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Genres et familles de genres : apports pour l'acquisition de

la compétence générique dans le domaine académique


Guiomar Elena Ciapuscio
Dans Éla. Études de linguistique appliquée 2007/4 (n° 148), pages 405 à 416
Éditions Klincksieck
ISSN 0071-190X
ISBN 9782252036105
DOI 10.3917/ela.148.0405
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GENRES ET FAMILLES DE GENRES :
APPORTS POUR L’ACQUISITION
DE LA COMPÉTENCE GÉNÉRIQUE
DANS LE DOMAINE ACADÉMIQUE

Résumé : Dans cet article, nous présentons quelques réflexions inspirées de


la Linguistique des genres (Adamzik, 2000), l’une des directions les plus vita-
les de la linguistique textuelle allemande. Nous nous proposons de contribuer
à améliorer l´acquisition des compétences en genres oraux et écrits des dis-
cours spécialisés et d’offrir des alternatives au procédé classique et laborieux
d’imitation des « maîtres » et des modèles existants – méthode utilisée presque
exclusivement jusqu’à présent, aussi bien dans le contexte national qu’interna-
tional. Pour ce faire, nous prendrons comme base une thématique d´intérêt con-
temporain : le rapport entre les genres, souvent mentionné par les expressions
« famille de genres » (Bergmann et Luckmann, 1995), « parenté de genres »
(Martin et Rose 2002), « colonies de genres » (Bhatia, 2004). Notre propos est
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d’avancer dans ce débat et, à partir des genres académiques/scientifiques, en
exploiter les résultats pour proposer des orientations qui permettent la mise en
œuvre de propositions didactiques consistantes, favorisant l’acquisition de la
compétence générique dans le domaine académique.

Il y a presque vingt ans déjà, Harald Weinrich (1989) plaidait pour le


besoin de réaliser des recherches empiriques sur les genres oraux et écrits
employés par les scientifiques, afin de les utiliser comme intrants pour facili-
ter aux scientifiques débutants l’acquisition de compétences pour les discours
spécialisés. À ce moment-là, l’expérience montrait – et elle le fait encore
aujourd’hui – que ces compétences étaient acquises, pour la plupart, au
moyen d’un processus laborieux d’imitation des « maîtres » et des modèles
existants. En Argentine, depuis le milieu des années 1990, les études de troi-
sième cycle et les instances de formation de chercheurs – rares au cours des
années précédant le retour à la démocratie – se sont remarquablement déve-
loppées (Ciapuscio, 2007), ce qui a provoqué un accroissement soutenu de
la demande de formation spécialisée pour l’écriture académique ; par suite
de ce mouvement, les universités ont mis en œuvre diverses initiatives telles
que des ateliers d’écriture académique et des cours de rédaction spécialisée,

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qui proposent des connaissances et des outils pour améliorer ces pratiques,
en particulier, celle de l’écriture. Parallèlement, les performances médiocres
des étudiants et le besoin d’améliorer la formation pour le développement de
ces compétences continuent de susciter de façon évidente la préoccupation
des spécialistes.
Nous voudrions, dans cet article, apporter notre contribution à cette
tâche et, pour ce faire, nous prendrons pour base une thématique qui éveille
l’intérêt à l’heure actuelle : il s’agit du débat sur le rapport entre les genres,
souvent mentionné par les expressions « famille de genres » (Bergmann et
Luckmann, 1995), « parenté de genres » (Martin et Rose, 2002), « colonies
de genres » (Bhatia, 2004). Notre propos est d’avancer dans ce débat et, en
prenant comme base les genres académiques scientifiques, en exploiter les
résultats pour présenter des orientations pour le développement de propo-
sitions didactiques consistantes, favorisant l’acquisition de la compétence
générique dans le domaine académique.

TEXTE, PATRONS TEXTUELS ET GENRES

Le cadre de ces réflexions est celui de la linguistique textuelle allemande


et, spécifiquement, ce qui y est désigné par l’expression linguistique des gen-
res (Adamzik, 2000). Nous considérons les textes comme des objets com-
plexes, caractérisés par la propriété de la textualité, de nature prototypique
(Sandig, 2000 : 99) : elle consiste en un ensemble de traits concernant les
différents niveaux ou dimensions constitutives des textes : la fonctionna-
lité, la situationnalité, la thématicité et la forme linguistique (Heinemann
et Heinemann, 2002 : 104 ; Ciapuscio, 2004). Les textes sont toujours des
représentants d’un genre de textes (classes textuelles) : ces classes peuvent
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être décrites en termes de groupements de textes, sur la base de traits prototy-
piques se rapportant à leurs différentes dimensions constitutives (cf. supra).
Il faut, en outre, distinguer les genres des patrons textuels (en allemand,
« Muster ») dont ils proviennent (Heinemann, 2000). Il y a un consensus
pour dire que la connaissance des patrons textuels globaux est acquise et
élargie sur la base des expériences communicatives et que cette connaissance
joue un rôle central dans les activités de production et de compréhension des
textes. En tant que locuteurs, nous sommes régulièrement obligés de faire
face au besoin de réaliser certaines tâches communicatives et nous résolvons
ces problèmes de manière plutôt identique (ou similaire). Les patrons textuels
sont des ressources préformées sociales et structurales aptes à « résoudre »
des tâches communicatives réitérées, ils constituent des orientations géné-
rales sur les propriétés des textes, variables suivant l’expérience communi-
cative de l’individu, suivant sa formation et son domaine d’activité. Ainsi,
comme locuteurs, nous disposons d’un « budget communicatif » (Bergmann
et Luckmann, 1995 : 301), consistant en différents types de processus com-
municatifs, dont une grande partie possède une structure systématique, c’est-
à-dire un champ de genres communicatifs (ibid.). Les genres du discours
spécialisé sont des classes de textes plus ou moins standardisées, qui sont
employées pour résoudre des tâches communicatives régulières dans les

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espaces de création et de communication des connaissances. De la même
manière que la connaissance spécialisée est acquise de façon volontaire et au
moyen d’un apprentissage explicite et formel (Cabré, 2002), l’acquisition de
compétences concernant les genres qui portent une connaissance spécialisée
possède aussi ces caractéristiques.

PARENTÉ ENTRE LES GENRES ET COMPÉTENCE GÉNÉRIQUE

Les différents genres employés par une communauté ne sont pas isolés les
uns des autres, au contraire, il y a des rapports entre eux et même des zones de
chevauchement : par exemple, les différents types de rapport (rapport annuel,
rapport de recherche, rapport de presse, rapport de voyage, etc.), d’entretiens
(entretien journalistique, de travail, médical) ou d’annonces (recherche de
personnel, offre de produits et de services, etc.). Chez des auteurs appartenant
aux courants linguistiques qui étudient les genres, nous pouvons remarquer
le souci d’exploration, de description et de systématisation des rapports entre
les différents genres qui constituent le patrimoine d’une communauté donnée.
En général, dans les diverses approches, cet intérêt est le résultat d’un souci
analytique, c’est-à-dire, du besoin d’établir des classements plus satisfaisants
et, accessoirement, d’approfondir la connaissance des différents genres. Dans
d’autres cas, les réflexions sont orientées vers l’élucidation de la nature du
patrimoine communicatif de la société et vers la détermination de formes
génériques « apparentées » 1. Les modalités d’interprétation des liens entre
les genres varient autant que les terminologies : ainsi, la linguistique textuelle
les conçoit explicitement comme une échelle allant du plus fort au plus faible
degré d’abstraction (Werlich, 1975, Heinemann et Heinemann 2002) ; la lin-
guistique systémique fonctionnelle le fait en termes de parenté (Martin, 1997,
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Martin et Rose, 2002) et de colonies (Bhatia, 2004), du fait de la similarité
fonctionnelle ; d’autres penseurs à orientation sociologique communicative
soutiennent le terme de familles (Bergmann et Luckmann, 1995).
Dans la linguistique textuelle, les premiers travaux des années 1970, axés
sur la proposition de typologies (cf. Ciapuscio, 1994), permettent de consta-
ter le souci d’établir des rapports entre des genres qui possèdent un degré
d’abstraction allant du plus fort au plus faible (cf. Werlich, 1975). Dans les
approches contemporaines, nous trouvons des propositions similaires qui
soulignent l’importance de la perspective de l’analyste dans la typologisation.
Heinemann et Heinemann (2002 :143) présentent une taxonomie du plus fort
au plus faible degré d’abstraction et un ensemble d’étiquettes décrivant les
niveaux différenciés. Le schéma ci-dessous illustre cette idée : le type textuel
représente le niveau le plus abstrait du classement ; cependant, celui-ci est
relatif, c’est la perspective – l’objectif du classement – qui détermine le par-
cours de l’analyste (par exemple, s’il commence – ou s’il finit – par « texte
informatif vs. texte écrit ») :

1. Cf. l’analyse de Bergmann et Luckmann (1995) sur le commérage, comme type de genre
reconstructif.

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Figure 1
Type textuel Texte informatif Texte écrit

Classe de genre 2 Texte écrit Texte de droit

Classe de genre 1 Texte journalistique Texte qui assoit un droit

Genre Bulletin météorologique Arrêté

Variante de genre Bulletin météorologique pour voyage Arrêté de circulation

Des travaux récents de la linguistique systémique fonctionnelle ont pré-


senté le besoin d’une topologie de genres, destinée à établir des degrés de
proximité et d’éloignement entre des genres appartenant à une catégorie plus
générale ou sur-ordonnée (Martin, 1997 :13). Bathia (2004 : 57-58) propose
le concept de « colonies de genres », définies comme un ensemble de genres
liés dont les membres ne respectent pas les limites entre les disciplines ; il
s’agit de groupements de genres partageant des visées communicatives mais
pouvant différer sur d’autres aspects tels que les affiliations à une discipline
ou à une profession, les contextes d’usage, les rapports entre les participants,
etc. Dans le schéma ci-dessous, l’auteur illustre le concept sur la base du cas
de la colonie des genres promotionnels (ibid. : 59) :
Figure 2 : Genres promotionnels (Bhatia, 2004 : 59)
CRITÈRES SPÉCIFICATION DE GENRE NIVEAU DE
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D’IDENTIFICATION GENRE

ACTE RHÉTORIQUE DESCRIPTION ÉVALUATION VALEUR


GÉNÉRIQUE

PROPOS GENRES PROMOTIONNELS COLONIE DE


COMMUNICATIF GENRES
(GÉNÉRAL)
PROPOS BOOK BLURBS ANNONCES LETTRES DE CANDIDATURE GENRES
COMMUNICATIFS
SPÉCIFIQUES

MÉDIA ANNONCES TÉLÉVISION ANNONCES PRESSE ÉCRITE ANNONCES RADIO SOUS-GENRES

PRODUIT ANNONCES VOITURES ANNONCES LIGNES AÉRIENNES (…. ) SOUS-GENRES

PARTICIPANTS POUR TOURISTES POUR HOMMES D’AFFAIRES SOUS-GENRE

Nous pouvons voir que la proposition de colonie est aussi fondée sur la
discrimination des niveaux de généralisation/concrétisation : les genres pro-
motionnels sont définis par leur visée communicative générale commune ; la
différenciation suivante, correspondant au niveau de genre proprement dit,
est fondée sur la visée communicative spécifique (néanmoins, suivant les
exemples, des critères de domaine ou de thème – book blurbs, lettres de can-

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didature – seront aussi concernés) ; ensuite, au niveau des sous-genres – qui
est récursif – la discrimination se trouve d’abord dans le media ou canal,
ensuite dans le type d’objet (de référence ou produit) et, enfin, dans les par-
ticipants. En somme, la dimension fonctionnelle constitue le critère central
auquel viennent s’ajouter des critères d’autres dimensions (situationnelle et
thématique), pour avancer en ce qui concerne le degré de concrétisation. La
base conceptuelle de la métaphore de la colonie est spatiale.
Dans les deux propositions présentées (figures 1 et 2), les liens se basent
sur la coïncidence des finalités communicatives, l’occupation du même
« territoire », et sur des oppositions concernant des facteurs tels que les
domaines communicatifs, le type de canal, le thème, etc. : les similitudes
et les divergences expliquent ainsi la proximité ou l’éloignement relatifs
des genres. Les propositions, qui permettent à l’analyste de conceptuali-
ser un champ complexe et de rendre compte, d’une manière générale, des
rapports entre les genres, présentent des rapprochements taxonomiques qui
établissent des critères d’identification pour les différents niveaux d’abs-
traction ou de délimitations des genres. Les deux propositions présentent
la parenté des genres en termes fondamentalement statiques 2 : elles per-
mettent d’identifier des relations qui ne vont pas au-delà de la similarité
et la différence, conçues en termes d’un degré plus fort ou plus faible de
généralisation, et elles visent spécialement l’activité d’organisation ou de
classement de l’analyste.

FAMILLES DE GENRES

Nous proposerons ci-après une vision complémentaire des relations géné-


riques, conçue en termes dynamiques : plutôt que de poursuivre des objectifs
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taxonomiques, elle se veut utile pour des propos appliqués, plus spécifique-
ment pour concevoir des orientations et des propositions pour l’acquisition
des genres spécialisés. La perspective dynamique est basée sur l’idée que
chaque domaine d’activité développe ses propres formes génériques comme
des stratégies de solution préformées pour les tâches propres à ce domaine ; les
genres doivent être conçus sur un double plan : ils ont, d’une part, une structure
externe résultant du rapport entre l’action communicative qu’ils matérialisent
et la structure sociale sur laquelle ils se fondent et, d’autre part, ils possèdent
une structure interne provenant de leur fonction fondamentale et de leur base
matérielle linguistique (Bergmann et Luckmann, 1995 : 291). Nous préférons
la métaphore de la famille à celle de la colonie, car elle suggère que les rapports
entre les genres vont au-delà du simple partage d’un territoire en termes d’un
plus grand éloignement ou d’une plus grande proximité : la métaphore de la
famille, qui s’est avérée productive pour conceptualiser des rapports entre des
unités linguistiques (famille de mots, famille de langues), désigne plus nette-
ment l’existence de liens entre les genres et, fondamentalement, elle permet

2. Il faut préciser qu’on vérifie dans certains modèles la préoccupation pour expliquer les proces-
sus de mélange et d´appropriation des ressources génériques (Martin 1997 : 15 ; Bhatia, 2004 : 75).

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d’exprimer l’idée que les membres de la famille jouent différents rôles dans le
cadre général actionnel qui les fait naître et leur donne un sens.
Nous fonderons cette idée sur une famille de genres qui peut être pos-
tulée sur la base de propriétés solidement assises : les genres du processus
de recherche. Nous inclurons dans cet ensemble les genres d’initiation à la
recherche (exposés oraux, mémoires, projets de thèse, affiches, communi-
cations, thèses) et les genres de la pratique disciplinaire (comptes rendus,
débats entre scientifiques, articles de recherche, livres, rapports de recherche,
évaluations par des pairs, etc.). Les genres du processus de recherche ont
été élaborés et sont employés par une communauté de discours donnée, for-
mée par les membres experts de la discipline en question, et ils doivent être
acquis par ses membres « apprentis » ; tous partagent le but social et commu-
nicatif de produire et de transmettre des connaissances significatives dans le
domaine de leurs disciplines (cf. Swales, 1990).
En plus du but communicatif général commun, nous invoquerons l’exis-
tence d’autres liens importants : tous réalisent, au point de vue textuel et
linguistique, partiellement ou totalement, la procédure scientifique elle-
même ; d’autre part, ils sont orientés (ou doivent l’être) dans l’ethos de la
science. Les deux aspects, ainsi que le propos fonctionnel général, sont
le fondement épistémologique qui donne une unité ou le sens de famille
aux genres du processus de recherche. Pour soutenir cette idée, nous nous
appuierons sur quelques réflexions formulées par Weinrich (1995), dans
un essai où il argumente en faveur de l’unité des différentes disciplines
(et où il réfute la thèse très connue des deux cultures – cf. Snow, 1959).
La science est en elle-même une activité communicative : la science naît
lorsqu’elle est communiquée à d’autres ; une connaissance acquiert de la
valeur « scientifique » (c’est-à-dire, provisoirement « vraie ») quand elle
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est soumise à la critique et à l’acceptation des pairs. L’unité des diffé-
rentes disciplines est démontrée par la communauté rhétorique des genres
les plus importants pour la communication de résultats originaux de ce
que l’on appelle métaphoriquement les sciences dures et les sciences
molles : l’article de recherche (dorénavant, AR), comme un représentant
paradigmatique des premières, et le livre monographique pour ce qui est
des sciences humaines. Dans deux représentants textuels remarquables
des deux genres 3, Weinrich identifie et fonde l’existence de quatre parties
rhétoriques :
• L’état des recherches (the state of the art)
• Le travail de recherche propre
• La discussion des résultats
• Le panorama pour des recherches futures

3. Watson, J.-F. Crick 1953. « A Structure for Deoxyribose Nucleic Acids », Nature, p. 171, p. 737-
738 ; Yates, F. 1966. The Art of Memory, Londres, 1966.

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La communauté de ces quatre parties rhétoriques dans deux genres au
contenu et à l’étendue aussi dissemblables s’explique par le fait qu’elles
reflètent la modalité du travail scientifique, la procédure suivie par le spé-
cialiste quand il réalise une recherche, quelle que soit sa discipline. En
outre, les quatre parties rhétoriques permettent d’apprécier l’importance
de l’aspect communicatif de l’activité scientifique : les parties II et III, où
l’on communique et l’on discute le travail de recherche empirique, sont
entourées de la partie I, qui introduit l’état de la recherche, autrement dit,
ce que d’autres collègues ont fait sur le thème, et de la partie IV, qui éta-
blit la connexion avec le processus de recherche futur (ce qui reste à faire
par d’autres ou par le chercheur lui-même). C’est en particulier au moyen
de ces deux parties textuelles que le chercheur s’organise dans l’ensemble
communicatif de sa discipline.
Cette rhétorique fondée sur la procédure scientifique doit, en outre,
s’orienter dans l’ethos de la science : à chaque partie textuelle correspond
une valeur de vérité vers laquelle doit tendre toute activité scientifique (et tout
texte qui en découle). Ainsi, la première partie textuelle est liée à une vérité
de référence, qui existe lorsque l’état de la recherche est présenté suivant
des règles du jeu valables, avec la profondeur historique due et de manière
honnête. La deuxième partie, qui présente la recherche propre, est soumise
à la vérité de protocole, qui est simplement assurée lorsque les résultats sont
rapportés sans intentions opportunistes ni falsification. La vérité spécifique
qui doit être assignée à la troisième partie est appelée vérité de dialogue car,
lors de la discussion de ses propres résultats, l’auteur anticipe le dialogue
critique avec ses collègues (et il s’agit, pour cette raison, d’une vérité du
type argumentatif). Finalement, la quatrième partie textuelle a aussi sa pro-
pre vérité, qui s’appelle vérité d’orientation ou vérité communicative. Vérité
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de référence, vérité de protocole, vérité de dialogue et vérité d’orientation
– résultant des quatre étapes canoniques de l’article scientifique – sont donc
quatre aspects d’une obligation de vérité que doit suivre la procédure scien-
tifique dans toutes les disciplines.
Si nous étendons la portée de cette idée de Weinrich, nous pouvons pro-
poser que chaque étape canonique de la procédure scientifique se réalise
dans les différents genres du processus de recherche ou, par la formulation
inverse : les différents genres constituant la famille des genres de recherche
s’associent systématiquement avec une étape (ou plusieurs) de la procé-
dure scientifique. « L’embryon » auquel se réfère la famille est le fait que
la procédure scientifique est sous-jacente à tous les genres, ce qui se reflète
complètement dans les parties canoniques de l’AR et du livre de recherche ;
la famille possède des genres d’initiation et des genres de la pratique dis-
ciplinaire, tels qu’ils sont employés par les membres experts de la commu-
nauté concernée.
Considérons la première étape de la procédure scientifique, le rapport de
l’état des recherches sur le thème, sur la base des genres d’initiation. Cette
étape peut être matérialisée au moyen des divers genres oraux et écrits, tel
que cela est illustré dans la figure 3 :

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Figure 3

Exposé
oral
Rapport Compte
de lecture rendu

État des
recherches
préalables Exposé
Discussion
Synthèse de la biblio-
oral
graphie

Chapitre
Antécédents État
théoriques Question
(AR) (thèse)

Les divers genres oraux et écrit constituant cette sous-famille, dont la


visée commune est de faire le point sur l’état des recherches sur un sujet
donné, sont liés entre eux par des rapports de différentes sortes, fondés sur
différentes dimensions textuelles. Par exemple, l’exposé oral de bibliogra-
phie et le rapport de lecture s’opposent dans la dimension situationnelle par
les paramètres oralité/écriture ; la section de l’AR « antécédents théoriques »
et le chapitre de l’état de la question d’une thèse s’opposent dans les dimen-
sions de thématicité et de forme linguistique par une relation de réduction/
expansion sémantico-formelle ; à leur tour, ces deux genres s’opposent au
compte rendu par leur caractère inclus face à l’autonomie textuelle qui carac-
térise celui-ci. Autrement dit, les membres de la famille des genres de
recherche sont liés par des relations bilatérales et multilatérales de diffé-
rentes sortes, associées aux diverses dimensions textuelles ; une fois identi-
fiée et étudiée, la spécificité de ces liens peut être employée pour formuler et
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concevoir des propositions didactiques concrètes.
L’étape suivante, concernant le rapport propre du travail de recherche,
comporte une complexité de genre accrue et le besoin de distinguer entre les
genres d’initiation à la recherche et les genres de la pratique disciplinaire
elle-même, employés par les membres les plus expérimentés. Le schéma 4
présente une illustration partielle des genres d’initiation à la recherche :
Figure 4

Mémoire
Proposition/ Proposition/
mémoire projet

Travail de
recherche
Abstract Projet
propre

Section Section
Matériaux et Matériaux et
méthodes/ méthodes/
Résultats Commu- Résultats
(thèse) nication/ (AR)
Débat

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Comme nous pouvons le voir, cette étape comprend les parties essen-
tielles des genres complexes (l’article de recherche, la thèse, le livre) : nous
nous référons aux sections des Matériaux et Méthodes et Résultats. Enfin,
nous avons subsumé en une seule étape les parties rhétoriques concernant
Discussion des Résultats et Panorama, puisqu’elles convergent normalement
vers un même genre ou une même section générique.
Figure 5

Soutenance

Section
conclusions Réplique
AR

Discussion
Panorama

Section Évaluation
conclusions par les pairs
de thèse
Discussion
Panel

Ces parties rhétoriques, à fort contenu argumentatif et polémique, se trou-


vent dans les sections finales des genres majeurs et elles sont souvent maté-
rialisées par des genres oraux indépendants, propres aux membres experts de
la communauté. Elles sont représentées de manière paradigmatique par les
genres de l’évaluation, à la charge des arbitres et des pairs, qui décident de la
validité du travail de recherche. La figure 6 ci-après propose une synthèse de
ce qui a été dit. Tandis que chaque partie canonique peut être réalisée en
genres individuels ou en parties génériques, les genres centraux de la
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recherche (la thèse lorsqu’il s’agit des genres d’initiation, l’AR et le livre
pour les pratiques des disciplines) sont les genres complexes réalisant la tota-
lité des étapes canoniques de la procédure scientifique.
Figure 6

G5
G1 G4
G6
THÈSE
G2 ÉTAT DES
RECHERCHES G7

AR G3 TRAVAIL DE RECHERCHE G8
PROPRE
G9

G10
G 12
LIVRE DISCUSSION ET PANORAMA
G 11
G 13
G 14 G 15

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Cette vision dynamique des familles de genres, conçues en termes de gen-
res membres concrétisant les étapes des tâches propres au domaine discur-
sif et ayant des liens qui peuvent être systématiquement explicités – et qui
devraient faire l’objet de recherches spécifiques approfondies – pourrait être
un instrument utile pour l’élaboration des stratégies et des propositions spéci-
fiques en vue de faciliter la compétence générique dans le domaine académi-
que. Il serait possible, par exemple, d’établir des progressions, comme celles
de la figure 7, considérant les degrés de complexité des différents genres et
leurs imbrications caractéristiques.
Figure 7
PROGRESSION GENRES (Figure 7)

ORALITÉ ÉCRITURE

moins de complexité plus de complexité


EXPOSÉ DE → EVALUATION → COMPTE-RENDU → PRÉSENTATION ET → ARTICLE (Rev.
BIBLIOGRAPHIE GROUPE CRITIQUE EVALUATION GROUPE bibliographie)
(Individuel) (individuel) CHAPITRE THÈSE
(État de la question)

EXPOSÉ D’ → ÉVALUATION→ ABSTRACT / COMMUNICATION → PRÉSENTATION → ARTICLE (..)


ABSTRACT CONGRÈS GROUPE (individuel) ET ÉVALUATION GROUPE

EXPOSÉ → ÉVALUATION → RÉVISION → SIMULATION PRÉSENTATION → LIVRE


RÉSULTATS THÈSE GROUPE/ QUESTIONS THÈSE + ÉVALUATION GROUPE

plus de complexité

Dans ce schéma, nous avons inclus les formes génériques orales qui jouent
le rôle de charnières entre les genres écrits, qui représentent des instances
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d’exposé individuel et de discussion de groupe et qui permettent le débat,
les révisions et la mise en commun, sur la base de la collaboration critique
des pairs et des experts, condition incontournable du travail scientifique. La
spécificité des rapports entre les genres apparentés (expansion/réduction,
oralité/écriture, destinataires pairs/arbitres, etc.) peut être mise à profit pour
concevoir des activités et des exercices spécifiques.

4. CONCLUSIONS

La proposition de la famille de genres, de nature dynamique et fondée sur


le concept des genres en tant que solutions régulières ou préformées pour des
tâches répétées dans chaque domaine discursif, a été fondée sur le cas des
genres de recherche. La science est une activité éminemment communica-
tive, réalisée par une communauté de discours qui partage non seulement des
buts généraux mais aussi une procédure de travail commune à toutes les dis-
ciplines et orientée par un ethos partagé : ces facteurs constitutifs du « faire
de la science » déterminent un « capital » propre qui forme une famille de
genres. Il est possible que cette idée soit utile pour promouvoir et développer
l’acquisition de compétence des genres spécialisés.

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415
Pour conclure, quelques considérations qui respectent l’étape générique
attendue (le panorama) : il faudrait, évidemment, concevoir des proposi-
tions didactiques spécifiques, les mettre en œuvre et évaluer leurs résultats
afin de vérifier la validité de la proposition présentée. Enfin, bien qu’il
soit cohérent et raisonnable de supposer que nous pouvons généraliser la
proposition de la conception des familles de genres en termes dynamiques
(c’est-à-dire, en termes de processus et de procédures orientés vers des
objectifs communicatifs), il faudrait mettre à l’épreuve cette idée dans
d’autres domaines spécialisés et d’autres sphères de la communication ins-
titutionnelle 4.
Guiomar Elena CIAPUSCIO
Université de Buenos Aires
Consejo Nacional de Investigaciones Científicas y Técnicas
traduit de l’espagnol par Gabriela Roveda

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4. Je tiens à remercier Gabriela Roveda pour la traduction en français de mon article.

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