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La dérivation en likwála
Par :
Régina Patience Ikemou
&
Paul Nzete
Résumé
Le likwála fait usage de trois types de dérivations : la dérivation par préfixation, la dérivation
par suffixation et la dérivation par redoublement. En effet, à partir d’une base, nous pouvons
avoir des synthèmes par des préfixes qui donnent des sens différents des premiers pour des
bases essentiellement nominales, des synthèmes qui entraînent la variation de la catégorie
grammaticale ou des synthèmes relevant de la même catégorie grammaticale que celle des
monèmes de base pour des bases essentiellement verbo-nominales.
Mots clés
dérivation, synthème, préfixe, suffixe, redoublement.
Abstract
The likwála makes use of three types of derivations: prefixation derivation, derivation by
suffixation and derivation by repetition. Indeed, from a base, we can have synthesizers by
prefixes that give different meanings from the first ones for essentially nominal bases, synthes
that lead to the variation of the grammatical category or the synthes of the same grammatical
category than that of the basic monemes for essentially verbo-nominal bases.
Keywords
derivation, synthes, prefix, suffix, repetition.
Revue Sciences, Langage et Communication Vol 2, N° 1(2018)
Le présent article sur la dérivation en likwála, fait l’objet de notre analyse linguistique. Le
likwála appartient au groupe mbochi de la famille des langues bantu, classé au sous-groupe
C26 (Guthrie, Classification of Bantu langage , 1967-1970:53 ). Il est en usage au Nord de la
République du Congo plus précisément dans le Département de la Cuvette, à l’Est de la ville
d’Owando.
Le présent article se propose d’analyser quelques faits de dérivation en likwála. Ce travail est
une exploitation de notre mémoire de Maîtrise (Ikemou, 2010) qui comprend, en annexe, un
lexique de plus de deux mille six cent items.
L’objectif général de ce travail est de contribuer à la connaissance scientifique de la
dérivation en likwála.
Les questions centrales à l’étude sont les suivantes :
- en quoi consiste la dérivation en likwála ?
- quel est le fonctionnent ?
Il apparaît que les éléments essentiels de la dérivation en likwála sont les affixes.
Cet article s’inspire de la théorie structuraliste, notamment du fonctionnalisme d’André
Martinet. Cette approche considère toute langue comme un système dans lequel chacune des
unités n’a de valeur que par les relations de dépendance ou d’opposition qu’il entretient avec
les autres. Cet ensemble de relations forme une structure.
Notre travail est présenté en deux parties. En premier lieu, nous définissons la dérivation. En
deuxième lieu, nous examinons les différents types de dérivations en likwála.
1- Ce qu’est la dérivation
La dérivation est un procédé employé pour la formation des unités lexicales. Selon le
Dictionnaire de la linguistique, la dérivation se définit comme « (…) toutes les unités formées
par l’adjonction d’un affixe (suffixe ou préfixe) à une base » (Mounin, 1974 : 102). Ces unités
entretiennent des relations hiérarchisées. Nous pouvons ainsi avoir une base combinée à un
ou à plusieurs affixes. En d’autres termes, la dérivation est le procédé qui permet d’obtenir un
synthème à partir d’une base par ajout d’affixe(s).
2- 1- 1- La définition du préfixe
Nous appelons préfixe, un segment lexical, généralement non libéral, antéposé à une base. En
likwála, un préfixe est un type de classificateur nominal. Nous faisons une distinction nette
entre préfixe et classificateur (contrairement à la tendance en linguistique bantu à confondre
"préfixe" avec "classe" nominale).
okoté / ikoté
"adolescence" / "adolescent"
- valeur de préfixe ;
(5) o- dans
okoté / ikoté
o-koté / i-koté
cl.14+adolescent / cl.5 + adolescent
"adolescence" / "adolescent"
- valeurs de modalité de nombre et de préfixe
(6)
- modalité de nombre : singulier / pluriel
ɔ - …-i / ba-…-i
ɔ bomi / abomi
ɔ -bom-i / a-bom-i
cl.1+tuer+"suf." / cl.2 + tuer+"suf."
"tueur" / "tueurs"
"tueur(s)" / "tuerie"
ɔ -…-i
ba-…-i o-…-í
ɔ bomi
abomi obomí
(7) o- / ø-
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opóké / póké
o-póké / ø-póké
"cl.14+jeune" / cl.1 + jeune
"jeunesse" / "jeune"
Etant donné que le thème qui nous intéresse ici, c’est celui qui concerne le préfixe, deux types
de valeurs méritant d’être retenus :
- valeur de préfixe ;
- valeurs de préfixe et de modalités de nombre.
Dans ces deux cas , o- s’ajoute respectivement aux substantifs moto et mwána pour
former les synthèmes omoto et omwána.
Un autre préfixe de ce genre peut aussi être cité : o- (cl. 11), il indique l’idée d’une grande
quantité.
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Il ressort de l’exemple ci-dessus que, la base nominale -tómá reçoit une série de préfixes
autour de lui.
L’on peut penser qu’un classificateur nominal qui affecte une base de type adjectival est, lui
aussi, un préfixe. En réalité, il n’en est rien. En effet, dans ces conditions, le classificateur
nominal n’a aucune valeur significative.
Mais o-, qui n’est pas, ici, un monème, joue le rôle grammatical de nominalisateur: en
affectant -lalí, o- permet à ce lexème de fonctionner comme substantif. C’est un fait
morphologique. Il en est de même de o- dans onέnɛ "grandeur, grosseur".
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(12) o- …-í est signifiant discontinu dans okambí "le fait de parler"
Les deux segments qui forment le signifiant discontinu (o- et -í ) ne sont pas indépendants
l’un de l’autre. Mais seul le premier segment peut constituer un préfixe. Il est préfixe dans les
conditions que nous avons indiquées au 2- 1- 1- a.
Ce préfixe à signifiant discontinu est exocentrique c'est-à-dire, il permet d’obtenir un item
d’une catégorie grammaticale différente de celle du monème de base. Telle est la situation
observée dans la formation des substantifs à partir des bases verbo-nominales en likwála.
C'est « le processus incontestablement le plus constant et qui consiste dans la formation des
substantifs dérivés des verbes désignant le procès, l'agent du procès, l'instrument du procès, le
lieu du procès, la manière d'agir ou le résultat du procès » (Ntondo, 2003:145)
Pour accéder à la catégorie des substantifs, les bases verbales s’entourent d’un morphème à
signifiant discontinu. Cela tient au fait qu’en likwála tout nom doit être assorti d’un
classificateur nominal.
Dans cette langue, il y a plusieurs signifiants discontinus qui s’attachent à des bases verbo-
nominales. Mais seuls certains d’entre eux ont la valeur de préfixes. Nous en avons recensés
trois:
Tableau n° 2
Les préfixes à signifiants discontinus en likwála
-o de o-…-o dans
osámbo
o-sámb-o
cl.11+prier+"suf."
"prière"
2- 2- 1- La définition du suffixe
Un suffixe est un segment de type lexical, généralement non libérable, postposé à une base.
Tout suffixe a une valeur significative ; il n’a aucune valeur grammaticale. Le likwála fait
recours à un suffixe verbo-nominal appelé extension par des "spécialistes des langues bantu"
(Meussen, 1961-1967), (Bastin, 1986). Le suffixe d’extension est « un morphème
grammatical qui, tout en participant à la formation du thème verbal, joue à l’égard du radical,
un rôle d’orientation » (Ondo-Mebiame, 2008: 58).
(15) -is- dans olingisa "faire aimer"
Ce terme est formé de :
- la marque d’infinitif o-…-a
- la base verbo-nominale -ling- " aimer"
- le suffixe -is-
- l’applicatif -el-: ce suffixe exprime la manière dont s’accomplit l’action exprimée par le
verbe.
okangisa olingina
o-kang-is-a o-ting-in-a
cl.15 + fermer+"caus."+"inf." cl.15 + attacher+"récip."+"inf."
" faire attacher" " fermer réciproquement"
okangima okangita
o-kang-im-a o-kang-it-a
cl.15 + fermer+"pass."+"inf." cl.15 + fermer+"itér."+"inf."
" être fermé" " refermer "
okangima
o-kang-il-í
cl.14+fermer+"appl."+"suf."
" manière de fermer"
otúisa otúina
o-tú-is-a o-tú-in-a
cl.15 + forger+"caus."+"inf." cl.15 + forger+"récip."+"inf."
" faire forger" "forger réciproquement"
otúima otúilí
o-tú-im-a o-tú-il-í
cl.15 + forger+"pass."+"inf." cl.14 + forger+"appl."+"suf."
" être forgé" "la manière de forger"
N.B. Les suffixes verbo-nominaux en likwála se combinent de manière sélective avec les
bases.
Ces derniers n’admettent pour suffixes que ceux qui leur sont sémantiquement
compatibles.
(17)
-is- + -in- dans olingisina " se faire aimer"
Ce terme est formé de :
- la marque d’infinitif o-…-a
- la base verbo-nominale -ling- " aimer"
- le suffixe -is-
- le suffixe -in-
En likwála, la suffixation est utilisée principalement pour former des substantifs et des verbes.
2- 3- 1- Le redoublement partiel
Le redoublement partiel, en likwála, affecte une partie (syllabe) du substantif.
(18) mwá- de mwána (mo-ána) "enfant " est repris dans mwámwána "enfant en qui on
espère"
Il en est de même de
-bá- de ɔ báli (ɔ -báli ) "homme " est repris dans ɔ bábáli "homme en qui on
espère"
L’on pourrait considérer qu’une reprise de ce genre (mwá-) n’est pas un préfixe. C’est tout
à fait concevable. Mais nous l’assimilons à un préfixe du fait de son comportement
linguistique ; c’est un segment qui fonctionne comme un préfixe.
2- 3- 2- Le redoublement total
Le redoublement total consiste en la répétition du substantif intégralement. Non seulement la
base est totalement reprise, mais en plus, le nouveau segment (qui est un redoublement)
relève, dans certains cas, d’une autre classe grammaticale. Le redoublement total connaît
trois cas en likwála :
- le redoublement total du verbe
- le redoublement total de l’adjectif
- le redoublement total du substantif
(19) lumbá de lumbá (lumb-á) "sentir (une odeur)" est repris dans lumbá - lumbá
"espèce de plante "
Il en est de même de
- hɔ́i de ɔ hɔ́i (ɔ -hɔ́-i) "parleur" est repris dans ɔ hɔ́i - hɔ́i "bavard"
(20) -tití "petit" est repris dans -tití- tití "très petit"
Il en est de même de
Il en est de même de
moésé "journée" est repris dans moésé - moésé "en plein jour"
Ce qui vient d’être dit de la dérivation en likwála n’est pas éloigné de ce qui se dit, à propos,
des autres langues bantu en général, des autres langues congolaises en particulier. Certains
procédés sont très productifs. Il s’agit de l’emploi des classificateurs nominaux comme
préfixes. D’autres le sont moins ; par exemple, la reprise de la base monématique. Dans tous
les cas, la dérivation participe de l’économie syntaxique. Certains monèmes, au lieu de
fonctionner comme unités syntaxiques libres, s’agglutinent, réduisant ainsi, le nombre
d’éléments syntaxiques aptes à se lier et à se délier.
Références bibliographiques
Bastin, Yvon, (1983), La finale verbale -IDE et l'imbrication en Bantou,
Tervuren, MRAC, 249 pages.
Guthrie, Malcolm, (1967-1970), Classification of Bantu langage, london, eeg press, 4eme
volume.
Makouta- Mboukou, Jean Pierre, (1976), Etude descriptive du fumu, dialecte téké de
Ngamaba (Brazzaville), thèse d’Etat, Paris, Sorbonne-Nouvelle.