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Rambaud Placide. Déséquilibre agriculture-industrie : l'exode rural. Quelques travaux récents . In: Études rurales, n°2, 1961.
pp. 102-109;
https://www.persee.fr/doc/rural_0014-2182_1961_num_2_1_980_t1_0102_0000_1
Partout les agriculteurs abandonnent la terre. Dans nombre de pays ils paraissent
être encore trop nombreux. Des experts prévoient ou souhaitent, pour la seule Europe
des Six, une diminution de 25% de la main-d'uvre agricole dans les quinze années
à venir. Ici l'absence d'exode rural, là une émigration trop rapide entraînent des
déséquilibres sociaux et économiques. Les états s'efforcent d'y porter remède de façons
dissemblables.
1. R. Dumont cite des exemples d'une « donnée partout obsédante : La dette moyenne de
chaque famille ». Dans un village du Sud-Est indien, « elle serait de 210 roupies avec, pour
la quasi-totalité, peu d'espoir de s'en libérer un jour ». « Les usuriers prêtent à 12% avec
garantie, et 24% sans garantie. Les prêteurs saisonniers prennent souvent 18% au
propriétaire qui engage son champ, et 36 à 72% aux fermiers ». Cf. Terres vivantes. Voyages d'un
agronome autour du monde, Paris, 1961, pp. 130-131.
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terre parce que leurs revenus réels (rémunération, sécurité de l'emploi, avantages
sociaux, régularité des horaires) sont inférieurs à ceux des travailleurs non agricoles.
D'ailleurs, malgré la diminution relative de la population agricole, cette disparité
tend à s'amplifier, car dans les pays riches la production alimentaire augmente plus
vite que la consommation et dans les états en voie de développement priorité est
donnée aux investissements industriels.
Telle est la loi économique qui semble régir les déplacements de travailleurs
ruraux sous la pression des facteurs de refoulement (sous-emploi et faible revenu
agricole) et des facteurs d'appel (possibilité d'emploi et haut revenu non agricole).
Elle explique pourquoi les propriétaires exploitants ont un taux migratoire moindre
que les ouvriers agricoles, pourquoi les jeunes sont plus mobiles que les adultes en
possession d'un métier. Elle pousse nombre de cultivateurs, en Norvège, en
Allemagne, aux États-Unis, à exercer une profession d'appoint pour compléter leurs
revenus et à pratiquer une agriculture à temps partiel. Les divergences entre régions
tiennent seulement aux causes différentes des bas revenus relatifs de la terre. Ici une
forte productivité nécessite un transfert de main-d'uvre ; là, la production agricole
se laisse distancer par l'accroissement démographique.
En définitive, la baisse progressive des revenus comparés est la principale raison
des migrations professionnelles des agriculteurs et leur rythme est commandé par
celui des investissements faits dans les zones urbaines. Parce que la rémunération
du capital est plus élevée dans l'industrie, le volume des investissements par
travailleur de l'agriculture est bien inférieur. De plus, les dépenses consacrées aux achats
alimentaires ne sont pas proportionnelles à la hausse des revenus, et les prix des
produits agricoles tendent à diminuer. La moindre productivité des travailleurs
ruraux explique ainsi l'infériorité de leur niveau de vie. Cependant les statistiques
font défaut, ou presque, qui permettraient de mesurer l'inégalité des revenus et de
préciser sa relation avec les migrations rythmées par l'offre des emplois disponibles.
On sait seulement que le rapport entre le produit national par travailleur dans
l'agriculture et dans les autres secteurs de l'économie oscille de 0,1 (Thaïlande)
ou 0,2 (Turquie) à 1 (Pays-Bas) et même 1,4 en Nouvelle-Zélande (p. 228). L'écart
entre les salaires de l'industrie manufacturière et ceux de l'agriculture a généralement
augmenté entre 1950 et 1958. Ceux-ci représentent 33,5% de ceux-là en Inde et
seule l'Australie a un taux de salaires favorable aux travailleurs de la terre (113,1%).
La riche étude comparative et la documentation statistique présentées par le
Bureau International du Travail soulignent la nécessité d'analyser l'exode rural
au niveau de la région pour que, dans un même pays, les moyennes nationales ne
cachent pas l'extrême diversité des situations. Les économistes, en effet, indiquent
leur difficulté à différencier la répartition du revenu parce que le groupe des
agriculteurs n'est pas homogène, que ce soit au point de vue de leur densité, du volume des
exploitations, du mode de faire-valoir ou de l'accès au marché. J. Marchai et J. Lecail-
lon s'interrogent au sujet de la France et des États-Unis : « Si le groupe des
agriculteurs tend à se scinder à l'époque actuelle en fonction du degré de pénétration
du capitalisme dans l'agriculture, peut-on encore affirmer que les exploitants
agricoles constituent une catégorie socio-professionnelle autonome et leur revenu un
revenu spécifique, méritant une place à part dans le revenu social1 ? » Malgré leur
II
Ce sont en effet les causes et les effets psychologiques et sociaux de l'exode qui
ont retenu l'attention de la Société Européenne de Sociologie Rurale lors de son
premier congrès (Louvain, 22-28 septembre 1958)3. Phénomène majeur de l'Europe
contemporaine, les migrations sont « le signe d'un malaise » auquel elles cherôhent
à porter remède. Qu'elles soient changement de profession (exode agricole) ou de
résidence (exode rural), ou les deux à la fois, les mesurer, définir leurs modalités,
analyser leurs conséquences sur les populations rurales et urbaines, c'est étudier
le comportement socio-économique du monde agricole et l'évolution des rapports
villes-campagnes. Statistiques et enquêtes empiriques fournissent sur ces questions
d'utiles données que complète une bibliographie concernant dix pays européens*.
L'exode spontané a pour premier effet de modifier la structure démographique des
campagnes. C'est aussi le moins mal connu, numériquement au moins (pp. 35, 109).
Une redistribution géographique de la population s'opère, changeante au cours du
dernier siècle. Mais d'abord les agriculteurs vont-ils directement ou non en ville ?
Quelles sont les étapes successives de leur mobilité avant la définitive
sédentarisation ? On l'a précisé par exemple pour Stockholm (p. 111). En tout cas, l'exode
rural semble obéir à une sorte de modèle spatial constant dans le temps. En Suède,
par exemple, 80% des migrants de 1850 et 54% de ceux d'aujourd'hui parcourent
moins de 20 kilomètres. Les deux tiers des électeurs belges émigrés des campagnes
sont nés dans un rayon de 20 kilomètres6. Si la mobilité entre communes voisines est
1. Cf. Ph. Madinier, Les disparités géographiques des salaires en France, Paris, 1959,
p. 162.
2. J. Fericelli analyse comment « le revenu du groupe des agriculteurs est fonction d'un
combat mené par ie groupe dans des champs d'action différenciés, et parmi ces champs
d'action, le champ politique est privilégié », in. Le revenu des agriculteurs, matériaux pour
une théorie de la répartition, Paris, 1960, p. 361.
3. Les migrations rurales. Communications et échanges de vues, Bonn, 1959, multigraphié,
476 p.
4 Éléments de bibliographie sur les migrations rurales dans dix pays européens, Bonn,
8. d., multigraphié (Société Européenne de Sociologie Rurale) (sans pagination).
6. Voir également à ce sujet : P. Clément et P. Vieille, « L'exode rural ». Études de
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intense, la petite région a un peuplement homogène par son origine. Ces mouvements
à courte distance n'indiquent-ils pas que les ruraux choisissent leur destination en
fonction d'un réseau de contacts sociaux bien établi ? Malgré cela, le départ
prédominant des jeunes (moins de 30 ans) et des femmes rend la population rurale
différente, dans sa composition par âge et par sexe, de l'ensemble national. Le taux
de masculinité et l'indice de vieillesse sont plus élevés dans les campagnes que dans
les villes. De ce fait les mariages se font à un âge plus avancé, beaucoup de veuves
deviennent chefs d'exploitation, maintenant un retard dans la modernisation (par
exemple en Suède, en Irlande) ; le célibat fréquent incite les hommes à partir
(Allemagne), avec comme effet cumulatif la baisse de la productivité du travail, et la
dévitalisation des villages.
La migration est le fait des jeunes. Pourtant d'une enquête effectuée sur 1 154
personnes, il résulte que plus de 80% des Allemands âgés de 17 à 28 ans sont attachés
au métier d'agriculteur, notamment à cause de l'indépendance professionnelle qu'il
confère. Quand les filles quittent la terre pour éviter une surcharge de travail,
quand la rationalisation de l'agriculture crée le sous-emploi, le départ est
généralement pensé avec, comme modèle idéal, le genre de vie urbain de type industriel.
Toutefois, arrivés en ville les jeunes ruraux finnois, par exemple (échantillon de
1 578 personnes âgées de 10 à 29 ans) participent moins que les citadins d'origine aux
groupes structurés ou non. Leur intégration sociale est moindre dans les grandes
agglomérations que dans les petites (moins de 40 000 habitants).
L'exode est un phénomène complexe : le même individu peut changer plusieurs
fois de localité et de profession. Sa mobilité peut se solder par une ascension ou un
recul économique et social. Au Danemark, par exemple, les « personnalités » d'origine
rurale étaient en 1910 pour moitié des fils de riches agriculteurs ; elles ne représentent
plus que le tiers en 1946. Les enfants de cultivateurs pauvres fournissent un très
faible contingent à cette promotion.
Avec les jeunes, ce sont dit-on souvent les plus t intelligents » qui partent. Aux
Pays-Bas, une enquête sur 2 000 anciens élèves d'écoles primaires rurales le confirme.
Mais en fait, la migration est beaucoup moins sélective que l'éducation reçue. Celle-ci
prépare surtout les enfants à des métiers urbains et la campagne ne sait pas leur
fournir les emplois correspondant à leurs capacités. D'ailleurs, qu'un agriculteur
acquière sur place une forte instruction ou un statut social élevé, et son intelligence
ne se montre pas inférieure à celle des émigrés. N'est-ce pas dès lors la culture acquise,
plus que le degré d'intelligence, qui est corrélative à la volonté de départ ? D'ailleurs
les recherches de psychologie différentielle sont en général effectuées à l'aide de tests
incapables de mesurer les aptitudes innées indépendamment des facteurs acquis1
comptabilité nationale, Paris, avril 1960, pp. 87-109. Les auteurs y présentent « les principales
hypothèses faites ou faisables » sur « la sélectivité des migrations » en France, fis font
notamment remarquer que « ... ce sont surtout les départements urbanisés... qui absorbent les
jeunes » (p. 87) et que « ... les directions migratoires sont différentes au-delà de 30 ans... et,
au-dessus de 44 ans, la plus grande partie des excédents de migrants se dirigent vers des
catégories de communes plus petites et spécialement vers des communes rurales » (p. 89).
Par ailleurs, les femmes se dirigent davantage que les hommes vers les grandes villes où elles
occupent surtout des emplois dans le commerce et les bureaux.
1. Après une critique judicieuse des acquisitions scientifiques sur ce sujet, P. Clément
et P. Vieille concluent : « S'il y a diminution du capital actif des groupes ruraux par l'exode,
on ne peut, dans l'état actuel de nos connaissances, parler d'un appauvrissement du capital
intellectuel héréditaire » (pp. cit., p. 97).
COMPTES RENDUS 107
Mm*1. Brion
A partir
donnedela l'enquête
physionomie,
effectuée
par départements,
par les ingénieurs
du marché
des services
des exploitations,
agricoles en
avec
1958,
les
types d'unités foncières, le volume des capitaux nécessaires à l'installation des nouveaux
agriculteurs, etc., in « L'installation et la réinstallation a la terre des agriculteurs en France »,
Notes et Études Documentaires, Paris, n° 2679, 21 juin 1960, 80 p.
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absorbent des secteurs agricoles et les mettent en « jachère sociale ». Les gens des
villes cherchent de plus en plus une résidence au contact de la nature, loin du bruit ;
et souvent, les migrants ruraux les remplacent au centre des cités déjà trop
populeuses. Mais en définitive, tous ces mouvements, s'ils constituent un frein efficace
au dépeuplement, sont-ils le fait de ruraux travaillant en ville ou déjà de citadins
résidant à la campagne ?
L'absence de nettes frontières géographiques, sinon mentales, entre ville et
campagne suppose des transformations techniques et psychologiques. Des inventaires
seraient utiles pour apprécier leur coût économique et leur valeur sociale. Malgré
cette imbrication, des urbanistes souhaitent organiser en unités autonomes l'habitat
et les exploitations agricoles, notamment si l'on veut développer des « cultures de
banlieue » employant beaucoup de travail ou de capitaux sur une faible superficie
et susceptibles d'approvisionner les grandes agglomérations. L'aménagement du
territoire se trouve de ce fait confronté à de nouvelles exigences. Pour éviter que des
villes « rentières du sol » comme Montpellier, Nîmes, Béziers, propriétaires de
120 000 hectares, dont 42 000 plantés en vigne, n'appauvrissent les agriculteurs
d'alentour, pour éviter les cités t insulaires » coupées de leur environnement rural et
dont le type achevé pourrait être Sâo Paulo, E. Juillard suggère la création accélérée
de villes « urbanisantes », comme en connaissent la Suisse ou le Danemark, capables
de stimuler la modernisation économique et culturelle des campagnes et d'éveiller
chez les citadins et les agriculteurs « un nouvel art de vivre d1.
Réduire la main-d'uvre agricole de 3 millions de personnes en quinze ans2,
réduire les disparités régionales il faut cinq paysans italiens pour produire les
calories végétales que produit un cultivateur belge , harmoniser le développement
de l'industrie et de l'agriculture, mettre sur pied d'égalité villes et campagnes par
la décentralisation hiérarchisée des unes et l'évolution technique des autres, tels
sont les principaux problèmes posés au choix politique des hommes de la « Nouvelle
Europe ». Les sociologues devront s'attacher à préciser les conditions les plus
favorables au départ de la terre comme à l'entrée dans d'autres activités. De ce point de
vue, on s'étonnera que la formation professionnelle ait si peu retenu l'attention des
congressistes. Le passage de l'agriculture à l'industrie ou au secteur tertiaire affectera
sans doute demain, à côté des jeunes, nombre d'adultes dont le réemploi est moins
facile. Si la parité des revenus urbains et agricoles demeure l'objectif poursuivi, les
cultivateurs devront acquérir une compétence technique accrue non seulement
comme producteurs, mais aussi comme vendeurs ou organisateurs de la politique
économique. Et tout d'abord, il importera de connaître pourquoi tant de ruraux
résistent encore aux exigences d'une formation professionnelle. En tout cas, la
qualité majeure requise de l'agriculteur de demain sera une grande facilité
d'adaptation technique, autrement dit une mobilité à l'intérieur de sa profession. Elle lui sera
nécessaire pour répondre avec rapidité aux fluctuations du marché, plus
contraignantes que les facteurs de production. Partout de plus, la femme apparaît comme
le « moteur » de l'exode agricole. H importerait d'analyser scientifiquement sa place
dans le travail de la terre, ses fonctions présentes ou possibles dans la société rurale,
1. M. Sorre, Les migrations des peuples. Essai sur la mobilité géographique* Paris,
1955, p. 28.
2. J. Fericelli, op. cit., p. 278.