Vous êtes sur la page 1sur 2

QUEL GÂCHIS !

Par Smaïl Goumeziane

P
h
o
t
o
D
.
R
.

On s’offusque, à juste titre, du volume des surfacturations qui gangrènent les


importations, et plus largement des transferts invisibles de capitaux, de l’ordre
de 1,5 à 2 milliards de dollars, subis chaque année par le pays. Pourtant, au
regard de l’immense gâchis occasionné par d’autres « exportations invisibles »,
ces pertes sèches pour le pays apparaissent presque anecdotiques.
En effet, des exportations invisibles d’une autre ampleur sortent régulièrement
et gratuitement du pays sans qu’elles apparaissent dans les statistiques du
commerce extérieur national. Il s’agit du flux incessant depuis une trentaine
d’années de cadres algériens, de tous niveaux et de tous statuts, qui quittent le
pays pour offrir leurs compétences à divers pays d’accueil, dont la France, le
Canada, la Belgique ou le Royaume Uni….
On le sait, en nombre, depuis tout ce temps, ce sont quelques 500 000
individus qui sont partis. Or, si on a périodiquement signalé qu’il s’agissait là
de pertes humaines considérables pour le pays, on en a très rarement évalué le
coût en termes financiers.

Ce coût pourrait être estimé de trois manières complémentaires. D’une part, à


travers ce que cela a permis comme économie « de formation et
d’apprentissage » aux pays d’accueil. D’autre part, à travers ce que cela a
induit en perte de PIB (richesse nationale) pour l’Algérie. Enfin, à travers le
gain en PIB que cela a occasionné pour les pays d’accueil.

Dans le premier cas, sachant que le coût de formation et d’apprentissage d’un


cadre dans les pays d’accueil (la France, par exemple) est de l’ordre de 8 000
dollars par an, et qu’il faut une quinzaine d’années pour assurer cette
formation, un cadre déjà formé ailleurs permet donc d’économiser 12 000
dollars. Pour 500 000 cadres, l’économie, ou le bénéfice, pour les pays
d’accueil serait donc de quelques 60 milliards de dollars payés tout au long
de leur formation par l’Algérie. Qui donc rembourserait ce coût au pays ?
Dans le second cas, le PIB par habitant de l’Algérie étant de l’ordre de 7 000
dollars par an, soit 210 000 dollars sur trente ans, le départ de 500 000 cadres
s’est donc traduit par une perte de richesse nationale pour l’Algérie de
quelques … 105 milliards de dollars.

Ainsi, dans ces deux seuls cas, les « exportations invisibles d’êtres humains »,
non seulement n’ont rapporté aucun centime au pays, mais plus grave, elles lui
auront coûté pas moins de 165 milliards de dollars. Et encore, n’a-t-on vu,
jusque-là que l’impact financier. Mais, que dire de la perte d’expérience que
cela a occasionné pour le pays, de la diminution de la capacité d’innovation, de
l’absence de capacités techniques, organisationnelles et culturelles, du
manque d’effet de transmission et d’entrainement pour les générations
futures ?

Pis, ce véritable cadeau royal offert aux pays d’accueil ne s’arrête pas là.
En effet, dans le troisième cas, il faut se rappeler que dans les pays d’accueil,
ces cadres ont généralement contribué, lorsqu’ils n’étaient pas au chômage, à
la création de richesse nationale. Si l’on suppose que dans ces pays, chaque
cadre contribue directement à hauteur de 20 000 dollars par an, cela signifie
que la part globale du PIB créé par ces cadres dans les pays d’accueil sur 30
ans est de l’ordre de 300 milliards de dollars.

Au bout du compte, le départ de 500 000 cadres d’Algérie s’est donc traduit
par un bénéfice global de l’ordre de 465 milliards de dollars pour les pays
d’accueil. Et dire que d’aucuns veulent persuader leurs opinions publiques que
l’émigration coûte cher aux pays d’accueil ! On le voit, c’est tout l’inverse.

Dès lors, n’est-il pas vrai que cela ne peut plus continuer et qu’il faut tout faire
pour empêcher la poursuite de cette hémorragie et favoriser le retour libre de
tous ces fils et filles d’Algérie ? C’est là, à l’évidence, une question cruciale qui
devrait être posée dans toute démarche de transition vers un système
démocratique, et dans toute stratégie de développement national.

Vous aimerez peut-être aussi