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Joane OKOKO ATANGANA (22110132)

(joane.oat@gmail.com)
Ambre MASSE (22107303)
(masse.ambre16@gmail.com)

UFR IHSS
Licence 3 - Psychologie et Humanités

Travail Dirigé de Pulsion n°3

LA PULSION DE MORT COMME UNE


PULSION SEXUELLE ?
À partir de Laplanche, J. (1997). La soi-disant pulsion de mort : une pulsion sexuelle. In
Entre séduction et inspiration, Paris, Puf, 1999, p. 189-218

Date de l’exposé : 29/11/2023


Enseignant : Nicolas EVZONAS
SOMMAIRE

INTRODUCTION 3
RAPPEL HISTORIQUE 5
APPROCHE MÉTAPSYCHOLOGIQUE LAPLANCHIENNE 11
APPROCHE DE PSYCHOLOGIE GÉNÉRALE 15
CRITIQUE ET ÉLARGISSEMENT 19
CONCLUSION 24
BIBLIOGRAPHIE 25
INTRODUCTION
AMBRE MASSE

La pulsion, notion fondamentale de la psychanalyse théorisée dès 1905 par S. Freud,


est un concept qui a souvent été révisé et ré-ajusté dans le développement de sa théorie. C’est
en 1920, dans son ouvrage Au delà du Principe de Plaisir, que S. Freud introduit pour la
première fois la question de la pulsion de mort, concept théorique central dans les théories à
venir concernant la pulsion. Freud, lorsqu’il l’introduit, la considère comme une théorie
purement spéculative à laquelle il ne pouvait, à ce moment de son élaboration, illustrer par la
clinique. Elle pourrait être qualifiée comme le retour à un état inorganique par l’abolition des
tensions1 et est définie par Laplanche et Pontalis comme une catégorie fondamentale des
pulsions qui s’opposent aux pulsions de vie, qui tendent à la réduction complète des tensions.
Ils précisent qu’elles sont d’abord tournées vers l’intérieur mais qu’elles se retournent
secondairement vers l’extérieur, se manifestant ainsi sous la forme de pulsions d’agression ou
de destruction. Tous les agirs qui tendent vers les compulsions de répétitions qui font souffrir
les individus, les tendances à la destructivité, et d’autres encore sont animés par la pulsion de
mort. Les pulsions de vie et pulsions de mort, ou Eros et Thanatos selon le rapprochement
mythologique exprimé à travers la théorie freudienne, sont intriquées, indissociables l’une de
l’autre. Nous sommes tous parcourus à différentes instances de notre vie par ces deux
pulsions.
Freud fait le constat d’une origine biologique dans la pulsion de mort, quelque chose
d’animal et d’instinctif auquel nul ne peut échapper de par sa nature. C’est en ceci
qu’intervient l’ouvrage de J. Laplanche. Philosophe français de profession qui par la suite
s’est intéressé et investi dans la psychanalyse, J. Laplanche est un théoricien des plus notables
de XXe siècle. Bien que connu pour son ouvrage en collaboration avec J-B. Pontalis,
Vocabulaire de la psychanalyse, il a écrit de nombreux ouvrages notables tel que celui sur
lequel nous appuierons ici, Entre Séduction et Inspiration : l’homme, publié en 1999, près de
80 ans après la parution de l’ouvrage de Freud. Il s’agit plus précisément d’une
retranscription écrite d’une conférence que l’auteur a faite en Allemagne en 1995. C’est dans
le chapitre nommé La soi-disant pulsion de mort : une pulsion sexuelle qu’il reprendra les
théories freudiennes sur la pulsion de mort et les corrigera selon ses propres interprétations de
ce concept psychanalytique complexe.

1
Manier C. (2015), Les apports théoriques : La pulsion de mort, Françoise Dolto
D’après notre lecture et notre compréhension de l'œuvre de J. Laplanche, nous
pouvons nous interroger sur la question de comment les lacunes concernant le concept de la
pulsion de mort sont identifiées et mûries à travers la pensée de J. Laplanche et comment
cette nouvelle théorisation permet d’élargir la compréhension de cette notion et favoriser
l’approche clinique ?
Pour répondre à ces interrogations, nous diviserons notre pensée en quatre
axes distincts, en nous calquant sur la manière dont l’auteur lui-même fait part de son
raisonnement. Nous commencerons donc par esquisser une approche historique de ce concept
de pulsion de mort et comment il s’est élaboré dans la pensée freudienne. Nous
comprendrons par la suite la forme métapsychologique que prennent ces deux pulsions de vie
et de mort. Dans un troisième temps, nous expliquerons, à partir des corrections faites par J.
Laplanche, comment peuvent être expliqués l’amour et la haine dans une démarche de
psychologie générale. Dans un quatrième et dernier temps, nous essayerons enfin d’identifier
les limites de ces remarques effectuées par l’auteur mais aussi ce qu’elles ont apporté dans la
théorie et dans la clinique.
RAPPEL HISTORIQUE
JOANE OKOKO

Laplanche commence sa conférence par ce qu’il appelle un rappel historique mais qui
est en réalité une critique du raisonnement pris par Freud pour conclure à la pulsion de mort.
Pour lui, le dualisme pulsion de vie et pulsion de mort n’est pas intéressant scientifiquement
parlant en partant du fait qu’elle prend place uniquement dans la pensée du sujet dans son
aspect sexuelle et fantasmatique.

Faisons un rappel freudien avant tout. La pulsion tout d’abord est un processus
dynamique qui consiste en une poussée, à une charge énergétique, à une force qui fait tendre
l’organisme vers un but. Comme le dit Serge Leclaire dans L’Inconscient. Une étude
psychanalytique coécrite avec Laplanche, le pulsion pour Freud est au départ “ni consciente
ni inconsciente mais organique”.2
De ces pulsions sortent deux types de dualisme : la pulsion du moi/ autoconservation et le
moi sexuel/pulsion sexuel. C’est en 1921 que le deuxième dualisme apparaît : Eros et
Thanatos donc pulsion de vie et pulsion de mort.

Le terme Thanatos n’a jamais vraiment été employé par Freud. En effet, c’est Paul
Federn, médecin et psychanalyste autrichien qui a introduit ce terme, déduit des dires de
Freud dans Au-delà du principe de plaisir. En réalité, ce terme est là pour amplifier le
dualisme entre “Éros et la destruction”. On parle même de couple “oxymore”, d’une
contradiction qui rappellerait la vie : naître et mourir, créer et détruire.
Thanatos dieu grec, est la personnification de la mort. Il est d’ailleurs appelé chez les Romain
mors. Il est le fils de la nuit Nyx et des ténèbres Erèbe. Contrairement aux autres dieux
grecques tels que Hadès ou encore Arès, Thanatos n’est pas le personnage principal de
certains mythes. “ Redouté, son nom est tu par superstition, et il est représenté dans un corps
amaigri, squelettique et souvent recouvert d’un voile, tenant une faux et une urne contenant
des cendres. Ennemi des humains, au cœur d’airain, il considère les hommes comme faibles
et sans intérêt.” 3

2
Ribas, D. (2015). Jean Laplanche et la pulsion de mort. Annuel de l'APF, 2015, 199-216.
3
Decroix, G. (2023, 16 avril). Eros et Thanatos & # 8211 ; Quelques repères mythologiques à
l&rsquo ; usage de la psychanalyse. Institut Français de Psychanalyse, paragraphe 19
D’après le dictionnaire Vocabulaire de la Psychanalyse de Laplanche et et Pontalis, la
pulsion de mort est une “ Catégorie fondamentale de pulsions qui s’opposent aux pulsions de
vie et qui tendent à la réduction complète des tensions, c’est-à-dire à ramener l’être vivant à
l’état anorganique. Tournées d’abord vers l’intérieur et tendant à l'autodestruction, les
pulsions de mort seraient secondairement dirigées vers l’extérieur, se manifestant alors sous
la forme de la pulsion d’agression ou de destruction ” 4

On remarque alors ses composantes: la pulsion de mort en elle-même est dirigée vers
l’intérieur et les pulsions d’agressions et pulsions de destruction sont celles poussées vers
l’extérieur. On verra plus tard en quoi cette différenciation et les termes utilisés sont
importants. Même dans son dictionnaire, LaPlanche émet des suppositions en utilisant le
conditionnel, il fait déjà part de ses doutes face au dires de Freud et notamment sur cette
notion de pulsion de mort.

Pour revenir au texte, Laplanche entend alors deux types de fonctionnement de la vie
fantasmatique au sein de la sexualité elle-même : le principe de liaison qui représentent les
pulsions dites “sexuelles” de vie et le principe de déliaison qui représentent les pulsions
“sexuelles” de mort.

Pour lui, relier pulsion de vie et pulsion de mort voire même les opposer n’a pas de
sens. L'œuvre de Laplanche est soutenue par la réflexion des deux termes instinct et pulsion.
En effet, étymologiquement parlant instinct et pulsion viennent de l’allemand trieben qui
signifie obscure. Aujourd’hui, ces deux mots sont traduits par trieb qui signifie dans un
premier temps “pousse” mais aussi instinct et pulsion.5
De par les avis contradictoires face à cette théorie, les traducteurs décident d’utiliser les
termes “instinct de vie” et “instinct de mort” au lieu du terme de pulsions.
Mais si l’on reste sur une vraie psychanalyse, et donc sur les théories freudiennes, le terme
instinct désigne une incitation à un comportement fixé chez le sujet qui vise à un but
intrinsèquement une fin.

4
Laplanche, J., Pontalis, J., & Lagache, D. (2007). Vocabulaire de la psychanalyse. Presses
Universitaires de France - PUF. (p.371)
5
Larousse, É. (s. d.). Traduction : Trieb - dictionnaire allemand-français Larousse.
Finalement si le terme instinct est mal interprété, toute la théorie freudienne des pulsions est
biaisée. Freud lui-même, diffère totalement l'instinct de la pulsion. Il utilise même le terme
Instinkt qui se réfère à l’instinct animal à proprement parler. (p.203, Pontalis)
La traduction exacte du mot Trieb, avec ses deux termes différents, nous montre qu’il y a un
trieb animal et un autre humain. De ce fait, l’instinct de survie comme on l'entend dans un
contexte animalier n’existe pas chez l’homme comme le stipule Freud. On parlera plus d' un
schéma phylogénétique héréditaire, donc de pulsions.

La conception des mots et leur philosophie est bien évidemment très importante pour
LaPlanche. Donc à la vue de ce souci de traduction, Laplanche, tout comme Freud, se base
sur le mythe d’Aristophane, poète grec, pour parler d’instinct préformé. Le mythe
d’Aristophane conte la nature de l’Homme, bien différente de la nôtre. Ils étaient constitués
de 2 têtes, 4 bras, 4 jambes ainsi que 4 parties génitales. On parle alors d’une sphère scindée
en 3 type de corps : femme-femme, homme-homme et enfin les êtres androgynes. Un jour
Zeus décide les séparer en deux, ce qui pousse les Hommes à rejoindre leur autre moitié. “
S’empoignant à bras le corps, elles s'enlaçaient l’une à l’autre, dans la passion de n’en faire
qu’un”. Laplanche en conclut que pulsion et instinct ne peuvent pas réellement s’opposer.

Si l’on retourne à une analyse freudienne, l'abandon de sa théorie de la séduction fait


que les pulsions sexuelles ne surgissent plus dans la relation à l’objet, elles sont donc à
préformées : tout comme l’instinct. La Planche parle alors de “déterminisme biologique”
avec deux aspects endogène : endogénéité biologique, donc quelque chose constitué à
l’intérieur par une cause est interne de manière biologique ou une endogénéité
phylogénético-historique ou mythologique donc des liens entre les espèces apparentés
historiquement et mythologiquement parlant. Ce qui renvoie finalement à la pensée de départ
de Laplanche sur l’inintérêt de comparer Eros et Thanatos sur le plan scientifique.

Pour revenir à la pulsion de mort, Au-delà du principe de plaisir parut en 1920 en est
la présentation, à travers la découverte de l’agressivité de part l’auto-destruction originelle.
L’agressivité est une tendance qui vise à détruire, ou encore nuire à autrui. On peut y voir une
union et une désunion avec la sexualité. Ce principe serait la signature de la pulsion de mort,
qu'elle soit interne ou externe.
Freud après cette découverte va donc lier pulsion de mort avec le sadisme et le
sadomasochisme. Il dit dans Au-delà du principe de plaisir : “ Une partie de la pulsion de
mort est mise directement au service de la pulsion sexuelle où son rôle est important. C’est là
le sadisme proprement dit. Une autre partie n’accompagne pas ce détournement vers
l’extérieur, elle reste dans l’organisme où elle est liée libidinalement à l’aide de l'excitation
sexuelle dont elle s’accompagne… nous reconnaissons là le masochisme originaire.”
Le sadisme, au caractère actif et le masochisme, au caractère passif, sont deux
perversions corrélées dans la psychanalyse. L’un n’existe pas sans l’autre, on ne peut jouir du
sadisme sans jouir d’un masochisme. En plus de leurs mises en fonction, sadisme et
masochisme fonctionnent de la même manière que pulsion de mort et pulsion d’agression.

Idée avec laquelle les Kleiniens sont en désaccord. En effet, pour eux, la pulsion
d’agressivité, notamment celle qui se tourne vers l’extérieur, n’existe pas en tant que tel :
dans Notes on the theory of the life and death instance de Paula Heimann, psychiatre et
psychanalyste allemande, on affirme que la pulsion de mort est soutenue par une agressivité
presque naturelle : “chimiquement pure”.
L’agressivité que Freud considère comme sexuelle est pour les kleiniens un faux prétexte. On
peut lire alors dans la retranscription de la conférence de La Planche “ une agressivité
sauvage, pure,non sexuelle, ce serait là ce que la pulsion de mort vient marquer de son sceau,
en prétendant s’imposer comme un concept majeur de nature biologique”.

Pour La Planche rendre la pulsion de mort à la fois pulsion d’agression, pulsion de


destruction et en plus les lié à l'existence du sadisme et maso n’est pas véritable puisque
sadisme et sadomasochisme existent déjà en dehors de cette pulsion.
On note aussi un lien relativement intéressant aussi au principe du Nirvana, légèrement
différent du principe de constance, que l’on découvrira important un peu plus bas. Ce
principe nous vient de Barbara Low, qui s’est elle-même inspirée de Schopenhauer et
représente le fait de ramener à zéro ou à réduire le plus possible toute excitation interne ou
externe. 6

Le raisonnement sur cette soi-disant pulsion de mort est basé sur l’interprétation
diachronique et épistémologique de l’ouvrage Au-delà du principe de plaisir de Freud,

6
Principe de Nirvana. (s. d.). Dictionnaires et Encyclopédies sur « Academic » .
mentionné auparavant. Pour justifier sa prise de position face à la pulsion de mort, Laplanche
met en lumière les failles de l'œuvre freudienne.
Il évoque dans un premier temps l’aspect contradictoire de cet ouvrage. Laplanche n’a
pas choisi au hasard de prendre la position d'Aristophane sur l'instinct. Freud dans Trois
essais sur la théorie de la sexualité et dans Au-delà du principe de plaisir a utilisé justement
le mythe d’Aristophane, pour deux choses au départ diamétralement opposées : le Eros et
l’auto-érotisme.
Pour le Eros, ce serait la raison de l’instinct performé c'est-à-dire l’instinct de chercher “son
corps-frère”, quelque part aimer l’objet comme on s’aime nous même en tant qu’objet. Pour
l’auto-érotisme, l’aspect morcelée fait que l’on considère l'autre que pour son propre plaisir.

Mais tout d’abord de quoi s’agit vraiment Au-delà du principe de plaisir, l'œuvre de
Freud qui est le cœur de cette conférence ?
Dans un premier temps, que signifie aller Au-delà du principe de plaisir et qu’est ce
que le principe de plaisir ? Le principe de plaisir, vient tout d’abord du principe de constance
qui permet de garder de manière constante ou le plus bas possible la quantité d’excitation
chez le sujet, le plaisir se prend dans la réduction des excitations lorsque le déplaisir est
provoqué par une augmentation des excitations. C’est d’ailleurs grâce au principe de réalité
que le principe de plaisir est régulé, faisant passer la recherche de satisfaction par les voies
longues et non plus les voies courtes.7
Donc aller Au-delà du principe de plaisir, serait, comme le dit la définition de la
pulsion de mort plus haut “une réduction complète des tensions [...]à l’état anorganique”. Ce
qui représenterait le plaisir ultime. Finalement, la pulsion de mort n’existe pas sans la théorie
stipulant le non-vivant avant le vivant.

Voici désormais ce que relève Laplanche : Freud, dans son œuvre, parle de contrainte
de répétition dans la compulsion de répétition. Cette compulsion est le fait de se placer dans
des situations inconfortables ou pénibles de manière inconsciente. Répétant ainsi des
impressions anciennes sans se souvenir du prototype. Parce que ce qui est déplaisant à un
système est plaisir à l’autre. Elle émane de l’inconscient. Donc on peut imaginer que du mot
contrainte, Freud cherche à expliquer une sorte de souffrance face à ces répétitions. Mais
pour Laplanche, “cette contrainte [...] n’est aucunement l’apanage de la pulsion de mort”,

7
Laplanche, J., Pontalis, J., & Lagache, D. (2007). Vocabulaire de la psychanalyse. Presses
Universitaires de France - PUF. (p.336)
c’est à dire partie exclusive. De plus, l’agressivité qui serait le mécanisme prévalent de la
pulsion de mort n’est pas retrouvé la compulsion de répétition.

Cette compulsion de répétition fait appel à beaucoup de ressources pour prouver sa


viabilité. Les recherches biologiques et méta-biologiques cherchent à prouver qu’elle est
naturelle chez l’homme. En effet, Freud est un grand fervent de la théorie postulant le
non-vivant avant le vivant. Face à cette théorie, il est vrai que la pulsion de mort, qui “tend
vers la mort” est naturelle voir même organique.
Mais la biologie montre que le vivant est fait pour qu’il ne cherche qu'à vivre alors Freud
pour justifier sa pulsion de mort se base sur les forces latentes : la pulsion de mort serait donc
repoussée par la pulsion de vie (peut-être à cause de l’aspect social). Ce qui renforce l’idée de
contradiction que Laplanche porte sur l'œuvre freudienne.

Qu’est ce qu’introduit vraiment cet ouvrage ? Freud utilise bien le terme au-delà de,
quelque part métapsychologie du principe de plaisir. Pose alors la question ne serait-elle pas
des instincts ? Puisque si il y a compulsion de répétition, c’est donc quelque part des
comportements prédéterminés. Donc des instincts.
APPROCHE MÉTAPSYCHOLOGIQUE LAPLANCHIENNE
JOANE OKOKO

Si l’on revient légèrement en arrière dans cet exposé, on se souvient de l’étymologie


du mot pulsion/instinct qui, en fonction de l’interprétation et de la traduction, est bien
différent. C’est sur quoi se pose Laplanche pour étayer ses propos sur l’approche
métapsychologique de la pulsion de mort qu’il considère inappropriée.
Pour rappel, la métapsychologie est l’explication la plus théorique de la psychanalyse. Dans
ses lettres adressées à Fliess, le terme est une analogie entre métapsychologie et
métaphysique : “la métapsychologie est à l’observation des faits psychologiques ce que la
métaphysique est à l’observation des faits du monde physique. C’est ce qui dépasse la
conscience à l’inverse de la psychologie classique.”

Pour Laplanche, la traduction a une grande importance et c’est, d’après lui, ce qu’il
manquait à Freud dans sa théorie de la séduction. Il entend la traduction tel que le passage
d’une langue à une autre, comme on a pu le voir auparavant ou d’un signe à un autre . A
savoir que les processus de traduction ne sont donc pas les mêmes.
Pour étayer son propos, il donne alors l’exemple d’une phrase en allemand traduite en
français. Il montre que lors du travail de traduction, nous laissons tomber certains sens des
mots qui sont importants dans certaines langues. Quelque part, la traduction n’est jamais
exacte.

Mais il convient tout d’abord de rappeler les différentes notions freudiennes que l’on
retrouve dans cette partie : le Moi est le médiateur des topiques freudiennes, il est aussi la
défense, le Ca représente le pôle pulsionnel de la psyché. Il entre souvent en conflit avec le
Moi. Et c’est ce conflit qui l’intéresse.
Si l’on revient encore une fois sur la partie historique, Laplanche mentionne deux
principes de la vie fantasmatique : liaison/déliaison. Il dit même en introduction à son
élocution que quelque part, le Moi et le Ca correspondent à ces deux principes : le Moi étant
la liaison (Moi + de lié - de délié) et le Ca la déliaison (Ca + de délié - de lié).
Mais alors, en suivant ce raisonnement : si le Ca est la déliaison, l’inconscient, alors le Ca est
quelque part la représentation de la pulsion de mort dans les instances freudiennes. Mais
Laplanche remarque que certaines caractéristiques du Ca tel que “absence de contradiction,
de coordination des motions ainsi que de négation et de représentation négative” ne
correspondent pas à ce lien.
La liaison est l’opération qui tend à limiter le libre écoulement des excitations, à relier
les représentations entre elles, constituer et à maintenir des formes relativement stables.8
Liaison et déliaison tiennent d’ailleurs leur origine dans le refoulement qui crée lui-même
l’inconscient.
Laplanche dit dans La pulsion de mort dans la théorie de la pulsion sexuelle avec
André Green : “ c’est par l’action du refoulement originaire que se constitue l’inconscient
originaire. L’inconscient, une fois constitué par le refoulement, est bien un ça, il devient bien
une nature, une seconde nature qui “nous agit”. » 9

Dans cette critique métapsychologique, l’inconscient et son processus de traduction


sont très importants. Laplanche retourne à la sexualité infantile et donc à l’instinct perdu pour
nous expliquer le rôle des messages et de leurs traductions. Finalement c’est “la tentative de
traduction et temporalisation que le petit homme doit sans cesse mettre en œuvre face aux
messages qui lui arrivent de l’autre adulte.” qui justifie les caractéristiques du Ca.

La relation de l’enfant à l’adulte face aux différentes manières de communiquer ainsi


que les différentes manières de réception de ces messages est ce qui est prévalent dans la
traduction. “Les premières tentatives de “traitement” se font pour répondre aux messages
énigmatiques (compromis par le sexuel) venant de l’autre adulte.”10 L’adulte communique
avec l’enfant de manière non verbale à travers les soins avec de la tendresse, le premier mode
de la relation amoureuse de l’enfant ou des gestes. Alors que se passe-t-il lorsque l’enfant
reçoit un message ?
Avec les codes dont il dispose, l’enfant va interpréter le message, le voir ou encore le
ressentir, et le faire passer de l’inconscient (du Ça) à une “mise en Moi” donc au conscient.
Dans la traduction de l’adulte face à l’enfant, les messages ne s’arrêtent pas à la tendresse
donnée. Il y a plusieurs autres types de messages tels que les fantaisies sexuelles que l’enfant
tente de traduire avec les codes dont il dispose.

8
Laplanche, J., Pontalis, J., & Lagache, D. (2007). Vocabulaire de la psychanalyse. Presses
Universitaires de France - PUF. (p.221)
9
« La pulsion de mort dans la théorie de la pulsion sexuelle », dans A. Green, p.
Ikonen, J. Laplanche et coll., La Pulsion de mort, Paris, Puf, 1986, p. 16.
10
Ribas, D. (2015). Jean Laplanche et la pulsion de mort. Annuel de l'APF, 2015, 199-216.
Pour Laplanche, les messages qui ne sont pas traités sont des “restes isolés, déformés,
des réminiscences” et ne portent pas de second message comme pourrait le montrer la théorie
psychanalytique.
Donc la conscience est le Moi qui a théorisé et temporalisé tous les codes donnés par l’adulte.
Si le refoulement crée l’inconscient, le refoulement est un échec de traduction aux yeux de
Laplanche. En effet, fonctionnant de façon individuel, le refoulement ne permet une
traduction, une mise en sens du message codé. Finalement, le refoulement est un rejet de
théorisation et de temporalisation. Laplanche parle même de “transformation étrange” dans
lequel apparaît un “signifiant-désignifié”, terme qu’il utilise pour expliquer le rejet de la
théorisation et l'arrivée de message “neutre” dans l'inconscient.
donc un rejet du Ca ou encore de l’inconscient à l’égard de l’extérieur, mais aussi à l’égard
de l’intérieur. Ce qui expliquerait la provenance d’une déliaison.

Donc la pulsion de mort, tout comme la pulsion de vie, est représentée par ces liaisons
ainsi que ces déliaisons présentent dans le processus du refoulement et donc de l’inconscient.
Ces réminiscences restées dans l’inconscient sont relatives au sadomasochisme puisqu’elles
restent sans avoir de sens particuliers. Si l’on regarde ce qu'en disent les kleiniens, les
pulsions partielles fonctionnent tout d’abord de manière indépendante pour ensuite s’unir
dans les différentes organisations libidinales vont de paires avec la destruction. Et donc la
pulsion de mort. Ici le Ca est l’acteur principal.
En partant du fait que liaison et déliaison sont à caractères sexuels tout comme la
perversion ou encore l'autoérotisme, il n’y a rien de métapsychologique dans cette opposition.
Pour conclure, La Planche nous dit : “En premier lieu, pour le nourrisson, il s’agissait de
maîtriser par la traduction les messages séducteurs énigmatiques de l’adulte, sans autoriser
une trop grande déliaison de stimulus. Par la suite, le combat pour la liaison doit se
poursuivre contre l’altérité interne, c'est-à-dire contre l’inconscient et ses rejetons. “

En dernier ressort, auto-érotisme et Eros s’opposent sans aucun doute. Mais cela les
renvoie au narcissisme donc à l’auto-érotisme mais aussi à l’auto-conservation, donc au
premier dualisme freudien. Quelque part, tout est fait par amour.
Il donne l’exemple : “Je ne mange plus, dit le petit être humain, en vue de survivre,
mais pour l’amour de l’amour - en raison de l’amour pour la mère, mais aussi en raison de
l’amour pour le Moi, qui est lui-même objet d’amour pour la mère”. Quelque part, le Eros est
un tout, il est à la fois auto-érotisme et objectal. La pulsion n’est plus primaire, ici elle est
contrôlée. Alors, pour pallier ça, né la pulsion de mort qui serait donc un “pôle indompté de
la sexualité”.
APPROCHE DE PSYCHOLOGIE GÉNÉRALE
AMBRE MASSE

Dans cette partie du texte, J. Laplanche s’écarte de ce qu’il postule et analyse dans les
deux parties précédentes dans l’optique d’amener une approche plus concrète, que l’on peut
“rencontrer couramment” dans la clinique, à savoir les thématiques de l’amour et de la haine.
Il reprend ainsi et critique Freud dans sa conception qu’il dit lui-même “matérielle” de
l’amour et de la haine. Laplanche entend chez Freud un amour dépendant du Moi, car seul le
moi peut ressentir des émotions, la pulsion n’en est pas capable. Pour Freud, l’amour est
narcissique, auto-érotique dans le sens du plaisir d’organe. Le Moi n’a pas besoin du monde
extérieur au sens où il est en mesure de satisfaire lui-même ses pulsions qui lui sont toujours
internes. Cependant, étant confronté en permanence au monde extérieur, il est emprunt de
celui-ci et peut provoquer des ressentis pulsionnels internes de plaisir mais aussi de déplaisir.
Ainsi, lorsque l’on aime le Moi de l’autre, que le ressenti est plaisant, alors il s’agirait d’une
incorporation de l’objet en soi. Freud considère alors que l’amour, bien qu’il dépende du Moi,
est étroitement lié à la pulsion dans le sens où cet incorporation de l’objet vient se rapporter
ultérieurement dans la relation à la satisfaction des pulsions sexuelles.

Laplanche trouve trop simple cette polarité amour-haine, se rapportant chez Freud et
chez ses contemporains à une opposition entre plaisir et déplaisir. De plus, selon lui, l’objet
est omniprésent dans le psychisme du sujet, celui-ci est pris dans l’objet et dans
l’environnement. L’amour en ce sens ne peut pas être entendu comme narcissique et
auto-érotique, pris dans l’intrapsychique et non dans l’intersubjectif. En effet, l’homme est,
dès le plus jeune âge et avant même sa naissance, enveloppé dans un bain de paroles qui le
concerne, ce que P. Aulagnier nomme ainsi l’ombre parlée. Le sujet est donc influencé dans
son développement par les signifiants, pictogrammes selon le vocabulaire de l’auteure, et se
construit à partir de la parole et des représentations que tous les adultes de son entourage ont
de ce qu’il est, de ce qu’il pourrait être et pourrait devenir. La sexualité infantile est
imprégnée en ce sens de la sexualité adulte. Il considère qu’une approche “génétique” et
“métapsychologique” selon ses propres dires est le moyen optimal de parvenir à se calquer au
réel de la clinique concernant ces thématiques. Ainsi cette polarité est, pour lui, inexplicable
par l’opposition que Freud propose pour distinguer amour et haine se trouve résider au niveau
du sexuel inconscient, aussi pouvant être superposable, pouvant s’entrelacer, ce qui peut
régulièrement s’observer dans le quotidien et dans la clinique. Ces deux notions se rapportent
à la vie fantasmatique propre à l’être humain et ne s’observe donc pas dans la nature animale.
C’est ainsi que Laplanche pense sa théorie : Pour lui, il n’y a pas de polarité telles que la
pulsion de vie et la pulsion de mort. Il porte une attention particulière à la sexualité infantile
et au primat du sexuel dans la théorie pulsionnelle. Ainsi, pour lui, pas de concept tel que
pulsion de mort ne s’entend cliniquement, uniquement des pulsions sexuelles, que l’on
pourrait qualifier comme “pulsion sexuelle de mort” et “pulsion sexuelle de vie” si l’on
reprend un vocabulaire freudien. Il distingue en ce sens dans la pulsion sexuelle la sexualité
qu’il qualifie de non-liée, à savoir la sexualité dans laquelle s’opère une déliaison de la
pulsion au sens propre du terme, et la sexualité liée, soit qui se rapporte au narcissisme et à
l’objet, à la liaison de la pulsion à l’objet. En ce sens, le conflit psychique serait sans cesse
pris dans des forces énergétiques vacillant entre liaison et déliaison.

Laplanche introduit dans son œuvre un troisième temps de la sexualité avec lequel il
ne semble pas complètement adhérer, le niveau de l’auto-conservation, qui serait donc
antérieur aux sexualités liées et non liées dans le développement psychosexuel et qui se
rapportait aux courants tendres et agressifs que J. Laplanche qualifie de “naturels”, au sens de
inné. Laplanche propose, par une analogie avec l’animal, de déconstruire ce troisième niveau.
Pour illustrer le fait que le niveau naturel, instinctuel, tel qu’on l’entend au sens
animal et primaire, ne correspond selon lui pas à la “haine” tel que l’on peut l’entendre chez
l’humain, au sadisme et à la cruauté qui semblent être, pour J. Laplanche, inhérents et
spécifiques à la condition humaine. Pour illustrer cette critique, il s’appuie sur l’adage
“l’homme est un loup pour l’homme”, en latin “Homo homini lupus” que Freud reprend du
célèbre philosophe T. Hobbes pour expliciter la cruauté humaine dans son ouvrage Malaise
dans la civilisation datant de 1930. Cette idée que Freud se faisait déjà de la cruauté s’avère
très représentative de ce que l’on peut entendre de la souffrance de l’individu dans son
quotidien et concernant ses sources de difficulté.
Laplanche, pour démontrer que l’agressivité telle que la décrit Freud n’a rien d’inné,
d’instinctif, la compare avec la nature de la chasse du loup. Un loup, en effet, n’éprouve pas
de plaisir dans la chasse, dans le meurtre ; il ne tue que pour sa survie et évalue les risques. Si
l’animal est plus fort, il ne le voit pas comme un défi, ne se joue pas de stratagème, il fuit. Si
l’animal est plus faible, il ne va pas chercher à l’effrayer, à le torturer, à patienter avant de lui
infliger le coup fatal, il le tue pour satisfaire sa pulsion d’autoconservation, sa faim. Il n’y a
pas de cruauté au sein humain du terme, de sadisme, de plaisir à voir, infliger ou à subir la
destruction. Laplanche nomme alors “Lupus” cette figure cruelle et sadique, et conclut en
disant que le loup ne se comporte pas en “Lupus” envers les autres loups. Ce “Lupus” ne se
trouve pas dans la nature ; il est caractéristique de l’être humain.
Cet exemple très parlant permet donc, pour J. Laplanche, d’appuyer sa théorie qui
vise à exclure du champ biologique la pulsion de mort, que lui-même qualifie de pulsion
sexuelle de mort ou de sexualité non liée, impliquant donc le caractère purement construit
humainement. Cette distinction semble importante à rappeler pour bien montrer que la
cruauté humaine n’est pas due à la “nature animale de l’homme”. Les exemples que
Laplanche cite dans le texte, à savoir les génocides tels que ceux de l’apartheid ou de la
Seconde Guerre Mondiale mais aussi les crimes de guerre tel que les bombes sur Hiroshima
et Nagasaki, ou encore plus récemment l’exploitation de Ouïgours, ne peuvent et ne doivent
pas être rapporté à un animal biologique qui sommeillerait en nous et qui dicterait ces actes.
Les actes relevant, en ce sens, de la pulsion sexuelle de mort, qu’ils soient aussi extrêmes ou
plus modérés, sont humains et ne sont pas attribuables à d’autres niveaux.
Cette dualité opposant homme et animal, bien qu’intéressante d’un point de vue
éducatif, soulève toutefois la question d’un anthropocentrisme dans la conception de
Laplanche concernant la pulsion de mort, et ignore toute la question de tels maniements
psychiques chez certains animaux.

J. Laplanche conclut ce chapitre par une analyse qu’il nomme trifactorielle, à savoir à
trois niveaux, concernant les comportements agressifs, qui, rappelons-le, se rapportent à la
sexualité non liée (pulsion de mort), thématique centrale de ce chapitre.

Il décrit alors le premier niveau, celui de l’affirmation de soi, à savoir les agissements
qui se calquent sur l’intérêt propre du sujet. Ici, Laplanche nous éclaire sur le fait que ces
comportements ne sont pas à visée sadique et dans la conscience et la recherche de la
souffrance, au sens où le fantasme n’aurait pas de part centrale à ce niveau. Il s’agit
d’individus qui expriment leur pensée “sans filtre”, sans volonté sous-jacente de violence, qui
simplement se comportent d’une manière directe qui peut ressortir agressive mais dont cela
n’est pas le but initial. Nous pouvons émettre l’hypothèse chez les individus que Laplanche
décrit à ce niveau d’une certaine naïveté face au ressenti émotionnel d’autrui. Laplanche met
toutefois en garde face à cette naïveté, rappelant que ce niveau, rappelant et pouvant se
rapporter à l’autoconservation, n’est pas dépourvu de sexualité, car chez l’humain, comme
nous l’avons compris et explicité précédemment, nul acte n’est commis de manière
totalement “instinctive”, dépourvue de motivation sexuelle.
Le second niveau qu’introduit Laplanche est celui où se déploie “la pulsion sexuelle
de mort” telle qu’il la définit. Ce niveau est caractérisé, à l’instar de ce que l’on sait sur la
sexualité non-liée, de la visée volontaire à infliger ou à subir de la douleur, tel que dans
l’exemple freudien mettant en relation dans le renversement en son contraire les versants du
sadisme et du masochisme. Ici, Laplanche nous dit qu’il y a une prise en considération du
ressenti de l’autre, de sa subjectivité à partir de l’interprétation du message énigmatique qu’il
nous envoie.
Le troisième niveau décrit par l’auteur est celui des relations narcissiques spéculaires,
que l’on peut comprendre en psychanalyse comme une relation entre deux individus qui se
reflètent mutuellement et que Lacan désigne comme la rivalité identitaire. Selon ce dernier,
un ressenti d’agressivité serait ressenti face à un individu qui serait un reflet de soi-même. Il
s’agirait en ce sens d’une déliaison entre la pulsion et l’objet par un mécanisme
d’identification projective.

Laplanche conclut cet extrait en affirmant que ces mêmes distinctions sont nécessaires
au niveau de la passion et de l’amour. En effet, et comme le renvoie sa théorie de manière
globale, les niveaux de la tendresse ou de l’attachement sont là encore à préciser car plus
relatif au corpus animal qu’à celui humain, envahi par la sexualité selon ses propres propos.
Nous comprenons ainsi dans cette troisième partie que, pour J. Laplanche, la pulsion
de mort n’a rien de biologique, d’inné chez l’homme. Selon lui, il s’agit d’une pulsion
sexuelle, construite dans un contexte social purement et définitivement humain, et tout ce que
l’on peut entendre de ses caractéristiques de retour à un état inanimé, “naturel”, ne serait donc
pas correct du point de vue de l’interprétation et de la compréhension théorique de cette
“soi-disant” pulsion de mort.
CRITIQUE ET ÉLARGISSEMENT
AMBRE MASSE

Dans ce dernier chapitre, Laplanche nous propose selon ses dires une approche que
l’on peut observer cliniquement, de psychologie “générale”. Dans les faits et à mon sens,
cette troisième partie concernant la pulsion de mort demeure très théorique, bien que l’on
puisse imaginer comment certains aspects décrits se manifestent dans la clinique, et ne nous
permettent pas de la comprendre dans un cas concret. Nous avons donc pris la décision
d’élargir ce sujet en prenant des exemples cliniques concrets de manifestation de la pulsion
de mort, et en élaborant quelques étayages de la théorie psychanalytique concernant ce vaste
sujet controversé dans les sociétés.

Abraham, dans son ouvrage Préliminaires à l’investigation et au traitement


psychanalytique de la folie maniacodépressive et des états voisins, exprime des
manifestations de la pulsions de mort dans les phases dépressives de la psychose
maniaco-dépressive. En effet, le refoulement des pulsions sadiques chez ces sujets implique
de fortes phases dépressives, qui pourraient être rapportées selon l’auteur à une “mort
symbolique”. Dans les phases dépressives de la PMD, aussi connue de nos jours sous le nom
de troubles bipolaires, en effet, nous ne sommes pas sans savoir que le ressenti de tristesse et
de culpabilité est presque omniprésent, couplé à des idées très restreintes voire à un
monoïdéisme. On voit donc dans cette conceptualisation les prémices et, si on associe les
théories, le rapport direct à la théorie de la destructivité, la pulsion de mort ainsi que la
compulsion de répétition à travers le monoïdéisme. Ce rapport à la dépréciation, le retour à la
mort, notamment caractérisé par l’omniprésence d’une idéation suicidaire, est de nos jours
encore l’un des déterminants pour pouvoir qualifier ou non la dépression.
Toutefois la pulsion de mort n’a pas chez tous les auteurs pour unique rôle d’être
destructrice. L’extrait de texte de F. Marty intitulé Place du corps à l’adolescence quand le
fantasme prend corps nous instruit sur cette question à partir de l’exemple de l’anorexie. On
déduit de ce texte que les défenses mortifères, à savoir dans l’anorexie le fait de ne pas
s’alimenter, ne sont pas à seule et unique visée destructrice, donc animée par la pulsion de
mort. On peut considérer qu’à travers ces défenses, l’objectif maintenir une différenciation
entre le corps propre et le corps maternel, les liens incestueux étant au centre des
problématiques autour de l’anorexie. Pour ainsi dire, les conduites autodestructrices et
masochistes peuvent prendre le rôle de défense d’un territoire subjectif et imaginaire. En ce
sens, refuser l’alimentation serait équivoque au fait de refuser tout élément hors ceux
provenant de la mère pour conserver les liens incestueux mais à la fois serait un moyen de
défense contre le fantasme incestueux maternel qui est menaçant chez ces problématiques
anorexiques. Ainsi, les modalités paradoxales que l’on retrouve dans ces troubles sont à la
fois prises entre la pulsion de mort et les mécanismes de défense, la pulsion de mort pouvant
prendre le rôle de défense dans des cas comme particuliers tel que l’anorexie.

Ces deux formes cliniques permettant d’illustrer les manifestations de la pulsion de


mort et d’élargir les conceptions autour de cette théorie très discutée de la psychanalyse, il est
possible de questionner les positionnements pris par J. Laplanche déniant l'existence d’une
pulsion de mort. En effet, comment peut-on nier la pulsion de mort face à un patient bipolaire
ou un patient anorexique ? Nous avons ainsi pris la décision de développer une théorie mise
en relation et opposée à celle de J. Laplanche afin de mieux comprendre les
conceptualisations autour de la pulsion de mort : celle de A. Green.

Bokanowski reprend dans son texte plusieurs oppositions de point de vue concernant
la thématique de la pulsion de mort, et y oppose notamment celle de J. Laplanche et de A.
Green. Les lectures de Bokanowski lui permettent de comprendre que, dans la perception de
Laplanche concernant la pulsion de mort, rien ne peut vraiment constituer une preuve
clinique de l’existence claire et distincte de la pulsion de mort. Malgré certaines pathologies
et certains agirs de destructivité, les compulsions de répétitions que l’on rencontre, la pulsion
de mort en elle-même ne puise ses sources que dans une théorisation non applicable. Dans sa
théorie, J. Laplanche considère l’aspect pulsionnel à proprement parler de la pulsion sexuelle
de mort.
A. Green quant à lui pense la pulsion de mort comme engendrant un effet de
déliaison. En effet, par la pulsion de mort, le sujet désinvestit et se délie des objets, aussi bien
internes qu’externes, et désinvestit l’investissement lui-même placé dans ces objets
pulsionnels afin de s’en séparer drastiquement. C’est ce qu’il nomme la désobjectalisation ou
fonction désobjectalisante. L’objectif de la pulsion de mort est donc d’accomplir au plus haut
degré cette fonction, qui désinvestit non seulement les objets mais aussi leurs substituts, tel
que le Moi. A. Green affirme en ce sens que “La manifestation propre à la destructivité de la
pulsion de mort est le désinvestissement”11. Ce désinvestissement, des objets et du Moi, se

11
André Green, « Pulsion de mort, narcissisme négatif, fonction désobjectalisante », in La Pulsion de
mort
manifeste notamment dans la mélancolie, avec la culpabilité renversée sur le Moi et non plus
sur l’objet. Là où J. Laplanche verrait une pulsion sexuelle, A. Green voit à travers la pulsion
de mort une “antipulsion”, du fait que celle-ci est intriquée et indissociable de la pulsion de
vie. Il considère enfin que “l’objet est révélateur des pulsions”, bien que la pulsion soit innée
et originaire.
C’est en ce sens que se distinguent la position de Laplanche et celle de Green, sur
cette thématique très théorisée qu’est la pulsion de mort.

En dernier point, nous avons trouvé pertinent de finaliser notre réflexion sur certaines
théorisations qui rendent compte de la pulsion de mort en institution, question que l’on peut
réfléchir dans l’enceinte du lieu de stage qui nous accueille cette année.

L’extrait du texte de Alric nommé Entendre l’inentendable ? Dire l’indicible ? Des


temps de parole en institution dénonce la place qu’à prise la communication et l’écrit en dépit
de la parole dans les institutions de soin, deux mots qui semblent vouloir exprimer la même
chose mais qui, dans les faits, bouleversent totalement les interactions et impactent les
institutions.
En effet, ce texte évoque le fait que très rapidement avec l’arrivée du digital les écrits
ont pris le pas sur les mots, les dossiers des patients sont sur ordinateurs, et les actes sont
tracés et dématérialisés, et la parole est totalement dissoute des relations. S’accompagne à
cela de plus en plus de lassitude dans la façon de travailler, de fatigue, d’épuisement
professionnel et d’actes effectués souvent de manière automatique et répétitive. L’auteur nous
exprime que cela peut se comprendre comme “Écrire pour ne plus avoir à dire, tracer pour
ne plus avoir à parler”12.
Les relations dans ces institutions se sont dégradées, au point que les équipes entre
elles ne parlent pas mais communiquent seulement, et que tout est mis en place dans
l’institution (temps de pause, employés visant à améliorer la communication des équipes,
formation sur le comment communiquer aux familles…) pour que la communication soit
mise à l’oeuvre et efface la parole. Plus rien ainsi ne transparaît de la parole et des actes, tout
est opératoire, on ne parle que de ce que l’on fait, du point de vue technique, et non pas de ce
que l’on ressent, de notre subjectivité. Effacer sa subjectivité montre des soignants qu’ils

12
Alric, L. (2022). Entendre l’inentendable ? Dire l’indicible ? Des temps de parole en institution. Dans
: , J. Alric, La pulsion de mort dans les soins: Une face cachée de la médecine en maladie grave et fin
de vie
s’adaptent aux situations, “ils montrent qu’ils s’accommodent d’une parole subjective
empêchée au profit d’une parole de communication opératoire et automatisée”13. Ce sont ces
manières d’agir opératoires qui sont, selon Alric, animée par une pulsion de mort, un retour à
l’inanimé, une destruction de l’élaboration psychique du travail du soignant.

La pulsion de mort dans ce contexte se manifeste, selon l’auteur à partir de ses


lectures de Lacan, par une proéminence du discours institutionnel contemporain en dépit de la
parole vraie, la science en dépit de l’humain, l’objectif comme dominant le subjectif. Les
soignants se font violence ce qui peut parfois induire que cette agressivité se reproduise sur
les patients. Dans la sphère psychologique des soignants, il semble qu'il survienne à un
moment de la prestation de soins une nécessité de délier la pulsion de vie et la pulsion de
mort afin de parvenir à un certain équilibre entre ces deux instances. Cet équilibre est
nécessaire pour permettre la réalisation d'actes de soins particulièrement extrêmes.
Cette dynamique rappelle les idées avancées par P. Heimann, notamment lorsqu'elle
évoque le concept selon lequel la stratégie de la pulsion de vie, dans ce contexte, pour contrer
la pulsion de mort, implique de dévier cette dernière en la retournant vers l’extérieur. En
d'autres termes, il s'agit de canaliser les pulsions destructrices vers des activités ou des actions
qui favorisent la vie et la préservation plutôt que de la laisser s'exprimer de manière négative
ou autodestructrice la pulsion de mort. Cela pourrait être une manière pour les soignants de
gérer les aspects émotionnels et psychologiques difficiles liés à la pratique des soins, en
canalisant ces énergies pour agir dans l'intérêt et le bien-être des patients. La pulsion de vie
pousserait en quelque sorte la pulsion de mort en dehors du soignant. Il est possible de faire
l’hypothèse en ce sens d’une sublimation de la pulsion de mort dans les soins prodigués.
Toutefois, les violences que les soignants peuvent déployer sur les patients montrent
que cette déviation de la pulsion de mort ne réussit pas toujours. Le cas criminel de
l’ex-infirmière anglaise Lucy Letby, exerçant à l’hôpital Countess of Cheshire Hospital de
Chester en néonatalité et ayant été coupable du meurtre de sept nourrissons entr 2015 et 2016,
montre quelque chose de cet équilibre qui rate, de cette destructivité débordante et non
sublimée par les soins.

13
Alric, L. (2022). Entendre l’inentendable ? Dire l’indicible ? Des temps de parole en institution. Dans
: , J. Alric, La pulsion de mort dans les soins: Une face cachée de la médecine en maladie grave et fin
de vie
Ce système peut nous interroger sur la question de si il n’y avait pas, inconsciemment,
la volonté de surmener les soignants afin de ne plus leur laisser d’espace pour penser et pour
se parler. En ce sens, l’institution laisse la place à une pulsion de mort qui impacte le vécu des
soignants, avec une augmentation constante de la quantité de travail qui s’accompagne d’un
épuisement grandissant des soignants. Cela impacte forcément le soin et les patients qui sont
pris en charge dans ces institutions. La pulsion de mort agit dans le fait que malgré le fait que,
consciemment, les individus pris dans l’institution aient conscience de la souffrance qu’elle
procure, une autre partie, pulsionnelle inconsciente, continue dans ce système sans y penser,
sans savoir pourquoi.

Alric ajoute toutefois que les institutions ne sont pas sadiques et cruelles pour autant
et mettent en place des services de santé au travail, entendent les difficultés des soignants et
prennent des mesures… Mais ces dispositions montrent toutefois que, par l’animation de la
pulsion de mort, celles-ci trouvent moins difficile de soigner la souffrance des travailleurs
que de soigner l’institution elle-même.
CONCLUSION
AMBRE MASSE ET JOANE OKOKO

Nous pouvons ainsi conclure que la conférence sur la soi-disant pulsion de mort de
Laplanche est une retraduction de la pensée de Freud sur la pulsion de mort, qu’il pensait tout
d’abord trop restreinte face aux autres concepts liés. Il conteste son existence en tant
qu'instinct inné chez l'homme, arguant que la cruauté et le sadisme ne sont pas des traits
naturels mais propres à l'humanité. Tout raisonnement se base sur un égarement de la pensée
provoquée par l’abandon de la théorie de la séduction de Freud. D’un côté on retrouve la
pulsion de mort tel que Freud la décrit c’est à dire la réduction jusqu’au stade anorganique
des excitations et de l’autre la pulsion de mort de Laplanche : une pulsion sexuelle de mort
qui serait une défense face à la pulsion sexuelle de vie.

Nous mettons dans cet écrit en perspectives les positionnements de Laplanche en se


rapportant et en les comparant à d’autres grands psychanalystes, André Green pour instance.
Laplanche remet en question la vision freudienne de l'amour comme étant intrapsychique et
critique la simplification de la polarité entre amour et haine, affirmant que ces concepts sont
plus complexes et interconnectés que ce que Freud a pu le laisser entendre. Notre analyse met
en lumière les différentes interprétations de la pulsion de mort, ainsi que son impact dans des
contextes cliniques comme les phases dépressives dans la psychose maniaco-dépressive chez
Abraham et les troubles du comportement alimentaire comme l'anorexie chez F. Marty.

Enfin, nous finissons par ouvrir sur la question de l'hypothèse de l’influence de la


pulsion de mort dans les institutions de soin, où la communication verbale est suppléée par
l'écrit et où l'objectif l'emporte sur le subjectif, soulevant des questions sur l'impact de ces
dynamiques sur les soignants et les patients.
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