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N°302
étude
mars 2012
De la régulation sociale
à la performance sociale ?
Réguler une conflictualité
qui se déplace, se transforme, se déguise....
François Dubreuil
avec la contributation de Jean-Pierre Basilien
Siège Social
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75008 PARIS
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Lyon
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mars 2012 N° 302
étude
De la régulation sociale
à la performance sociale ?
Réguler une conflictualité
qui se déplace, se transforme, se déguise…
François Dubreuil
avec la contribution de Jean-Pierre Basilien
Introduction 3
2. La régulation désertée 17
1. Les limites opérationnelles des canaux de la régulation sociale ........................................................ 17
2. De la régulation sociale à la performance sociale ? ............................................................................... 22
3. La nouvelle posture victimaire de la critique radicale .......................................................................... 27
Conclusion 47
Toute reproduction est interdite sans autorisation expresse d’Entreprise&Personnel
Introduction
La régulation sociale est un concept central pour Entreprise&Personnel. Conçue en 1967, née en
1969, notre association a vu le jour autour de quatre projets : améliorer l’organisation du travail
pour sortir de la « crise des OS » (Jean Bonis), renouveler les relations sociales, pour sortir de
l’affrontement de classe (Jean Noharet, Jean Dubois), mesurer le progrès social à travers la pratique
de l’audit social (Raymond Vatier) et pour accomplir tout cela, professionnaliser et développer ce qui
s’appelait la fonction personnel (Robert Bosquet).
Dans ce projet initial, la régulation sociale est essentiellement une régulation des relations sociales,1
entendues au sens des relations entre la direction de l’entreprise et le ou les syndicats. La notion de
régulation renvoie alors essentiellement à deux choses : régulation de l’imprévisibilité, de l’intensité
et de la durée des conflits sociaux, et régulation au sens de la production de règles et notamment de
conventions collectives (interprofessionnelles, de branche, d’entreprise). Il faut élargir le champ et
décentraliser la négociation pour sortir d’un modèle de gestion basé sur le tout collectif/tout salaire
et encourager le développement d’un syndicalisme réformiste.
C’est dans les années 1980/90, qu’E&P formalise son modèle d’analyse et d’action en vue de la
régulation sociale2. La France connaît durant cette période, comme de nombreux autres pays, un
déclin syndical marqué. En parallèle, les démarches de concertation et d’implication des salariés
prennent de nouvelles formes : communication interne et enquêtes de climat social d’une part,
participation directe des salariés à des groupes d’expression, cercles de qualité, démarches projets.
Dans ce contexte, E&P propose aux dirigeants et DRH un modèle de la régulation sociale élargi à ces
nouvelles modalités d’action sur le corps social interne (voir infra partie 1). La dernière publication
d’Entreprise&Personnel sur le thème de la régulation sociale date de 20003. Cette étude pointait déjà
à l’époque un risque d’inadéquation du modèle devant les mutations de l’entreprise et du social :
développement de l’entreprise en réseau (franchises), mise sous contrôle des process,
développement du travail à distance et en mode projet (en lieu et place des divisions métiers), dans
un contexte de fragmentation du corps social. Pour tenir compte de ces phénomènes, Gérard
Donnadieu proposait d’observer la régulation externe : les réseaux inter-individuels et le
développement de formes syndicales de type associatif.
Depuis 2000, toutes ces évolutions se sont accélérées, d’autres enjeux émergents en 2000 sont
devenus omniprésents en 2012 : internet, discriminations, risques psychosociaux. D’autres évolutions
se sont inversées, ainsi la décentralisation à l’œuvre dans les années 80-90 a été suivie dans les
années 2000-2010 d’une phase de centralisation croissante.
Au-delà de ces évolutions, depuis 2008, l’économie mondiale semble entrée dans une crise majeure
dont l’ampleur ne cesse d’être réévaluée à la hausse. La période a déjà été marquée par plusieurs
épisodes révolutionnaires (printemps arabe en 2011), l’avenir de l’Europe comme union politique est
en débat, la domination économique et militaire de l’Occident est de moins en moins évidente...
1
Donnadieu, J.L., Dubois J., Noharet J., Valdiguié, P., Chavagnat G., 1979, L’avenir des relations sociales et syndicales - 6 modèles d’action,
Groupe de Pratique Associative des directeurs de relations sociales– E&P
2
Donnadieu G., Dubois, J., Noharet, J. (1986), Quelles relations sociales dans l’entreprise Demain, Note de problématique E&P,
Donnadieu G., Layole, G., (1992), La régulation sociale dans l’entreprise : Théorie et perspectives opérationnelles, Etude E&P,
Donnadieu, G. Dubois, J. (1995), Réguler le social dans l’entreprise, crise ou mutation des relations sociales, Editions Liaisons
3
Donnadieu G., (2000), Réguler le social dans les nouvelles organisations, Etude E&P
3
Dans le champ plus strict de l’économique et du social, les entreprises n’ont cessé de multiplier les
discours affirmant leur responsabilité sociale et les actions visant à la démontrer4. Notre note
d’orientation ou encore le récent appel du MEDEF à « changer d’aire » en témoignent. Mais cette
aspiration peut-elle tenir en temps de crise ? Ou bien n’est-elle qu’un paravent masquant la réalité
d’un épuisement du modèle économique et social ? Les entreprises, et surtout les grandes
entreprises, peuvent-elles jouer un rôle dans la régulation des tensions sociétales : émeutes urbaines,
altermondialisme, mouvements écologistes, etc. ?
Débutée en 2010, cette étude a été rédigée tout au long de l’année 2011, nourrie par les échanges
avec les experts d’Entreprise&Personnel, les DRH et responsables d’observation sociale. Son objet
est de fournir aux dirigeants, DRH et responsables de l’observation sociale, une grille de diagnostic
de la situation sociale de leur entité et un outil pour agir sur la performance sociale. L’idée de
régulation sociale associe dès l’origine une vision humaniste des rapports sociaux en entreprise,
recherchant explicitement « l’harmonie sociale », une vision institutionnaliste cherchant à instaurer
des dispositifs de régulation des conflits plutôt qu’à s’en remettre aux qualités de leadership des
dirigeants ou à une hypothétique révolution finale, et une vision pragmatique : comment conduire les
changements souhaités en anticipant et en maîtrisant les risques sociaux ? Comment tenir ce projet
dans le contexte actuel en forte mutation ?
La première partie revient sur l’historique des concepts de la régulation sociale développé au sein
d’E&P et procède à une analyse critique de cette construction. Elle propose une synthèse des
grandes mutations du contexte socio-économique qui viennent réduire la pertinence de ce modèle
aujourd’hui.
La seconde partie présente les difficultés de la régulation sociale dans les entreprises. Les corps
intermédiaires qui assuraient cette régulation (encadrement, représentants du personnel) sont en
crise, communication et participation semblent tourner à vide, de sorte qu’on assiste de plus en plus
à une coupure entre les opérationnels (salariés et managers de proximité) d’une part et la direction
et les syndicalistes professionnels d’autre part. Le schéma de la régulation sociale ne semble plus
aussi pertinent d’ailleurs pour éclairer l’action des dirigeants qui se préoccupent de plus en plus de
leur empreinte et de leur performance sociale. Les acteurs de la contestation radicale, SUD,
altermondialistes et ONG écologistes mobilisent également de plus en plus la référence à un
épuisement des ressources humaines par excès de mobilisation.
La troisième partie propose de suivre les enjeux sociaux émergents : santé (en particulier santé
mentale), équité, utilisation des nouvelles technologies pour porter atteinte à l’image de l’entreprise
et organiser rapidement des actions coup de poing. Dans l’entreprise ouverte, la régulation sociale
porte sur des crises indissociablement internes et externes. Pour repérer les causes et peser sur ces
enjeux, il faut élargir le périmètre d’observation et d’action et porter attention aux normes de
performance attendues, à leur rétribution, ainsi qu’à l’organisation du travail. Ceci permet d’observer
que les opérationnels peinent à atteindre des objectifs, appliquer des procédures et respecter des
normes, qui leur sont imposés, dans les organisations matricielles, par des instances qui se
coordonnent peu. Dans ce contexte, le DRH et le dirigeant ont pour mission de construire et de
mettre en visibilité la cohérence entre ces éléments, la fonction de DRH évoluant d’un rôle de
régulateur en direct à un rôle d’architecte et de pilote médiatique.
4
E&P accompagne ce mouvement, Enlart, S., Bailly, J.P., (2011), « L'entreprise est un acteur engagé de la cohésion sociale », Le Monde
Cette étude propose une grille de lecture du fonctionnement des entreprises, une
typologie des risques sociaux et des leviers d’action. Il s’agit donc d’une étude théorique
et générale, dont la vocation est de servir d’appui à la décision et à l’action. Elle est issue
de discussions en interne et avec des DRH, des diagnostics sociaux menés auprès de
plusieurs entreprises adhérentes, des diverses missions menées par E&P.
Vous êtes dirigeant ou manager, cette étude vous invite à repérer comment, dans votre
entité, l’action de vos salariés est régulée, les forces et faiblesses de chaque mode de
régulation. Elle vous invite aussi à vous interroger sur votre performance sociale et sur
les leviers qui permettront une insertion plus vertueuse de votre entité dans son
environnement.
Vous êtes DRH, cette étude vous encourage à organiser, dans l’intérêt des opéra-
tionnels et de la direction générale, un meilleur dialogue entre services fonctionnels du
groupe, à assurer la cohérence entre le pilotage financier et la stratégie sociale. Dans les
organisations actuelles, le dialogue entre management opérationnel et représentants du
personnel ne suffit plus parce que ces deux acteurs sont percutés simultanément par les
sollicitations fréquemment non coordonnées desdits services fonctionnels (qui
structurent l’organisation et les outils de travail) et du couple direction des
finances/contrôle de gestion qui focalise l’attention sur certains objectifs de
performance.
Vous êtes Directeur des relations sociales, cette étude vous propose une réflexion sur
l’évolution des modes d’action des organisations syndicales et plus généralement sur la
manière dont les salariés négocient leur niveau d’effort afin d’atteindre leurs objectifs
propres. La dénonciation de l’épuisement, la mise en scène du statut de victime, les
atteintes à l’image de l’entreprise, des conflits brefs dans des endroits stratégiques
remplacent l’affrontement collectif permanent (la grève froide) entre la base et
l’encadrement.
Vous êtes en charge de la marque employeur, de la RSE ou du développement durable,
cette étude vous invite à vous rapprocher des DRH et managers, pour que les objectifs
tournés vers l’externe de la RSE soient davantage intégrés dans les pratiques concrètes
des salariés. Un mauvais climat social interne entraîne un risque accru d’atteintes à
l’image de l’entreprise. Ce mauvais climat peut résulter d’un manque de priorités entre
objectifs partiellement contradictoires et/ou d’un décalage entre l’image affichée et le
vécu concret.
Proposer une grille de lecture du social sur fond de ruptures majeures comporte une
prise de risque. Nous faisons le pari qu’un regard en hélicoptère sur les évolutions de
moyen/long terme est utile pour mesurer le chemin parcouru et envisager les possibles
sur les années à venir. L’essentiel demeure d’échanger entre nous, afin de construire
collectivement une représentation opérationnelle nous permettant de faire évoluer les
pratiques de gestion des personnes en entreprise en cohérence avec les nécessités du
temps.
5
1. A l’origine : analyser et agir sur le système
social interne
D- Dirigeant
CP- Chef du Personnel
E R
E - Encadrement
P- Personnel
R- Représentants
Relation d’alliance
Dans ce schéma, la direction du personnel arbitre les conflits entre l’encadrement (singulier) et
les représentants du personnel. On repère deux sous-ensembles :
- DEP : « aux ingénieurs la technique »
- PRD : « aux représentants (et au chef) du personnel, le social »
5
Donnadieu G., Dubois, J., Noharet, J. (1986), Op. Cit., p. 6 et p. 8, - Donnadieu, G. Dubois, J, (1995), Op. Cit,
D
CP
Communication interne
D- Dirigeant
E R CP- Chef du Personnel
E- Encadrement
P- Personnel
R- Représentants
Négociation décentralisée
P
Dans ce schéma, la direction sort des affrontements collectifs rituels par une plus grande
communication et association du personnel. Entre les deux schémas, les changements,
encouragés par E&P, sont les suivants :
Décentralisation aux opérationnels et créations d’équipes autonomes de production,
Décentralisation de la négociation (des branches vers l’entreprise, des sièges vers les
établissements), encouragement de la participation des responsables de services aux IRP,
Communication directe entre la direction et le personnel (journaux internes, enquêtes),
Développement de la participation, époque des lois Auroux, des cercles de qualité, et des
projets d’entreprise.
Le passage d’un schéma à l’autre est couplé avec un outil d’aide à la structuration d’un plan
d’action dans son entreprise/son unité, le clavier du dirigeant, porté par Gérard Donnadieu6.
Le clavier du dirigeant permet à la fois de détecter les forces et faiblesses de chacun des
canaux dans les trois dimensions et de préconiser des actions via tel ou tel canal (objectif à
l’encadrement, négociation, action de communication…) pour conduire/piloter un changement
de type organisationnel, culturel ou de relations entre acteurs.
Ce modèle d’analyse de la régulation sociale conduisant à ces préconisations semble
effectivement suivi par les entreprises en France et en Occident tout au long des années 70, 80
et 90. On assiste à l’époque à une véritable décentralisation dans les entreprises (ex. mises en
place des agences locales multi-métiers à EDF GDF Services, possibilité pour les chefs de
rayons des grandes surfaces de négocier avec les fournisseurs) à un élargissement des emplois
(attribution de la totalité du règlement d’un dossier à un salarié dans le back office des
assurances, élargissement des postes de production au premier niveau de contrôle qualité et
de maintenance, équipes autonomes de production… ACAP 2000).
La responsabilisation des hiérarchiques est censée « couper à la racine » les raisons qui
poussent certains à se tourner vers les syndicats ou à se mobiliser collectivement dans la
6
Donnadieu G., (2000), Réguler le social dans les nouvelles organisations, Etude E&P n° 194
7
grève. La maîtrise par un collectif en proximité de la totalité du processus de production
permettant de rendre un service au client est pensée comme devant permettre une meilleure
réponse à ses attentes, la mobilisation de tous au service de la qualité.
Les années 80/90 semblent accomplir une sorte d’âge d’or de ce pour quoi
Entreprise&Personnel avait été fondé, améliorer le contenu du travail par élargissement et
enrichissement des tâches, pacifier les relations sociales, associer de façon accrue les salariés à
la marche de leur entreprise (lois Auroux, cercles de qualité, projets d’entreprise).
Aujourd’hui force nous est de constater que cet « âge d’or » n’a pas constitué une fin de
l’histoire en matière de gestion. Les entreprises connaissent des évolutions dont il est difficile
de rendre compte à l’intérieur de ce modèle de la régulation sociale. L’objet de cette étude est
de présenter ces évolutions et de tenter de formaliser une nouvelle grille d’analyse permettant
à chaque dirigeant/DRH de diagnostiquer la situation de son entreprise ou de son entité et de
pronostiquer des modifications à apporter. Cette démarche reste évidemment exploratoire, la
pertinence de la grille proposée en partie 3 est à tester et à améliorer par les échanges entre
nous. Mais auparavant il peut être pertinent de revenir sur les limites théoriques du modèle.
La façon dont la direction, les hiérarchiques et les salariés co-construisent les éléments qui
cadrent leurs interactions. L’organisation du travail, le système de pilotage par objectifs et le
système de rémunération sont présentés comme étant des sous-systèmes distincts et
externes au système social dont on pense la régulation. L’interne est distinct de l’externe, la
technique du social, là où l’évolution actuelle rend les frontières poreuses (flux continu
d’informations, de commentaires d’opinion sur l’entreprise) ;
Les relations avec et entre les acteurs transverses ou externes à l’entreprise (associations
de défense de groupes discriminés, de victimes d’une atteinte à la santé, de défense des sans
papiers…) et en particulier les modalités de la méritocratie en entreprise et de la lutte
contre les discriminations illégitimes, les enjeux de santé publique ;
Les relations de coopération, d’engagement ou à l’opposé, les pratiques de retrait
susceptibles d’être adoptées par les salariés, les clients, les sous-traitants.
Les enjeux théoriques peuvent ne pas intéresser le lecteur de cette étude et mériteraient
d’ailleurs un traitement plus détaillé en eux-mêmes. Le point suivant pose quelques éléments
sur les limites du cadrage théorique initial au vu de l’évolution des sciences sociales.
7
Donnadieu, G., (1990), Le système organisationnel – Document pédagogique et technique, p. 2 – E&P
Le système organisationnel
SD Système
social
SRP SF
SI
Cette théorisation était en prise avec les sciences sociales de l’époque, cohérente avec la
pratique d’E&P, celle des entreprises, ainsi qu’avec les modalités d’action des salariés.
Sur le plan théorique, le cadre systémique de la régulation sociale, inspiré par un des pères
fondateurs des relations industrielles (Dunlop) a été renouvelé par différents sociologues
français. Le modèle du clavier du dirigeant s’appuie très fortement sur la synthèse de la
sociologie de l’entreprise proposée par Renaud Sainsaulieu8 à partir d’auteurs tels que Michel
Crozier et Erhart Friedberg, Jean Daniel Reynaud, Philippe d’Iribarne, et en opposition à un
courant d’inspiration marxiste encore bien présent.
Les relations sociales « qui comptent », celles qui mobilisent la participation de directeurs
généraux, sont les relations entre la direction et les syndicats, au sommet de l’entreprise. La
classification (système de fonctions) est présentée essentiellement comme un cadre
d’inspiration rationnelle négocié avec les syndicats à l’initiative de la direction. L’organisation du
travail est un domaine relevant clairement de l’établissement, voire de l’atelier9. La régulation
sociale est pensée à côté de la réflexion sur l’organisation du travail ou sur la rémunération.
Ce modèle est désormais moins cohérent avec les approches dominantes en sciences sociales,
aux études d’E&P ou les pratiques des entreprises et des salariés.
Plusieurs synthèses récentes convergent pour dire que les sciences sociales ont évolué, depuis
1990, de la façon suivante :
Un désintérêt croissant pour la conflictualité et les classes sociales (avec peut-être un
regain d’attention depuis 2008). Les sciences sociales se sont centrées davantage sur les
thèmes liés aux aspirations individuelles à l’égalité de traitement (homme-femme, suivant
l’origine ethnique…) et au développement des capacités réelles d’action (Handicap), avec
un intérêt croissant pour les enjeux éthiques (Rawls, Sen…).
Un tournant constructiviste. Les sciences sociales s’attachent à défaire la distinction entre
phénomènes « sociaux » et phénomènes « naturels » (Callon, Latour). Elles observent la
construction par les acteurs des dispositifs qui cadrent leur action (Giddens, Thévenot,
8
Sainsaulieu, R., Piotet, F, (1994), « Méthodes pour une sociologie de l’Entreprise » les Presses de la FNSP
9
Par exemple, Donnadieu G., Dubois J., Noharet J., (1986), Op. Cit, - Donnadieu G., Denimal Ph., (1995), Classification, qualification : de
l’évaluation des emplois à la gestion des compétences, Ed. Liaisons - Douard H., (1977), Job enrichment, équipes autonomes de production,
nouvelles perspectives dans la restructuration du travail, Etude E&P
9
Boltanski) et s’intéressent plus aux relations entre acteurs/catégories sociales qu’aux
propriétés intrinsèques de ces acteurs/catégories,
Un intérêt croissant pour les questions de santé et d’environnement en lien avec une
approche en termes d’alertes et de risque (Beck, Chateauraynaud). L’enjeu principal est
moins la « question sociale » du partage des profits entre producteurs (travailleurs et
employeur) que celle de la prévention des risques et l’attribution des responsabilités, et ce,
que ces risques soient « techniques » (accidents industriels, contamination alimentaire,
médicaments et produits défectueux, pollution électromagnétique, aérienne), économiques
(défaut de paiement, variation de prix, faillite) ou psycho sociaux (stress, harcèlement,
discrimination, agression…).
Le cadre systémique de la régulation sociale est également moins en phase avec l’action d’E&P
d’aujourd’hui. Dans nos travaux récents, les relations qui comptent sont les relations entre
collègues ou avec la hiérarchie en charge d’animer ce « vivre ensemble ». L’organisation du
travail doit être objet de l’attention des directions d’entreprise et des DRH centrales, compte
tenu de la faible autonomie en la matière des établissements ou ateliers. L’entreprise est en
permanence traversée par les enjeux sociétaux au point qu’elle est appelée à s’engager dans
leur régulation10.
Cette évolution des sciences sociales et de nos publications répond pour partie à un progrès
des connaissances, elle découle également de l’évolution de la société, des pratiques des
entreprises, comme de celles des salariés. Quelles sont les causes et modalités d’émergence de
ces nouveaux enjeux sociaux à réguler ?
10
De Ré Vannière, L. Vivre Ensemble, Etude E&P, à paraître - O’Donnell, A., Perrier P., Vesin, P., (2011), Manager de proximité, non merci,
Etude E&P n° 298 - Fotius, P., Dégruel, M. (2010), Fonction RH et organisation, E&P Pratiques - Enlart S., (2011), L’entreprise engagée :
Cohésion sociale, performances et société, Note d’orientation E&P, 2011, 2015
11
Donnadieu, G. (2000), Op. Cit., - Leclair, P., Leboulaire, M. (1999), Portraits de groupes avec ou sans personnel : quelle GRH dans les
entreprises-réseaux ? Etude E&P n°189
12
Gadrey, J., (2003), Socio-économie des services, La Découverte
13
Moulier Boutang, Y., (2010) L’abeille et l’économiste, Éd. Carnets Nord
14
Leclair P. Le Boulaire M., (1999), Op. Cit, - voir aussi, Petit, H., Thévenot N., (2006), Les nouvelles frontières du travail subordonné, La
Découverte - Mariotti, F., (2005) « Qui gouverne l’entreprise en réseau », Les presses de Sciences-Po
11
La libéralisation des activités financières (flux de capitaux internationaux, produits dérivés,
fonds mutualisés, titrisation des dettes…) a augmenté fortement la crédibilité à tout moment
de la menace d’un rachat d’une entreprise par un actionnaire institutionnel ou une autre
entreprise. Les fusions et acquisitions aux Etats-Unis d’Amérique sont passées de 120 à plus de
700 milliards de dollars entre 2002 et 2007. Les actionnaires semblent avoir renforcé leur
pouvoir par rapport aux autres parties prenantes de l’entreprise (salariés, consommateurs,
riverains et fournisseurs). La part des dividendes dans la valeur ajoutée des sociétés non
financières a progressé (de 4,5 % en 1990 à 8 % en 2007 en France (INSEE)). Dans une
enquête récente d’Entreprise&Personnel menée en partenariat avec Sociovision15, un tiers des
DRH répondants déclaraient avoir la perception que dans leur entreprise « ce ne sont pas les
dirigeants qui décident, mais les actionnaires ». Or l’évaluation par le marché de la valeur de
l’entreprise varie en fonction de l’image de cette entreprise.
Du fait de ces évolutions, l’enjeu historique du contrôle « des moyens de production » décline,
tandis que l’enjeu du contrôle de l’image progresse.
Des conflits sur le partage des profits aux conflits sur l’exposition aux
risques
Certains perçoivent cette évolution comme liée à un repli conjoncturel de la croissance et/ou
liée au déclin de la France, de l’Europe et de l’Occident face à l’Asie. Il faut envisager une autre
interprétation, celle d’une entrée en crise profonde de notre société industrielle. La parution
en 1972 du rapport du club de Rome « The limits to growth16 » avait déjà posé les données
essentielles : une croissance économique infinie est impossible sur une planète finie, pénurie de
ressources ou pollution viennent rapidement mettre un terme à la croissance. La conscience
15
« Proximité(s), un enjeu de performance », Actes de l’Université d’Hiver E&P du 19 janvier 2011
16
Meadows D., Meadows D, Randers J. et Behrens I. (1972), Halte à la croissance ? (rapport au Club de Rome), Fayard, Paris
17
Beck, U, (2001), La société du risque, Aubier, l’édition allemande originale date de 1986
18
Plusieurs auteurs pointent cet affaiblissement des relations et le double sentiment de liberté/insécurité qui en découle, par exemple
Zyngmunt Bauman, (2010), L’amour liquide, de la fragilité des liens entre les hommes, Hachette, ou pour une forme littéraire, Michel
Houellebeck, (1994), L’extension du domaine de la lutte, Maurice Nadeau
19
Chauvel, L. (2001), « Le retour des classes sociales », Revue de l’OFCE http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/9-79.pdf
13
annoncerait un retour de la conscience de classe et des affrontements entre classes sociales.
Ce potentiel retour n’est toutefois pas encore visible.
G. Donnadieu et J. Dubois proposaient20 le schéma suivant :
La régulation sociale opposait deux groupes sociaux cohérents, l’entreprise organisée de façon
rationnelle grâce à l’action efficace de l’encadrement et le groupe social des ouvriers se
percevant comme la classe ouvrière en lutte grâce à l’action de la CGT et du parti
communiste. En France, ces deux groupes sociaux s’affrontaient régulièrement dans le cadre
de conflits collectifs, médiatisés par l’Etat. Par comparaison, d’autres pays, dont l’Allemagne,
privilégiaient la négociation et la participation des salariés à la régulation de contrôle.
Aujourd’hui la réalité sociale semble bien plus complexe aux salariés et aux dirigeants. Les
conflits à arbitrer au sein du corps social (entre hommes et femmes, précaires et CDI,
minorités visibles et « caucasiens »…)21, comme au sein des entreprises (donneurs d’ordre et
sous-traitants, groupe et filiales, relations entre filiales) sont plus nombreux. L’opposition
salariés/employeur dans le cadre de la relation salariale semble du coup moins fondamentale.
20
Donnadieu, G., Dubois J., 1995, op. Cit., p.33
21
Cette évolution était déjà repérée dans Dubois, J., Donnadieu, G., (1993), Canal des relations sociales : de la crise au renouveau ?, Etude
E&P
22
Ewald, F., Kessler, D, (2000), « les noces du risque et de la politique », Le Débat
23
Borraz, O. (2008), Les politiques du risque, Les presses de Sciences Po
24
Chateauraynaud, F., (2011), Argumenter dans un champ de forces. Essai de balistique sociologique, Paris, éditions Pétra
25
Sur la continuité entre travail et travail des forces, voir Vatin, F. (2008), Le travail et ses valeurs, Albin Michel
15
1945 -1980 2000 -
EMPLOYEUR L’employeur est l’organisateur, Eclatement des rôles, l’employeur
l’investisseur, le site de production, légal « héberge » sur son site ses
le dirigeant salariés, ainsi que d’autres
travailleurs qui sont
managés/organisés/outillés par
d’autres
SALARIE L’homme marié est le chef d’une Egalité des parents, famille
famille nucléaire, travailleur monoparentale, PACS et
étranger masculin concubinage, égalité salariale,
minorités visibles
ORGANIGRAMME Unité de commandement Organisation matricielle
HIERARCHIQUE / Impliqué dans le travail Client du travail dont il mesure les
MANAGER Membre de l’encadrement résultats par des indicateurs
17
Dans les années 60, un conflit de classe opposait le personnel et ses représentants à la
direction et à l’encadrement. Le directeur du personnel avait alors un rôle d’ambassadeur et
de médiateur dans l’obtention de la paix sociale. En 2010, la situation a profondément changé,
le jeu social semble opposer plutôt la base et le sommet26, le rôle du DRH doit donc évoluer.
D- Dirigeant
L DRH - Directeur de Ressources Humaines
M M – Managers (Encadrement)
C – Collaborateurs (Personnel)
L- Lanceurs d’alerte (Représentants)
Relation forte
Entre 1960 et 2010, les acteurs en présence ont changé. Ceci est visible dans les termes
qu’ils emploient pour s’autodéfinir et désigner les autres. Ce ne sont pas le personnel et
l’encadrement qui voient leurs conflits régulés par l’action conjointe de la direction et les
représentants du personnel, mais des managers et leurs collaborateurs qui composent
avec les objectifs de la direction, sous la menace du succès d’éventuelles alertes.
L’évolution terminologique reflète la montée de l’individualisation, le passage d’une
régulation à un pilotage du social. Le personnel acteur collectif est remplacé par les
salariés, les ressources humaines ou les collaborateurs. L’encadrement (qui définissait
collectivement le cadre de l’action des salariés) a éclaté à partir des années 90 en de
nombreux managers qui poursuivent l’atteinte de leurs objectifs individuels.
La notion de lanceur d’alerte est encore émergente. De fait, le cadre législatif instaure
des délégués du personnel ainsi que des instances « représentatives du personnel ».
Toutefois la réforme de la représentativité de 2008 a fait symboliquement évoluer le
statut de ces représentants. Les membres du comité d’entreprise et les délégués du
personnel tiraient leur légitimité d’abord de leur mandat syndical leur permettant de
parler au nom du personnel (entité collective). Ils sont désormais davantage des
représentants élus par une partie des salariés. On parle de plus en plus souvent des
« élus du personnel ». Par ailleurs, le cadre juridique s’ouvre peu à peu à la protection
26
Au plan national, cette évolution fait penser également à la « fracture sociale » qui opposerait selon Emmanuel Todd et Marcel
Gauchet, l’élite bien pensante (de gauche ou de droite) à la France des marges renvoyée vers l’extrême droite
27
Sur l’émergence de cette notion, Chateauraynaud, F., (2009), « Les lanceurs d’alerte et la loi », Experts, n°83
28
Fusion de 2 à 3 centres régionaux en entreprises régionales à la Lyonnaise des eaux, éclatement des cent centres de distribution de
distribution de gaz et d’électricité en une quarantaine d’agences mono métiers chez EDF et GDF SUEZ, fermeture de sites dans de
nombreuses entreprises industrielles (Renault, Peugeot, Legrand…), fermeture d’établissements postaux et ouverture de centres
multi-services, regroupement des services en pôles médicaux multi-sites et des hôpitaux en groupements hospitaliers à l’APHP, fusion
des caisses d’allocations familiales locales en une caisse par département…
19
enjeux locaux d’un manager, les points de rencontre sont limités. Entre le siège groupe
parisien et la BU France ou le centre d’expertise technique français, la proximité se réduit,
qu’elle soit géographique (Paris, versus la Défense, Gennevilliers, St Denis…) ou sociale
(parcours internationaux, anglais langue de travail… versus parcours nationaux langue
française).
Notre Université d’hiver 2011 consacrée à la proximité a montré cette divergence entre des
micro-collectifs de travail chaleureux, soudés autour du manager de proximité et une direction
du siège vue comme distante. Les salariés ont le sentiment d’une mise en concurrence
croissante entre équipes, par une direction qui divise plus qu’elle ne rassemble. Il est difficile,
dans ces conditions, pour le manager de proximité dans un site précis de porter la « stratégie
monde » auprès des salariés. La métaphore du « canal », d’une liaison continue de
l’encadrement, du directeur général aux premiers niveaux de salariés n’apparaît plus
pertinente. Il faudrait plutôt parler de discontinuité entre différentes strates managériales, avec
des managers reliés les uns aux autres par le principe de subordination et de dépendance.
L’unité de la ligne managériale a peut-être toujours été un récit de nature
idéologique, mais celui-ci est de moins en moins crédible.
A trop vouloir faire du management l’élément-clé de la régulation sociale, on le place dans des
injonctions contradictoires.29 Il y a peu d’enjeux sur lesquels il puisse réellement agir, et ses
collaborateurs le savent. L’antienne de l’importance du management de proximité est
inversement proportionnelle à la réalité de son pouvoir dans la plupart des organisations.
29
Cf. O’Donnell., A., Manager de proximité, non merci ! Op. Cit.
30
Institut Montaigne, Entreprise&Personnel, (2011), Reconstruire le dialogue social. Rapport
21
La communication « interne », un « bruit » parmi d’autres…
Dans « l’infosphère » où l’information se diffuse, circule, rebondit dans tous les sens,
l’information structurée que veut donner l’entreprise à ses salariés à travers le « canal
médiatique » est toujours E N R E T A R D par rapport à ce que tout un chacun peut trouver par
ses propres moyens. Longtemps la concurrence portait entre organisations syndicales et
directions d’entreprise sur la rapidité dans la communication des messages-clés à « faire
passer » aux salariés pour orienter leurs représentations d’une situation. Les sources
d’informations étaient rares encore à la fin des années 90. Elles étaient le plus souvent sous
contrôle : communiqués de presse, annonces formatées, commentaires d’opinion parfaitement
identifiés et prévisibles. Cette course de vitesse entre l’info direction et les tracts syndicaux
apparaît dépassé quand sur Twitter se retraduisent en T E M P S R E E L les éléments d’un débat,
d’une négociation, d’un procès.
Chaque salarié est potentiellement émetteur d’informations, lanceur d’alertes, critique
anonyme sous pseudo de son entreprise dans les pages ouvertes des multiples blogs, y compris
institutionnels.
L’entreprise est constamment observée, surveillée, dans ses décisions, ses actions, ses
résultats, et cela dans pratiquement toutes les zones géographiques et domaines où elle
intervient. Ces décisions font l’objet de multiples commentaires. La transparence demandée
conduit à une information continue sur les médias économiques. Ce « dévoilement » des
stratégies dans les I.R.P. est en décalage régulier.
Le salarié est confronté ainsi à une masse non hiérarchisée, non contrôlée d’informations,
de rumeurs, de commentaires à partir desquels il se construit, de façon autonome et
aléatoire, ses propres représentations. Le salarié est acteur de fait de son analyse et les
volontés de contrôle, qu’elles soient patronales ou syndicales apparaissent aujourd’hui bien
velléitaires.
Utiliser le modèle de la régulation sociale permet de repérer une distance croissante entre la
base et le sommet. Les canaux qui portaient l’essentiel de la régulation sociale sont affaiblis. Si
la régulation a lieu, c’est probablement par d’autres voies (voir infra partie 3). La régulation des
tensions internes par la direction est-elle d’ailleurs encore un enjeu ? Peut-être est-il dépassé
de chercher à réguler des conflits entre des partenaires indissociables. Serait-il davantage
d’actualité de chercher à nouer des relations gagnant-gagnant avec des partenaires choisis ?
31
Cf. sur cette notion, Medef, (2011), « Besoin d’aire »
32
Rebérioux, A., (2006), Peut-on faire l’économie de l’environnement, (ouvrage collectif), Editions Apogée
33
Riboud, A., (1972), Discours prononcé aux Assises Nationales du C.N.P.F., Marseille – 25 octobre
34
Riboud, F., (2009), « La crise impose de repenser le rôle de l'entreprise », par Franck Riboud, Le Monde, 02.03.09
23
Une nouveauté « 2.0 » ?
Le livre « les employés d’abord, les clients ensuite » mérite qu’on s’y arrête. Actuel directeur
général de HCL, une entreprise d’origine indienne, Vineet Nayar s’efforce d’y théoriser son
action de 2005 à 2010. Il y présente comment il a réussi à transformer une entreprise réputée
pour ses produits informatiques innovants, première en Inde, en une entreprise mondialement
reconnue pour la qualité de son action comme intégratrice de prestations informatiques (et
faire croître, de façon considérable, chiffre d’affaires, profits et effectifs).
Selon lui, son action a consisté à créer un accord sur la situation actuelle de l’entreprise,
dessiner une vision de la cible à atteindre, construire la confiance au sein de l’entreprise et
pour cela d’abord D O N N E R L A P R I O R I T E A U X O P E R A T I O N N E L S .
Donner la priorité aux opérationnels, c’est leur permettre de mobiliser de manière traçable les
services fonctionnels à leur service, d’évaluer les managers dans le cadre de 360°, d’interpeller
de façon privée ou publique la direction sur les difficultés rencontrées, de donner leur avis sur
les problèmes exposés par le directeur général.
HCL a souhaité également donner à ses salariés la possibilité de se regrouper autour de leurs
passions, professionnelles ou non, et cela a conduit à un très fort engagement et à des
innovations importantes.
L’ensemble de cette vision du management s’appuie sur plusieurs technologies « 2.0 » : 360°
informatisés, dossiers informatisés de suivi des demandes des opérationnels auprès des
services fonctionnels, blog du directeur général, forum de discussion des difficultés,
présentations vidéo par les top managers de leur vision de la stratégie, passion survey…
Au-delà de la personnalité du dirigeant, des technologies utilisées, de l’habillage marketing, si ce
livre interroge, c’est aussi parce qu’il paraît marqué du sceau du bon sens. HCL est une
entreprise qui propose des activités de service (conseil sur l’architecture et réalisations de
prestations informatiques). L’achat et la coréalisation de ces activités reposent avant tout sur la
confiance des clients dans les salariés opérationnels d’HCL. Il est donc primordial que les
salariés au contact des clients aient confiance, en eux d’une part, et dans le soutien qu’ils
pourront mobiliser auprès de leurs collègues et de leur employeur. L’intérêt du dirigeant est
donc de mettre ses salariés en confiance. Il doit pour cela se mettre à l’écoute de leurs besoins
et engager un dialogue ouvert, parce que c’est la stratégie la plus efficace.
35
http://www.stiglitz-sen-fitoussi.fr/documents/rapport_francais.pdf
http://www.grossnationalhappiness.com/docs/2010_Results/PDF/National.pdf
36
OCDE, (2011), « Comment va la vie, mesurer le bien être », éditions OCDE
25
FAUT-IL REMUNERER LA PERFORMANCE SOCIALE ?
Les dirigeants, les managers et la discipline de gestion ont toujours eu tendance à minorer les
conflits qui traversent inévitablement les activités de travail en commun. Leur fonction leur
impose de porter une stratégie de développement de l’entreprise se voulant inclusive, ce
faisant, ils perçoivent spontanément les conflits comme des résistances au changement à
surmonter, ou comme résultant de déficiences individuelles à combler. Ceci n’a pas changé. En
revanche, la manière de produire un discours inclusif a changé. Alors que l’accent était mis
dans les années 80 sur la mobilisation de l’interne (la nécessité de requalifier le travail et
revaloriser le producteur), l’accent est mis désormais davantage sur la mobilisation de
l’externe (la nécessité d’une stratégie compatible avec le développement durable). En interne,
un nouveau discours se développe, mettre la direction générale au service des opérationnels et
mesurer sa performance sociale, y compris pour en rendre compte en externe.
37
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics//104000081/0000.pdf
Quel renouvellement ?
Syndicats monde
ouvriers Entreprise
Performance effective par le
Sous-traitants/ travail matériel
Précaires, sans papiers.
Quel ajustement ?
Ressources naturelles
Cohésion sociale, santé
Dans ce schéma, l’enjeu n’est plus le conflit autour de la répartition des gains de productivité
mais autour des conditions de renouvellement des ressources (naturelles, humaines) Ce
schéma représente aussi la hiérarchie entre entreprises au sein des grands groupes mondialisés
actuels. Une filiale est à la fois dirigée à distance par un groupe, donneur d’ordre exerçant de
fait une forme de pouvoir hiérarchique sur les salariés de ses sous-traitants et prédatrice de
ressources naturelles partiellement renouvelables (y compris les ressources humaines). Les
enjeux se situent ainsi de plus en plus en dehors de la relation salariale. Ce schéma tranche en
cela avec celui que nous avons présenté dans la partie 1 et qui est reproduit à droite en petit
pour mémoire.
La contestation radicale se porte à ces différents niveaux. Vis-à-vis des groupes, que le propos
se porte contre l’omniprésence des logos (Naomi Klein), des récits (Christian Salmon), de la
culture d’entreprise (Nicole Aubert, Vincent de Gaulejac, Hélène Weber39), il s’agit toujours
38
Mesheust, B., La politique de l’oxymore, 2009, La Découverte
39
Klein, N., (2001), No Logo : la tyrannie des marques, Actes Sud -
Salmon, C.,(2007), Storytelling la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, Paris, La Découverte -
Aubert, N., Gaulejac V. (1991), Le coût de l’excellence, Seuil -
Weber H., (2005) Du ketchup dans les veines. Pourquoi les employés adhèrent-ils à l'organisation chez McDonald's ?, Edition Erès
27
de contester l’emprise des entreprises sur la psychologie des salariés et des consommateurs.
La propriété intellectuelle est plus que jamais objet de débat et de confrontations
au niveau mondial (marque et publicité, brevet et recherche, droits d’auteur et contrôle des
communications). Depuis la signature en 1994 des accords de Marrakech instituant l’OMC, les
contestations, fréquemment coordonnées au niveau mondial, n’ont cessé de faire obstacle à de
nouveaux traités, échec de l’Accord multilatéral sur l’Investissement (1998), échec de
l’extension de l’Accord général sur le commerce des services dans le cadre du cycle de Doha
(2007). La vive contestation en 2012 du traité ACTA (accord commercial anti contrefaçon)
s’inscrit dans cette logique. Dans divers pays d’Europe, des « partis pirates » ont d’ailleurs vu le
jour et la loi Hadopi est un des sujets en débat dans les élections françaises de 2012.
Les activistes sociaux (associations de défense des droits de l’homme, ONG locales)
contestent également la réalité de l’indépendance juridique des sous-traitants40 et cherchent à
rendre le donneur d’ordre responsable des pratiques de ses sous-traitants, travail
des enfants et conditions de travail (Nike, Apple), respect du droit syndical (Sodexo), travail
forcé (Total) etc. Les écologistes se préoccupent tout particulièrement de l’épuisement des
ressources naturelles (eau, poissons, sols, forêts, minerais…).
L’aspect qui nous concerne plus directement est la montée en puissance de la dénonciation de
l’épuisement des salariés comme découlant d’une mobilisation de type manipulatoire
(communication d’entreprise, harcèlement). Le médiateur de la République Française ne disait-
il pas en 2011 que la France était au bord du Burn-Out41 ?
Parce qu’il y a exposition des salariés à un « Risque Psycho-social » entendu comme un risque
d’origine psychique ou social lié au travail et influant sur la santé, l’entreprise doit s’engager
dans des démarches de prévention, de traitement et de réparation des dommages liés à
l’exposition à ce risque. Pour empêcher un effondrement identitaire des individus ou collectifs
en difficulté, il faut agir sur les collectifs en régulant la pression en termes de charge de travail,
redonnant des marges de manœuvre aux opérationnels, s’assurer que les salariés disposent des
compétences nécessaires, et garantir leur employabilité, garantir une reconnaissance adéquate
des efforts accomplis et un traitement équitable.
Alain Ehrenberg42 fournit un éclairage précieux pour comprendre la place de plus en plus
centrale de la santé mentale et en particulier de la dépression dans nos sociétés occidentales. Il
explique que le XXème siècle a marqué une transition fondamentale (1968 pouvant fonctionner
comme un tournant important). Au XIXème siècle, la société est cadrée par des interdits
nombreux et un contrôle strict sur les corps (au travail, à l’école, dans les danses, les postures
sont imposées). La folie est alors essentiellement caractérisée par la figure de l’hystérie,
révolte contre les interdits intenables. Dans les sciences sociales, les courants critiques
appellent à l’émancipation contre l’ordre oppressif. Aujourd’hui cette situation a été
profondément renouvelée. Les corps ont été libérés, chacun est appelé à s’affirmer comme
individu, mais tous n’y arrivent pas. La dépression est alors la marque d’une société de
la performance individuelle. Elle est aussi le nouveau langage de la contestation.
L’énoncé d’une souffrance propre n’est plus un aveu de faiblesse, cela devient une source de
légitimité pour obtenir des changements de la part de ses partenaires - Si je souffre, je peux
exiger que la situation soit modifiée en ma faveur - Alain Ehrenberg observe l’influence durable
de deux ouvrages publiés au tournant des années 2000, qui ont entraîné des conséquences
importantes pour les entreprises : Souffrance en France, de Christophe Desjours et Le
harcèlement moral de Marie-France Hirigoyen43. Peu à peu, se diffuse sur leur base une nouvelle
40
Voir par exemple, Barraud de Lagerie, P., (2011), « L’affaire Spectrum, La RSE à l’épreuve d’un drame », RFS, Vol 52, n°2
41
http://www.securitesoins.fr/fic_bdd/pdf_fr_fichier/13010704580_Mediateur_RA2010_VD.pdf
42
Ehrenberg, A., (2010) La société du malaise, le mental et le social, Odile Jacob, - Ehrenberg, A.,(2000) La fatigue d’être soi, dépression et
société, Odile Jacob
43
Dejours, C., (1998) Souffrance en France, La Découverte – Hirigoyen, M.F., (1998), Le harcèlement moral, Editions du Seuil
44
Lallement, M., Marry, C., Loriol, M., Molinier, P., Gollac, M., Marichalar, P., Martin, E., (2011) « Maux du travail : dégradation,
recomposition ou illusion » Sociologie du travail, vol 53, N°1
29
3. Nouvelles modalités, nouveaux enjeux de
la régulation sociale
De fait nos diagnostics sociaux nous amènent à constater une transformation de ce qui est à réguler.
Les conflits collectifs de masse diminuent, les nouveaux « conflits » à réguler se situent davantage
autour de la santé, de l’équité et de l’image externe. La conflictualité sociale qui persiste est
davantage mobile, concentrée sur des points-clés, couplée à une communication externe active.
La partie précédente a souligné les limites des leviers de régulation que constituaient l’encadrement,
les accords collectifs et le dialogue social, la communication et la participation. Par où passe donc la
régulation aujourd’hui ? Elle prend de nouvelles formes. Les normes qui fixent des exigences de
performance à atteindre prennent le pas sur les règles qui fixent des interdits45. Il faut porter
davantage attention aux systèmes de fixation et d’évaluation des objectifs et à l’articulation entre
objectifs, organisation du travail et valeurs affichées. Une des difficultés des nouvelles organisations
est que les activités font l’objet de régulations à distance par le siège, plus ou moins coordonnées.
Sur la base de ces analyses, nous invitons le DRH à s’impliquer pour assurer une régulation
transverse qui mette les opérationnels au centre en faisant mieux dialoguer services fonctionnels et
parties prenantes et à intégrer un volet humain à la stratégie de l’entreprise pour assurer son
caractère durable, ce qui implique de s’engager dans la régulation d’enjeux sociétaux.
45
Après 1968, s’il est interdit d’interdire, il est naturel d’exiger.
46
Dubreuil, F. et Gautier B. « Mesure de la santé et maladie de la mesure : le contrôle des corps dans une usine de production
automobile », Sociologies Pratiques, n°22, 2011
47
Voir aussi les « Côté Droit » d’E&P n° 10 (faute inexcusable et RPS) et n°16 (harcèlement)
48
Gilabert, M.,, le CHSCT acteur du dialogue social, Note d’actualité n° 289, avril 2010
31
dureté de certains postes. Les opérateurs résistent à cette dégradation du travail par la
multiplication des arrêts maladie, une grève de deux jours, tandis que la CGT mobilise
sur le thème des conditions de travail et du harcèlement. Sur le plan opérationnel, le
fort absentéisme désorganise la production en sur sollicitant la hiérarchie de proximité
appelée à combler les nombreux incidents dans le respect de processus prévus pour un
fonctionnement stabilisé. Les réponses élaborées avec le management conduisent à un
renforcement en effectif et qualité de la hiérarchie de proximité, un allègement des
processus et un renforcement de l’appui ergonomique.
L’« observatoire du Stress et des mobilités forcées » est créé au sein de France Télécom
en 2007 par SUD et la CFE CGC qui s’opposent au plan Next de réorganisation et de
réduction des effectifs. Débute à cette date une mise en série des suicides sur le lieu de
travail. Sans que celle-ci ne relève d’aggravation du nombre de suicides en 2009 par
rapport aux années précédentes (ou ultérieures), la juxtaposition en septembre 2009 de
plusieurs cas particulièrement dramatiques focalise massivement l’attention des média
sur la société France Télécom. L’attention médiatique sert de révélateur à l’existence
d’un mal être important des salariés de cette entreprise, d’autant plus que le malaise de
ces salariés au regard des départs « volontaires » et de l’appel régulier à la mobilité
géographique trouve d’ailleurs un écho plus général en France. Nous sommes intervenus
pour accompagner la mise en place d’un Indicateur Composite de Performance Sociale
au sein de France Télécom Orange. Il s’agissait de donner à la direction un outil pour
mesurer si la mise en œuvre du nouveau contrat social se traduisait ou non par une
amélioration de la situation du point de vue des salariés, en particulier sur le champ des
conditions de travail. Cet indicateur s’est appuyé sur des éléments négociés avec les
partenaires sociaux, des outils établis « objectifs » (utilisation de questions présentes
dans des questionnaires « recherche » ex. Karasek) et doit être utilisable de façon
lisible pour entrer en compte dans la rémunération des dirigeants (incluant le directeur
général).
En 2010, dans une plateforme clientèle d’une entreprise de services au public, les salariés
adressent un courrier à la direction générale en évoquant leur souffrance au travail.
Nous intervenons en amont d’une potentielle affaire juridique (qui pourrait ou non se
traduire par des plaintes pénales) liée à la mise à l’écart de deux superviseurs. Plusieurs
des salariés rencontrés, à différents niveaux hiérarchiques, évoquent une souffrance au
travail. Ces salariés et l’entreprise hésitent, y a-t-il harcèlement managérial ?
Organisationnel ? Discrimination ? Officiellement les syndicats ne sont pas directement
impliqués, ils procèdent à des écoutes du personnel, officieusement l’implication locale
de la CGT sur les enjeux de prévention des RPS pourrait avoir un lien avec la mise en
forme juridique. Les salariés sur place indiquent qu’une grève de solidarité, un moment
envisagée, a été abandonnée entre autres du fait de la nécessité de préavis de grève. Les
métiers d’accueil clientèle sont un point d’entrée sur le marché interne de l’entreprise.
A la suite d’une série de réorganisations mal accompagnées, la plateforme doit
fonctionner près d’une année avec un taux d’intérimaires de plus de 50 %. L’entrée par
la santé semble bien liée aussi à l’efficacité relative de ce mode de protestation, y
compris pour aborder des problématiques assez distantes des aspects santé.
E&P est fréquemment sollicité pour réaliser des diagnostics sociaux post ou en cours de
conflits sociaux. Plusieurs interventions récentes ont pour déclenchement « inattendu »,
l’écart entre les augmentations accordées aux salariés de base et celles accordées aux
dirigeants.
Par exemple, en 2008, nous sommes à la suite d’un conflit social ayant duré plus de trois
semaines dans une filiale aérospatiale. Ce conflit avait été exacerbé par la dénonciation
des augmentations dont bénéficiaient les plus hauts salaires de l’entreprise et l’écart
entre le niveau des profits de la filiale et les augmentations annuelles.
Le conflit de 2009 dans la branche des IEG est un cas idéal typique. Il débute en effet
avec la juxtaposition par les organisations syndicales de l’augmentation annuelle générale
donnée par la convention collective de branche (0,3 %) et l’augmentation des dirigeants
de GDF SUEZ et d’EDF (plus de 20 %). Or ce conflit social marque un retour à une
conflictualité dure, avec des arrêts de tranches dans le nucléaire (inconnues depuis plus
de 30 ans), des coupures dans la distribution, des rétablissements d’électricité aux
ménages en défaut de paiement (association des robins des bois)… Les conséquences
financières ont été majeures pour les entreprises concernées (a fortiori au regard des
gains obtenus dans la durée sur la masse salariale).
En 2010, nous sommes également intervenus pour éclairer les raisons d’un mouvement
social inattendu chez un producteur automobile. L’annonce d’augmentations accordées à
l’encadrement entraîne un mouvement social du fait du décalage entre ces
augmentations et celles accordées aux ouvriers et techniciens.
Les questions d’égalité homme-femme, de discriminations sur des critères illégaux (couleur de
peau, religion…) se sont par exemple considérablement renforcées. L’évolution récente de la
législation, les campagnes de sensibilisation dans les entreprises sont venues renforcer dans
leur sentiment d’injustice, des catégories de salariés qui autrefois auraient plus facilement cédé
à la résignation. Les recours se sont d’ailleurs multipliés (6000 recours devant la Halde relatifs
à des discriminations en emploi en 2010, dont 5000 relatifs à la carrière, plus 40 % par rapport
à 2008 et une multiplication par 10 depuis 2005). Le juge s’est également saisi des critères
pertinents pour opérer des distinctions entre salariés, remettant notamment en cause la
validité de distinctions opérées en fonction du statut cadre/non cadre (arrêt 1er juillet 2009). Il
49
Voir Richard A., (2007), L’acceptabilité sociale de la rémunération des dirigeants - Note d’actualité E&P
33
a également été appelé à se prononcer sur l’usage des distributions forcées pour les
évaluations du personnel et sur l’usage de critères relatifs à des comportements. Sur tous ces
aspects, il existe une incertitude juridique forte et croissante pour les entreprises avec la
multiplication des recours envisageables : Prudhommes (en mobilisant depuis 2010 l’exception
d’inconstitutionnalité), la Halde, Cour européenne des droits de l’Homme. Les droits
fondamentaux sont ainsi de plus en plus mobilisés en complément du strict droit du travail.
Mais au-delà des enjeux juridiques, qui peuvent avoir des conséquences financières importantes
pour les entreprises, il se pourrait qu’il y ait un problème particulièrement marqué en France
de déficit de légitimité des procédures d’augmentation et de promotion. Il y a un refus français
du face à face, une crainte de l’arbitraire, une culture aristocratique qui ont conduit à une
disqualification historique de l’entreprise comme source de hiérarchies sociales légitimes.
L’ouvrage Les Français face aux inégalités et à la justice sociale50 indique que les Français
perçoivent leur société comme étant fortement inégale et injuste et ceci, bien que la France
soit un des rares pays de l’OCDE dans lequel ces inégalités ont diminué du milieu des années
1980 au milieu des années 2000. Le chapitre sur la perception du mérite est à cet égard très
pertinent. En effet, il révèle que les Français contestent très fortement les critères qui leur
paraissent fonder les inégalités de revenus. Selon eux, le mérite devrait être estimé d’abord en
fonction des efforts, puis sur la base des résultats, ensuite en tenant compte du talent et en
dernier lieu sur la base du diplôme. Or d’après eux, le mérite est d’abord établi sur la base du
diplôme, puis sur les talents, ensuite sur les résultats et en dernier lieu sur les efforts. Il y a une
contestation forte de la place du diplôme en France et une impression très nette que les
efforts ne sont pas reconnus.51 Ce constat rappelle celui qu’avaient posé Yann Algan et Pierre
Cahuc52 dans la société de défiance ; le problème français réside peut-être moins dans le
niveau des inégalités de revenus que dans l’absence de légitimité des critères qui les fondent.
Notre système de protection sociale, nos hiérarchies d’emplois et de rémunérations restent
trop marquées par le corporatisme. Au-delà des questions d’inégalités de revenus, il y aurait
donc surtout une défiance et un manque de légitimité des procédures de promotion interne.
Le juge s’est d’ailleurs prononcé à plusieurs reprises sur la légalité des critères utilisés pour
l’évaluation (Airbus), de règles de distribution forcée (GE), invalidant plusieurs dispositifs. Le
centre d’analyse stratégique53 a proposé 6 propositions sur l’entretien annuel d’évaluation,
notamment, veiller à ce que les critères comportementaux utilisés pour l’évaluation soient en
lien avec l’activité professionnelle et mettre en place des procédures d’appel pour les salariés.
La quête de respect et de reconnaissance a fait l’objet de nombreuses publications qui y voient
une évolution sociale continue vers une plus grande reconnaissance des personnes54. La quête
de reconnaissance se joue aussi dans la relation managériale55. Cette relation étant
interpersonnelle, il est plus difficile de démontrer empiriquement qu’il y a une montée des
attentes. Un aspect surgit toutefois assez clairement, les nouvelles technologies facilitent à la
fois la surveillance et le dénigrement, leur usage dans le cadre de la relation hiérarchique pose
question, fait débat, conflit et suscite l’intervention fréquente de la justice. Le point suivant
concerne d’ailleurs précisément l’impact des nouvelles technologies de communication.
50
Forsé, M., Galland, O., (dir.), (2011), Les Français face aux inégalités et à la justice sociale, Armand Colin, coll. « Sociétales »
51
Notre enquête en partenariat avec Sociovision indiquait d’ailleurs que 60 % des Français sont d’accord avec l’affirmation « que je
travaille plus ou moins, cela ne fait aucune différence »
52
Algan Y., Cahuc P., (2007), La société de défiance. Comment le modèle social français s'autodétruit, Editions ENS Rue d'Ulm
53
Centre d’analyse stratégique (2011), « Les entretiens annuels d’évaluation », note d’analyse 239
54
Caillé A., (dir), (2010), La quête de la reconnaissance, la Découverte - Honneth, A., (2000), La Lutte pour la reconnaissance, Cerf
55
Voir par exemple la synthèse de notre Université d’hiver 2011 sur la proximité http://www.entreprise-personnel.com/#/entre-
nous/activites/publications/syntheses-de-nos-journees-detudes/cahier-de-luniversite-dhiver
56
http://membres.multimania.fr/ubifree/Index2.htm
57
Il s’agit d’une affaire récente au moment de la rédaction de cette étude, de nombreux autres cas existent, et nourrissent parfois des
séries. Le cas Cora se rapproche du licenciement d’un salarié d’un franchisé de Mac Donald à Albi en 2000, à l’origine d’un
renforcement de la politique RH du groupe Mac Donald par rapport aux franchisés. Les suicides au Technocentre ont été mobilisés
comme précédent dans le cas France Télécom, etc.
35
technologies facilitent, font que des conflits collectifs ciblés sur les nœuds sensibles du réseau
sont très rapidement extrêmement coûteux pour l’entreprise (blocage des centres logistiques
de Carrefour en 2011 par exemple). Il y a donc bien avec les nouvelles technologies une
modification des formes de la conflictualité sociale, davantage virtuelle,
ponctuelle, mobile, qu’il est aisé de rapprocher des modifications des conflits armés
(terrorisme, guérilla).
Mais au-delà de cette dialectique, surveillance renforcée/possibilités accrues de coordonner
rapidement des mouvements collectifs, dans le cadre d’une conflictualité asymétrique d’un type
nouveau, il y a également une transformation des rapports horizontaux. La proximité
géographique est moins nécessairement corrélée à la fréquence et l’intensité des échanges.
Chacun sur son lieu de travail coopère et entre en relation avec des collègues, clients,
supérieurs hiérarchiques très éloignés. Surtout, la distinction entre la parole officieuse (qui
s’envole) et les écrits officiels (qui restent) est de plus en plus difficile. Tout propos est
susceptible d’être enregistré, toute situation est susceptible d’être filmée et donc de prendre
un caractère définitif. Enregistrements et films peuvent être ensuite diffusés hors contexte, ce
qui rend inévitable l’existence de dérapages publics (extraits de propos managériaux, courses
de tire palettes, film de soirées arrosées postés sur Youtube, Facebook), A l’ opposé, les écrits
échangés sur Facebook, les forums, dans les SMS, les chats sont fréquemment rédigés dans le
registre de l’oralité : rapidement, avec une orthographe phonétique, sur le registre de la
plaisanterie. Le juge a été appelé à se prononcer par exemple sur le caractère public ou non du
dénigrement d’un supérieur hiérarchique sur un mur Facebook ouvert aux amis d’amis. Mais
avant même que le juge soit saisi, que doit faire un employeur qui apprend la création d’un
groupe Facebook « qui a peur d’aller voir le médecin du travail XY » ? Comment doit-il réagir
à l’expression du malaise exprimé à l’écrit par plusieurs salariées féminines de l’entreprise vis-
à-vis d’un médecin du travail ? Informé à l’oral, en off, le DRH aurait eu le loisir d’en discuter
sereinement avec le médecin, d’arranger les choses. Informé publiquement ainsi que tous les
salariés présents sur Facebook, il est en quelque sorte sommé d’agir rapidement, y compris
pour protéger la réputation du médecin potentiellement diffamé. Se pose également la
question des possibilités de faire retirer des informations diffamatoires postées sur soi par
d’autres. La commission européenne a présenté le 25 janvier 2012 une proposition de
directive sur le droit à l’oubli numérique. L’employeur, en tout cas, est de plus en plus amené à
protéger son image d’employeur, comme celle de ses salariés.
58
Mintzberg, H., (1982), Structure et dynamique des organisations, Les éditions d’organisation - Mintzberg, H., (2010), Managing, Prentice
Hall
Direction,
Contrôle de
gestion
Fonctions de
Directions soutien,
techniques Com,
RH
Canal Canal
hiérarchique représentatif
Salariés
37
L’ORGANISATION MEDIATISEE (2000-…)
Actionnaires
Direction Clients
générale
ONG
Qualité Collectivités
DSI RH
Com
Métier 1
Métier 2
Riverains
Collectivités
59
Zarifian, P., (2009) Le travail et la compétence : entre Puissance et contrôle, PUF - Scott Adams a également caricaturé ce management par
les résultats des travailleurs de la connaissance avec une pertinence qui en a fait un des auteurs de référence en management - Adams,
S., (1996), The Dilbert Principle, HarperBusiness
60
Supiot, A., (2010), L’esprit de Philadelphie, la justice sociale face au marché total, Seuil
61
Le Goff, J-P., (2008), La France Morcelée, Folio
39
Perte de prise sur l’organisation et l’outil de production
Dans les usines, la figure de l’ingénieur et cadre assurait la continuité entre opérationnels
(directeur de la production, chef d’atelier) et fonctionnels (directeur de la maintenance, de la
technique). Si l’ouvrier d’usine est au service d’une machine qu’il ne maîtrise pas, son chef
d’atelier, le responsable de la maintenance, le directeur d’usine ont une capacité à piloter
l’évolution technique. Les entreprises industrielles font du pilotage du process de production
une compétence cœur de métier. L’informatisation croissante des activités de service entraîne
une situation différente. Les logiciels structurant pour l’activité de relation avec les clients
(commerciaux, agence, plateaux téléphoniques) sont moins à la main des managers
opérationnels, lesquels n’ont pas d’ailleurs de compétence explicite en informatique. Les
établissements de service sont aussi fréquemment plus petits et moins dotés en fonctions
supports. Les managers y ont donc moins la main sur le travail, la technique.
Dans les organisations matricielles les process sont fréquemment développés par des services
fonctionnels différents et pas toujours coordonnés. Un certain nombre de contraintes sont
d’ailleurs liées à des engagements externes (qualité, environnement, RSE…) qui sont parfois
pris sans connaissance des contraintes pour la production.
Les entreprises ont fréquemment cherché des gains de productivité dans les fonctions de
soutien par la mise en place de centres de services partagés. Ce faisant les opérationnels ont
perdu le pouvoir hiérarchique direct sur ces fonctions (RH, comptabilité, informatique). Les
gains de productivité obtenus sur les fonctions de soutien ont souvent été accompagnés d’un
accroissement de la charge de travail des managers opérationnels, d’une perte de flexibilité de
ces derniers, avec un impact sur la productivité totale discutable.
Ces trois évolutions ont réduit la prise officielle des managers sur l’outil et l’organisation du
travail. Pour François Dupuy62, cette évolution est la marque d’un renforcement de la défiance,
au lieu de redonner aux hiérarchiques directs une vraie capacité à faire le ménage et piloter le
travail (au prix de conflits sociaux et politiques), les entreprises ont choisi la voie d’une
centralisation et bureaucratisation accrue.
A partir des engagements de performance financière affichés auprès des actionnaires, les
objectifs descendent dans les entreprises en cascade, avec peu de marges de négociation
en local. Dans un diagnostic social réalisé pour une usine d’assemblage automobile, un
opérateur déclare par exemple : Le chef d’atelier, il regarde juste l’indicateur : nombre de
fiches mises à jour, il a un planning et il nous relance, c’est la seule chose qui l’intéresse. (…)
On a des chefs, ils ne fonctionnent qu’à l’indicateur, ils ne cherchent pas à savoir pourquoi il y a
un problème. (…)63
Dans des diagnostics sociaux au sein de centrales de production d’électricité ou d’un
établissement fabriquant des pièces pour l’aérospatiale, les plaintes se concentrent sur le
développement de la sous-traitance. Au-delà de l’enjeu évident sur l’emploi, les salariés
s’inquiètent d’une perte de maîtrise de l’activité et d’une perte de solidarité technique
avec la hiérarchie, qui est perçue comme se détournant du produit pour se tourner
principalement vers le résultat financier.
Dans un autre diagnostic social sur une plateforme clientèle, les managers en place,
arrivés récemment de l’extérieur, sont critiqués pour leur absence de compétences
techniques et leur focalisation sur les objectifs à atteindre, les quotas, au détriment du
service client. Le management souligne d’ailleurs la difficulté qu’il rencontre également à
62
Dupuy, F. (2011), Lost in management, Seuil
63
Dubreuil, F. et Gautier B. « Mesure de la santé et maladie de la mesure : le contrôle des corps dans une usine de production
automobile », Sociologies Pratiques, 2011, n°22
41
Réguler de façon transverse
Vis-à-vis des parties prenantes, il existe dans la plupart des entreprises une pluralité des
instances de concertation, animées par des directions différentes, qui entraînent une pluralité
de régulation et d’instrumentation. Ainsi, la volonté de garantir une qualité au client conduit à
l’adoption de normes qualité, certifiées par des tiers externes, ainsi qu’à une animation de
communautés de clients par la direction marketing. Simultanément, riverains et associations
écologistes seront reçus par la direction communication ou développement durable, tandis que
la charte de la diversité pourra être portée par la DRH, les agences de notation sociale et
environnementale s’adresseront au département RSE …
Cet éclatement des régulations participe à l’évolution que nous avons décrite vers
une organisation pilotée à distance par indicateurs. Le risque est que le projet
unifiant l’entreprise soit perdu, chaque direction fonctionnelle de l’entreprise traitant
séparément avec des parties prenantes, chacune exigeant un reporting séparé des
opérationnels, chacune donnant la priorité à l’image affichée à l’extérieur plutôt
qu’à la réalisation des progrès opérationnels.
L’évolution récente des instances des organisations d’entreprise, des réseaux productifs, des
instances représentatives du personnel n’a pas forcément facilité cette intégration. Au sein du
territoire national, il y avait un ordre clair entre interprofessionnel, branche, entreprise,
établissement. Aujourd’hui, s’ajoutent des instances européennes émergentes, des instances de
groupe mondial et/ou européennes, des instances multi-employeur sur un site… Mais surtout,
si une très grande majorité des grandes entreprises a créé des instances de dialogue avec les
différentes parties prenantes de l’entreprise dans le cadre des démarches RSE, ces instances
demeurent de la seule initiative de l’employeur, sans prérogatives légalement établies. En plus
de 100 ans d’existence, le politique et la jurisprudence ont pu, y compris à travers divers
revirements, stabiliser des critères pour établir la représentativité des syndicats d’employeur
et de salariés. En manière de défense de l’environnement, des riverains, des consommateurs, le
débat sur la représentativité des ONG et des associations ne fait que commencer (cf. la
controverse qui a suivi la parution le 13 juillet 2011 du décret « relatif à la réforme de l'agrément
au titre de la protection de l'environnement et à la désignation des associations agréées, organismes et
fondations reconnues d'utilité publique au sein de certaines instances » qui imposait notamment un
minimum de 2000 adhérents pour prendre part aux débats dans les instances consultatives). Il
est probable que les entreprises européennes auraient intérêt à favoriser l’émergence
d’instances de dialogue davantage unifiées, dont la forme, le positionnement, les modalités de
fonctionnement restent à établir.
Au niveau du siège, cela signifie que la DRH doit également se préoccuper de la relation client,
en particulier dans les métiers de service où le rapport au client est un élément fondamental
de la satisfaction au travail. La grande réussite de la réorganisation des bureaux de poste au
tournant des années 2010 est que cette réorganisation a réduit les temps d’attente pour les
clients et donc amélioré leur rapport aux salariés et donc leur acceptation des nouvelles
missions qui leur ont été confiées. Inversement les filtres téléphoniques préalables à l’accès à
un interlocuteur, s’ils énervent le client, dégraderont sa relation au salarié et donc la
satisfaction et l’implication de ce dernier. De même, la DRH doit se préoccuper des relations
avec les riverains et avec les collectivités publiques dès lors qu’il y a un impact sur les salariés
(agressions, transports publics …).
Au risque d’écartèlement par l’externe, s’ajoute fréquemment une excessive division du travail
interne. Lorsque la DRH se tient/est tenue à l’écart de l’évolution des organisations et du
pilotage de la performance attendue, les opérationnels peuvent être confrontés à des
demandes contradictoires. Réguler de façon transverse, c’est positionner le DRH non pas
uniquement comme ambassadeur de la direction auprès des organisations syndicales, en charge
de négocier le changement dans la paix sociale, mais également comme ambassadeur des
opérationnels auprès des services fonctionnels du siège, en charge de favoriser la mise en
43
grille invite à se demander ensuite quel est le poids des différentes parties de l’entreprise
(catégorie d’acteurs) dans le fonctionnement de l’entreprise et leur rôle dans la régulation de
ces enjeux. Exemple : L’amélioration de la santé au travail passe-t-elle d’abord par la hiérarchie
directe ? La direction générale fixe-t-elle et évalue-t-elle des objectifs relatifs à la santé ?
Comme outil de pronostic, cette grille invite à identifier ce que pourrait être la contribution
des différents groupes d’acteurs à la régulation des différentes sources de risque, en se
focalisant sur le ou les risques majeurs. Par exemple, sur la santé, comment modifier les
process, outils informatiques et l’organisation du travail en vue d’améliorer la santé ? Comment
faciliter la coopération entre salariés (former des secouristes, s’équiper en défibrillateurs…) ?
LE NOUVEAU CLAVIER DU DIRIGEANT
DIRECTION GENERALE
(objectifs)
DIRECTIONSMETIERS ET
INFORMATIQUES
(process)
DIRECTION
COMMUNICATION
(Culture)
MANAGERS
(supervision directe)
PARTIES PRENANTES
(Dialogue social)
SALARIES
(outillage de la coopération)
EVALUATION :
Performance obtenue,
risque économique,
risque juridique, risque
d’image
Ce diagnostic sur les enjeux sociaux et les modalités de leur régulation doit permettre de
proposer des pistes d’action. Pour ne citer ici que quelques pistes envisageables au regard des
constats posés dans cette étude :
Rééquilibrer les fonctions en renforçant la position des managers opérationnels, non plus au
regard des syndicats (ce qui était l’utilisation la plus fréquente du clavier du dirigeant
antérieur) mais au regard des exigences du siège en matière de reporting ou de respect de
process, quitte à encourager également un renforcement de la légitimité locale des
partenaires sociaux.
Améliorer le fonctionnement des organisations et des process. Les dysfonctionnements
sont ce qui pèse le plus dans la perception qu’ont les salariés de leur travail et de leur
entreprise. Ces dysfonctionnements contribuent à l’émergence des risques psychosociaux.
C’est donc sur ce champ que doivent se concentrer les actions.
Toute reproduction est interdite sans autorisation expresse d’Entreprise&Personnel
Mettre en cohérence les objectifs de performance suivis au quotidien (reporting), les
critères effectivement les plus importants pour la carrière, les outils et procédures en place
et le discours affiché par l’entreprise en matière de qualité du service au client ou de RSE.
Remettre à plat des règles de progression au sein de l’entreprise, pour que celle-ci découle
effectivement davantage de critères méritocratiques comme la performance, la compétence,
les efforts et le potentiel. Autrement dit, moins d’accords « sociétaux » « vitrines » et plus
d’engagements (moyens, process…) contrôlables et crédibles.
Pour préciser ce diagnostic des enjeux sociaux, il est souvent pertinent de distinguer entre
les sites et les populations. L’engagement peut être un enjeu majeur pour les cadres du centre
technique, alors que les risques psychosociaux dominent pour les populations au contact avec
les clients ; la conflictualité sociale reste un enjeu pour certaines populations détenant des
leviers importants (conducteurs de centrales, pilotes d’avion, aiguilleurs…). Des risques
d’image, voire des risques juridiques majeurs peuvent être relatifs à des populations externes à
l’entreprise (salariés de sous-traitants). Il faut donc ouvrir le diagnostic sur l’externe.
64
http://www.unep.fr/shared/publications/pdf/DTIx1211xPA-Guidelines%20for%20sLCA%20of%20Products%20FR.pdf
45
— Dialogue avec les parties prenantes :
Rencontres informelles, création d’instances ad hoc spécifiques (concertation locale avec les
riverains chez Rhodia) ou multi-parties prenantes (forum des parties prenantes chez Veolia)
— Mesure de sa performance sociale et de son impact sur la performance
économique :
Etablir une corrélation entre engagement (Sodexo), confiance (Great Place to Work), équité,
compétence, santé (Danone) et performance économique
— Exemplarité des dirigeants et promotion des pratiques vertueuses.
Indexer la rémunération des dirigeants sur des critères de performance sociale et/ou
environnementale (cf. partie 2.2), donner l’exemple comme manager (écoute, clarté de la
stratégie et des consignes, honnêteté de la communication, équité dans l’évaluation)…
Les pratiques de RSE sont encore loin d’être stabilisées et il est difficile de faire la part entre :
la réalité et la mise en scène des performances sociales et environnementales,
l’identification des actions sources de performance globale durable lorsqu’elles contribuent
à améliorer simultanément les performances économiques, sociales et durables et
l’identification des arbitrages possibles entre performance économique, sociale et
environnementale et l’émergence d’instances habilitées à faire ces arbitrages,
les actions pilotées par l’intérêt de l’entreprise en termes de performance, celles dictées
par la volonté d’éviter des conflits avec des parties prenantes puissantes, et celles qui
répondent à des exigences éthiques de légitimité transverses à tout le corps social66.
Il n’en reste pas moins que ces pratiques se développent en particulier dans les nouvelles
configurations organisationnelles. Pour piloter l’offre employeur, ou répondre à des crises
locales, il peut s’avérer utile de procéder à un diagnostic sociétal des représentations, des
ressources et stratégies des différentes parties prenantes67, internes (syndicats) comme
externes (riverains, réseaux patronaux locaux, pouvoirs publics…).
En conclusion de cette partie, il apparaît que la régulation sociale n’a pas disparu. Elle s’est
déplacée vers l’externe (filiales, fournisseurs, sous-traitants, intérim, clients). Elle s’est
transformée ; les IRP construites dans l’après-guerre avaient pour but explicite de réguler une
conflictualité sociale permanente (grève froide68). Aujourd’hui, les conflits sociaux rémanents
sont plus brefs, ponctuels, concentrés sur quelques points névralgiques. La conflictualité prend
surtout de nouveaux atours, elle se déguise, la santé est un terrain d’affrontement implicite,
avec la mise en cause des politiques et du management de l’entreprise comme source
d’épuisement des ressources humaines.
Réguler le social dans ce nouveau contexte, c’est porter davantage attention au pilotage par les
objectifs de résultats et par les process, s’assurer de la cohérence des prescriptions groupes et
de leur plus-value pour les opérationnels. C’est aussi penser aborder la contribution des
différentes fonctions à la régulation des risques sociaux, ainsi que l’engagement de la tête de
groupe à promouvoir la performance sociale au-delà de sa responsabilité envers ses salariés
directs.
65
François Pichault diagnostique l’émergence d’un « DRH médiatique », en charge de favoriser la coopération au sein de réseaux inter
organisationnels, en valorisant la qualité « employeur » du réseau, malgré les différences de statut et d’appartenance. Voir sa préface
dans Ulrich, D., Brockbank W., (2010), RH : Création de valeur pour l’entreprise, de Boeck
66
Voir par exemple sur ces sujets, Revue Française de Socio Economie, (2009), Les entreprises responsables de la société », Second
Semestre, La découverte - Capron M., Quairel Lanoizelée, F., (2004), Mythes et réalité de l’entreprise responsable, La découverte
67
Xhauflair, V. et Zune, M. (2004), « Agir de manière socialement responsable : la richesse d'une approche par les parties prenantes »,
Entreprise Ethique, n°21, octobre, p 105-111.
68
Morel, C., (1994), La grève froide, Ed. Organisation