péjorative.
Examinons de plus près le verbe brûler qui, suivant les cas, peut posséder
une construction transitive, intransitive ou pronominale. Chaque fois le sens
du verbe change :
– a) Construction transitive (sujet + verbe + complément) :

Mon voisin brûle (= détruit par le feu) des papiers, des ordures, des mauvaises herbes.

– b) Construction intransitive (sujet + verbe) :

Ce bois brûle (= se consume par le feu) lentement.

– c) Construction pronominale (sujet + se + verbe) :

Marc s’est brûlé (= a subi une brûlure) avec de l’eau bouillante.

La présentation suivante emprunte très ouvertement les exemples


proposés par Joëlle Gardes-Tamine dans La Grammaire 1 (Paris, Armand
Colin, 2010, p. 141). On constate que l’opposition des sens propre et
figuré correspond parfois aussi à des constructions spécifiques. Les verbes
de mouvement, par exemple, ne se construisent pas avec la même
préposition selon que leur complément est un nom de lieu réel ou un terme
figuré. On pourra ainsi opposer :

courir vers la maison/courir à la victoire


nager en piscine/nager dans la félicité
voler vers le pigeonnier/voler au secours de…

De même, il existe dans le lexique une série de verbes qui indiquent une
modification ou une atteinte exercée sur quelqu’un :

frapper quelqu’un
blesser quelqu’un
assommer quelqu’un

Ces verbes sont souvent employés au sens figuré. Dans ce cas, on ne


maltraite pas quelqu’un physiquement mais moralement. Quand on passe
du sens propre au sens figuré, la préposition qui introduit le complément de
moyen varie.

Je l’ai blessé d’un coup de pistolet.


Je l’ai blessé par mes remarques.

L’impératif est un mode personnel tout à fait normal dans les emplois
propres, mais on a du mal à l’utiliser dans les emplois figurés :

Touche-le en plein cœur !


*Touche-le par ta gentillesse !

Inversement, l’usage de l’adjectif verbal n’est possible que dans les


emplois figurés :

des arguments frappants

Dans tous ces cas, la situation est donc la suivante :

construction a – sens a
construction b – sens b

Le parallélisme entre la syntaxe et le lexique peut caractériser aussi des


ensembles de mots. En effet, on constate qu’à l’intérieur du lexique, on
arrive à isoler des sous-parties lexicales qui sont liées à la fois par des
propriétés syntaxiques et des propriétés sémantiques. Les verbes frapper,
toucher, atteindre, aveugler, blesser, etc., par exemple, forment un tel
ensemble qui peut être appelé « classe lexicale ». Une classe lexicale
s’oppose à un champ sémantique parce qu’elle n’est pas définie uniquement
par ses propriétés sémantiques mais aussi par ses propriétés formelles.
La langue française possède un certain nombre d’adverbes qui
fonctionnent comme réponse à une question antérieure sans dépendre du
sens du verbe de la phrase, comme c’est le cas en b, mais non en a :

Est-ce qu’il a plu cette nuit ? a. abondamment


b. vraisemblablement
Est-ce qu’il est intelligent ? a. extrêmement
b. sûrement

Les adverbes peuvent être regroupés en trois classes en fonction de leurs


propriétés syntaxiques. Ces classes se distinguent selon que les adverbes
sont ou non compatibles avec non ou pas dans les séquences non, adverbe
ou pas adverbe :

1. *non, adverbe ; *pas adverbe :


*non, sûrement ; *pas sûrement ;
2. non, adverbe ; *pas adverbe :
non, bien sûr ; *pas bien sûr ;
3. non, adverbe ; pas adverbe :
non, forcément ; pas forcément.

Si l’on regarde de plus près ces classes, on note qu’elles coïncident avec
des intuitions de sens : la première exprime une certitude intérieure,
certainement, sûrement, probablement, peut-être, la seconde une certitude
que le locuteur appuie sur la prise en considération du réel, naturellement,
évidemment, bien sûr, et la troisième une certitude déduite par le
raisonnement, forcément, nécessairement, fatalement. On observe donc très
clairement une convergence entre critères formels et critères sémantiques.
On peut aussi examiner plus en détail quelques verbes en français :

A. dédaigner, admirer, craindre, regretter, respecter, mépriser ;


B. soigner, renseigner, ordonner, permettre, soutenir, indiquer, punir, expliquer ;
C. étudier, observer, prévoir, choisir, analyser, examiner.

et les mettre en relation avec une construction comprenant un substantif


dont ils sont dérivés et un verbe au sens lexical peu marqué tel qu’avoir,
donner ou faire. D’une part, on peut constater que le verbe avoir fonctionne
avec les substantifs de la classe A (avoir du dédain, de l’admiration),
donner avec ceux de la classe B (donner des soins, des renseignements), et
enfin faire avec ceux de la classe C (faire une observation, une étude).
D’autre part, il se révèle que les trois classes différentes n’admettent pas le
même type de compléments. En ce qui concerne la classe A, la construction
syntaxique est toujours la même : verbe + complément direct d’objet, ce
complément désignant un individu ou un objet :

Je crains mes professeurs.


Je crains l’orage.

En B, on note deux types de constructions : celle où le verbe est


accompagné d’un complément direct d’objet, qui désigne un individu :

Je soigne l’enfant malade.

celle où il est accompagné de deux compléments :

Je donne des renseignements à mon voisin.

Le complément direct désigne une chose et le complément prépositionnel


un individu.
En classe C, les verbes se construisent avec un complément direct d’objet
qui désigne ordinairement une chose ; il peut arriver que certains d’entre
eux admettent des compléments humains, mais le complément désignant
une chose est toujours possible :

J’étudie le comportement des oiseaux.


J’examine un malade.
J’examine le plan.

Ces différences sont à mettre en relation avec des différences dans les
constructions avec verbe opérateur :

A. avoir du dédain pour ;


B. donner des soins à ;
C. faire une étude de.

Elles sont enfin à relier avec des différences sémantiques. Les verbes de
la classe A expriment des sentiments pour autrui, ceux de la classe B
désignent une action faite au bénéfice d’autrui, et ceux de la classe C une
activité intellectuelle qui s’exerce indifféremment sur les êtres et sur les
choses, mais plus fréquemment sur ces dernières. Les classes découpées ont
donc une double consistance, à la fois formelle et sémantique.
La correspondance entre forme et sens ne caractérise cependant pas
l’ensemble du lexique. Les comportements sémantiques séparent souvent
des éléments que leur syntaxe conduit à rapprocher. Par exemple, on trouve
dans la classe C des verbes comme sourire ou grimacer :

faire un sourire, une grimace

On s’attendrait plutôt à ce qu’ils figurent en classe B, puisqu’ils


indiquent une action faite en direction de quelqu’un. Inversement, les
comportements formels séparent des éléments que leur sens a tendance à
mettre ensemble. C’est ainsi que l’on a :

assurer donner l’assurance à

mais :

promettre faire une promesse à

Ces verbes sont sémantiquement proches, et pourtant le verbe opérateur


qui apparaît n’est pas le même.
Le parallélisme entre forme et sens est loin d’être la situation la plus
générale. Il suffit d’examiner les verbes dits de « volonté », désirer,
ordonner, défendre, souhaiter pour s’en apercevoir. Si les uns admettent
d’être construits avec un infinitif dont l’agent est différent de celui du verbe
de volonté :

je lui ordonne, défends, souhaite de venir,


il n’en va pas de même pour désirer qui n’admet que la construction avec
une complétive en que :

je désire qu’il vienne *je lui désire de venir

La grammaire traditionnelle va trop loin lorsqu’elle postule qu’à une


intuition de sens posée a priori, correspond, sous forme de règles, un
ensemble de comportements syntaxiques présentés comme exclusifs. Une
propriété sémantique d’un mot ne permet donc pas de prévoir un
comportement syntaxique. En effet, il n’y a pas de dépendance directe de la
sémantique à la syntaxe et inversement. Au lieu de proposer une hypothèse
générale sur les relations de la syntaxe et de la sémantique, il vaut mieux se
contenter de reconnaître leur interdépendance sectorielle qui permet de
mettre en parallèle, pour des groupes restreints d’unités lexicales, un
comportement formel et un contenu sémantique.

3.2. LE LEXIQUE-GRAMMAIRE DE MAURICE GROSS

Il est important de signaler que la linguistique française dispose, grâce


aux descriptions poussées entreprises par Maurice Gross et son équipe de
LADL (Laboratoire d’Automatique Documentaire et Linguistique), d’un
classement raisonné, systématique et détaillé de la plupart des unités
linguistiques du français, allant du verbe au nom et de l’adjectif à l’adverbe.
Les idées qui sont à l’origine de ce classement ont été formulées par M.
Gross au cours des années 1960 : la séparation entre grammaire et lexique
dans la description linguistique est contre-productive ; il y a généralement
plus de différences entre deux phrases que de traits communs, c’est
pourquoi les tentatives de faire des règles générales s’avèrent souvent
inutiles (cf. ladl.univ-mlv.fr).
Un lexique-grammaire des verbes et des autres éléments prédicatifs
(adjectifs, noms et adverbes) a été construit pour plusieurs langues sous la
forme de tables de propriétés. Ces tables comportent un nombre significatif
d’entrées et résultent de l’application d’un ensemble de principes
linguistiques communs : les sens sont scrupuleusement distingués sur la
base de critères distributionnels et transformationnels. La phrase
élémentaire est l’unité minimale d’étude, et la forme de la phrase est réduite
à une forme prédicative et à un ensemble caractéristique d’arguments. On
doit disposer de principes permettant de séparer les compléments essentiels
(sujets et objets) des compléments non essentiels (adverbiaux, compléments
circonstanciels). Un jeu de transformations syntaxiques est établi
expérimentalement et testé sur un vocabulaire étendu pour évaluer la
reproductibilité des jugements d’acceptabilité.
Le lexique-grammaire recense les structures syntaxiques élémentaires où
les sens sont soigneusement distingués. C’est la phrase élémentaire qui est
l’unité minimale d’étude et un jeu de transformations syntaxiques facilite la
description des variations entre structures. Par exemple, dans les phrases
libres à verbe distributionnel, le verbe remplit la fonction de prédicat de la
phrase, et sélectionne un sujet et éventuellement des compléments
essentiels. Le sujet et les compléments essentiels possèdent une distribution
libre, c’est-à-dire qu’ils peuvent être occupés par un grand nombre de
substantifs. Exemple : Luc monte les archives au grenier.
En français, les phrases libres à verbe distributionnel sont décrites dans
une soixantaine de tables. On peut citer comme exemple des entrées
lexicales du verbe apprendre :
• Max a appris à Luc qu’il avait réussi (Table 9)
• Max a appris (par + de) Luc qu’il avait réussi (Table 10)
• Max a appris à Luc à lire (Table 16)
• Max apprend ce métier (Table 7) = Max fait l’apprentissage de ce
métier (Table DR2)
Selon la théorie de Gross la langue fonctionne comme un lexique-
grammaire et c’est donc une erreur d’avoir des niveaux d’analyse
indépendants du lexique, de la syntaxe et de la sémantique. En effet, on ne
peut rien dire de consistant sur le lexique sans avoir exploré la grammaire
de chaque mot et il n’existe pas de règles grammaticales totalement
indépendantes des particularités lexicales des unités auxquelles elles
s’appliquent. Le lexique-grammaire recouvre donc à la fois une conception
de la langue et un programme pour l’analyser.
Les travaux de Maurice Gross sont importants aussi dans le domaine de
la linguistique informatique. Ils ont contribué à la réalisation, grâce au
développement de plusieurs dictionnaires électroniques du français et à
l’élaboration d’automates à état fini, d’un système computationnel des plus
complets pour l’analyse automatique de grands corpus de textes français.

4. LA SÉMANTIQUE PAR RAPPORT À LA PRAGMATIQUE

On vient de voir que les différents niveaux linguistiques ne sont pas


indépendants et que la signification de la phrase ne se réduit pas toujours à
la somme des signifiés des signes, mais implique aussi l’agencement de ces
signes. En plus de cela, toute phrase est mise en situation : son
interprétation dépend aussi des facteurs extralinguistiques.
La sémantique (du grec sêmantikos « qui signifie », de sêmainein
« signifier ») et la pragmatique (du grec pragma : « action ») sont des
disciplines proches qui étudient le sens véhiculé par le langage. D’un point
de vue structurel, les mots et les phrases sont des entités qui peuvent avoir
un sens. La sémantique et la pragmatique étudient ces deux types d’entités,
mais de deux façons différentes. Alors que la sémantique examine le sens
indépendamment du contexte d’utilisation des mots et des phrases, la
pragmatique examine le sens qui est communiqué dans une situation de
communication particlière, c’est-à-dire lorsqu’une phrase est prononcée par
un locuteur spécifique à un moment spécifique.
La phrase La porte est fermée, par exemple, a une signification qui
dépend de celle des mots qui la composent. Cette signification se forme sur
la base de ce que les mots porte, être, fermée veulent dire, ainsi que sur la
base des relations qui existent entre ces entités au sein de la phrase. La
porte signifie « ouverture spécialement aménagée dans un mur, une clôture,
etc., pour permettre le passage », fermée veut dire « qui ne communique pas
avec l’extérieur ». Le point important est que la compréhension de cette
signification ne requiert pas de se trouver dans une situation de
communication particulière.
En revanche, en fonction des situations de communication différentes,
cette phrase peut prendre des sens totalement différents : « on est arrivé trop
tard », « on est arrivé trop tôt », « ouvre la porte ! », etc. Cela montre que
pour une même phrase, le sens communiqué peut changer considérablement
en fonction de la situation dans laquelle elle est prononcée, même si le sens
des mots utilisés reste inchangé.
Des distinctions terminologiques importantes ont été introduites par des
linguistes pour faire la différence entre la sémantique et la pragmatique. On
parle généralement de signification pour désigner le sens hors contexte et
qui est l’objet d’étude de la sémantique et de sens pour désigner le message
qui est compris par un auditeur dans une situation de communication
spécifique et qui est étudié par la pragmatique. Une autre distinction
nécessaire est celle qui est faite entre les notions de phrase et d’énoncé.
Une phrase est un objet abstrait qui présente une structure phonologique,
syntaxique et sémantique. Il faut noter que cette structure peut être étudiée
indépendamment de l’usage qui en est fait en contexte. Par contre, un
énoncé est un objet « concret » qui possède à la fois des propriétés
linguistiques et non linguistiques. Ses propriétés linguistiques incluent
notamment le fait d’être produit par un locuteur spécifique dans un but
particulier, à un moment précis. La sémantique étudie donc la signification
des mots et des phrases hors contexte et la pragmatique le sens des mots et
des énoncés en contexte. On comprend donc que le point de séparation
entre ces deux disciplines proches est l’intégration ou non de la situation de
communication dans l’étude du sens.
À cause de leurs points de vue différents sur le sens, la sémantique et la
pragmatique cherchent à répondre à des questions proches, mais
partiellement distinctes. On a pu voir que l’une des questions majeures de la
sémantique est de savoir comment représenter la signification intrinsèque
des mots et des phrases, c’est-à-dire la signification qui reste constante,
indépendamment de la situation de communication. Au niveau des mots, la
notion de signification passe par celle de concept. Au niveau de la phrase, la
construction de la signification se fait par un principe de
compositionnalité. Cela veut dire que la signification de la phrase
correspond à la somme des significations des éléments qui la composent.
L’une des questions centrales de la pragmatique est de savoir comment
un auditeur peut comprendre des choses différentes de celles qui sont
explicitement encodées dans la signification des mots et des phrases. Cette
discipline cherche à expliquer, entre autres, comment se fait la transition
entre l’énoncé prononcé par un locuteur et le sens qu’il souhaite
communiquer à son interlocuteur. Quand est-ce que la suite de mots La
porte est fermée veut dire « on est arrivé trop tard » ou « on est arrivé trop
tôt », ou encore « ouvre la porte ! » ?
La pragmatique s’est affirmée comme discipline à partir de la théorie des
actes de langage, initiée dans les années 1950 par Austin. Quand le
locuteur parle, il accomplit des actes de langage, comme la promesse, la
question, la requête, l’invitation, la menace, etc. Il y a des actes de langage
qui sont réalisés de façon explicite. Le locuteur peut, par exemple, former
l’acte de requête en utilisant un énoncé transparent qui explicite
littéralement son intention de communication :

Je te demande de fermer la porte.

Mais le même acte de requête peut également être réalisé de façon


implicite, indirecte :

La porte est fermée.

De nombreuses autres formulations sont possibles pour réaliser cette


requête :

Ferme la porte !
Il y a des courants d’air.
J’aimerais que tu fermes la porte.
Pourrais-tu fermer la porte ?

La théorie des actes de langage cherche à savoir comment l’interlocuteur


arrive à comprendre ce que le locuteur veut dire. La dimension proprement
pragmatique du langage ne peut pas être saisie uniquement en s’appuyant
sur l’analyse grammaticale traditionnelle. Plusieurs facteurs conditionnent
l’interprétation des énoncés en situation de communication.
CHAPITRE 5
ÉVOLUTION DU LEXIQUE
1. Les couches diachroniques du lexique français
2. La néologie et le néologisme
3. Les néologismes formels et sémantiques
4. L’emprunt
5. L’évolution du sens des mots

Tant qu’il y a des sujets parlants pour se servir d’une langue, elle est en
perpétuel mouvement. Comme la vie change, des mots nouveaux sont
toujours indispensables pour exprimer les changements qui surviennent : les
découvertes scientifiques, les progrès industriels, les modifications de la vie
sociale, etc. En même temps, il y a des mots qui n’ont plus d’utilité ou qui
s’usent, qui perdent de leur force et de leur expressivité et qui finissent par
disparaître.
Dans ce chapitre, on présentera d’abord rapidement les couches
diachroniques du lexique français. On donnera ensuite des précisions sur la
notion de néologie avant d’aborder les trois grands types de néologismes :
les néologismes formels, les néologismes sémantiques et les emprunts. À la
fin du chapitre, on s’intéressera à l’évolution du sens des mots. Au cours
des siècles, le sens d’un mot peut se restreindre, s’étendre ou se déplacer. Il
peut également se renforcer ou au contraire s’affaiblir. Certains mots
passent du sens abstrait au sens concret ou, inversement, du sens concret au
sens abstrait.
1. LES COUCHES DIACHRONIQUES DU LEXIQUE FRANÇAIS

Si l’on examine les mots du point de vue de leur origine, on constate


qu’ils forment un ensemble hétérogène. La plupart des termes sont issus du
fonds héréditaire, et une faible proportion est constituée de termes
empruntés aux langues étrangères.
Parmi les mots du fonds héréditaire, quelques-uns semblent avoir pour
origine une onomatopée. On a vu dans le chapitre consacré aux notions
fondamentales (p. 8) que les onomatopées sont des mots imitatifs, des mots
qui prétendent reproduire certains bruits, tels que le chant ou le cri des
animaux, le son des instruments de musique, le bruit qui accompagne les
phénomènes de la nature, etc. (bobo, bribri, claquer, cliqueter, cocorico,
critiquer, dodo, ronfler…). L’onomatopée, au lieu d’être une reproduction
exacte, est toujours une approximation. Mais on sait bien que ces signes
motivés constituent une frange très marginale du lexique, la plupart des
mots ne présentent aucun lien analogique entre leur forme et la réalité qu’ils
désignent.
Dans cette partie, on examinera successivement le fonds primitif, les
apports classiques et les couches d’emprunts modernes du lexique français.
On s’est inspiré surtout de la présentation de Henri Mitterand (Les Mots
français, Paris, « Que sais-je ? », PUF, 2000) et de celle d’Adolphe
Hatzfeld et Arsène Darmesteter (« Traité de formation de la langue
française », dans le Dictionnaire général de la Langue française, Paris,
Delagrave).

1.1. LE FONDS PRIMITIF

Beaucoup de mots de la langue française proviennent d’un fonds primitif


très ancien, antérieur aux premiers témoignages écrits. Les chercheurs ont
pu repérer un certain nombre de mots d’origine gauloise et celtique dont
plusieurs concernent les arbres et les plantes, ainsi que les anciennes
techniques, etc. (alouette, bec, bouleau, changer, charrue, char, savon,
cromlech, dolmen, menhir…).
Le fonds latin ou, plus précisément, latin vulgaire, forme le fonds
proprement originel du français. Les mots du latin populaire ont été
transmis de siècle en siècle dans la tradition orale et vivante de la langue.
Leur prononciation s’est transformée, abandonnant certains sons, en
acquérant d’autres et modifiant ainsi l’aspect des mots : abante → avant,
abortare → avorter, accaptare → acheter, adjutare → aider, amicabilem →
amiable, bastire → bâtir, battalia → bataille, bomba → bombe, bucca →
bouche, boutirum → beurre, etc.
De ce fonds, la langue tire toute une série de mots nouveaux à l’aide de la
dérivation et de la composition. Autour de la plupart des termes primitifs se
forme donc un ensemble de dérivés, dus à l’action féconde des préfixes et
des suffixes ou aux habitudes de la composition que présente déjà le latin
populaire. Ce développement représente le mouvement naturel de la langue
parlée, vivant sur son propre sol. Mais cette langue subit de la part des
langues voisines diverses actions qui ont pour effet d’y déposer des mots
d’origine étrangère.
Le latin a beaucoup emprunté au grec. Déjà, longtemps avant l’ère
chrétienne, les relations commerciales et politiques avaient introduit dans la
langue latine un certain nombre de mots grecs qui s’y sont intégrés
rapidement. Plus tard, la culture littéraire en a fait adopter un bien plus
grand nombre. Enfin, le christianisme, à son tour, lui a apporté de nouveaux
termes religieux.
Si un certain nombre des mots venus du grec sont restés en quelque sorte
à la surface de la langue latine, sans pénétrer jusqu’à la couche populaire, le
nombre de ceux qui se sont introduits dans le latin vulgaire est relativement
important : amande, baptême, blâmer, bourse, encre, église, jaloux,
chambre, chère, cerise, coup, menthe, nain, huître, parole, prêtre, épée…
Une grande proportion de mots grecs ont été transmis par le latin et, par
conséquent, ont passé par toutes les phases de la formation populaire.
Les peuplades germaniques ont pu, dès les premiers siècles de l’ère
chrétienne, introduire quelques mots dans le latin parlé en Gaule. Au début
du Ve siècle, les Francs ont envahi la Gaule. Un contact ininterrompu de six
siècles environ entre le latin vulgaire de la Gaule du Nord et le langage
germanique des envahisseurs a favorisé l’introduction dans la langue des
ancêtres des Français un grand nombre de mots qui ont donné au lexique
français du Moyen Âge une physionomie à part dans la famille des langues
romanes.
Les mots d’origine germanique se trouvent dans des catégories d’idées
les plus diverses, mais la guerre, la vie rurale et les institutions sociales y
jouent un rôle prédominant : aigrette, balle, bière, brique, brosse, butin,
chouette, coiffe, écharpe, écran, étalon, gazon, griffe, guerre, bleu, fauve,
gris, bannir, choisir, éblouir, épeler, flatter, glisser, guérir, lécher…

1.2. LES APPORTS CLASSIQUES

Dans le lexique français, il y a donc des mots qui sont issus du latin par
filiation directe, mais on peut y rencontrer également des mots
d’importation latine et grecque. En effet, au cours des siècles, des apports
classiques sont venus s’ajouter à ce fonds primitif. L’influence des formes
latines est très importante. Au IXe siècle, la langue vulgaire a commencé à
s’enrichir de mots directement empruntés à la langue des clercs, mais ce
mouvement d’emprunts aux idiomes antiques a été particulièrement
productif dans la première moitié du XVIe siècle, sous l’influence de
l’humanisme : acer → âcre, articulum → article, capsa → caisse,
ministerium → ministère…
Très souvent, le mot d’emprunt, qui a conservé une forme très voisine de
son étymon (= la forme que la recherche étymologique identifie comme
étant à l’origine du mot) latin, double un mot primitif de même étymologie.
Dans ce cas on parle de « doublets » : métier et ministère, par exemple,
proviennent d’un même mot latin (ministerium). L’une des formes (métier)
est ancienne et a subi l’évolution phonétique normale, tandis que l’autre
(ministère) a été empruntée directement au mot latin à une époque
ultérieure. Généralement, la forme primitive est plus courte que la forme
tirée postérieurement. On constate aussi que la série populaire appartient
pour l’essentiel à un registre concret et usuel du lexique, tandis que l’autre
série contient une forte proportion de termes abstraits ou spécialisés (frêle-
fragile, livrer-libérer, écouter-ausculter, poilu-pelu…). En dépit de quelques
exceptions, comme monasterium qui a donné moutier et monastère, les
doublets n’ont jamais le même sens. Le terme le plus ancien n’a pas subi
uniquement une évolution phonétique, mais aussi une évolution
sémantique, un changement de sens.
Les emprunts grecs, qui ont fait concurrence au latin, ont fourni à la
langue plus de mots construits ou d’éléments de construction que de mots
simples (gramme, mythe, phrase, thèse…). Ils appartiennent le plus souvent
aux domaines scientifiques et techniques.

1.3. LES COUCHES D’EMPRUNTS MODERNES

Le vocabulaire héréditaire contient aussi des mots provenant des langues


étrangères passés en français entre le XVe et le XXIe siècle. En effet, au cours
de son histoire, le français a emprunté à toutes les langues avec lesquelles il
a été en contact, quelle qu’ait été la nature des relations établies :
commerciales, culturelles, politiques, conflictuelles, etc. Le nombre des
emprunts faits à chacune d’elles dépend de l’importance et de la durée de
ces contacts.
L’italien a apporté un grand nombre de mots au français. Un certain
nombre d’emprunts se sont produits au début du XIVe siècle grâce aux
relations commerciales, diplomatiques et militaires qui ont commencé à
s’intensifier entre les deux pays. Mais c’est surtout le grand mouvement de
la Renaissance qui a provoqué une véritable invasion de mots italiens qui
touchent surtout la littérature, les beaux-arts, la guerre et le sport (adagio,
alarme, altesse, antichambre, appartement, aquarelle, attaquer, baroque,
cavalier, coupole, dessin, diva, espion, grandiose, mezzanine, moche,
mosaïque, satin, soprano, ténor, trio…). De l’Italie plus contemporaine, le
français tient autostrade, espresso, fascisme, fasciste.
L’espagnol a également fourni de nombreux termes au français. Cette
langue avait déjà joué un rôle dans les anciennes chansons de geste, mais ce
n’est qu’à partir de la seconde moitié du XVIe siècle que le français a
accueilli un nombre considérable de mots espagnols (alcôve, anchois,
artichaut, camarade, canot, disparate, fanfaron…). Il est important de noter
aussi que, grâce à l’extension coloniale de l’Espagne au XVIe siècle, sa
langue a servi de véhicule à une quantité de mots d’origine américaine. Le
vocabulaire exotique du français doit aussi au portugais (mandarin, fétiche,
caravelle, acajou, bambou, banane) et à l’arabe (élixir, orange, safran,
guitare, calife…).
Le lexique du français contient aussi des mots d’origine allemande.
C’est surtout depuis le XVe siècle que, par suite d’événements politiques
différents (alliance avec les Suisses, Réforme, Guerres de religion, Guerre
de trente ans…), l’allemand a réussi à s’imposer dans le français (loustic,
choucroute, accordéon, boulevard, dalle, élan, balle, bière, blottir,
cauchemar, halte, huguenot, trinquer, obus, sabre, flinquer…). En dehors
des termes qui ont trait à la vie quotidienne, les termes militaires forment un
groupe important parmi ces emprunts. On observe également que
l’allemand a servi de véhicule aux mots slaves, hongrois ou turcs pour leur
passage en français.
La pénétration de l’anglais a été relativement tardive. Les emprunts
antérieurs au XVIIIe siècle sont rares ; mais, plus tard, le développement
extraordinaire de l’Angleterre et des États-Unis a favorisé l’invasion
massive des mots d’origine anglaise. De nombreux lexiques techniques
présentent des mots anglais : commerce (discount, facturing, leasing,
sponsor, marketing…), spectacle (strip-tease, jazz, rock, disc-jockey,
happening), sport (volley-ball, football, bowling, karting, skating, surf…),
cinéma (caméraman, script, travelling, western…), journalisme (gallup,
reporter, flash…), informatique (hardware, software…). La vie quotidienne
elle-même comporte un nombre non négligeable d’emprunts à l’anglo-
américain : briefing, brushing, cheeseburger, gadget, hamburger, leader,
self-service…
Il va de soi qu’un grand nombre d’autres langues étrangères ont apporté
des unités lexicales à la langue française (arabe, russe, néerlandais, turc,
langues scandinaves…). Il ne faut pas oublier, non plus, les marques
laissées par les contacts de la langue commune avec les parlers régionaux,
les lexiques spéciaux et les argots. Le français a emprunté aux dialectes et
aux patois, entre autres, des termes qui désignent des réalités régionales
(dolmen, goéland, cigale, bouillabaisse, aïoli, rascasse…). En ce qui
concerne les argots, ils ont influencé le français standard dans des
proportions relativement faibles (boniment, bribe, dupe, grivois, polisson,
coquille, manchette, bûcher, pion…).
2. LA NÉOLOGIE ET LE NÉOLOGISME

La néologie (du grec néo- « nouveau » et -logie « parole, discours »)


désigne le processus de formation de nouveaux mots. Le néologisme peut
être défini comme une unité nouvelle, de nature lexicale, dans un code
linguistique défini. Toutes les langues vivantes intègrent des néologismes
pour pouvoir suivre l’évolution de la société et assurer la communication.
Dans ce livre, on fera la différence entre le néologisme formel, le
néologisme sémantique et l’emprunt. On appellera « néologisme formel »
l’introduction dans la langue d’un mot nouveau créé à partir des règles de
formation propres à la langue. L’expression « néologisme sémantique » est
utilisée lorsqu’un mot est employé dans un sens inédit par rapport aux sens
recensés. L’emprunt est un procédé qui consiste à faire apparaître dans un
système linguistque un mot provenant d’une autre langue.
La néologie formelle fonctionne sur la base d’un certain nombre de
règles appelées « procédés de formation » qui se caractérisent par leur plus
ou moins grande faculté à créer de mots nouveaux. Certains linguistes font
la différence entre la création primitive et la création conventionnelle. La
création primitive consiste à former des mots totalement nouveaux, sans
aucun rapport historique avec les mots qui existent dans la langue. Elle
cherche à éviter tous les procédés de formation connus (ex. kodak et
quelques autres termes industriels). Cette forme de création est cependant
extrêmement rare, car il est très difficile de construire un mot nouveau sans
aucune relation étymologique avec les unités lexicales déjà existantes.
La création conventionnelle se sert des éléments de la langue et respecte
les modes de formation connus. Selon les époques, les types de procédés de
formation et leur productivité varient. La composition et la dérivation sont
les deux rincipaux modes de création lexicale en français. À côté de ces
procédés relativement classiques, il existe d’autres procédés de création :
l’abréviation (médoc < médicament), la siglaison (PACS < Pacte Civil de
Solidarité) et l’amalgame ou mot-valise (clavarder < clav(ier)
+ (ba)varder). Toutes ces notions ont été définies et présentées dans le
chapitre 2.
La néologie peut être spontanée ou dirigée. La néologie spontanée
désigne les créations qui émanent des pratiques langagières. En effet, tous
les locuteurs créent de nouveaux mots lorsqu’ils ont le sentiment que le
stock de mots dont ils disposent à un moment donné ne leur fournit pas de
termes appropriés. C’est pourquoi le néologisme spontané est d’abord un
fait de discours qui reflète l’évolution des mœurs et des idées. Beaucoup de
ces nouvelles unités lexicales continuent à exister et entrent vite dans le
grand courant de la langue parlée. Parmi les néologismes, il y a aussi des
créations de circonstance qui ne tardent pas à disparaître, ne trouvant pas
d’emploi en dehors de la situation toute spéciale qui les a provoqués. Les
hapax sont des créations lexicales littéraires, qui n’ont pas, sauf exception,
vocation à se lexicaliser. Ils appartiennent au vocabulaire, voire au style
d’une œuvre ou d’un auteur.
La néologie dirigée désigne les créations qui sont la conséquence de
décisions d’ordre politique. La délégation générale à la langue française et
aux langues de France (DGLFLF) est au cœur du dispositif interministériel
d’enrichissement de la langue française : elle soutient et coordonne l’action
des différents acteurs qui concourent à l’élaboration des néologismes
(commission générale de terminologie et de néologie, Académie française,
commissions spécialisées, ministères partenaires…) et s’emploie à mettre
ces ressources à la disposition du public. Les néologismes officiels créés par
cette institution dépendante du Ministère de la culture sont publiés au
Journal officiel.
Les mots nouveaux rencontrés par les locuteurs ne sont pas
nécessairement des néologismes. En effet, on peut parler de néologisme si
un ensemble de locuteurs éprouve, face à un mot donné, un sentiment de
nouveauté. Il faut également que le néologisme se diffuse dans la
communauté. Or, ces deux critères, le sentiment de nouveauté et la reprise
du mot, sont contradictoires et permettent de souligner l’ambiguïté de la
notion : plus l’utilisation du mot est répandue, plus s’efface le sentiment de
nouvauté.
Les néologismes n’entrent dans la nomenclature des dictionnaires
généraux que lorsque leur diffusion a atteint un seuil suffisant pour que leur
lexicalisation soit considérée comme acquise. Une fois enregistrés dans les
dictionnaires, ils perdent leur statut de néologisme, pour n’être plus que des
mots ordinaires, seulement plus récents que d’autres. Il faut noter que
beaucoup de néologismes ne seront jamais répertoriés dans un dictionnaire.
Il existe, en effet, un écart important entre la néologie spontanée, très vivace
et diversifiée à travers la francophonie, et celle que l’on peut trouver dans
des dictionnaires.
Les chercheurs sont souvent capables de donner la date plus ou moins
précise de l’introduction du néologisme dans la langue. Il va de soi que la
première apparition d’un mot dans un livre ne correspond pas toujours à la
date de sa naissance. Il faut savoir qu’un grand nombre de néologismes
apparaissent, puis disparaissent pour reparaître plus tard dans des conditions
plus favorables. En diachronie, toute unité lexicale a été un néologisme. En
synchronie, cette dimension historique est déguisée car on n’est en présence
que d’unités fonctionnellement contemporaines qui forment un système.
Les néologismes sont la plupart du temps plurimorphématiques (ils
contiennent deux ou plus de deux morphèmes). On a vu, dans le premier
chapitre de ce livre (p. 13), qu’à la différence des mots simples, les mots
construits possèdent l’avantage d’être motivés. Par exemple, les mots
dérivés pommier, abricotier et citronnier sont plus motivés que les mots
simples pomme, abricot et cerise. Les mots composés malbouffe et range-
CD sont motivés par rapport aux éléments qui les composent. La néologie
régulière résulte de l’application des lois de la dérivation et de la
composition et aboutit à des formes relativement motivées.
En revanche, les néologismes créés selon de nouveaux modèles mettent
souvent en cause les règles lexicales reconnues. On peut constater que
l’opposition habituelle entre composition savante et populaire a tendance à
être négligée au profit des procédés nouveaux qui combinent les bases
françaises et les bases empruntées aux langues classiques. Les abréviations
et les sigles apparaissent de plus en plus souvent, soit seuls, soit à l’intérieur
des composés et des dérivés.
On sait que les procédés de composition et de dérivation allongent les
mots. L’abréviation et la siglaison corrigent cette tendance, mais elles
entraînent en même temps l’effacement de la motivation, l’apparition de
nouvelles bases non autonomes et le développement de l’homonymie (cf.
p. 90). On a du mal à deviner le sens du sigle VTC, par exemple, si l’on ne
connaît pas sa forme complète (vélo tout chemin). Il n’est pas facile, non
plus, d’imaginer le sens de l’amalgame mobinaute si l’on n’a pas de
connaissances sur sa formation : mobi(le) et (inter)naute. On peut donc
faire la différence entre les néologismes motivés et les néologismes
opaques. Il va de soi que la motivation des mots concerne les usagers
individuellement : un mot peut être motivé pour un usager, alors qu’il est
opaque pour un autre.
Au début de leur existence, les néologismes attirent très généralement la
critique et provoquent des débats. Certains défenseurs de la langue ont
tendance à les trouver prétentieux, ridicules, inutiles, etc., mais les
néologismes sont les résultats nécessaires et les marques infaillibles de la
vitalité forte et saine de la langue. En même temps, ils témoignent d’une
imagination poétique et plastique toujours en éveil, d’efforts continuels
pour rendre l’expression plus variée, plus nuancée, plus riche.

3. LES NÉOLOGISMES FORMELS ET SÉMANTIQUES

On a vu plus haut que le néologisme formel désigne un mot nouveau


créé à partir des règles de formation propres à la langue. Ces règles se
caractérisent par leur plus ou moins grande productivité. Selon les époques,
les procédés de formation et leur productivité peuvent varier. Parmi les
néologismes récents, on trouve des mots dérivés et composés :

portionnable, adj. « qui permet une consommation fractionnée (sauce surgélée portionnable) »
(< portion n. + -able) → dérivation suffixale
coparent, n.m. « personne qui partage la vie du père ou de la mère biologique (d’un enfant) » (<
co- + parent) → dérivation préfixale
mot-rébus, n.m. « mot formé à partir d’autres mots ou signes ayant la même prononciation (ex.
NRJ, Énergie) » → composition populaire
algologie, n.f. « branche de la médecine qui a pour objet l’étude de la douleur et son
traitement » (< algo gr. algos « douleur » et -logie gr. logia « théorie ») → composition savante

Les autres procédés de création, l’abréviation, la siglaison et


l’amalgame (ou mot-valise) semblent être fréquents aussi :

cent, n.m. (< de centième, avec l’influence de l’anglais) → abréviation


bioterrorisme, n.m. (< bio(logie) + terrorisme) → troncation
MMS, n.m. (< sigle anglais, de Multimedia Messaging Service « messagerie multimédia ») →
siglaison
DVD-cam, n.m. ou f. (< DVD + cam(éra)) → sigle + abréviation
alicament, n.m. « aliment dont la composition explicitement formulée implique un effet actif sur
la santé du consommateur » (< ali(ment) et (médi)cament) → amalgame (ou mot-valise)

La néologie sémantique consiste à créer une acception nouvelle pour un


mot existant. Le nouveau sens du mot peut correspondre, par exemple, à
une nouvelle réalité (la souris de l’ordinateur) ou à une modification sous
l’influence d’une autre forme (le verbe français réaliser a pris le sens de
« se rendre compte », sous l’influence du verbe anglais to realize, cf.
p. 149). La métaphore, la métonymie et l’antonomase jouent souvent un
rôle considérable dans la néologie sémantique.
On a vu que la métaphore est une figure fondée sur la ressemblance, la
similitude. On comprend bien pourquoi le mot forum qui désigne
normalement une « place du marché » peut également être utilisé pour
désigner un « espace virtuel consacré à l’échange de messages, aux
discussions sur un thème, entre utilisateurs d’un réseau télématique ». La
métonymie est un procédé par lequel un terme est substitué à un autre
terme avec lequel il entretient une relation de contiguïté. Lorsque l’on
désigne sous le nom de bordel non pas la maison de prostitution, mais le
coureur de jupons, il y a un rapport de contiguïté spatiale entre le lieu et
l’individu qui fréqunte ce lieu. Il s’agit d’une extension de sens basée sur
les liens constants qui unissent les référents.
La néologie par conversion (ou par dérivation impropre) fait partie des
procédés de néologie sémantique. En fait, ce mode de création est à la fois
lexical et syntaxique : la morphologie d’une unité lexicale reste inchangée,
seule sa catégorie grammaticale change. Parmi les conversions, on trouve
des adjectifs issus de noms ou d’adverbes, des verbes issus de noms, des
noms communs issus de noms propres, etc.
Certains linguistes classent parmi les conversions aussi les antonomases.
Il s’agit d’une figure qui consiste à remplacer, en vue d’une expression plus
spécifiante ou plus suggestive, un nom commun par un nom propre (un
Tartuffe : un hypocrite ; une Pénélope : une épouse fidèle ; un Apollon : un
bel homme), ou un nom propre par un nom commun (le Sauveur : Jésus-
Christ). Les marques déposées présentent une variété d’antonomase de nom
propre : un kleenex « mouchoir en papier », un frigidaire « réfrigérateur »,
du scotch « bande adhésive », un solex « cyclomoteur », etc. Ces noms
propres devenus communs acquièrent une valeur générique. Les
antonomases peuvent être analysées aussi bien comme des métaphores (tel
séducteur peut être comparé à don Juan), que comme des métonymies (tel
homme appartient au groupe des séducteurs, dont don Juan est le symbole).
Certaines antonomases courantes finissent par se lexicaliser et figurent dans
les dictionnaires usuels (poubelle, silhouette, harpagon, bordeaux,
roquefort, etc.).
La néologie sémantique par emprunt est un autre type de procédé qui
aboutit à ce qu’un signifiant voie son signifié évoluer. Elle se produit suite
aux contacts entre deux langues : l’emprunt ne se fait pas en adoptant un
signifiant nouveau, mais en accordant à un signifiant déjà existant un sens
nouveau. Les deux langues sont habituellement proches puisqu’il faut que
les deux aient à peu près le même signifiant dans leurs répertoires (ex. ang.
to realize, fr. réaliser).

4. L’EMPRUNT

4.1. PRÉCISIONS TERMINOLOGIQUES

Le développement des techniques modernes, souvent d’invention


étrangère, l’augmentation des échanges humains et matériels, etc. favorisent
l’introduction de plus en plus fréquente de termes étrangers dans le lexique
de la langue française, surtout dans les domaines où le français ne possède
pas des formes appropriées pour désigner d’une façon économique et
efficace les nouvelles réalités qui se manifestent.
L’emprunt consiste à faire apparaître dans un système linguistique un
mot provenant d’une autre langue. Contrairement aux autres processus de
formation de mots étudiés plus haut, il présente la particularité de faire
surgir des unités nouvelles sans recourir à des éléments lexicaux
préexistants dans la langue. En effet, les mots d’emprunt s’intègrent dans la
langue comme des éléments isolés, ils ne sont pas du tout motivés.
Comme on l’a signalé plus haut, au cours de son histoire, le français a
emprunté à toutes les langues avec lesquelles il a été en contact. Le nombre
d’emprunts faits à chacune d’elles dépend évidemment de l’importance et
de la durée de ces contacts. La liste la plus imposante des emprunts
contractés pendant des siècles par le français est sans aucun doute celle des
emprunts au latin qui constituent à eux seuls la plus grande partie du
vocabulaire savant du français. Ils ont été adoptés dès les temps les plus
anciens et n’ont jamais cessé d’être introduits au fur et à mesure des
besoins. La symbiose du latin et du français a souvent été complétée par
l’intervention du grec.
Le lexique du français contemporain contient aussi beaucoup de mots
d’origine italienne, anglaise, espagnole, arabe, néerlandaise, allemande,
portugaise, etc. Certains emprunts ont été faits il y a très longtemps. C’est le
cas, par exemple, de l’italien, qui a fourni de nombreux termes au français
déjà au XIVe et surtout au XVIe siècle. L’intégration morphologique de ces
mots s’est généralement faite sans difficulté (appartement, altesse, baroque,
cavalier…), car cette langue a une structure très proche de celle du français.
La situation de l’anglais est différente. Les emprunts antérieurs au
XVIIIe siècle sont rares. Les mots empruntés à l’anglais sont souvent
soulignés par une connotation (cf. p. 82) valorisante due au prestige de la
civilisation anglo-américaine. Ces mots pénètrent dans un grand nombre de
secteurs de la langue : commerce (discount, leasing, marketing…),
spectacle (jazz, rock, disc-jockey…), sport (volley-ball, football, surf…),
cinéma (caméraman, script, travelling…), journalisme (gallup, reporter,
flash…), informatique (hardware, software…). Le foisonnement des mots
anglais inquiète souvent les défenseurs de la langue française qui font des
efforts pour franciser les secteurs les plus atteints.
Pour des raisons principalement économiques et politiques, les autres
langues offrent un apport beaucoup moins massif au français. L’espagnol a
fourni un certain nombre de termes concernant la tauromachie (toro,
corrida…). Le russe a alimenté la politique et l’économie (soviet, koulak,
kolkhoze…), les mots japonais sont spécialisés dans les arts, les traditions,
les divertissements, les jeux et la nourriture (aïkido, judoka, shiatsu,
sushi…), les mots d’origine arabe portent parfois sur des éléments liés aux
pratiques religieuses (achoura, ayatollah, burqa …).
Les chercheurs font souvent la différence entre les emprunts nécessaires
et les emprunts superflus. On peut dire que les emprunts nécessaires sont
des termes qui s’imposent. Il s’agit très souvent des termes techniques
relatifs à des réalités (concepts, procédés, objets, etc.) qui n’étaient pas
encore en usage dans la société parlant la langue emprunteuse. En effet,
c’est souvent la réalité importée qui apporte avec elle sa dénomination
propre (pick-up, tracking, data processing, etc.). Un grand nombre
d’emprunts désignent des réalités exotiques propres à une culture donnée, il
y a des mots qui se réfèrent à des instruments de musique, des danses, des
arts, des unités monétaires, des constructions architecturales, des aliments
(fruits, légumes, condiments, assaisonnements …) et des préparations
culinaires (plats, boissons…), etc. : capoeira (danse brésilienne), falafel
(petite boulette frite de farine de pois chiches et de fèves), lassi (boisson
indienne à base de yaourt), riad (demeure urbaine traditionnelle au Maroc).
Ces emprunts semblent être justifiés par la nécessité de désigner les
choses qui viennent de loin car le lexique français ne possède pas de termes
pour parler de ces réalités avec suffisamment de justesse et de précision.
Ces mots, entrés dans l’univers culturel des Français, sont originaires d’un
grand nombre de langues différentes plus ou moins connues et répandues.
L’ouverture sur le monde n’entraîne pas uniquement l’explosion des
technologies, mais aussi la mondialisation des marchés et les grands
mouvements du tourisme. Le monde se rétrécit, les langues deviennent plus
perméables et les mots voyagent avec les choses. Les domaines, comme
l’alimentation, les danses, les traditions, les constructions architecturales, se
révèlent particulièrement aptes à accueillir des mots étrangers aux formes
exotiques.
À côté des emprunts qui se sont imposés, il y a des termes étrangers qui
ne sont pas nécessaires. C’est le cas, par exemple, de football, planning,
jogging. Dans ce cas, certains linguistes parlent d’« emprunts superflus ».
La plupart de ces termes étrangers pourraient très bien être remplacés par
des mots français. Pourquoi dire football alors qu’on pourrait dire balle au
pied ? En fait, le mot d’emprunt permet souvent de nuancer l’expression, il
possède toujours une saveur différente de celle de son équivalent national. Il
est certainement plus convaincant de parler des admiratrices d’un
footballeur que de celles d’un joueur de balle au pied. Être stressé est plus
snob qu’être tout simplement surmené. Les défenseurs de la langue
française essaient d’élaborer des nomenclatures technologiques nationales
destinées à être substituées aux nomenclatures étrangères. Les dictionnaires
proposent des recommandations officielles pour remplacer les emprunts
« contestables » :

chat [tʃat], n. m. « conversation en direct entre internautes, par échange de messages


électroniques ». ● Recommandation officielle dialogue en ligne.
(Le Petit Robert électronique, 2012)

On dit que l’emprunt est indirect si le mot emprunté à une langue a déjà
été emprunté par cette langue à une autre. C’est le cas de l’adjectif haptique
(« qui concerne le sens du toucher, les perceptions tactiles »), par exemple,
que le français a emprunté à l’allemand (haptisch), et qui avait déjà été
emprunté par l’allemand au grec. L’emprunt est interne lorsqu’un mot est
emprunté par le français à un dialecte qui est ou a été en usage sur le
territoire national : béret (béarnais), brancard (normand), cabri (provençal),
etc. On peut parler aussi d’emprunts internes si le mot est emprunté à une
aire linguistique de la langue française, comme le français du Québec, par
exemple (courriel, raquetteur, autoneige).
Certains linguistes font la différence entre les trois notions : emprunt,
xénisme et pérégrinisme (cf. Dubois et al., 1994, p. 177 et p. 512). Le
terme générique « emprunt » désigne un mot qui existait précédemment
dans un parler B (dit langue source) et que A (dit langue cible) ne possédait
pas, et qui est utilisé et intégré dans le parler A. Un xénisme peut être défini
comme étant une unité lexicale constituée par un mot d’une langue
étrangère et désignant une réalité propre à la culture des locuteurs de cette
langue. Cette définition fait la différence entre le mot étranger assimilé,
intégré dans une langue (emprunt), et celui qui reste aux marges (xénisme).
Entre ces deux extrêmes se trouve le pérégrinisme qui renvoie encore à la
réalité étrangère, mais la connaissance de son sens est supposé partagée par
l’interlocuteur.
Il y a quarante ans, le mot loft employé en français renvoyait à des
réalités américaines : c’était un xénisme. Actuellement il s’agit plutôt d’un
emprunt car il est utilisé pour désigner aussi une réalité bien connue en
France : espace décloisonné. Entre les deux, il a connu un stade de
pérégrinisme, lorsqu’il renvoyait à des rélaités qui sont devenues familières
en langue d’accueil.
Si les distinctions que marquent ces trois termes, « emprunt »,
« xénisme » et « pérégrinisme », ne sont ni nettes ni étanches, elles
présentent l’avantage de mettre la question de l’emprunt en relation avec les
usages discursifs, en soulignant que l’intégration d’un terme étranger
dépend étroitement du temps, de la fréquence, et de la perception du
caractère étranger du mot.

4.2. LE MOT ÉTRANGER S’ADAPTE À LA LANGUE


D’ACCUEIL

Le mot emprunté a toutes les chances de s’introduire dans l’usage de


l’ensemble des locuteurs, s’il est considéré comme utile, si son intégration
dans le système de la langue ne pose pas trop de problèmes, si le statut
socioculturel de la langue-source par rapport à la langue-cible est réputé
prestigieux, etc. Progressivement, il prend sa place dans la structure de la
langue et se met à établir des relations avec les unités préalablement
existantes. Selon Josette Rey-Debove (1997 : 283), le mot étranger se
trouve d’abord hors code, il est employé « timidement » par quelques
personnes, puis sans précautions et plus ou moins massivement.
L’emprunt peut subir des modifications plus ou moins profondes au cours
de sa codification. En passant d’une langue à l’autre, un mot étranger n’est
plus morphologiquement analysable. Il peut fonctionner aisément dans le
système de la langue emprunteuse s’il s’adapte au niveau grammatical
(ang. (to) disqualify → fr. disqualifier). L’emprunt des substantifs pose
parfois des problèmes grammaticaux. Souvent on se demande s’il faut
conformer le pluriel de ces mots aux règles de la langue d’origine ou bien
aux règles du français. Doit-on écrire ladys ou ladies, gentlemans ou
gentlemen ? Les deux versions sont admises.
Le mot étranger peut connaître aussi des adaptations sémantiques dans
la langue emprunteuse. Par exemple, en français, le mot hunter (attesté par
le Trésor de la langue française) emprunté à l’anglais veut dire « cheval de
chasse particulièrement apte à franchir les obstacles ». Le mot anglais
hunter signifie « chasseur ». On constate aussi que la langue d’accueil ne
saisit souvent qu’une partie du champ sémantique du mot. Elle peut même
donner au mot un signifié parfois très éloigné du signifié d’origine, en le
spécialisant ou en le réduisant à l’un des constituants de sa dénotation.
L’emprunt arrive souvent vierge de ses connotations, voire de sa dénotation
de départ. Parfois l’évolution du mot dans la langue emprunteuse entraîne
l’oubli de son sens originel. C’est le cas du mot slip qui désigne en anglais
une combinaison de dame, alors que ce mot désigne en français un sous-
vêtement tout différent.
L’emprunt considéré comme long et compliqué peut être touché par la
troncation des formes (ang. camping ground → fr. camping). Un tel
raccourcissement, parfois impossible dans la langue d’origine, est aisé et
judicieux en français, où l’expression tronquée ne peut avoir qu’un seul
sens. Les systèmes phonologiques des différentes langues ne coïncident que
rarement. C’est pour cela que l’emprunt subit souvent des adaptations
phoniques. Les sons absents du français sont éliminés ou remplacés par des
sons très proches. Il y a des sons qui existent en français, mais dont la
distribution entraîne un changement de son. Les modes articulatoires du
français s’imposent la plupart du temps aux formes empruntées. Il n’est pas
étonnant de voir le h initial des emprunts se faire remplacé par une absence
de son. Il n’est pas étonnant, non plus, de voir les diphtongues orales et la
plupart des affriquées des mots étrangers se condenser.
Les adaptations phoniques peuvent rendre le mot emprunté
méconnaissable, surtout quand les deux systèmes phonologiques impliqués
sont très différents. La codification confirme généralement une forme
définitive de l’expression, mais parfois l’usage reste flottant dans la
prononciation. Le Trésor de la Langue Française informatisé recense trois
formes phoniques pour pull-over : [pylɔve :R], [pulɔvœR] et [pulɔve :R] et
trois formes pour gentleman [dʒentləman], [ʒãtləman] et [dʒãntləman].
Pourtant ces deux mots font partie du lexique de la langue française depuis
très longtemps. On peut rencontrer des hésitations aussi au niveau des
graphies données par le dictionnaire pour le même mot (cabillaud, cabillau,
cabliau).
On peut se demander pourquoi football se prononce [futbo:l] et handball
[ãdbal] en français. En effet, football vient de l’anglais et handball de
l’allemand. Ces deux emprunts se sont faits dans le respect de la graphie
originelle. Les locuteurs doivent apprendre l’orthographe et la
prononciation de ces mots qui ne respectent pas les habitudes des autres
mots. On peut se demander aussi pourquoi « an » ([an] ou [æn]) anglais est
prononcé [ã] dans l’anglicisme slogan et [an] dans gentleman ou
policeman ? Avec slogan, le français a repris la graphie originale et l’a
adaptée à ses propres règles phoniques. Avec gentleman et policeman, il y a
à la fois la reprise de la graphie originale et une prononciation reproduisant
de façon plus ou moins approximative le son de départ.
Lorsque le français reprend la graphie originale de l’emprunt, il l’adapte
à ses propres règles phoniques ou il reprend plus ou moins fidèlement la
phonie de la langue d’origine. Dans ce deuxième cas, la reprise de
l’orthographe de la langue prêteuse est à l’origine d’une nouvelle règle de
correspondance graphie-phonie qui est propre aux mots de cette langue. La
reprise phonique ne peut être qu’approximative et elle ne sera satisfaisante
que si le son de départ a un équivalent acceptable dans la langue d’arrivée.
On peut noter une hésitation entre deux prononciations, par exemple,
pour kipper ([kipœʀ] et [kipeʀ]) et pour leader ([lidœʀ] et [lideʀ]). L’une
des deux formes est plus proche de la prononciation anglaise. Avec
kidnappeur [kidnapœʀ], issu de l’anglais kidnapper, le français a adapté le
son de l’anglais aux règles graphiques du français.
L’adaptation peut aussi être graphique : le mot emprunté peut recevoir
une forme écrite différente de l’orthographe de la langue prêteuse. Dans ce
cas, la langue emprunteuse tente d’adapter les sons de la langue prêteuse à
ses propres règles graphiques. L’ancienneté de l’emprunt entraîne souvent
une assimilation graphique et phonique du mot emprunté, comme dans
redingote, transformation de riding coat et dans boulingrin de bowling
green (comparer à bowling, et à green, plus récents et non assimilés). Les
coutumes linguistiques d’une période historique semblent être
déterminantes : certaines époques favorisent l’assimilation graphique des
mots étrangers, d’autres incitent à les intégrer tels quels.
Les dictionnaires proposent parfois plusieurs graphies pour un mot. Par
exemple, dans Le Petit Robert électronique (2012), on trouve les deux
graphies rassoul et ghassoul et les deux prononciations [ʀasul] [xasul] pour
le mot qui désigne l’argile savonneuse. Deux graphies sont également
proposées à l’adjectif halal / hallal et au verbe kifer / kiffer. La graphie peut
gêner la prononciation du mot. On peut se demander pourquoi le nom
féminin burqa ou burka se prononce [buʀka] et non pas [byʀka] comme on
pourrait le croire.
L’adoption définitive des marques françaises est le signe de la
francisation et le processus d’intégration au lexique français se manifeste
aussi par la naissance des dérivés (football > footballeur, scooter
> scootériste, sponsor > sponsoriser…). Il est intéressant de noter que la
méconnaissance de l’anglais ou le snobisme anglomane sont parfois à
l’origine de la création de formations pseudo-anglaises ou faux emprunts.
En français, on emploie des mots qui n’existent pas en anglais ou qui
existent dans un tout autre sens : camping-car, baby-foot (angl. table
football), tennisman (angl. tennis player), rugbyman (angl. rugby player).

4.3. L’EMPRUNT SÉMANTIQUE ET LE CALQUE

Il existe aussi des emprunts sémantiques. Le cas assez représentatif


d’un emprunt de ce genre est fourni par le verbe français réaliser qui est
utilisé surtout dans le sens de « concrétiser, accomplir, effectuer,
exécuter… ». Ce verbe a commencé à être employé aussi dans l’acception
que les Anglais ont donné à to realize, c’est-à-dire « constater la réalité de
quelque chose ». L’emprunt sémantique consiste à emprunter un sens
nouveau pour un signifiant préexistant. Le français n’a pas emprunté le
verbe to realize : il a emprunté seulement le sens du verbe anglais « se
rendre compte avec précision, exactitude » et a utilisé le même signifiant
réaliser que celui utilisé pour le sens « faire exister une réalité concrète ».
Le calque peut être considéré comme étant une variété d’emprunt
sémantique où le signifiant de l’expression étrangère n’est pas emprunté,
mais où elle est transposée littéralement dans la langue d’accueil. Les
signes sont nouveaux mais formés à partir d’éléments préexistants. C’est
par ce procédé que sont entrés dans l’usage français les mots composés, tels
que parachute doré (< ang. golden parachute), lune de miel (< ang.
honeymoon) et gratte-ciel (< ang. skyscraper). L’anglais est la langue qui a
fourni au français le plus de calques, mais d’autres langues sont aussi
représentées : soucoupe (< ital. Sottocoppa), principe de plaisir (< all.
Lustprinzip), principe de réalité (< all. Realitätsprinzip).
Les défenseurs de la langue française ont tendance à proposer des calques
pour remplacer les mots directement empruntés : ang. tracking radar →
radar de poursuite. Très souvent, lorsqu’il s’agit d’un terme technique ou
scientifique, les spécialistes français se sentent obligés de créer un calque
fabriqué avec des éléments latins ou grecs : ang. bull dozer → excavatrice ;
ang. pine-line → oléoduc ou gazoduc.

Quelques emprunts récents présentés dans le Petit Robert


électronique (2012)
after [aftœʀ] nom masculin invariable (parfois féminin)
étym. 1995 ◊ ellipse de l’anglais after-hours (club), de l’adj. after-hours « après (after) les heures
(de fermeture) » (1929)
Anglic. Réunion festive après un spectacle, une soirée. Ça finit par un after sur la plage.

baggy [bagi] nom masculin


étym. 1993 ; baggy jeans 1988 ◊ de l’anglais baggy (trousers), (États-Unis) baggy (jeans)
« (pantalon, jeans) large, ample », de bag « sac »
Anglic. Pantalon de toile à taille basse et coupe large, à la mode chez les jeunes. Adolescents en
baggy. Des baggys. On emploie aussi le pluriel anglais des baggies.

bimbo [bimbo] nom féminin


étym. 1988 ◊ mot anglais américain, de l’italien, var. de bambino « enfant »
Anglic. Jeune femme à la féminité provocante et stéréotypée (blondeur, maquillage, poitrine
opulente, futilité). Un physique de bimbo. Des bimbos.
▫ Appos. La mode bimbo.

blog [blɔg] nom masculin


étym. 2002 ◊ anglais blog (1999), de weblog « carnet de bord (log) sur Internet »
Anglic. Site Internet animé par un individu ou une communauté qui s’exprime régulièrement dans
un journal, des billets. « Sur les blogs des écrivains, journaux intimes en ligne, que se passe-t-il ? »
(Télérama, 2004). Ensemble des blogs. → blogosphère.
▫ On écrit aussi : blogue.
▫ Recommandation officielle : bloc-notes.

bobo [bobo] nom


étym. 2000 ◊ mot anglais américain (1999), acronyme de bourgeois bohemian « bourgeois
bohème »
Anglic. Membre d’une catégorie sociale aisée, jeune et cultivé, qui recherche des valeurs
authentiques, la créativité.

bresaola [bʀezaɔla] nom féminin


étym. 1996 ◊ mot italien (brasaola 1931), famille de brasare, de même origine et de même sens que
braiser
Morceau de bœuf (filet, gîte) salé, séché et légèrement fumé, qui se sert coupé en tranches très
fines (spécialité italienne).

cappelletti [kapel(l)eti] nom masculin


étym. 1994 ◊ mot italien, plur. de cappelletto « petit chapeau (cappello) »
Au plur. Pâtes alimentaires farcies de viande ou de légumes hachés, façonnées en arc de cercle. Des
cappellettis à la ricotta.

capoeira [kapue(i)ʀa] nom féminin


étym. 1987 ◊ mot brésilien, du tupi
Danse brésilienne inspirée de la lutte et des danses africaines traditionnelles, qui enchaîne en
souplesse des figures acrobatiques et des mouvements de combat.

chat [tʃat] nom masculin


étym. 1997 ◊ mot anglais « bavardage »
Anglic. Inform. Conversation en direct entre internautes, par échange de messages électroniques.
→ région. clavardage. Prendre part à un chat (→ chatter).
▫ Recommandation officielle : dialogue en ligne.

coming out [kɔmiŋaut] nom masculin invariable


étym. 1994 ◊ faux anglicisme, de l’anglais to come out « rendre public, révéler »
Anglic. Faire son coming out : révéler son homosexualité (→ aussi outing).

falafel [falafɛl] nom masculin


étym. 1985 ◊ mot arabe, plur. de filfil « poivre »
Petite boulette frite de farine de pois chiches et de fèves (cuisine libanaise).

flyer [flajœʀ] nom masculin


étym. 1995 ◊ mot anglais « prospectus »
Anglic. Tract, prospectus servant à annoncer un spectacle (concert, rave…), un évènement.

kanji [kɑ̃ (d)ʒi] nom masculin invariable


étym. 1984 ◊ mot japonais, de kan « Chinois » et ji « lettre, caractère »
Caractère chinois utilisé dans l’écriture japonaise. Les kanji sont utilisés pour représenter les noms,
les racines des verbes et les déterminants. → aussi hiragana, katakana.

karaoké [kaʀaɔke] nom masculin


étym. 1985 ◊ du japonais kara « vide » et oke « orchestration »
Divertissement consistant à chanter en public à l’aide d’un appareil qui fait défiler les paroles sur
un écran et qui fournit l’accompagnement musical ; cet appareil.
▫ Établissement proposant ce divertissement. Des karaokés.

kifer ou kiffer [kife] verbe (conjugaison 1)


étym. 1990 ◊ de l’arabe maghrébin kif « état de béatitude » → 1. kif
Fam.
1. V. intr. Prendre du plaisir. Sa musique me fait kifer.
2. V. tr. Apprécier, aimer bien (qqn, qqch.).

maki [maki] nom masculin


étym. 1998 ◊ du japonais maki zushi « sushi en rouleaux (maki) »
Sushi roulé dans une feuille d’algue séchée. Makis au thon.

oud [ud] nom masculin


étym. attesté en 1987 ◊ mot arabe oûd, d’abord « bois » → luth
Instrument de musique à cordes pincées, à manche court sans frettes et à caisse en forme de demi-
poire, très répandu dans les pays arabes, en Arménie et en Turquie. L’oud est souvent appelé luth
oriental. Des ouds.
podcast [pɔdkast] nom masculin
étym. 2005 ◊ mot-valise anglais américain, de (i)Pod (marque déposée), appareil permettant de
recevoir des fichiers MP3, et (broad)cast « diffusion »
Anglic. Fichier audio ou vidéo diffusé par Internet, destiné à être téléchargé sur un ordinateur ou un
appareil portable. Des podcasts.
▫ Ce mode de diffusion. Émission disponible en podcast. → baladodiffusion. Recommandation
officielle : diffusion pour baladeur.

pop-up [pɔpœp] nom masculin invariable


étym. 1999 ◊ mot anglais, de to pop up « surgir »
Anglic. Inform. Fenêtre secondaire qui s’ouvre spontanément devant la fenêtre principale, sans
avoir été sollicitée par l’internaute. Les pop-up affichent souvent des messages publicitaires.
▫ Recommandation officielle : fenêtre intruse.

raï [ʀaj] nom masculin


étym. 1983 ◊ mot arabe « opinion »
Le raï. Musique populaire moderne originaire d’Algérie. Chanteur de raï. → région. cheb.
▫ Adj. inv. Des groupes raï.

riad [ʀijad] nom masculin


étym. 1987 ◊ mot arabe ryâd, pluriel de rawda « jardin »
Au Maroc, demeure urbaine traditionnelle, construite autour d’un patio central ou d’un jardin
intérieur entouré d’une galerie. Les riads de Marrakech. Riad transformé en maison d’hôtes.

rigatoni [ʀigatɔni] nom masculin


étym. 1990 ◊ mot italien, plur. de rigatone « grosse strie (riga) »
Au plur. Pâtes alimentaires en forme de gros tuyau strié. Des rigatonis aux quatre fromages.

slam [slam] nom masculin


étym. 1991 ◊ mot anglais, littéralement « claquement »
Anglic. Forme d’art oratoire consistant à déclamer de manière très libre des textes poétiques.
Tournoi de slam.
▫ N. slameur, euse.

webzine [wɛbzin] nom masculin


étym. 1996 ◊ mot-valise anglais américain, de web et (maga)zine, sur le modèle de fanzine
Anglic. Magazine électronique diffusé sur Internet.

5. L’ÉVOLUTION DU SENS DES MOTS

On a pu voir à plusieurs reprises que tous les mots ont une histoire. Au
cours du temps, la plupart d’entre eux ne restent pas identiques à ce qu’ils
étaient précédemment. On dit qu’ils évoluent. Dans les paragraphes
précédents, on a pu constater que le vocabulaire français s’enrichit de mots
nouveaux (emprunts, dérivation, composition), de formes nouvelles
(réduction ou altération) et d’emplois nouveaux (changements de
catégorie). Mais les sens des unités lexicales évoluent aussi. S’il existe
encore quelques mots n’ayant pratiquement pas changé de sens depuis le
latin (barbe, bœuf, eau, fleur, mer, miel, nuire, rire, sain, saluer, sauver,
etc.), quand on lit un texte du XVIe siècle, par exemple, à côté de ceux qui ne
sont plus employés aujourd’hui, on en trouve beaucoup dont le sens n’est
plus le même qu’autrefois.
Les linguistes citent souvent l’exemple du mot bureau pour mieux mettre
en relief l’évolution du sens des mots. Il s’agit d’un dérivé formé à partir du
mot bure par adjonction du suffixe -eau. Bureau, qui actuellement possède
plusieurs significations, désignait autrefois une étoffe de laine foncée et
grossière. Les gens pauvres avaient l’habitude de porter des vêtements de
bureau. Cette grosse étoffe de laine servait aussi à faire des tapis de table et
particulièrement ceux des tables auxquelles on s’asseyait pour délibérer,
pour examiner une question, pour juger. Par métonymie, du tapis qui
couvrait la table le nom est passé à la table elle-même, puis à la pièce où se
trouve cette table, puis aux personnes qui travaillent dans cette pièce et
enfin au service administratif. Tous ces sens, qui apparemment ont été
donnés au mot les uns après les autres, subsistent aujourd’hui, alors que le
sens initial, dit « sens premier », a été éliminé il y a longtemps.
Certains linguistes appellent ce processus diachronique « mutation
sémantique par enchaînement » : un sens provoque la formation d’un
autre sens, qui, à son tour, entraîne la formation d’un autre sens, etc. La
mutation sémantique peut aussi se faire par rayonnement. Dans ce cas, un
sens entraîne plusieurs sens dérivant directement du sens initial.
La polysémie semble résulter d’une accumulation de sens apparus
successivement. Puisqu’il est presque impossible de créer autant de mots
nouveaux qu’il y a de référents nouveaux, les sujets parlants augmentent
considérablement, à l’aide de la polysémisation, les possibilités des mots
déjà existants. Une langue totalement monosémique serait impensable, car
elle posséderait un lexique pratiquement infini.
Il y a des mots qui connaissent des périodes d’emploi plus ou moins
généralisées. Parfois ils voient leur sens se diversifier ou se simplifier ;
certains mots sont oubliés et finissent par disparaître, remplacés ou non par
d’autres. Il est très difficile de dire quand un mot surgit et quand il disparaît.
Pour beaucoup de mots, on ignore le sens premier parce que l’on n’est pas
informé sur leur apparition dans le langage. On les trouve dans des textes
anciens sans pouvoir dater leur création et avec des sens dont l’ancienneté
relative est difficile à déterminer. D’autre part, quand un sens d’un mot
polysémique s’élimine, ce n’est pas forcément le sens premier ou le sens
apparemment le plus ancien.
La métonymie et la métaphore jouent un rôle considérable dans
l’évolution du sens des mots. On a expliqué que la métonymie consiste à
désigner un objet par le nom d’un autre objet uni au premier par une
relation qui peut être celle du tout à la partie, du contenant au contenu, de
l’objet matériel à la matière dont il est fait, etc. (p. 99). Cette figure
s’explique donc par un déplacement de la référence d’un objet à l’autre (cf.
bureau).
La métaphore consiste à donner à un mot un sens qui ne lui convient
qu’en vertu d’une comparaison sous-entendue. À ce propos, on évoque
souvent l’exemple du mot ailes. On sait qu’au sens propre ce mot désigne
les organes que possèdent certaines espèces animales et qui leur permettent
de se déplacer et se soutenir dans l’air. Parmi les sens seconds de ce mot, on
trouve par exemple les ailes d’avion. Malgré les différences qui distinguent
ces deux sortes d’ailes (battantes et fixes), on peut trouver des
ressemblances entre elles à la fois au niveau de leur forme qu’au niveau de
leur fonction. On emploie aussi le mot pour d’autres référents, sur la base
d’une simple ressemblance d’aspect :

ailes du nez
ailes d’une armée
ailes d’un bâtiment

Les synecdoques ont également parfois, bien que beaucoup plus


rarement, provoqué des changements de sens. C’est le cas, par exemple du
mot nef, qui désigne originellement un bateau. Ce mot s’est spécialisé pour
désigner un type particulier de bateau, un bateau à grandes voiles. Le mot
nef au lieu de s’appliquer au genre, ne s’applique donc plus qu’à une
espèce.
La métaphore repose sur la similarité de sens et la métonymie sur la
contiguïté de sens. C’est le signifié (= le concept) du signe linguistique qui
est affecté. Mais il faut savoir que la similarité et la contiguïté peuvent
opérer aussi sur les signifiants (= les images acoustiques) et donner lieu à
un changement de sens. Le mot errements (dérivé d’errer, du latin iterare,
voyager), qui signifiait originellement « manière d’agir », a changé de sens
sans doute sous l’influence d’erreur (qui est de la famille du latin errare).
Actuellement le mot signifie « habitude blâmable ». Auparavant, l’adjectif
mièvre voulait dire « vif, espiègle ». Actuellement le même adjectif signifie
« d’une gentillesse affectée, exagérément délicat ». Les adjectifs mignon et
mignard ont certainement « contaminé » le sens de ce mot. La similarité de
forme entre deux mots de prononciation voisine peut provoquer le
phénomène nommé « attraction paronymique » ou « étymologie
populaire ». Ce phénomène a pour effet de rapprocher et, éventuellement,
de confondre au niveau du signifié deux mots paronymes. Les locuteurs
attribuent une fausse étymologie à un mot dont ils ne saisissent plus le sens.
Diachroniquement ce phénomène rend compte de nombreux faits (cf. les
exemples cités plus haut). Il s’observe également en synchronie : les jours
ouvrables sont interprétés comme ceux où les magasins sont ouverts et non
comme ceux où l’on travaille.
La contiguïté des signifiants peut également être un facteur d’évolution
sémantique : ainsi pas et point dont les signifiés sont étrangers à la négation
ont progressivement pris valeur de morphèmes de négation à cause de leur
association, depuis l’ancien français, à ne dans ne… pas et ne… point.
Il faut également prendre en considération les changements intervenant
dans les référents : le chauffeur de camion ne doit pas entretenir le feu de
la chaudière, comme le faisait le chauffeur de la locomotive à vapeur. En
fait, les innovations provoquent une réorganisation des traits de sens qui
sont liés à un signe. On peut constater que la nouveauté sémantique ne
dépend pas uniquement des changements affectant les référents. Lorsqu’on
dit le moteur ronronne ou ce chanteur bêle, on s’écarte de la combinatoire
normale des mots, les verbes ronronner et bêler appelant ordinairement
comme sujets des noms d’animaux.
Au cours des siècles, le sens d’un mot peut se restreindre, s’étendre ou se
déplacer. Il peut également se renforcer ou au contraire s’affaiblir. Certains
mots passent du sens abstrait au sens concret ou, inversement, du sens
concret au sens abstrait.

5.1. LA RESTRICTION, L’ÉLARGISSEMENT


ET LE DÉPLACEMENT DU SENS

Certains mots ont restreint leur signification. Le mot marchand, par


exemple, signifiait aussi bien l’« acheteur » que le « vendeur » de
profession. Le verbe œuvrer avait le sens général de « travailler ». Il n’a
plus actuellement que le sens de « façonner, mettre en œuvre », et s’utilise
dans des cas relativement restreints. On labourait non seulement la terre,
mais aussi le bois, les métaux ou toute autre matière. Ainsi les édifices, les
statues, les armes, etc. pouvaient être bien labourés. Un tailleur était un
sculpteur ou un ciseleur. Certains mots pouvaient être interprétés
indifféremment dans un sens favorable ou dans un sens défavorable. Ainsi
le nom succès, qui signifiait « issue » ou « résultat », s’employait aussi bien
pour un mauvais résultat que pour un bon. L’adjectif fatal voulait dire
« marqué par le destin ». Le destin pouvait être favorable ou défavorable.
D’autres mots ont vu leur sens s’étendre. Le boucher était un marchand
de viande de bouc. Actuellement, il s’agit d’un marchand de viande en
général. Le verbe aller, qui signifiait « marcher, se promener », a pris un
sens beaucoup plus général. Le verbe arriver voulait dire « atteindre le
rivage », son sens s’est élargi pour signifier « atteindre un lieu
quelconque ».
Enfin des mots ont vu leur sens se déplacer d’un objet à un autre. Un
couvent au XVIIIe siècle était un asile où des femmes pouvaient trouver gîte
et nourriture. Des déplacements de proche en proche sont particulièrement
fréquents, entre autres, dans la désignation des parties du corps. Bucca, la
joue est devenue bouche. Coxa, la hanche, est devenue cuisse pour
remplacer femur devenu homonyme de fimus, fumier.

5.2. LE RENFORCEMENT ET L’AFFAIBLISSEMENT


DU SENS

Certains mots ont pris aujourd’hui un sens plus fort. Par exemple, le mot
génie qui indiquait le tempérament naturel, bon ou mauvais, d’une
personne, a pris dans ce cas un sens très fort et ne s’applique plus qu’à des
qualités exceptionnelles, en principe de façon favorable.
Inversement, beaucoup de mots ont actuellement un sens moins fort
qu’auparavant. C’est la tendance à l’exagération qui a souvent provoqué
l’affaiblissement du sens des mots. Il va de soi que quand le mot est plus
fort que l’idée qu’il désigne, il risque de perdre sa valeur de base et de
rester attaché à l’idée qu’on lui a fait exprimer d’une manière hyperbolique
(hyperbole = figure de style qui consiste à mettre en relief une idée au
moyen d’une expression qui la dépasse). Les sujets parlants exagèrent par
politesse, par désir d’inspirer la sympathie, d’exciter l’admiration, etc. De
même, ils utilisent des mots excessifs afin d’exprimer la tristesse, la
souffrance, la joie, etc.
Autrefois la gêne était une torture et le verbe gêner signifiait « torturer ».
Manie voulait dire « folie » et la rêverie était le délire. Meurtrir signifiait
« tuer », comme l’attestent encore meurtre et meurtrier. Froisser,
étymologiquement, c’était « briser en menus morceaux » : ni au sens
matériel, ni au sens moral, il n’exprime plus une idée aussi violente. Le sens
du verbe détester était plus fort que celui de haïr : il est beaucoup plus
faible aujourd’hui. Quand on charmait quelqu’un, on le soumettait à un
pouvoir magique.
Les sujets parlants aiment atténuer les idées désagréables en les
présentant sous une forme mitigée. L’euphémisme a eu un effet non
négligeable sur l’évolution du sens de certains mots. Ce phénomène
consiste à éviter la désignation littérale d’une notion ou d’un objet jugés
déplaisants en lui substituant une expression atténuée. Par exemple,
l’emploi du mot idiot dans la langue actuelle est le résultat de la tendance à
l’euphémisme. Au XVIe siècle, le mot idiot désignait tout simplement « un
ignorant, un simple d’esprit », mais non pas, comme aujourd’hui, « un
homme tout à fait dépourvu d’intelligence et de raison ». Ce mot a sans
doute été utilisé dans des situations qui auraient exigé un terme plus fort.
C’est ainsi qu’il est devenu nettement injurieux. De la même manière,
stupide signifiait « insensible » et stupidité « insensibilité ». Imbécile
signifiait « faible » ; l’imbécillité était la faiblesse physique et non la
faiblesse intellectuelle. La médiocrité était la modération, le juste milieu.
Il est intéressant de constater que l’on a aussi donné à certains défauts
physiques des noms qui autrefois ne les indiquaient nullement. La
corpulence, par exemple, était la forme du corps, et ce mot ne contenait pas
l’idée d’une grosseur excessive. La parcimonie était ce que l’on nomme
aujourd’hui « économie, épargne ». Qualifier un langage de doucereux ou
de mielleux, ce n’était pas le taxer d’hypocrisie. Dans les premiers temps où
l’on s’est servi de ces mots pour masquer une réalité embarrassante,
l’euphémisme était reconnaissable, mais peu à peu les mots se sont liés
étroitement à l’idée qu’ils étaient chargés d’adoucir et se sont complètement
détachés de leur signification primitive.

5.3. DE L’ABSTRAIT AU CONCRET ET DU CONCRET


À L’ABSTRAIT

Les référents des mots passent facilement de l’abstrait au concret. Ils


commencent par indiquer une action, puis ils s’appliquent soit au résultat de
cette action, soit à la cause qui la produit, soit à l’objet par lequel elle
s’accomplit. Le mot bâtiment signifiait « action de bâtir ». Aujourd’hui, il
désigne ce qu’on a bâti, maison ou navire. Le débris, c’était l’action de
briser. Dans son emploi actuel ce mot n’exprime plus que le résultat de
l’action. Le mot dessert indiquait l’« action de desservir, d’enlever les plats
que l’on avait servis ». Confiture signifiait « préparation » : aujourd’hui le
mot désigne ce que l’on a préparé et ne peut être employé que pour une
catégorie d’objets très restreinte. Avenue signifiait d’abord « arrivée », puis
la « voie par laquelle on arrive ».
Les référents des mots peuvent aussi passer du concret à l’abstrait. Ce
passage peut se produire de plusieurs façons différentes. Un mot qui
désigne habituellement un objet concret peut commencer à désigner une
action ou un état. Un nom ou un adjectif indiquant une manière d’être au
sens matériel peut prendre une signification morale. Un verbe employé au
sujet d’un acte physique s’emploiera pour une action de l’esprit.
Ainsi, autrefois le nom colère avait souvent le sens de « bile ». Un lien
s’est formé facilement entre ce sens et l’état physique ou moral causé par la
bile. L’allégresse était une qualité physique ; ce mot signifiait « agilité,
vivacité, promptitude ». Actuellement il s’agit d’un état d’esprit. Candeur
signifiait « blancheur éclatante » et candide qualifiait ce qui était d’une
blancheur éclatante. Des adjectifs ont suivi la même voie. On ne dit plus
qu’une montagne est hautaine si l’on veut dire qu’elle est haute, qu’un
chemin est scabreux s’il est raboteux. Hautain exprimait donc souvent une
qualité matérielle : il avait le sens de « haut ». Cet adjectif signifiait aussi
« fort, bruyant » : une voix hautaine, des abois hautains. Certains verbes
exprimant une action physique ont passé entièrement au sens moral.
Divertir voulait dire « détourner ». Discourir signifiait « courir en des sens
divers ». Feindre signifiait « façonner ». Navrer, offenser se disaient au
sujet de blessures corporelles et non pas seulement de blessures morales.
On peut constater que, d’une façon générale, les processus ainsi
répertoriés vont par couple, l’un des membres du couple étant l’inverse de
l’autre. C’est le cas pour la restriction par rapport à l’extension de sens,
pour le renforcement par rapport à l’affaiblissement, pour le passage de
l’abstrait au concret par rapport au passage du concret à l’abstrait.
On peut ajouter à cette liste la tendance à la réduction des groupes
fréquemment répétés. Cette tendance à l’économie entraîne des
phénomènes de changement sémantique qui permettent de faire passer le
message à moindres frais. Elle se manifeste en particulier dans la
métonymie :

un verre de vin du Beaujolais → un verre de beaujolais → un beaujolais


une bouteille de vin de Champagne → une bouteille de champagne → du champagne
Métro désigne aujourd’hui « tout chemin de fer urbain, généralement
souterrain ». Ce n’est que l’abréviation de métropolitain, dont la
signification était « de la capitale ». Cet adjectif, par ellipse du nom
composé qu’il déterminait, s’est chargé du sens de l’expression entière :
chemin de fer métropolitain, trop longue pour être aisément maniable, elle a
été une première fois abrégée au profit de l’adjectif, puis, pour la même
raison, ce dernier l’a été à son tour, quitte à perdre ainsi toute motivation :
c’est une forme devenue arbitraire.
Les changements sémantiques ne sont pas faciles à analyser. Il n’est donc
pas toujours possible de voir avec certitude leurs causes. On peut tout
simplement observer quelques tendances auxquelles les sujets parlants
obéissent en utilisant leur langue. En outre, il est tout à fait impossible de
prévoir l’évolution lexicale dans le détail ; on ne peut que la constater. Et si
l’on parvient à l’expliquer, ce ne peut jamais être qu’une explication a
posteriori.
D’une part, à toutes les époques, le vocabulaire subit l’action des
événements. L’évolution de la société sur le plan institutionnel, moral ou
matériel, a une incontestable influence sur l’évolution du lexique. Des mots
sont créés pour exprimer des idées et des objets nouveaux ; d’autres
disparaissent avec les objets ou les pratiques qu’ils désignent ; d’autres
s’écartent de leur signification primitive pour s’adapter à de nouveaux
besoins et ainsi de suite. Les sciences progressent et s’organisent et par
conséquent ont besoin d’un vocabulaire précis.
D’autre part, la vie en société est faite de contraintes et connaît bien des
exigences. Quand les gens parlent, ils sont amenés à respecter les impératifs
sociaux. Ils sont, en outre, soumis à des tendances psychologiques
diverses. La communication doit être efficace, claire, expressive, polie,
décente. Tous ces facteurs provoquent des changements de sens dans les
mots utilisés.
A priori, on ne sait jamais d’avance quel sera le destin d’un mot dans
l’avenir. Certains mots apparemment très bien implantés dans la langue ont
disparu et ont été remplacés (ouïr → écouter, bouter → pousser) pour des
raisons inexplicables. Entre vie des choses et vie des mots, il y a une
relation certaine, mais lâche, sur laquelle les connaissances des chercheurs
sont plus abondantes que satisfaisantes.
CHAPITRE 6
LA LEXICOGRAPHIE
1. Les différents types de dictionnaires
2. La macrostructure du dictionnaire de langue
3. Le mot-entrée
4. La définition et l’exemple
5. Autres informations données dans l’article de dictionnaire
6. Présentation de quelques dictionnaires actuels

Les sujets parlants ont l’habitude de consulter un dictionnaire pour


chercher les définitions de mots inconnus ou des renseignements sur des
choses ignorées. Cette manipulation leur permet de développer leurs
connaissances sur le monde et d’améliorer la maîtrise de leur langue
maternelle ou d’une langue étrangère. L’objectif des dictionnaires est donc
essentiellement pédagogique et didactique. Les dictionnaires sont certes des
objets linguistiques, parce qu’ils parlent de la langue à l’aide de la langue,
mais ils sont également des objets culturels de référence pour toute
communauté nationale. La description du sens des mots d’une langue est un
souci qui est certainement aussi ancien que les langues elles-mêmes.
La lexicographie peut se définir à la fois comme le domaine qui a pour
but de mettre en œuvre les techniques pour confectionner des dictionnaires
et comme la discipline qui propose une réflexion sur les méthodes qu’exige
la confection des dictionnaires. On peut donc dire que la lexicographie est à
la fois une pratique et une science. Le terme métalexicographie est utilisé
de plus en plus souvent pour désigner la deuxième acception afin d’éviter
les ambiguïtés.
Bernard Quemada fait la distinction entre la lexicographie et la
dictionnairique. D’après sa conception, la lexicographie désigne la
recherche qui porte sur le recensement et l’analyse des mots et de leurs
significations. La dictionnairique désigne l’ensemble des pratiques
aboutissant à l’élaboration d’un objet-dictionnaire qui est un instrument de
communication, un média culturel destiné à rendre compte d’un programme
préalablement défini (dictionnaire de langue, encyclopédie, etc.) et adressé
à un public précis d’acheteurs potentiels. Il s’agit d’un produit technico-
commercial dépendant des technolgies du moment et des moyens qui leur
ont été débloqués.
Il faut souligner que la lexicographie est fortement dépendante de sa
dimension utilitaire car elle doit être capable de satisfaire le besoin
d’information de l’usager du dictionnaire soucieux de connaître, par
exemple, le sens ou les conditions d’emploi d’un mot. Cela implique que le
dictionnaire doit rechercher une certaine forme d’exhaustivité. Il y a plus de
deux millénaires, Aristote avait déjà réfléchi sur l’art de définir, mais il n’y
a pas toujours eu de dictionnaires, du moins sous la forme que l’on connaît
actuellement. Dans l’Antiquité, on se bornait à élaborer des glossaires,
ouvrages qui expliquaient, par exemple, seulement les mots vieillis ou peu
connus ; l’article de glossaire, la glose, avait l’habitude de juxtaposer au
mot examiné des synonymes plus connus, auxquels on pouvait ajouter
quelques explications supplémentaires.
Le livre-dictionnaire est apparu, en France, au moment où le lexique a
commencé à devenir celui d’une grande langue commune, de plus en plus
écrite, bientôt langue d’État. Ce moment a coïncidé à peu près avec celui où
l’imprimerie, récemment inventée (XVe siècle), allait pouvoir en faciliter la
réalisation et la diffusion. Lorsqu’une langue passe du stade dialectal à celui
de langue commune, son lexique s’élargit considérablement. Comme la
transmission orale d’individu à individu ne suffit plus, il faut alors élaborer
des livres qui servent de dépôt. En même temps, à partir du moment où la
langue devient commune sur un grand territoire et souvent langue officielle,
les pouvoirs publics y voient un intérêt et décident d’en faciliter la
diffusion. Ils créent des institutions et des écoles qui ont besoin
d’instruments de travail, de grammaires et de dictionnaires. Dans cette
perspective, les premiers dictionnaires du français ont été publiés au
XVIe siècle et surtout au XVIIe siècle. Le Dictionary of the French and
English Tongues de Cotgrave, publié à Londres en 1611, est l’une des
principales sources lexicographiques pour la connaissance du français
préclassique. Le Dictionnaire françois de Richelet (1680), le Dictionnaire
universel de Furetière (1690), le Dictionnaire de l’Académie (1694) et le
Dictionnaire des arts et des sciences de Thomas Corneille (1694) font
partie des ouvrages fondamentaux de la lexicographie française, desquels
devaient naître, par imitations, corrections et enrichissements successifs,
tous les grands dictionnaires français.
L’étude du dictionnaire peut donner une certaine image de l’organisation
du lexique d’une langue et introduire à quelques méthodes de description de
ce lexique. Dans ce chapitre, on s’intéressera surtout aux dictionnaires de
langue, à l’organisation de leurs articles, ainsi qu’aux différents types de
définitions lexicographiques. On fera également une présentation rapide de
quelques dictionnaires actuels.

1. LES DIFFÉRENTS TYPES DE DICTIONNAIRES

Les dictionnaires sont des ouvrages didactiques et pratiques qui sont faits
pour être mis en vente dans le commerce et qui doivent répondre à une
demande précise du public. Actuellement, il existe plusieurs grandes
entreprises éditoriales en France qui mobilisent beaucoup de chercheurs et
de moyens et emploient des techniques de recherche très sophistiquées
(banques de données, fichiers informatisés, etc.). L’investissement financier
qu’exige ce type de produits est très lourd. En effet, en dehors du souci
didactique ou scientifique, la décision de publier un dictionnaire dépend
fortement de facteurs économiques ou politiques.
Tous les dictionnaires présentent des caractères communs, mais la
pratique du dictionnaire montre vite qu’il en existe plusieurs types. Les
chercheurs proposent souvent une typologie fondée sur trois critères :
– 1) Les dictionnaires bilingues et les dictionnaires monolingues. Si la
langue source diffère de la langue cible, les dictionnaires sont bilingues ou
plurilingues. Ces dictionnaires, dont le rôle est d’être un instrument de
traduction, impliquent la connaissance par le lecteur soit de la langue
source, soit de la langue cible. Si les mots que l’on doit définir
appartiennent à la même langue que la définition, les dictionnaires sont
unilingues ou monolingues.
– 2) Les dictionnaires extensifs et les dictionnaires intensifs. C’est la
densité de la nomenclature qui entre en jeu. Un dictionnaire est extensif s’il
vise à traiter globalement de tous les mots d’une langue ou, plutôt, de tous
les mots répertoriables dans le cadre matériel retenu. Un dictionnaire est
intensif quand il vise à décrire seulement un domaine technique ou
scientifique limité.
– 3) Les dictionnaires de choses et les dictionnaires de mots. On dit
aussi « dictionnaire encyclopédique » et « dictionnaire de langue ». Dans
ce cas, la distinction porte sur la nature des informations données.
L’encyclopédie donne des renseignements sur la chose désignée par le
mot : son utilisation, son origine, sa place dans la culture de la
communauté, etc. Certaines encyclopédies abandonnent l’ordre
alphabétique de présentation pour une configuration méthodique des
connaissances par matières. Très souvent, la description encyclopédique
recourt à l’iconographie pour donner à voir le référent ; c’est pourquoi les
cartes, photos et planches y occupent une place primordiale. La
nomenclature de ce type de dictionnaire est essentiellement nominale.
En ce qui concerne le dictionnaire de langue, il énumère les
particularités linguistiques du signe. Il donne des informations sur la nature
et le genre grammatical des mots, leur forme graphique et sonore, leur
étymologie, leur signification, leurs valeurs expressives, leur mode
d’emploi, leur degré de spécialisation ou leur appartenance aux différents
niveaux de langue, etc. Le dictionnaire de langue est normalement un
dictionnaire général qui cherche à présenter l’ensemble des mots d’une
langue. Sa nomenclature inclut donc toutes les parties du discours, à
l’exception des noms propres. Il y a aussi des dictionnaires de langue
spécialisés : dictionnaires de synonymes, dictionnaires des difficultés de la
langue, dictionnaires des mots nouveaux, dictionnaires de citations, etc.
En pratique, au regard de ces critères, tous les dictionnaires sont plus ou
moins hétérogènes ; il y a obligatoirement une continuité du dictionnaire de
langue à l’encyclopédie, du dictionnaire technique au dictionnaire de la
langue standard. Même un dictionnaire systématiquement encyclopédique
est, en effet, en un sens un dictionnaire de langue, car il est écrit dans la
langue en question et il touche aux choses à travers les mots de cette langue.
Il existe aussi des dictionnaires d’apprentissage destinés à un public qui
apprend la langue décrite comme langue maternelle ou comme langue
étrangère. Ces dictionnaires généraux accompagnent l’acquisition du
vocabulaire au niveau morphologique, sémantique et syntaxique.
Les dictionnaires traditionnels peuvent être numérisés : ils sont alors
accessibles sur CD-ROM ou par Internet. Le support numérique permet une
navigation optimale et augmente largement les possibilités de découvrir les
nombreuses informations contenues dans le dictionnaire : recherches
multicritères, liens hypertextes, mots postérieurs à telle date, etc. On trouve
sur Internet aussi des encyclopédies dites collaboratives (Larousse) ou
libres (Wikipedia) qui sont élaborées par les usageurs eux-mêmes.

2. LA MACROSTRUCTURE DU DICTIONNAIRE DE LANGUE

Dans cette présentation, on laissera de côté les dictionnaires


encyclopédiques et les dictionnaires bilingues ou plurilingues. On
s’intéressera donc uniquement aux dictionnaires de langue unilingues en
mettant en évidence leur composition ainsi que les différents types de
définitions qui les caractérisent. On vient de voir que le dictionnaire de
langue est un ouvrage axé plutôt sur la description du matériel et du
système de la langue que sur l’inventaire et la description des objets du
monde. Il a une physionomie et une organisation relativement spécifiques.
Le dictionnaire unilingue fonctionne un peu comme un dictionnaire
bilingue dans la mesure où son utilisateur va de l’inconnu au connu. Il
fournit dans ses définitions une sorte de traduction des mots par des
paraphrases synonymiques. Il s’agit d’un objet qui permet aussi une
communication transculturelle à l’intérieur d’une même communauté
linguistique. Le lexicographe est amené à indiquer les conditions d’emplois
des différents mots en fonction des niveaux de langue : voiture est le mot de
la langue parlée ou écrite, bagnole relève de la langue familière, etc. Il est
donc conduit à définir une norme linguistique par rapport à laquelle les
autres termes sont repérés par une marque sociolinguistique : familier,
argotique, populaire, littéraire, historique, etc.
On peut se demander comment se présente un dictionnaire de langue
unilingue (cf. Jean et Claude Dubois, Introduction à la lexicographie : le
dictionnaire, Paris, Larousse, 1971). C’est un répertoire de mots qui
respecte la plupart du temps l’ordre alphabétique pour des raisons de
commodité de consultation. On appelle « entrée » ou « adresse » le mot
marqué par une typographie particulière (caractères gras, majuscules…)
qui, à sa place déterminée, introduit l’article ou la notice. La suite de mots
appelée « nomenclature » constitue l’architecture formelle du dictionnaire
et fait partie de sa macrostructure. La nomenclature varie d’un
dictionnaire à l’autre :
– le Petit Robert : 60 000 mots ;
– le Dictionnaire du Français au collège : 41 000 mots ;
– le Dictionnaire de la Langue française. Lexis : 76 000 mots ;
– le Grand Larousse de la Langue française : 70 000 mots ;
– le Trésor de la Langue française : 100 000 mots.

2.1. LE CHOIX DES MOTS

Il est tout à fait impossible de présenter tous les mots d’une langue dans
un dictionnaire car les nomenclatures sont nécessairement limitées par les
dimensions physiques des ouvrages. Les lexicographes doivent donc faire
des choix qui varient d’un dictionnaire à l’autre. Les mots les plus courants,
connus par la grande majorité des locuteurs, constituent le noyau commun
de tous les dictionnaires autour duquel s’échelonnent des couches de
lexique de fréquence moyenne et basse. Un dictionnaire de langue diffuse le
lexique de son temps, même si des mots sortis de l’usage sont souvent
présents à la nomenclature pour des raisons culturelles et didactiques. Les
néologismes n’entrent dans la nomenclature des dictionnaires généraux que
lorsque leur diffusion a atteint un seuil suffisant pour que leur lexicalisation
soit considérée comme acquise. On peut toutefois noter que leur intégration
a tendance à être de plus en plus valorisée dans les dictionnaires
commerciaux à parution annuelle.
Les dictionnaires de langue ont également tendance à favoriser
l’intégration à la nomenclature de régionalismes français et de
francophonismes afin de faciliter l’accès à la littérature régionale et
francophone et pour aider la diffusion des ouvrages dans les pays
francophones.

débarbouillette, n. f. : Région. (Canada) « petite serviette de toilette carrée, en tissu éponge


(correspondant au gant de toilette utilisé en France) »

magasiner, v. intr. : Région. (Canada) « aller faire des achats dans les magasins »

chtimi (ou ch’timi), n. et adj. (expr. patoise, probablement de la phrase ch’timi ? « c’est-il moi ?
») : Fam. « Français de la région intérieure du Nord »

fruitier, ière, n. (de fruit, mot suisse, « produit du bétail, laitage », du latin fructus : Région.
(Franche-Comté, Savoie, Isère ; Suisse) « lieu où l’on fabrique les fromages ».

Les dictionnaires de langue accueillent aussi des mots familiers courants,


comme :

connerie n. f. « bêtise, crétinisme, imbécillité, absurdité »


couillonnade n. f. « bêtise, imbécillité, acte ou parole de couillon »
pifer v. tr. (négatif) « sentir, supporter »

ou des mots issus de dialectes sociaux, comme le verlan, passés dans le


lexique commun :

meuf n. f. : « femme, jeune fille »


teuf n. f. : « fête »

On y trouve aussi des termes du vocabulaire « soutenu » :

jouxter v. tr. : « avoisiner, être près de »


subrepticement adv. : « par surprise, sans bruit; d’une manière dissimulée, furtive »
admonester v. tr. : « réprimander sévèrement, sans condamner, mais en avertissant de ne pas
recommencer »

Il y a des dictionnaires qui accordent beaucoup d’importance aux


vocabulaires des sciences et des techniques, d’autres écartent les termes qui
appartiennent à une terminologie proprement scientifique ou qui sont
restreints à des milieux professionnels étroitement spécialisés.
Les entrées sont normalement des mots graphiques, c’est-à-dire des
séquences graphiques ininterrompues. Ainsi, dans certains dictionnaires, on
rencontre fréquemment des mots composés qui n’ont pas accès à la
nomenclature. En effet, les mots composés dont les éléments sont séparés
par un trait d’union (coffre-fort) ou dont les éléments ne sont pas séparés
(gentilhomme) sont souvent considérés comme des mots et constituent des
entrées. En revanche, les termes composés dont les éléments sont séparés
par un blanc (pomme de terre) ne sont pas reconnus comme des entrées par
un grand nombre de dictionnaires. Cette tradition simpliste conduit les
dictionnaires à un emploi variable du trait d’union. Certains dictionnaires
ont tendance à souder les éléments, d’autres généralisent les traits d’union.
Les locutions, c’est-à-dire les unités lexicales composées de plusieurs
éléments (qu’en-dira-t-on, à pas de loup, au fur et à mesure) n’ont pas
accès à la nomenclature alphabétique des dictionnaires de langue. Pourtant,
celles-ci, comme les mots composés, jouent exactement le même rôle que
les mots simples. Ces unités polylexicales se trouvent souvent sous l’entrée
du mot graphique principal : par exemple, le mot composé machine à café
peut figurer dans l’article qui présente le nom machine, la locution
adverbiale (prépositive ou conjonctive) au fur et à mesure est présentée
dans l’article consacré au nom fur.
On constate aussi que les dictionnaires de langue retiennent comme
entrée la forme infinitive des verbes. Les autres formes verbales ne sont pas
présentées. Il s’agit, bien entendu, d’une solution tout à fait arbitraire. Les
noms propres ne figurent pas, non plus, dans un dictionnaire de langue.
Certains noms propres ont servi de base à des dérivations lexicalisées
(marxisme, sadisme, gaulliste, freudien…). Ces dernières s’intègrent
naturellement à un dictionnaire de langue, puisqu’elles ont perdu leur
référence unique pour devenir, comme n’importe quel mot, une entrée
dénotant un mot ou un objet. On peut évoquer aussi le problème des mots
polymorphes du type cou/col, fou/fol, ainsi que celui des formes féminines
des adjectifs et des substantifs qui sont présentées dans l’article consacré au
terme masculin correspondant, etc. On voit bien qu’il y a un grand nombre
de mots qui n’ont pas accès à la nomenclature des dictionnaires. En effet,
les mots d’entrée du dictionnaire sont des unités définies arbitrairement. Il
faut donc faire attention à ne pas confondre la nomenclature d’un
dictionnaire et le lexique d’une langue.
Les mots dans un dictionnaire sont souvent rangés dans l’ordre
alphabétique pour des raisons de commodité de consultation. À cause de
cette organisation, les mots sont dispersés d’une façon arbitraire : des mots
qui ont une affinité sémantique sont la plupart du temps séparés (ex. : faire,
défaire, refaire ; petit, grand), d’autres qui devraient être séparés se suivent
(ex. : enceinte, encens).
On parle de regroupement si le dictionnaire rassemble plusieurs entrées
dans un même article : une entrée principale (on dit aussi vedette) est suivie
de sous-entrées. Cette disposition s’oppose à l’ordre alphabétique linéaire,
dans lequel chaque entrée est à sa place alphabétique. Le regroupement peut
être morphologique. Certains dictionnaires de langue généraux pratiquent
systématiquement le regroupement des dérivés et composés réguliers sous
leur base (c’est le cas du Lexis, par exemple). Ce type d’organisation permet
de mettre en relief les relations morpho-sémantqieus qui structurent le
lexique. On trouvera, par exemple, le mot dérivé pauvresse sous l’adjectif
pauvre. Les dictionnaires analogiques font des regroupements sémantiques
et thématiques qui, eux aussi, vont à l’encontre de l’ordre alphabétique.

2.2. LA PRÉSENTATION POLYSÉMIQUE


OU HOMONYMIQUE

Le projet qui détermine la hiérarchie dans l’article, entrée, sous-entrée,


sous-sous-entrée, varie d’un dictionnaire à l’autre et relève souvent, une
fois de plus, de l’arbitraire et non des règles linguistiques. On peut constater
que certains dictionnaires adoptent une présentation polysémique, alors
que d’autres privilégient une présentation homonymique. On a vu plus
haut (p. XX) qu’un mot polysémique est une seule unité lexicale qui
correspond à deux ou plusieurs significations. Avec l’homonymie, il s’agit
de relation entre deux ou plusieurs termes ayant le même signifiant, mais
des signifiés complètement différents.
Le Petit Robert (1) a adopté une présentation polysémique (une seule
entrée) et le Dictionnaire du Français contemporain (2) une présentation
homonymique (trois entrées différentes).

(1)
BOUTON [butɔ̃]. n. m. (fin XIIe, « bourgeon » ; de bouter « pousser »). ♦ 1° Petite excroissance
d’où naissent les branches, feuilles, fruits ou fleurs d’un végétal. V. Bourgeon, œil. Bouton à
bois, à feuilles, à fruit. – Spécialt. Bouton à fleur, la fleur avant son épanouissement. Bouton de
rose. Rose en bouton. Bouton qui s’épanouit, qui éclot. ♦ 2° Par anal (XIIIe). Petite tumeur
faisant saillie à la surface de la peau. V. Pustule, tumeur, vésicule. Bouton d’acné, de petite
vérole. Bouton de fièvre. Éruption de boutons. Avoir des boutons (V. Fleurir ; boutonneux). ♦
3° Par ext. (XIVe). Petite pièce souvent circulaire, servant à la décoration des vêtements ou à
l’assemblage de leurs diverses parties (V. Attache). Bouton de chemise. Boutons de manchettes
jumelés. Bouton de bottine. Engager un bouton dans sa boutonnière. V. Boutonner. Bouton à
queue, sans queue. « Un habit de grop drap bleu, avec des boutons de cuivre doré » (VOLT.) ♦
4° Petite saillie ronde. Bouton de fleuret, d’un couvercle de soupière. à Spécialt. Commande
d’un mécanisme, d’un appareil, que l’on tourne ou sur lequel on appuie. « Elle aperçut une
grande porte à deux battants dont elle tourna le bouton » (GAUTIER). – Tourner le bouton d’un
poste de radio. Appuyer sur le bouton. V. Poussoir. Bouton de sonnerie, de sonnette. « La
concierge appuyait sur un bouton électrique qui éclairait l’escalier » (PROUST).
V. Commutateur. Fig. La guerre presse-bouton, dont les destructions seront commandées par
des appareils de précision.

(2)
1. bouton [butɔ̃] n. m. Pousse qui, sur une plante, donne naissance à une tige, à une fleur ou à
une feuille : Cueillir des boutons de fleurs qui s’épanouissent dans un vase. ♦ boutonner v. intr.
Produire des boutons : Le rosier boutonne.
2. bouton [butɔ̃] n. m. Petite pustule sur la peau : Un visage couvert de boutons. La rougeole se
signale par une éruption de petits boutons. ♦ boutonneux, euse adj. Qui a des boutons sur la
peau : Le visage boutonneux d’un adolescent. ♦ boutonner v. intr. Se couvrir de boutons : Son
visage commence à boutonner.
3. bouton [butɔ̃] n. m. 1° Pièce généralement circulaire, plate ou bombée, de matière dure, que
l’on fixe sur les vêtements pour en assurer la fermeture ou pour servir d’ornement : Recoudre un
bouton qui a été arraché. Des boutons ornent les manches des vestes. Des boutons de nacre
ferment le chemisier. Les boutons de manchettes rapprochent les deux bords des poignets de
chemise. – 2° Pièce de forme sphérique ou cylindrique qui sert à ouvrir ou à fermer : Tourner le
bouton de la porte (syn. : POIGNÉE). Fermer le bouton du poste de radio. ♦ boutonner v. tr.
Boutonner un vêtement, le fermer par des boutons : Boutonner sa veste. Il est boutonné jusqu’au
menton dans sa tunique. Corsage qui se boutonne par-derrière. ♦ boutonnage n. m. : Apprendre
à un enfant le boutonnage de ses vêtements. ♦ boutonnière n. f. Petite fente faite à un vêtement
pour y passer un bouton : Refaire des boutonnières qui s’effrangent. Porter une fleur à sa
boutonnière (= à celle qui se trouve au revers du veston ou du tailleur). ♦ déboutonner v. tr.
Ouvrir en défaisant les boutons (sens 1) : Déboutonner son veston. ♦ se déboutonner v. pr. 1°
Défaire les boutons qui attachent ses habits. – 2° Fam. Dire tout ce que l’on pense : Le vin l’a
rendu expansif et il s’est déboutonné, nous confiant son amertume. ♦ reboutonner v. tr.

Selon la conception polysémique, il s’agit donc d’une seule unité lexicale


ayant plusieurs significations.

Selon la conception homonymique, il s’agit de plusieurs mots différents.

1er bouton → « pousse sur une plante »


2e bouton → « petite pustule sur la peau »
3e bouton → « petit objet servant à l’assemblage des vêtements »

On a vu plus haut (p. 94) que la distinction entre homonymie et


polysémie est arbitraire et indéterminée. Dans la pratique, il est quasiment
impossible de disposer de critères rigoureux qui permettent de séparer
nettement les deux cas. Il est souvent simpliste de décréter que tel mot est
un polysème et que tel autre recouvre des homonymes. L’arbitraire de cette
distinction se traduit donc par les divergences de classement des différents
dictionnaires. En effet, certains dictionnaires ont tendance à maximaliser
l’homonymie en assignant une entrée séparée à chaque distinction de sens.
L’autre solution radicale consiste à maximaliser la polysémie. Cela a pour
effet de produire un lexique avec beaucoup moins d’entrées.

3. LE MOT-ENTRÉE
L’article de dictionnaire est une suite ordonnée de phrases, chacune
comportant une ou plusieurs informations. Quand on parle de l’organisation
de chaque article, on parle de la microstructure du dictionnaire. La
structure du texte de l’article est programmée. Parmi les informations
données sur les mots, certaines sont obligatoires (catégorie grammaticale,
définition), d’autres facultatives (étymologie). Les mots ne sont donc pas
présentés de la même façon dans des dictionnaires différents.
– a) Le mot qui forme l’entrée contient déjà une information sur la
graphie du mot. Un grand nombre de sujets parlants consultent le
dictionnaire pour vérifier l’orthographe d’un mot. Parfois le dictionnaire
propose deux ou même trois graphies différentes pour un mot. C’est le cas,
par exemple, du mot désignant un instrument de musique grec [buzuki] qui
peut être orthographié bouzouki ou buzuki selon le Petit Robert.
– b) La prononciation du mot hors contexte est présentée sous la forme
d’une transcription, par exemple, en alphabet phonétique international
(API) entre crochets. Une grande partie des dictionnaires de langue
signalent systématiquement la prononciation des mots, d’autres le font
uniquement pour les mots qui présentent des complications de
prononciation. Les dictionnaires électroniques peuvent même donner
l’enregistrement sonore de certains mots difficiles à prononcer. Il y a des
dictionnaires, comme le Trésor de la langue française, qui présentent la
prononcitation du mot à la fin de l’article, contrairement à la plupart des
dictionnaires qui donnent cette information immédiatement après l’entrée.
La transcription phonétique donnée dans le dictionnaire français
correspond à la prononciation du locuteur urbain et cultivé de l’Ile-de-
France. Il arrive aussi que le dictionnaire propose des variantes phonétiques
pour certains mots, comme pour les emprunts néologiques. Dans le Petit
Robert informatisé, le mot rassoul (ghassoul) (« l’argile savonneuse utilisée
traditionnellement au Maghreb pour les soins de la peau et des cheveux »)
est transcrit phonétiquement de trois façon différentes : [Rasul] [Rasoul]
[xasul].
– c) La catégorisation grammaticale informe sur les traits syntaxiques
fondamentaux des mots définis. Elle précise l’appartenance du mot à une
partie du discours : nom, pronom, verbe, déterminant, adjectif, adverbe,
conjonction, préposition, interjection. Cette mention est suivie de
l’indication de la sous-classe de cette même partie du discours : les noms
peuvent être masculins ou féminins, les verbes sont tantôt transitifs, tantôt
intransitifs, tantôt les deux, l’article peut être défini, indéfini ou partitif, etc.
La variation du genre des noms et des adjectifs est signalée dans les
entrées (par ex. coiffeur, euse ; petit, ite). Les marques du pluriel sont
indiquées uniquement pour certains pluriels irréguliers (cheval, aux) ou
problématiques, comme le pluriel de quelques emprunts (des gentlemen ou
des gentlemans). Dans certains dictionnaires, le pluriel apparaît après
l’entrée, dans d’autres il est présenté en fin d’article.
– d) L’article mentionne souvent aussi l’étymologie du mot. On indique
soit l’origine supposée, l’étymon du mot d’entrée (fille : XIe s. ; lat. filia),
soit les éléments constitutifs qui sont à l’origine du terme (casse-tête : 1690,
« vin fort » ; de casser, et tête ; froideur : XIIe s. ; dérivé de froid). Dans le
premier cas, la langue source est indiquée : latin, grec, anglais, etc. Dans le
deuxième, la procédure de formation est marquée : dérivé de, composé de
(ou simplement de). La datation, c’est-à-dire le moment de l’apparition du
terme dans les textes écrits est très souvent jointe à l’étymologie.
L’information étymologique est le plus souvent placée après l’entrée,
mais elle peut figurer aussi en fin d’article (comme dans le Trésor de la
langue française). Les dictionnaires synchroniques n’éprouvent
généralement pas la nécessité de présenter cette information puisque le fait
de connaître l’origine du mot ne renseigne pas sur son fonctionnement.
Il est important de signaler que cette segmentation du texte
lexicographique joue le même rôle que la disposition alphabétique des
entrées : elle permet un repérage précis et rapide des réponses cherchées par
les lecteurs. Il faut toutefois noter que certains dictionnaires suppriment
l’information étymologique ; d’autres ne donnent pas la transcription de la
prononciation du mot défini ; d’autres encore négligent la date d’apparition
du mot, etc.

4. LA DÉFINITION ET L’EXEMPLE

La définition est l’activité essentielle du lexicographe. Dans un


dictionnaire de langue unilingue, les procédés de définition sont
généralement beaucoup plus rigoureux et homogènes que dans une
encyclopédie. La définition recherchée n’est pas une donnée brute, mais le
résultat d’une activité extrêmement complexe du lexicographe qui rencontre
sur son chemin tous les obstacles liés à l’univers de la signification.
La définition du mot consiste à donner une paraphrase qui lui soit
sémantiquement équivalente. On peut toujours remplacer un mot de la
langue par un autre mot ou un groupe de mots sans que le sens en soit
modifié. Lorsque le lexicographe définit vérification par action de vérifier
ou blancheur par état (ou qualité) de ce qui est blanc, dépourvu par privé,
mourir par cesser de vivre, etc., il indique que la définition et le terme
défini constituent des paires de synonymes. Rappelons que la synonymie
désigne la relation que deux ou plusieurs mots différents ayant le même
sens entretiennent entre eux.
La structure du dictionnaire repose donc sur une relation de synonymie
entre le mot d’entrée et la définition qui lui correspond. Quand la définition
est un mot unique, le synonyme appartient à la même partie du discours que
le défini :

plumard : lit
mec : homme
nana : femme

Quand la définition est un énoncé de plus d’un mot (cas le plus fréquent),
cet énoncé doit avoir la même fonction que le mot défini et il commence
ordinairement par un mot ou un groupe de même classe grammaticale :

échotier : rédacteur chargé des échos


discontinuité : absence de continuité
mourir : cesser de vivre
analyser : faire l’analyse de

Il faut noter que cette substituabilité théorique a des limites, notamment


en ce qui concerne les définitions multiples.
La définition est grammaticalement et sémantiquement conforme au code
de la langue, elle forme un énoncé linéaire qui se lit dans un seul sens et
dont le contenu est obligatoirement lié à la syntaxe. Elle n’est jamais une
phrase complète ; les mots qui la composent doivent être connus. La
définition recourt souvent à des termes définisseurs : action de, fait de,
opération, caractère, état, qualité, manière, propriété, degré, ce, etc.

blancheur : qualité de ce qui est blanc

Ces termes, presque vides de sens, font partie de la métalangue propre


aux dictionnaires. On parle de « métalangue » quand la langue parle d’elle-
même et non de l’univers.
Le projet qui détermine la hiérarchie dans l’article, entrée, sous-entrée,
sous-sous-entrée, varie d’un dictionnaire à l’autre et relève souvent, une
fois de plus, de l’arbitraire et non des règles linguistiques. On a vu plus
haut, dans le sous-chapitre consacré à la macrostructure du dictionnaire
(p. 162), que certains ouvrages adoptent une présentation polysémique,
alors que d’autres privilégient une présentation homonymique.

4.1. LES DIFFÉRENTES ACCEPTIONS DU MOT

La définition d’un mot polysémique contient une suite de paraphrases.


Chaque paraphrase correspond à une acception du mot. Ces acceptions
peuvent être organisées selon plusieurs schémas différents qui dépendent
des orientations méthodologiques des dictionnaires. L’organisation visuelle
de l’articulation des acceptions permet au lecteur de trouver facilement le
sens qu’il recherche. Cette organisation peut être historique, fréquentielle,
logique ou syntaxique.
L’ordre des acceptions peut correspondre à l’évolution historique. Dans
ce cas, les différents sens du mot sont présentés dans l’ordre de leur date
d’apparition ou d’attestation. Ce type de présentation est basé sur des
données philologiques et ne peut donc se trouver que dans des dictionnaires
qui ont adopté une dimension diachronique.
L’organisation fréquentielle classe les acceptions du mot selon la
fréquence. L’emploi dominant actuel, indépendamment de l’ordre
chronologique des apparitions, est présenté en premier et l’acception la
moins fréquente en fin d’article. L’organisation logique, quant à elle,
ordonne les acceptions du mot selon la nature logique du lien qui unit le
sens propre aux sens dérivés. Partant du sens supposé initial jusqu’aux sens
les plus éloignés de celui-ci, il relate les liens sémantiques entre les
acceptions. Cette organisation se mêle souvent à l’organisation historique.
Certains dictionnaires adoptent une organisation syntaxique qui range les
acceptions du mot selon les types d’emplois, signalés par la catégorie et la
marque syntaxique.

4.2. LES DIFFÉRENTS TYPES DE DÉFINITION


DANS LE DICTIONNAIRE DE LANGUE

Les dictionnaires de langue font coexister différents types de définition.


En effet, les mots monomorphématiques (qui ne contiennent qu’un
morphème) et les mots plurimorphématiques (les dérivés et les composés)
ne sont pas définis de la même façon. On peut examiner de plus près les
définitions suivantes empruntées au Petit Robert (2009) :

fillette : petite fille


fille : personne de sexe féminin, considérée par rapport à son père et à sa mère ou à l’un des
deux seulement
impossible : qui n’est pas possible

Ces trois exemples correspondent à trois types de définition différents :


– a) définition morphosémantique ;
– b) définition par inclusion ;
– c) définition par opposition.
La définition morphosémantique et la définition par inclusion sont les
deux principales formes de définition dans le dictionnaire de langue. La
définition morphosémantique est utilisée pour les mots dérivés ou
composés. Elle est extrêmement fréquente car au moins 75 % des mots du
lexique du français contemporain sont des mots construits. La définition par
inclusion est la seule possible pour les mots monomorphématiques. La
définition par opposition est la moins fréquente et la plus irrégulièrement
représentée.

4.2.1. LA DÉFINITION MORPHOSÉMANTIQUE

Certains linguistes parlent de « définition relationnelle ». Cette définition


informe sur la formation du mot d’entrée et établit un lien entre la
signification de celui-ci et sa formation. Pour qu’il y ait définition
morphosémantique, il faut pouvoir reconnaître la base dans le terme défini :

fillette : petite fille


châtaigneraie : lieu planté de châtaigniers
châtaignier : arbre de grande taille, vivace, à feuilles dentées qui
produit les châtaignes
simplement : d’une manière simple
porte-fenêtre : fenêtre qui descend jusqu’au niveau du sol et qui s’ouvre de plain-pied sur un
balcon, une terrasse, un jardin, faisant
ainsi office de porte
garde-magasin : employé chargé de garder un magasin

Ce type de définition comporte le mot à partir duquel le dérivé a été


formé et un syntagme qui traduit l’affixe. Ainsi le substantif châtaigneraie a
été dérivé de châtaignier qui, à son tour, vient de châtaigne. L’adverbe
simplement a été construit à partir de l’adjectif simple, etc. En ce qui
concerne les mots composés, cette définition contient des éléments qui
correspondent à chaque partie du mot composé.
En effet, on se contente de définir la relation qui unit le mot défini ou
composé à sa base, mais on ne donne aucune définition du mot-base. Le
lecteur désireux de connaître le sens de celui-ci, est donc amené à aller le
chercher à sa place alphabétique :

châtaignier : arbre de grande taille […] qui produit les châtaignes → châtaigne ?
châtaigne : fruit du châtaignier, formé d’une masse farineuse enveloppée d’une écorce lisse de
couleur brun rougeâtre et renfermée dans une cupule
Il est important de remarquer que l’on rencontre aussi des mots dérivés
ou composés qui ne sont pas définis à l’aide de la définition
morphosémantique :

crânerie : affectation de bravoure manière d’agir de celui qui tient à montrer du courage
majoration : action de chiffrer plus haut (ou trop haut) une évaluation

D’autre part, on rencontre parfois de façon paradoxale la définition du


terme d’origine à partir du mot dérivé :

démission : action de démissionner

Cette démarche est tout à fait acceptable sur le plan sémantique, mais elle
manque de rigueur sur le plan étymologique. En fait, le verbe démissionner
a été formé à partir du substantif démission. On doit enfin ajouter que cette
pratique de définition n’est plus possible lorsque le mot dérivé ou composé
a changé partiellement de sens au fil du temps :

baguette : *petite bague


pas-d’âne : instrument servant à maintenir ouverte la bouche d’un cheval quand on l’examine
pied-plat : (vieilli) personne grossière, inculte ou servile

4.2.2. LA DÉFINITION PAR INCLUSION

On parle aussi de « définition substantielle » ou de « définition par le


genre prochain et la différence spécifique ». Il s’agit d’une définition de
type logique qui n’est donc utilisée globalement que pour les mots
monomorphématiques. Elle consiste à désigner la classe générale à laquelle
appartient le mot défini et à spécifier ce qui le distingue des autres sous-
classes de la même classe générale :

fille : personne de sexe féminin, considérée par rapport à son père et à sa mère ou à l’un des
deux seulement
→ la classe générale : personne
les différences spécifiques : de sexe féminin, considérée par rapport à son père et à sa mère ou à
l’un des deux seulement
crawl :
→ la classe générale : nage
les différences spécifiques : rapide qui consiste en un battement continu des jambes et un tirage
alternatif des bras

Parfois, la définition par inclusion pose une relation réversible entre le


mot d’entrée et sa définition. Dans ce cas, on parie d’« inclusion
réciproque ». Par exemple, toutes les personnes de sexe féminin,
considérées par rapport à leur père et à leur mère ou à l’un des deux
seulement sont des filles. Il convient de signaler cependant que la plupart
des définitions par inclusion sont réduites à l’essentiel :

combinaison : sous-vêtement féminin


banjo : instrument de musique à corde
chat : animal domestique

On ne peut pas dire que tous les sous-vêtements féminins sont des
combinaisons, ou que tous les instruments de musique à corde sont des
banjos, ou que tous les animaux domestiques sont des chats ! Dans ce cas,
on parle d’« inclusion stricte ». La définition de ce groupe peut aussi
consister en un simple synonyme ou en une série de synonymes :

vergogne : honte
peur : appréhension, inquiétude

La synonymie est souvent utilisée pour définir les termes marqués


(familiers, vulgaires, etc.). Le terme marqué est en quelque sorte traduit par
son équivalent non marqué :

teuf : fam. fête


couillon, onne : fig., très fam. imbécile

La définition par inclusion peut poser des problèmes en ce qui concerne


le choix du genre. Il y a des mots qui possèdent plusieurs genres qui
s’incluent les uns les autres, et il n’est pas toujours évident que le genre
prochain soit le meilleur pour une définition. Un carré est-il une figure à
quatre côtés égaux et à angles droits ? ou un quadrilatère à côtés égaux et à
angles droits ? ou un rectangle à côtés égaux ou un losange à angles
droits ? Rectangle et losange sont des genres de carré plus proches que
figure ou quadrilatère et en les employant on fournit une définition plus
courte. Ce n’est pourtant pas la plus naturelle. En effet, un critère de bonne
définition est que le genre doit constituer un équivalent déjà satisfaisant,
indépendamment des différences qui suivent. Il y a donc des possibilités de
choix dans une chaîne de genres qui s’incluent les uns les autres.
Le lexicographe peut aussi rencontrer des problèmes lorsque le mot qu’il
veut définir ne fait pas partie d’un ensemble structuré ou du moins qu’il
ignore cette structure.
Signalons que la notion de genre est valable pour toutes les parties du
discours et pas seulement pour le substantif :

parfaitement : très bien


filiforme : mince, fin et allongé comme un fil
marcher : se déplacer par mouvements et appuis successifs des jambes et des pieds sans quitter
le sol

Cependant, il est à noter que les séries verbales ne sont pas aussi riches
en hyperonymes (= mot dont le sens inclut celui d’autres mots) que les
séries nominales. On ne peut pas dire que jeter soit l’hyperonyme de lancer
ni le contraire. Le genre, dans ce cas, ne peut s’exprimer que de façon
périphrastique : communiquer un mouvement à…, la différence spécifique
ne pouvant être qu’une qualification du mouvement en question. Toutes les
séries lexicales n’ont donc pas d’hyperonymes, et l’hyperonyme n’est pas
toujours le mot le plus souhaitable dans une définition pratique et
pédagogique.

4.2.3. LA DÉFINITION PAR OPPOSITION

Cette définition est souvent utilisée pour les couples ou groupes de mots
qui sont dans une relation d’antonymie partielle ou totale. L’antonymie
désigne un rapport entre deux termes de sens contraires. Si l’antonymie est
marquée morphologiquement (utile vs inutile, gracieux vs disgracieux),
l’élément dérivé peut toujours être défini morphosémantiquement (qui n’est
pas utile…). Si l’antonyme est exprimé par deux mots sans rapports
morphologiques l’un avec l’autre, il y a dans la définition par opposition un
risque de circularité (petit : qui n’est pas grand ; grand : qui n’est pas
petit). Ici, le seul moyen de sortir du cercle est de définir l’un des termes par
inclusion.
Il existe, toutefois, des mots difficiles à définir. Certains verbes posent au
descripteur beaucoup de problèmes à cause de leur nature très générale.
Être et faire, par exemple, en font partie. Le descripteur peut rencontrer des
difficultés aussi avec les adjectifs de couleur :

blanc : qui est de la couleur de la neige


rouge : qui est de la couleur du sang, du coquelicot, du rubis, etc.

Dans ce cas, le descripteur met en scène des objets qui sont caractérisés
par ces couleurs. Le contenu sémique de ces adjectifs ne peut être que
montré. Les mots grammaticaux (prépositions, conjonctions, pronoms et
déterminants) sont également légèrement problématiques parce qu’ils ne
peuvent être définis qu’à l’aide de la métalangue linguistique :

tu : pronom personnel sujet de la 2e personne du singulier et des deux genres


car : conjonction de coordination, qui introduit une explication (preuve, raison de la proposition
qui précède)

On peut examiner les contextes où ils apparaissent et les constructions


qu’ils permettent. Ces définitions métalinguistiques parlent exclusivement
du signe et ne sont jamais substituables au mot défini. Dans une phrase, on
ne peut pas remplacer le pronom personnel tu par « pronom personnel sujet
de la 2e personne du singulier et des deux genres ».

4.3. L’EXEMPLE

Les emplois sont illustrés par des exemples qui présentent le mot en
situation dans des phrases ou syntagmes. En effet, le mot du dictionnaire
n’a d’existence réelle qu’inséré dans une phrase. L’exemple est, au même
titre que la définition, une partie essentielle du programme de la
microstructure du dictionnaire car il permet de fournir des informations
concernant les traits syntaxiques ou sémantiques du mot d’entrée à l’aide
des termes cooccurrents. L’exemple contient le mot-entrée ; il se distingue
typographiquement de la définition. Dans beaucoup de dictionnaires
modernes, il est mis en italique. Il est souvent tiré des œuvres littéraires ou
forgé par un sujet natif de la langue.

ADOPTION
(TLFi)
… l’usage si répandu de l’adoption prouve combien faibles étaient pour les Romains les liens de
la nature. (P. MÉRIMÉE, Conjuration de Catilina, 1844, p. 249).

(PR électronique)
La France est devenue sa patrie d’adoption.

Certains dictionnaires ne présentent que des exemples forgés, d’autres


mêlent exemples forgés et exemples signés. L’exemple signé littéraire
bénéficie d’un prestige social dans la tradition dictionnairique occidentale,
mais on rencontre de plus en plus d’exemples tirés d’écrits scientifiques et
techniques, d’articles de presse, et même de dialogues de films et de
chansons.

FAUX, FAUSSE (PR électronique)


« J’ai tout faux dans ma vie Zéro pointé vers l’infini » (Gainsbourg).

MALADIE (PR électronique)


« Je ne savais pas que l’amour c’était une maladie » (R. Vadim, « Et Dieu créa la femme »,
film).

RICHESSE (PR électronique)


« j’ai eu la faiblesse de montrer des signes extérieurs de richesse alors que ma richesse est toute
intérieure ! » (Devos).
5. AUTRES INFORMATIONS DONNÉES DANS L’ARTICLE

5.1. LES MARQUES D’USAGE

Les marques d’usage donnent des précisions sur les conditions d’emploi
des mots. Les dictionnaires présentent, en début d’ouvrage, la liste des
abréviations utilisées à cette fin. Il y a des marques diachroniques (class.,
vx., vieilli, arch., mod., néol.) qui situent la variation par rapport au temps.
Il y a des mots qui sont en train de sortir de l’usage, d’autres ont des
acceptions qui ne s’utilisent plus. Il y a également des mots qui sont en train
d’entrer dans le lexique de la langue.
Les marques diatopiqes (région. pour régionalisme) situent la variation
par rapport à l’espace et précisent l’aire géographique d’emploi : pays
francophones ou régions de France. Il y a aussi des marques qui
transmettent des jugements de valeur liés aux variations concernant les
groupes sociaux ou les situations de communiation. Les niveaux de langue
sont des indications qui définissent l’attitude de la communauté en face des
comportements verbaux et la manière de considérer les discours oraux et
écrits. En effet, les locuteurs sont supposés porter des jugements sur les
mots et les expressions. Les indications « familier » (fam.), « populaire »
(pop.), « vulgaire » (vulg.), etc. donnent aux mots une valeur et indiquent
que certaines façons de parler sont considérées comme populaires, d’autres
au contraire comme marquant l’appartenance à un milieu social cultivé. La
situation de communication peut également être plus ou moins formelle,
caractérisant par un vocabulaire plus ou moins recherché ou familier chez
un même locuteur.
Il existe aussi des marques de domaine qui portent sur les mots et les
acceptions qui font partie des lexiques de spécialité. Elles précisent le
domaine du savoir et le secteur d’activité auxquels ils se rattachent et
l’usage linguistique de ces unités, propre à certains milieux
socioprofessionnels (par exemple, la marque méd. pour le domaine de la
médecine, la marque hist. pour le domaine de l’histoire, la marque biol.
pour la biologie).
Certains dictionnaires utilisent aussi des marques sémantiques qui
décrivent les liens qui unissent le sens propre des mots aux sens obtenus par
figure. Les indicateurs pour classer les différents sens à partir du sens
propre, présumé initial, font partie de la tradition lexicographique
privilégiant une description philologique et historique de la langue (fig., par
anal., par métaph., par méton, par ext., par restr., par spécialt.).
Les marques syntaxiques donnent des précisions sur les emplois des
mots en relation avec leurs sens et sur leur distribution par rapport aux
autres mots. En effet, la description explicite des conditions syntaxiques
d’emploi favorise l’interprétation des mots : ex. demander (à qqn) de (et
inf.).

5.2. LES RELATIONS LEXICALES

On a vu que le dictionnaire est un répertoire de mots qui respecte la


plupart du temps l’ordre alphabétique pour des raisons de commodité de
consultation. À cause de cette organisation, les mots sont dispersés d’une
façon arbitraire : des mots qui ont une affinité sémantique sont la plupart du
temps séparés (ex. : faire, défaire, refaire ; petit, grand), d’autres qui
devraient être séparés se suivent (ex. : enceinte, encens).
On peut constater que les relations lexicales, formelles et sémantiques,
que le mot-entrée entretient avec d’autres mots apparaissent dans la
microstructure du dictionnaire sous la forme de renvois qui se détachent du
texte de la microstructure par une typographie spécigfique.
Les homonymes peuvent présenter des ambiguïtés pour l’utilisateur du
dictionnaire. Les homonymes qui sont à la fois homophones (prononcés de
la même façon) et homographes (écrits de la même façon), comme par
exemple fraise (« fruit rouge ») et fraise (« outil de coupe entraîné par une
machine rotative pour usiner le bois, le métal ») ne posent pas de problèmes
car ils sont contigus à la nomenclature. En revanche, les homonymes qui ne
sont que homophones sans être homographes, comme conte, compte, comte,
ne peuvent pas être trouvés facilement par un lecteur ignorant leur graphie.
La présentation des homophones du mot-entrée permet alors au lecteur de
résoudre l’ambiguité phonique.
BEAU (PR électronique)
■ HOMONYMES : Bau, baud, baux (bail), bot.

Les relations sémantiques entre les unités lexicales, comme la


synonymie et l’antonymie sont indiquées, de façon explicite, dans un
grand nombre de dictionnaires de langue.

BEAU, BELLE (PR électronique)


1. Qui plaît à l’œil (opposé à laid). ➙ admirable, charmant, délicieux, éblouissant, éclatant,
enchanteur, exquis, gracieux, harmonieux, joli, magnifique, majestueux, merveilleux, mignon,
ravissant, splendide,
■ CONTRAIRES : Affreux, hideux, laid, vilain. Mauvais, médiocre.

6. PRÉSENTATION DE QUELQUES DICTIONNAIRES ACTUELS

Actuellement il y a plusieurs grands dictionnaires de langue en France,


comme les Robert, le Lexis, le Grand Larousse de la Langue française
(GLLF) et le Trésor de la Langue française (TLF), etc. Tous ces
dictionnaires veulent décrire la langue objectivement en refusant souvent
une normativité trop stricte. Certains de ces dictionnaires ont été influencés
par les recherches linguistiques contemporaines et ont même intégré leurs
acquis à leurs développements. Voici une présentation rapide (basée sur les
fiches descriptifs des éditeurs) de ces ouvrages qui peut donner une idée des
modèles lexicographiques réalisés :

6.1. LES ROBERT

Les dictionnaires Robert, qui sont à la fois descriptifs, historiques et


analogiques, se divisent en plusieurs ouvrages : Le Grand Robert de la
Langue française (1re éd. 1953 en 6 vol.), le Petit Robert (1re éd. 1967),
Dictionnaire du Français primordial ou Micro-Robert et le Robert
méthodique, etc.
Le Grand Robert présente 100 000 mots, 350 000 sens, 325 000 citations
littéraires, 25 000 expressions, locutions et proverbes, 2 000 notices
d’auteurs et d’œuvres. La version électronique de ce dictionnaire offre un
réseau d’un million de liens hypertextes, sur les synonymes, analogies,
contraires, dérivés et composés et des milliers de mots nouveaux : le
vocabulaire le plus actuel, des nouvelles technologies à la vie quotidienne,
la conjugaison intégrale de tous les verbes du dictionnaire, la possibilité de
cliquer sur n’importe quel mot pour naviguer facilement dans le
dictionnaire.
La nomenclature du Petit Robert, de plus de 60 000 mots (300 000 sens
et 35 000 citations), est très variée. En dehors des termes les plus utilisés de
la langue, elle comprend des mots scientifiques ou techniques, des mots
régionaux répandus et des néologismes acceptés dans la langue. Une grande
partie de ses exemples sont empruntés aux auteurs classiques et
contemporains. La version numérique de ce dictionnaire permet une
navigation optimale : la recherche multicritères, 180 000 liens hypertextes,
l’hyperappel depuis n’importe quelle application, etc.
Le Petit Robert micro est un dictionnaire pédagogique pour
l’apprentissage du français qui contient plus de 35 000 mots, 90 000
définitions (simples et précises pour chaque mot, chaque sens, chaque
locution), une description complète des mots (la prononciation en alphabet
phonétique, les niveaux de langue, des remarques sur la grammaire,
l’orthographe, les difficultés…) et de nombreux exemples d’emploi, des
tableaux pratiques (les verbes et les règles de conjugaison), etc. Le Robert
Méthodique, qui analyse les mots à partir des éléments qui les composent,
contient 34 290 mots, 1 730 éléments (radicaux, préfixes, suffixes), des
définitions complètes, claires et précises, des exemples nombreux et
adaptés, les niveaux de langue, les synonymes et les contraires, les
homonymes et les paronymes, les difficultés du français, tous les pluriels
difficiles, les verbes et leur conjugaison.

6.2. LE DICTIONNAIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE. LEXIS

Le Dictionnaire de la Langue française. Lexis (Larousse) est réalisé sous


la direction de J. Dubois. La spécificité de cet ouvrage se trouve dans la
pratique de la méthode des regroupements (appel à la notion de champ
sémantique pour réunir les dérivés et composés autour du « terme vedette »
choisi pour entrée) et des dégroupements (généralisation du traitement
homonymique). En raison de cette organisation, l’ordre alphabétique ne
peut pas être constamment respecté et ainsi l’ouvrage est contraint de
recourir à un système de renvois.
À la fin de l’ouvrage, un « dictionnaire grammatical » met en lumière les
phénomènes morphologiques, syntaxiques ou orthographiques les plus
importants de la langue française. Le Lexis présente systématiquement les
synonymes et les antonymes des mots d’entrée. Dans l’ensemble de ce
projet, on peut reconnaître des orientations clairement héritées de la
linguistique structurale.
Le lexique recensé par ce dictionnaire est relativement vaste (76 000
termes). Il intègre le vocabulaire usuel du français contemporain, le
vocabulaire moderne des sciences et techniques, des syntagmes figés,
certains mots dialectaux, des néologismes, etc. Il retient aussi des mots,
acceptions et exemples du français classique et littéraire ainsi que quelques
noms propres et sigles qui ont donné lieu à des dérivations. L’étymologie du
terme, sa date d’apparition, sa prononciation (transcription en API) sont
précisées. Enfin, des informations sur les registres de langue dont les mots
font partie complètent l’enracinement linguistique de ce dictionnaire.

6.3. LE GRAND LAROUSSE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Le Grand Larousse de la Langue française est à la fois un dictionnaire de


langue et une encyclopédie générale de grammaire et de linguistique. Cet
ouvrage décrit le vocabulaire général et les vocabulaires techniques. Il ne
néglige pas les œuvres des écrivains des XIXe et XXe siècles ni les termes
étrangers adoptés par le français. Tous les registres de langue y figurent. Sa
nomenclature comprend plus de 70 000 termes.
Le GLLF est aussi bien influencé par la lexicologie structurale que par
les dernières recherches concernant l’étymologie et la linguistique
historique. La distinction entre le sens propre et le sens figuré domine la
classification des emplois. L’étymologie, la prononciation (transcrite en
alphabet phonétique international) et la catégorie grammaticale du mot,
ainsi que ses synonymes et ses antonymes sont mis en lumière.
Les exemples, tirés soit du langage parlé, soit de la langue littéraire,
jouent un rôle déterminant dans les articles de ce dictionnaire. Le GLLF est
souvent considéré comme un « dictionnaire de phrases », parce que le
classement des sens d’un terme est lié à la distribution de ce terme dans la
phrase. Enfin, le GLLF est aussi une encyclopédie de la grammaire et de la
linguistique. Il développe les tendances actuelles de la linguistique.
Ce dictionnaire contient 178 000 définitions, 62 500 noms communs,
dont plus de 150 nouveaux mots, sens ou locutions dans de multiples
domaines, reflétant l’évolution de la société et de ses préoccupations
(sciences et médecine, société, technologies, arts et littérature, vie
quotidienne etc…) : explanter, lombricompostage, haschtag, décollecte,
cougar, ou encore certains mots issus des régions de France et du monde
francophone (billetage, papetière etc…). Il contient également 28 000 noms
propres : les pays, régions et villes du monde et les grandes personnalités
avec plus de 50 nouvelles personnalités du domaine des sciences, de la
culture, des arts, du sport, et de la politique. On y trouve aussi plus de 4 500
compléments encyclopédiques sur les grandes notions de culture générale,
plus de 1 500 remarques de langue et d’orthographe, un précis de
grammaire et tous les tableaux de conjugaison, 2 000 régionalismes et mots
de la francophonie et dans la grande tradition Larousse, les célèbres pages
roses, pour les locutions latines ou grecques, les proverbes, les mots
historiques. Il contient également 5 350 dessins, schémas, photographies,
drapeaux et cartes, plus de 150 planches et une chronologie universelle
illustrée de 1 250 évènements.

6.4. LE TRÉSOR DE LA LANGUE FRANÇAISE

Le Trésor de la Langue française est le fruit de recherches linguistiques


approfondies sur l’histoire et l’usage actuel du vocabulaire français. Le
Centre de recherche sur la langue française, fondé dans les années 60, a
pour but d’assurer une succession au Littré. Le travail d’une centaine de
chercheurs donne alors naissance à 16 volumes, parus entre 1971 et 1994. Il
s’agit d’une œuvre ambitieuse qui aujourd’hui représente le plus important
modèle du lexique dans l’histoire des dictionnaires de langue française
(100 000 mots avec leur histoire, 270 000 définitions, 430 000 exemples). Il
offre une analyse détaillée des mots du XIXe et du XXe siècles. À côté des
mots littéraires, sa nomenclature comprend des termes techniques,
scientifiques, régionaux, argotiques, historiques, etc. Les noms de pays et
de peuples ainsi que leurs dérivés sont également présentés. Les méthodes
d’analyse de ce dictionnaire sont fondées, dans la mesure du possible, sur
les procédures de l’analyse sémique et de l’analyse distributionnelle. Les
contextes attestés des acceptions des mots définis sont présentés en détails.
Au début des années 90, commence la phase de traitement informatique
du TLF, assurée par le CNRS au sein de l’Institut national de la langue
française, devenu Analyse et Traitement Informatique de la Langue
Française (ATILF) en 2001. Le traitement hautement élaboré décompose le
texte du TLFi en objets élémentaires (définitions, extraits littéraires où
apparaît le mot recherché, indicateurs de domaine technique, indicateurs
sémantiques, étymologiques et historiques, grammaticaux, stylistiques,
usages et emplois, synonymes et antonymes) et analyse les relations
hiérarchiques liant ces objets.

6.5. LE LITTRÉ OU DICTIONNAIRE DE LA LANGUE


FRANÇAISE

Le Littré ou Dictionnaire de la Langue française (1re éd. 1863-1874) a


été confectionné par Émile Littré. Sa forme plus condensée s’appelle
Dictionnaire de la Langue française abrégé du dictionnaire de Littré. Ce
dictionnaire, s’inspirant des principes de la linguistique du XIXe siècle,
privilégie l’évolution du mot et l’étymologie. Ses citations sont presque
exclusivement empruntées à la langue classique. Une grande partie du
contenu du dictionnaire est encore valable aujourd’hui. Cependant, certains
mots ont gagné ou perdu des sens, certains sont devenus obsolètes. Son
contenu très riche en fait un guide parfait pour découvrir, comprendre et
approfondir la maîtrise du français dans son usage jusqu’à la fin du
e
XIX siècle. Actuellement, cet ouvrage est plutôt considéré comme un
« monument culturel » que comme un instrument de connaissance de la
langue contemporaine.
L’édition 2007 du Nouveau Littré est basée sur le travail d’Émile Littré
pour offrir une mise en perspective de la langue française. Au texte original
de 1874 ont été ajoutés 20 000 entrées et 45 000 sens nouveaux qui donnent
la possibilité de retracer l’histoire de la langue française du XVIe à nos
jours. Au fil des mots peuvent se lire tant l’évolution de la langue que celle
du regard qu’une société porte sur elle-même et sur le monde.
Le Nouveau Littré est un dictionnaire littéraire qui multiplie les citations
des grands auteurs d’hier et d’aujourd’hui. Il offre à ses lecteurs une
grammaire française qui s’appuie sur les oeuvres des grands écrivains ; un
relevé commenté de quelques 500 nouveaux mots apparus en 2004 et 2005 ;
un portrait des 1 000 mots français les plus anciennement attestés, dont
beaucoup sont encore en usage aujourd’hui.
La version électronique du Nouveau Littré permet de retrouver
l’intégralité du dictionnaire, des articles du Littré d’origine (1874) aux mots
les plus récemment apparus ; elle permet parcourir le dictionnaire à travers
ses citations littéraires et accéder à de nombreuses fonctionnalités de
recherche : par étymologie, par auteur cité, par domaine d’emploi d’un mot,
par chaîne de cararctères, etc.

6.6. LE DICTIONNAIRE DU FRANÇAIS AU COLLÈGE

Le Dictionnaire du Français au collège (Larousse), en principe issu du


Dictionnaire du Français contemporain (Larousse) est fortement orienté
vers les préoccupations pédagogiques. Ce dictionnaire, dont la
nomenclature s’élève à 41 000 mots, privilégie la langue actuelle en
excluant les mots vieillis et archaïques ou trop spécialisés. Il est contre la
primauté traditionnelle de l’écrit, favorise l’usage parlé de la langue et évite
les exemples empruntés aux « grands auteurs ». La mention de
l’étymologie, de la prononciation, des synonymes ainsi que des antonymes,
et les remarques sur les difficultés grammaticales complètent l’ensemble.
Ce dictionnaire contient aussi 7 500 noms propres, 750 développements
encyclopédiques et un atlas de 55 cartes.
Il est intéresssant de noter que les dictionnaires ne proposent pas
seulement de faire une description du lexique dans les perfomances
verbales des sujets parlants, mais aussi celle des attitudes de ces sujets à
l’égard des types de comportements verbaux parlés ou écrits. Le
dictionnaire est un lieu de référence, il définit ses jugements d’acceptabilité
d’après une norme culturelle.
Même si les dictionnaires veulent être fidèles à leur rôle d’observateur
objectif qui répond à la demande des usagers de la langue, il existe toujours
des tabous culturels, religieux, politiques, sexuels ou autres. Les mots qui
remettent en cause les valeurs d’une communauté ne sont pas admis aussi
facielemnt que les termes techniques ou les mots désignant des attitudes
sociales. Le lexicographe supprime ce qui semble manifester des
contradictions entre les groupes sociaux, religieux ou politiques. Le
dictionnaire, comme tous les autres ouvrages de l’enseignement, vise à
donner une image de l’homme, norme idéale à laquelle doivent se
conformer tous les locuteurs.
Les nouveaux mots n’entrent dans la nomenclature des dictionnaires de
langue généraux que lorsque leur diffusion a atteint un seuil suffisant pour
que leur lexicalisation soit considérée comme acquise. En effet, le
lexicographe doit laisser vivre les mots avant de les faire entrer dans son
dictionnaire. À cause de ce décalage, la réalité extralinguistique dépasse
nécessairement le reflet de la norme lexicale, mais c’est sans doute cette
réalité qui pemet à la norme d’évoluer et de se modifier.

Dictionnaire encyclopédique et dictionnaire de langue


La différence qui existe entre ces deux types d’ouvrages porte sur la nature des informations
données (cf. p. 161). L’encyclopédie s’intéresse avant tout à la chose désignée par le mot. Les
cartes, les photos, les dessins et les planches ont tendance à occuper une place importante dans ses
articles.
Quant au dictionnaire de langue, il est axé plutôt sur la description du matériel et du système de la
langue. Il énumère les particularités linguistiques du signe. Il donne des renseignements sur la
nature et le genre grammatical des mots, leur forme graphique et sonore, leur étymologie, leur
signification, leurs valeurs expressives, leur mode d’emploi, leur degré de spécialisation ou leur
appartenance aux différents niveaux de langue, etc.
Il est intéressant de comparer ces deux articles de dictionnaire. Le premier a été tiré du Petit
Larousse encyclopédique (1) et le second du Petit Robert (2) :
1) CHAT, CHATTE n. (lat. cattus). 1. Mammifère carnivore au museau court et arrondi, aux
griffes rétractiles, dont il existe des espèces domestiques et des espèces sauvages. (Famille des
félidés.) Le chat miaule, pousse son cri. 2. Fam. Il n’y a pas un chat : il n’y a personne. – Avoir un
chat dans la gorge : être enroué. – Appeler un chat un chat : dire les choses telles qu’elles sont. –
Avoir d’autres chats à fouetter : ne pas avoir le temps, avoir vraiment autre chose à faire. –
Donner sa langue au chat : renoncer à deviner, s’avouer incapable de répondre à une question. – Il
n’y a pas de quoi fouetter un chat : ça n’est pas très grave. – Acheter chat en poche : acheter sans
regarder la marchandise. 3. Jouer à chat : jouer à un jeu de poursuite dans lequel un des joueurs, le
chat, poursuit et touche un autre joueur qui devient chat à son tour. 4. Chat à neuf queues : fouet à
neuf lanières.

2) CHAT, CHATTE [ʃa, ʃat] n. – xiie ; bas lat. cattus. 1.1. Petit mammifère familier à poil doux,
aux yeux oblongs et brillants, à oreilles triangulaires et griffes rétractiles, qui est un animal de
compagnie. ⇒ matou ; FAM. minet, minou, mistigri. Un chat (SPÉCIALT le mâle adulte) ; une
chatte et ses chatons. Chat noir, gris, blanc. Chat européen dit chat commun, chat de gouttière.
Chat tigré. Chat tricolore. Chat gris. ⇒ chartreux. Chat abyssin, birman. Chat angora, siamois,
persan. « La Chatte », roman de Collette. Le Chat botté, héros d’un conte de Perrault. Les
moustaches, la queue du chat. Le chat fait ses griffes, fait patte de velours*. Le chat miaule ( ⇒
miaou), ronronne, fait le gros dos. Litière* de chat. « Les chats puissants et doux, orgueil de la
maison » (Baud.). « L’idéal du calme est dans un chat assis » (Renard). Caresser un chat. Chat

tueur de souris, de rats. Petits chats ( 2. chaton). Chat retourné à l’état sauvage. ⇒ haret. Peau
de chat Poil, fourrure du chat. ⇒ robe. Herbe* aux chats : cataire. – Être gourmand, câlin,
caressant comme un chat. Amoureuse* comme une chatte. Adj. Elle est chatte, câline. – T.

d’affection Mon chat, ma petite chatte. LOC. et ADV. La nuit tous les chats sont gris : on confond
les personnes, les choses dans l’obscurité. – Quand le chat n’est pas là, les souris dansent : les
subordonnés s’émancipent quand les supérieurs sont absents. Ne réveillez* pas le chat qui dort –
Chat échaudé craint l’eau froide : une mésaventure rend prudent à l’excès. – À bon chat bon rat :
la défense, la réplique vaut, vaudra l’attaque. – Jouer avec sa victime comme un chat avec une
souris. – Comme chien* et chat – Écrire comme un chat, d’une manière illisible, désordonnée. ⇒
griffonner. – Appeler* un chat un chat. – C’est de la bouillie* pour les chats. – Pipi* de chat. –
Toilette de chat : toilette sommaire. – FIG. Avoir un chat dans la gorge : être enroué. – VIEILLI
Acheter chat en poche, sans connaître, sans examiner ce qu’on achète. – MOD. et COUR. Il n’y a pas
un chat : il n’y a absolument personne. « Pas un chat dans les rues du village » (Daud.) – Il n’y a
pas de quoi fouetter un chat : la faute, l’affaire est insignifiante ; ne mérite pas de punition. Avoir
d’autres chats à fouetter, d’autres affaires en tête, plus importantes. – Donner sa langue au chat :
s’avouer incapable de trouver une solution. à CHORÉGR. Saut de chat : bond latéral, les deux jambes
repliées sous le corps. ◊ LANGUE DE CHAT : biscuit de cette forme. ◊ Œil de chat : agate. 2. Personne
qui poursuit les autres (à un jeu) ; jeu de poursuite. C’est toi le chat. Jouer au chat perché (ACAD.),
à chat perché. On crie « Chat » en touchant celui qu’on poursuit. 3. ZOOL. Mammifère Carnivore
(félidés) dont le chat (1°) est le type. Chat domestique. Chats sauvages. ⇒ guépard, ocelot, serval.
⇒ ⇒
Chat-tigre. margay. ◊ Poisson-chat poisson.
EXERCICES CORRIGÉS

1) LES AFFIXES DÉRIVATIONNELS ET LES AFFIXES


FLEXIONNELS

Découpez les affixes des mots de la liste suivante. Précisez quels sont
les affixes flexionnels et les affixes dérivationnels en discutant ces
notions.

illégal, activité, poliment, petite, chatte, (je) danserais, (les) grands garçons, (les) grands amis,
(nous) taisions, encolure, bonnes

COMMENTAIRE DE L’EXERCICE

Parmi les morphèmes grammaticaux liés on trouve des affixes


dérivationnels ou des affixes flexionnels.

1) Les mots qui contiennent des affixes dérivationnels :


Selon la place de l’affixe dérivationnel et le mode de combinaison avec la
base, on distingue trois types de dérivation en français, la préfixation, la
suffixation et le mode de formation parasynthétique. L’adverbe poliment,
l’adjectif illégal et les substantifs activité et encolure sont des mots dérivés.
Poliment a été créé à partir d’une base adjectivale poli, -e [pɔli] à laquelle
on a ajouté le suffixe dérivationnel – ment [mɑ̃ ]. L’adjectif illégal [i(l)legal]
a été formé à l’aide du préfixe il- [i(l)], placé avant la base adjectivale légal
[legal]. Le substantif encolure [ãkɔlyʀ] est un mot parasynthétique : il a été
formé à l’aide du préfixe en- [ɑ̃ ] et du suffixe -ure [yʀ] qui ont été rajoutés
simultanément à la base nominale col [kɔl].
2) Les mots qui contiennent des affixes flexionnelles :
La morphologie flexionnelle comprend la flexion verbale, qui gère les
marques de temps, de personnes et de modes des verbes, et la flexion
nominale qui s’occupe de la variation de la forme du substantif et de
l’adjectif, des déterminants et des pronoms. Les affixes flexionnels
indiquent les rapports que la base entretient avec l’énoncé où elle est
employée.

a) Les affixes de la flexion verbale :


La forme verbale (je) danserais peut être découpée en morphèmes de la
façon suivante : dans- [dɑ̃ s] (base) + -erai- [Rε] (affixe flexionnel de
temps : conditionnel) + -s [ø(z)] (affixe flexionnel : personne 1). La forme
verbale (nous) taisions contient les morphèmes suivants : tais-[tez] (base)
+ i-[j] (affixe flexionnel de temps : imparfait) + – ons [ɔ̃(z)] (affixe
flexionnel : personne 4). Notons que dans la grammaire traditionnelle, on a
l’habitude de parler de trois personnes du singulier et des trois personnes du
pluriel. Cette terminologie est critiquable parce que les dites personnes du
pluriel ne désignent pas un groupe composé de personnes du singulier :
« nous », par exemple ne renvoie pas à une collectivité de « je », mais
désigne « je et toi », « je et vous », « je et eux », etc. Les grammaires plus
modernes considèrent qu’il y a six personnes : 1 = je ; 2 = tu ; 3 = il, elle ;
4 = nous ; 5 = vous ; 6 = ils, elles. (cf. Aïno Niklas-Salminen, Le verbe,
« Cursus », Armand Colin, 2012).

b) Les affixes de la flexion nominale :


Les adjectifs petite et bonnes et les substantifs chatte et garçons
contiennent des affixes de la flexion nominale. L’adjectif s’accorde en genre
et en nombre avec le substantif auquel il se rapporte. Les règles de cet
accord sont différentes à l’écrit et à l’oral. À l’oral, le féminin se termine le
plus souvent par un son consonantique, absent au masculin : [pətit] / [pəti] ;
[bɔn] / [bɔ̃]. À l’écrit, le féminin ne se distingue du masculin que par un – e
final supplémentaire : petite / petit ; bonne / bon. Quelques modifications
peuvent affecter la base, comme le doublement de la lettre-consonne qui
précède ce – e (ex. bonne / bon).
Si l’on se base sur la forme écrite de ces adjectifs, on peut dire que le
féminin se forme sur le masculin par l’adjonction de la lettre – e. Et si, au
contraire, on se base sur la forme orale des adjectifs, on peut dire que le
masculin se forme sur le féminin par la suppression de la consonne finale.
La disparition de cette consonne peut entraîner de petites modifications au
niveau de la base, comme la nasalisation de la voyelle [ɔ] après la chute de
la consonne nasale de [bɔn].
Le substantif chatte qui pésente une variation en genre (masc. chat), est
conforme à ce schéma de fonctionnement. Pour le substantif, la flexion
n’apparaît que comme l’un des moyens de marquer l’opposition de genre,
alors qu’elle est le seul utilisé pour l’adjectif.
Le pluriel des substantifs garçons et amis, ainsi que de l’adjectif grands
est indiqué par l’adjonction de la consonne – s à l’écrit. Si le nombre est
toujours marqué dans l’écrit, il n’en va pas de même à l’oral où les
déterminants sont parfois seuls à l’indiquer : les grands garçons
[legʀɑ̃ gaʀsɔ̃]. Dans les grands amis, grâce à la liaison, le pluriel de
l’adjectif est prononcé [legʀɑ̃ zami]. On peut donc poser qu’il existe un
morphème de nombre pour le substantif et l’adjectif qui est [z], et que ce [z]
est élidé devant consonne ou rien : [lezgʀɑ̃ zgaʀsɔ̃] → [legʀãgaʀsɔ̃].

2) LA DÉRIVATION SUFFIXALE

Expliquez les processus de formation des mots de ce corpus :

tiédeur, campeur, dormeur, épaisseur, déménageur, grosseur, guérisseur, menteur, rôdeur,


ravisseur, rousseur, chasseur, demandeur, parieur, grandeur

COMMENTAIRE DE L’EXERCICE

1) Les substantifs féminins :


Dans ce corpus, on trouve des substantifs féminins formés à partir d’une
base adjectivale : tiède [tjɛd] → tiédeur [tjed+œʀ], (épais) épaisse [epɛs]
→ épaisseur [epɛs+œʀ], (gros) grosse [gʀos]→ grosseur [gʀos+œʀ],
(roux) rousse [ʀus]→ rousseur [ʀus+œʀ], (grand) grande [gʀɑ̃ d] →
grandeur [gʀɑ̃ d+œʀ]. Le suffixe – eur dans ces mots signifie en gros
« l’état ou le caractère de ce qui est tiède, épais, gros, etc. ».
Il est important de remarquer qu’on a ajouté ce suffixe après la forme du
féminin des adjectifs variables. Le substantif tiédeur [tjed+œʀ] à été formé
à partir de adjectif épicène (ou invariable) tiède [tjɛd]. On peut noter que
l’adjonction du suffixe – eur à cette base a entraîné un changement
d’ouverture de la syllabe : tiède [tjɛd] → tiédeur [tjedœʀ]. La base
adjectivale tiède [tjɛd] ne contient qu’une syllabe qui est fermée. Le dérivé
tiédeur est composé de deux syllabes : tié-deur [tje-dœʀ]. Dans la syllabe
fermée [tjɛd], la voyelle e est ouverte [ɛ], tandis que dans la syllabe ouverte
[tje], elle est fermée [e]. Cette règle fait partie des règles phonologiques
générales qui caractérisent la langue française. La base présente donc deux
allomorphes [tjɛd] et [tjed].

2) Les substantifs masculins :


Dans ce corpus, on trouve aussi des substantifs masculins qui sont
formés à partir d’une base verbale : camper → campeur [kɑ̃ p+œʀ], dormir
→ dormeur [dɔʀm+œʀ], bâtir → bâtisseur [bɑtis+œʀ], déménager →
déménageur [demenaʒ+œʀ], guérir → guérisseur [geʀis+œʀ], mentir →
menteur [mɑ̃ t+œʀ], ravir → ravisseur [ʀavis+œʀ], chasser → chasseur
[ʃas+œʀ], demander → demandeur [d(ə)mɑ̃ d+œʀ], parier → parieur
[paʀj+œʀ]. Le suffixe – eur dans ces mots signifie « celui qui campe, dort,
bâtit, déménage, etc. ».
Les verbes camper, déménager, rôder, chasser, demander et parier font
partie des verbes de la classe 1 (verbes en – er). Les autres verbes
appartiennent à la classe 2 (verbes qui admettent un infinitif comportant un
R phonique) (cf. Aïno Niklas-Salminen, Le verbe, « Cursus », Armand
Colin, 2012, p. 24-25).
Les bases des verbes du corpus qui appartiennent à la classe 2 possèdent
deux allomorphes, une forme courte et une forme longue : dormir [dɔʀ]
(ex. je dors), [dɔʀm] (ex. nous dorm+ons) ; bâtir [bɑti], [bɑtis] ; guérir
[geʀi], [geʀis] ; mentir [mɑ̃ ], [mɑ̃ t] ; ravir [ʀavi], [ʀavis]. Le mot dérivé est
construit à partir de la base longue du verbe.
Ce corpus présente donc deux types de mots dérivés : des substantifs
féminins formés à partir d’une base adjectivale et des substantifs masculins
formés à partir d’une base verbale. Le suffixe – eur, dans les premiers,
désigne « l’état de ce qui est… », et – eur dans le deuxième indique « celui
qui fait l’action désignée par le verbe ». On peut donc dire qu’il existe deux
suffixes – eur homonymiques (p. 90) : ils sont écrits et prononcés de la
même façon, mais ils n’ont pas le même sens. On peut peut-être aussi parler
d’un suffixe polysémique qui a deux sens différents.

3) LES MOTS COMPOSÉS

Étudiez la forme et le sens des mots composés dans le corpus


suivant :

papier recyclé, papier mat, papier translucide, papier cristal, papier de soie, papier bible, papier
de Chine, papier journal, papier d’emballage, papier de bonbon, papier à cigarettes, papier
hygiénique, papier(-)peint, papier de verre, papier de boucherie, papier goudron, papier(-)filtre,
papier d’aluminium, papier d’étain

COMMENTAIRE DE L’EXERCICE

Dans ce corpus, on trouve des mots composés populaires formés de


plusieurs façons différentes à partir des mots qui ont une existence
autonome par ailleurs :

– Nom + adjectif (ou participe passé à valeur adjectivale) : papier recyclé, papier mat, papier
translucide, papier peint, papier hygiénique
– Nom + nom : papier cristal, papier bible, papier journal, papier goudron, papier(-)filtre
– Nom + préposition (de ou à) + nom (commun ou propre) : papier de Chine, papier
d’emballage, papier de bonbon, papier de verre, papier de boucherie, papier à cigarettes,
papier d’aluminium, papier d’étain

Le terme papier désigne une matière à base de cellulose, faite de fibres


végétales naturelles ou transformées, réduites en une pâte homogène que
l’on étend et sèche pour former une feuille mince. Les mots composés du
corpus indiquent :

– la nature et la fabrication du papier : papier recyclé


– l’aspect du papier : papier mat, papier translucide, papier cristal, papier de soie
– la qualité du papier : papier bible et papier de Chine (qualité supérieure), papier journal
(qualité inférieure)
– la destination du papier : papier d’emballage, papier de bonbon, papier à cigarettes, papier
hygiénique, papier(-)filtre, papier(-)peint
– le papier ayant reçu un apprêt particulier ou servant de support à une autre matière : papier de
verre, papier de boucherie, papier goudron
– par analogie, une feuille très mince : papier d’aluminium, papier d’étain

On peut constater que seulement deux composés du corpus (papier


d’aluminium, papier d’étain) sont exocentriques (« centrés vers
l’extérieur ») puisqu’ils ne désignent pas un papier, mais une feuille très
fine. Les autres composés du corpus sont endocentriques (« centrés vers
l’intérieur »). Par exemple, le papier cristal est un papier translucide et
assez raide, le papier de soie est un papier très fin et le papier bible est un
papier d’imprimerie opaque et très mince, etc.

4) L’EMPLOI MÉTAPHORIQUE DES MOTS

Étudiez les différents emplois du verbe bourdonner dans les extraits


suivants :
1. Les taons tournaient et bourdonnaient à la porte de l’écurie.
(RAMUZ, Aimé Pache, peintre vaudois, 1911).
2. Dans la salle à manger bourdonnait un ventilateur qui brassait
l’air tiède… (GREEN, Journal, 1941).
3. Une multitude endimanchée venait de se répandre hors de
l’église, et bourdonnait dans le cimetière (O. FEUILLET,
Histoire de Sibylle, 1863).
4. Pourquoi condamner si obstinément ma porte aux fâcheux (…)
et à tous ces gens indispensables et superflus qui, d’ordinaire,
gravitent et bourdonnent autour de moi? (A. ARNOUX, Zulma
l’infidèle, 1960).
5. Gilbert, qui a une jolie voix, chante les romances, mezza voce, et
toutes les voix bourdonnent au refrain. (DORGELÈS, Les Croix
de bois, 1919).
6. Les cloches bourdonnaient, les voitures passaient. (Ch.
GUÉRIN, Le Cœur solitaire, 1904).
7. Mes mains sont moites, mes oreilles bourdonnent, j’étouffe (DU
CAMP, Mémoires d’un suicidé, 1853).
8. Je le [mon père] surprenais à ces moments où il bourdonnait
pour lui-même une interminable chanson monotone (GIONO,
L’Eau vive, 1943).
9. Bourdonner ses peines (LITTRÉ, ROB.). Bourdonner sa fureur
(F. FABRE, Lucifer, 1884).
10. Cependant, la matinée s’avançait, les bureaux bourdonnaient au
loin ; des pas rapides traversaient les pièces voisines ; des portes
s’ouvraient, se fermaient…(ZOLA, Son Excellence E. Rougon,
1876).

COMMENTAIRE DE L’EXERCICE

Cet exercice porte sur le verbe bourdonner qui, au sens propre, indique
un bruit sourd et continu émis par le battement des ailes de certains insectes
(ex. bourdon et mouche). Cet emploi du verbe est présent dans l’exemple
(1) (les taons tournaient et bourdonnaient). Ce verbe a aussi des emplois
métaphoriques très fréquemment associés aux êtres humains et aux objets.
On sait que la métaphore repose sur une ressemblance et une analogie, elle
associe un terme à un autre appartenant à un champ lexical différent afin de
traduire une pensée plus riche et plus complexe que celle qu’exprime un
vocabulaire descriptif concret. Dans leurs emplois métaphoriques, les verba
sonandi (= verbes qui désignent un bruit) associés aux animaux font
référence à des bruits, des cris ou des sons produits par des êtres humains,
des objets et des éléments naturels. Tel ou tel cri ou son émis par tel ou tel
animal fait penser à telle ou telle façon de parler, de chanter, de crier, de
rire, de pleurer, etc. Le bruit peut aussi faire penser à un son émis par un
instrument de musique ou un objet. On peut s’intéresser aux différents types
d’émetteurs non animaux susceptibles d’apparaître avec le verbe
bourdonner.

1. Les emplois métaphoriques du verbe se rapportant à l’être


humain :
Beaucoup de verbes font référence au fait de parler en mettant en relief
les caractéristiques de la voix. Il y a une relation de ressemblance évidente
entre le chant ou le son émis par l’animal et la façon de parler de l’être
humain. Dans l’exemple (3) du corpus, le verbe bourdonner semble
désigner le fait de murmurer de façon continue des paroles indistinctes :
Une multitude endimanchée […] et bourdonnait dans le cimetière. Dans
l’exemple (9), bourdonner signifie « extérioriser ses préoccupations »
(bourdonner ses peines, bourdonner sa fureur).
Les différents emplois métaphoriques des verba sonandi associés aux
animaux peuvent traduire aussi les différentes façons de chanter : avec
douceur, d’une façon désagréable ou monotone, bruyamment, d’une voix
tremblante, etc. Le verbe bourdonner dans les exemples (5) et (8)
correspond au verbe chanter (toutes les voix bourdonnent au refrain ; il
bourdonnait pour lui-même une interminable chanson monotone).

2. Les emplois métaphoriques se rapportant à des objets :


Les verba sonandi associés aux bruits émis par des animaux sont souvent
employés également pour désigner un son produit par un instrument de
musique, un véhicule à moteur ou un engin mécanique (ex. (2) bourdonnait
un ventilateur qui brassait l’air tiède… ; (6) les cloches bourdonnaient). Le
verbe bourdonner peut désigner aussi le fait d’émettre un bruit plus ou
moins fort allant du ronronnement au vrombissement. Il y a des objets,
comme les cloches, dont le rôle est de lancer un bruit. Le verbe peut
indiquer que l’objet fonctionne bien, ou au contraire, qu’il fonctionne mal.
3. Les emplois métaphoriques du verbe soulignant des paramètres
secondaires associés aux animaux :
Les emplois métaphoriques des verba sonandi peuvent également
souligner des paramètres secondaires associés aux animaux. Dans
l’exemple (4), la composante sonore du verbe bourdonner s’efface
complètement devant l’idée d’un mouvement circulaire : tous ces gens
indispensables et superflus qui, d’ordinaire, gravitent et bourdonnent
autour de moi. Les verba sonandi associés aux bruits émis par des animaux
expriment fréquemment aussi des réactions spontanées de l’organisme,
souvent indépendantes de la volonté de l’individu. L’exemple (7) du corpus
illustre ce type d’emploi : le verbe bourdonner dans mes oreilles
bourdonnent veut dire « subir la sensation d’un bruit permanent ». Dans
l’exemple (10), le verbe désigne l’apparence d’une grande activité un peu
fébrile : les bureaux bourdonnaient au loin ; des pas rapides traversaient
les pièces voisines ; des portes s’ouvraient, se fermaient.
On peut dire que le verbe bourdonner est polysémique. Les sujets
parlants augmentent considérablement, à l’aide de la polysémisation, les
possibilités des mots déjà existants. La métaphore, qui consiste à donner à
un mot un sens qui ne lui convient qu’en vertu d’une comparaison sous-
entendue, joue un rôle considérable dans l’évolution du sens des mots.

5) LES ANTONYMES

Analysez les différents types d’antonymes dans les couples de mots


suivants :

patron – employé ; long – court ; garçon – fille ; avant – après ; professeur – élève ; haut – bas ;
présent – absent ; gros – mince ; médecin – patient ; prêter – emprunter ; légal – illégal ;
analysable – inanalysable

COMMENTAIRE DE L’EXERCICE

L’antonymie désigne une relation entre deux termes de sens contraires.


Tous les mots mis en opposition doivent avoir en commun quelques traits
qui permettent de les mettre en relation de façon pertinente. Dans ce corpus,
on rencotre plusieurs types d’antonymes :

1) Les antonymes complémentaires ou non gradables :


Les couples de mots garçon – fille et présent – absent semblent faire
partie de cette catégorie d’antonymes. Ces termes entretiennent entre eux un
rapport d’exclusion en divisant l’univers du discours en deux sous-
ensembles complémentaires. Entre garçon et fille ou présent et absent, il
n’y a pas de degrés intermédiaires. Analysable et inanalysable, ainsi que
légal et illégal semblent aussi appartenir à cette classe d’antonymes.
La négation de l’un des mots implique l’affirmation de l’autre, de même
que l’affirmation de l’un implique la négation de l’autre. Si on dit qu’une
personne est une fille, cela implique que cette personne n’est pas un garçon.
On est soit un garçon, soit une fille, on est soit présent, soit absent, etc.

2) Les antonymes gradables :


Les couples de mots long – court, avant – après, haut – bas et gros –
mince désignent seulement, aux extrémités d’une échelle, des points de
référence entre lesquels on peut insérer d’autres termes par gradation : long
– moyen – court, avant – maintenant – après, etc. Un adjectif appartenant à
cette classe connaît les degrés d’intensité de de comparaison. Quelqu’un
peut être plus gros que quelqu’un d’autre ou le plus gros de tous, etc.

3) Les antonymes réciproques :


Les antonymes de cette catégorie expriment la même relation, mais ils se
distinguent par l’inversion de l’ordre de leurs arguments : patron – employé,
professeur – élève ; prêter – emprunter. Le terme patron est le terme
réciproque du terme employé. Si quelqu’un prête une somme d’argent à
quelqu’un, cela implique que quelqu’un l’emprunte.

Il y a des couples de mots qui peuvent faire partie de deux catégories


d’antonymes. C’est le cas des mots avant et après qui ne sont pas
uniquement des antonymes gradables, mais qui peuvent également être
réciproques : si un événement se passe avant un autre événement, l’autre
événement se passe obligatoirement après. Le contexte définit souvent l’axe
selon lequel l’antonymie s’établit. Le mot garçon peut avoir comme
antonyme fille si l’on considère le sexe et homme si l’on considère l’âge.
Les antonymes peuvent également être établis par un dérivé formé à l’aide
d’un préfixe négatif : légal – illégal et analysable – inanalysable.

6) LA SYNONYMIE ET LA POLYSÉMIE

Proposez un synonyme aux adjectifs blanc et noir dans les groupes


nominaux suivants :

une peau blanche, des cheveux blancs, du verre blanc, une page blanche, (il est sorti de cette
affaire avec) les mains blanches, un mariage blanc, un vers blanc
une chambre noire, un ciel noir, une humeur noire, des idées noires, un jour noir, (regarder
quelqu’un d’)un œil noir, un marché noir

COMMENTAIRE DE L’EXERCICE

1. Les synonymes de l’adjectif blanc :

une peau blanche → claire


des cheveux blancs → argentés
du verre blanc → incolore
une page blanche → vierge
(il est sorti de cette affaire avec) les mains blanches → innocent, pur, blanchi
un mariage blanc → non consommé
un vers blanc → sans rime

2. Les synonymes de l’adjectif noir :

une chambre noire → obscure


un ciel noir → couvert, sombre
une humeur noire → troublée
des idées noires → funestes, funèbres
un jour noir → désastreux, catastrophique
(regarder quelqu’un d’)un œil noir → avec irritation, colère
un marché noir → clandestin

Cet exercice montre clairement que les adjectifs blanc et noir sont
polysémiques, c’est-à-dire qu’ils peuvent avoir des significations
différentes. Les synonymes proposés ne sont pas les mêmes dans les
contextes linguistiques différents. L’adjectif blanche dans le groupe
nominal une peau blanche peut commuter avec l’adjectif claire et dans le
groupe nominal une page blanche avec l’adjectif vierge. Les cheveux
blancs sont des cheveux argentés, un verre blanc est un verre incolore, un
mariage blanc est un mariage non consommé et un vers blanc un vers sans
rime. Quelqu’un qui a les mains blanches est quelqu’un d’innocent, etc. De
même, l’adjectif noir commute avec des adjectifs différents suivant les
contextes : obscur, couvert, troublé, funeste, désastreux, clandestin, illégal,
etc. Regarder quelqu’un d’un œil noir veut dire qu’on le fait avec irritation
ou avec colère.
La synonymie désigne la relation que deux ou plusieurs mots différents
ayant le même sens entretiennent entre eux. Deux mots sont synonymiques
s’ils peuvent commuter entre eux dans le même contexte. En effet, il y a
une équivalence sémantique entre obscur et noir quand on remplace : une
chambre noire par une chambre obscure. Mais, lorque l’on parle d’un jour
noir, l’adjectif noir ne commute pas avec l’adjectif obscur, mais avec
désastreux ou catastrophique.
Les antonymes des adjectifs blanc et noir changent aussi en fonction du
contexte. Le contraire de la peau blanche est la peau noire ou mat, ou
encore bronzée. Le contraire de blanc dans un verre blanc est coloré, le
contraire de blanche dans la page blanche est remplie, etc. Le facteur
contextuel joue donc un rôle considérable dans l’antonymie comme dans la
synonymie, puisque le contexte définit l’axe selon lequel ces deux relations
lexicales s’établissent. Il est souvent impossible de définir un mot donné
sans le remettre dans son contexte.

7) LE SENS PROPRE ET LE SENS FIGURÉ


Étudiez les emplois des mots chambre, buse, café et souris dans les
extraits suivants :
1) Elle [Nana] vivait au premier étage, dans ses trois pièces, la
chambre, le cabinet et le petit salon. (Zola, Nana, 1880).
2) Je ne connais pas grand-chose au mobilier, mais sa chambre m’a
paru magnifique : un lit d’acajou massif, une armoire à tois
portes, très sculptée, des fauteils recouverts de peluche et sur la
cheminée une énorme Jeanne d’Arc en bronze. (Bernanos,
Journal d’un curé de campagne, 1936).
3) Ni les éperviers, ni les buses ne songeaient à faire de Margot leur
pâture, préférant aux aléas d’une course et d’une lutte pour un
morceau si peu friand, la chasse aux passereaux inférieurs, aux
gallinacés sauvages, à la chair délicate, et incapables de se
soustraire autrement que par la fuite à leur attaque impérieuse et
violente. (Pergaud, De Goupil à Margot, 1910).
4) Quatre années de solitude, avec des buses savantes, qui
répondent après avoir pensé un quart d’heure, m’assomment…
(Stendhal, Correspondance, 1842).
5) Une balle de café, la torréfaction du café.
6) Le café moulu se trouve dans le filtre de la cafetière et dès que
l’eau bout dans la bouilloire, il la verse… (Simenon, Les
Vacances de Maigret, 1948).
7) … nous cassâmes une croûte dans un « bon endroit » que nous
désigna le brigadier, prîmes le café, puis la goutte… (Verlaine,
Mes prisons, 1893).
8) Les cafés de Montmartre sont morts. Ils ont été remplacés par
des débits, des bars ou des grills. Je connais pourtant un petit
bistrot, un bois et charbons, où le bonheur et le pittoresque se
conçoivent encore. (Fargue, Le Piéton de Paris, 1939).
9) Il aperçut, en relevant la tête, une petite souris blanche qui
sortait d’un trou. (Flaubert, St l’Hospitalier, 1877).
10) Ah ! si tu m’avais connue il y a seize ans, quand je suis entrée
dans la classe préparatoire ! Une vraie petite souris rousse.
(Martin du Gard, Les Thibault, 1923).

COMMENTAIRE DE L’EXERCICE

Les quatre mots chambre, buse, café et souris sont polysémiques. Les
sujets parlants ont tendance à augmenter considérablement les possibilités
des mots existants grâce à la polysémisation. Le substantif chambre peut
désigner à la fois une pièce d’habitation aménagée principalement pour le
sommeil (ex. 1) et le mobilier de cette pièce (lit, table, chaises, etc.) (2). Le
mot buse au sens propre désigne un oiseau rapace diurne, au plumage à la
coloration variable selon les espèces, se nourissant de rongeurs, de reptiles,
de petits oiseaux (3). Le même mot peut désigner une personne sotte et
ignare (4). Le mot café peut avoir comme référents : la graine du caféier
(5), cette graine après la torréfaction (6), la boisson aux propriétés
stimulantes et toniques obtenue par l’infusion des graines torréfiées et
moulues (7) et même l’établissement où l’on consomme des boissons (8).
Le substantif souris au sens propre désigne un petit mammifère rongeur
omnivore (9), et au sens figuré une personne (10).
La métonymie et la métaphore jouent un rôle important dans la
polysémisation des mots. La métonymie consiste à désigner un objet par le
nom d’un autre objet uni au premier par une relation de contiguïté, qui peut
être celle du tout à la partie, du contenant au contenu, de l’objet matériel à
la matière dont il est fait, etc. Par métonymie, de la graine du caféier le nom
est passé à cette graine après la torréfaction, puis à la boisson obtenue par
l’infusion des graines torréfiées et moulues, et enfin à l’établissement où
l’on consomme du café et d’autres boissons. Le mot café est utilisé de façon
efficace pour parler de toutes ces réalités. Il existe aussi un rapport de
contiguïté entre la pièce d’habitation aménagée pour le sommeil et le
mobilier de cette pièce. Le substantif chambre désigne ces deux réalités.
La métaphore consiste à donner à un mot un sens qui ne lui convient
qu’en vertu d’une comparaison sous-entendue. Une personne, par son
comportement, son allure, sa petite taille, peut faire penser à une souris et
une personne sotte et ignare peut avoir des ressemblances avec une buse à
la tête figée lorsqu’elle guette sa proie.
8) LA PASSIVABILITÉ DES VERBES

Essayez de mettre ces phrases actives à la forme passive. Peut-on


prévoir la passivabilité d’un verbe ?

1) Valentin a essuyé un affront.


2) Valentin a essuyé une table.
3) Valentin respire la santé.
4) Valentin respire le gaz.
5) L’enfant saisit la balle.
6) Le commerçant saisit l’occasion.
7) Une jeune fille salit le parquet.
8) La jeune fille salit sa réputation.

COMMENTAIRE DE L’EXERCICE

On peut remarquer que le lexique a une influence considérable sur la


formation du passif. En effet, il y a des verbes qui peuvent se mettre au
passif, d’autres non. Il est difficile de prédire la passivabilité d’un verbe en
français : deux phrases de structure identique, avec un même verbe ne
donnent pas toujours lieu toutes les deux à un emploi passif.
Si l’on observe les phrases citées, on constate que la phrase (1) Valentin a
essuyé un affront se met plus difficilement au passif ( ?Un affront a été
essuyé par Valentin) que la phrase (2) Valentin a essuyé une table (Une
table a été essuyée par Valentin), qui pourtant a été construite de la même
façon au niveau syntaxique. La même chose se passe avec les deux phrases
suivantes : (3) Valentin respire la santé → *La santé est respirée par
Valentin ; (4) Valentin respire le gaz → Le gaz est respiré par Valentin.
Certains chercheurs prétendent que l’impassivabilité d’un verbe peut
découler de son emploi dans un sens figuré ou métaphorique. Dans les
exemples cités, seuls les verbes utilisés dans leur sens propre sont
passivables, alors que les autres ne le sont pas du tout ou ne le sont que
difficilement.
Mais comment pourrait-on expliquer le fait que les phrases 6 et 8
admettent un passif au sens figuré ? (5) L’enfant saisit la balle → La balle
est saisie par l’enfant ; (6) Le commerçant saisit l’occasion. → L’occasion
est saisie par le commerçant ; (7) Une jeune fille salit le parquet → Le
parquet est sali par une jeune fille ; (8) La jeune fille salit sa réputation →
Sa réputation est salie.
Le problème ne semble pas se situer dans le sens figuré des verbes
concernés, mais plutôt dans la plus ou moins grande cohésion entre le verbe
et son objet. Mais il n’est pas clair par ailleurs quel est le critère d’un sens
figuré, ni pourquoi un tel sens serait incompatible avec le passif. Les
grammairiens laissent entendre que « sens propre » est intuitivement
assimilé à « sens abstrait », donc « dérivé, secondaire ».
Mais peut-on parler d’un même sens, se partageant en « propre » et
« figuré » pour, par exemple, le verbe respirer ? Dans respirer le gaz, on a
affaire à une action, dans respirer la santé, à un état ou une propriété. On ne
voit pas non plus en quoi essuyer un affront serait le sens figuré d’essuyer
une table. Il s’agit en fait, du moins synchroniquement, de verbes
complètement différents : sémantiquement, essuyer un affront est proche de
subir et donc sans rapport aucun avec essuyer une table.
Là où il paraît au moins raisonnable d’opposer sens propre à sens figuré à
propos d’un même verbe, cette opposition ne se reflète pas nécessairement
au niveau de la passivabilité. Ainsi, saisir la balle et saisir l’occasion, salir
le parquet et salir la réputation montrent que le sens figuré d’un verbe
n’entraîne pas nécessairement son impassivabilité. (cf. David Gaaton, Le
passif du français, Duculot, 1996).

9) L’ANALYSE SÉMIQUE

Proposez des pistes pour une analyse en traits sémantiques des mots
suivants :
1) ballerine : chaussure de femme, plate et très décolletée,
rappelant un chausson de danse
2) basket : chaussure de sport lacée, en toile, à tige haute, à semelle
de caoutchouc
3) bottine : chaussure montante ajustée, élégante, à élastique ou à
boutons
4) brodequin : chaussure montante de marche, lacée sur le cou-de-
pied
5) chaussure : chacun des deux objets fabriqués protégeant le pied,
à semelle résistante, et qui couvre le pied sans monter plus haut
que la cheville
6) cycliste : chaussure plate lacée rappelant celle des coureurs
cyclistes
7) escarpin : chaussure très fine, qui laisse le cou-de-pied
découvert et dont la semelle est très mince
8) espadrille : chaussure dont l’empeigne est de toile et la semelle
de sparte tressé ou de corde
9) godillot : chaussure militaire à tige courte
10) joggeur : chaussure de sport basse, à semelle épaisse et crantée,
fermée par des lacets ou des velcros
11) mocassin : chaussure basse (de marche, de sport), très souple,
généralement sans attaches
12) pataugas : chaussure montante en toile robuste et à semelle
épaisse, destinée à la marche
13) richelieu : chaussure basse lacée
14) soulier : chaussure à semelle résistante, qui couvre le pied sans
monter beaucoup plus haut que la cheville
15) tennis : chaussure basse, à semelle de caoutchouc souple et
adhérente

COMMENTAIRE DE L’EXERCICE

En français il y a beaucoup de substantifs qui désignent des chaussures


puisqu’il y a plusieurs types de chaussures. Dans ce corpus, il y a des mots
qui désignent des chaussures basses, comme la ballerine, le cycliste,
l’escarpin, le mocassin, le joggeur, le richelieu, le tennis, le soulier. D’autres
désignent des chaussures montantes, comme la bottine, le brodequin, le
pataugas. Il y a des chaussures de sport, comme le basket, le brodequin, le
joggeur, le mocassin, le pataugas. Certaines chaussures sont lacées (le
basket, le brodequin, le cycliste, le joggeur, le richelieu), d’autres sont
décolletées et fines (la ballerine, l’escarpin), d’autres encore ont des
semelles particulièrement résistantes. La semelle peut être en caoutchouc
(le basket, le tennis) ou en corde (l’espadrille). Il y a des chaussures très
fines et élégantes (l’escarpin, la ballerine), ou au contraire, très robustes (le
godillot).
On peut donc tenter de décrire la situation respective des termes du
champ sémantique les uns par rapport aux autres par des traits oppositifs.
Pour qu’un ensemble d’unités lexicales soit pourvu de signification, il faut
que leurs contenus diffèrent par au moins un trait sémantique. Le mot
chaussure est l’hyperonyme (ou archilexème) des autres mots du corpus.

10) LA NÉOLOGIE FORMELLE

Étudiez les procédés de formation de ces néologismes récents :


1) BAFA, n.m., inv. (< Brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur)
2) bédéphile (B.D.phile), adj. et s.m. (< B.D. < bande dessinée + -
phile)
3) bioterrorisme, n.m. (< bio(logie) + terrorisme)
4) clavarder, v. intr. « dialoguer avec d’autres internautes » (<
clav(ier) et (ba)varder)
5) copier-coller, n.m. « opération consistant à copier (une portion
de texte, une image) puis à l’insérer à un autre endroit du même
document ou dans un document différent »
6) désamianter, v. « débarrasser (un bâtiment) de l’amiante qu’il
contient » (< dés- + amiant(e) + er)
7) mobinaute, n. « internaute qui utilise des terminaux mobiles
(téléphone portable, ordinateur de poche…) pour accéder à
Internet » (< mobi(le) et (inter)naute)
8) PACS, n.m. (< Pacte Civil de Solidarité)
9) pacser, v. intr. (< PACS + -er)
10) primoaccédant (e), n. « personne qui accède pour la première
fois à la propriété de son logement » (< primo (lat.) + accédant)
11) refondation, n.f. « action de refonder (la refondation sociale) »
(< re- + fondation)
12) sidéen, enne, adj., s.m. et s.f. (< SIDA + -en, -enne)
13) sidologue, s.m. (< SIDA + logue)
14) virophage, n.m. « un virus capable d’infecter d’autres virus »
(< vir[us] → viro (lat.) + phage (élément du grec -phagos et -
phagia, de phagein) « manger »)

COMMENTAIRE DE L’EXERCICE

Dans ce corpus, on trouve des mots dérivés. Le mot (11) refondation a


été formé à l’aide de la préfixation (< re- + fondation) et le mot désamianter
est un mot parasynthétique (< dés- + amiant(e) + er). Ce corpus présente
aussi des mots composés. La composition populaire combine deux mots
français : (5) copier-coller et la composition savante réunit des mots grecs
ou latins : (23) virophage (< vir[us] → viro (lat.) + phage (élément du grec
-phagos et -phagia, de phagein) « manger »). Le mot (10) primoaccédant(e)
est un composé hybride qui mêle le latin au français (< primo (lat.)
+ accédant).
Le néologisme (3) bioterrorisme repose sur la troncation du mot
biologie suivi du mot français terrorisme. Une autre façon d’écourter les
mots est l’emploi des sigles qui sont des unités formées par les initiales ou
les deux ou trois premières lettres des mots d’un groupe. Par exemple, (1)
BAFA a été construit à partir des initiales de l’expression Brevet d’aptitude
aux fonctions d’animateur et (8) PACS à partir de Pacte Civil de Solidarité.
Ces suites de lettres sont prononçables, il s’agit donc de sigles acronymes.
Dans le corpus, on trouve aussi des sigles acronymes combinés avec des
éléments grecs : (2) bédéphile (B.D.phile) (< B.D. < bande dessinée + -
phile), (13) sidologue, s.m. (< SIDA + logue). Les deux mots suivants sont
des sigles suffixés : (9) pacser (< PACS + -er) et (12) sidéen, enne (< SIDA
+ -en, -enne).
Les néologismes (4) clavarder et (7) mobinaute sont des amalgames (ou
mots-valises). Ces nouvelles unités lexicales ont été formées par la
contamination de deux mots existants : clav(ier) + (ba)varder → clavarder
et mobi(le) + (inter)naute → mobinaute. Formellement l’amalgame se
caractérise par le téléscopage de deux bases, dont chacune est tronquée :
clav(ier) et (ba)varder → clavarder. Sémantiquement, l’originalité de ce
type de mots tient à ce qu’il signifie que « X est à la fois A et B ». Ces
manipulations aboutissent toujours à un mot dont la forme respecte la
longueur ainsi que la structure syllabique admises en français.

11) LA NÉOLOGIE SÉMANTIQUE

Étudiez ces néologismes sémantiques présents dans le lexique du


français parlé en Algérie :
1) Abreuvoir : le lieu de consommation des boissons alcoolisées
2) Afghan : un islamiste algérien qui déclare avoir combattu en
Afghanistan
3) Andalou : un genre précis de musique algérienne d’origine
andalouse
4) Attirance : le fait d’attirer
5) Auscultation : toute consultation médicale
6) Balloner ou faire le ballon : mettre enceinte
7) Bar ambulant : le véhicule où l’on vend clandestinement des
boissons alcoolisées
8) Barbu : un frère musulman intégriste
9) Bouffer : détourner, voler les biens de l’état
10) Branché : celui qui capte les émissions télévisées étrangères
11) Frère et sœur : les militants des partis politiques et même le
citoyen et la citoyenne interpellés par le pouvoir
12) Égaré : un terroriste
13) Importer : faire venir d’une autre région d’Algérie
14) Tapeur : le footballeur ou le musicien qui joue d’un instrument
à percussion

(cf. Ambroise Queffélec et al. : Le français en Algérie. Lexique et


dynamique des langues, Éditions Duculot, 2002).

COMMENTAIRE DE L’EXERCICE

La néologie sémantique consiste à créer une acception nouvelle pour un


mot existant.
Le recours à ce type de néologie est souvent provoqué par des contraintes
idéologiques, socioculturelles ou civilisationnelles. Beaucoup de mots du
système linguistique français sont utilisés de manière particulière par les
locuteurs algériens avec des glissements sémantiques qui sont déterminés
au moment même de l’activité de parole par le contexte extralinguistique,
d’une part, et par les différentes relations syntagmatiques qu’entretient
l’unité cible avec toutes les autres unités lexicales contextuelles, d’autre
part. La néologie sémantique peut revêtir plusieurs formes :

1) Le transfert de sens :
Certains mots du corpus ont été touchés par le transfert de sens. Le
substantif attirance ne désigne pas la force qui s’exerce sur les êtres et les
attire vers quelqu’un ou quelque chose, mais le fait d’attirer. Le verbe
bouffer ne veut pas dire « manger », mais « détourner, voler les biens de
l’état ». Le branché est celui qui capte les émissions télévisées étrangères,
et le tapeur le footballeur ou le musicien qui joue d’un instrument à
percussion.

2) La restriction de sens :
Certains mots du corpus ont un sens plus restreint qu’en français
normatif. C’est le cas du mot andalou qui désigne un genre précis de
musique algérienne d’origine andalouse, du mot barbu qui désigne un frère
musulman intégriste et du verbe importer qui veut dire « faire venir d’une
autre région d’Algérie ».

3) L’extension de sens :
Il y a aussi des mots qui ont vu leurs sens s’étendre. L’afghan n’est pas
seulement un habitant de l’Afghanistan, mais aussi un islamiste algérien qui
déclare avoir combattu en Afghanistan. Le substantif auscultation ne
désigne pas l’action d’écouter les bruits qui se produisent à l’intérieur de
l’organisme pour faire un diagnostic, mais toute consultation médicale. Les
frères et sœurs sont des militants des partis politiques et les citoyens et les
citoyennes interpellés par le pouvoir.

4) La métaphorisation :
La métaphore, cette figure fondée sur la ressemblance, joue un rôle
considérable dans la néologie sémantique. On comprend bien pourquoi le
mot abreuvoir, dans ce corpus, désigne « le lieu de consommation des
boissons alcoolisées », le verbe balloner ou faire le ballon « mettre
enceinte », le mot composé bar ambulant « le véhicule où l’on vend
clandestinement des boissons alcoolisées » et égaré « un terroriste ».

12) LES EMPRUNTS

Observez les domaines d’expérience touchés par les mots empruntés


suivants présentés dans le dictionnaire Petit Robert électronique, 2012 :

1) capoeira [kapue(j)Ra] nom féminin


ÉTYM. 1987 <> mot brésilien, du tupi
Danse brésilienne inspirée de la lutte et des danses africaines
traditionnelles, qui enchaîne en souplesse des figures
acrobatiques et des mouvements de combat.
2) falafel [falafel] nom masculin
ÉTYM. 1985 <> mot arabe, plur. de filfil « poivre »
Petite boulette frite de farine de pois chiches et de fèves (cuisine
libanaise)
3) lassi [lasi] nom masculin
ÉTYM. 1975 <> hindi lassi, probablement du sanskrit rasa « jus »
Boisson indienne à base de yaourt battu dans l’eau. Lassi à la rose.
4) riad [Rijad] nom masculin
ÉTYM. 1987 <> mot arabe ryâd, pluriel de rawda « jardin »
Au Maroc, demeure urbaine traditionnelle, construite autour d’un
patio central ou d’un jardin intérieur entouré d’une galerie. Les
riads de Marrakech. Riad transformé en maison d’hôtes.
5) anisakiase [anizakjaz] nom féminin
ÉTYM. 1981 <> de anisakis, nom du parasite, du grec « en nombre
inégal de fois »
Méd. Infestation parasitaire gastro-intestinale par les larves d’un
parasite (anisakis), nématode de la famille des ascarides. La
consommation de poisson cru ou insuffisamment cuit peut
provoquer une anisakiase.
6) caténane [katenan] nom féminin
ÉTYM. 1976 <> du latin catena « chaîne », par l’anglais catenane
(1960)
Famille étymologique à chaîne
Biochim. Groupe de molécules constituées d’anneaux entrelacés
comme ceux d’une chaîne.
7) enthèse [ãtez] nom féminin
ÉTYM. Relevé en 2003 <> du grec enthesis « insertion »
Anat. Zone d’insertion des ligaments, des tendons et des capsules
articulaires sur l’os.
8) filovirus [filoviRys] nom masculin
ÉTYM. 1993 <> latin scientifique filovirus (P. Kiley, 1982), de
filo-, du latin filum « fil », à cause de son aspect, et virus
Famille étymologique à fil.
Biol. Famille de virus A. R. N. à simple brin et à polarité négative,
responsable de fièvres hémorragiques. Les virus Ebola et
Marburg sont des filovirus.

COMMENTAIRE DE L’EXERCICE

D’après la postface du dictionnaire signée par Alain Rey, le Nouveau


Petit Robert cherche à « fournir au public un tableau large et fidèle du
vocabulaire vivant, sans négliger l’histoire, l’étymologie et les utilisations
littéraires ». Il « mène un combat contre la pensée unique et l’expression
appauvrie » en offrant une vision très large des pratiques du français
« allant de la pensée abstraite et des techniques contemporaines à
l’expression spontanée des usages langagiers ». Ce dictionnaire veut être
ouvert à la diversité, aux emplois variés qui forment la réalité d’une langue
et que personne ne peut juger « bons » ou « mauvais ». Comme les mots
changent au rythme de la société, le lexicographe doit faire le point
lorsqu’un écart devient sensible entre le dictionnaire en tant que texte
achevé et l’univers culturel présent.
Une différence entre les emprunts « nécessaires » et les emprunts
« contestables » est clairement faite par les auteurs de ce dictionnaire.
Beaucoup d’emprunts semblent être justifiés par la nécessité de combler un
manque lexical ou de « désigner les choses qui viennent de loin et qui
restaient ignorées ». Ces mots sont importants pour le rapprochement
« entre les peuples et entre les langues ». En revanche, certains anglicismes
sont considérés comme « contestables » dans la mesure où le prestige et la
puissance économique et technoscientifique des États-Unis suscitent une
vague d’emprunts même lorsque le lexique possède un mot français qui
convient.
Les mots de ce corpus, empruntés à plusieurs langues (arabe, brésilien,
hindi, grec et latin), peuvent être considérés comme nécessaires. Au niveau
des domaines d’expérience, on peut dégager deux grandes tendances :
d’un côté, il y a des mots qui désignent des réalités exotiques propres à une
culture donnée, de l’autre des mots scientifiques et techniques. Parmi les
premiers, on trouve surtout des mots qui se réfèrent à des danses, des
constructions architecturales et des préparations culinaires (plats,
boissons…), etc. : capoeira (danse brésilienne), falafel (petite boulette frite
de farine de pois chiches et de fèves), lassi (boisson indienne à base de
yaourt), riad (demeure urbaine traditionnelle au Maroc).
Ces emprunts semblent être justifiés par la nécessité de désigner les
choses qui viennent de loin car le lexique français ne possède pas de termes
pour parler de ces réalités avec suffisamment de justesse et de précision.
L’ouverture sur le monde n’entraîne pas uniquement l’explosion des
technologies, mais aussi la mondialisation des marchés et des grands
mouvements du tourisme. Le monde se rétrécit, les langues deviennent plus
perméables et les mots voyagent avec les choses. Les domaines, comme
l’alimentation, les danses, les traditions, les constructions architecturales, se
révèlent particulièrement aptes à accueillir des mots étrangers aux formes
exotiques.
Les mots qui désignent des référents techniques et scientifiques sont très
souvent empruntés au latin ou au grec. Ils touchent avant tout la biochimie,
l’anatomie, la biologie, la pharmacie, la médecine ou l’informatique. Le
corpus en présente quelques exemples : anisakiase (infestation parasitaire
gastro-intestinale), caténane (groupe de molécules), enthèse (zone
d’insertion des ligaments, des tendons et des capsules articulaires sur l’os),
filovirus (famille de virus A. R. N, responsable de fièvres hémorragiques).

13) LES DÉFINITIONS LEXICOGRAPHIQUES

Indiquez de quel type de définition lexicographique relèvent les


différentes définitions ci-dessous :
1) nous : pronom personnel de la première personne du pluriel
(représente la personne qui parle et une ou plusieurs autres, ou
un groupe auquel celui qui parle appartient)
2) garden-party : réception mondaine donnée dans un grand jardin
ou dans un parc
3) bas-bleu : péj. femme à prétentions littéraires
4) attiédissement : action d’attiédir, de s’attiédir ; résultat de cette
action
5) livre : assemblage d’un assez grand nombre de feuilles portant
des signes destinés à être lus
6) jaune (adj.) : qui est d’une couleur placée dans le spectre entre le
vert et l’orangé et dont la nature offre de nombreux exemples (or,
miel, citron)
7) mécontent : qui n’est pas content

COMMENTAIRE DE L’EXERCICE

1) La définition morphosémantique :
Les mots construits (dérivés et composés) sont généralement définis à
l’aide de cette définition qui donne des informations sur la formation du
mot et établit un lien entre la signification de celui-ci et sa formation. Le
mot composé d’origine anglaise garden-party (2) peut être classé dans cette
catégorie. Dans la définition, « réception mondaine » correspond au
substantif party et « donnée dans un grand jardin ou dans un parc »
correpond au substantif garden. Cette définition contient donc des éléments
qui correspondent à chaque partie du mot composé. La définition du mot
dérivé attiédissement (4) comporte le mot à partir duquel le dérivé a été
formé : attiédir et un mot ou un syntagme qui traduit l’affixe : « action de ;
résultat de cette action ».

2) La définition par inclusion :


Cette définition, utilisée surtout pour définir les mots simples (ou
monomorphématiques), consiste à désigner la classe générale à laquelle
appartient le mot défini et à spécifier ce qui le distingue des autres sous-
classes de la même classe générale. C’est le cas du mot livre (5) qui est
défini par « assemblage d’un assez grand nombre de feuilles portant des
signes destinés à être lus ». Le mot « assemblage » désigne la classe
générale et le reste de la définition spécifie ce qui le distingue des autres
assemblages. Dans ce cas précis, on ne peut pas parler d’« inclusion
réciproque » car on ne peut pas dire que tous les assemblages d’un assez
grand nombre de feuilles portant des signes destinés à être lus sont des
livres. Il s’agit plutôt d’une « inclusion stricte ».
Il est intéressant de constater que le mot composé bas-bleu (3) est défini
à l’aide de la définiton par inclusion qui est habituellement réservée pour
les mots simples. Le bas-bleu n’est pas un bas qui est bleu, mais une femme
à prétentions littéraires. Il est donc tout à fait impossible de définir ce mot
composé opaque à l’aide de la définition morpho-sémantique.

3) La définition par opposition :


Cette définition est utilisée pour les couples de mots qui sont dans une
relation d’antonymie partielle ou totale. C’est le cas de l’adjectif mécontent
(7) défini par « qui n’est pas content ». Puisque l’antonymie ici est marquée
morphologiquement (content vs mécontent), la définition en question est
aussi morphosémantique.
Il existe également des mots qui sont difficiles à définir. C’est le cas des
adjectifs de couleur, par exemple, dont le contenu sémique ne peut être que
montré. Le descripteur met en scène des objets qui sont caractérisés par ces
couleurs. L’adjectif jaune (6) est défini par « qui est d’une couleur placée
dans le spectre entre le vert et l’orangé et dont la nature offre de nombreux
exemples (or, miel, citron) ». Les mots grammaticaux sont également
problématiques parce qu’ils ne peuvent être définis qu’à l’aide de la
métalangue linguistique : nous (1) est un « pronom personnel de la première
personne du pluriel (qui représente la personne qui parle et une ou plusieurs
autres, ou un groupe auquel celui qui parle appartient) ». On peut examiner
les contextes où ils apparaissent et les constructions qu’ils permettent. Ces
définitions métalinguistiques parlent exclusivement du signe et ne sont
jamais substituables au mot défini. Dans une phrase, on ne peut pas
remplacer le pronom personnel nous par « pronom personnel de la première
personne du pluriel ».

14) LES ARTICLES DE DICTIONNAIRE CONSACRÉS


À DES EMPRUNTS
Observez la composition de ces articles du dictionnaire Petit Robert
électronique, 2009 :
1) bagel [begœl; bagɛl] nom masculin
ÉTYM.1983 au Québec ◊ du yiddish beig(e)l, de l’allemand dialectal
Beugel « objet en forme d’anneau »
Petit pain en forme d’anneau, à la mie très dense. Des bagels au
saumon.
2) blitzkrieg [blitskʀig] nom masculin
étym. v. 1980 ◊ allemand Blitzkrieg, de Blitz « éclair » et Krieg
« guerre »
Famille étymologique → foudre.
1. Guerre éclair.
2. Attaque politique visant à amener une victoire très rapide.
3) bouzouki ou buzuki [buzuki] nom masculin
étym. 1961, ~ 1992 ◊ du grec mpouzouki, peut-être du turc bozuk
« abîmé, désaccordé » (→ bachi-bouzouk)
Instrument de musique grec de la famille du luth, muni d’un long
manche et d’une caisse de résonance bombée. « le bouzouki […]
comporte plusieurs registres puisque l’instrument, selon son
origine, possède de quatre à douze cordes (le plus usité ayant six
cordes) » (Lacarrière).
4) cappelletti [kapel(l)eti] nom masculin
étym. 1994 ◊ mot italien, plur. de cappelletto « petit chapeau
(cappello) »
Famille étymologique → chape.
Au plur. Pâtes alimentaires farcies de viande ou de légumes hachés,
façonnées en arc de cercle. Des cappellettis à la ricotta.
5) chaoui, fém. chaouie ou chaouia [ʃawi, ʃawija] adjectif et nom
étym. 1983 ◊ du berbère tašawit ; chaouia par l’arabe
Région. (Algérie)
1. Relatif au massif des Aurès en Algérie et à ses habitants. Le pays
chaoui. La musique chaouia.
Originaire des Aurès.
▫ N. Une Chaouie ou une Chaouia. Les Chaouis.
2. N. m. Variété de berbère parlée dans les Aurès. Le chaoui et le
kabyle.
▫ Musique traditionnelle des Aurès. Chanter, danser le chaoui.
▫ Au pluriel, on écrit chaouia ou chaouias.
6) chorba [ʃɔʀba] nom féminin
étym. 1977 ◊ de l’arabe
Région. (Maghreb) Soupe épaisse à base de viande de mouton,
légumes secs, tomates et petites pâtes, parfumée à la menthe.
Fig. Mélange hétéroclite.
7) maracuja [maʀakyʒa; -kuʒa] nom masculin
étym. v. 1975 ◊ du tupi-guarani mburukuja
Fruit de la passion.
Cocktail à base de ce fruit
8) panini [panini] nom masculin
étym. 1986 ◊ mot italien, plur. de panino « petit pain »
Famille étymologique → pain.
Sandwich italien au pain blanc précuit, qui se mange grillé et
chaud. Des paninis tomate-mozzarella.
9) pesto [pɛsto] nom masculin
étym. 1993 ; 1990 au Québec ◊ mot italien, de pestare « piler »,
latin pistare → pistou
Sauce italienne à base de basilic, d’ail, de pignons, de parmesan et
d’huile d’olive. Riz, minestrone au pesto. Des pestos.
10) rassoul [ʀasul] ou ghassoul [ʀasul; xasul] nom masculin
étym. 1976 ◊ de l’arabe dialectal
Argile savonneuse utilisée traditionnellement au Maghreb pour les
soins de la peau et des cheveux. « On lui lavait les cheveux, on
les passait au rassoul pour bien les adoucir et on les enduisait
de henné » (S. Amadis).
11) tofu [tɔfu] nom masculin
étym. v. 1985 ◊ mot japonais
Pâté de soja.

COMMENTAIRE DE L’EXERCICE

Les lexicographes sont parfois confrontés à des obstacles concernant le


traitement linguistique des emprunts : il n’est pas toujours facile de choisir
une graphie, le genre peut fluctuer entre la langue prêteuse et la langue
cible, la prononciation peut évoluer avec la connaissance de la langue
source et les rapprochements faits entre les deux langues.

1) Graphie et prononciation :
Certains emprunts qui pénètrent en français gardent des traces de leur
aspect étranger. Les lexicographes essayent de représenter le plus
fidèlement possible les sons d’origine à l’aide des signes graphiques
français, mais les mots conservent parfois des éléments qui rappellent leur
origine. Ils sont reconnus comme étant étrangers, même si l’usager n’arrive
pas toujours à identifier la langue source.
Le Nouveau Petit Robert propose parfois plusieurs graphies et/ou
prononciations pour un mot. L’instrument de musique grec peut être
orthographié bouzouki ou buzuki [buzuki] (ex. 3). On trouve les deux
graphies rassoul et ghassoul (10) et les trois prononciations [Rasul]
[Rasoul] [xasul] pour le mot qui désigne l’argile savonneuse utilisée
traditionnellement au Maghreb pour les soins de la peau et des cheveux. Le
mot d’origine allemande, bagel (un petit pain en forme d’anneau) (1) peut
être prononcé [begœl] ou [bagel]. La graphie peut gêner la prononciation du
mot. On peut se demander pourquoi le mot emprunté au japonais tofu (pâté
de soja) (11) se prononce [tɔfu] et non pas [tɔfy] comme on pourrait le
croire.

2) Catégorie grammaticale, genre et nombre :


La très grande majorité des emprunts sont des substantifs. En les
adoptant, le français doit leur attribuer un genre grammatical. Lorsque la
distinction des genres existe dans la langue source, le français importe
souvent le nom avec son genre. C’est le cas du nom masculin italien pesto
(9) ; lors de son passage au français, il a conservé son genre d’origine. Le
choix du genre devient plus arbitraire si la langue source possède plus de
deux genres ou n’en possède pas du tout.
Certains articles font apparaître des hésitations sur la forme du féminin,
ainsi que sur le choix entre le pluriel de la langue prêteuse et le pluriel
francisé : chaoui, fém. chaouie ou chaouia [ʃawi, ʃawija] ; au pluriel, on
écrit chaouia ou chaouias (5).
Certains substantifs sont empruntés sous leur forme du pluriel. C’est le
cas des emprunts à l’italien cappelletti (4) (pluriel de cappelletto « petit
chapeau ») et panini (8) (pluriel de panino « petit pain »). En français, le
pluriel de ces mots se forme à l’aide de s (cappellettis, paninis).

3) Étymologie :
Une importance considérable est consacrée à l’étymologie dans le
Nouveau Petit Robert. La préface souligne le rôle accordé à la notion de
patrimoine culturel, et au fait que les usages actuels se sont constitués par
un cheminement historique. Pour chaque mot, le dictionnaire dresse un
portrait historique qui s’amorce avec la date d’apparition du mot dans le
lexique.
Dans la partie des articles du dictionnaire consacrée à l’étymologie, après
la date, on peut trouver des indications très simples qui précisent
uniquement la langue source, comme dans l’article de l’emprunt chorba
(6) : ÉTYM. 1977 <> de l’arabe. On peut trouver aussi des indications un
peu plus complexes sur l’origine de l’emprunt, sur sa formation, sur la
signification du mot d’origine et même sur l’inventeur de telle ou telle
chose : bagel (1), ÉTYM. 1983 au Québec <> du yiddish beigel, de
l’allemand dialectal Beugel « objet en forme d’anneau ».

4) Définition et exemple :
La monosémie semble caractériser une grande partie des emprunts
récents. On sait que les mots d’origine étrangère ont un statut particulier :
ils font surgir une nouvelle unité sans recourir à des éléments lexicaux
préexistants en français. Ces éléments isolés paraissent à la fois
sémantiquement vides et morphologiquement immotivés. À cause de leur
implantation récente, ils ne peuvent pas encore être véritablement intégrés
dans la langue française.
Seuls quelques emprunts étudiés possèdent deux sens dont le deuxième
est souvent une extension métaphorique du premier. On comprend bien la
relation de ressemblance qui relie les deux sens du mot blitzkrieg (2) :
« guerre éclair » et « attaque politique visant à amener une victoire très
rapide ». Le nom féminin chorba (6) peut désigner une « soupe épaisse à
base de viande de mouton » ou un « mélange hétéroclite ». Les deux sens
du mot peuvent aussi être unis par une relation métonymique. Le nom
masculin maracuja (7) se réfère à la fois au « fruit de la passion » et au
« cocktail à base de ce fruit ».
Très souvent la définition de ces mots contient une précision concernant
l’origine géographique du référent : rassoul (10) « argile savonneuse
utilisée traditionnellement au Maghreb », panini (8) « sandwich italien au
pain blanc précuit, qui se mange grillé et chaud », etc. La plupart des
exemples trouvés dans les articles consacrés aux emprunts étudiés ont été
forgés par les lexicographes. Les exemples présentent fréquemment le
pluriel du nom ou la forme féminine de l’adjectif.
ALPHABET PHONÉTIQUE
INTERNATIONAL

• Voyelles

i mie, lys
y rue
u coup
e thé, manger
ɛ sel, mais, père, jet
ø feu
œ peur, cœur
ə le
o sot, veau, hôtel
ɔ sotte, bonne, or
a patte, à
ɑ pâte, pas
ɛ̃ fin, faim, teint, main
œ̃ un
ɔ̃ bon, sombre
ɑ̃ en, temps, antre

• Glides

j yeux, travail, veillez, lièvre


ɥ huit
w oui, western, soir

• Consonnes

p pain
b bain
d dé
t taie
k car, kiosque, coq
g gars, gui
f fille, phare
v vie
s sac, presse, garçon, lotion, cent
z zone,rose
ʃ chien
ʒ jeu, juge
m main
n nain
ɲ beignet
l le
r ré
h hue ! (exclamatif)
’ hibou (aspiré)
ŋ ring (mots empruntés à l’anglais)
χ jota, Khamsin (mots empruntés à l’espagnol et à l’arabe)
BIBLIOGRAPHIE SUCCINCTE

• Ouvrages :

ARRIVÉ Michel, GADET Françoise, GALMICHE Michel, 1986 : La Grammaire


d’aujourd’hui. Guide alphabétique de linguistique française, Paris,
Flammarion.
BAYLON Christian, MIGNOT Xavier, 1995 : Sémantique du langage,
Initiation, Paris, Nathan.
CORBIN Danielle, 1987 : Morphologie dérivationnelle et structuration du
lexique, Tübingen, Niemeyer.
GARDES TAMINE Joëlle, 2010 : La Grammaire, tome 1, Cursus, Paris,
Armand Colin.
GARDES TAMINE Joëlle, 2012 : La Grammaire. Méthodes et notions, Cursus,
Paris, Armand Colin.
GAUDIN François, GUESPIN Louis, 2000 : Initiation à la lexicologie française,
De la néologie aux dictionnaires, Bruxelles, Duculot.
GROSS Maurice, 1975 : Méthodes en syntaxe, Paris, Hermann.
KLIEBER Georges, 1990 : La Sémantique du prototype, Catégories et sens
lexical, Paris, PUF.
LEHMANN Alise, MARTIN-BERTHET Françoise, 2008 : Introduction à la
lexicologie, Sémantique et morphologie, Paris, Armand Colin.
LYONS John, 1970 : Linguistique générale, Introduction à la linguistique
théorique, Paris, Larousse.
LYONS John, 1978 : Éléments de sémantique, Paris, Larousse.
PICOCHE Jacqueline, 1986 : Structures sémantiques du lexique français,
Paris, Nathan.
PICOCHE Jacqueline, 1992 (lre éd. 1977) : Précis de lexicologie française,
L’étude et l’enseignement du vocabulaire, Paris, Nathan.
PICOCHE Jacqueline, MARCHELLO-NIZIA Christiane, 1991 : Histoire de la
langue française, Paris, Nathan, « Université ».
PRUVOST Jean, 2006 : Les dictionnaires français outils d’une langue et d’une
culture, Paris, Éditions OPHRYS.
REY Alain, 1970 : La Lexicologie, Paris, Klincksieck.
REY Alain, 1977 : Le Lexique : images et modèles. Du dictionnaire à la
lexicologie, Paris, Armand Colin.
TAMBA-MECZ Irène, 1994 (lre éd. 1988) : La Sémantique, Paris, PUF, « Que
sais-je ? », no 655.
TOURNIER Nicole, TOURNIER Jean, 2009 : Dictionnaire de lexicologie
française, Paris, Ellipses.
WALTER Henriette, 1988 : Le Français dans tous les sens, Paris, Robert
Laffont.
ZUFFEREY Sandrine, MOESCHLER Jacques, 2012 : Initiation à l’étude du sens,
Auxerre, Sciences Humaines Éditions.

• Revues :

Langue française
Langages
Cahiers de lexicologie
Lexique
GLOSSAIRE DES NOTIONS
IMPORTANTES

Abréviation : Consiste à exprimer une unité linguistique par un signifiant


qui, tronqué d’un ou plusieurs éléments, conserve le signifié de l’unité de
départ (fac, prof, manif).
Acronyme : Sorte de sigle qui, au lieu de réunir les lettres initiales des mots
composant une unité lexicale complexe, combine la première syllabe ou les
premières lettres de chacun des termes (Sobodi-Société bordelaise de
diffusion).
Affixe : Morphème grammatical lié qui ne peut apparaître que dans le cadre
de l’unité mot. En français on peut distinguer deux sortes d’affixes : les
préfixes qui se placent devant la base et les suffixes qui se trouvent après la
base.
Affixe dérivationnel : Morphème qui a essentiellement une fonction
sémantique. Il sert à créer une nouvelle unité lexicale à partir d’un mot déjà
existant (timide+-ité = timidité).
Affixe flexionnel : Morphème qui indique les rapports que la base entretient
avec l’énoncé où elle est employée : le genre et le nombre du substantif et
de l’adjectif ; le temps, la personne et le mode du verbe.
Allomorphes ou variantes : Formes variables que peut prendre un même
morphème.
Analyse sémique ou componentielle : Analyse qui consiste à appliquer à la
substance du contenu des principes de l’analyse phonologique.
Antonymie : Relation d’opposition entre unités de signification.
Arbitraire : Propriété du signe : le rapport signifiant/signifié n’a pas de
fondement en dehors de la langue, il n’est pas tenu à une motivation.
Article ou notice de dictionnaire : Suite ordonnée de phrases, chacune
comportant une ou plusieurs informations.
Articulation, Double articulation : organisation propre aux langues où les
phonèmes se combinent en signifiants de signes et les signes en énoncés.
Attraction paronymique : Phénomène qui contribue à rapprocher les
signifiés de termes distincts (allocation/allocution, conjoncture/conjecture).
Autonyme : Qui se désigne lui-même comme signe dans le discours, en
parlant d’un mot ou d’un énoncé. Dans « danser est un verbe », danser est
autonyme.
Base : Élément que l’on obtient si l’on retire un affixe à un mot : la base à
laquelle s’adjoint le suffixe -ment dans affermissement est la base verbale
du verbe affermir.
Champ associatif : Ensemble qui regroupe tous les mots gravitant autour
d’une notion donnée (thème de la réussite : gloire, vedette, réussir, briller,
percer, célèbre, victoire, succès, star, etc.).
Champ dérivationnel : Ensemble qui regroupe plusieurs mots formés par
l’adjonction de préfixes ou suffixes à un même morphème lexical (coiffe,
coiffer, coiffeur, coiffeuse, coiffure, décoiffer, etc.).
Champ sémantique : Association d’un ensemble de termes du lexique
(champ lexical) à une notion particulière (champ notionnel). Le champ
sémantique des sièges fait correspondre au champ notionnel « siège » le
champ lexical comprenant les mots chaise, fauteuil, canapé, tabouret, pouf,
banc.
Classème : Ensemble des sèmes génériques.
Collocation : Association stéréotypée produite par la langue (une forte
gelée, une robuste santé, un vigoureux coup de poing).
Commutation : Opération linguistique qui permet de remplacer un élément
par un autre.
Composition : Juxtaposition de deux éléments qui peuvent servir de base à
des dérivés (chou-fleur, anthropologue).
Composition populaire : Composition qui emploie des mots français qui ont
une existence autonome par ailleurs : canapé-lit, pomme de terre, belle-fille.
Composition savante : Composition qui se sert des emprunts aux langues
anciennes, latin ou grec (insecticide, fumivore, cosmonaute, automobile).
Connotation : Aspect sémantiquement variable du signifié, tout ce qui
relève des associations d’idées, de l’affectivité, de la création individuelle
(le mot renard a la ruse comme connotation).
Dénotation : Aspect sémantiquement stable du signifié, tout ce qui est
commun à tous les usagers de la langue. S’oppose à connotation.
Dérivation : Création d’unités lexicales par adjonction d’affixes à une base
(coiff(er) → coiff-eur).
Dérivation impropre : Dérivation qui n’a aucun caractère morphologique. Il
s’agit d’un mot qui change de catégorie grammaticale sans changer de
forme (boire verbe → le boire nom ; rouge adjectif → le rouge nom).
Dérivation inverse : Procédé qui consiste à tirer un mot plus simple d’un
mot plus long (accorder → accord ; attaquer → attaque).
Dérivation populaire : Dérivation qui obéit aux règles ordinaires de la
dérivation française.
Dérivation savante : Dérivation qui est calquée sur le latin.
Diachronie : Phase d’évolution de la langue.
Doublets : Deux mots français remontant au même ancêtre latin, l’un de
formation populaire, l’autre de formation savante (carus → cherté,
populaire / charité, savant).
Emprunt : Procédé qui consiste à faire apparaître dans un système
linguistique un mot provenant d’une autre langue (parking, building, toro).
Entrée ou adresse de dictionnaire : Mot faisant l’objet d’un article de
dictionnaire.
Étymologie : Science de la filiation des mots, reconstitution de leur
ascendance jusqu’à leur état le plus anciennement accessible.
Étymon : Origine supposée d’un mot.
Euphémisme : Phénomène qui consiste à éviter la désignation littérale d’une
notion ou d’un objet jugés déplaisants en lui substituant une expression
atténuée.
Famille de mots : Ensemble de mots provenant d’un même étymon (lat.
schola → école, écolier, scolaire, scolastique, etc.).
Flexion nominale : Comprend la variation de forme (le genre et le nombre)
du substantif et de l’adjectif (chat, chatte ; grand, grande).
Flexion verbale : S’occupe des marques des temps, des personnes et des
modes des verbes : chant-er-ons (-er – : futur ; -ons : 1re personne du
pluriel).
Grammaire : S’oppose au lexique. Elle fournit les règles qui permettent de
combiner les mots et les groupes de mots pour former des phrases. Le
lexique représente l’ensemble des unités qui constituent son matériau de
base.
Homographie : Relation entre deux ou plusieurs mots qui sont écrits de la
même façon mais prononcés de deux ou plusieurs façons différentes :
parent (nom) [paʀã], parent (verbe) [paʀ].
Homonymie : Relation entre deux ou plusieurs termes ayant le même
signifiant, mais des signifiés radicalement différents (fraise : fruit ; fraise :
outil de coupe ; fraise : collerette empesée et plissée).
Homophonie : Relation entre deux ou plusieurs mots qui sont prononcés de
la même façon, mais écrits de deux ou plusieurs façons différentes : compte,
comte, conte [kɔ̃t].
Hyperonymie : Relation du genre à l’espèce : légume est un hyperonyme de
carotte.
Hyponymie : Relation de l’espèce au genre : carotte est un hyponyme de
légume.
Idiolecte : Utilisation personnelle d’une langue par un sujet parlant.
Indice : Fait immédiatement perceptible qui fait connaître quelque chose à
propos d’un autre fait qui ne l’est pas. Objet, phénomène ou acte
fournissant une information non intentionnelle (la fumée est indice de feu).
Lexicographie : Domaine qui a pour but de mettre en œuvre les techniques
pour confectionner des dictionnaires et discipline qui propose une réflexion
sur les méthodes qu’exige la confection des dictionnaires.
Lexicologie : Étude scientifique du lexique.
Lexique : Ensemble des mots au moyen desquels les membres d’une
communauté linguistique communiquent entre eux.
Lexique commun : Intersection des idiolectes, tous les mots communs à tous
les usagers.
Lexique total : Réunion des idiolectes, tous les mots employés par tous les
usagers.
Locution : Unité complexe lexicalisée (à pas de loup, qu’en-dira-t-on, au
fur et à mesure).
Métaphore : Figure de signification ou trope fondée sur la ressemblance, la
similitude (ex. : les ailes d’un oiseau, les ailes d’un moulin).
Métonymie : Figure de signification ou trope par laquelle un terme est
substitué à un autre terme avec lequel il entretient une relation de contiguïté
(ex. un jean pour un pantalon fait en jean).
Monosémie : Rapport univoque existant entre un signifiant et un signifié.
S’oppose à la polysémie.
Morphème : La plus petite unité ayant une signification dans la langue.
Morphème grammatical, grammème : Insère le mot dans des séries et
indique souvent ses relations avec d’autres éléments de la phrase (-eur dans
dans-eur, -er- et -ons dans dans-er-ons).
Morphème grammatical lié : Unité signifiante minimale qui ne peut
apparaître que dans le cadre de l’unité mot (-eur, -ité, -er, -ons dans dans-
eur, passiv-ité, dans-er et dans-ons).
Morphème grammatical non lié : Unité signifiante minimale à laquelle on
accorde généralement le statut de mot (par ex. le, il, dans).
Morphème lexical, lexème : Permet au mot d’avoir une autonomie
sémantique (dans- dans dans-eur).
Morphologie : Étude de la forme des mots.
Mot : La forme linguistique la plus petite qui ait une autonomie. Un mot
peut contenir un ou plusieurs morphèmes (fille : fill-ette, vieille-fille,
timide ; timid-ité, in-timid-er).
Mot composé : Unité complexe, principalement nominale, à deux ou trois
termes (chou-fleur, porte-mine, aigre-doux, pomme de terre, machine à
coudre).
Mot dérivé : Mot qui est formé par l’adjonction d’un ou plusieurs affixes
soudés à une base. Il peut être formé à l’aide d’un préfixe (dé-faire, re-
faire), d’un suffixe (passiv-ité, ramass-age) ou de la combinaison d’un ou
plusieurs préfixes ou suffixes (ir-remplaç-able, anti-constitutionn(e)-elle-
ment).
Mots disponibles : Mots qui ne sont employés dans le discours que lorsque
le sujet parlant en a vraiment besoin.
Mots fréquents : Mots qui s’emploient constamment.
Mot grammatical : Nom réservé aux pronoms, déterminants, prépositions et
conjonctions.
Mot lexical : Nom réservé aux catégories du nom, du verbe, de l’adjectif et
de l’adverbe.
Mot simple : Mot formé d’un seul morphème.
Motivation : Cas où le rapport signifiant/signifié a un fondement hors de la
langue (par ex. les onomatopées) ; s’oppose à arbitraire.
Néologie : Processus de formation de nouvelles unités lexicales.
Niveau de langue : Concept qui désigne les différents types d’usage
distincts de la langue selon le milieu socioculturel des locuteurs.
Nomenclature (d’un dictionnaire) : Suite de mots qui constitue
l’architecture formelle du dictionnaire.
Onomatopée : Mot imitatif qui prétend reproduire certains bruits tels le
chant ou le cri des animaux, le son des instruments de musique, le bruit qui
accompagne les phénomènes de la nature, etc. (cocorico, tic tac, crac,
chuchoter).
Paradigmatique : Se dit des relations qu’on peut établir entre une unité et
toutes celles qui pourraient la remplacer dans un environnement donné ;
s’oppose à syntagmatique.
Paradigme : Ensemble d’unités virtuellement substituables dans un
contexte donné.
Paronymes : Termes dont les signifiés sont différents mais dont les
signifiants sont presque identiques : allocation/allocution,
percepteur/précepteur.
Phonème : Unité de la chaîne parlée qui a une fonction différentielle, mais
qui n’a pas de signification.
Phonologie : Science qui étudie la fonction des sons dans les langues
naturelles.
Polysémie : Pluralité de sens pour un mot unique.
Préfixe : Affixe qui se place devant la base : il-légal, re-faire.
Pragmatique : Qui étudie le langage du point de vue de la relation entre les
signes et leurs usages.
Prototype : Le meilleur exemplaire communément associé à une catégorie,
l’entité centrale autour de laquelle s’organise toute la catégorie (ex. : le
moineau est considéré comme le prototype de la catégorie « oiseau »).
Radical : Élément que l’on obtient si l’on retire tous les affixes à un mot :
ferme est le radical du mot dérivé affermissement.
Référent : Être, objet, événement ou propriété de la réalité (vraie ou
imaginaire) qu’un signe évoque (ex. : la plante que le mot « arbre »
évoque).
Registre de langue : Concept qui concerne la variation des conduites
linguistiques selon le médium utilisé (écrit vs oral), selon les relations
sociales et selon les domaines de l’expérience (vocabulaire courant vs
vocabulaires spécialisés).
Sémantème : Ensemble des sèmes spécifiques.
Sémantique : Étude scientifique du sens des mots, des phrases et des
énoncés.
Sème ou trait sémantique : Trait pertinent sémantique.
Sème générique : Sème se trouvant dans tous les mots d’une classe (/pour
s’asseoir/dans tous les noms de siège).
Sème spécifique : Sème qui permet de distinguer, à l’intérieur d’une classe,
les différents mots (/avec dossier/dans la classe des noms de siège).
Sème virtuel ou virtuème : Sème qui n’apparaît que dans certains emplois
du mot (/confort/pour fauteuil).
Sémème : Ensemble des sèmes constituant le sens d’un mot.
Sémiologie : Science des signes, appelée aussi « sémiotique ».
Sigle : Unité formée par la réunion des lettres initiales des mots composant
des unités lexicales complexes (SMIC, ONU, FIV).
Signal : Signe qui implique une volonté de communication.
Signe : Union d’un signifiant et d’un signifié.
Signe linguistique : Signe particulier qui est formé par l’association d’une
« image acoustique », appelée « signifiant » (ex. [ʃ(ə)val]) et d’un concept,
appelé « signifié » (« cheval »). Ces deux faces sont indissociables. Le
signe linguistique réfère à un objet du monde, appelé « référent ».
Signifiant : Forme extérieure, face perceptible d’un signe ; s’oppose à
signifié.
Signifié : Sens d’un signe ; s’oppose à signifiant.
Structuralisme : Théorie linguistique voyant dans l’organisation en
structure une propriété essentielle du langage.
Suffixe : Affixe qui se place après la base : chant-eur, longue-ment.
Syllabe : Unité phonétique fondamentale, groupe de consonnes et/ou de
voyelles qui se prononcent d’une seule émission de voix.
Symbole : Signal qui marque un rapport analogique, constant dans une
culture donnée, avec l’élément qu’il signifie.
Synchronie : État de langue considéré dans son fonctionnement à un
moment donné du temps.
Synonymie : Relation d’identité entre unités de signification.
Syntagmatique : Se dit des relations qui s’observent entre les termes d’une
même construction ; s’oppose à paradigmatique.
Syntagme : Groupe syntaxique.
Syntaxe : Étude des combinaisons de mots en groupes et en phrases.
Universaux : Propriétés, les unes de forme, les autres de substance qui se
trouvent dans toutes les langues.
Vocabulaire : Ensemble des mots utilisés par un locuteur donné dans une
réalisation orale ou écrite. Dans cette perspective, il s’oppose au lexique qui
est l’ensemble des mots qu’une langue met à la disposition des locuteurs.
Vocabulaire actif : Ensemble des mots que le sujet parlant emploie
habituellement.
Vocabulaire passif : Ensemble des mots que le sujet parlant connaît à peine,
qu’il comprend lorsqu’ils sont employés par d’autres mais dont il n’a pas
l’habitude de se servir lui-même.
TABLE DES ENCADRÉS

Un exemple de la variation diatopique : le français en Algérie

Les mots français de haute fréquence

La lexicologie et les différentes écoles linguistiques

Un champ sémantique : la dénomination des animaux domestiques

Quelques emprunts récents dans le Petit Robert électronique

Dictionnaire encyclopédique et dictionnaire de langue


INDEX DES PRINCIPALES NOTIONS
UTILISÉES

Abréviation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19
Abstraction 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Accent 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
externe ou emphatique 1
interne ou non emphatique 1
lexical 1, 2
syntaxique 1
Acronyme 1, 2
Adresse de dictionnaire 1
Affixe 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21
dérivationnel 1, 2, 3
flexionnel 1, 2, 3, 4, 5, 6
Air de famille 1
Allomorphe 1, 2, 3
Analyse sémique ou componentielle 1
Antonomase 1, 2, 3
Antonyme 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
absolu 1, 2
complémentaire ou non gradable 1, 2, 3
gradable 1, 2
partiel 1, 2
réciproque 1, 2
Antonymie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19
Arbitraire 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16
Archilexème 1, 2, 3
Article (de dictionnaire) 1, 2
Articulation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Attraction paronymique ou étymologie populaire 1, 2, 3
Autonymie 1
Base 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41,
42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61,
62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81,
82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100,
101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 112, 113, 114, 115,
116, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 128, 129, 130,
131
Catachrèse 1, 2
Catégorie grammaticale 1
Catégorisation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Champ associatif 1
dérivationnel 1, 2, 3, 4, 5
lexical 1, 2, 3
notionnel 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
sémantique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36,
37, 38
Classème 1
Classification paradigmatique 1
taxinomique 1, 2
Collocation 1, 2
Commutation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Compétence grammaticale 1
lexicale 1
Composition 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34
populaire 1, 2, 3, 4
savante 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Concordance 1
Connotation 1
Contamination 1
Création conventionnelle 1, 2
de circonstance 1
lexicale 1, 2
primitive 1, 2
Définisseur 1
Définition 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59,
60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79,
80, 81, 82, 83, 84, 85
morphosémantique 1, 2, 3, 4, 5
par inclusion 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
par opposition 1, 2, 3, 4
Dénotation 1, 2, 3, 4, 5
Dérivation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39
impropre 1, 2, 3, 4
inverse 1, 2, 3
parasynthétique 1, 2
populaire 1, 2
savante 1, 2
Diachronie 1, 2, 3, 4, 5, 6
Dictionnaire 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59,
60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79,
80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99,
100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 112, 113, 114,
115, 116, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 128, 129,
130, 131, 132, 133, 134, 135, 136, 137, 138, 139, 140, 141, 142, 143, 144,
145, 146, 147, 148, 149, 150, 151, 152, 153, 154, 155, 156, 157, 158, 159,
160, 161, 162, 163, 164, 165, 166, 167, 168, 169, 170, 171, 172, 173, 174,
175, 176, 177, 178, 179, 180, 181, 182, 183, 184, 185, 186, 187, 188, 189,
190, 191, 192, 193, 194, 195, 196, 197, 198, 199, 200, 201, 202, 203, 204,
205, 206, 207, 208, 209, 210, 211, 212, 213, 214
de langue 1, 2
encyclopédique 1, 2
monolingue 1
plurilingue 1, 2
Discours 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36
Distribution complémentaire 1, 2, 3
Doublet 1
Ellipse 1, 2, 3
Emprunt 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60,
61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80,
81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98
Entrée de dictionnaire 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16,
17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25
Étymologie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19
Étymon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Euphémisme 1, 2, 3
Évolution 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32
Famille de mots 1, 2, 3
Flexion
nominale 1
verbale 1, 2, 3
Fonction 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15
Français fondamental 1
Fréquence 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22
Glose 1
Glossaire 1
Grammaire 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30
Grammème ou morphème grammatical 1, 2, 3, 4, 5, 6
Homographie 1, 2
Homonymie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22
Homophonie 1, 2, 3, 4
Hybride 1
Hyperbole 1
Hyperonymie 1, 2
Hyponymie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Idiolecte 1, 2, 3, 4, 5
Index 1, 2, 3, 4, 5
Indice 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Inséparabilité 1, 2, 3, 4, 5
Isomorphe 1
Langue 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60,
61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80,
81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100,
101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 112, 113, 114, 115,
116, 117
Lexème ou morphème lexical 1, 2
Lexicographie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Lexicologie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24
Lexique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60,
61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80,
81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100,
101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 112, 113, 114, 115,
116, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 128, 129, 130,
131, 132, 133, 134, 135, 136, 137, 138, 139, 140, 141, 142, 143, 144, 145,
146, 147, 148, 149, 150, 151, 152, 153, 154, 155, 156, 157, 158, 159, 160,
161, 162, 163, 164
commun 1, 2, 3, 4, 5
total 1
Locution 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
Macrostucture 1, 2, 3
Métalangue 1, 2, 3, 4
Métaphore 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16
Métonymie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20
Microstructure 1, 2, 3, 4
Monosémie 1, 2
Morphème 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49
grammatical, grammème 1
lexical, lexème 1
lié 1
non lié 1
Morphologie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
Mot 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41,
42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61,
62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81,
82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100,
101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 112, 113, 114, 115,
116, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 123, 124, 125, 126, 127, 128, 129, 130,
131, 132, 133, 134, 135, 136, 137, 138, 139, 140, 141, 142, 143, 144, 145,
146, 147, 148, 149, 150, 151, 152, 153, 154, 155, 156, 157, 158, 159, 160,
161, 162, 163, 164, 165, 166, 167, 168, 169, 170, 171, 172, 173, 174, 175,
176, 177, 178, 179, 180, 181, 182, 183, 184, 185, 186, 187, 188, 189, 190,
191, 192, 193, 194, 195, 196, 197, 198, 199, 200, 201, 202, 203, 204, 205,
206, 207, 208, 209, 210, 211, 212, 213, 214, 215, 216, 217, 218, 219, 220,
221, 222, 223, 224, 225, 226, 227, 228, 229, 230, 231, 232, 233, 234, 235,
236, 237, 238, 239, 240, 241, 242, 243, 244, 245, 246, 247, 248, 249, 250,
251, 252, 253, 254, 255, 256, 257, 258, 259, 260, 261, 262, 263, 264, 265,
266, 267, 268, 269, 270, 271, 272, 273, 274, 275, 276, 277, 278, 279, 280,
281, 282, 283, 284, 285, 286, 287, 288, 289, 290, 291, 292, 293, 294, 295,
296, 297, 298, 299, 300, 301, 302, 303, 304, 305, 306, 307, 308, 309, 310,
311, 312, 313, 314, 315, 316, 317, 318, 319, 320, 321, 322, 323, 324, 325,
326, 327, 328, 329, 330, 331, 332, 333, 334, 335, 336, 337, 338, 339, 340,
341, 342, 343, 344, 345, 346, 347, 348, 349, 350, 351, 352, 353, 354, 355,
356, 357, 358, 359, 360, 361, 362, 363, 364, 365, 366, 367, 368, 369, 370,
371, 372, 373, 374, 375, 376, 377, 378, 379, 380, 381, 382, 383, 384, 385,
386, 387, 388, 389, 390, 391, 392, 393, 394, 395, 396, 397, 398, 399, 400,
401, 402, 403, 404, 405, 406, 407, 408, 409, 410, 411, 412, 413, 414, 415,
416, 417, 418, 419, 420, 421, 422, 423, 424, 425, 426, 427, 428, 429, 430,
431, 432, 433, 434, 435, 436, 437, 438, 439, 440, 441, 442, 443, 444, 445,
446, 447, 448, 449, 450, 451, 452, 453, 454, 455, 456, 457, 458, 459, 460,
461, 462, 463, 464, 465, 466, 467
composé 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36,
37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51
construit 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16
dérivé 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37
disponible 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
fléchi 1, 2, 3, 4
fréquent 1, 2, 3
grammatical 1
lexical 1
simple 1, 2, 3, 4, 5
Motivation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Nature 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33
Néologie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20
Niveau de langue 1
Nomenclature 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22, 23, 24, 25
Onomasiologie 1, 2
Onomatopée 1, 2
Paradigmatique 1, 2, 3, 4
Paradigme 1, 2, 3, 4, 5
Paraphrase 1, 2
Parasynthétique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Paronymie 1, 2, 3
Partie du discours 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Phonème 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Phonologie 1, 2, 3, 4, 5
Polysémie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22
Préfixe 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44, 45, 46
Prototype 1
Radical 1, 2, 3
Référent 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
Registre de langue 1
Relations lexicales 1, 2, 3, 4, 5, 6
Sémantème 1
Sémantique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59,
60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79,
80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99,
100, 101, 102, 103, 104, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 112, 113, 114,
115, 116, 117, 118, 119, 120
Sémasiologie 1, 2
Sème 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41,
42, 43, 44
afférent 1, 2, 3
fondamental 1, 2, 3
générique 1, 2
inhérent 1, 2, 3, 4, 5
spécifique 1
virtuel ou virtuème 1, 2, 3, 4
Sémème 1, 2, 3, 4
Sémiologie 1, 2
Sens
figuré 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21
propre 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23
Siglaison 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Sigle 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28
Signal 1, 2
Signe 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41,
42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50
linguistique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17,
18, 19, 20, 21, 22
Signifiant 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36
Signification 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58
Signifié 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41
Statistique lexicale 1, 2, 3, 4, 5, 6
Structuralisme 1, 2
Structure 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38
Substitution 1, 2, 3, 4
Suffixe 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53
Supplétion 1
Syllabe 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16
fermée 1, 2, 3, 4, 5
ouverte 1, 2, 3, 4, 5, 6
Symbole 1
Synchronie 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Synecdoque 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Synonyme 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
absolu 1, 2
approximatif ou partiel 1, 2
Syntagmatique 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Syntagme 1
Syntaxe 1
Système 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40,
41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51
Termes incompatibles 1
Trait oppositif 1, 2, 3
pertinent 1
sémantique 1
Trou lexical 1
Universaux 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Valeur 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19
Variante 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Vocable 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
Vocabulaire 1, 2, 3
actif 1, 2, 3
passif 1, 2, 3, 4

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