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L’ONU, un mécanisme imparfait mais indispensable

14 mars 2016

L’ONU a fêté l’année dernière son 70e anniversaire. Au terme de 70 ans d’existence
de l’ONU, quel bilan tirer de cette institution dont beaucoup critiquent l’inaction ou
l’impuissance et que le général de Gaulle surnommait avec mépris « le machin » ?

Certes, un tour d’horizon des enjeux actuels et passés peut donner l’impression que
l’ONU a incontestablement échoué : elle a échoué à assurer la paix dans le monde. La
guerre civile en Syrie aujourd’hui, qui dure depuis cinq ans et a causé un quart de millions
de morts, mais aussi la guerre des Etats-Unis en Irak à partir de 2003, que l’ONU a dû
avaliser pour ne pas perdre la face, ou encore le génocide du Rwanda en 1994-95 et le
massacre de Srebrenica en ex-Yougoslavie en 1995, que l’ONU est restée incapable de
prévenir et d’arrêter, l’illustrent. De même dans le domaine de la santé, l’OMS a été
impuissante à agir efficacement contre l’épidémie du sida depuis les années 1980, et
l’Unesco, on le voit aujourd’hui, est incapable de préserver les sites classés sur sa liste du
patrimoine mondial, comme l’illustrent la destruction des bouddhas de Bâmiyân par les
talibans en Afghanistan en 2001 ou celle du temple de Bel à Palmyre en Syrie en août
2015.

Pourtant, l’ONU reste un mécanisme indispensable car il s’agit de l’instance


mondiale la plus démocratique. En effet, son Assemblée générale rassemble 193 pays, soit
quasiment tous les pays du monde, sur une base démocratique, chaque Etat disposant
d’une voix. Ce n’est pas le cas dans d’autres instances mondiales comme le FMI, où les
Etats disposent d’un certain nombre de voix en fonction de leur richesse, ce qui fait que les
Etats-Unis et l’Union européenne disposent d’un nombre de voix prépondérant. De plus,
les valeurs sur lesquelles l’ONU a été fondée, au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale, sont des valeurs progressistes et humanistes : la démocratie, les droits de
l’homme, la paix, le progrès social.

L’ONU a aussi contribué à apaiser les conflits dans le monde : avec ses casques
bleus, créés en 1948, qui ont obtenu le prix Nobel de la Paix en 1988 et ont été plus de
2400 depuis leur création à mourir en mission. Elle s’occupe du « maintien de la paix »
(peacekeeping), mais aujourd’hui aussi de la « construction de la paix » (peacebuilding),
c’est-à-dire de l’établissement d’une paix durable, de l’organisation d’élections et du
rétablissement d’une démocratie pérenne dans les pays qui sortent d’un conflit. L’ONU a
ainsi mené une soixantaine d’opérations de maintien de la paix depuis sa création. Alors
qu’il n’y en a eu pas plus de 15 pendant la période de la Guerre froide, il y en a eu
beaucoup plus depuis 1989. Mais l’ONU, malgré ces apports, souffre de faiblesses
structurelles qu’il importe, au XXIe siècle, de corriger : tout d’abord son fonctionnement
n’est en fait pas tout-à-fait démocratique : le système du Conseil de sécurité, où les 5
membres permanents, vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale (France, Etats-Unis,
Royaume-Uni, Chine, Russie), ont le droit de veto, est une entorse à son caractère
démocratique.

Par ailleurs, l’ONU souffre d’un recrutement opaque, à tous les niveaux y compris
au plus haut. Ainsi, son Secrétaire général n’est pas élu, mais nommé par l’Assemblée
générale sur proposition du Conseil de sécurité, qui traditionnellement ne propose qu’un
seul candidat (!), choisi lors d’une réunion privée, au cours de laquelle les membres
permanents peuvent utiliser leur droit de veto.

Pour que l’ONU puisse accomplir son action efficacement, il faut supprimer le droit
de veto, et parallèlement donner à l’organisation plus de pouvoir, c’est-à-dire plus de force
contraignante à ses résolutions et à ses conventions, ainsi qu’un pouvoir de sanction accru
(à l’image de l’OMC qui, pourtant moins universelle que l’ONU, a un pouvoir de sanction
fort), par exemple lui donner un pouvoir de sanction économique à l’encontre d’Etats ou
de firmes transnationales, et opérer une véritable démocratisation de son fonctionnement
et de son recrutement. Il faut aussi soutenir les conventions progressistes de l’ONU et faire
pression sur les Etats pour qu’ils les ratifient. C’est à ce prix que l’ONU, organisation
imparfaite mais indispensable, pourra jouer son rôle pacificateur et progressiste en faveur
de tous les citoyens du monde.

[1] Toutes ces notions novatrices sont analysées dans mon dernier livre: Chloé
Maurel, Histoire des idées des Nations unies. L’ONU en 20 notions, Paris, L’Harmattan,
2015.

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