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Chapitre 28

Maladie osseuse de Paget


Objectifs :
- Décrire les caractéristiques sémiologiques de la maladie osseuse de Paget
- Décrire la démarche diagnostique des ostéopathies condensantes
- Enumérer les complications de la maladie osseuse de Paget
- Décrire le mode de prise en charge d’un patient atteint de la maladie osseuse de Paget

La maladie osseuse de Paget est une ostéopathie d'étiologie inconnue, affectant le sujet de plus
de 60 ans, et caractérisée par un remaniement osseux anarchique. Ce remaniement est lié à
l'exagération des processus physiologiques de destruction et de construction osseuses. Il s’agit
d’une ostéopathie focalisée, caractérisée par un dysfonctionnement des ostéoclastes donnant
lieu à une augmentation des la résorption puis de la formation osseuses. L’examen clinique, le
dosage des phosphatases alcalines, des radiographies simples et une scintigraphie permettent
dans la majorité des cas d’en faire le diagnostic . Il s'agit d'une affection habituellement bénigne
mais dont l'évolution est dans certains cas émaillée de complications.

Symptomatologie clinique
L'os pagétique se fait vite et mal. L'importance du remaniement osseux entraîne des
conséquences mécaniques capitales. L'os anarchique est fragile et se fracture facilement. Il est
plus plastique. Il se déforme sous les contraintes mécaniques, expliquant les anomalies cliniques
et radiologiques. L'hypertrophie osseuse est susceptible de réduire les canaux, les cavités et les
orifices expliquant notamment les compressions neurologiques. L'hypervascularisation de l'os
retentit sur le système cardio-vasculaire.

La maladie de Paget est souvent asymptomatique, découverte fortuitement à l'occasion d'un


examen radiographique. Elle se localise par ordre de fréquence décroissante au bassin (72-76%),
au rachis lombaire (33-58%), au rachis dorsal (24-45%), au fémur (25-35%), au sacrum (29-44%),
au crâne (28-42%), au tibia (22-35%), au radius (16%), aux pieds (10%), aux mains (9%) et aux
côtes (3%). L'expression clinique se fait par des douleurs osseuses, des déformations ou des
phénomènes vasomoteurs (tableau I).

Les douleurs sont inconstantes. Elles intéressent les zones remaniées, pouvant précéder
l'apparition des déformations. Elles sont en général peu intenses et apparaissent sous forme de
sensations désagréables, mal définissables, survenant par poussées. Le plus souvent, les
douleurs sont liées aux complications de la maladie : arthropathies, fissures osseuses,
compressions radiculaires.

Les déformations résultent de l'hypertrophie et de la plasticité de l'os pagétique. :

- au membre inférieur, le tibia s'épaissit, son bord antérieur s'émousse, l'os s'incurve en avant
et en dehors, en "fourreau de sabre". Le fémur se déforme en crosse à convexité antéro-
externe. l'ensemble du membre inférieur prend un aspect en parenthèses ;

- au membre supérieur, les déformations sont plus rares et retentissement rarement sur la
fonction articulaire. Cependant, il y a incurvation possible des os du bras et de l'avant-bras.
Le crâne est fréquemment hypertrophié ;

- le périmètre crânien augmente progressivement (changement fréquent de chapeau). Le


front devient olympien, avec saillie des bosses frontales. Les os de la face sont généralement
respectés ;
- l'atteinte du rachis s'accompagne d'une cyphose dorsale et d'une diminution de la taille. Le
bassin est élargi et évasé avec abdomen saillant. La clavicule fait saillie sur le thorax.

Les signes vasomoteurs, conséquence de l'hypervascularisation osseuse, sont fréquents. Il existe


une vasodilatation avec augmentation de plusieurs degrés de la chaleur locale. L'indice
oscillométrique est considérablement élevé. Des extravasations capillaires répétées engendrent
souvent une pigmentation cutanée, une dermite, parfois une mélanodermie. Un oedème des
membres inférieurs n'est pas exceptionnel, associé à une sensation de brûlure dans les membres.

Tableau I : Circonstances de découverte de la maladie osseuse de Paget

Douleurs osseuses et/ou articulaires, céphalées pulsatiles

Déformations et hypertrophie osseuses

Fractures ou fissures sur os pagétique

Complications neurosensorielles : surdité, céphalées, compression radiculo-médullaire,


compression du tronc cérébral, cécité, atteinte d’autres paires crâniennes

Ostéosarcome, tumeur bénigne à cellules géantes

Signes radiographiques
L'examen radiographique représente l'étape essentielle du diagnostic. Les lésions, disséminées
mais non diffuses, ont une topographie segmentaire dans le même os. Elles siègent
préférentiellement au rachis, au sacrum, à la ceinture pelvienne, au crâne, au tibia et au fémur.
Quelle que soit la localisation, le remaniement pagétique est caractérisé par une hypertrophie
osseuse, un bouleversement architectural et des déformations.

L'hypertrophie osseuse se manifeste par un épaississement de la corticale et un allongement des


os longs. Le bouleversement architectural est attesté par la disparition de la trabéculation avec
des travées épaissies, irrégulières et moins nombreuses donnant à l'os une structure fibrillaire et
filamenteuse caractéristique. Les déformations sont la conséquence de l'hypertrophie et du
bouleversement architectural.

Le corps vertébral est à la fois aplati, diminué de hauteur, élargi, débordant nettement les
vertèbres sus et sous-jacentes. On a l'impression d'une vertèbre sortie d'un squelette plus grand
et interposée entre des vertèbres normales. Le remaniement structural qui peut affecter un ou
plusieurs étages prend deux aspects: la vertèbre en cadre et la vertèbre d'ivoire. L'arc postérieur
est parfois aussi remanié et épaissi. Le diamètre du canal rachidien est aussi rétréci. Les disques
intervertébraux sont normaux.

La voûte crânienne est épaissie, devenant ouatée, floconneuse par la présence de multiples
zones condensées. Parfois apparaît une zone de décalcification homogène, à bords réguliers,
fronto-pariétale ou occipitale (ostéoporose circonscrite du crâne). La base du crâne subit des
modifications morphologiques. Le pourtour du trou occipital est refoulé en haut, créant une
impression basilaire. L'association d'une inversion des courbures donne une platybasie ou une
convexobasie.

Au bassin, l'épaississement des corticales est bien visible sur le pourtour du trou obturateur. A
la hanche, la cavité cotyloïde est épaissie et s'enfonce vers le pelvis, aboutissant à une
protrusion acétabulaire. La tête fémorale est remaniée avec une structure fibrillaire typique,
rappelant les lignes de force du col fémoral. L'angle cervico-diaphysaire se ferme en coxa vara.

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Assez longtemps, l'interligne articulaire est respecté. L'enfoncement général de l'os iliaque, s'il
est bilatéral, donne au bassin une silhouette de coeur de carte à jouer.

La scintigraphie osseuse montre une hyperfixation très intense dans les zones remaniées. Elle a
l'intérêt de mettre en évidence les diverses localisations qui seront précisées par des
radiographies centrées.

Signes biologiques
Les signes biologiques de la maladie osseuse de Paget sont caractérisés par une élévation de la
phosphatasémie alcaline (reflet de l'activité ostéoblastique), de l'hydroxyprolinurie et de la
calciurie (témoins de l'activité ostéoclastique).

Evolution et complications
L'évolution de la maladie osseuse de Paget est extrêmement lente et s'étale sur plusieurs années.
L'affection peut dans certains cas se localiser indéfiniment sur un seul os. Dans d'autres cas, la
maladie affecte la presque totalité du squelette, sans jamais se généraliser complètement.

Le retentissement clinique de la maladie est variable. Parfois purement latente, elle peut dans
certains cas comporter des complications, parfois sévères :

- une surdité progressive, de transmission ou mixte, souvent mixte, souvent méconnue ou


confondue avec une presbyacousie ;

- une atteinte encéphalique en cas d’atteinte de la base du crâne (impression basilaire,


platybasie), parfois responsable d’une hydrocéphalie à pression normale ; elle se traduit par
des céphalées, des troubles psychiques, une atteinte pyramidale et cérébelleuse, une
incontinence urinaire, et à la longue un état démentiel ;

- des accidents ischémiques par hémodétournement carotidien externe ;

- la survenue d’une compression médullaire lente est très rare, et se voit en cas d’atteinte
dorsale moyenne ;

- l'os pagétique peut dégénérer en ostéosarcome dans 1 à 2% des cas.

Traitement
Les biphosphonates constituent le traitement de choix de la maladie de Paget. Quatre produits
sont actuellement utilisés à cette fin : l’étidronate, le tiludronate, le pamidronate et le
risédronate (tableau II).

La décision de traiter ou non une maladie de Paget implique un bilan préthérapeutique


comprenant :

- l’évaluation des symptômes et la recherche des complications : céphalées, déformations de


membres, atteinte articulaire, troubles neurologiques ;
- la détermination de l’activité cellulaire de la maladie par le dosage des phosphatases
alcalines (éventuellement couplé à une mesure des gamma-GT pour éliminer une atteinte
hépatique)

- la mesure de la fonction rénale ;

- la réalisation d’une scintigraphie corps entier pour déterminer en une fois toutes les
localisations pagétiques, y compris les sites cliniquement asymptomatiques ;

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- une radiographie de ces sites, confortant l’opportunité de traiter précocement lorsqu’il
existe une ostéoporose circonscrite du crâne, un front de résorption agressif sur le fémur,
une atteinte débutante d’un corps vertébral.

Tableau II : Biphosphonates utilisés au cours de la maladie de Paget

Effets sur la maladie Effets secondaires Posologie

Etidronate Amélioration modérée des Douleurs coliques, Voie orale


signes cliniques dans les diarrhées, 5 mg/kg/j,
formes étendues avec rechute hyperphosphorémie, soit 400 mg/j
rapide à l’arrêt ostéomalacie d’inhibition (ou 300 mg/j)
Normalisation des taux chez le sujet
sériques des phosphatases âgés fragiles
alcalines dans seulement 15 à
20% des cas

Tiludronae Plus efficace que l’étidronate Bonne tolérance Voie orale


Normalisation des marqueurs digestive, pas de 400 mg/j
biochimiques du remodelage perturbation du pendant 3
osseux dans 35% des patients remodelage osseux mois

Pamidronate Bon effet antalgique prolongé Rares et peu sévères : Voie veineuse
pendant 14 mois avec des veinite, syndrome Cures de 60
cures de 180 mg d’allure grippale mg/j/3j
Normalisation des Troubles de
phosphatases alcalines chez 35 minéralisation à des
à 80% des patients doses supérieures à 180
mg par cure

Risédronate Bon effet antalgique Bonne tolérance Voie orale


Normalisation des digestive 30 mg/j/60j
phosphatases alcalines chez
75% des patients
Amélioration des paramètres
radiographiques

Les critères d’indications de traitement sont :

- les douleurs osseuses, les céphalées, les complications neurosensorielles, et l’insuffisance


cardiaque à haut débit sont des indications reconnues et validées du traitement par le
biphosphonates ;

- avant une intervention osseuse, une cure préalable de biphosphonates est indiquée pour
réduire le risque hémorragique ;

- le problème des indications se pose essentiellement lors du diagnostic des formes


asymptomatiques découvertes fortuitement à l’occasion d’un examen radiographique ou
biologique (élévation des phosphatases alcalines). Les éléments à prendre en compte dans
ces cas sont : l’âge (moins de 70 ans), existence de localisations à risque, phosphatases
alcalines en fonction du caractère mono ou poly-ostotique de l’affection, caractère très
lytique des lésions radiographiques ;

- chez un patient asymptomatique, l’abstention thérapeutique et une surveillance régulière se


justifient dans les circonstances suivantes : patient est âgé, marqueurs de remaniement
inférieurs à deux fois la normale, lésions non menaçantes (ilion, sacrum, côte).

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Certaines déformations ou arthropathies pagétiques nécessitent une correction chirurgicale
(ostéotomie d'un tibia en lame de sabre retentissant sur la fonction de la cheville, coxopathie
pagétique). Le traitement médical préalable réduisant l'activité donc l'hypervascularisation de
l'os pagétique facilite l'acte chirurgical. L'os pagétique consolide normalement.

La surveillance à court et à moyen termes repose sur le dosage des phosphatases alcalines, de
l'hydroxyprolinurie et de la calciurie. A long terme, elle se fondera sur la mesure radiologique
de la progression des lésions sur un os long.

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