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de botanique appliquée
Friedberg Claudine. Les Méthodes d'Enquête en Ethnobotanique. Comment mettre en évidence les taxonomies indigènes ? .
In: Journal d'agriculture tropicale et de botanique appliquée, vol. 15, n°7-8, Juillet-août 1968. pp. 297-324;
doi : https://doi.org/10.3406/jatba.1968.2992
https://www.persee.fr/doc/jatba_0021-7662_1968_num_15_7_2992
Introduction.
(*) A propos de :
I. Some Northern Paiute Native Categories, par C. S. Fowler et J. Leland
(University of Nevada) dans Ethnology, oct. 1967, vol. VI, n° 4, pp. 381-404
avec 1 page de notes et 2 pages 1/2 de bibliographies, 8 figures sous forme de
tableau.
II. Covert Categories and Folk Taxonomies, par Brent Berlin, Dennis
E. Breedlovb (University of California; Berkeley, et Peter H. Raven (Stanford
University) dans American Anthropologist, vol. 70, n° 2, avr. 1968, pp. 290-
299, avec 1 page de notes et 1 de bibliographies et 6 figures,
avec références aux méthodes utilisées par Cl. Friedberg pour étudier les
classifications botaniques bunaq.
JOURNAL D'AGRIC. TROPICALE ET DE BOTANIQUE APPLIQUEE, T. XV, N° 7-8, JUIL.-AOUT 1968
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quête employées sur le terrain par les auteurs sont exposées avec
suffisamment de détails pour que l'on puisse se rendre compte
de ce qui, dans les résultats obtenus, a pu être induit par la façon
même dont l'enquête a été menée. Je profiterai de la discussion
sur les méthodes de travail sur le terrain pour exposer la façon
dont j'ai moi-même procédé pour parvenir aux résultats dont j'ai
rendu compte en partie dans « Analyse de quelques groupements
de végétaux comme introduction à l'étude de la classification
botanique bunaq » (1).
En outre, les résultats exposés sont à la fois suffisamment
comparables et différents pour soulever de nombreux problèmes.
Les auteurs ont en effet mis en évidence les uns et les autres
pour deux groupes différents d'Indiens les Paiute et les Tzeltal,
une classification basée sur des catégories hiérarchisées; mais
les critères sur lesquels sont établies ces catégories ne sont pas
les mêmes pour ces deux groupes d'Indiens : caractères basés
essentiellement sur l'utilisation et l'endroit où on trouve les
plantes et les animaux qui sont traités ensemble, pour les Paiute,
caractères basés, tout au moins pour les exemples qui nous sont
donnés, sur la phytomorphologie pour les Tzeltal, chez lesquels
les plantes sont distinguées des animaux.
(1) Nous avons été obligés dans certains cas, d'adopter la transcription des
noms vernaculaires, quand l'imprimeur n'avait pas les signes diacritiques
nécessaires.
Things in the ground
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Things that fly
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Things in the water
— 302 —
Des textes recueillis chez les Paiute, avec pour sujet des plantes
particulières, ont fourni des informations pour formuler ces
questions ou d'autres plus complexes.
A partir de ces directions d'enquête les auteurs ont commencé
à construire des portions de taxonomies qui ont été des points de
départ pour de nouvelles investigations.
Ils exposent ensuite comment ils ont expérimenté un
questionnaire construit suivant le schéma de Metzer et Williams qui
utilisent comme cadre initial : « que sont toutes choses sur et
au-dessus de la terre. » En se servant de ce questionnaire et en
utilisant les textes et les discussions avec les informateurs, ils
ont pu mettre en évidence la première des catégories majeures,
celle des choses qui sont mangées. Ce sont les textes uniquement
qui ont permis de faire apparaître la deuxième : choses qui sont
utilisées.
Les auteurs donnent ensuite des détails sur les hésitations de
leurs informateurs ou sur la facilité avec laquelle ces derniers
peuvent modifier le schéma donné initialement. Nous ne pouvons
faire état ici de tous ces détails mais certains seront abordés dans
la discussion. Les auteurs signalent que les catégories finales et
initiales sont faciles à mettre en évidence alors que cette
opération est plus difficile pour les niveaux intermédiaires. Notons que
cette constatation a été faite par tous ceux qui se sont intéressés
aux taxonomies indigènes.
Ils expliquent ensuite comment pour trouver ces catégories
intermédiaires ils ont essayé d'utiliser les concepts « genre de » ou
« semblable à » ou « en relation avec », mais ils ont trouvé qu'ils
n'étaient pas appropriés à ce type d'enquête ou sans signification
pour les informateurs. Pour terminer les auteurs avancent
l'hypothèse que la mise en évidence de niveaux intermédiaires pourrait
être mise en rapport avec la situation écologique dans le Great
Basin, région où vivent les Paiute. En effet les ressources sont très
différentes selon les zones et la façon dont les Indiens les utilisent
varie même au sein d'une population parlant la même langue :
« chaque culture définit ce qui est comestible à ses yeux et cette
définition n'épuise pas les potentialités du milieu. Les possibilités
varient avec les saisons et les auteurs supposent qu'il peut y avoir
une relation entre la facilité avec laquelle une forme verbale est
donnée à une taxonomie et une situation donnée. Les relations de
parenté entre diverses plantes paraissent de loin moins
importantes que la capacité de pouvoir reconnaître les spécimens et
les nommer.
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(1) Nous avons laissé la traduction des termes indigènes en anglais ne-
pouvant pas en français traduire grasses et herbs par deux termes différents-
— 305 —
Conclusion.
Lagenaria siceraria
(large gouTd)
C/i Lagenaria siceraria
S. S
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(battle gourd)
* o
Cucurbita ficifolia
u mayil
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Cucurbita pepo
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Lagenaria siceraria
(bottle gourd)
Cucurbita ficifolia
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un
— autre
Figuretenant
n° ne
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compte
tenant
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des
compte
catégories
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que montrant
des
nommées
catégories
la etdifférence
non
nommées
nommées
entre
(à un
gauche)
(à droite)»
tableau
et
— 308 —
Discussion.
Le Niveau linguistique.
1) la clef dichotomique :
En demandant à un informateur de construire une clef
dichotomique l'ethnologue présuppose qu'il existe toujours dans l'esprit
de cet informateur une différenciation de type binaire entre les
plantes; ainsi en forçant l'informateur à rechercher puis à
exprimer verbalement les différences entre deux plantes, il peut faire
croire qu'il y a conscience d'un phénomène là où il y en a peut-
être pas. Il est fort possible qu'un processus de différenciation de
type binaire existe chez les Tzeltal mais rien dans l'article ne nous
permet de le penser; on a plutôt l'impression qu'en demandant
aux informateurs de construire des clefs dichotomiques les
enquêteurs les ont amenés à se livrer à un exercice tout à fait artificiel
ne correspondant à aucun scheme de pensée habituel.
2) La comparaison par paires :
La tournure passive de la phrase indiquant que ce sont des
caractéristiques morphologiques qui ont été utilisées dans les
différenciations à l'intérieur des paires ne nous permet pas de
savoir si ces critères ont été fournis spontanément ou non par les
informateurs. Selon la réponse qu'il faut donner à cette question
le sens de cette partie de l'enquête est tout à fait différent. Dans le
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est arrivé aux résultats que l'on expose. Heureusement depuis que
j'ai écrit cet article, nous avons appris à nous contester nous->
même et je vais donc dès maintenant dévoiler comment j'ai
travaillé.
s'agit alors de savoir pourquoi pour telle plante est-ce tel critère
qui l'emportera sur les autres : morphologie, utilisation, rôle rituel,
mythologique, etc.; il peut aussi se faire qu'il n'y ait pas de
système du tout, ou tout au moins un système fractionnaire.
Pour les Bunaq, je me trouve en face d'une conception du monde
végétal dont certaines parties sont structurées et d'autres pas ou
presque pas. Les catégories peuvent avoir entre elles des rapports
d'inclusions hiérarchiques ou se chevaucher, certaines plantes
pouvant alors appartenir à plusieurs catégories. Pour certaines
plantes, en particulier pour celles qui étant cultivées possèdent de
nombreuses variétés, le système d'identification coïncide avec le
système classificatoire. Quant au système de nomenclature il
semblerait déceler un système classificatoire basé sur la morphologie.
Avec des structures de ce type il semble que s'il y avait évolution
vers une désignation d'un nombre de plus en plus élevé de
catégories, ce ne serait pas, comme le suggèrent les auteurs du
deuxième article dans leur conclusion, à partir de tous les types de
groupements de plantes qui existent dans l'esprit des Bunaq sans
être désignées par un terme spécifique; s'il devait y avoir évolution,
je pense que ce serait plutôt après compétition entre différents
types de critères : certains seulement seraient conservés comme
pertinents et seules les catégories résultant de ces critères seraient
retenues.
Nous ne pouvons pas entrer ici dans le détail des résultats que
je me suis efforcée d'explorer partiellement dans l'article cité ci-
dessus en me donnant pour règle de ne diviser aucun des
groupements qui m'était apparu comme ayant une existence dans l'esprit
des Bunaq. Ce principe de non-division des groupements reconnus
comme tels, m'a empêchée en particulier d'utiliser certaines
différenciations de type dichotomique qui avaient pu au début
apparaître comme primordiales et auxquelles j'ai dû donner une
valeur plus restreinte à l'intérieur de groupements déjà constitués.
Par exemple l'opposition fondamentale, tant sur le plan mythique
que sur celui de l'organisation sociale et du rituel, entre le chaud
et le froid n'a pas de valeur classificatoire primordiale étant donné
qu'une même plante peut varier de « température » au cours de
sa croissance; il existe cependant un petit groupe de plantes
froides et un autre de plantes chaudes. Il existe également une
opposition entre des plantes dites mâles et d'autres dites femelles
mais qui sert uniquement à distinguer deux types de plantes
portant un même nom de base dans un nombre assez limité de
paires. J'aurais pu aussi me servir d'une série d'oppositions qui
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m'avait été fournie par les Bunaq pour construire la clef ci-
dessous; dans cette clef nous ne donnons que quelques exemples
mais qui montrent comment les tubercules y sont dispersés au
lieu de se retrouver tous dans la même classe comme les Bunaq
le pensent.
/s.
\
plantes à tige plantes^^ sans tige
à feuilles à feuilles
a noeuds ^ étroites non étroites
/ i x^ x t
herbacées] ligneuses N ; J
des Grami- les taros
i lianescentes \ courtes et
i sans noeud
herbacées
millet, etc.
herbacées 1 ligneuses
I
lianescentes \
manioc
ignames
(Aleurites molucana Willd.) ils m'ont dit qu'il y avait trois Barut,
et m'ont désigné alors le Ricin, Malaka (Ricinus communis L.) et
Alul (Jatropha curcas L.). De la même façon quand ils me
montraient un haricot appartenant au genre Vigna, Ho guzu — Ho
noir (1) — ils me disaient : « mais il y a aussi celui-ci » en mé
désignant le Dolichos lalab L., Pao uor — Pao légume — ; par la
suite j'ai obtenu une liste de plantes portant le terme de base Ho
et d'autres le terme Pao; c'étaient des plantes qui à mes yeux
étaient toutes des haricots. J'ai demandé alors quelle était la
différence entre Pao et Ho; il m'a été répondu que la gousse des
premiers était plate et celle des seconds cylindrique; ceci
concordait parfaitement avec le fait que dans certains villages le
Phaseolus vulgaris L., d'introduction récente, était appelé Pao Ho,
sa gousse pouvant être considérée comme étant intermédiaire entre
celle des Ho et celle des Pao.
Le principal obstacle qu'il m'a fallu surmonter pour mener
mon enquête a été dû au fait que mes informateurs et moi
utilisions la langue indonésienne pour communiquer. Or dans cette
langue il existe des termes désignant des catégories qui sont
absents dans la langue bunaq. Par exemple il existe en indonésien,
contrairement au bunaq, un terme (katjang) qui désigne les
haricots et un autre (ubi) qui désigne les tubercules. Mais les
inconvénients de l'emploi de la langue indonésienne pour
l'enquête ont été atténués du fait que l'indonésien parlé par les
Bunaq n'est pas exactement celui qui est parlé à Djakarta, dans
la mesure où les Bunaq qui l'apprennent à l'école avec des
instituteurs bunaq l'ont adapté à leurs notions.
Ainsi après que j'eus relevé un certain nombre de catégories
apparues spontanément au cours de l'enquête, sans qu'il y ait
toujours un terme spécifique pour les désigner, mais au moins
toujours une formulation stéréotypée commune à tous les
informateurs et se présentant sous forme de périphrases, nous sommes
tombés d'accord, les Bunaq et moi, pour utiliser le terme
indonésien golongan (catégorie) dans nos discussions; je demandais,
par exemple, à quelle golongan appartenait telle ou telle plante.
Il ne semble pas qu'il y ait d'équivalent bunaq à golongan, mes
informateurs traduisaient ce terme, s'il s'agissait d'un arbre, par
Hotel ginil tita mal c'est-à-dire les arbres dont les noms vont
ensemble.
Ceux qui l'ont utilisé semblent l'avoir fait dans le but d'atteindre
une certaine objectivité mais, même s'il est basé sur les premières
réponses fournies par les informateurs, il ne peut mener qu'à une
objectivité illusoire, dans la mesure même où il ne sera basé que
sur les premiers résutats obtenus.
Et qu'est-ce que l'objectivité en ethnologie? L'informateur lui-
même peut-il être objectif à l'intérieur de sa propre société? Non,,
sa réponse dépend de sa position dans cette société. Vouloir
atteindre à l'objectivité en faisant la moyenne des réponses comme
nous le proposent C. S. Fowler et J. Leland est sans commune
mesure avec le but que se donne l'ethnologue. Ce but n'est pas
d'établir le comportement moyen des individus de la société qu'il
observe mais de mettre en évidence le ou les modèles selon lesquels
on se comporte dans cette société et comment chaque informateur
se situe par rapport à ce ou ces modèles et pour quelle raison.
Quant à l'ethnologue ce n'est pas en se bornant à ne tenir compte
que de ce qui lui paraît cohérent, en éliminant ce qui ne lui paraît
pas « convenable », qu'il fera preuve d'objectivité scientifique. Car
ce qui lui paraît cohérent ne l'est peut-être que dans le cadre d'une
certaine culture : la sienne. Il est frappant de voir à quel point
les auteurs des deux articles ont été poussés par le désir de
retrouver chez leurs informateurs indiens des structures
familières : celles de nos systèmes classificatoires scientifiques; ceci
est surtout sensible dans le deuxième article.
Mais peut-on vraiment s'effacer en tant qu'individu représentant
d'une certaine culture pour n'être sur le terrain qu'une machine
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