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Colloque international Hybride : Réception des Etudes Américaines en Afrique Noire

Axe 10 : L’Amérique, L’Afrique et les Caraïbes

Kalidou Ousmane SY, Doctorant, Université Gaston Berger de Saint-Louis, Sénégal

« Le processus de transformation de la Caraïbe en société arc-en-ciel à travers les


œuvres de Jamaica Kincaid et Michelle Cliff ».

Résumé
La région des Caraïbes que nous connaissons aujourd’hui est le fruit de plusieurs mutations et
mélanges socioculturels qui sont les conséquences directes de la colonisation. Les auteurs
originaires des Caraïbes tels que Jamaica Kincaid et Michelle Cliff s’intéressent
fondamentalement à la situation postcolonial de la région. Le présent article propose une
analyse des mécanismes qui ont mené à la transformation de la région en arc en ciel socio-
culturel avec une identité et des peuples hybrides. Il s’agit également de montrer que la
suprématie culturelle occident est telle que la collision des cultures décrite par les auteurs
caribéens n’est rien d’autre que l’absorption et l’aliénation des cultures colonisés au sein de la
puissante culture du colon. Au final, malgré les efforts de conservations de leurs cultures
originels, les Caraïbes se retrouvent avec une identité métissée.

Mots clés : Processus, transformation, société, arc-en-ciel

Introduction
Située entre le golfe du Mexique, l’Océan Atlantique et la mer des Caraïbes, la zone des
Caraïbes est une région foncièrement métissée. De la prétendue découverte des Amérique par
Christophe Colombe, en passant par le nombre exorbitant d’esclaves débarqués dans la région
en provenance d’Afrique, jusqu’aux récentes vagues d’immigration asiatique et juifs fuyant
les persécutions occidentales, la Caraïbe est devenue un arc-en-ciel socioculturel. Cette
situation a été parfaitement représenté dans les œuvres de Jamaica Kincaid et Michelle Cliff
qui vont nous servir de donnés d’étude pour comprendre le métissage démographique et
culturel des Caraïbes.

A l’instar de Kincaid et Cliff, cette question du métissage démographique et culturel a été


également traité par presque tous les auteurs afro-caribéens dans une perspective postcolonial
de déconstruction du discours colonial et de recherche identitaire. Cette article tente, de suivre
le processus de transformation des Caraïbes en société arc-en-ciel avec la fusion d’éléments
ethniques provenant des quatre coins du globe. En effet, il propose d’étudier à travers les
œuvres de Kincaid et Cliff, les différentes étapes du métissage culturel subit par les peuples
caribéens tout au long de leur histoire coloniale. En ce sens, il sera également question
d’exposer les mécanismes qui ont abouti à la création de l’identité hybride des peuples
colonisé dans une région qui vit toujours les conséquences de la colonisation plus d’un demi-
siècle après la fin officielle de celle-ci.

I. Le mécanisme d’hybridité ou la collision des cultures


La structure coloniale des Caraïbes, comme presque partout ailleurs à l’époque, était basée sur
une forte croyance raciale selon laquelle les Européens étaient supérieurs aux autres races qui
étaient à la recherche d'une civilisation et d'un leadership. Par conséquent, il fut vital de
catégoriser et de séparer les races pour maintenir un certain équilibre. La croyance fallacieuse
en des races distinctes dans les discours occidentaux du XIXe siècle sur le racisme
scientifique, reposait sur une frontière immuable entre les Européens blancs et les autres. Le
terme "hybridité" a donc été utilisé pour décrire une situation dans laquelle ces frontières
raciales sont franchies, entraînant un mélange qui détruisait l’ordre sociale établie. Des
appellations discriminatoires telles que "métisse" ou "bâtard" définissaient ces mélanges
raciales négatives aux yeux des colonialistes blancs. La pureté et la fixité de l'identité
occidentale ont été maintenues en étiquetant les autres personnes, surtout les métisses, comme
impurs sur le plan racial et culturel.
Pourtant, la Caraïbe est un lieu de rencontre de nombreux groupes ethniques d'Europe,
d'Afrique et d'Amérique, d'où le nom de société arc-en-ciel que nous lui prêtons. Un fait
confirmé par Michelle Cliff lorsqu'elle a déclaré à Judith Raskin qu'il existe de nombreuses
influences culturelles dans les Caraïbes. Poursuivant son raisonnement, Cliff déclare : "Il n'y a
pas que les Anglais dans les Caraïbes : Il n'y a pas que l'influence anglaise et africaine. Il y a
les Indiens, les Juifs, de nombreuses formes d’influence provenant d’Europe, ou du Moyen-
Orient. Il y a aussi de très anciennes communautés arabes dans les Caraïbes, ainsi que des
Chinois, des Indiens de l'Est... " (The Art of History: An Interview with Michelle Cliff, 1993).
De telles déclarations confirment le nom " société arc-en-ciel " attribué aux Caraïbes. À
l'instar de la multitude de couleurs composant un arc-en-ciel, la région Caribéenne est
constituée de nombreuses entités démographiques et cultures au sein desquelles le colonisé
imite le colonisateur au point qu’il devient une parodie agaçante pour ce dernier. L’ironie du
sort c’est que le colonisateur a toujours cherché à mettre une distance entre lui et ses sujets.
Mais malheureusement, il a involontairement créé une fade copie de lui-même. Comme le dit
Albert Memmi, « le colonisateur a créé le colonisé, tout comme le colonisé a créé le
colonisateur » (The Coloniser and The Colonised, 100).

Le processus de transformation de la Caraïbe en société arc-en-ciel apparaît clairement dans


les romans de Kincaid et Cliff notamment The Autobiography of my Mother (Kincaid), et
Abeng (Cliff). Dans ces romans, la « multi-culturalité » de la région transparaît à travers les
personnages principaux féminins : Xuela et Clare Savage. Xuela appartient au peuple africain,
mais pas exclusivement. Sa mère était une caribéenne [...] (TAMM, 15) et son père, un
homme du nom John Richardson qui avait des ancêtres ecossais, [...] (TAMM, 182). Il en va
de même pour Clare, qui a aussi des origines hybrides qu’elle décrit ainsi : "Je suis à la fois
africaine, britannique et caribéenne" (Abeng, 189).
En effet, l’hybridité peut être active, par le biais d'une planification et de stratégies visant à
assimiler les colonisés à l'idéologie du colonisateur, ou passive et inconsciente par le mélange
des composantes d'une société coloniale donnée, en conséquence de nombreux facteurs tels
que la proximité sociale et géographique et/ou l'influence mutuelle (Acheraïou et al., 37) sont
en jeu. Les Caraïbes ont été confrontées à la forme active de l'hybridité par le biais du
mimétisme.
Le mimétisme est un outil dans le processus de transformation de la société en ce sens qu’il
consiste à copier servilement le colonisateur. Le père de Xuela en est une parfaite illustration
car " il était incroyablement mimique " (TAMM1, 139). Nous avons un autre exemple
d’aliénation lorsque Annie John, personnage principale et titre d’un roman de Kincaid, a été
envoyée chez une dame originaire de Lancashire pour apprendre les bonnes manières et à
saluer les personnes importantes (Annie John, 28). C'est exactement la façon dont l'Angleterre
et la France ont procédé dans les Caraïbes pour transformer les peuples colonisés en sujets
britanniques et français. Dans cette société arc-en-ciel caribéenne, les colonisés ont été
absorbé dans l’univers occidental ou ils vivent dans “une peau noire“ avec “un masque
blanc”. Ainsi que nous l’affirmions un peu plutôt, le colonisateur est à l’origine de la création
du colonisé surtout dans la région des Caraïbes ou des peuples déracinés ont été réunis avec
comme seule alternative de suivre la puissante culture occidentale.

II. La suprématie culturelle de l’occident


Dans If I Could Write this in Fire, Michelle Cliff expose les procédés à travers lesquels la
suprématie culturelle de l’occident, en particulier l'Angleterre, a opéré dans sa région. Elle
déclare, :" En tant qu'enfant parmi ces gens, en fait appartenant à ces gens, j'ai reçu le
message de l'anglo-centrisme, de la suprématie occidentale, et je l'ai intériorisé " (viii).
En fait, pour le sujet caribéen, l'influence culturelle coloniale commence dès le plus jeune âge
avec l’initiation à ce qui deviendra le centre de son identité culturelle à l'école et à la maison.
La situation de Cliff en tant qu'enfant exposé à l'anglo-centrisme ressemble à celle de ses
ancêtres africains qui sont arrivés dans la région en tant qu'esclaves et ont été immergés de
force dans la culture occidentale. En effet, ils avaient reçu des noms blancs, porté des
vêtements de blancs et mangé de la nourriture européenne. Leur "africanité" a été arrachée au
détriment d'une hybridité culturelle où ils ont été forcé à assimiler la civilisation occidentale.
Il n’y a donc pas eu d’échange mais une absorption au sein d’une force supérieure. En fait,
depuis le moment où elles se sont heurtées les unes aux autres par le biais de la colonisation,
les cultures présentes dans l’espace caribéen, celles des sujets colonisés en particulier, ont été
inévitablement transformées par leur proximité avec l'altérité culturelle et raciale. Néanmoins,
bien que les Occidentaux reconnaissent difficilement l'influence culturelle des colonisés sur
eux, il est évident qu'il y a eu un échange culturel, même s'il a été inégal. Les transformations
et les influences réciproques étaient assurément inégales et produisaient des effets différents
sur chacun des groupes impliqués dans les rencontres culturelles.

1
TAMM: The Autobiography of My Mother
Le mot "custard" par exemple, une crème britannique, qui est un aliment mou, généralement
sucré, fait d'un mélange d'œufs, de lait, d'arômes et de sucre, qui symbolise à la fois, le
mélange des cultures et l'hégémonie britannique dans la région. Néanmoins, en Caraibe, "[...]
chaque petit morceau de réalité existe en relation avec un autre [...]" (If I Could Write this in
Fire, 11), même si les réalités sont inégalement réparties. Cependant, les cultures occidentales
plus puissantes et dominatrices, ont eu un impact significatif sur les cultures moins puissantes.
Comme l'indique Cliff dans, il existe de nombreuses preuves de cette situation: "Les cours
étaient dispensés dans des bâtiments censés recréer l'Angleterre : humides avec des sols en
pierre, donnant sur un cloître ou un quad comme ils l'appellent" (If I Could Write this in Fire,
13). De plus, ils commençaient chaque jour avec la directrice qui entraînait les élèves dans des
hymnes anglais afin de perpétuer les traditions de l'Angleterre dans les Caraïbes (If I Could
Write this in Fire, 12). Cette tradition marque l’imposition de l’identification coloniale des
Jamaïcains aux valeurs britanniques. Ce processus d'aliénation était une obligation pour les
colonisés, et un devoir pour les colonisateurs. Pour ce dernier, il représentait une
consolidation de son hégémonie. Mais, du point de vue du colonisé, l'identification au maître
était un moyen de donner un certain sens à sa vie puisque les vestiges de leurs racines avaient
été presque totalement effacés.

III. Une identité caribéenne irréversiblement métissée


Les institutions qui forment la base de cette identité caribéenne ne sont pas nécessairement
liées à des frontières géographiques, car le peuplement de la région s’est effectuée à travers
plusieurs vagues de migrations. Ce qui fait que la région est donc peuplée par différents
groupes ethniques : noirs, blancs, rouges, jaunes, bref, hybrides, etc. Il y a un assortiment de
couleurs, à l'image de ce qu'on appelle au Sénégal " Toucouleur ". La région des Caraïbes est
également diversifiée sur le plan religieux, puisqu'on y trouve des chrétiens, des hindous, des
musulmans, des juifs, des rastafaris, etc. Nous retrouvons également une multitude de langues
dans la région telles que l’Espagnol, l’Anglais, le Français, le Hollandais, etc., en plus des
langues africaines importées dans la région par les esclaves. Toutes ces langues ont été
fusionné et transformé en plusieurs dialectes (Premdas, 2011, 814).
Au de-là des combinaisons de race, de religion, de langue et de culture, la région des Caraïbes
est un vaste territoire composé majoritairement par des îles dont les populations ont en
commun la situation de colonisés. En effet, les diversités socio-économiques, raciales,
linguistiques, religieuses et culturelles ont pris leur source dans le projet colonial.
L'identité de la région n'est donc pas nécessairement liée à une limite géographique, mais au
mouvement humain. Le déracinement est une caractéristique essentielle de la région.
L'identité de la Caraïbe a été construite par des personnes venues d'univers très différents. En
fait, Jamaica Kincaid et Michelle Cliff ont démontré à travers leurs œuvres que la Caraïbe est
l’une des régions du monde la plus colorée culturellement et démographiquement, d’où le
nom société arc-en-ciel. Ainsi, l'identité de la région est fondée sur l'assimilation et
l'hybridation des peuples dans la culture de chacun, avec une attraction dominante de la
civilisation occidentale. L'identité caribéenne métissée est une fusion de cultures construite
sur le consensus autour de la blessure coloniale commune.

Conclusion
À travers des principaux personnages féminins, Jamaica Kincaid et Michelle Cliff ont mis en
évidence l'impact socioculturel de la colonisation dans les Caraïbes. En effet, ces deux
auteures ont présenté leur Caraïbe comme une société culturellement colorée en raison des
nombreux peuples qui y sont arrivé à cause de l’activités coloniale, et plus tard, pour
l’immigration. Ces peuples, majoritairement noirs, ont été au cœur du processus de
transformation de la Caraïbes en société arc-en-ciel. Elle s’est effectuée à travers le
mécanisme de l'hybridité qui implique une collision des cultures avec l'hégémonie des
cultures occidentales sur les cultures des personnes colonisées. Tout comme chez Xuela et
Clare, une identité purement hybride est née dans les Caraïbes pendant et après la
colonisation.
A travers cette présentation, nous pouvons retenir que L’Amérique, l’Afrique et les Caraïbes
ont en commun l’Europe. Avec l’Europe, l’Afrique a participé au peuplement de l’Amérique
et des Caraïbes. Jadis une colonie européenne, britannique plus précisément, l’Amérique est
aujourd’hui une puissance mondiale, alors que l’Afrique et les Caraïbes aussi colonisées par
des puissances européennes, sont toujours pauvres et endettées. Contrairement à l’Afrique et
les Caraïbes, l’Amérique a été fondé par des européens blancs. Ceci pourrait constituer une
explication aux écarts de développement entre ces trois régions. En plus, même après plus
d’un siècle et demi, la ligne coloniale est toujours visible et l’identité des peuples colonisés
est toujours sujet à débats notamment au sein du courant post-colonialiste.
Bibliography

Acheraïou, Amar, (2011). Questioning Hybridity, Postcolonialism and Globalization. London


and New York: Palgrave Macmillan

Anjali, Prabhu, (2007). Hybridity: Limits, Transformation, Prospect. New York : University
of New York Press

Cliff, Michelle (1980). Claiming the Identity They Taught Me to Despise. Bath (UK) :
Persephone

Cliff, Michelle, (1995). Abeng. New York City: Plume


Cliff, Michelle, (2008). If I Could Write This in Fire. Minnesota: University of Minnesota
Press

Kincaid, Jamaica, (1985). Annie John. New York: Farrar, Straus and Giroux

Kincaid, Jamaica, (1997). The Autobiography of My Mother. New York City: Plume

Kincaid, Jamaica, (1988). A Small Place. New York: Farrar, Straus and Giroux

Lewis, Richard, (2006). When Cultures Collide : Leading Across Cultures. London/Boston :
Nicholas Brealy International

Memmi, Albert, (1965). The Coloniser and The Colonised. Boston : Beacon Press

Miram-Marthe-Rose, Sandrine, « Traduire le réel caribéen francophone : hybridité culturelle


et enjeux », Open Editions, Etudes caribéennes, 2018

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