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Résumé
Mon objectif, dans cet article, sera de présenter l’évolution culturelle
et d’examiner comment la mémétique essaie d’en rendre compte.
En proposant une analogie profonde entre l’évolution génétique et
l’évolution culturelle, la mémétique tente de décrire et d’expliquer les
changements culturels à l’aide de concepts inspirés par la génétique
des populations. Je soutiens que la mémétique ne remplit pas cet
objectif, car (1) elle est lamarckienne, (2) elle propose des entités
culturelles qui ne sont pas des réplicateurs et (3) elle ne permet pas
de retracer des lignées claires. Ces trois arguments nous poussent
à douter de la force de l’analogie défendue par la mémétique. Je
terminerai cet article en présentant un argument plus général dont
l’objectif est de montrer que (4) l’analogie offerte par la mémétique
n’est pas scientifiquement acceptable.
Introduction
La théorie de l’évolution, depuis la publication de Charles
Darwin en 1859, a elle-même connu une évolution surprenante1.
Encore dynamique aujourd’hui, cette théorie ne cesse de s’étendre et
de s’éloigner de la discipline biologique d’où elle a surgi. Dans The
Selfish Gene, Richard Dawkins tenta lui aussi d’étendre la théorie de
l’évolution hors du champ exclusif de la biologie. Il tenta, non sans
controverse, d’étendre la théorie de l’évolution à l’étude de la culture.
On nommera cette tentative mémétique, soit l’étude de l’évolution
culturelle postulant l’existence de memes, des entités réplicatrices.
Dans cet article, je tenterai de déterminer si la théorie mémétique
propose une explication satisfaisante de l’évolution culturelle.
Pour ce faire, je commencerai par présenter ce qu’est l’évolution
culturelle, sa pertinence et les diverses formes que peuvent prendre
les théories qui veulent en rendre compte. Par la suite, j’exposerai
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L’évolution culturelle
La théorie de l’évolution, telle qu’élaborée par Charles Darwin,
se donne pour objectif d’expliquer la forme que prennent les espèces
biologiques actuelles. Plus spécifiquement, cette théorie cherche
à expliquer l’adaptation des organismes à leur environnement en
recourant à l’hypothèse de la sélection naturelle et à expliquer, par
ce mécanisme, la diversité qui règne au sein même des espèces.
Lorsque nous nous intéressons plus particulièrement à l’espèce
humaine, il est difficile de nier l’importance de la culture en ce qui a
trait à la survie et à la reproduction des espèces hautement sociales.
En effet, les humains acquièrent des connaissances et des techniques
de leurs semblables, ce qui semble jouer un rôle important pour leur
survie et leur reproduction. De plus, il existe une grande diversité
culturelle parmi l’espèce humaine, et cette diversité est maintenue
par l’apprentissage. La notion de transmission culturelle semble
donc mériter une place dans une théorie de l’évolution.
Cavalli-Sforza et Feldman ont examiné de nombreuses situations
où l’évolution biologique à elle seule ne semble pas rendre compte
adéquatement de l’évolution humaine2. L’exemple le plus connu est
probablement celui des femmes italiennes dont le taux de natalité a
baissé de plus de moitié lors du 19e siècle, passant d’une moyenne de
cinq enfants à seulement deux enfants. Ce phénomène s’inscrit plus
largement dans ce qu’on a appelé une transition démographique.
Comment, d’un point de vue évolutif, est-il possible d’expliquer
cette diminution de natalité ? Intuitivement, diminuer le nombre
de progénitures ne semble pas une très bonne stratégie adaptative,
surtout que, selon Cavalli-Sforza et Feldman, les femmes italiennes
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La mémétique
Dawkins et ses collègues méméticiens, qui s’inspirent de la
génétique des populations, postulent l’existence de réplicateurs.
Qu’est-ce qu’un réplicateur ? Un réplicateur est une entité capable
de créer des copies d’elle-même4. Bien que la porte soit ouverte à
l’existence de multiples réplicateurs, le réplicateur par excellence
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vu, sont des entités capables de créer des copies d’elles-mêmes. Les
véhicules, quant à eux, ne sont que les corps dans lesquels les gènes
agissent7. Les gènes, en tant qu’entités égoïstes, ne recherchent
que leur propre conservation8. De la même façon, les memes aussi
chercheraient à se propager, de cerveau en cerveau, avec comme
objectif leur propre survie. Les memes seraient ainsi comparables à
des virus9, dont le but est d’infecter le plus de cerveaux possible. Cet
aspect de la mémétique, aussi controversé et complexe qu’il puisse
paraitre, sera mis de côté dans cet article, pour la simple et bonne
raison qu’aucune des objections avancées ici-bas n’y fait directement
référence.
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Conclusion
Après avoir introduit la notion d’évolution culturelle, j’ai
distingué quatre formes de théories de l’évolution culturelle.
La mémétique, contrairement à d’autres théories de l’évolution
culturelle, propose une analogie profonde entre le gène et l’entité
réplicatrice culturelle, le meme. J’ai ensuite passé en revue quatre
objections à l’endroit de la mémétique. La première objection tente de
discréditer la mémétique sur la base du lamarckisme qu’elle défend.
Bien que, selon moi, la mémétique ne s’en trouve pas discréditée,
je crois que l’analogie que propose la mémétique s’en trouve tout
de même affaiblie, car il s’agit d’une différence importante avec
l’évolution génétique, qui n’admet pas (ou du moins, pas encore) le
lamarckisme chez les êtres multicellulaires. La deuxième objection
attaque la mémétique en défendant que, contrairement aux gènes,
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