ÉDUCATION MILITAIRE
Photo de la base de Kingston n° DCS 0038 par Steven McQuaid
La parade de commission des officiers au Collège militaire royal, en mai 2004.
LES DIPLÔMES MILITAIRES : QUELS
SONT LES CRITÈRES ET LA MATIÈRE?
par le lieutenant-colonel David Last, Ph. D.
I
l est regrettable que l’on conseille souvent aux
officiers d’obtenir un diplôme au lieu de s’instruire1.
Certes, il est plus facile de reconnaître un diplôme
que la profondeur d’un esprit. Je connais des officiers
qui ont une remarquable formation professionnelle;
érudits et éloquents, ils possèdent un esprit critique et
objectif, sans avoir fait d’études supérieures. J’en connais
d’autres, « à la tête bien pleine », qui demeurent aussi
réfractaires à toute connaissance nouvelle et se méfient
autant des idées qu’avant d’entrer à l’université. Les études
n’ont pas le même effet sur chacun d’entre nous. Si les
Forces canadiennes veulent que leur université décerne les
diplômes qui sont désormais requis, il faut déterminer
de quels types de diplômes il s’agira et expliquer clairement
aux étudiants comme aux administrateurs des Forces en quoi
ils consisteront et pourquoi ils sont nécessaires.
Le présent article vise à montrer aux éventuels étudiants
pourquoi l’université est importante, notamment l’université
militaire canadienne. Cela permettra de repérer son potentiel
autant que les problèmes à éviter, de présenter les exigences
de base des études universitaires (et donc des diplômes)
à divers niveaux et de décrire les différentes étapes que les
étudiants doivent franchir. Le fait de devoir fournir des
diplômes universitaires nous force à être productifs, mais c’est
aux professeurs de fournir la matière. Cela signifie que nous
devons protéger et affermir notre caractère universitaire en
résistant à l’uniformisation.
L’Académie canadienne de la Défense et l’importance
nouvellement accordée aux études dénotent une certaine
renaissance dans la pensée militaire au Canada et présentent
Été 2004 ● Revue militaire canadienne
un énorme potentiel en matière de développement
professionnel et institutionnel. Pour un soldat « à la tête
bien faite », cette époque est palpitante. Cependant, si
l’université s’adapte aux besoins d’une profession,
elle risque de perdre une partie de son âme. Dans ce cas,
ni le Collège militaire royal ni l’Académie de la Défense
ne serviront les intérêts du pays.
Les universités sont importantes, car elles préservent
et font avancer les connaissances par l’entremise des
bibliothèques, des recherches, des publications et des cours.
Tout cela ne relève pas de la bureaucratie universitaire ou
de l’administration militaire mais des professeurs. Un
professeur est un être indépendant et autodiscipliné qui a le
droit d’exercer son esprit critique dans ses cours et ses
travaux. Sa crédibilité est garantie par un doctorat dans une
discipline en rapport avec son domaine d’études ou parfois
par une recherche et des publications exceptionnelles. Ceux
qui pensent, écrivent et enseignent forment collectivement
une académie, du mot grec désignant « le jardin dans lequel
Platon dispensait son enseignement ». « En ce sens,
l’académie ne se confine pas aux universités et aux collèges :
elle se définit par les contributions de ses membres. Toute
personne qui effectue une recherche originale et rigoureuse,
qui transmet son savoir par l’entremise d’associations
universitaires, de publications, de communications, de cours
et de travaux d’édition et qui jouit de l’estime de ses pairs
fait partie d’une académie dans le sens large du terme.
Le lieutenant-colonel David Last, Ph. D., est le secrétaire-général
du Collège militaire royal du Canada où il enseignait auparavant
au département des sciences politiques et économiques.
29

Photo de la base de Kingston n° DSC 005 par Steven McQuaid
L’arrivée des drapeaux du collège militaire royal lors de la parade de collation des grades,
en mai 2004.
Un nombre surprenant de militaires, hommes et femmes,
n’appartenant pas à la communauté universitaire sont
considérés comme des érudits et des experts dans
leur domaine. Toutefois, leur statut peut être précaire s’ils
ne sont pas reconnus officiellement par une université.
Durant six siècles de dogme religieux, d’inconstance
politique et de restrictions professionnelles, l’université
est demeurée le centre de l’honnêteté intellectuelle et de
l’esprit critique2, mais elle a fréquemment été envahie par la
politique, nationale ou professionnelle 3. Les disciplines
théoriques, qui sont axées sur la connaissance pour la
connaissance dans un cadre bien défini, ont toujours coexisté
avec les écoles professionnelles et les applications pratiques.
Grâce à la distinction entre la recherche « pure » et
« appliquée », les « arts » et les « sciences », les cours
« théoriques » et « professionnels », l’université a toujours
focalisé l’enseignement et la recherche. Comprendre
l’évolution des universités et leur contribution à la connais-
sance permet de mieux saisir les dangers qui les guettent.
Par exemple, les professions risquent de contrôler
les facultés. Quand, à la Renaissance, les universités se
sont libérées de l’influence abrutissante du dogme religieux
« professionnel », elles se sont réellement épanouies et ont
entrepris de comprendre le monde qui les entourait. Les
premières facultés de médecine ont parfois dû défendre les
« connaissances » existantes au lieu de remettre en question
et d’améliorer les pratiques en usage4. Au fil des siècles, les
facultés de droit ont été tantôt conservatrices tantôt
activistes. Quand une profession contrôle l’académie, elle
30
exerce des pressions pour que celle-ci préserve
et justifie le statu quo au lieu de le mettre
en doute et de le critiquer.
Cela m’amène au cas étrange où une
profession fonde, pour ses besoins, non pas un
collège ou une faculté mais une université.
L’Académie canadienne de la Défense et le
Collège militaire royal du Canada sont-ils, oui
ou non, des unités des Forces canadiennes?
Selon le philosophe Bertrand Russell, tolérer
l’ambiguïté est la marque d’un esprit éduqué.
En principe, ces deux institutions sont des
unités des Forces, mais, en réalité, les Forces
ne sont que le gardien d’une institution
nationale dont le but dépasse les intérêts des
seules Forces. Depuis sa fondation, le Collège
militaire royal est axé sur le développement du
pays. Il a formé des ingénieurs quand le
Canada avait besoin d’ingénieurs. Ceux-ci sont
parfois restés dans les forces, mais beaucoup
ont trouvé un emploi dans le secteur public
et dans l’industrie. Le Collège a permis à des
personnes qui n’en avaient pas les moyens
de faire des études et à des immigrants de
s’intégrer dans la société. En bâtissant ainsi la
nation, il a contribué à la sécurité dans le sens
le plus large. Les ingénieurs qui ont participé
à la construction des routes, des ponts et des
voies ferrées au XIXe siècle ont contribué tout
autant à la sécurité et à l’identité nationales que ceux qui,
depuis 1970, forgent une force armée et une fonction
publique bilingues. Le Collège militaire royal a toujours
formé des « professionnels de la sécurité », qu’ils restent ou
non dans les forces armées.
Le Canada a besoin d’une université nationale pour
former les professionnels de la sécurité qui apporteront leur
contribution à la nation et à la communauté mondiale.
L’Académie canadienne de la Défense et l’expansion du
Collège militaire royal au-delà de son enceinte peuvent
répondre à ce besoin. Les hommes et les femmes éduqués qui
font preuve de leadership et désirent servir leur patrie feront
de bons officiers et de bons citoyens qui serviront la nation et
la communauté mondiale. Voilà ce que produit l’université.
Si elle se contente de former des officiers pour les forces, elle
risque de devenir une école professionnelle. Dans ce cas,
comment le saurions-nous? Un universitaire fait des
recherches originales et il dresse le programme des cours
qu’il enseigne. Ces cours évoluent d’une année à l’autre, car
le savoir n’est pas statique. Les étudiants savent qu’ils
acquièrent des connaissances parce que, à la fin du semestre,
non seulement ils se posent plus de questions qu’au début,
mais ils savent quoi faire pour trouver les réponses.
Voilà ce qu’est l’éducation. Quand un « expert » prépare une
trousse que n’importe quel enseignant peut présenter à ses
étudiants, nous sommes dans la zone grise entre l’éducation
et la formation. Quand un « expert » grappille des
connaissances ici et là et est incapable d’expliquer comment
ou pourquoi on sait telle ou telle chose, il n’y a plus
de questionnement, ce qui est l’âme de l’université. Sans
Revue militaire canadienne ● Été 2004
 ÉDUCATION MILITAIRE
épistémologie (philosophie de la connais- Il y a d’abord lieu, selon moi, de
sance), la pédagogie (art d’enseigner) se « Un diplôme présenter un modèle de l’enseignement
transforme rapidement en pédantisme professionnel doit tenir supérieur, car il est fondamentalement le
(insistance sur la forme et les détails). même dans le monde entier. Sans être
compte des exigences
universels, le baccalauréat (premier cycle),
Le programme d’études militaires de la profession et la maîtrise (deuxième cycle) et le
professionnelles des officiers offert par former des personnes doctorat (troisième cycle) sont connus
l’Académie canadienne de la Défense et généralisés. Au sein de l’Union
qui peuvent résoudre
donne aux officiers subalternes une européenne, le processus de Bologne vise
instruction professionnelle de niveau des problèmes à normaliser l’accréditation universitaire
universitaire. L’Académie de la Défense professionnels suivant un modèle de trois cycles
s’attend toutefois à ce que tous comparable à celui de l’Amérique du
hors du cadre
les officiers reçoivent une éducation Nord 5. Divers paliers de l’Union
comparable. En ne donnant pas aux universitaire. » européenne et les pays membres du
universitaires qualifiés la possibilité consortium des académies de défense
d’enseigner leur matière et en s’en tenant à du Partenariat pour la paix de l’OTAN
des cours normalisés, même s’ils changent périodiquement, cherchent à normaliser les exigences quant aux diplômes afin
le programme d’études militaires professionnelles des d’assurer la compatibilité des normes et des crédits, alors
officiers se place entre l’éducation et la formation. Il relève même que chaque université défend farouchement son
encore de l’éducation, car les étudiants doivent faire preuve autonomie6. On peut décrire les principales caractéristiques
d’esprit critique dans leurs dissertations et lors des examens, des cycles de l’enseignement supérieur, car c’est sur
mais cela soulève la question des normes : qu’attend-on des elles que se basent l’évaluation et l’accréditation des cours.
professionnels à chaque étape de leur éducation? Existe-t-il
une correspondance logique entre leurs promotions et leurs Avant d’entamer des études supérieures, un étudiant
diplômes? Si un officier subalterne doit avoir un baccalauréat, devrait posséder les compétences fondamentales pour
un officier supérieur doit-il être titulaire d’une maîtrise? l’apprentissage : l’alphabétisme, le calcul et la logique, que
Tous les diplômes de maîtrise sont-ils comparables? tous les systèmes d’éducation des pays développés devraient
Doit-on exiger le doctorat et, si oui, dans quels cas? exiger. Au reste, nos normes de recrutement reposent presque

Photo de la base de Kingston n° KN2004-165-46 par Brad Lowe

Le chef d’état-major de la Défense, le général Ray Henault, passe en revue les élèves-officiers lors de la parade de collation des grades du Collège
militaire royal, en mai 2004.

Été 2004 ● Revue militaire canadienne 31

 toutes sur cette base. Nous pouvons alors décrire les études
supérieures et l’acquisition continue du savoir en fonction de
deux axes, l’un théorique, l’autre pratique ou professionnel.
Ces deux axes sont étroitement liés, certes, mais ils
permettent d’expliquer en détail les exigences des divers
programmes et diplômes.
Depuis le Moyen-Âge, le baccalauréat, ou les études de
premier cycle, relève presque partout d’une discipline. Dans
les universités médiévales, il faisait acquérir les fondements
du savoir, la grammaire, la logique et la rhétorique, alors que
la maîtrise portait sur l’arithmétique, la musique, la
géométrie et l’astronomie. La théologie, le droit canon
et civil et la médecine étaient considérés comme des sujets
d’études avancées. De nos jours, les facultés des arts et
des sciences et les facultés professionnelles spécialisées
telles que le génie, la pédagogie et le droit décernent
un baccalauréat. Elles se divisent normalement en
départements, tels que physique et mathématiques dans une
faculté des sciences.
Une discipline théorique établit un cadre à l’intérieur
duquel on tente de déterminer comment s’acquièrent les
connaissances et quelles sont les sources et les méthodes les
plus appropriées7. Chaque discipline s’inscrit dans une sphère
de compétences. En se concentrant sur des domaines qui font
appel aux mêmes sources et méthodes, un étudiant acquiert
un ensemble cohérent et considérable de connaissances, mais
aussi et surtout il apprend en quoi consiste l’acquisition
du savoir. Ce n’est pas en accumulant des bribes de
connaissances que l’on s’instruit mais en apprenant à
acquérir, vérifier et appliquer des connaissances 8. Avant
d’entamer des études de deuxième cycle, un étudiant
doit posséder de vastes connaissances dans sa discipline et
notamment avoir lu beaucoup d’ouvrages portant sur
la majorité de ses champs d’études9.
Apprentissage
L’accréditation des
cours distingue les crédits « Une université
du premier échelon (les militaire doit à la fois
deux premières années du
servir les intérêts de
premier cycle) et ceux de
l’échelon supérieur (la la nation et préserver
troisième et la quatrième son caractère
années) 10. Les cours du
universitaire. »
premier échelon posent les
fondations : les étudiants
apprennent, généralement par l’entremise de cours et de
lectures, où en sont les connaissances dans une discipline.
Les cours de l’échelon supérieur demandent aux étudiants
d’appliquer leurs connaissances pour trouver les réponses
aux questions posées et accordent une plus grande
importance aux travaux pratiques, à la rédaction de
dissertations et à la participation à des séminaires. La plupart
des programmes exigent un certain nombre de crédits
de l’échelon supérieur pour l’obtention du diplôme.
Au Collège militaire royal par exemple, pour obtenir un
baccalauréat spécialisé en chimie, il faut suivre au moins
22 cours de chimie (ou autres, moyennant approbation)
de troisième et de quatrième années. Au tableau 1, on peut
tracer une diagonale dans le cercle du baccalauréat pour
indiquer que les cours de l’échelon supérieur font progresser
les connaissances et l’expérience. Un baccalauréat spécialisé
devrait fournir à son titulaire une base lui permettant de pour-
suivre des études dans sa discipline. Cette « base » signifie
que l’étudiant connaît les domaines que couvre sa discipline,
car il a généralement suivi au moins un cours dans chacun
d’entre eux. Il a étudié les sources et les méthodes utilisées
dans chaque domaine et, grâce à ses lectures ou à ses cours,
il a suivi les progrès effectués dans sa discipline. Ainsi, un
étudiant en sciences politiques connaît la « documentation
secondaire » (recherche portant sur des travaux originaux
basés sur des sources primaires) sur le gouvernement
du Canada, la politique comparée, la théorie politique,
l’économique et d’autres domaines selon
le programme.

✰ Méthodologie
Expérience professionnelle Certaines universités décernent un
✦ Épistémologie diplôme général de trois ans (ou 30 cours d’un
semestre), parfois sans concentration dans une
s

discipline. C’est un bon moyen de décrocher

de
tu

rapidement un diplôme. Cependant, cela risque

sé

Recherche et de constituer un handicap pour ceux qui

de

publications
veulent poursuivre leurs études, car ils ne
n

postdoctorales
io

posséderont pas les bases de leur discipline.

ss
re

Au tableau 1, le diplôme général [baccalauréat

og

Doctorat
ès arts et sciences militaires (BAScM)]
Pr

Expertise et
M.A. Études
sur la ✦ Ph.D. Études sur la publications chevauche la ligne séparant les cours du
conduite de la guerre
conduite de « Maîtrise premier échelon et ceux de l’échelon supérieur.
la guerre théorique » MBA/MA en gestion et Compétences
politique de défense D’ordinaire, dans le cadre d’un diplôme
B.A. (spécialisé)✰ ✰ « Maîtrise ✰
professionnelles
général, les étudiants ne suivent qu’un tiers de
CSEG/cours sur la
professionnelle » sécurité nationale leurs cours au niveau supérieur. Il leur manque
Baccalauréat
B.A. (Gén.) MA en études de la
e donc cette année importante de consolidation,
défense/Ma ès arts
la c arrièr
on de
Études BAScM et sciences militaires de réflexion et de recherches autonomes qui
secondaires
re s s i
Prog parachève le premier cycle et débouche sur des
études plus avancées. Même s’ils suivent
Expérience d’autres cours par la suite, ils risquent d’avoir
des lacunes en raison du manque de continuité.
Tableau 1. Progression des études et de la carrière

32 Revue militaire canadienne ● Été 2004

 ÉDUCATION MILITAIRE
Pour obtenir un diplôme avec
spécialisation, il faut généralement
rédiger un mémoire, un travail
de recherche ou un rapport
d’étude sous la supervision d’un
professeur. Il faut donc montrer
que l’on sait utiliser les sources et
les méthodes de sa discipline. Un
étudiant en histoire a des notions
d’historiographie, un étudiant en
économique, d’économétrie, etc.
En acquérant ces compétences,
les étudiants parviennent à
Photo de la base de Kingston n° DSC 0048 par Steven McQuaid

l’intersection avec le deuxième

cycle, soit la maîtrise de leur
discipline. À ce niveau, ils ne se
contentent plus d’accepter ce
qu’ils lisent ou ce qu’on leur dit,
mais ils vérifient les données en
faisant la synthèse des sources
secondaires et des travaux
originaux et en trouvant ou en
rassemblant de nouvelles données
dans les sources primaires, celles
qui se rapportent directement
à leur objet d’étude.

Pour la maîtrise, il faut

Comme le veut la tradition, les membres de la promotion sortante du Collège militaire royal lancent généralement faire une recherche
leur calot en l’air après la parade de collation des grades. sous la direction d’un professeur.
Les professeurs qui enseignent au
Une personne avisée peut remédier à cet état de choses deuxième cycle doivent publier et poursuivre des recherches
en faisant des recherches individuelles, mais les chances et il leur arrive d’y faire participer les étudiants. Cependant,
de réussite dépendent des aptitudes de chacun. une recherche dirigée ne se traduit pas forcément par un
manuscrit évalué par des experts externes. Elle peut consister
L’étudiant généraliste, ou celui qui n’a pas de en une série de rapports de recherche sanctionnés par le
concentration dans une discipline, se heurte à un autre directeur et par un comité interne ou seulement par
obstacle, qui peut s’avérer insurmontable. Il n’a peut-être le directeur (si le diplôme est décerné sur la base des travaux
suivi que deux ou trois cours dans une discipline. remis dans les cours plutôt que sur celle d’un travail de
Si l’on compare les trois cours d’un programme général sans recherche). L’avantage d’un mémoire évalué par des experts
concentration aux 22 cours d’un diplôme spécialisé, qui externes est qu’il prouve que l’étudiant est capable de faire
comprennent chacun 39 heures de cours et 78 heures d’étude, un travail original répondant aux normes de sa discipline. Un
l’étudiant spécialisé a approfondi une discipline pendant étudiant qui n’a pas acquis une base dans sa discipline,
plus de 2 500 heures, le généraliste, pendant seulement notamment qui ne connaît pas bien les sources et les
350 heures11. méthodes, a du mal à faire une recherche. C’est pourquoi
ceux qui veulent faire un doctorat rédigent souvent un
Dans la majorité des universités, pour obtenir un mémoire ou un projet de recherche; il est plus difficile de
diplôme avec spécialisation, les étudiants doivent suivre faire des études de troisième cycle quand on est titulaire
un programme avancé (davantage de cours d’une maîtrise basée sur les travaux remis
dans une discipline) et avoir d’excellentes dans les cours (placée du côté droit
notes (égales ou supérieures au plancher « Quand une du tableau 1).
établi). Pourquoi? Si l’on examine les profession contrôle
cours requis pour une majeure ou Le Collège militaire royal donne deux
une mineure, on constate qu’ils ont l’académie, elle exerce types de programmes de maîtrise et
généralement été choisis pour que des pressions pour d’autres universités offrent des
l’étudiant ait accès au plus grand nombre que celle-ci préserve programmes analogues. Je tiens d’abord à
de domaines que couvre son département. faire remarquer que la distinction entre
L’obtention du baccalauréat signifie donc et justifie le statu quo les diplômes théoriques et professionnels
l’acquisition d’un bagage considérable au lieu de le mettre ne relève pas du snobisme. Bien des
dans une discipline, ce qui est important en doute et professions parmi les plus respectées,
pour faire des études plus poussées. l’ingénierie, le droit et la médecine, par
de le critiquer. »

Été 2004 ● Revue militaire canadienne 33

Photo de la base de Kingston

L’ancien ministre de la Défense, l’honorable John McCallum, chancelier du Collège militaire royal, décerne un diplôme de baccalauréat
à la collation des grades du printemps.

exemple, exigent un diplôme professionnel plutôt que Il devrait ressortir de cette présentation que,
théorique et maintiennent des critères élevés par des mesures si les diplômes militaires professionnels et théoriques
de surveillance et des examens. Cela dit, les deux types de doivent avoir des critères rigoureux, les critères d’admission
diplômes ne sont pas nécessairement interchangeables. Une et d’obtention du diplôme sont différents. Il est logique
maîtrise en droit ne permet pas de faire un doctorat en que la plupart des étudiants s’inscrivant au programme
histoire (quoique, à certains endroits et dans certains cas, une d’études sur la conduite de la guerre soient titulaires d’un
exception puisse être faite). Une maîtrise dans une discipline diplôme en arts ou en sciences sociales. Étant donné
professionnelle indique que l’étudiant a acquis les que, pour rédiger un mémoire, il est indispensable de se
connaissances théoriques et pratiques requises et qu’il est baser sur la théorie, les sources et les méthodes d’une
capable d’exercer sa profession. Par exemple, une maîtrise en discipline, il serait normal que les étudiants venant
administration des affaires prépare le futur titulaire à d’autres disciplines remplissent les exigences du
travailler avec des cadres de profession, tout comme le programme en suivant les cours et non en soutenant
collège d’état-major prépare un officier à travailler avec un mémoire. En revanche, la maîtrise en études de la
des spécialistes de l’état-major. Un diplôme professionnel défense ne requiert pas d’études préalables dans une
doit tenir compte des exigences de la profession et former discipline mais une expérience professionnelle. Comme
des personnes qui peuvent résoudre des il s’agit explicitement d’un diplôme
problèmes professionnels hors du cadre « Ce n’est pas professionnel, l’étudiant peut s’appuyer sur
universitaire. En revanche, un diplôme son expérience pour évaluer les données
théorique vise surtout à préserver, valider en accumulant et tirer des conclusions avisées. Cela ne
et diffuser le savoir. C’est l’université qui des bribes de signifie pas qu’un mémoire de maîtrise en
fixe les critères de validation. Ainsi, connaissances que études de la défense ne s’appuie pas sur une
bien que le programme de maîtrise théorie, sur une méthodologie et sur
en études de la défense ait été conçu l’on s’instruit mais des sources; seulement, leur application
pour répondre aux besoins des Forces en apprenant à ne dépend pas des connaissances dans une
canadiennes, son accréditation, comme acquérir, vérifier discipline théorique mais de l’expérience
celle d’autres diplômes d’études dans une profession militaire. Il s’agit en
supérieures, relève du Conseil ontarien et appliquer des général de résoudre non un problème
des études supérieures12. connaissances. » théorique mais un problème militaire concret.

34 Revue militaire canadienne ● Été 2004

 ÉDUCATION MILITAIRE
Un mémoire de maîtrise en études sur la conduite de la d’officier; que certains survivent au programme de doctorat
guerre doit refléter de vastes connaissances dans la discipline et brillent dans ces fonctions ne signifie pas pour autant
dans laquelle il s’inscrit. Bien que l’expression études sur la que ce soient des exemples à suivre. Nous devrions donc
conduite de la guerre indique clairement qu’il s’agit d’études admettre que peu de militaires passeront du deuxième au
multidisciplinaires, comme les études féminines ou les études troisième cycle et que leur carrière risque d’être limitée.
sur l’environnement, la défense du mémoire s’effectue dans Selon les chiffres publiés par l’Association des universités
la discipline dont il relève et dans le cadre d’un département, et collèges du Canada dans Orientations : le milieu
souvent celui du directeur de recherche. Étant donné universitaire (2002), au Canada, la proportion d’étudiants
que trois cours de deux semestres dans les études sur la au baccalauréat, à la maîtrise et au doctorat est approxima-
conduite de la guerre ne suffisent pas à donner une base tivement de 450 : 70 : 1. Si cette proportion s’applique aux
suffisante dans une discipline, les études antérieures du étudiants militaires, étant donné leur petit nombre, seuls sept
candidat devraient lui avoir fait acquérir suffisamment de ou huit d’entre eux sont probablement parrainés au doctorat
connaissances pour qu’il situe sa recherche dans toutes les disciplines, soit peut-être
dans un cadre théorique, qu’il se serve des un ou deux par an si l’on tient compte du
sources et des méthodes de sa discipline et « Si les diplômes temps nécessaire pour terminer une thèse.
qu’il défende son mémoire avec succès. militaires Il est clair que le doctorat n’est pas pour
Par conséquent, un candidat ne devrait pas tout le monde.
rédiger un mémoire en sciences sociales si professionnels et
son baccalauréat ne relève pas de ce théoriques doivent Par ailleurs, il faut se montrer prudent
domaine. Il en va de même pour l’histoire avoir des critères en matière de doctorat militaire. Depuis
et la plupart des autres disciplines, bien quelques années, beaucoup d’articles
que le degré de spécialisation requis varie rigoureux, les critères traitent du malaise des universités. Dans
selon la discipline et le sujet de recherche. d’admission et The Great Brain Robbery, trois historiens
d’obtention du diplôme éminents soutiennent que les problèmes les
Cela nous amène au troisième plus importants des universités dans
et dernier cycle, que les Américains sont différents. » les années 1980 n’étaient pas dus
dénomment sinistrement « phase terminale ». au financement mais au fait que ces
Si le premier cycle porte sur les études établissements servaient de plus en plus à
dans une discipline et le deuxième, sur la recherche disséminer des politiques plutôt que des connaissances 15.
(utilisation de théories, de sources et de méthodes Dans Petrified Campus, ils traitent du même sujet et s’en
éprouvées), en quoi consiste le troisième? Ce qui distingue prennent à la titularisation et à la rectitude politique, qui,
le doctorat, c’est la diffusion d’une connaissance nouvelle. selon eux, nuisent à la rigueur des universitaires 16. Si on
La maîtrise d’une discipline permet de passer du premier lit entre les lignes, on devrait se montrer circonspect
au deuxième cycle. Le mot philosophie, qui vient du grec, envers les programmes garantis ou les postes spéciaux pour
signifie « l’amour de la connaissance » et sous-entend les professeurs en uniforme. Les universités qui engagent
l’amour, l’étude et la poursuite de la sagesse en ce qui a trait à d’anciens étudiants sont mal vues, en raison du risque de
la nature et aux causes des phénomènes, abstraits et concrets. recyclage d’idées quasi incestueux17, et la plupart des bonnes
L’étude de l’épistémologie (théorie de la connaissance) universités en engagent peu. Plus l’établissement est petit,
caractérise le doctorat. Quelle est l’origine du savoir? plus cette règle est importante. Il semblerait donc que, pour
Comment l’expérience et la raison contribuent-elles au tirer le meilleur parti des parrainages au doctorat, les forces
savoir? Comment savons-nous ce que nous savons? armées ne devraient pas envoyer les étudiants dans la seule
Comment notre savoir évolue-t-il à mesure que surviennent université militaire du Canada si celle-ci doit être leur
de nouvelles conceptualisations du monde13? Les connais- principal employeur.
sances de l’élève sont transmises par les enseignants, celles
du bachelier viennent de ses lectures, celles du titulaire d’une Peut-être y a-t-il d’autres débouchés qu’un poste dans
maîtrise, de ce qu’il a vérifié. Le docteur en philosophie une université militaire pour un docteur en philosophie en
doute de tout, ce qui soulève de nouvelles questions. uniforme? Le Forum sur la sécurité et la défense « a pour but
d’établir une compétence nationale en ce qui touche les
Combien de militaires devraient être docteurs en questions de défense qui ont et auront [...] rapport à la
philosophie? En Amérique du Nord, un doctorat est sécurité du Canada18 ». Le Collège militaire royal est l’une
l’aboutissement de plusieurs années d’études, d’examens de des 16 universités participant au Forum sur la sécurité et la
synthèse dans au moins deux domaines à l’intérieur d’une défense qui comptent dans leurs rangs des universitaires
discipline et d’une recherche approfondie pour rédiger un brillants, dont peu de militaires. Dans les années 1950
ouvrage savant et original, présentant des données et des et 1960, la plupart des universités comprenaient un
idées nouvelles. Le chemin est long et solitaire, le domaine corps-école d’officiers; il y avait un important monument aux
d’études, très approfondi mais étroit, et tout s’achève dans le morts dans toutes les villes et, dans nombre d’entre elles, une
doute. Cela demande de trois à cinq ans d’études dans la unité de la milice installée dans un manège militaire
réclusion, à l’apogée du développement professionnell4. Les historique. Selon le sociologue militaire Terry Willett, la
études doctorales préparent bien à une carrière universitaire, concentration des bases, la réduction du nombre et de
qui consiste à faire de la recherche, à enseigner et à servir la l’importance des unités et l’augmentation du pourcentage
profession, mais non à une carrière de leader, de soldat ou d’officiers au Collège militaire royal ont réduit la visibilité

Été 2004 ● Revue militaire canadienne 35

des Forces canadiennes dans la société et ont limité
leurs interactions avec les civils, ce dont tout le monde
a pâti. Afin de favoriser l’essor d’idées nouvelles, les
militaires qui ont fait un doctorat à l’université
nationale devraient peut-être avoir pour mission de
disséminer notre savoir militaire dans les universités
civiles et à l’étranger.
Les trois cycles décrits précédemment ne détiennent
nullement le monopole de la production de nouvelles
connaissances. Le Canada a déployé d’énormes efforts
pour améliorer l’instruction militaire professionnelle :
collèges d’état-major, cours supérieur d’études de guerre,
cours et séminaires d’études sur la sécurité nationale.
Idéalement, ils permettent un apprentissage qui s’appuie sur
l’expérience et encourage l’esprit critique, l’acquisition de
données nouvelles et la formulation d’idées novatrices.
Les publications évaluées par un comité de lecture, les
communications et les réalisations professionnelles
témoignent de la rigueur et de l’utilité désormais reconnues
de la progression professionnelle. Cependant, comme
l’illustre le tableau 1, on constate une divergence. Une
maîtrise ne prépare pas au travail d’officier divisionnaire,
car elle ne fournit pas la connaissance fondamentale de la
doctrine que transmet le collège d’état-major. Un crédit de
maîtrise en études de la défense ou un cours d’études sur
la sécurité nationale ne préparent pas au doctorat, car ils
ne reposent pas sur les connaissances acquises dans une
discipline théorique. Il convient d’être prudent avant de
modifier ces démarcations, car ces dernières assurent
la préservation de l’expertise professionnelle et de
l’autonomie universitaire.
Les universités sont importantes, puisque ce sont des
centres d’apprentissage. Pour sa part, une université militaire
doit à la fois se mettre au service des intérêts de la nation et
préserver son caractère universitaire. Le corps professoral et
les étudiants partagent cette responsabilité, et il nous
incombe à tous de nous entendre sur les diverses avenues
que peuvent prendre la formation professionnelle et les
études universitaires. Pour conclure, on pourrait dire qu’il
importe de bien choisir sa voie, car on pourrait la suivre
fort longtemps!

NOTES

1. Ramsey Withers et John Cowan, Rapport
au Conseil des Gouverneurs du Collège
militaire royal par le groupe d’étude Withers,
Examen du Programme de premier cycle
au Collège militaire royal – Excellence
équilibrée : élément moteur des Forces
armées du Canada à l’aube du nouveau
millénaire, Kingston, Collège militaire royal
du Canada, le 30 avril 1998.
2. Abraham Flexner, Universities: American,
English, German, Oxford University Press,
London, 1930, 1968.
3. Peter C. Emberley, Zero Tolerance: Hot
Button Politics in Canada’s Universities,
Penguin, Toronto, 1996.
4. Johanna Geyer-Kordesch et Fiona Macdonald,
Physicians and Surgeons in Glasgow: the History
of the Royal College of Physicians and Surgeons
of Glasgow, 1599-1858, Hambledon Press,
London, 1999.
5. Nicole Rege Colet, « The Bologna
Process and Curriculum Development »,
rectorat de l’université de Genève, présentation
au Centre de politique de sécurité, Genève,
le 1er avril 2003.
6. Réunion du groupe de travail sur
le programme pédagogique, Genève, le
1 avril 2003.
er
7. Issu de la théologie (savoir transmis à
un disciple), le concept des disciplines
universitaires a évolué avec les universités.
Selon Zachariah Coke, en 1657, les disciplines
principales étaient la théologie, la jurisprudence,
la médecine et la philosophie. Complete
Oxford English Dictionary, deuxième édition,
Oxford University Press, London, 1991,
volume 2, p. 735. Cela reflète l’enseignement
offert dans les facultés d’Oxford à l’époque.
Voir également Chaos of Disciplines sur la
sociologie de la connaissance et sa structure
dans les disciplines.
8. Clark Kerr, The Uses of the University,
Harvard University Press, cinquième édition,
Cambridge, 2001.
9. Abraham Kaplan, The Conduct of Inquiry:
Methodology for Behavioral Science, Chandler
Pub. Co., San Francisco, 1964.
10. Ministère de la Formation et des Collèges et
Universités de l’Ontario, Aperçu de l’éducation
postsecondaire, Imprimeur de la reine pour
l’Ontario, Toronto, 2003.
11. Dans les exemples, je m’en tiens à la
convention selon laquelle un cours d’un semestre
correspond à un crédit. Les exemples sont
tirés de l’annuaire 2002-2003 du premier
cycle du Collège militaire royal.
12. Conseil ontarien des études supérieures,
règlements administratifs et procédures sur
les évaluations, mise à jour en avril 2003.
13. Simon Blackburn, « Epistemology » et
« Philosophy », Dictionary of Philosophy,
Oxford University Press, London, 1996.
14. En fait, le taux de réussite en arts et en sciences
est légèrement supérieur à 50 % après huit ans
d’études. Peggy Berkowitz, Graduate Schools held
to account, University Affairs, mars 2003, p. 31.
15. David Bercuson, Robert Bothwell et
J. L. Granatstein, The Great Brain Robbery:
Canada’s Universities on the Road to Ruin,
McClelland and Stewart, Toronto, 1984.
16. David Bercuson, Robert Bothwell et J. L.
Granatstein, The Crisis in Canada’s Universities:
Petrified Campus, Random House, Toronto, 1997.
17. Jacques Barzun, administrateur d’université
chevronné, décrit comment garantir la qualité du
corps professoral dans The American University:
How It Runs, Where It Is Going, Harper and Row,
New York, 1968, p. 34-42. La situation est
comparable aujourd’hui dans les universités
canadiennes.
18. Groupe des politiques du ministère de la Défense
nationale, « La défense et les programmes
universitaires : Forum sur la sécurité et la
défense », le 23 décembre 2002.

36 Revue militaire canadienne ● Été 2004