Vous êtes sur la page 1sur 16

Économie rurale

Agricultures, alimentations, territoires


311 | Mai-juin 2009
Varia

L’externalité et la transaction
environnementale les deux faces de la même
pièce ?
Externalities and Environmental-Related Transactions: The Two Faces of the
Same Coin?

Gilles Grolleau et Salima Salhi

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/economierurale/880
DOI : 10.4000/economierurale.880
ISSN : 2105-2581

Éditeur
Société Française d'Économie Rurale (SFER)

Édition imprimée
Date de publication : 1 juin 2009
Pagination : 4-18
ISSN : 0013-0559

Référence électronique
Gilles Grolleau et Salima Salhi, « L’externalité et la transaction environnementale les deux faces de la
même pièce ? », Économie rurale [En ligne], 311 | Mai-juin 2009, mis en ligne le 05 mai 2011, consulté le
01 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/economierurale/880 ; DOI : 10.4000/
economierurale.880

© Tous droits réservés


L’externalité et la transaction environnementale
Les deux faces de la même pièce ?
Gilles GROLLEAU • SupAgro et Laboratoire montpelliérain d’économie théorique et appliquée
(LAMETA), Université de Montpellier
Salima SALHI • Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (CREAD),
Alger, Algérie

Remarques introductives et Barzel (1982, 2005) des intuitions de


l’article fondateur de Coase (1960). Une
’économie de l’environnement et les
Lnotamment
recommandations qui en découlent,
en termes d’intervention
telle démarche permet d’étudier certaines
caractéristiques susceptibles d’avoir un
pouvoir explicatif similaire à celui de la
étatique, sont clairement inscrites dans la spécificité des actifs dans la théorie des
théorie des externalités (Baumol et Oates, coûts de transaction. En conclusion,
1988 ; Cropper et Oates, 1992). Tout en quelques implications en termes de poli-
ayant permis des avancées remarquables, tique économique sont suggérées, notam-
l’utilisation intensive du concept d’exter- ment sur la question paradigmatique relative
nalité a été l’objet de critiques, certaines au choix des instruments de politique d’en-
étant parfois injustifiées et relevant plus du vironnement (Cropper et Oates, op. cit.).
parti pris idéologique que d’une analyse
rigoureuse. Ces critiques portent notam-
ment sur l’absence d’une définition stabi- L’externalité
lisée, sur le caractère hyper-inclusif, sur Un concept central, objet de critiques
une capacité opérationnelle insuffisante pour Étant donnée la littérature considérable rela-
guider les décisions publiques et sur le fait tive aux externalités (Buchanan et Stubble-
d’avoir détourné l’attention des économistes bine, 1962 ; Mishan, 1971 ; Baumol et Oates,
des causes sous jacentes à l’inexistence de 1988 ; Cornes et Sandler, 1996), il s’agit
marchés sur certains actifs environnemen- essentiellement de présenter le concept de
taux (Cheung, 1970 ; Coase, 1988). L’ob- manière intuitive et de rendre compte de
jectif de notre contribution est de proposer certaines des critiques dont il a fait l’objet. Ces
une approche complémentaire à la théorie attaques s’en prennent parfois au concept lui-
des externalités, en considérant les même, mais se réfèrent le plus souvent aux
problèmes environnementaux à travers le recommandations d’inspiration pigouvienne
prisme de la théorie des coûts de transaction. qui en découlent en terme d’intervention
Le recours au concept de transaction foca- publique (Coase, 1960 ; Cheung, 1970 ;
lise l’attention sur les barrières à la réalisa- Dahlman, 1979 ; Randall, 1974, 1993 ;
tion de gains mutuels à l’échange et sur les Demsetz, 1967). Malgré une opposition tradi-
stratégies permettant éventuellement de les tionnelle entre « pigouviens » et « coasiens »,
surmonter. les contributions de ces deux auteurs se
Pour atteindre cet objectif, la première rapprochent sur bien des points (comme le
section passe en revue le concept d’exter- recours aux arrangements volontaires entre les
nalité et quelques-unes des critiques qui lui parties concernées), souvent ignorés par leurs
sont adressées. Les deux sections suivantes propres partisans et par la plupart des écono-
proposent une définition et une caractérisa- mistes (Dahlman, 1979 ; Aslanbeigui et
tion du concept de transaction environne- Medema, 1998 ; Klink, 1994).
mentale, préalables nécessaires à une opéra- Initialement proposé par Sidgwick (dans
tionnalisation à la Williamson (1996, 2005) les années 1880) et Marshall (1890), puis

4 • ÉCONOMIE RURALE 311/MAI-JUIN 2009


RECHERCHES
Gilles GROLLEAU, Salima SALHI

Tableau 1. Quelques définitions du concept d’externalité dans la littérature économique


“Here the essence of the matter is that one person A, in the course of rendering some Pigou, 1920
service, for which payment is made, to a second person B, incidentally also renders ser-
vices or disservices to other persons (not producers of like services), of such a sort that
payment cannot be extracted from the benefited parties or compensation enforced
on behalf of the injured parties.”
“What converts a harmful or beneficial effect into an externality is that the cost of Demsetz, 1967
bringing the effect to bear on the decisions of one or more of the interacting persons
is too high to make it worthwhile, and this is what the term shall mean here.”
“An external economy (diseconomy) is an event which confers an appreciable bene- Meade, 1973
fit (inflicts an appreciable damage) on some person or persons who were not fully
consenting parties in reaching the decision or decisions which led directly or indirectly
to the event in question.”
“Externalities arise whenever the values of an objective function, for example the pro- Lin, 1976
fits of a firm or the happiness of an individual, depends upon the unintended or inci-
dental by-products of some activity of others.”
“An externality is frequently defined to occur whenever a decision variable of one eco- Heller et Starett,
nomic agent enters into the utility function or production function of another. We 1976
shall argue that this is not a very useful definition, at least until the institutional fra-
mework is given […]. One can think of externalities as nearly synonymous with non-
existence of markets. We define an externality to be a situation in which the private
economy lacks sufficient incentives to create a potential market in some good and the
non-existence of markets results in losses in Pareto efficiency. ”
An externality must satisfy two conditions: Baumol et Oates,
“Condition 1: An externality is present whenever some individual’s (say A’s) utility or 1988
production relationships include real (that is, non monetary) variables, whose values
are chosen by others (persons, corporations, governments) without particular atten-
tion to the effects on A’s welfare […].
Condition 2: The decision maker, whose activity affects others’ utility levels or enters
their production functions, does not receive (pay) in compensation for this activity an
amount equal in value to the resulting benefits (or costs) to others.”
“Externality is usually defined as a situation in which the utility of an affected party Randall, 1993
is influenced by a vector of activities under his control but also by one or more acti-
vities under the control of another (or others).”

développé par Pigou (1920), le concept d’ex- où Ak, Al correspondant aux activités ou
ternalité permet de rendre compte des inter- variables des individus, certaines étant
dépendances ou interactions hors marché, déterminées par l’agent j sans qu’il y ait de
entre fonctions d’utilité et/ou de production. compensations marchandes correspondantes.
Plus formellement, la fonction objectif d’un ∂Ui
Nous avons ≠ 0 pour certaines valeurs
agent comprend des arguments dont les ∂Alj
valeurs sont déterminées par d’autres agents de l, les valeurs négatives (positives) indi-
qui ne reçoivent ni compensations (en cas de quant des externalités négatives (positives).
bénéfices), ni ne payent de pénalités (en cas Quelques définitions du concept d’externa-
de coûts) pour ces valeurs imposées aux lité sont présentées dans le tableau 1. Ces
autres. Dans le cas de deux agents, la fonc- définitions témoignent d’une certaine variété,
tion d’utilité ou de production de l’agent i d’une tendance à un caractère hyper-inclusif
peut s’écrire sous la forme suivante : et de la volonté indéniable des économistes
Ui = f (Aki ,Alj) de parvenir à une définition opérationnelle.

ÉCONOMIE RURALE 311/MAI-JUIN 2009 • 5


Externalité et transaction environnementale

Tableau 2. Distinctions classiques relatives aux externalités


Distinction Définition et auteur de référence Exemples
Positive Effet externe où un agent affecte positivement Voisin bénéficiant du parterre fleuri
le bien-être d’un autre agent (bénéfice) sans entretenu par un autre
compensation marchande (Pigou, 1920)
Négative Effet externe où un agent affecte négativement Odeurs nauséabondes provenant d’un
le bien-être d’un autre agent (coût) sans élevage
compensation marchande (Pigou, 1920)
Technologique Externalités affectant le bien-être des agents Sacs plastiques provenant d’une
non transmises à travers les prix (Scitovsky, 1954) décharge
Pécuniaire Externalités affectant le bien-être de certains Diminution de la demande de nitrates
agents, mais qui s’effectuent à travers les prix entraînant une diminution de prix, ce
(Scitovsky, 1954) qui se traduira par une augmentation
du bien-être des autres utilisateurs
Paréto- Effets externes qui conduisent à une allocation Pollution au-delà du niveau optimal
pertinentes inefficace des ressources (Buchanan, 1962)
Non paréro- Effets externes qui ne génèrent pas une allocation Pollution en deçà de l’optimum de
pertinentes inefficace des ressources (Buchanan, 1962) pollution
Marginale Effet externe lorsque l’action totale de l’agent B Lac pollué où une unité de pollution
affecte la fonction objectif de A et lorsqu’une supplémentaire générée par B affecte
action marginale de B influe également sur la la fonction objectif de A
fonction objectif de A (Buchanan, 1962)
Inframarginale Effet externe lorsque l’action totale de l’agent B Parterre fleuri de B où un effort
affecte la fonction objectif de A et lorsqu’une marginal (motivé par le bénéfice qu’en
action marginale de B n’influe pas sur la fonction tire B) ne se traduit pas par une modi-
objectif de A (Buchanan, 1962) fication de la fonction objectif de A
Privée Effets externes rivaux, c’est-à-dire dont le préju- Déchets entraînés chez un agent A
dice subi (ou le bénéfice retiré) par un agent ne peuvent être simultanément chez
réduit le préjudice subi (ou le bénéfice retiré) l’agent B
par un autre agent (Baumol et Oates, 1988)
Publique Effets externes non rivaux, c’est-à-dire dont le Pollution atmosphérique générée par
préjudice subi (ou le bénéfice retiré) par un agent une zone industrielle
ne diminue pas le préjudice subi (ou le bénéfice
retiré) par un autre agent (Baumol et Oates, 1988)
Source : les auteurs
Tout en prenant acte de la controverse autour ont surtout été des « sources de confusion »
de la définition de l’externalité, Cornes et plutôt que de clarification.
Sandler (1996)1, proposent une définition Malgré son rôle de « pièce maîtresse de
formalisée qui permet d’échapper à certaines l’économie de l’environnement » (Cropper et
des critiques précédentes. Oates, 1992), le concept d’externalité a fait
La littérature contient également plusieurs l’objet de critiques véhémentes, notamment de
distinctions qui sont présentées et illustrées la part du courant néo-institutionnel (Coase,
dans le tableau 2. De l’aveu même de 1960, 1988 ; Cheung, 1970 ; Dahlman, 1979 ;
certains auteurs (Baumol et Oates, 1988)2 Randall, 1974, 1993 ; Arrow, 1983 ; Vatn et
ayant participé à l’élaboration de nouvelles Bromley, 1997 ; Zerbe et McCurdy, 1999 ;
distinctions, certaines de ces distinctions Anderson et McChesney, 2003 ; Anderson,
2004 ; Cortado, 2004 ; Barnett et Yandle, à
1. Cf. Cornes et Sandler, pages 39-42. paraître). Certaines des critiques adressées
2. Cf. Baumol et Oates, page 14. au concept d’externalité sont superficielles,

6 • ÉCONOMIE RURALE 311/MAI-JUIN 2009


RECHERCHES
Gilles GROLLEAU, Salima SALHI

caricaturales et relèvent plus du parti pris Oates amoindrissent la question de la défi-


idéologique que du désir de faire avancer le nition en la qualifiant « d’affaire de goût et
débat. Plutôt que de rejeter en bloc les apports de convenance »5. Dans leur article séminal,
du concept d’externalité, nous rendons compte Buchanan et Stubblebine (1962) reconnais-
de cinq faiblesses ou dérives souvent associées sent qu’« une définition rigoureuse du
(parfois à tort) au concept d’externalité : concept d’externalité n’est pas disponible
dans la littérature ». Malgré la tentative de
– l’absence de définition stabilisée et opéra-
Buchanan et Stubblebine, Arrow (1983)
tionnelle ;
remarque qu’« aussi surprenant que cela
– l’utilisation « fourre-tout » du concept en
puisse paraître, la littérature ne semble pas
dehors de son domaine de validité condui-
disposer d’une définition générale et claire
sant à des généralisations excessives ;
du concept [...] d’externalité. » L’absence de
– le caractère unilatéral généralement attaché
définition précise et unanime fait que le
au concept, empreint d’une certaine
concept d’externalité peut correspondre à
dimension morale et l’oubli de la réci-
des situations extrêmement variées, certaines
procité des effets ;
d’entre elles étant même considérées comme
– les recommandations d’intervention
« non pertinentes » au sens parétien 6
publique en vue de l’internalisation des
(Buchanan et Stubblebine, op. cit.).
externalités reflétant une approche de type
De manière involontaire, le concept d’ex-
« nirvana »3 ;
ternalité a peut-être incité les économistes à
– « l’accusation » d’avoir détourné l’attention
« surestimer les avantages de l’intervention
des économistes des causes profondes des
étatique » et a souvent servi à justifier l’in-
externalités et des conditions permettant
terférence de l’autorité centrale avec les
aux agents de résoudre leurs problèmes
droits de propriété préexistants, au nom
grâce à des transactions volontaires.
d’un intérêt collectif l’emportant sur les
intérêts individuels (Coase, 1960 ; Cala-
Certains auteurs, parfois de manière
bresi et Melamed, 1972). Pour l’école des
abusive et partisane, ont qualifié le concept
choix publics, cette interférence loin de
d’externalité de « terme complètement
servir l’intérêt général ouvre la porte à de
inutile » (Randall, 1993), de « concept vide »
nombreuses dérives et notamment à l’ins-
(Barnett et Yandle, à paraître), de « terme
trumentalisation des politiques environne-
d’une complexité alarmante » et qui « n’ap-
mentales au service d’intérêts particuliers
porte rien à l’analyse » (Anderson, 2004),
(Yandle, 1999). Pour Barnett et Yandle (op.
certains auteurs allant même jusqu’à
cit.), « le concept d’externalité [...] a fourni
réclamer sa disparition pure et simple
une justification pour quasiment toutes les
(Cheung, 1970). Pour Haddock (2004), « les
formes d’intervention gouvernementale dans
externalités sont partout, mais la plupart
les transactions privées ». Il convient de
n’ont pas de pertinence économique. »
remarquer que l’externalité est parfois
Même des économistes de l’environne-
présentée comme un concept suffisamment
ment (Baumol et Oates, op. cit.)4 recon-
naissent que l’externalité est parfois un
« concept extraordinairement flou et insai- 5. Ibid, page 15.
sissable » (voir aussi Cornes et Sandler, 6. Une externalité pareto-pertinente est une exter-
1996 ; Zerbe et McCurdy, 1999). Baumol et nalité pour laquelle il existe des gains potentiels à
l’échange entre les parties concernées. Les échanges
auront lieu jusqu’à ce que ces gains potentiels soient
exploités. Une telle définition implique, de manière
3. L’approche de type nirvana consiste à comparer tautologique que toutes les externalités pareto-perti-
des situations réelles à un idéal hypothétique. nentes peuvent être résolus à travers des solutions
4. Cf. Baumol et Oates, page 14. marchandes (Randall, 1974).

ÉCONOMIE RURALE 311/MAI-JUIN 2009 • 7


Externalité et transaction environnementale

générique pour englober les différents types teraction et sur le rôle crucial du système de
de défaillances du marché, comme les biens droits de propriété dans la résolution de
collectifs et les situations de monopole ce conflit. Ainsi, la pollution de l’eau se
naturel (Buchanan et Stubblebine, 1962), rapporte à l’utilisation incompatible par
ce qui le rend potentiellement vulnérable à deux (ou plusieurs) groupes d’agents de
l’ensemble des attaques et critiques adres- cette ressource, un groupe utilisant l’eau
sées à la théorie des défaillances du marché, comme réceptacle pour y déverser ses rejets
notamment celle décrite sous l’expression (e. g., agriculteurs) et un autre groupe utili-
d’‘approche du nirvana’ (Coase, 1960, sant cette même eau à des fins récréatives
1974 ; Demsetz, 1969 ; Coase, 1988 ; Peltz- ou de consommation alimentaire (e. g.,
mann, 1989 ; Zerbe et McCurdy, 1999). autres riverains). L’approche par les tran-
De plus, l’intervention étatique est elle- sactions, sans nier la nécessité de recourir
même victime de ses propres limites et à l’intervention d’une autorité dans
défaillances, pouvant dans certains cas certaines circonstances invite à s’inter-
engendrer une dégradation de la situation roger sur la capacité potentielle des tran-
plutôt que son amélioration (Schmidtz, sactions entre agents privés, détenteurs
1991). Par exemple, la réglementation d’informations cruciales, à résoudre ces
américaine relative à la protection des conflits d’usage, sur les déterminants du
espèces menacées ou en voie de disparition niveau des coûts de transaction empêchant
(Endangered Species Act) impose aux la réalisation de telles transactions et sur les
propriétaires terriens concernés des restric- stratégies permettant éventuellement de
tions draconiennes quant à l’exercice de les surmonter (Coase, 1960). Formulé en
leurs droits de propriété. En dépit d’inten- termes transactionnels, le problème d’une
tions louables relatives à la réduction du espèce menacé se rapporte notamment à
risque de disparition de certaines espèces, l’identification du détenteur des droits asso-
plusieurs études démontrent que les effets ciés à cette espèce, à son habitat ainsi qu’à
de cette réglementation sont non seule- l’évaluation des coûts et bénéfices qu’im-
ment très modestes, mais également contre- plique un arrangement contractuel pour
productifs dans plusieurs cas7. Lueck et son éventuelle préservation.
Michael (2003) démontrent que cette régle-
mentation sur les espèces menacées a
généré des incitations perverses au niveau
La transaction environnementale
des propriétaires fonciers qui se sont mis à
un complément utile
détruire de manière préventive des habitats
au concept d’externalité
susceptibles d’héberger le pic à face L’objectif de cette section est de montrer
blanche de manière à échapper aux restric- qu’une opérationnalisation à la Williamson
tions de leurs droits de propriété. des intuitions coasiennes dans le domaine
L’utilisation du concept de transaction de l’économie de l’environnement (1960)
permet d’envisager les problèmes d’envi- est possible et prometteuse. Les orientations
ronnement comme des conflits entre agents méthodologiques formulées par Coase pour
(ou groupes d’agents) pour un usage le choix des solutions de régulation des
mutuellement incompatible d’une ressource pollutions sont restées à l’état des
environnementale rare. Outre l’absence de principes généraux. Les deux articles
jugement moral, cette définition attire l’at- fondateurs de Coase (1937, 1960) partagent
tention sur le caractère bilatéral de l’in- une logique similaire (Coase, 1988) 8 ,

7. Pour une revue récente des études consacrées à


ce thème, voir Adler (2008). 8. In Coase, voir la page 14.

8 • ÉCONOMIE RURALE 311/MAI-JUIN 2009


RECHERCHES
Gilles GROLLEAU, Salima SALHI

une référence commune aux coûts de tran- Selon Barnett et Yandle9, « deux choses
saction et aux droits de propriété. Dans peuvent empêcher la négociation et générer
cette perspective, les problèmes environ- des « externalités » persistantes (1) les
nementaux sont des conflits sur l’usage de contraintes gouvernementales qui empê-
certaines ressources mettant en évidence les chent la marchandisation des droits ou
problèmes relatifs aux droits de propriété l’échange de droits déjà existants (2) des
mal définis et aux coûts de transaction coûts de transaction qui excèdent les gains
positifs (Coase, 1960 ; Demsetz, 1967 ; espérés de l’échange ». Par exemple,
Aslanbeigui et Medema, 1998 ; Anderson pendant plusieurs décennies, la réglemen-
et McChesney, 2003). Ces deux causes tation française interdisait aux propriétaires
interagissent, puisque les problèmes rela- fonciers, (mais également à d’autres caté-
tifs aux droits de propriété sont généra- gories d’agents) d’inclure dans un contrat de
teurs de coûts de transaction. En somme, la fermage (de contractualiser sur) des
transaction en tant que catégorie analy- contraintes culturales spécifiques visant à la
tique de référence comporte en elle-même préservation de l’environnement. Ainsi,
le « caractère réciproque », la capacité de même un arrangement bénéfique pour les
permettre « un transfert de droits », dont la deux parties et pour la société en général
réalisation potentielle suppose des coûts était rendu quasiment impossible du fait
qui doivent être mis en regard des bénéfices des contraintes légales. L’un des exemples
espérés. Fait intéressant, la contribution les mieux documentés est celui de l’arran-
séminale de Coase (1960) a été élaborée gement contractuel entre l’embouteilleur
dans (et peut être pour) un contexte de de l’eau minérale Vittel et une quarantaine
Common Law (par opposition aux pays de d’agriculteurs afin de préserver la qualité de
Civil Law). Au nombre des différences son eau par rapport au risque de pollutions
notables entre les deux systèmes juridiques, diffuses (nitrates, pesticides). Outre les
figurent dans le cas des pays de common désaccords sur la nature et la valeur
law, la prééminence accordée aux droits de d’échange des droits à échanger et la situa-
propriété privés et aux arrangements tion de monopole bilatéral, les contraintes
contractuels privés, la volonté de limiter légales constituaient également des barrières
l’interférence de l’autorité centrale quant à à la réalisation de cette transaction envi-
l’exercice de ces derniers et le recours à des ronnementale. Le contournement de ces
juges indépendants chargés d’élaborer le contraintes légales par le montage de dispo-
droit. Une importante littérature issue de sitifs juridiques innovants, présentant une
l’analyse économique du droit s’intéresse certaine part de risque, comme la mise à
ainsi aux situations où les coûts de tran- disposition gratuite des terres plutôt que
sactions sont positifs et montre le caractère leur location dans le cadre du fermage ainsi
crucial du régime juridique en termes d’at- que les stratégies visant à rendre les contrats
tribution initiale des droits et de sélection exécutoires se sont avérés particulièrement
de la règle juridique visant à les protéger coûteuses (Déprés et al., 2008). À l’inverse,
(Calabresi et Melamed, op. cit.). Par consé- d’autres pays comme les États Unis dispo-
quent, les préconisations coasiennes en sent d’un cadre réglementaire plus flexible
termes de politique relative aux enjeux permettant ce type d’arrangements (Ease-
environnementaux s’appliquent beaucoup ments), et générant donc un niveau des coûts
plus naturellement dans les pays de de transaction a priori plus faible. Récem-
Common Law par rapport aux pays de Civil ment, la réglementation française a évolué
Law où le rôle interventionniste de l’État
est traditionnellement beaucoup plus
important (Stroup, 2004). 9. À paraître.

ÉCONOMIE RURALE 311/MAI-JUIN 2009 • 9


Externalité et transaction environnementale

dans le sens d’une plus grande flexibilité tives fonctionneraient dans la pratique et
permettant aux propriétaires d’inclure des d’évaluer leurs performances respectives.
clauses prescrivant au fermier des pratiques En d’autres termes, nous devrions comparer
culturales spécifiques (loi d’orientation agri- l’effet total lié à l’adoption de ces arrange-
cole de janvier 2006). Néanmoins, la mise ments sociaux alternatifs. » En effet, Coase
en œuvre effective du bail environnemental (1960) propose explicitement quatre arran-
est soumise à la réalisation de conditions gements sociaux au travers desquels une
restrictives concernant l’identité du bailleur transaction pourrait être réalisée :
et la nature des terres. – le marché (e. g., l’achat ponctuel de doses
En se référant à la définition de Coase, la d’air pur à des bornes spéciales dans
transaction pourrait être définie comme certaines villes très polluées) ;
un transfert de propriété où ce qui est – le contrôle des deux activités au sein d’une
échangé sur le marché se rapportent aux même firme, (e. g., l’acquisition par certains
droits de réaliser certaines actions, ces embouteilleurs d’eau comme Plancoët en
droits détenus par les agents étant établis Bretagne des terrains avoisinant leur captage
par le système légal. Cette définition a été de manière à éviter certaines pollutions) ;
appliquée pour analyser les problèmes envi- – la réglementation par les autorités
ronnementaux dans les termes de l’éco- publiques (e. g., les contraintes régle-
nomie néo-institutionnelle (Richards, mentaires relatives aux périmètres de
2000 ; Esty, 2004 ; McCann et al., 2005 ; protection des captages) ;
Paavola et Adger, 2005). La transaction – le laissez faire.
environnementale apparaît donc un système
de résolution d’un conflit, impliquant un Essai de caractérisation
transfert potentiel et mutuellement béné- de la transaction environnementale
fique de droits de propriété relatifs à ces Le pouvoir explicatif de la théorie des
actifs environnementaux (ou à des compor- coûts de transaction repose essentiellement
tements associés). Autrement dit, les sur la spécificité des actifs (Williamson, op.
« externalités » résultent de l’existence de cit.). Les dimensions retenues par
coûts de transaction positifs (Coase, 1960, Williamson (spécificité des actifs, incerti-
1988 ; Dahlman, 1979 1 0 ), le véritable tude, fréquence) ont déjà fait l’objet de
problème étant de parvenir à identifier fine- quelques travaux visant à les transposer
ment les déterminants du niveau de ces aux transactions environnementales
coûts et l’arrangement institutionnel (Richards, 2000 ; Delmas et Marcus, 2004).
susceptible de les minimiser. Dans un premier temps, nous présentons
Pour Coase (1970, cité par Aslanbeigui et brièvement plusieurs dimensions suscep-
Medema, 1998), « le problème de base de la tibles de caractériser la transaction envi-
politique économique est d’envisager ronnementale avant de nous restreindre à
comment les institutions sociales alterna- trois dimensions qui nous semblent influer
le plus sur le niveau des coûts de transac-
10. « Au fond, la pertinence des externalités doit
tion (tableau 3).
reposer sur le fait qu’elles indiquent la présence de Les dimensions précédentes ne sont ni
coûts de transaction. Ainsi, en l’absence de coûts de figées, ni mutuellement exclusives les unes
transaction, les améliorations potentielles au sens de des autres et recoupent certaines des dimen-
Pareto pourraient être réalisées par une négociation sions proposées par Williamson.
gratuite entre des agents économiques à la poursuite
de leurs propres intérêts individuels. [...] La conclu-
sion est dès lors sans ambiguïté: dans la théorie des • La première dimension se rapporte au
externalités, les coûts de transaction sont la racine degré de sécurisation des droits de
de tous les maux. » (Dahlman, 1979, p. 142). propriété. Cette importance du degré de

10 • ÉCONOMIE RURALE 311/MAI-JUIN 2009


RECHERCHES
Gilles GROLLEAU, Salima SALHI

Tableau 3. Quelques dimensions susceptibles de caractériser les transactions environnementales


Distinction Définition sommaire Exemple(s) et autres observations
Degré de Estime si la pollution générée est plus ou moins Quasi irréversible : extinction d’une
réversibilité réversible espèce
Facilement réversible : sacs plastiques
dans son jardin
Fréquence de Transaction ponctuelle ou récurrente Pollution accidentelle
la transaction Caractère cumulatif versus caractère spot Pollution récurrente par déversement
journalier
Degré d’inten- Volonté consciente de générer la pollution ou Nitrates déversés par les agriculteurs
tionnalité simple effet joint d’une autre activité pour prendre en otage un embouteil-
teilleur vs odeurs d’élevage désagréable
Difficulté Capacité à mesurer et à attribuer aux agents Contribution d’un agriculteur à la
de mesure l’output environnemental pollution d’un cours d’eau par les
nitrates (pollution diffuse vs localisée)
Délai temporel Temps entre l’action génératrice et la manifes- Cas des pollutions orphelines héritées
tation de la pollution de la révolution industrielle (XIXe siècle)
Degré de Droits de propriété plus ou moins sécurisés de Droits de propriété non attribués sur
sécurisation manière unanimement reconnue certaines ressources, e.g., les bisons
des droits de d’Amérique
propriété
Nombre de Structures de transaction par similitude aux Transaction environnementale de type
transactants structures de marché monopole bilatéral
Transaction environnementale de type
concurrence pure
Degré d’hété- À un moment donné, degré de similitude Agriculteurs ayant des exploitations
généité des des agents, des opérations et des technologies identiques (ou diversifiées) en terme de
transactants utilisées taille, de productions, de pratiques, etc.
Coût d’oppor- Valeur de ce à quoi les transactants potentiels Explique pourquoi le choix de l’instru-
tunité des doivent renoncer en cas de non-transfert ment n’est pas guidé par la seule
transactants caractérisation technologique
Source : les auteurs
sécurisation des droits de propriété – défi- transactionnels susceptibles d’augmenter
nition, transférabilité, mise en oeuvre11 – les ressources à investir pour gérer la situa-
est développée par Anderson (2004) et tion, mais également de discriminer entre
Anderson et McChesney (2003). En effet, structures de gouvernance permettant de
des droits de propriété « flous », en consi- minimiser ces coûts.
dérant un continuum allant d’une sécurisa- Les défauts dans la satisfaction des condi-
tion inexistante jusqu’à une sécurisation tions précitées, par exemple du fait de choix
parfaite et absolue, génèrent des risques réglementaires inadéquats, conduisent

11. Des droits de propriétés adéquatement définis et La transférabilité des droits de propriété octroie au
spécifiés confèrent à leurs détenteurs un usage détenteur de ces derniers le droit de les transférer,
exclusif des ressources sur lesquelles ils portent. Des en partie ou en totalité à un tiers. Cette transférabi-
droits de propriétés exécutoires impliquent que les lité est essentielle pour que les droits aillent à celui
détenteurs de ces derniers doivent raisonnablement qui les valorise le mieux. Le caractère exécutoire et
croire que leurs droits de propriété sont effectifs et la transférabilité sont conditionnés au préalable par
que toute violation de ces derniers sera sanctionnée. la délimitation et l’attribution du droit concerné.

ÉCONOMIE RURALE 311/MAI-JUIN 2009 • 11


Externalité et transaction environnementale

généralement à des incitations biaisées et à la nature de la pollution, à la difficulté à


peuvent empêcher des gains potentiels de attribuer des responsabilités individuelles
l’échange d’être réalisés, car l’agent qui et à lever toute ambiguïté causale ou au
valorise le mieux un certain droit peut se décalage géographique ou temporel entre
retrouver dans l’incapacité légale de l’ac- l’action génératrice et la manifestation
quérir. Ainsi, à la suite de la Convention sur effective de la pollution peuvent rendre la
le commerce international des espèces de vérification des promesses extrêmement
faune et de flore sauvages menacées d’ex- difficiles et donc coûteuses. Dans le cas de
tinction (CITES) en 1973 et à l’inscription Vittel, le coût associé au contrôle de
des tortues de mer dans la réglementation certaines opérations était tels que la solu-
américaine Endangered Species Act en tion retenue a été une quasi-intégration de
1978, la Cayman Turtle Farm Ltd s’est ces droits par une filiale de Vittel créée
retrouvée en faillite, du fait de l’impossibi- pour la circonstance, Agrivair. En effet,
lité de commercialiser et même de faire cette filiale réalise elle-même certaines
transiter les tortues de mer produites sur de opérations très sensibles sur les exploita-
nombreux marchés12. Au moment de l’ins- tions agricoles et économise ainsi les coûts
cription sur la liste américaine des espèces liés au contrôle de ces dernières si elles
en danger, la population de tortues sauvages étaient effectuées directement par les agri-
pour les Caraïbes et le Golfe du Mexique culteurs. En comparaison, les contrats
était estimée à environ 5 000, alors que la établis entre la ville de Munich et les agri-
population de tortues de l’entreprise était culteurs avoisinants pour gérer des
entre 18 et 20 fois supérieure (De Alessi, problèmes de pollution diffuse similaire
2005). Malgré une auto-suffisance en tortues (nitrates, pesticides) reposent sur un mode
de mer ne nécessitant plus de prélèvements de définition et de vérification moins
dans le milieu sauvage et permettant même coûteux (c’est-à-dire l’agriculture bio-
des largages dans les eaux avoisinant les logique), car standardisé et réalisé par des
îles Caïmans, les restrictions relatives aux opérateurs indépendants des deux transac-
exportations ne permirent pas de générer tants. Étant données les difficultés de
des revenus suffisants pour maintenir les mesure, les contrats précités spécifient les
100 000 tortues de l’élevage. Malgré actions à entreprendre pour atteindre un
certaines polémiques sur l’origine des tortues certain résultat, diminuant les coûts de
et des œufs ayant permis le démarrage de mesure et rendant ainsi le contrat exécu-
l’exploitation et sur la notion d’élevage en toire13 (Déprés et al., 2008). Cette dimen-
captivité, il est généralement admis que les sion est également soulignée dans plusieurs
activités de cette entreprise ont largement travaux relatifs au choix optimal de l’ins-
contribué à la préservation des tortues de trument de politique environnementale
mer (Smith, 1988). Ainsi certaines « règles (Esty, 2004 ; Richman et Boerner, 2006) et
du jeu » bien intentionnées, en restreignant recoupe dans une certaine mesure le critère
l’exercice des droits de propriété, peuvent précédent. Comme la spécificité des actifs,
aboutir à des résultats contre-productifs. la difficulté de mesure varie en importance
(plus ou moins forte) et peut se décliner en
• La deuxième dimension se rapporte à la plusieurs types, en distinguant la difficulté
difficulté de mesure (Barzel, op. cit.), de mesure liée aux éléments générateurs de
notamment sur la capacité des transactants la pollution et celles liées aux conséquences
à définir et à vérifier les promesses faites. de la pollution (Husted, 2004).
Par exemple, les difficultés techniques liées
13. Voir aussi Parker (2004) pour un exemple sur
12. http://www.turtle.ky/ les Easements aux États-Unis.

12 • ÉCONOMIE RURALE 311/MAI-JUIN 2009


RECHERCHES
Gilles GROLLEAU, Salima SALHI

Pour le premier type, il est ainsi possible de (un acheteur unique et plusieurs fournis-
distinguer les situations caractérisées par seurs de services écosystémiques) soient
(1) une pollution ponctuelle versus une propices à la réduction des coûts de tran-
pollution diffuse, (2) une pollution immé- saction et donc favorable à la réalisation de
diate versus une pollution décalée dans le transactions environnementales (Salzman,
temps, par exemple du fait d’un méca- 2005). Même lorsqu’un grand nombre
nisme d’accumulation (3) une action indi- d’acteurs (e. g., consommateurs d’eau
viduelle isolée sans conséquences versus d’une grande ville comme New York ou
une action, qui lorsqu’elle se trouve Munich) semblerait orienter le débat vers
combinée avec celles d’autres agents une solution faisant intervenir l’autorité
génère une pollution. La difficulté peut centrale, la capacité des agents individuels
aussi provenir de la difficulté à estimer les à se fédérer et à former des associations,
bénéfices et les coûts liés à la pollution et des clubs ou d’autres entités (e. g., services
aux éventuelles évolutions envisagées. Au chargés de l’approvisionnement en eau des
niveau des conséquences, le raisonnement villes de New York ou de Munich) peut
est à peu près identique, car la difficulté de permettre l’émergence d’arrangements
mesure dépend des mécanismes et des contractuels dans des contextes où ces
effets de la pollution sur les parties affec- derniers semblaient a priori improbables.
tées. Par exemple, la chaîne de causalité Dans le cas de Vittel, la négociation unique
entre le(s) fait(s) générateurs et le dommage avec un petit groupe d’agriculteurs permet-
subi peut être évidente et communément tait certes de réduire les coûts de transac-
acceptée ou au contraire être extrêmement tion d’une part, mais contribuait parallèle-
controversée et difficile à établir. ment à augmenter les problèmes liés au
pouvoir de monopole bilatéral d’autre part
• La troisième dimension se rapporte au d’où un arbitrage complexe (Déprés et al.,
nombre et au degré d’hétérogénéité des op. cit.).
transactants. Cette hétérogénéité comprend Les coûts d’opportunité des transactants
à la fois l’hétérogénéité à l’intérieur d’un par rapport à la modification envisagée
groupe de transactants (qui peut être inexis- pourraient également constituer un para-
tante si l’une des parties de la transaction mètre permettant de caractériser le degré
représente un seul agent, e. g., la société d’hétérogénéité. Par exemple, confronté à
Vittel) ou entre les deux parties de la tran- un problème de pollution affectant de
saction. La description des structures de nombreux agents, un agent du fait de la
transaction (et donc la prise en compte du valeur nette (une fois les coûts de transac-
nombre de transactants de part et d’autre) tion pris en compte) qu’il accorde à l’actif
peut naturellement s’insérer dans cette environnemental concerné peut sur une
dimension, en continuité avec les intui- base volontaire résoudre le problème. Cette
tions déjà présentes chez Pigou et Coase, initiative individuelle est également suscep-
mais également avec la contribution tible de résoudre le problème des autres
d’Olson (1965) soulignant l’augmentation agents affectés sans que ces derniers soient
des coûts de transaction avec l’augmenta- sollicités. Ainsi, au-delà de considérations
tion du nombre de transactants. Le nombre générales, l’analyse des « structures de
de transactants constitue un paramètre transaction » sur le niveau des coûts de
déterminant car il définit des « structures de transaction demeure une question cruciale.
transaction » précises qui influent sur la Dans une sorte d’analyse réduite, nous
mise en place effective de marchés relatifs pouvons intuitivement postuler que les
à des actifs environnementaux. Il semble- coûts de transaction (CT) diminuent, ceteris
rait ainsi que les situations de monopsone paribus, avec une meilleure sécurisation

ÉCONOMIE RURALE 311/MAI-JUIN 2009 • 13


Externalité et transaction environnementale

des droits de propriété (DP), mais augmen- mesure, certes élevés, mais plus faibles en
tent avec une plus grande difficulté de comparaison des autres arrangements
mesure (M) et une plus grande hétérogé- possibles. Ainsi, un rapport de l’OCDE
néité au niveau des transactants (H). (2001)14, reconnaît qu’« il y a de nombreux
cas où le recours aux instruments de type
T = f (DP, M, H)
– + + Command and Control est nécessaire. C’est
notamment le cas, lorsque des problèmes
Cette conceptualisation des relations entre techniques ou de mesure rendent difficiles la
coûts de transaction et dimension des tran- vérification permanente des dommages envi-
sactions présente l’intérêt de permettre la ronnementaux attribuables aux agents indi-
formulation de propositions testables. Au vu viduels […] ». Outre la magnitude de ces
du travail considérable de collecte des deux types de coûts concomitants (dépol-
données pertinentes (McCann et al., 2005), lution, transaction), la question de leur répar-
une stratégie alternative pourrait s’appuyer tition entre les différents agents peut être à
sur des études de cas détaillées qui « permet- l’origine de pertes d’efficience liées à la
traient de découvrir quels facteurs sont recherche de la minimisation par un agent de
importants et lesquels ne le sont pas dans la ses propres coûts, quitte à augmenter les
détermination du résultat et [...] condui- coûts totaux de réalisation de l’objectif. Par
raient à des généralisations ayant une base exemple, dans le cadre des contrats agri-
solide » (Coase, 1974). environnementaux, l’État pourrait être inté-
L’analyse du choix de la structure de ressé par la minimisation de ses propres
gouvernance (marchés spots, arrangements coûts administratifs quitte à augmenter les
contractuels, intégration hiérarchique, coûts de transaction supportés par les agri-
gestion étatique [instruments réglementaires culteurs, ce qui pourrait contrarier l’effi-
durs, instruments économiques et volon- cience globale de l’instrument.
taires]) peut être renouvelée par les apports À l'instar des travaux de Williamson
de l’économie des coûts de transaction. (op. cit.), l’exploration de la difficulté de
Ainsi, les recommandations économiques mesure, comme attribut essentiel et déter-
relatives au choix de l’instrument de poli- minant du choix du mode de gouvernance
tique environnementale sont généralement des transactions environnementales nous
basées sur la minimisation des coûts de semble la voie la plus prometteuse15. L’une
dépollution obtenue grâce à l’égalisation des stratégies empiriques consisterait à
des coûts marginaux de dépollution des estimer empiriquement les coûts de tran-
pollueurs (Bureau, 2005). Or, la prise en saction (notamment les coûts administra-
compte simultanée des coûts de dépollu- tifs d’élaboration, de mise en œuvre et de
tion et des coûts de transaction peut néan- contrôle) associés à un instrument donné
moins remettre en question les recomman- pour un problème environnemental bien
dations traditionnelles des économistes en défini, puis de les comparer au cas où le
faveur des instruments économiques. En même résultat serait généré mais à l’aide
effet, lorsque la difficulté de mesure est d’un autre instrument ou arrangement.
élevée et donc susceptible de générer des Bien que la littérature soit encore balbu-
coûts de transaction élevés, le recours à une tiante et appliquée à des questions diffé-
solution hiérarchique de type intervention
réglementaire peut être justifiée, du fait que
la perte générée par une non-égalisation des 14. In OCDE, page 190.
15. Dans une contribution récente, Barzel (2005)
coûts marginaux de dépollution des affirme que les problèmes liés à la mesure seraient
pollueurs est plus que compensée par les « plus généraux », « plus opérationnels » avec un
économies permises par des coûts de pouvoir explicatif plus fort que la spécificité des actifs.

14 • ÉCONOMIE RURALE 311/MAI-JUIN 2009


RECHERCHES
Gilles GROLLEAU, Salima SALHI

rentes (McCann et Easter, 1999 ; Falconer récemment été avancées par Richards
et al., 2001), elle pourrait fournir la base (2000), Delmas et Marcus (2004) et
d’études originales sur une estimation Bougherara et al. (à paraître) qui considèrent
comparative des coûts de transaction de que cette voie de recherche pourrait débou-
différents arrangements. cher sur des propositions concrètes de choix
d’instruments (ou de structures de gouver-
Conclusion nance environnementale) permettant de
minimiser les coûts de transaction (et de
Cet essai essentiellement exploratoire visait dépollution) pour une transaction préala-
à montrer que le concept de transaction blement caractérisée. Une telle avancée
environnementale pourrait utilement permettrait de renouveler l’analyse de la
compléter celui d’externalité. Tout en recon- question paradigmatique du décideur public
naissant à la théorie des externalités des en matière d’environnement sous contrainte
résultats louables, il se peut qu’elle ait égale- d’efficience, celle du choix de l’instrument
ment contribué à détourner l’attention des de politique d’environnement similaire à
économistes de solutions alternatives repo- celle du « faire ou faire faire ».
sant sur une meilleure connaissance des S’intéresser aux potentialités offertes par
causes précises des coûts de transaction une analyse en termes de transactions a
« trop élevés » et sur les stratégies suscep- également la vertu de recentrer la discussion,
tibles de permettre leur atténuation, voire non sur la seule nature intrinsèque et inal-
leur suppression. Outre, l’approfondisse- térable des biens qui justifierait leur gestion
ment des dimensions de la transaction envi- par l’État, mais sur les obstacles, notam-
ronnementale et leur validation par des ment institutionnels (et sur les modalités
travaux empiriques, reste encore à distinguer de leur éventuelle suppression) à la récon-
les structures de gouvernance environne- ciliation de la main invisible des marchés et
mentale. Des propositions dans ce sens ont de la protection de l’environnement. ■

ÉCONOMIE RURALE 311/MAI-JUIN 2009 • 15


Externalité et transaction environnementale

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Adler J.-H. (2008). Money or Nothing: Buchanan J., Stubblebine C. (1962).


The Adverse Environmental Conse- Externality. Economica, n° 29, p. 371-
quences of Uncompensated Regula- 84.
tory Takings. Boston College Law Bureau D. (2005). Economie des instru-
Review, 49(2), p. 301-366. ments de protection de l’environne-
Anderson T.-L. (2004). Donning Coase- ment. Revue Française d’Économie,
coloured glasses: a property rights view XIX(4), p. 83-110.
of natural resources economics. The Calabresi, G., Melamed D. (1972). Pro-
Australian Journal of Agricultural and perty rules, liability rules and inalie-
Resource Economics, 48(3), p. 445- nability: One view of the cathedral.
462. Harvard Law Review, 85(6), p. 1089-
Anderson T.-L., McChesney F. (2003). 1128.
Property Rights: Cooperation, Conflict, Cheung S. (1970). The Structure of a
and Law. Princeton, New Jersey, Prin- Contract and the Theory of a Non-
ceton University Press. Exclusive Resource. Journal of Law
Arrow K. (1983). The Organization of and Economics, n°13, p.49-70.
Economic Activity: Issues Pertinent to Coase R.-H. (1937). The Nature of the
the Choice of Market versus Nonmar- Firm. Economica, n°4, p. 386-405.
ket Allocation. Cambridge, MA: Har- Coase R.-H. (1960). The Problem of
vard University Press, General Equili- Social Cost. Journal of Law and Eco-
brium, Collected Papers, vol. 2. nomics, n°3, p. 1-43.
Aslanbeigui N., Medema S.G. (1998). Coase R.-H. (1974). The Lighthouse in
Beyond the Dark Clouds: Pigou and Economics. Journal of Law and Eco-
Coase on Social Cost. History of Poli- nomics, 17 (2), p. 357-376.
tical Economy, 30(4), p. 600-625. Coase R.-H. (1988). The Firm, the Mar-
Barnett A.-H.,Yandle B. The End of the ket, and the Law. Chicago, The Uni-
Externality Revolution. Social Philo- versity of Chicago Press.
sophy & Policy, 26(2), à paraître. Cordato R. (2004). Toward An Austrian
Barzel Y. (1982). Measurement costs and Theory of Environmental Economics.
the organization of markets. Journal of The Quarterly Journal of Austrian Eco-
Law and Economics, 25 (1), p. 27-48. nomics, 7(1), p.3-16.
Barzel Y. (2005). Organizational Forms Cornes R., Sandler T. (1996). The Theory
and Measurement Costs. Journal of of Externalities, Public Goods, and
Institutional and Theoretical Econo- Club Goods. Cambridge, Cambridge
mics, 161(3), p. 357-373. University Press.
Baumol W.-J., Oates W.E. (1988). The Cropper M.-L., Oates W.E. (1992). Envi-
Theory of Environmental Policy. Cam- ronmental Economics: A Survey. Jour-
bridge, Cambridge University Press. nal of Economic Literature, XXX, p.
Bougherara D., Grolleau G., Mzoughi 675-740.
N. How Can Transaction Cost Econo- Dahlman C.-J. (1979). The Problem of
mics Help Regulators Choose Between Externality. Journal of Law and Eco-
Environmental Policy Instruments? nomics, n°22, p. 141-162.
Research in Law and Economics, à De Alessi M. (2005). Conservation
paraître. Through Private Initiative: Harnes-

16 • ÉCONOMIE RURALE 311/MAI-JUIN 2009


RECHERCHES
Gilles GROLLEAU, Salima SALHI

sing American Ingenuity to Preserve of Economic Externalities. New York,


Our Nation’s Resources, Reason, Ed. Academic Press.
Policy Study, 328 p. Lueck D., Michael J.-A. (2003). Preemp-
Delmas M., Marcus A. (2004). Firm’s tive Habitat Destruction under the
Choice of Regulatory Instruments to Endangered Species Act. Journal of
Reduce Pollution: A Transaction Cost Law and Economics, n° 46, p. 27-60.
Approach. Business and Politics, 6(3), Marshall A. (1890). The Principles of
Article 3, http://fiesta.bren.ucsb.edu/ Economics. London: Macmillan.
~delmas/webpage/Papers/Delmas-Mar- McCann L., Easter K.W. (1999). Tran-
cus-Bpol.pdf. saction Costs of Policies to Reduce
Demsetz H. (1967). Toward a Theory of Agricultural Phosphorous Pollution in
Property Rights. American Economic the Minnesota River. Land Economics,
Review, 57 (2), p. 347-59. 75(3), p. 402-414.
Demsetz H. (1969). Information and Effi- McCann L., Colby B., Easter K.W., Kas-
ciency: Another Viewpoint. Journal terine A., Kuperan K.V. (2005). Tran-
of Law and Economics, n° 12, p. 1-22. saction Cost Measurement for Evalua-
Déprés C., Grolleau G., Mzoughi N. ting Environmental Policies. Ecological
(2008). Contracting for Environmental Economics, n° 52, p. 527-542.
Property Rights: The Case of Vittel. Meade J.-E. (1973). The theory of Eco-
Economica, 75(299), p. 412-434. nomic Externalities. The Control of
Esty C.D. (2004). Environmental Pro- Environmental Pollution and Similar
tection in the Information Age. New Social Costs. Sweden: Sijhoff, Leiden.
York University Law Review, n° 79, Mishan E.-J. (1971). The postwar litera-
p. 115-211. ture on externalities: An interpretative
Falconer K., Dupraz P., Whitby M. essay. Journal of Economic Literature,
(2001). An investigation of policy 9(1), p. 1-28.
administrative costs using panel data for OECD (2001). Encouraging environ-
the english environmentally sensitive mentally sustainable growth: expe-
areas. Journal of Agricultural Econo- rience in OECD countries. OECD Eco-
mics, n° 52, p. 83-103. nomic Outlook, June, p. 187-207.
Haddock D.-D. (2004). Irrelevant Exter- Olson M. (1965). The Logic of Collective
nality Angst. Northwestern University Action: Public Goods and Theory of
and PERC, Mimeo. Groups. Cambridge, MA: Harvard
Heller W.P., Starett D.A. (1976). On the University Press.
Nature of Externalities. In “Lin S.A.Y. Paavola J., Adger W. N. (2005). Institu-
Theory and Measurement of Econo- tional Ecological Economics. Ecolo-
mic Externalities”, New York, Acade- gical Economics, n° 53, p. 353-368.
mic Press. Pigou A.C. (1920). The Economics of
Husted B. (2004). A Comparative Insti- welfare. London, Macmillan.
tutional Approach to Environmental Parker D. (2004) Land Trusts and the
Regulation: The Case of Environmen- Choice to Conserve Land with Conser-
tal Degradation Along the U.S.-Mexico vation Easements or Full Ownership,
Border. Research in Human Ecology, Natural Resources Journal, 44(2),
11(3), p. 260-270. p. 483-518.
Klink F.-A. (1994). Pigou and Coase Peltzman S. (1989). The Economic
Reconsidered. Land Economics, 70(3), Theory of Regulation after a Decade of
p. 386-390. Deregulations. Brookings Papers on
Lin S. (1976). Theory and Measurement Economic Activity, p. 1-41.

ÉCONOMIE RURALE 311/MAI-JUIN 2009 • 17


Externalité et transaction environnementale

Randall A. (1974). Coasean externality mics of Governance. American Eco-


theory in a policy context. Natural nomic Review, 95(2), p. 1-18.
Resources Journal, n° 14, p. 35-54. Yandle B. (1999). Public Choice at the
Randall A. (1993). The Problem of Mar- Intersection of Environmental Law and
ket Failure. In Dorfman R. and Dorf- Economics. European Journal of Law
man N.S., “Economics of the Environ- and Economics, n° 8, p. 5-27.
ment ”. New York, W.W. Norton, Zerbe R.-O., McCurdy H.E. (1999). The
Selected Readings, p. 144-161. Failure of Market Failure. Journal of
Richards K.-R. (2000). Framing Envi- Policy Analysis and Management,
ronmental Policy Instrument Choice. 18(4), p. 558-578.
Duke Environmental Law and Policy
Forum, 10(2), p. 221-285.
Richman B.-D., Boerner C. (2006). A
Transaction Cost Economizing
Approach to Regulation: Understan-
ding the NIMBY Problem and Impro-
ving Regulatory Responses. Yale Jour-
nal on Regularion, n° 23, p. 29-76
Salzman J. (2005). Creating Markets for
Ecosystem Services: Notes from the
Field. New York University Law
Review, 80(3), p. 870-961.
Schmidtz D. (1991). The Limits of
Government, an Essay on the Public
Goods Argument. Westview Press.
Scitovsky T. (1954). Two concepts of
external economies. Journal of Politi-
cal Economy, 62(2), p. 143-151.
Smith J.-R. (1988). Private Solutions to
Conservation Problems, in the Theory
of Market Failure. Fairfax, VA: George
Mason University Press, Ed. Tyler
Cowen.
Stroup R.-L. (2004). Economic Freedom
and Environmental Quality. In Wynne
M.A., Rosenblum H. and Formaini
R.L. (Eds.), “The Legacy of Milton and
Rose Friedman’s Free to Choose Fede-
ral Bank of Dallas”, October 23-24,
p. 73-90.
Vatn A., Bromley D.-W. (1997). Exter-
nalities - A Market Model Failure.
Environmental and Resource Econo-
mics, n° 9, p. 135-151.
Williamson O.-E. (1996). The mecha-
nisms of governance. New York,
Oxford University Press.
Williamson O.-E. (2005). The Econo-

18 • ÉCONOMIE RURALE 311/MAI-JUIN 2009

Vous aimerez peut-être aussi