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Santé Publique O4, 2nd semestre, année universitaire 2016/2017.

Antoine Couatarmanach

Risques professionnels et santé au travail

Plan :

I Santé au travail

II Risques spécifiques au cabinet dentaire

Introduction
La prise en compte des risques pour la santé liés à l’exercice d’une activité professionnelle est
ancienne. La place qu’occupe le travail au sein des sociétés modernes en fait une préoccupation
majeure de santé publique. Historiquement, la question de la santé au travail est au fondement
même de la santé publique comprise comme intervention de l’état dans le domaine de la santé. Elle
est aussi au fondement des politiques de solidarités vis-à-vis des risques liés à la santé, comme le
montre la loi du 9 avril 1898 qui permettra l’indemnisation des victimes d’un accident du travail. La
subsistance d’une branche spécifique de la sécurité sociale (branche accident du travail et maladies
professionnelles) montre à quel point cette question est cruciale dans le domaine de la santé
publique.

Depuis les années 1980, la politique de santé et de sécurité au travail est encadrée par des directives
européennes, comme la directive n°89/391/CEE du conseil des communautés européennes du 12
juin 1989 qui définit les principes fondamentaux de la protection des travailleurs. Dans ce cadre, il est
de la responsabilité de l’employeur d’assurer « la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les
aspects liés au travail » (loi du 31 décembre 1991). L’employeur doit mettre en œuvre les principes
généraux de la prévention : éviter les risques ; évaluer les risques qui ne peuvent être évités ;
combattre les risques à la source ; adapter le travail à l’homme.

I Santé au travail
Aborder de façon générale la problématique de santé au travail dans une perspective de
santé publique implique tout d’abord de définir un certain nombre de concepts
habituellement mobilisés pour décrire les enjeux de cette problématique (A). Nous
aborderons ensuite les différentes approches de prévention des risques au travail (B).
A. Concepts mobilisés en santé au travail

1) Facteurs de risques

C’est l’ensemble des facteurs liés à la situation concrète de l’exercice d’un travail qui
peuvent entrainer des conséquences sur la santé des travailleurs. Il est notable que la santé
est là aussi prise en compte dans sa définition large issue de la constitution de l’OMS de
1946, à savoir « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas
seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Les facteurs de risques sont
classiquement décrits en trois groupes de facteurs (qui peuvent se recouper):
- Facteurs liés à la sécurité : travail en hauteur, utilisation d’objets tranchants,
électricité…
- Facteurs liés à l’impact sur la physiologie : bruit ambiant dans l’espace de travail,
port de charges lourdes…
- Facteurs liés au bien-être (facteurs sociaux et organisationnels) : automatisation
du travail, autonomie du travailleur, responsabilités, méthodes de management…

2) Concept d’effet ou de dommage

Les effets ou dommages correspondent aux conséquences sur la santé des facteurs
de risques précédemment décrits, chaque catégorie de facteurs de risques de risques
pouvant, s’il se réalise, entrainer des conséquences spécifiques :
- Sécurité  fractures, coupures, électrocutions…
- Physiologie  surdités, douleurs lombaires chroniques…
- Bien être  Troubles de la concentration, fatigue, burn-out…

3) Concept de gravité

La prise en compte effective de la santé au travail doit s’appuyer, pour développer


des stratégies de prévention et éventuellement des modes de compensations dans
les cas où les risques se réalisent, sur l’importance des effets et dommages. On parle
donc de gravité, qui peut être définie sur plusieurs bases :
- L’incapacité de travail, qui peut être temporaire (ITT) ou permanente (ITP),
déterminée par expertise réalisée par un médecin. Cette échelle de gravité prend
en compte, à l’extrême, la menace pour la vie, notamment dans le cadre des
facteurs de sécurité.
- Effets sur la santé, ayant un caractère réversible ou non, particulièrement pour
les facteurs de risques à impact physiologique.
- L’importance de l’interférence avec le bien-être, la satisfaction, la motivation du
travailleur, pour les facteurs sociaux et organisationnels
La gravité se caractérise selon une échelle allant de faible à très élevée selon
l’importance de l’impact.

4) Concept d’exposition

L’exposition prend en compte la durée, la fréquence et l’intensité du facteur de


risque auquel le travailleur est confronté. Il existe par exemple des méthodes de
calculs du niveau sonore auquel le travailleur est exposé : NEP niveau sonore
d’exposition personnel.

5) Concept de probabilité

Prise en compte de la probabilité de survenue du dommage pendant l’exposition.


Cette probabilité est dépendante de facteurs individuels qui agissent comme
cofacteurs de risque : âge, ancienneté, expérience, capacités physiques et mentales…

6) Concept d’acceptabilité

Le caractère acceptable ou non d’un risque doit être évalué. C’est le rôle de la
législation de de déterminer les valeurs limites au-delà desquelles le risque est
inacceptable. L’acceptabilité doit aussi être déterminée en fonction des possibilités
de réduction, de prévention de la survenue de ce risque.

7) Prévention

Les moyens de prévention correspondent aux mesures techniques ou


organisationnelles collectives susceptibles d’éliminer un facteur de risque, de réduire
la gravité du dommage, l’exposition…

8) Protection

Les moyens de protection interviennent lorsque les mesures de prévention visant à


éliminer le risque sont impossibles à mettre en œuvre. Ils correspondent notamment
à l’ensemble des dispositifs individuels de protection (chaussures de sécurité,
casques antibruit, lunettes de travail).

9) Surveillance médicale

Lorsqu’un risque est identifié, une surveillance médicale peut-être nécessaire afin de
s’assurer de l’absence de dommage. Elle peut consister en un ensemble d’examens
et de test (par ex. audiométriques, examens fonctionnels respiratoires).
B. La prévention des risques au travail
La prévention des risques pour la santé au travail est un axe majeur de santé publique, qui
implique de nombreux acteurs (acteurs institutionnels, employeurs, médecins du travail,
professionnels concernés…). Nous analyserons les différentes approches sur lesquelles
repose la prévention (1) et les étapes selon lesquelles se développe une stratégie de
prévention (2).
1) Approches de la prévention
La mise en place d’une stratégie de prévention adaptée peut reposer sur plusieurs
approches conceptuelles complémentaires :

a. Approche globale

La santé comprise comme globale dans le sens de la définition de l’OMS implique


une approche préventive elle-même globale. Le bien-être, la satisfaction et la
santé du travailleur ne dépendent pas d’un facteur de risque isolé, mais de
l’ensemble de ces facteurs et de leurs interactions. Les études qui visent à
prévenir les risques pour la santé au travail doivent donc être menées, selon
l’approche globale, dans une perspective élargie à l’ensemble de ces facteurs et
pas uniquement de façon isolée pour chaque risque.

b. Approche participative

Les professionnels sont les premiers concernés par les risques qui touchent la
santé au travail. L’approche participative suggère de s’appuyer sur les
connaissances et les positions des professionnels eux-mêmes. Une réelle
dynamique de prise en compte des professionnels doit être instaurée, sans quoi
les mesures mises en place peuvent ne pas rencontrer d’adhésion et par
conséquent s’avérer inefficaces. De nombreux exemples peuvent illustrer cet
écueil (dispositifs de protection qui entravent le bon fonctionnement du travail,
lourdeurs administratives…).

c. Approche ergonomique

L’approche ergonomique consiste à considérer d’emblée l’ensemble des facteurs


physiques, physiologiques, psychologiques et sociaux liés au travail (se
rapprochant en cela de l’approche globale). Elle fait appel à toutes les
compétences disponibles (rapprochement avec l’approche participative). Si elle
vise primitivement à améliorer la productivité des professionnels, elle permet
aussi de développer des processus de production qui permettent au
professionnel d’exercer dans des conditions optimales de sécurité.
2) Etapes d’une stratégie de prévention
Une stratégie de prévention se décompose selon des étapes clairement identifiées, de
complexité croissante, au nombre de quatre : dépistage, observation, analyse et expertise.
a. Dépistage : cette étape vise à éliminer les problèmes principaux et à remédier aux
erreurs flagrantes (trous dans le sol, matières dangereuses à l’abandon…).
b. Observation : c’est la phase qui permet d’identifier les risques dans leur diversité,
dans leurs différentes dimensions conceptuelles telles que décrites dans la première
partie : facteurs de risque, effets et dommages, gravité, exposition…
c. Analyse : cette étape intervient lorsque le dépistage et l’observation n’ont pas permis
d’éliminer l’ensemble des risques. Elle consiste dans le fait de faire intervenir des
équipes externes afin de contrôler de façon méthodique l’ensemble des processus de
production. Ce niveau d’étude est requis dans les situations complexes, comme sur
les chantiers ou différents intervenants sont amenés à partager un même espace de
travail.
d. Expertise : cette étape consiste à faire intervenir des experts pour la réalisation de
mesures spécifiques : rayonnement électromagnétique, irradiations… Ces études
sont très réglementées et orientées vers un facteur de risque particulier.

II Risques spécifiques au cabinet dentaire


Il est de la responsabilité du chirurgien-dentiste de connaitre, dépister, analyser et prévenir
les risques associés à l’exercice de son art au sein du cabinet dentaire. Ces risques peuvent le
concerner lui-même ou son assistant(e). Il est en ce sens important de mettre en place des
procédures de prévention qui s’appuient sur les différentes approches mentionnées
précédemment : analyse globale, participative et ergonomique. Toutes les activités doivent
être prises en compte, c’est-à-dire, au-delà de l’activité de soin, les tâches de nettoyage,
élimination des déchets, maintenance…
Les risques rencontrés au cabinet dentaire sont multiples. Nous aborderons tout d’abord les
risques professionnels environnementaux (A), puis les risques psycho-comportementaux (B),
pour enfin aborder certaines mesures de prévention de ces risques (C).
A. Risques professionnels environnementaux
La catégorie des risques environnementaux auxquels sont confrontés les professionnels
(dentistes, assistant(e)s) au sein du cabinet comprend un ensemble varié qu’il s’agit de
connaitre et de pouvoir identifier afin de s’en prémunir.
1) Risques infectieux

Ces risques sont liés à la présence de micro-organismes pathogènes dans le sang, la


salive, le pus ou les sécrétions nasales. Ils concernent aussi bien le chirurgien-dentiste
que l’assistante lorsque celle-ci est amenée à travailler au fauteuil, mais aussi
lorsqu’ils manipulent et nettoient le matériel qui a été exposé.
L’identification de ces risques comporte de multiples aspects : identification des
sources premières (rôle de l’anamnèse médicale), identification des modes
d’exposition (contamination par contact muqueux ou par effraction de la barrière
cutanée).
La prévention de ces risques doit passer par l’établissement de protocoles stricts,
concertés entre le chirurgien-dentiste et l’assistant(e), le port de dispositifs de
protection (gants, masques, lunettes).
Le personnel d’entretien peut lui aussi être exposé à ces risques lors des tâches de
nettoyage.

2) Risques d’exposition aux poussières, produits et gaz dangereux

L’exposition à des poussières, produits ou gaz dangereux peut-être observée lors de


certains actes de soins. Ces expositions peuvent entrainer le développement
d’allergies, d’affections cutanées ou des voies respiratoires. Des contacts avec des
produits chimiques dangereux sont également possibles au cours des opérations
d’asepsie, de désinfection et de nettoyage.
Là aussi, des protocoles stricts d’utilisation des produits doivent être mis en place
afin de prévenir la survenue de dommages chez les professionnels.

3) Risques radiologiques

Les chirurgiens-dentistes, assistant(e)s dentaires, et toutes les personnes amenées à


intervenir au sein du cabinet dentaire peuvent être exposés au cours de leur activité
professionnelle à des rayonnements ionisants. L’activité radiologique est par
conséquent très encadrée.
La première mesure de prévention face au risque lié aux rayonnements ionisants est
l’optimisation (principe ALARA, As Low As Reasonably Achievable). La réalisation de
chaque cliché doit être médicalement justifiée. Seul le patient doit rester dans la
zone d’irradiation. Dans le cas où le praticien ne peut faire autrement que de rester
dans la zone d’irradiation, il doit prendre des mesures de protection (port d’un
tablier en plomb).
L’évaluation du risque s’appuie sur les résultats des mesures réalisées sur
l’installation par la personne compétente en radioprotection (PCR). Les praticiens
sont, dans ce contexte, amenés à bénéficier de formations régulières. L’installation
doit aussi être régulièrement vérifiée.

4) Risques de brulures, piqures, coupures liées aux éléments de travail.

L’identification des facteurs de risques pouvant entrainer des blessures doit faire
l’objet d’une attention particulière, et ce d’autant plus dans la mesure où ce risque se
combine avec celui d’exposition aux pathogènes infectieux. Là, aussi une organisation
optimale, concertée avec l’ensemble de l’équipe, permet de limiter l’exposition à ce
risque. Rappelons à titre d’exemple que certaines pratiques doivent prohibées,
comme le fait de recapuchonner les aiguilles.

5) Risques de chutes.

Si ce risque peut paraitre anecdotique et non spécifique, il constitue la première


cause d’accident dans les cabinets dentaires. Une approche préventive globale doit le
prendre en compte, depuis la conception de l’espace de travail jusqu’à l’organisation
des déplacements au sein de l’espace de travail.

B. Les risques professionnels psycho-comportementaux

Parallèlement aux risques professionnels environnementaux, qui recouvrent des


risques liés à la sécurité (Cf. première partie), il est possible de décrire un autre
ensemble de risques au cabinet dentaire, que l’on qualifiera de psycho-
comportementaux et qui recouvrent des facteurs liés à l’impact sur la physiologie et
le bien-être.

1) Risques liés aux postures de travail

Ils sont liés à la disposition, l’adaptation du matériel, et aux techniques adoptées


par les professionnels. Les dommages que peuvent entrainer ces risques sont
considérables et peuvent avoir des effets sur la longue durée (chronicité) :
 Troubles musculo-squelettiques (TMS), qui regroupent des affections
touchant les muscles, articulations, tendons, nerfs… Les parties du corps les
plus fréquemment touchées sont la colonne vertébrale, les membres
supérieurs, les genoux. Leur fréquence est de 34 % et augmente avec l’âge.
 Syndrome du canal carpien : compression du nerf médian lors de son passage
dans le canal carpien, entrainant des pertes de sensibilité et des troubles de la
motricité.

La prévention de ces risques est l’objet privilégié d’une approche


ergonomique de l’organisation de l’espace de travail.

2) Risques psychologiques liés au stress

L’activité au sein du cabinet dentaire peut entrainer des risques psychologiques


liés à un niveau de stress important, tant pour le praticien dans l’exercice de son
art (complexité des procédures, urgences, charge de travail…) que pour toute
l’équipe du cabinet lorsqu’elle est confrontée à la patientèle dans le cadre de
rapports parfois complexes. Là aussi une réflexion doit être menée en termes
d’organisation du temps de travail et des rapports au sein de l’équipe de soin
pour minimiser l’impact de ces facteurs de risques.

C. Prévention des risques au cabinet dentaire

Des exemples ont pu être abordés en réponse à l’exposé des différents risques. D’un
point de vue général, et en accord avec les principes de prévention évoqués en
première partie, la priorité doit être accordée à :
- La recherche et l’élimination du risque chaque fois que possible.
- A défaut, la mise en place de mesures de protection.
- Dans ce contexte, le port des équipements de protection individuelle est
indispensable (gants, masques, lunettes).

Conclusion

La question de la santé au travail se révèle être une véritable problématique de santé


publique dans la mesure où elle s’appuie sur un arsenal théorique varié, qui, dépassant la
stricte question médicale, prend en compte les facteurs sociaux et environnementaux. Elle
s’appuie aussi sur des grilles d’analyse classiques de la santé publique : rôle de l’état et de la
législation, participation des personnes concernées, organisation des procédures,
ergonomie…
Un décret du 5 novembre 2001 fait obligation à tous les employeurs de tenir un document
d’évaluation annuelle des risques professionnels auxquels sont exposés leurs salariés. Ce
document doit être participatif et comprend au minimum les étapes de dépistage,
d’observation et d’analyse.
La confédération nationale des chirurgiens-dentistes a établi un document type pour les
cabinets dentaires qui regroupe ces obligations (fiche d’évaluation de risques
professionnels).

Sources
- Gilda Trohel, Cours 2014/2015 : Les risques professionnels et la médecine du
travail.
- Institut National de Recherche et de Sécurité.

Pour aller plus loin…


- Laure Gaultier, Etude de l’évolution de la santé des chirurgiens-dentistes face aux
risques professionnels depuis 1980. Thèse d’exercice, Université de Rennes 1,
2016

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